Dictionnaire de l’administration française/ALIÉNÉS

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ALIÉNÉS. 1. On appelle aliénés les individus chez lesquels le dérangement des facultés intellectuelles détruit la liberté et par suite la responsabilité des actes.

sommaire.

chap. i. introduction, 2 à 12.
chap.ii. dispositions de police, 13.
CSect. 1. Des établissements d’aliénés.
CSart. 1. établissements publics, 14 à 35.
CSartiii2. établissements privés, 36 à 55.
CSect. 2. Du placements des aliénés dans les établissements publics ou privés, 56, 57.
CSArt. 1. des placements faits par les familles ou volontaires.
Csa§ 1. Qui peut faire ce placement ? 58, 59.
Csa§ 2. Quelles formalités accompagnent ce placement ? 60 à 64.
Csa§ 3. Comment cesse-t-il ? 65 à 87.
Csa§ 4. Comment a lieu la sortie ? 88 à 90.
Csa§ 5. Précautions prises par la loi pour tenir l’autorité publique informée de tous les faits relatifs aux aliénés placés dans les asiles par la volonté des familles, 91 à 97.
CSart. 2. des placements ordonnés par l’autorité publique.
Csa§ 1. Par quels fonctionnaires peut être ordonné le placement ? 98 à 102.
Csa§ 2. Dans quelles formes est ordonné ce placement ? 103.
Csa§ 3. Comment cesse-t-il ? 104 à 106.
Csa§ 4. Comment a lieu la sortie ? 107.
Csa§ 5. Précautions prises par la loi pour provoquer à de fréquentes reprises l’examen du préfet ou des personnes qui peuvent saisir l’autorité judiciaire, 108, 109.
CSart. 3. mode de placement provisoire et de transport des aliénés, 110-113.
CSect. 3. Pénalités, 114 à 118.
chap. iii. dispositions d’assistance publique, 199 à 122.
CSect. 1. Assistance donnée par le département, 123 à 138.
CSect. 2. Concours des communes à l’assistance, 139 à 145.
CSect. 3. Créance du département contre l’aliéné et sa famille, 146 à 150.
CSect. 4. Créance du département contre les hospices. 151 à 157.
chap. iv. observation relative aux dispositions de la loi de 1838 qui concernent l’administration des biens des aliénés, 158.
Bibliographie.
Administration comparée.


CHAP. I. — INTRODUCTION.

2. Longtemps, en France comme dans le reste de l’Europe, la plupart des aliénés furent abandonnés sans secours et sans refuge. Le petit nombre de ceux qui étaient recueillis dans un asile public étaient confondus avec les prisonniers et les criminels, traités avec dureté, chargés de chaînes ; et l’exaspération, que provoquaient chez eux de telles rigueurs, éteignait trop souvent les dernières lueurs de leur intelligence et faisait disparaître toute chance de guérison.

Ce n’est qu’à la fin du siècle dernier que, grâce à l’initiative du docteur Pinel, on vit cesser progressivement l’abandon dans lequel étaient laissés les aliénés, et qu’on substitua un traitement scientifique à l’indifférence ou aux cruautés dont ils étaient l’objet.

3. La première condition de ce traitement, c’est presque toujours la séquestration. Il importe d’enlever le malade au milieu dont les impressions ont troublé ses facultés, et de le transporter en quelque sorte dans un monde nouveau, dont tous les ressorts, tous les événements et tous les aspects seront disposés pour concourir à sa guérison. D’ailleurs, dans tous les cas de folie furieuse, de monomanie d’homicide ou d’incendie, etc., la séquestration est exigée non-seulement par l’intérêt du malade, mais aussi par la sécurité publique.

4. Pendant longtemps, la législation n’a donné à la société et aux familles que des moyens lents, imparfaits, mal définis et contestés, de parvenir à cette séquestration si nécessaire.

Sans doute, le Code civil donne le droit aux parents et à l’époux, impose même, dans certains cas et notamment dans les cas de fureur (art. 489 à 491), aux magistrats du ministère public le devoir de provoquer l’interdiction, dont l’une des conséquences est de conférer au tuteur (art. 509 et 450), et surtout au conseil de famille (art. 510), une autorité étendue sur la personne de l’interdit.

5. Mais les familles pauvres n’ont presque jamais recours à l’interdiction. Les familles plus aisées craignent de divulguer, par la publicité d’une demande et d’un jugement d’interdiction, l’existence d’une maladie qui trop souvent est héréditaire, et peut sembler, aux yeux du public, menacer la descendance et les proches de celui qui en est atteint.

D’ailleurs, le seul mot d’interdiction, les assignations en justice, l’interrogatoire en la chambre du conseil du tribunal, les débats à l’audience peuvent, en jetant le malade hors de lui-même, transformer en une folie incurable les premières atteintes d’un mal qu’un traitement habile aurait au contraire étouffé dans le germe.

On comprend, d’un autre côté, avec quelle réserve les magistrats du ministère public doivent exercer leur intervention dans une matière qui touche de si près aux secrets de la vie privée, aux plus chers intérêts et à l’honneur des familles.

6. Aussi, pour toutes ces causes, il s’en fallait de beaucoup que l’interdiction de tous les aliénés fût provoquée. En 1837, sur 613 malades traités à l’hospice de Bicêtre, 19 seulement étaient interdits.

7. Dans le cas où l’interdiction n’avait pas été prononcée, l’administration pouvait-elle prendre à l’égard de la personne des aliénés les mesures exigées par la sécurité publique ? Elle s’y croyait autorisée avec juste raison par ses pouvoirs généraux, par la loi des 16-26 mars 1790 et par l’art. 3 du titre XI de la loi des 16-24 août 1790. Dans plusieurs départements, les préfets, s’appuyant sur ces dispositions, avaient pris des arrêtés pour autoriser sous certaines conditions le placement des aliénés, même non interdits, dans les maisons de santé. Il convient de citer, en particulier, l’ordonnance du préfet de police du 9 août 1828, dont l’exécution ne souleva aucune difficulté et dont plusieurs dispositions ont mérité, par leur sagesse, de prendre place dans la loi du 30 juin 1838. Mais dans certains départements, dans celui du Nord notamment, les administrateurs doutaient de leur droit ; ils ne se croyaient le pouvoir d’autoriser la séquestration des aliénés qu’après qu’il était intervenu un jugement d’interdiction.

8. Ce n’était pas là le seul point que la législation laissât indéterminé. On ne pouvait dire, avec certitude et précision, au moyen de quelles ressources il devait être pourvu à l’entretien des aliénés indigents. Ici, l’on considérait cette dépense comme une charge des communes où les aliénés avaient acquis le domicile de secours, défini par le titre V de la loi du 24 vendémiaire an II. Là, les hospices l’acceptaient, même dans le cas où aucune fondation spéciale ne leur en avait imposé l’obligation.

Enfin, dans quelques départements, on la considérait comme une charge départementale qui devait être acquittée sur les centimes additionnels votés par les lois annuelles de finances pour subvenir aux dépenses d’administration définies par l’art. 2 de la loi du 28 messidor an IV. (1re section du budget.)

9. Un arrêté du ministre de l’intérieur, du 6 novembre 1815, uniquement relatif aux aliénés entretenus dans les hospices de Paris, avait partagé le fardeau entre les communes, appelées en première ligne à supporter la dépense, et les départements, appelés, seulement en cas d’insuffisance des ressources de la commune, à fournir ou à compléter le prix de la pension. Cet arrêté avait été adopté comme règle par l’administration dans beaucoup de circonstances ; mais un avis du comité de l’intérieur du Conseil d’État, en date du 10 octobre 1834, conforme d’ailleurs à l’opinion que la majorité de la Chambre des députés avait manifestée, en 1832, lors de la discussion d’un projet de loi sur l’administration municipale, déclara que les communes n’étaient obligées par aucune loi à supporter la dépense des aliénés indigents.

10. D’un autre côté, un arrêté du préfet de l’Aube ayant mis l’entretien d’une aliénée, interdite pour cause de fureur, à la charge de l’hospice de Bar-sur-Aube, qu’aucun titre de fondation n’assujettissait à recevoir les aliénés, la décision ministérielle approbative de cet arrêté fut annulée, sur le pourvoi de l’hospice, par un arrêt du Conseil d’État, du 30 mai 1834.

11. La loi du 18 juillet 1836, portant fixation des dépenses de l’exercice 1837, vint assurer le service, en assimilant, pour 1837, par son art. 6, « aux dépenses variables départementales réglées par la loi du 31 juillet 1821, les dépenses pour aliénés indigents, sans préjudice du concours de la commune du domicile de l’aliéné, conformément à la base proposée par le conseil général, sur l’avis du préfet, et approuvée par le ministre de l’intérieur, sans préjudice également, s’il y avait lieu, du concours des hospices. »

12. Cette solution, répétée dans la loi du 20 juillet 1837, portant fixation du budget des dépenses de l’exercice 1838, n’était que provisoire, et une loi définitive était nécessaire, tant pour affecter des ressources permanentes à l’entretien et au traitement des aliénés indigents que pour donner, en termes clairs et incontestés, à l’autorité et aux familles, en l’entourant de sérieuses garanties, le pouvoir de placer les aliénés, même non interdits, dans les maisons de santé. Tel a été le double but de la loi du 30 juin 1838, qui est à la fois une loi de police et une loi d’assistance publique.

CHAP. II. — DISPOSITIONS DE POLICE.

13. Dans ces dispositions, le législateur a eu en vue trois objets principaux : rendre le placement des aliénés prompt et facile ; empêcher que ce placement ne servît de prétexte et de voile à des détentions arbitraires ; assurer aux aliénés, dans les maisons où ils sont retenus, un traitement humain et éclairé.

Sect. 1. — Des établissements d’aliénés.
art. 1. — établissements publics.

14. Les établissements publics sont ceux qui appartiennent à l’État, aux départements, aux communes ou aux hospices.

15. Aux garanties qu’offrait, dans l’intérêt de la liberté individuelle, la nature seule de ces asiles, le législateur ajoute la mission confiée au préfet, à ses délégués, à ceux du ministre de l’intérieur, au procureur de la République, au juge de paix et au maire, « de visiter les établissements publics, de recevoir les réclamations des personnes qui y sont placées et de prendre à leur égard tous les renseignements propres à faire connaître leur position ». (L. de 1838, art. 4.)

16. La visite du procureur de la République de l’arrondissement doit avoir lieu, au moins une fois par semestre, à des jours indéterminés. (L., art. 4, § 3.)

17. Ce n’est qu’au ministre et au préfet que la loi a donné le droit de déléguer les pouvoirs d’inspection dont ils sont investis.

18. L’examen des inspecteurs n’a pas seulement pour but la protection de la liberté individuelle ; il doit aussi porter sur le régime et la tenue générale de l’établissement.

Pour donner au Gouvernement le moyen de maintenir ce régime à la hauteur de tous les progrès de la science, la loi (art. 2) a posé ce grand principe, que « les établissements publics consacrés aux aliénés sont placés sous la direction de l’autorité publique », quelle que soit la personne morale (commune, hospice ou département) qui en soit propriétaire.

19. Les règlements intérieurs des asiles sont soumis à l’approbation du ministre de l’intérieur (L., art. 7), et les décrets du 25 mars 1852, du 13 avril 1861 (tab. A, 9o), qui n’autorisent le préfet à statuer directement sur les projets de travaux dans les asiles d’aliénés qu’autant qu’ils n’engagent pas la question de régime intérieur, ont, selon nous, maintenu aux mains du ministre de l’intérieur cette importante attribution.

En vue d’établir dans le service une unité dont le besoin se faisait vivement sentir, le ministre a, par arrêté du 20 mars 1857, réuni dans un règlement type toutes les dispositions relatives à l’administration intérieure des asiles et à la situation respective des fonctionnaires et des agents qui y sont attachés.

Les règlements particuliers des asiles publics ou privés ont été calqués, sauf quelques différences de détail, sur ce modèle, qui ne comprend pas moins de 189 articles dont les dispositions ont été commentées par une circulaire explicative portant la même date que l’arrêté. Cet acte forme la base de la jurisprudence administrative en cette matière. Il en sera fréquemment parlé dans le cours de cette étude. Par abréviation, nous le désignerons par le signe Règl., tandis que l’ordonnance réglementaire de 1839 sera indiquée par O. régl.

20. Afin d’assurer au pouvoir central l’action prompte et souveraine que la loi a entendu lui conférer sur les asiles publics, l’ordonnance réglementaire du 18 décembre 1839 remet l’administration de ces asiles, non à un corps analogue aux commissions administratives des hospices, mais à un directeur responsable placé sous l’autorité du ministre de l’intérieur et des préfets et sous le contrôle d’une commission de surveillance. (O. régl., art. 1er.)

21. Les pouvoirs du directeur, beaucoup moins étendus que ceux d’une commission administrative d’un hospice, sont bornés à l’administration intérieure de l’établissement et à la gestion de ses biens et revenus. (O. régl., art. 6.) Il ne peut pour les actes de disposition et de propriété, dans les acquisitions, les ventes, les procès, les adjudications de fournitures, représenter la personne morale propriétaire de l’asile sans une délégation spéciale. (Avis du C. 6 avril 1842 ; Circ. Int. du 30 avril 1845.)

22. Exclusivement chargé de pourvoir à tout ce qui concerne le bon ordre et la police, conformément au règlement intérieur arrêté par le ministre (O. régl., art. 7), le directeur nomme les préposés de tous les services de l’établissement ; mais sous ces expressions il ne faut comprendre ni le receveur, ni l’économe, ni à plus forte raison l’aumônier, pas plus qu’on n’y comprend les médecins en chef et adjoints ou les élèves. (Règl., sect. IV.)

De plus, les surveillants, les infirmiers et les gardiens, que le médecin en chef a sous ses ordres, doivent, avant d’être nommés par le directeur, être agréés par le médecin en chef, chargé de tout ce qui concerne le régime physique et moral, la police médicale et personnelle des aliénés. Celui-ci peut proposer leur révocation au directeur ; en cas de dissentiment entre le médecin et le directeur, le préfet prononce.

23. La résidence dans l’établissement est imposée au directeur et au médecin en chef. (O. régl., art. 7 et 10.) Toutefois l’obligation est moins absolue pour le second que pour le premier. Une décision spéciale du préfet pourrait dispenser le médecin en chef de l’obligation de la résidence, sous la double condition de la présence dans l’établissement d’un médecin suppléant et d’une visite générale, faite par le médecin en chef, au moins une fois par jour.

Quant au directeur, il ne peut s’absenter plus de deux jours sans l’autorisation du ministre de l’intérieur, hormis le cas d’urgence, où la permission peut être accordée par le préfet, à la charge d’en rendre compte au ministre. Le service administratif de l’asile est alors confié par le préfet soit au médecin en chef, soit à un intérimaire spécial. (Règl., art. 25.)

24. Les directeurs sont nommés par le ministre de l’intérieur. (O. régl., art. 3.) Ils ont été divisés en quatre classes par décret du 24 mars 1858 qui a en même temps déterminé le traitement affecté à chaque classe et les conditions d’avancement. Quelques améliorations ont été apportées aux dispositions de ce décret par celui du 6 juin 1863 qui régit encore actuellement la situation des directeurs.

Les médecins en chef et adjoints sont nommés lorsqu’un service est créé par le ministre de l’intérieur (O. régl., art. 3) ; et par le préfet, sur une liste de candidats dressée par l’administration centrale, quand il s’agit de pourvoir à une vacance (D. 25 mars 1852, art. 5, nos 4 et 9.) La situation du personnel médical est déterminée par les décrets des 24 mars 1858, 28 avril 1860 et 6 juin 1863. — Les médecins des asiles publics ne peuvent être intéressés dans la gestion, ni attachés, soit comme médecins habituels, soit comme médecins consultants, au service médical d’un établissement privé destiné au traitement de l’aliénation mentale (Règl., art. 68) ; l’exercice de la médecine extérieure leur est également absolument interdit. (Circ. min. 20 mars 1857.)

Les directeurs, médecins en chef et médecins adjoints ne peuvent être révoqués que par le ministre de l’intérieur sur le rapport des préfets. (O. régl., art. 3.)

Le ministre de l’intérieur peut toujours autoriser et même ordonner d’office la réunion des fonctions de directeur et de médecin. C’est alors au ministre qu’appartient la nomination du directeur-médecin.

Des élèves internes nommés par le préfet secondent les médecins et sont en quelque sorte la pépinière du personnel médical des asiles. Plusieurs avantages leur ont été accordés. Ils bénéficient de deux inscriptions de faculté à la condition de produire un certificat du médecin en chef de l’établissement attestant leurs bons services pendant une période minima de quinze mois. (Décis. du min. de l’inst. publ. 4 juin 1859.) Ils obtiennent, en justifiant de leur assiduité dans les asiles par des certificats trimestriels émanant des chefs de service, les avantages réservés par l’article 5 du décret du 18 juin 1862 aux étudiants qui ont obtenu au concours le titre d’interne dans un hôpital. (Décis. du min. de l’inst. publ. du 29 août et du 4 nov. 1862.)

25. À côté du directeur et du médecin en chef, chargés de la partie active de l’administration de l’asile, le règlement a placé une commission gratuite de surveillance, composée de 5 membres, nommée par le préfet et renouvelée chaque année par cinquième. Les membres de la commission ne peuvent être révoqués que par le ministre de l’intérieur sur le rapport du préfet. La commission nomme chaque année, après son renouvellement, son président et son secrétaire. (O. régl., art. 2 ; D. 23 mars 1852 ; Circ. 25 mai 1859.) Elle se réunit de droit une fois par mois et de plus toutes les fois que le préfet juge sa convocation nécessaire. Le directeur de l’établissement et le médecin en chef assistent, avec voix consultative, à ses séances, excepté à celles où la commission délibère sur les comptes d’administration et sur les rapports qu’elle pourrait avoir à adresser directement au préfet.

Les séances mensuelles doivent être tenues dans l’établissement, mais les réunions extraordinaires peuvent avoir lieu au dehors. (Règl., art. 5.)

26. La commission de surveillance n’est appelée, par le règlement du 18 décembre 1839, qu’à donner des avis sur tout ce qui touche le régime intérieur ou les intérêts financiers de l’asile. (O. régl., art. 4.) Indépendamment de ce rôle purement consultatif, elle est chargée par la loi elle-même (L., art. 31) d’exercer, en certains cas, sur les biens des personnes placées dans l’asile public, des pouvoirs d’administration provisoire. Dans sa séance ordinaire de janvier, elle désigne celui de ses membres qui doit remplir, pendant l’année, les fonctions d’administrateur provisoire des biens des aliénés.

27. En tout ce qui n’est pas contraire aux dispositions du titre Ier de l’ordonnance réglementaire du 18 décembre 1839, dispositions que nous venons d’analyser, les établissements publics d’aliénés sont soumis aux lois et règlements relatifs à l’administration générale des hospices et établissements de bienfaisance, notamment quant à l’ordre des services financiers, à la surveillance de la gestion du receveur, et aux formes de la comptabilité. (O. régl., art. 16.)

28. Le receveur et l’économe sont nommés par le préfet, qui peut, mais sans y être tenu, consulter sur le choix à faire la commission de surveillance. Les attributions de ces agents sont déterminées par le règlement de 1857. (Sect. V et VI.)

Les receveurs des asiles publics d’aliénés ne sont pas rémunérés, comme ceux des communes ou des établissements de bienfaisance, par des remises ; ils reçoivent un traitement fixe dont le taux est déterminé par un arrêté préfectoral, après avis du conseil général. (D. 14 juill. 1856.)

Les receveurs n’ont droit à aucune autre rétribution. Tout prélèvement fait à leur profit sur un article quelconque de recettes et de dépenses constituerait une perception illégale dont ils seraient rendus personnellement responsables. (Circ. 25 nov. 1856.)

29. Le service religieux est confié à un aumônier nommé par l’évêque sur une liste de trois candidats que désigne le préfet (Règl., art. 108), et dont le remplacement est également prononcé par l’autorité diocésaine sur le rapport du préfet. L’aumônier doit résider dans l’établissement, s’il n’est attaché à une paroisse à un titre quelconque. (Circ. 20 mars 1857.)

30. Un hospice, consacré à d’autres maladies, peut recevoir des aliénés, à la condition qu’ils soient placés dans un local entièrement séparé et que l’étendue et les dispositions de ce quartier permettent de traiter au moins 50 aliénés. (O. régl., art. 12.) Le nombre de ces quartiers, d’après la dernière statistique, est de 15. Le règlement intérieur du quartier d’aliénés doit être approuvé par le ministre de l’intérieur. (L., art. 7.)

31. Les commissions administratives doivent placer à la tête des quartiers d’aliénés un préposé responsable, agréé par le préfet et soumis à toutes les obligations qu’impose la loi du 30 juin 1838. (O. régl., art. 11.)

32. Le préposé responsable doit, comme un directeur d’asile public, résider dans l’établissement ; il remplit toutes les attributions conférées au directeur par la loi, c’est-à-dire pour tout ce qui concerne l’administration et la gestion intérieure de l’établissement, le régime des malades, les soins qui leur doivent être donnés. La commission administrative de l’hospice remplace auprès de lui la commission de surveillance, dont elle joue le rôle en ce qui touche le service. C’est elle notamment qui exerce, à l’égard des aliénés non interdits, les fonctions d’administrateur provisoire prévues par l’article 31 de la loi de 1838.

33. Dans tous les asiles, le travail qui calme l’esprit, en l’occupant, est employé comme l’un des remèdes les plus efficaces et les plus sûrs. Le règlement intérieur des établissements doit déterminer l’emploi du produit de ce travail. (O. régl., art. 15.)

Le règlement du 20 mars 1857 a prévu dans la section XXI tout ce qui concerne cette matière. Il indique les occupations qui peuvent être données aux aliénés et interdit expressément, soit de les occuper à des travaux qui consistent exclusivement dans l’emploi de la force musculaire, soit de louer leurs bras à des tiers pour des travaux quelconques. Le produit du travail appartient à l’établissement, mais il est attribué à chaque aliéné une rémunération fixée par chaque règlement et qui est généralement de 10 centimes par journée de travail. Cette rémunération est portée au compte personnel de chaque aliéné et forme son pécule. Ce pécule lui est remis, le jour de sa sortie définitive, afin qu’il puisse regagner son domicile et pourvoir à ses premiers besoins. Si le pécule n’atteint pas le minimum réglementaire, l’établissement le complète. Lorsqu’il dépasse le taux réglementaire, l’excédant du pécule peut être employé au profit de l’aliéné ou remis à un des membres de sa famille. En cas de décès, le pécule de l’aliéné travailleur appartient à l’asile.

Il est inutile d’ajouter que le médecin est toujours consulté sur la question de savoir si l’aliéné doit ou non travailler et sur la durée du travail qui lui peut être imposé. Avant tout, en effet, dans les asiles, le travail doit être considéré au point de vue curatif. (Circ. min. 20 mars 1857.)

34. Les asiles publics ne sont point seulement destinés aux aliénés dangereux, séquestrés dans un intérêt public et aux aliénés indigents. Ils peuvent aussi recevoir des aliénés riches ou dans l’aisance, qui sont alors assujettis au paiement d’une pension proportionnée à la nature du traitement qu’ils reçoivent et du genre de vie qui leur est procuré. (L. 1838.) Cette admission de pensionnaires, en donnant un certain bénéfice aux établissements, allége le fardeau que fait peser sur les finances publiques l’entretien des aliénés indigents et contribue à la prospérité et au développement des asiles.

35. Tout ce que nous avons dit sur l’organisation de l’administration des asiles publics ne s’applique pas à la maison nationale de Charenton (voy. ce mot), qui est au nombre des établissements généraux de bienfaisance, et qui est régie par les ordonnances et décrets particuliers à ces institutions.

art. 2. — établissements privés.

36. Il existait, au moment où a été rendue la loi du 30 juin 1838, deux classes d’établissements privés. Les uns, fondés par des associations religieuses, recevaient les aliénés pauvres moyennant une faible rétribution, qui souvent ne dépassait pas 60 centimes par jour, mais qui, grossie par les secours de la charité publique, complétée surtout par le dévouement et par le zèle désintéressé des religieux, suffisait à toutes les nécessités de l’entretien et du traitement des malades.

Les autres, créés par l’intérêt privé, étaient plus particulièrement destinés aux familles opulentes ou aisées ; plusieurs d’entre eux, les rapporteurs des deux Chambres le reconnurent, ne laissaient rien à désirer et avaient acquis une juste célébrité, due au mérite éminent de leurs fondateurs et directeurs.

37. Le législateur se garda de repousser l’utile concours que la charité religieuse et l’intérêt privé, ennobli par la science, venaient prêter à l’autorité publique. Mais il assujettit à la surveillance spéciale du Gouvernement (L., art. 3) des établissements qui, selon les expressions de l’exposé des motifs de la loi de 1838, « peuvent si aisément devenir une prison. »

38. Toutes les personnes qui ont le droit et le devoir de visiter les établissements publics, exercent la même inspection sur les établissements privés ; et, de plus, la visite obligée du procureur de la République, qui, dans les établissements publics, n’a lieu qu’une fois par semestre, doit se renouveler au moins tous les trimestres dans les asiles privés. (L., art. 4.)

39. Aucun établissement privé, consacré au traitement d’autres maladies, ne peut recevoir d’aliénés sans autorisation spéciale et s’il n’affecte à ces derniers un local entièrement séparé (L., art. 5).

40. Nul ne peut ni former, ni diriger un asile d’aliénés sans l’autorisation du préfet. (L., art. 5 ; D. 25 mars 1852, tableau A, no 32.) Il convient de remarquer qu’à la différence de ce qui a lieu pour les ateliers dangereux ou incommodes, l’autorisation n’est pas ici donnée à l’établissement, mais à l’homme. Ainsi, un établissement ne pourrait, sous prétexte que la création en a été primitivement autorisée, être librement transmis d’un directeur à un autre, sans le contrôle et l’agrément du préfet.

41. Le titre II de l’ordonnance réglementaire du 18 décembre 1839, rendue en vertu d’une délégation faite par l’art. 6 de la loi, détermine les conditions auxquelles sont concédées les autorisations, les cas où elles sont retirées et les obligations qu’elles entraînent. Il a été l’objet d’une circulaire explicative du ministre de l’intérieur qui porte la date du 20 avril 1855.

42. Conditions des autorisations. I. Les unes se rapportent à l’aptitude personnelle du candidat. Il doit être majeur et exercer ses droits civils. (O. régl., art. 18.)

Ainsi, la dégradation civique, l’interdiction de l’exercice de certains droits civils, prononcée en exécution de l’art. 42 du Code pénal, l’interdiction prononcée en vertu des art. 489 et suivants du Code civil ou la soumission à l’autorité d’un conseil judiciaire, constituent des incapacités radicales.

43. Le candidat doit être de bonne vie et mœurs, et produire comme justification un certificat du maire de la commune ou de chacune des communes où il a résidé depuis trois ans. (O. régl., art. 18, 2o.)

44. La qualité de docteur en médecine est exigée en principe. (O. régl., art. 18, 3o.) Toutefois, elle peut être suppléée par la production de l’engagement d’un médecin, agréé par le préfet, et toujours révocable, qui déclare se charger, sous sa responsabilité, du service médical de la maison. (O. régl., art. 19.)

45. II. Après ces conditions d’aptitude personnelle, l’ordonnance exige (art. 20, 21, 22, 23) que le requérant justifie, par l’indication du nombre et du sexe des aliénés auxquels l’asile sera ouvert, par la production du plan et du règlement intérieur de la maison, que les aliénés trouveront dans l’établissement un espace suffisant, un air et des eaux salubres, un voisinage tranquille, le nombre voulu de subdivisions, une surveillance constante, une discipline exacte, toutes les conditions physiques et morales les plus propres à garantir la guérison.

46. III. L’ordonnance réglementaire prévoyant le cas où, par suite de mauvaises affaires, de retrait d’autorisation motivé par sa gestion défectueuse ou par toute autre cause, le directeur de l’asile privé se verrait dans l’impossibilité de continuer à l’administrer, a voulu que le sort des malheureux pensionnaires fût néanmoins assuré. À cet effet, les articles 24 et 25 disposent que tout directeur devra, avant d’entrer en fonctions, fournir un cautionnement dont le montant est déterminé par l’arrêté d’autorisation. Le cautionnement est versé, en espèces, à la caisse des dépôts et consignations. La quotité doit en être calculée d’après le nombre des aliénés et le prix de la pension qu’ils paient, de manière que le montant en soit suffisant pour faire face aux dépenses ordinaires de l’asile pendant un mois. Ce terme est nécessaire pour prévenir les familles en cas de mort ou de cessation de fonctions du directeur, et leur donner le temps de retirer les malades qu’elles ont placés. (Circ. min. 20 avril 1855.)

Usant des pleins pouvoirs que lui conférait la loi, l’ordonnance affecte par privilége le cautionnement aux besoins des aliénés. (O. régl., art. 26.) Voy. no 52.

47. Obligations des directeurs. Pendant le cours de leur exercice, les directeurs sont tenus d’observer tous les engagements, toutes les conditions hygiéniques, pécuniaires et morales, auxquels a été subordonnée leur nomination. Ils doivent, de plus, résider dans l’établissement.

48. La même obligation est imposée au médecin qui assiste un directeur non docteur en médecine (art. 30).

49. Cas de retrait de l’autorisation. Dans tous les cas d’infraction aux lois et règlements sur la matière, le retrait peut être prononcé, si les circonstances paraissent assez graves à l’administration pour motiver cette mesure.

Aux termes de l’art. 33 de l’ordonnance réglementaire, c’est un acte émané du chef de l’État, qui seul peut prononcer le retrait, disposition qui nous paraît subsister encore, puisque le décret sur la décentralisation n’a donné pouvoir aux préfets que de statuer « sur l’autorisation d’établir des asiles privés » (no 37 du tableau A) et non sur le retrait de ces autorisations.

50. Dans le cas où un directeur soutiendrait qu’il a été frappé par un acte émané d’une autorité incompétente, ou qu’il n’a donné lieu au retrait de l’autorisation par aucune infraction aux lois et règlements, pourrait-il se pourvoir devant le Conseil d’État par la voie contentieuse ?

Le recours pour incompétence nous paraît devoir être considéré comme admissible aux termes de la loi du 7-14 octobre 1790.

51. Quant au recours fondé sur le motif que le directeur n’aurait, par aucune infraction, donné ouverture au droit de révocation, la question peut sembler plus douteuse. Suivant M. Dalloz (Rép., vo Aliénés, sect. 1, art. 3), l’autorisation accordée, les dépenses considérables faites sur la foi de cette autorisation, constituent au profit du directeur un droit acquis, auquel doit être donnée la protection du recours par la voie contentieuse. M. Dufour, au contraire (Traité de droit adm., 2e édit., t. VI, p. 12), pense que le Gouvernement, chargé en ces matières de l’appréciation de l’intérêt public le plus délicat, a reçu, pour le retrait aussi bien que pour la concession des autorisations, un pouvoir absolument discrétionnaire.

Nous nous rangeons à cette opinion, que la jurisprudence administrative a d’ailleurs consacrée. Tout ce qui touche cette matière est si intimement lié à l’intérêt public, que le Gouvernement, dont la principale mission est d’y veiller, doit avoir un pouvoir absolument discrétionnaire. Les intérêts particuliers qui peuvent être en jeu s’effacent devant la nécessité de sauvegarder la liberté individuelle et de protéger les malheureux dont la loi a confié la haute tutelle à l’administration.

52. Vacance dans la direction et interruption du service d’un asile privé. Le poste de directeur peut se trouver vacant par diverses causes. Tout d’abord, le préfet peut, pendant les délais nécessaires à l’instruction de la demande de révocation par lui soumise au Gouvernement, prononcer la suspension du directeur (art. 32). Le directeur peut être enlevé à ses fonctions par d’autres causes : par une interdiction judiciaire, par la faillite, par l’absence, par la mort. Le règlement lui donne la faculté de présenter à l’agrément du préfet, en prévision de ces cas, un suppléant éventuel (art. 27). Faute par lui d’avoir pris cette mesure, le préfet nomme, lorsque la vacance se produit, et lorsque, par une cause quelconque, le service de la maison se trouve interrompu, un régisseur provisoire, qui touche sur les mandats du préfet, pour l’appliquer aux besoins des aliénés, le cautionnement déposé par le directeur à la caisse des dépôts et consignations. (O. régl., art. 26. Voy. suprà, no 46.)

53. Les ayants cause du directeur, et les héritiers en cas de mort, peuvent toutefois prévenir cette nomination, en proposant, dans les vingt-quatre heures de la vacance, un régisseur provisoire à l’agrément du préfet (art. 27).

La régie provisoire ne peut, sans une autorisation spéciale du préfet, se prolonger au delà d’un mois (art. 27 et 28).

54. Dans le délai d’un mois, à partir de la vacance, les héritiers et ayants cause du directeur doivent présenter un nouveau directeur à l’approbation du préfet. À défaut de cette présentation, l’arrêté d’autorisation est réputé rapporté et l’établissement est fermé.

55. Un certain nombre d’asiles privés, ainsi qu’on le verra plus loin, s’engagent vis-à-vis des départements, moyennant un prix de journée, à entretenir des aliénés indigents ; il existe alors entre eux et les asiles publics dont ils font fonction une assimilation en vertu de laquelle le ministre de l’intérieur a cru devoir leur imposer, par décision du 15 janvier 1860, une obligation particulière. Des commissions de surveillance sont placées près de ces établissements, comme auprès des asiles publics. Elles sont constituées de la même manière ; mais leurs attributions ne sont pas étendues au delà des droits de surveillance et de contrôle qui appartiennent à l’autorité publique. Ainsi elles ne peuvent ni user des prérogatives que l’art. 31 de la loi de 1838 a conférées aux commissions des établissements publics, en ce qui concerne l’administration provisoire des biens des aliénés non interdits, ni être appelées, en conformité de l’art. 4 de l’ordonnance de 1839, à donner leur avis sur les budgets et les comptes, les actes relatifs à l’administration, etc. L’indépendance absolue que réclament leurs délibérations pouvant être gênée par la présence du directeur et du médecin, ces derniers n’ont pas le droit d’assister aux séances ; c’est aux commissions qu’il appartient de les convoquer lorsqu’elles le jugent nécessaire.

Sect. 2. — Du placement des aliénés dans les asiles publics ou privés.

56. Les aliénés peuvent être placés dans les asiles, soit par leurs familles (L., art. 8), soit par l’administration, qui intervient d’office lorsque la liberté laissée à l’aliéné pourrait compromettre l’ordre public ou la sûreté des personnes. (L., art. 18.)

57. Entre autres principes communs à ces deux modes de placement, nous devons tout d’abord rappeler qu’ils s’appliquent l’un et l’autre indistinctement aux personnes interdites ou non interdites.

Rendre la séquestration tout à fait indépendante de l’interdiction, telle a été, nous l’avons vu, l’un des principaux objets de la loi du 30 juin 1838. « Le placement dans un établissement d’aliénés, dit M. Vivien, dans son rapport du 18 mars 1837, est souvent nécessaire quand l’interdiction devrait n’être pas prononcée ; l’interdiction peut atteindre des aliénés dont la liberté personnelle n’offre aucun inconvénient ; l’interdiction a surtout en vue les intérêts matériels, la gestion des biens ; les mesures dirigées contre la personne se rattachent au traitement de la maladie, à la sûreté de l’aliéné, à celle de ses parents. En subordonnant exclusivement la question qui se rattache à ces mesures au jugement de l’interdiction, on s’expose à une confusion dangereuse. »

art. 1. — des placements faits par les familles ou volontaires.
§ 1. — Qui peut faire ce placement ?

58. C’était une grave question de savoir si la séquestration d’un aliéné pourrait avoir lieu sans une autorisation préalable donnée par l’autorité publique. Le projet de loi présenté par le Gouvernement à la Chambre des députés le 6 janvier 1837 exigeait cette autorisation ; mais la commission de la Chambre des députés, dont les appréciations furent partagées par les deux Chambres (rapport de M. Vivien du 18 mars 1837), repoussa cette règle comme dangereuse et comme inutile. Elle était dangereuse en ce que, par les lenteurs de l’instruction d’une demande en autorisation de placement, adressée au préfet, elle tendait à mettre un certain intervalle entre le placement et le moment où la folie se déclare : or, « un retard de quelques jours, les médecins l’affirmaient, peut aggraver le mal au point d’en rendre la guérison quelquefois impossible, toujours beaucoup plus difficile. » Elle était encore dangereuse, en ce qu’elle permettait aux personnes qui provoquent le placement de s’abriter derrière l’autorisation administrative intervenue sur leur demande, et d’échapper ainsi à toute responsabilité judiciaire de leurs réquisitions.

Enfin, elle était inutile car le certificat du médecin que doit produire celui qui fait effectuer un placement d’aliénés, la responsabilité qu’assume le directeur de l’asile, constituent déjà des garanties puissantes ; de plus, le préfet, le chef du parquet, grâce aux précautions que la loi a prises, ont l’œil toujours ouvert sur tout ce qui se passe dans les asiles[1] ; une détention arbitraire ne pourrait avoir une longue durée ; et la certitude d’une répression prompte et infaillible ôtera dès lors tout intérêt à tenter de l’accomplir.

59. La loi permet à toute personne d’opérer le placement d’un aliéné dans un asile. Elle n’exige ni la qualité de parent, ni même celle de voisin ou d’ami de l’aliéné.

§ 2. — Quelles formalités accompagnent le placement ?

60. La personne qui fait effectuer un placement dans un asile d’aliénés, doit écrire et signer une demande d’admission adressée et remise au directeur de l’asile. La loi a voulu que cette personne laissât ainsi un témoignage authentique de sa participation à la séquestration, qu’elle se plaçât elle-même dans l’impossibilité de contester jamais la responsabilité qui, dans le cas d’un placement fondé sur des motifs cupides et injustes, pèserait sur elle envers la société et envers les victimes de sa démarche.

Cette demande doit contenir les noms, profession, âge et domicile de l’aliéné et de la personne qui sollicite l’admission : elle doit indiquer le degré de parenté ou la nature des relations qui existent entre celle-ci et l’aliéné. (L., art. 8, 1o.)

Si la personne qui demande le placement ne sait pas écrire, sa demande sera reçue par le maire ou le commissaire de police, qui en dresseront un acte. (L., art. 8, 1o.)

Si la demande d’admission est formée par le tuteur d’un interdit, il devra joindre à sa demande un extrait du jugement d’interdiction : production qui a une grande utilité ; car l’état d’interdiction exerce, ainsi que nous le verrons, une notable influence sur les conditions et les formes dans lesquelles le placement pourra cesser. (L., art. 8, 1o.)

61. La personne qui sollicite l’admission doit produire en outre un « certificat de médecin constatant l’état mental de la personne à placer, indiquant les particularités de sa maladie et la nécessité de faire traiter la personne désignée dans un établissement d’aliénés et de l’y tenir renfermée ».

Le certificat ne peut émaner d’un médecin attaché à l’établissement, ni d’un médecin parent ou allié, au second degré inclusivement, des chefs ou propriétaires de l’établissement, ou de la personne qui fait effectuer le placement.

De plus, ce certificat ne peut être admis s’il a été délivré plus de quinze jours avant la remise au directeur, s’il se rapporte dès lors à des faits qui ont eu le temps de disparaître ou de se modifier de la manière la plus profonde.

D’après le projet adopté par la Chambre des députés, la production d’un certificat de médecin n’était exigée que lorsqu’un aliéné était conduit dans un établissement privé ; ce fut la Chambre des pairs (rapport de M. Barthélemy du 29 juin 1837) qui étendit cette règle même aux établissements publics : elle n’admit au profit des directeurs de ces derniers asiles qu’un seul privilége, qui a été maintenu dans la loi, celui de pouvoir, dans les cas d’urgence, se dispenser d’exiger la production du certificat.

62. Indépendamment de la demande d’admission et du certificat de médecin, la personne qui fait effectuer le placement « doit encore produire le passe-port ou toute autre pièce propre à constater l’individualité de la personne à placer ».

On comprend combien il est important qu’aucune fraude ou même qu’aucune erreur ne soit commise au sujet du véritable nom de l’aliéné : les faux noms sous lesquels on serait parvenu à le faire admettre empêcheraient qu’aucune information de la détention qu’il subit ne parvint à ses proches, à ses amis, à tous ceux qui s’intéressent à lui, qui, peut-être, s’ils étaient prévenus, détromperaient l’administration et la justice au sujet d’une prétendue folie alléguée par la cupidité ou la vengeance.

63. L’accomplissement de toutes les formalités relatives au placement est mis sous la garantie de la responsabilité du directeur ou préposé responsable de l’asile public, du directeur de l’asile privé.

S’il reçoit un aliéné sans les avoir toutes exigées, il s’expose à des peines correctionnelles (art. 41 de la loi), et dans les cas ou il dirigerait un asile privé, au retrait de l’autorisation. (O. régl. 18 déc. 1839, art. 31, 9o.)

64. Le directeur est en outre chargé, sous la même sanction, de s’assurer de l’individualité de la personne qui réclame le placement, lorsque la demande n’a pas été reçue par le maire ou le commissaire de police. (3e alinéa du 1o de l’art. 8.)

§ 3. — Comment cesse le placement qu’un particulier a fait effectuer ?

65. Voies autres que la voie judiciaire. — 1o Ordre du préfet. « Le préfet, dit l’art. 16 de la loi du 30 juin 1838, pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées volontairement dans les établissements d’aliénés. »

Ce pouvoir s’exerce d’une manière absolue, nonobstant l’opposition des médecins de l’établissement, nonobstant l’opposition du tuteur ou de la famille.

66. Il peut arriver que le placement ait été ordonné par le conseil de famille d’un interdit (art. 510 du C. civ.) ou même par le tribunal, jugeant sur le pourvoi formé contre la délibération du conseil de famille. (Art. 883, 884 et 889 du C. de P. c.)

Nous pensons que ce placement lui-même devrait cesser sur l’ordre du préfet. Les circonstances et l’état de l’interdit peuvent en effet avoir complétement changé depuis la délibération du conseil de famille ou le jugement du tribunal ; et l’ordre du préfet aura au moins l’utilité de provoquer, de la part du conseil de famille et du tribunal, un nouvel examen, une nouvelle décision.

67. Le placement d’un enfant mineur, effectué par le père, devrait également céder à un ordre du préfet. Ce n’est en effet que dans des formes toutes spéciales (art. 375 et suiv. du C. civ.) que le père peut, en vertu de sa seule autorité, faire détenir ou renfermer l’enfant mineur.

68. 2o Déclaration des médecins. Dès que les médecins de l’établissement attestent que la guérison est obtenue, on doit cesser de retenir la personne placée dans l’établissement d’aliénés. (Art. 13 de la loi.)

Cette déclaration produit évidemment son effet, nonobstant toute opposition, ou de la personne qui a fait le placement, ou de la famille de l’aliéné. La seule circonstance qui, en pareil cas, pût mettre un obstacle légal à la sortie, ce serait un ordre du préfet qui, comme nous le verrons, peut transformer le placement volontaire en un placement d’office, et mettre dès lors, au point de vue de la sortie, la personne détenue sous l’empire des règles particulières qui régissent les placements ordonnés par l’autorité publique et que nous exposerons plus loin. (Nos 98 et suiv.)

69. 3o Réquisition de la sortie par la famille de l’aliéné. Cette réquisition détermine la sortie avant même que les médecins aient déclaré la guérison. Un ordre du maire, intervenu sur l’avis du médecin, peut néanmoins en suspendre l’effet pendant un délai de quinzaine, donné au maire pour qu’il se pourvoie, s’il le juge nécessaire, devant le préfet et provoque la transformation du placement volontaire en un placement d’office (art. 14).

70. Les premières rédactions du projet de loi portaient seulement que la sortie pourrait être requise par la famille. On sentit bientôt la nécessité de préciser cette indication, de restreindre aux plus proches parents le droit de s’emparer d’une personne, peut-être malade encore, dont les passions et la faiblesse offrent une proie facile aux mauvais desseins ; enfin, d’établir une sorte de hiérarchie entre les divers membres de la famille, pour que, dans le cas où des désaccords se produiraient dans son sein, la conduite à tenir fût toujours nettement indiquée pour le directeur.

71. Certaines personnes ont droit de réquisition dans tous les cas, et sont investies d’un pouvoir égal.

Ce sont :

1o Le curateur à la personne de l’aliéné, qu’aux termes de l’art. 38 de la loi, le tribunal peut nommer en chambre du conseil, avec la double mission de veiller : 1o à ce que les revenus de l’aliéné soient employés à adoucir son sort et à accélérer sa guérison ; 2o à ce que cet individu soit rendu au libre exercice de ses droits aussitôt que son état le permettra.

2o L’époux ou l’épouse.

3o Toute personne autorisée par le conseil de famille à requérir la sortie.

72. Il suffit (sous la réserve que nous avons indiquée au commencement et qui s’applique aux effets des réquisitions de tous les membres quelconques de la famille), il suffit, disons-nous, de la réquisition de l’une de ces trois personnes pour déterminer la sortie ; et leur dissentiment se résout dans le sens de la liberté.

73. Rien de plus conforme à l’esprit de nos lois civiles, que de placer au premier rang, lorsqu’il s’agit de désigner en quelles mains résidera le pouvoir sur la personne de l’aliéné, l’époux, qui en cas d’interdiction serait tuteur de droit (art. 506 du C. civ.) ; l’épouse, que la loi désire, en pareil cas, voir nommer tutrice et qu’elle ne s’est abstenue d’instituer tutrice de droit, qu’à raison de son inexpérience probable des affaires (art. 507, Exposé des motifs et rapports sur le titre de l’interdiction) ; un délégué du conseil de famille qui représente la famille entière et en représente tous les pouvoirs (art. 394 et 510) : un délégué du tribunal, gardien suprême de la liberté individuelle, des droits et des intérêts des familles. (Art. 883 et suiv. C. de P. ; art. 29 de la loi du 30 juin 1838.)

74. Comme le curateur à la personne, comme l’époux et comme le délégué du conseil de famille, la personne qui a signé la demande de placement peut, en tout cas, requérir la sortie. Il importait de permettre à cette personne de se décharger de la responsabilité de la prolongation d’un état de choses qu’elle peut juger désormais inutile.

Mais si un parent déclare s’opposer à la sortie requise par l’auteur du placement, ce parent, qui aurait pu lui-même faire effectuer le placement, peut à plus forte raison en réclamer et en obtenir le maintien.

La personne qui a opéré le placement a ainsi, on le voit, un pouvoir beaucoup moindre pour opérer la sortie, que celui que possèdent l’époux, le curateur et le délégué du conseil de famille.

75. D’autres membres de la famille peuvent requérir la sortie, mais dans certains cas seulement. Les ascendants peuvent agir dans le cas où il n’y a pas d’époux ni d’épouse.

« S’il n’y a pas d’ascendants, dit la loi, les descendants peuvent requérir la sortie. » Les descendants auraient-ils cette faculté, dans le cas où il n’existerait pas d’ascendants, mais où il existerait un époux ou une épouse de l’aliéné ? Nous ne le pensons pas. Si la volonté de l’ascendant doit céder à celle de l’époux, à plus forte raison les descendants doivent-ils à ce dernier le même respect. Nous verrons d’ailleurs qu’ils ont, en tous cas, comme tout parent et tout ami, le droit de prendre la voie judiciaire.

76. Si les ascendants ou les descendants sont d’accord, ou si du moins leur dissentiment ne se manifeste pas au grand jour, si l’opposition de l’un d’eux ne vient pas combattre d’une manière formelle la demande de sortie formée par l’autre, dans ce cas ni l’opposition du curateur, ni celle de la personne qui a signé la demande d’admission, ni celle du délégué du conseil de famille n’empêche l’effet de la réquisition.

Au contraire, si une opposition, notifiée au chef de l’établissement par l’un des ascendants ou descendants, témoigne qu’il y a entre eux dissentiment, le conseil de famille prononce, et comme nous l’avons vu, lorsque ses décisions tendent à la sortie, elles s’exécutent nonobstant l’opposition de tout autre membre de la famille.

77. Sous l’expression d’ascendants et de descendants il faut comprendre, selon nous, les ascendantes, et les filles et petites-filles. Aucune partie de la loi ou des exposés des motifs n’indique qu’on ait voulu interdire aux personnes du sexe féminin l’exercice de cette sorte de magistrature ou d’assistance domestique, fondée sur le devoir et l’affection.

78. Nous croyons qu’on ne peut admettre les descendants à agir qu’autant qu’ils sont majeurs. Exclus avant cette époque des conseils de famille (C. civ., art. 442), ils ne peuvent être considérés comme aptes à exercer un pouvoir de famille.

Nous donnerions une solution différente à l’égard de l’époux ou de l’épouse : le mariage a émancipé de plein droit le mineur, et lui a conféré la capacité de remplir tous les devoirs, d’exercer tous les droits qui naissent du mariage. (C. civ., art. 476.)

79. Ce que nous venons de dire des pouvoirs des divers membres ou représentants de la famille s’applique aux aliénés majeurs et non interdits.

Quant aux aliénés interdits, le tuteur seul peut requérir leur sortie. Il en est de même à l’égard des mineurs en tutelle. (L., art. 14.)

La loi a-t-elle néanmoins voulu exclure « une personne autorisée par le conseil de famille ? » Nous ne le pensons pas ; car le tuteur est pour ses principaux actes, et notamment pour ceux qui touchent à la garde et à la disposition de la personne de l’interdit ou du mineur, soumis à l’autorité du conseil de famille. (C. civ., art. 510 et 468.)

Le père exerce, durant le mariage, l’autorité sur ses enfants mineurs ; ses pouvoirs à cet égard sont beaucoup plus étendus que ceux d’un tuteur. (Art. 375 et suiv., et art. 468.) Il faut donc admettre que le père seul pourra requérir la sortie de son fils placé dans une maison d’aliénés ; et l’autorité du père durant le mariage n’étant en aucune manière subordonnée au contrôle du conseil de famille, nous n’admettrons ici l’intervention d’aucun délégué du conseil de famille.

Quant à l’enfant mineur qui n’est ni placé sous l’autorité de son père, ni pourvu d’un tuteur, nous pensons qu’il rentre sous l’empire des règles générales applicables aux majeurs non interdits.

80. Voie judiciaire. Tous ceux qui s’intéressent à l’aliéné n’ont pas été investis par la loi du droit de requérir la sortie ; et la réquisition faite par quelques-unes des personnes que la loi a désignées, peut (même en dehors du cas de la conversion du placement volontaire en placement d’office, cas dont nous nous occuperons plus loin) rester sans effet par suite de l’opposition d’un parent ou du conseil de famille.

La loi a institué contre la possibilité des abus un dernier recours sans cesse ouvert à tous et à l’aliéné lui-même, destiné à écarter d’une manière souveraine tous les obstacles qui s’opposeraient à la mise en liberté d’un homme injustement détenu comme aliéné ; c’est la voie judiciaire.

81. Aux termes de l’art. 29 de la loi du 30 juin 1838, toute personne placée ou retenue dans un établissement d’aliénés, son tuteur, si elle est mineure, son curateur, les personnes qui ont demandé le placement, tout parent ou ami, et le procureur de la République d’office, peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir par simple requête devant le tribunal de l’arrondissement où est situé l’établissement.

82. Dans le cas d’interdiction, la demande ne peut être formée devant le tribunal que par le tuteur de l’interdit, qui n’a lui-même, puisqu’il est investi du droit de requérir la sortie, d’intérêt à agir que dans le cas où le placement volontaire aurait été converti en placement d’office. Mais, en cas de minorité, nous ne pouvons, dans le silence de la loi, reconnaître ni au tuteur, ni au père, ce droit d’exclure toute autre action que la leur. Car nous ne trouvons pas ici cette présomption si forte, et pour ainsi dire, cette certitude légale d’aliénation mentale, qui dérive du jugement d’interdiction, et qui explique le peu de faveur que la loi accorde à des réclamations qui se produisent pour soutenir qu’un interdit est sain d’esprit ou du moins ne doit pas être renfermé dans une maison de santé.

83. Le tribunal, sur la requête qui lui est présentée, statue en chambre du conseil et sans délai, par une décision non motivée, et ordonne, s’il y a lieu, après les vérifications nécessaires, la sortie immédiate.

« La publicité, dit M. Barthélémy dans son rapport du 29 juin 1837, pourrait être funeste à l’individu et à sa famille ; elle laisserait après elle une trace ineffaçable ; elle pourrait aussi donner naissance à des débats scandaleux. Par les mêmes causes, la décision du tribunal ne sera pas motivée. »

84. Le réclamant peut interjeter appel de la décision qui intervient.

85. Une demande rejetée peut être reproduite devant le tribunal : les circonstances peuvent s’être modifiées, et les jugements antérieurs ne peuvent faire obstacle à un nouvel examen.

86. Pour faciliter les réclamations, la loi a ordonné que la requête, le jugement et les autres actes auxquels la réclamation pourrait donner lieu, seraient visés pour timbre et enregistrés en débet : il n’y aura donc aucune avance de droit de timbre et d’enregistrement ; et la rentrée de ces droits ne serait plus tard poursuivie que si le réclamant succombait dans sa demande. (L. 22 frim. an VII, titre XI, art. 70.)

87. Aucunes requêtes, aucunes réclamations adressées à l’autorité administrative ou à l’autorité judiciaire, de quelque nature qu’elles soient, à quelque degré qu’elles portent l’empreinte du trouble des idées et de la folie, ne peuvent être supprimées ou retenues par les chefs d’établissement, sous les peines correctionnelles établies par l’art. 41 de la loi. (L., art. 29.)

§ 4. — Comment a lieu la sortie ?

88. Disons d’abord qu’en présence de l’ordre du préfet, ou de la déclaration de guérison faite par les médecins, ou d’une réquisition régulière émanée des personnes à qui la loi confie le droit d’obtenir la mise en liberté de l’aliéné, ou enfin, en présence d’une décision judiciaire, le chef d’un asile ne peut prolonger la détention sans se rendre coupable de détention arbitraire et sans encourir les peines d’un emprisonnement de 6 mois à 2 ans, et d’une amende de 16 à 200 fr., peines portées par l’art. 120 du Code pénal. (Art. 30 de la loi du 30 juin 1838.)

89. Dans les 24 heures de la sortie, les chefs de l’asile en informent à Paris le préfet de police, dans les chefs-lieux de département et d’arrondissement les préfets et les sous-préfets, et dans les autres communes les maires. Les maires et les sous-préfets ont à leur tour le devoir de transmettre immédiatement l’information au préfet. L’avis donné par le directeur doit contenir l’indication du nom et de la résidence des personnes qui ont retiré le malade, de son état mental au moment de sa sortie, et autant que possible du lieu où il a été conduit.

90. « En aucun cas, dit l’art. 17, l’interdit ne pourra être remis qu’à son tuteur, et le mineur qu’à ceux sous l’autorité desquels il est placé par la loi. »

Quand la sortie aura été requise par le tuteur de l’interdit ou du mineur, ou même par un délégué du conseil de famille qui, sans doute, aura reçu, avec le pouvoir de requérir la sortie, celui de recueillir et garder l’interdit et le mineur, ou bien par le père ou la mère du mineur, l’exécution de cet article n’offrira aucune difficulté.

Mais qu’on suppose la sortie de l’interdit ou du mineur exigée par un ordre du préfet ou par la déclaration des médecins ; qu’on suppose qu’il s’agit d’un mineur qui n’est soumis ni à l’autorité d’un tuteur, ni à celle de son père, mais à celle d’une mère naturelle, et dont par suite, selon nous, la sortie peut être requise par des personnes autres que la mère ; qu’on suppose encore que c’est le tribunal qui a ordonné la sortie du mineur sans indiquer spécialement à qui il serait remis : dans toutes ces hypothèses, si le tuteur, le père ou la mère, à qui la remise devrait être faite, ne se présente pas, comment la sortie ordonnée aura-t-elle lieu ?

Il faut, selon nous, étendre à tous les cas où la sortie devra avoir lieu sans qu’elle ait été requise par le tuteur ou par les personnes sous l’autorité desquelles le mineur est placé, ce que l’art. 13, § 2, prescrit pour le cas où il y a déclaration de guérison, faite par les médecins : « S’il s’agit d’un mineur ou d’un interdit, il sera donné immédiatement avis de la déclaration des médecins aux personnes auxquelles il devra être remis et au procureur de la République. »

Le tuteur, le père et la mère sont ainsi mis en demeure d’accomplir leurs obligations ; le procureur de la République peut, par l’intermédiaire du juge de paix, provoquer, en cas de tutelle, l’action du conseil de famille. Peut-être même pourrait-il puiser dans l’art. 46 de la loi du 20 avril 1810, corroboré par le § 2 de l’art. 13 de la loi du 30 juin 1838, le droit d’appeler le tribunal à pourvoir, à défaut du père ou de la mère qui déserteraient leur devoir, au sort de l’enfant mineur.

L’administration, de son côté, s’efforcerait de procurer à l’interdit ou au mineur un refuge dans un hospice.

§ 5. — Précautions prises par la loi pour tenir l’autorité publique informée de tous les faits relatifs aux aliénés dans les asiles par la volonté des familles.

91. Comme nous l’avons vu, le préfet, par son ordre, le procureur de la République, par ses réquisitions auprès du tribunal, peuvent faire cesser toute séquestration inutile et injuste. Il restait, pour donner une pleine garantie à la liberté individuelle, à faire que l’attention de ces magistrats fût sans cesse appelée sur le sort et la situation des aliénés détenus, que leur sollicitude fût toujours tenue en éveil, leur examen fréquemment provoqué.

Déjà les visites des établissements d’aliénés imposées à titre de devoir au préfet, aux maires, au procureur de la République et au président du tribunal (circ. Int., 15 janv. 1866 ; circ. Justice, 1844, 1860, 1866) tendent à ce but. Mais pour l’atteindre plus sûrement, la loi, à cette garantie, en a ajouté beaucoup d’autres, que nous allons énumérer.

92. 1o Dans les 24 heures du placement de l’aliéné, le chef de l’asile est tenu d’envoyer, à Paris, au préfet de police, dans les chefs-lieux d’arrondissement et de département, au préfet et au sous-préfet, et dans les autres communes, aux maires, un bulletin que la loi appelle bulletin d’entrée, et qui doit contenir la mention de toutes les pièces qui ont été remises au directeur par l’auteur de la demande d’admission.

À ce bulletin, le directeur doit joindre la copie du certificat de médecin produit par ce dernier, et un certificat émané du médecin de l’établissement. (Dernier alinéa de l’art. 8.)

93. 2o Dans les trois jours de la réception du bulletin, qui parvient au préfet, soit directement, soit par l’intermédiaire des sous-préfets et des maires, tenus de le lui transmettre immédiatement, le préfet notifie administrativement les noms, profession et domicile tant de la personne placée que de celle qui a demandé le placement, et de plus les causes du placement : 1o au procureur de la République de l’arrondissement du domicile de la personne placée ; 2o au procureur de la République de l’arrondissement de la situation de l’établissement. (Art. 10 de la loi).

94. 3o Dans le même délai de trois jours après la réception du bulletin d’entrée, le préfet charge un ou plusieurs hommes de l’art de visiter la personne désignée dans le bulletin, à l’effet de constater son état mental et d’en faire rapport sur-le-champ. Il peut leur adjoindre telle autre personne qu’il désigne (art. 9).

Cette contrevisite de médecins désignés par le préfet a été jugée d’une impossibilité pratique dans les établissements publics, à raison du grand nombre d’aliénés qui y sont reçus chaque jour ; et sur la proposition de la commission de la Chambre des pairs, elle a été limitée aux maisons privées (art. 9).

Aux termes de l’art. 29 de la loi de finances du 25 juin 1841, les frais de cette contrevisite, fixés conformément aux art. 16, 17, 24. 90, 91 et 92 du décret du 18 juin 1811, sur le tarif des frais en matière criminelle et de police, sont à la charge des directeurs des établissements, et le recouvrement en est poursuivi et opéré à la diligence de l’administration de l’enregistrement et des domaines.

95. 4o Craignant que le certificat donné par le médecin de l’établissement au moment de l’entrée du malade, que le rapport fait par les médecins du dehors après une courte visite, ne soient le fruit d’un premier et trop rapide examen, la loi exige que, quinze jours après l’entrée du malade, le médecin de l’établissement, qu’une prolongée et les rapports des surveillants et des gardiens ont dû complétement éclairer sur l’état de l’aliéné, adresse au préfet un nouveau certificat destiné à confirmer ou rectifier le premier, indiquant le retour plus ou moins fréquent des accès ou actes de démence (art. 11 de la loi), entrant enfin d’une manière plus profonde et plus précise dans le détail de toutes les particularités de la maladie.

96. 5o Dans le cas où toutes ces informations, qui suivent de près l’entrée dans l’asile, auraient convaincu le préfet que cette entrée a eu lieu par des motifs sérieux, la loi n’abandonne pas pour cela l’aliéné à lui-même et ne permet pas à l’administration de perdre de vue sa situation. L’attention du préfet sera périodiquement éveillée par un rapport du médecin de l’établissement, que, dans le premier mois de chaque semestre, les chefs des asiles sont tenus de lui adresser. Ce rapport doit porter sur l’état de chaque personne retenue, sur la nature de sa maladie et les résultats du traitement. (Art. 20 de la loi.)

Bien que l’art. 20, qui prescrit ces rapports semestriels, soit placé dans la section II du titre II de la loi, sous la rubrique : « Des placements ordonnés par l’autorité publique », néanmoins, et avec raison, selon nous, l’administration n’a pas hésité à le considérer comme applicable, par la généralité de ses termes et à raison de la nature et du but de ses dispositions, aux personnes placées volontairement aussi bien qu’aux personnes placées d’office. (Circ. Int., 25 juin 1840.)

97. 6o Enfin, « il y aura, dit l’art. 12, dans chaque établissement, un registre coté et paraphé par le maire, sur lequel seront immédiatement inscrits les noms, profession, âge et domicile des personnes placées dans les établissements, la mention du jugement d’interdiction, si elle a été prononcée, et le nom de leur tuteur ; la date de leur placement, les noms, profession et demeure de la personne, parente ou non parente, qui l’aura demandé. Seront également transcrits sur ce registre : 1o le certificat du médecin joint à la demande d’admission ; 2o ceux que le médecin de l’établissement devra adresser à l’autorité conformément aux art. 8 et 11, » c’est-à-dire dans les 24 heures de l’entrée et quinze jours après cette entrée.

« Le médecin sera tenu de consigner sur ce registre, au moins tous les mois, les changements survenus dans l’état mental de chaque malade. Ce registre constatera également les sorties et les décès.

« Ce registre sera soumis aux personnes qui, d’après l’art. 4, auront le droit de visiter l’établissement, lorsqu’elles se présenteront pour en faire la visite ; après l’avoir terminée, elles apposeront sur le registre leur visa, leurs signatures et leurs observations, s’il y a lieu. »

C’est sur ce registre que, dès que la guérison est obtenue, les médecins doivent consigner la déclaration, en présence de laquelle toute détention doit à l’instant cesser (art. 13 de la loi). Une circulaire du ministre de l’intérieur, du 15 janvier 1866, appelle l’attention toute particulière des préfets sur l’importance de ce registre et les charge de veiller à ce qu’il soit exactement tenu.

art. 2. — des placements ordonnés par l’autorité publique.
§ 1. — Par quels fonctionnaires peut être ordonné le placement.

98. Nous avons vu qu’il appartient à l’autorité publique d’ordonner la séquestration des personnes dont l’état d’aliénation mentale compromettrait l’ordre public et la sûreté des personnes.

L’exercice de ce pouvoir rentrait naturellement dans la compétence de l’administration, puisqu’il ne consiste qu’à assurer l’ordre et la sûreté publique, placés sous sa garde et sa responsabilité. D’ailleurs, à la différence de l’action des tribunaux, l’action administrative peut être rapide et secrète ; elle peut être soumise à des conditions de responsabilité et à de nombreux modes de surveillance et de contrôle.

99. D’un autre côté, les mesures à prendre sont d’une nature si délicate, elles peuvent compromettre tant d’intérêts sacrés, que l’on a cru devoir, en règle générale, réserver la décision à un agent administratif d’un ordre élevé, au préfet, placé au-dessus des influences locales et privées (art. 18).

100. Le préfet peut donner des ordres de placement dans deux circonstances différentes : en premier lieu, à l’égard d’un aliéné qui n’est pas encore renfermé (art. 18) ; en second lieu, à l’égard d’un aliéné qui a été placé volontairement, mais dont l’état mental est tel qu’il compromettrait l’ordre public et la sûreté des personnes, et que sa sortie non-seulement nuirait à sa santé, à son bien-être et aux intérêts de sa famille, mais encore constituerait pour la société exposée à ses excès, une menace et un danger (art. 19).

Dans ce second cas, le préfet convertit, par son ordre, le placement volontaire en placement d’office ; c’est ce que diverses circulaires ministérielles, empruntant par analogie le langage des lois sur la contrainte par corps, appellent recommandation.

La mesure par laquelle le préfet ordonne le placement d’office d’un aliéné dans un asile, est un acte purement administratif qui n’est susceptible d’aucun recours par la voie contentieuse. (Arr. du C. 20 déc. 1855.)

101. Il a été reconnu que le préfet pouvait, à la sollicitation des familles, ou d’office, s’il s’agit d’une personne riche, ordonner le placement de l’aliéné dangereux dans un établissement privé, même autre que celui avec lequel l’administration aurait traité pour assurer un refuge aux aliénés dangereux ou indigents.

102. « Par exception, en cas de danger imminent, attesté par le certificat d’un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris, et les maires dans les autres communes, ordonnent, à l’égard des personnes atteintes d’aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d’en référer dans les 24 heures au préfet, qui statuera sans délai. »

Nous avons déjà indiqué que les maires peuvent être appelés à user, à l’égard des personnes placées volontairement, de ces pouvoirs fondés sur l’urgence. (Voy. no 69.)

§ 2. — Dans quelles formes est ordonné le placement prescrit par l’autorité publique.

103. Les ordres du préfet, soit pour prescrire le placement d’un aliéné non encore enfermé, soit pour convertir un placement volontaire en un placement d’office, doivent être motivés et énoncer les circonstances qui les ont rendus nécessaires. (L., art. 18 et 21.)

Le préfet doit rendre compte de ces ordres au ministre de l’intérieur. (L., art. 22.)

§ 3. — Comment cesse le placement ordonné par l’autorité publique.

104. Ni la déclaration de guérison faite par les médecins, ni la réquisition des membres ou représentants de la famille ne peut ouvrir les portes de l’asile où un aliéné a été placé d’office. En dehors de la voie judiciaire, il n’y a qu’un arrêté du préfet qui puisse mettre fin au placement ordonné par l’autorité publique.

105. Mais la voie judiciaire reste ouverte. (L., art. 29.) Malgré ce qu’il y avait de grave et d’inusité à paraître appeler l’autorité judiciaire à exercer une sorte de contrôle sur un acte de l’administration, on pensa que l’intérêt de la liberté individuelle devait ici dominer, et que cet intérêt appelait de toute nécessité l’intervention de l’autorité judiciaire, qui en est la gardienne. « D’ailleurs, dit M. Vivien dans son rapport du 18 mars 1837, nous n’entendons pas qu’en aucun cas la réclamation autorisée par notre projet puisse amener l’autorité judiciaire à décider, soit que la famille a abusé de son droit, soit que l’ordre du préfet est illégal : cette décision ne pourrait intervenir que dans le cas d’une plainte criminelle, formée dans les termes du droit commun et fondée sur l’imputation d’une détention arbitraire ; dans les cas que nous voulons régler — le tribunal sera seulement appelé à examiner si à l’instant où il rendra sa décision et sans retour sur le passé, il y a lieu de déclarer que les causes du placement ont cessé d’exister. Cette décision n’impliquera nullement la connaissance de l’acte du préfet, et le droit de la prononcer peut être attribué à l’autorité judiciaire, sans qu’il en résulte aucun empiétement sur les droits de l’administration. »

106. Si depuis une décision judiciaire, qui ordonne la mise en liberté, des faits nouveaux surviennent, le préfet peut, sans aucun doute, ordonner un placement qui avait cessé d’être utile, mais qui redevient nécessaire.

L’autorité judiciaire doit être saisie par les mêmes personnes et dans les mêmes formes que dans le cas de placement volontaire, ainsi que l’indique l’art. 29, dont les dispositions sont communes aux deux catégories d’aliénés.

§ 4. — Comment a lieu la sortie.

107. Les règles que nous avons exposées sur la responsabilité des directeurs, sur la nécessité d’un avis au préfet, sur la conduite à tenir quant aux mineurs et aux interdits, doivent ici recevoir leur application comme en cas de placement volontaire.

§ 5. — Précautions prises par la loi pour provoquer à de fréquentes reprises, l’examen du préfet ou des personnes qui peuvent saisir de l’autorité judiciaire.

108. Le préfet pouvant seul agir pour faire cesser, sans décision judiciaire, la séquestration dont il a donné l’ordre, la loi a pris des précautions multipliées pour le tenir sans cesse au courant des modifications qui surviennent dans l’état de l’aliéné ; et elle a exigé de lui, à des époques fixes, un examen nouveau, une nouvelle déclaration de la nécessité du placement.

1o Non-seulement des rapports semestriels sont faits par les médecins et transmis au préfet par les directeurs, au sujet de chacun des aliénés placés d’office, comme au sujet de chacun des aliénés placés volontairement ; mais à l’égard des aliénés placés d’office, le préfet doit, au vu de ces rapports, statuer sur chacun d’eux individuellement, ordonner ou sa maintenue ou sa sortie. Il doit rendre compte au ministre de l’intérieur de ces arrêtés. (L., art. 20 et 22.)

2o Si, dans l’intervalle qui s’écoule entre les rapports trimestriels, les médecins déclarent que la sortie peut être ordonnée, les chefs des établissements doivent, sous peine d’être déclarés coupables de détention arbitraire, en référer aussitôt au préfet, qui statue sans délai.

109. La loi a pris soin également de porter les faits qui intéressent les aliénés placés d’office à la connaissance de tous ceux qui peuvent saisir l’autorité judiciaire.

1o Dans les trois jours, les arrêtés de placement, de maintenue, de conversion du placement volontaire en placement d’office, de sortie, doivent être notifiés administrativement au procureur de la République de l’arrondissement du dernier domicile de l’aliéné, et au procureur de la République de la situation de l’établissement. (L., art. 22.)

2o Dans ce même délai de trois jours, une semblable notification est faite au maire de la commune, qui doit en donner immédiatement avis à la famille. (L., art. 22.)

3o Enfin, il est tenu pour les aliénés placés d’office un registre semblable à celui qui existe pour les aliénés placés volontairement. Ce registre est également soumis au visa, à la signature et aux observations de toutes les personnes qui ont le droit et le devoir de visiter l’asile.

Il contient la transcription des ordres de placement, de maintenue, de conversion du placement volontaire en placement d’office, les ordres de sortie, les déclarations mensuelles ou plus fréquemment répétées des médecins sur les changements survenus dans l’état mental du malade.

Nous devons encore mentionner parmi les mesures prises pour garantir en cette matière la liberté individuelle et pour protéger les intérêts des aliénés, l’institution des inspecteurs généraux des établissements de bienfaisance, dont l’une des sections est spécialement chargée de la surveillance des asiles publics et privés. La constitution et les attributions de ce corps, qui a rendu à la science et à l’humanité des services signalés, sont régies par l’arrêté ministériel du 14 juin 1839, l’arrêté présidentiel du 25 novembre 1848, le décret du 15 janvier 1852 et l’arrêté ministériel du 10 avril 1861. Enfin, les arrêtés du 12 février 1869 et du 24 octobre 1870 ont nommé des commissions d’étude et de surveillance ayant pour principale mission de rechercher les améliorations qui peuvent être apportées à la législation et au fonctionnement du service.

art. 3. — mode de placement provisoire et de transport des aliénés.

110. Les rapports des commissions des deux Chambres signalent les douloureuses épreuves que les aliénés avaient trop souvent à subir avant de trouver place dans un établissement destiné à leur traitement. Les administrateurs des hospices et hôpitaux, se prétendant enchaînés par les termes exclusifs des fondations, refusaient de les recevoir ; et ces malheureux ne trouvaient souvent d’abri que dans les prisons, au milieu des prévenus, souvent des condamnés, dont ils devenaient la risée et les victimes.

Mettre un terme à ces désordres « qui, disait M. Vivien, accusent le pays qui en est le théâtre, qui feraient douter des progrès de notre civilisation et de la douceur de nos mœurs », telle fut l’une des préoccupations les plus vives des auteurs de la loi de 1838.

111. Aux termes de l’art. 24, les hôpitaux et hospices civils sont tenus de recevoir, provisoirement, jusqu’à ce qu’elles soient dirigées sur l’asile d’aliénés, les personnes dont le préfet ou le maire, à raison de l’urgence, a ordonné le placement. Ils doivent recevoir, pendant le trajet qu’elles font pour se rendre à l’asile, les mêmes personnes, et, de plus, celles même dont la folie n’a pas un caractère dangereux, qui, dès lors, ne sont pas l’objet d’un placement d’office, mais que l’administration, sur la demande des familles, par mesure d’assistance publique et à raison de leur indigence, dirige sur un asile d’aliénés. Mais il importe que leur séjour dans ces établissements ne soit que provisoire. Le maximum de la durée de ce séjour a été fixé par le ministre de l’intérieur à 15 jours. (Circ. Int., 15 janvier 1866.)

112. « Dans toutes les communes, continue l’art. 24, où il existe des hospices ou hôpitaux, les aliénés (des deux catégories) ne peuvent être déposés ailleurs que dans ces hospices ou hôpitaux. Dans les lieux où il n’en existe pas, les maires doivent pourvoir à leur logement, soit dans une hôtellerie, soit dans un local loué à cet effet. Dans aucun cas, les aliénés ne peuvent être ni conduits avec les condamnés ou les prévenus, ni déposés dans une prison. »

113. Ils ne doivent pas davantage être conduits par la gendarmerie.

Sect. 3. — Pénalités.

114. La loi du 30 juin 1838 établit deux ordres de peines ; le premier est dirigé contre les actes par lesquels les chefs, directeurs ou préposés responsables porteraient une atteinte formelle et directe à la liberté individuelle.

Ces actes sont définis par l’art. 30 de la loi : ils consistent dans le fait d’avoir retenu une personne dans un établissement d’aliénés, lorsque sa sortie avait été ordonnée par le préfet ou par le tribunal (art. 16, 20 et 29), ou lorsque, placée volontairement, sa guérison était déclarée par les médecins (art. 13), ou sa sortie était requise par les membres ou représentants de la famille investis du droit de l’obtenir (art. 14).

En cas de placement d’office, si le directeur néglige d’annoncer immédiatement au préfet la déclaration de guérison que font les médecins, ce silence, qui tend à faire survivre la séquestration à sa cause, est assimilé avec raison au fait de retenir, en présence d’une déclaration semblable des médecins, une personne placée volontairement (art. 23).

Ces faits sont punis par la loi des peines que l’art. 120 du Code pénal édicte contre les gardiens et concierges des maisons de dépôt, d’arrêt, de justice, qui se rendent coupables de détention arbitraire, notamment en recevant un prisonnier sans mandat ou jugement ou sans ordre provisoire du Gouvernement.

Ces peines sont un emprisonnement de six mois à deux ans, et une amende de 16 à 200 fr.

En se référant à l’art. 120 du Code pénal, l’art. 30 de la loi s’est implicitement, selon nous, référé à l’art. 463 du même Code, qui domine et modifie toutes les peines criminelles ou correctionnelles portées par ce Code.

115. Le second ordre de peines, établi par la loi du 30 juin 1838, est destiné à atteindre les faits qui, sans attenter directement à la liberté individuelle, peuvent cependant la mettre en péril, ou qui sont de nature à compromettre la guérison, le bien-être, les intérêts des aliénés (art. 41).

116. Parmi ces faits, les uns ne peuvent être commis que par des chefs d’établissements.

Ce sont :

1o L’ouverture ou la direction sans autorisation d’un asile d’aliénés, ou la réception sans autorisation, hors les cas d’usage, d’un aliéné dans une maison de santé consacrée à d’autres malades (art. 5).

2o La réception d’un aliéné placé volontairement, sans l’accomplissement de toutes les formalités qui doivent accompagner le placement et que prescrit l’art. 8.

3o L’omission de l’avis de la sortie qui doit être donné au préfet (art. 15).

4o La remise du mineur et de l’interdit à des personnes autres que celles désignées par la loi (art. 17).

117. Les autres faits peuvent être, suivant les cas, à la charge, soit du directeur, soit du médecin, ou à la fois de l’un et de l’autre.

Ce sont :

1o Le défaut d’envoi ou l’irrégularité du bulletin d’entrée et d’un certificat du médecin de l’établissement (art. 8) ; du nouveau certificat de médecin qui doit être dressé quinze jours après l’entrée (art. 11) ; de l’un des rapports semestriels prescrits par l’art. 20.

2o L’absence des registres prescrits par les art. 12 et 18 ; les irrégularités, les omissions dans la tenue de ces registres, et les mentions qui doivent y être faites ; le refus de les présenter aux personnes chargées de l’inspection.

3o Le fait d’avoir intercepté ou retenu quelqu’une des réclamations des aliénés (art. 29).

4o L’infraction aux règlements d’administration publique faits, en exécution de l’art. 6, à l’égard des asiles privés.

118. Les peines encourues, à raison de ces infractions, sont celles d’un emprisonnement de cinq jours à un an, et d’une amende de 50 fr. à 3,000 fr.

Le juge peut, même en dehors du cas de circonstances atténuantes, prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines.

L’art. 463 du Code pénal peut, du reste, toujours être appliqué.

CHAP. III. — DISPOSITIONS D’ASSISTANCE PUBLIQUE.

119. Il y a nécessité de pourvoir à l’entretien, au bien-être physique et à la guérison, si elle est possible, des aliénés dangereux dont la société s’empare dans un intérêt de sûreté publique et dont elle prend dès lors la responsabilité et la charge.

120. Ces secours publics, reconnus indispensables, devaient-ils être mis à la charge des communes ou à la charge des départements ? Le soulagement des pauvres est, en général, la charge particulière de la commune ; les circonstances locales, telles que l’agglomération plus ou moins grande de la population, le développement plus ou moins étendu de l’industrie, de la civilisation et du luxe, les agitations, les excès et les désordres du milieu social où les individus sont plongés, exercent une notable influence sur le nombre des cas de folie. N’était-ce pas une raison pour faire de la dépense des aliénés une charge municipale ?

121. Mais il fallait reconnaître que l’entretien même d’un seul aliéné dépasserait les forces, absorberait souvent les revenus entiers de certaines communes. Que serait-ce si, comme il pourrait arriver, deux ou trois cas de folie s’y produisaient à des intervalles rapprochés ?

De plus, la séquestration des aliénés dangereux a le caractère d’un service public accompli dans l’intérêt général de la sécurité sociale, d’un service analogue à beaucoup de ceux qui sont rangés au nombre des dépenses ordinaires des départements.

122. En présence de ces diverses considérations, la loi de 1838 avait chargé les départements du service de l’assistance publique donnée aux aliénés, et en avait placé les dépenses à la première section de leur budget ; mais en même temps, par une combinaison analogue à celle qui assurait le service des enfants trouvés, elle avait imposé aux communes l’obligation de concourir à ces dépenses avec le département (art. 28, 1er alinéa).

Les lois du 18 juillet 1866 et du 10 août 1871, en supprimant de la catégorie des dépenses obligatoires départementales celles qui concernent le service des aliénés, et en conférant au conseil général le droit de régler le budget des asiles départementaux, ont modifié le système institué par la loi de 1838. (L. 1866, art. 10 et 11 ; L. 1871, art. 60, 61, 46, nos 17 et 20.)

Mais nous devons faire, dès à présent, remarquer que les nouvelles attributions conférées aux assemblées départementales, en ce qui touche les aliénés, sont exclusivement financières et n’altèrent en rien celles que la loi du 10 juin 1838 confère à l’autorité publique. (Circ. Int. 4 août 1866, 8 oct. 1871.)

Ajoutons que si les dépenses de ce service ne sont plus légalement obligatoires, aucun conseil général n’a songé, depuis 1866, à en contester le caractère départemental, et que ces assemblées inscrivent annuellement à leur budget des crédits considérables pour assurer le fonctionnement et le progrès de cette branche de l’assistance publique.

Sect. 1. — Assistance donnée par le département.

123. Aux termes de l’art. 1er de la loi de 1838, chaque département était tenu d’avoir un établissement public, spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés, ou de traiter à cet effet avec un établissement public ou privé, soit de ce département, soit d’un autre département.

124. Les traités passés avec les établissements publics ou privés sont soumis à l’approbation du conseil général qui statue définitivement. (L. 1871, art. 46, no 17.)

Les difficultés auxquelles l’exécution de ces traités donnerait lieu nous paraissent appartenir à la juridiction administrative. C’est ce qu’a décidé un arrêt du Conseil d’État, rendu sur conflit le 11 juillet 1845, qui, il est vrai, n’a statué qu’au sujet des contestations auxquelles donnait lieu un traité passé par le département d’Ille-et-Vilaine avec un asile public, dont les hospices de Rennes avaient la propriété. (Les hospices et la ville de Rennes contre l’État et le département d’Ille-et-Vilaine.)

Comme il ne s’agit pas ici d’un marché qui puisse être assimilé aux marchés de travaux publics, il nous semble que l’autorité administrative compétente pour statuer serait le ministre de l’intérieur, sauf recours au Conseil d’État. (D. 11 juin 1806.)

125. Quelles sont les personnes qui doivent être entretenues dans l’asile départemental, ou au compte du département dans l’asile avec lequel le conseil général a traité ? Il faut se référer aux règles posées par l’art. 25 de la loi de 1838.

Ce sont d’abord les aliénés dangereux, dont le placement a pu, dans l’intérêt de l’ordre public et de la sûreté des personnes, être ordonné par le préfet, et dont les familles n’ont pas demandé l’admission dans un établissement privé.

126. Mais nous avons vu que là ne se borne pas le devoir imposé à l’assistance publique. Aussi l’art. 25 ajoute-t-il : « Les aliénés dont l’état mental ne compromettrait point l’ordre public ou la sûreté des personnes seront également admis dans l’établissement appartenant au département ou avec lequel il aura traité, dans les circonstances et aux conditions qui seront réglées par le conseil général, sur la proposition du préfet, et approuvées par le ministre. » L’approbation ministérielle est aujourd’hui remplacée par une délibération du conseil général, en vertu de l’art. 46, n° 17, de la loi du 10 août 1871.

Il ne s’agit pas seulement ici des pensionnaires, payant des prix plus ou moins élevés, et entourés de soins exceptionnels, que les départements reçoivent dans leurs asiles. Il s’agit surtout des aliénés indigents : ils doivent être secourus et traités, encore bien que leur état mental ne soit pas de nature à inquiéter l’ordre public.

127. Dès lors, on comprend que le ministre de l’intérieur ait dû interdire, sous l’empire de la loi de 1838, dans les règlements à arrêter par les conseils généraux, les clauses qui, excluant plus ou moins directement les pauvres, allaient contre le but même de la disposition. (Circ. 5 juillet 1839 et 14 août 1840.)

Aujourd’hui le gouvernement ne possède plus la même sanction ; mais les assemblées départementales agissent sagement en s’inspirant des principes développés dans ces instructions.

128. Déterminer le montant des dépenses faites à l’occasion de chaque aliéné, est une opération importante et nécessaire, parce qu’elle indique le montant de la créance du département contre l’aliéné et sa famille, et parce qu’elle fournit l’un des éléments d’après lesquels est fixée la somme que chaque commune doit donner à titre de concours.

129. La dépense du transport des personnes dirigées par l’administration sur les établissements d’aliénés est arrêtée par le préfet, sur le mémoire des agents préposés à ce transport. (Art. 26, § 1er.)

Le transport des aliénés doit avoir lieu autant que possible par chemin de fer, dans un compartiment isolé. Les circulaires du ministre de l’intérieur, des 26 juin 1858, 18 février et 22 mai 1859, ont réglé tout ce qui concerne cette question. Nous nous bornons à nous référer à ces instructions.

130. La dépense de l’entretien, du séjour et du traitement des personnes placées dans les asiles publics est réglée, après avis de la commission de surveillance, par le conseil général lorsque le département est propriétaire de l’établissement. (L. 1871, art. 46, no 17.)

La dépense, dans les asiles privés, est fixée par les traités passés avec ces asiles par le conseil général. (L. art. 26, § 3 ; l. 1871, art. 46, no 17.)

Enfin, dans certains départements, il existe des asiles publics qui ont une origine et une existence indépendantes des départements ; ces établissements sont alors placés sous l’autorité directe du ministre de l’intérieur. (Cir. Int., 8 oct. 1871.) Pour ces asiles, lorsque la dépense de l’entretien des aliénés n’est point fixée par un traité, elle est déterminée d’après un tarif arrêté par le préfet (L., art. 26, § 2), dans le département duquel l’asile est situé, après avis de la commission administrative ou de surveillance et du conseil général. La décision prise par le préfet à cet égard est un acte administratif qui n’est pas susceptible d’être attaqué par la voie contentieuse. (Ville de Bordeaux. Arr. du C. 22 juillet 1848.)

131. Le devoir d’assistance du département vis-à-vis des aliénés est limité, par l’art. 28 de la loi de 1838, à ceux de ces malheureux qui lui appartiennent.

Que faut-il entendre par cette expression ?

Il faut entendre tout d’abord l’aliéné qui a son domicile de secours dans les limites du département. Qu’il faille s’attacher au domicile de secours, et non au domicile civil déterminé par les art. 102 et suivants du Code civil, c’est un point dont on est maintenant convenu dans le cours de la discussion de la loi et que la jurisprudence du Conseil d’État a consacré. (Arr. du C. 7 juin 1851, dép. de Seine-et-Oise c. le dép. de la Seine ; 15 juillet 1852, dép. de la Meurthe ; 6 avril 1854, dép. de la Seine c. le dép. de Loir-et-Cher et la ville de Vendôme ; 9 mars 1870, commune de Sancy.)

132. Le lieu de la naissance est le lieu naturel du domicile de secours (art. 2 du titre V du décr. du 24 vendém. an II), et le lieu de naissance pour les enfants est le domicile habituel de la mère au moment où ils sont nés (art. 3). Le domicile de secours reste attaché au lieu de naissance jusqu’à l’âge de 21 ans, et contrairement au principe de l’art. 108 du Code civil, complétement étranger à cette matière, le changement de domicile ou de résidence des parents ou du tuteur n’a pas pour effet de transporter dans une nouvelle commune le domicile de secours des enfants mineurs soumis à leur autorité ; c’est ce qui résulte des art. 7 et 11 combinés du titre V du décret et c’est ce que le Conseil d’État a reconnu à l’égard de mineurs aliénés, nés dans le département de Seine-et-Oise, et dont les parents étaient venus depuis s’établir à Paris. (Arr. précité du 7 juin 1851. Voir dans le même sens, arr. Cons. d’Ét. 9 mars 1870, commune de Sancy.)

133. Le dernier domicile de secours se conserve jusqu’à l’acquisition d’un nouveau. (Art. 12 du décr. du 24 vendém. an II.)

La principale condition de l’acquisition d’un nouveau domicile de secours dans une commune, c’est un séjour d’une année dans cette commune (art. 4).

Mais la loi n’exige pas du nécessiteux qui réclame son domicile de secours dans une commune autre que son lieu de naissance, qu’il justifie d’un an de résidence dans cette commune depuis qu’il est devenu majeur. Il suffit qu’il justifie d’une résidence non interrompue d’un an, dont une partie seulement depuis l’époque de sa majorité. Ainsi jugé par le Conseil d’État. (Arr. précité du 9 mars 1870.)

Le séjour utile ne commence, aux termes de l’art. 5, que du jour de l’inscription au greffe de la municipalité.

Il n’est plus tenu de registres d’inscription ; mais de cette disposition de la loi, devenue inapplicable en sa teneur littérale, il faut du moins retenir ce principe que le séjour doit être volontaire, doit être accompagné de l’intention de fixer dans la commune, pour une certaine durée, d’une manière définitive et permanente, le centre de ses affaires et sa résidence continue. De ce principe on a induit que la femme d’un militaire qui suivait habituellement son mari dans les villes où le régiment de ce dernier tenait garnison, n’avait pu, par la résidence d’une année qu’elle avait faite dans l’une de ces villes, y acquérir le domicile de secours. (Dép. de la Seine c. le dép. de Loir-et-Cher et la ville de Vendôme ; arr. précité du 6 avril 1854.)

134. À plus forte raison, la résidence que fait dans une commune un vagabond ou un homme sans aveu, ne lui donne-t-elle pas en ce lieu le domicile de secours. L’art. 6 du décret porte d’ailleurs formellement que « la municipalité pourra refuser le domicile de secours si le domicilié n’est pas pourvu d’un passe-port et de certificats qui constateront qu’il n’est pas un homme sans aveu. » (Arr. du C. 15 juillet 1852, dép. de la Meurthe.)

135. Lorsque des aliénés, qui ont leur domicile de secours dans un département, sont recueillis sur le territoire d’un autre département, qu’ils sont reçus et traités dans l’asile appartenant à ce dernier, le remboursement de la dépense est dû par le département du domicile de secours. Mais, à moins que des motifs de sûreté publique, l’état mental de l’aliéné et l’intérêt de sa guérison n’interdisent tout déplacement, le département du domicile de secours peut, quand les sommes dont le remboursement lui est demandé sont supérieures à celles que lui coûterait l’entretien de l’aliéné dans son propre asile, demander la translation de l’aliéné dans ce dernier établissement, ou du moins se refuser à payer au département qui a recueilli l’aliéné tout ce qui excède les prix de l’asile du domicile de secours.

Si la famille de l’aliéné résidait dans le département autre que celui du domicile de secours où l’aliéné est retenu, et si un déplacement devait avoir pour effet de rendre les visites des parents plus rares et plus difficiles, cette circonstance ne serait pas considérée comme suffisante pour autoriser un refus de translation et pour motiver une aggravation des charges imposées par la loi au département du domicile de secours. (Arr. du C. 13 juill. 1853, dép. de Seine-et-Oise ; 20 déc. 1855, commune d’Issoudun.)

136. Indépendamment des aliénés qui ont dans les limites de sa circonscription leur domicile de secours, le département doit encore entretenir ceux dont le domicile de secours est inconnu, et qui ont été recueillis sur son territoire. Le ministre de l’intérieur a pensé qu’il y avait lieu d’appliquer ce principe à un étranger traité dans l’asile du département du Doubs, et dont ce département demandait que l’État prit la charge. (Décis. Int. nov. 1837.) On peut peut-être citer dans le même sens un arrêt du Conseil, du 22 juillet 1848. (Ville de Bordeaux.)

137. Des contestations peuvent s’élever entre deux départements sur la question de savoir auquel appartient un aliéné. Ces débats étaient autrefois portés devant le conseil de préfecture, sauf recours au Conseil d’État. (Arr. du C. 6 avril 1854, dép. de la Seine c. le dép. de Loir-et-Cher et la ville de Vendôme.) On fondait la compétence du conseil de préfecture sur le dernier paragraphe de l’art. 28 de la loi de 1838 ; mais il a été reconnu depuis que ce paragraphe ne s’appliquait qu’aux contestations relatives à la part des hospices dans la dépense des aliénés. C’est maintenant au ministre de l’intérieur qu’appartient le droit de statuer. Un recours au Conseil d’État contre la décision ministérielle portant que la dépense d’un aliéné doit être à la charge de tel département est-il recevable ? On décidait autrefois que la décision du ministre n’avait pas de force obligatoire à l’égard d’un département, et que l’opinion qu’il exprime ne pouvait être considérée que comme un pur acte d’instruction administrative. Il fallait attendre, pour former le pourvoi, qu’à la suite de la décision ministérielle fût intervenu un décret portant inscription d’office de la dépense au budget départemental. (Arr. du C. 22 juin 1849, dép. de la Meurthe c. le dép. de la Moselle ; 14 juill. 1849, 7 juin 1851, dép. de Seine-et-Oise ; 15 juill. 1852, dép. de la Meurthe ; 15 juill. 1853, dép. de Seine-et-Oise.) Mais aujourd’hui qu’il ne peut plus être question d’inscription d’office, puisque la dépense des aliénés n’est pas une dépense obligatoire dans le sens de l’art. 61 de la loi du 10 août 1871, nous pensons que la décision du ministre de l’intérieur pourrait être attaquée devant le Conseil d’État.

138. La question qui se présentera presque toujours dans les débats soulevés entre les départements, la question de savoir quel est le domicile de secours de l’aliéné, est une question essentiellement administrative, et ne peut donner lieu à aucun renvoi devant l’autorité judiciaire. (Arr. du C. 15 juill. 1852, dép. de la Meurthe et les arrêts précités.)

Sect. 2. — Concours des communes à l’assistance.

139. La commune où l’aliéné a son domicile de secours, doit concourir avec le département à l’assistance qui lui est donnée. Cette dépense est, pour elle, obligatoire. À cet égard, la loi de 1838 est toujours en vigueur.

Dans le cas où le domicile de secours est inconnu, le département n’a pas le droit de s’adresser, à défaut de la commune du domicile de secours, à la commune sur le territoire de laquelle l’aliéné a été trouvé et recueilli. Les termes de la loi sont exprès et limitatifs. La commune du domicile, seule, est tenue de concourir. (Arr. du C. 22 juill. 1848, ville de Bordeaux ; 9 mars 1870, commune de Sancy.)

140. En cas de contestation entre deux communes, sur le point de savoir à laquelle des deux incombe l’obligation de concours, le débat, en la forme contentieuse, peut être porté devant le Conseil d’État.

Le pourvoi direct au Conseil d’État est formé par voie de recours contre le décret qui a réglé le budget, ou, si le budget de la commune avait été réglé par arrêté du préfet, par voie de recours contre la décision ministérielle qui, sur la réclamation de la commune, aurait maintenu l’inscription d’office opérée par le préfet.

141. La proportion du concours de la commune est fixée d’après les bases déterminées par le conseil général, sur l’avis du préfet. (L. 1871, art. 46, no 19.)

142. Pour apprécier dans quelle mesure les diverses communes doivent être appelées à concourir, le ministre de l’intérieur, par deux circulaires du 5 juillet 1839 et du 5 août 1840, a conseillé de s’attacher au chiffre du revenu des communes, et non, ainsi que dans quelques départements on l’avait proposé, au montant de leurs fonds libres après leurs dépenses payées, montant qui ne donne qu’une indication très-imparfaite de l’importance et de la richesse réelle de la commune, et qui d’ailleurs s’élève ou s’abaisse au gré de la parcimonie ou de la prodigalité des conseils municipaux.

Traçant les règles qui lui paraissaient devoir en général être admises, le ministre pensait que la proportion maximum, dans laquelle les communes pouvaient être appelées a concourir, devait être,

Pour les communes ayant 100,000 fr. de revenus et au-dessus, d’un tiers ;

Pour les communes ayant 50,000 fr. de revenus et au-dessus, d’un quart ;

Pour les communes ayant 20,000 fr. de revenus et au-dessus, d’un cinquième ;

pour les communes ayant 5,000 fr. de revenus et au-dessus, d’un sixième.

Pour les communes ayant moins de 5,000 fr. de revenus, elles ne devaient concourir que dans une proportion moindre qu’un sixième, et devaient être dispensées de tout concours, si ce concours ne pouvait être donné par elles sans compromettre leurs autres services.

143. La part de concours dans l’entretien des aliénés non dangereux pouvait être plus forte que la part fixée pour les aliénés dangereux. C’est, en effet, à l’occasion de l’admission des aliénés non dangereux que des abus sont à craindre, et il importe que les administrations municipales soient intéressées à les prévenir et à les combattre. Toutefois, même pour les communes les plus riches, le concours à l’entretien des aliénés non dangereux ne doit pas, en général, excéder la proportion de moitié.

144. L’expérience a prouvé la sagesse de ces conseils. On ne saurait donc trop les recommander à l’attention des assemblées départementales, maintenant compétentes pour statuer en cette matière.

145. Les délibérations qui déterminent la proportion du concours des communes ne pourraient être de la part des tiers l’objet d’un recours par la voie contentieuse que pour violation ou défaut d’accomplissement des formes prescrites par la loi. (Arr. du C. 3 août 1849, ville de Rouen.)

L’administration pourrait, pour les mêmes causes, en faire prononcer la nullité par décret rendu en Conseil d’État. (L. 1871, art. 33 et 47.)

Sect. 3. — Créance du département contre l’aliéné et sa famille.

146. Les personnes placées sont, en première ligne, tenues au remboursement des dépenses faites dans leur intérêt (art. 27). L’action du département s’étend indistinctement sur les revenus et sur les capitaux, sauf les ménagements que l’humanité peut conseiller dans l’intérêt de la famille de l’aliéné, ménagements qui, dans le cours de la discussion, ont été recommandés à l’administration, et que l’on a voulu permettre et indiquer par le texte même de la loi, lorsque, dans l’art. 31, on a dit que le produit de la vente du mobilier de l’aliéné serait employé, s’il y avait lieu, « au profit de l’aliéné ». « Il faut, a dit M. le comte de Bastard, penser aussi à la femme et aux enfants de l’aliéné ; les sommes provenant des ventes et des recouvrements pourront, dans certains cas, leur être remises. »

S’inspirant de ces principes, l’administration centrale a toujours conseillé de restreindre aux revenus de l’aliéné la part qu’il doit supporter dans la dépense.

147. L’obligation qui pèse sur l’aliéné incombe également aux personnes auxquelles il peut être demandé des aliments aux termes des art. 205 et suivants du Code civil. (L., art. 27).

148. Le recouvrement de ces créances est opéré par les soins du trésorier-payeur général. (Instr. gén. des fin. 1859, no 617.) En cas de difficulté, il est poursuivi à la diligence de l’administration de l’enregistrement et des domaines (L., art. 27), dans les formes particulières à cette administration, et tracées par les art. 64 et 65 de la loi du 22 frimaire an VII, et par l’art. 17 de la loi du 27 ventôse an IX.

Une contrainte est donc décernée par le receveur contre le tuteur de l’aliéné ou contre l’administrateur provisoire de ses biens, institué par les art. 31 et 32 de la loi du 30 juin 1838, ou enfin contre les personnes légalement tenues de fournir des aliments à l’aliéné. Cette contrainte est visée et déclarée exécutoire par le juge de paix.

149. Si l’opposition formée à la contrainte par les parents de l’aliéné que l’administration considère comme débiteurs d’aliments, se fonde sur une dénégation de la dette d’aliments, l’administration de l’enregistrement doit surseoir et en référer au préfet. Ce n’est pas à elle, en effet, aux termes de l’art. 27, qu’il appartient de soutenir le débat relatif à la dette alimentaire, c’est à l’administrateur provisoire des biens de l’aliéné.

150. Lorsque l’opposition se fonde sur d’autres causes, ou après que, sur la demande de l’administrateur provisoire, le juge de paix (art. 6 de la loi du 25 mai 1838) ou le tribunal civil a déterminé le chiffre de la dette des parents, l’instance se suit alors devant le tribunal civil, à la requête de l’administration de l’enregistrement ; elle est instruite sur simples mémoires respectivement signifiés, sans autres frais que ceux du papier timbré des significations et du droit d’enregistrement des jugements, et sans que le ministère des avoués soit obligatoire. Le jugement est sans appel et ne peut être attaqué que par voie de cassation. (L. 22 frimaire an VII, art. 65 ; L. 27 ventôse an IX, art. 17 ; Arr. du min. Fin. 7 juin 1842 et instr. de l’adm. des dom. du 26 du même mois.)

Sect. 4. — Créance du département contre les hospices.

151. Il n’a pas paru possible d’assujettir les hospices, comme les communes, à un concours qui n’aurait eu d’autres limites que les décisions de l’administration éclairées par les délibérations des conseils généraux. « On a considéré les hospices comme des établissements propres, qui ont une existence indépendante et sur lesquels le conseil général est dépourvu d’autorité. « Il n’y a qu’un cas, dit M. Vivien (Rapp. 18 mars 1837), où ils puissent être l’objet d’un recours. C’est celui où ils se trouveraient soulagés d’une dépense à leur charge par l’admission dans un établissement spécial d’un aliéné qu’ils étaient obligés d’entretenir et de traiter. Dans ce cas, il est juste qu’ils paient une indemnité proportionnée au bénéfice qu’ils obtiennent. Ils la doivent, non comme un tribut arbitrairement imposé, mais comme une restitution véritable. »

152. Dans quels cas les hospices sont-ils considérés comme ayant eu à leur charge la dépense des aliénés, et comme soulagés de cette dette par l’intervention du département, qui la paie alors en quelque sorte en leur acquit ?

En premier lieu, lorsque cette obligation était imposée aux hospices par leurs titres de fondation.

En second lieu, lorsqu’avant la loi du 30 juin 1838, ils acceptaient, d’après un usage constant et reconnu, l’entretien des aliénés comme une de leurs charges propres et naturelles.

153. Des hospices qui n’auraient consenti à traiter les aliénés que sous la condition du paiement par une ville d’une subvention comprenant l’intégralité de la dépense, ne seraient pas considérés comme ayant eu l’entretien des aliénés à leur charge propre et personnelle ; ils ne devraient, en conséquence, au département aucune indemnité. (Arr. du C. 19 janv. 1844, hospices et ville de Rouen c. le dép. de la Seine-Inférieure ; 27 août 1844, hospices de Marseille ; 15 avril 1846, hospices et ville de Paris c. le dép. de la Seine ; 5 sept. 1846, dép. du Loiret c. les hospices d’Orléans.)

154. Mais si le traitement des aliénés dans l’hospice n’avait pas eu la subvention pour condition et pour cause, si les deux faits d’une subvention donnée par la ville et du traitement des aliénés dans l’hospice avaient simplement coexisté sans être liés l’un à l’autre comme les deux clauses d’un seul et même contrat, l’hospice, dans ce cas, ne pourrait tirer de l’aide et du concours qu’une ville lui aurait spontanément donnés, un motif pour s’exonérer d’une de ses charges anciennes et reconnues, et pour prétendre à être délivré, sans aucune compensation, du fardeau, autrefois supporté par lui, de l’entretien des aliénés. (Arr. du C. 22 juin 1854, hospices et ville de Montpellier c. le dép. de l’Hérault.)

155. La quotité de l’indemnité due par les hospices se détermine au moyen du relevé, fait sur les registres et les comptes de l’hospice, de la dépense moyenne que faisait peser sur lui le service des aliénés.

156. En cas de contestation au sujet de l’indemnité qu’un département réclame d’un hospice, le débat est porté devant le conseil de préfecture (art. 28).

157. Lorsque l’hospice qui recevait autrefois les aliénés et qui est assujetti au paiement d’une indemnité, était ouvert non aux aliénés de tout le département, mais aux aliénés d’une ou de plusieurs communes seulement, l’indemnité payée par l’hospice doit être fictivement imputée, jusqu’à due concurrence, sur les dépenses faites pour les aliénés de ces communes ; et celles-ci ne doivent être appelées à concourir qu’à la part de dépense qui ne serait pas couverte par l’indemnité que versent les hospices. Cette indemnité doit, en un mot, profiter aux communes qui profitaient des places autrefois offertes dans l’hospice aux aliénés ; elle doit tourner à leur décharge. (Discours de M. Vivien à la Chambre des députés au sujet de l’art. 28 ; Circ. Int. 5 juill. 1839.)

CHAP. IV. — OBSERVATION RELATIVE AUX DISPOSITIONS DE LA LOI CONCERNANT L’ADMINISTRATION DES BIENS DES ALIÉNÉS.

158. La loi du 30 juin 1838, dont l’intention était de dispenser les familles de la nécessité de recourir, au moins pendant les premiers temps de folie, à une interdiction jugée funeste par la science, aurait manqué son but si elle n’avait ouvert des moyens de pourvoir à l’administration du patrimoine des aliénés, autres que la nomination d’un tuteur.

Aussi a-t-elle donné à certains mandataires légaux un pouvoir d’administration provisoire. (L. art. 31 à 36.) L’un de ces mandataires, nous l’avons déjà indiqué, c’est souvent la commission administrative des hospices, ou la commission de surveillance de l’asile public. (L., art. 31.)

La loi a même admis la possibilité de faire au nom de l’aliéné, et sans recourir à l’interdiction, certains actes qui excèdent la simple administration (art. 33).

Mais l’explication de ces dispositions appartient particulièrement au droit civil et ne peut dès lors rentrer dans le cadre de cet article. E. Leviez[2].

bibliographie.

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Société de législation comparée ; loi sur les aliénés ; procès-verbaux de la commission chargée d’examiner les modifications à introduire dans la loi du 30 juin 1838, par M. Ernest Bertrand. In-8o. Paris, Cotillon et fils, 1872.

Loi sur les aliénés ; procès-verbaux de la commission chargée d’étudier la loi du 30 juin 1838. In-8o. Paris, Cotillon et fils, 1872.

Voy. aussi Annales d’hygiène, t. XXXVII, p. 44. Remarque sur quelques établissements d’aliénés de la Belgique, de la Hollande et de l’Angleterre, et de la nécessité de créer un établissement spécial pour les aliénés vagabonds et criminels : t. XXV, p. 396, par le docteur Brierre de Boismont ; Revue de législation et de jurisprudence, t. XXXVIII, p. 207, et t. XXXIX, p. 228 (année 1850), et t. XL, p. 143 et 225 (1851) ; De la folie dans ses rapports avec la capacité civile ; Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, vo Folie, par le docteur Lunier ; enfin Dalloz et les autres Répertoires ; Tardieu, Dictionnaire d’hygiène, etc., vo Aliénés.
administration comparée.

En Belgique, le régime des aliénés est fixé par la loi du 18 juin 1850 modifiée par la loi du 28 décembre 1873 (règl. du 1er juin 1874). L’aliéné ne devient l’objet d’une mesure publique que s’il est une cause de danger. S’il s’agit d’un fou furieux, l’art. 95 de la loi communale du 30 mars 1836 prescrit à l’autorité municipale de le faire déposer « dans un hospice, maison de santé ou de sécurité », à la charge d’en donner avis, dans les trois jours, au juge de paix ou au procureur du roi. Les frais sont à la charge de la famille ou de la commune où l’aliéné a son domicile de secours. (L. 18 février 1845.} En tout cas, dès que le bourgmestre apprend qu’une personne est atteinte d’aliénation mentale, il doit inviter un médecin à examiner le malade. Le médecin fait un rapport écrit et indique s’il y lieu ou non de faire entrer cette personne dans une maison d’aliénés.

La législation anglaise renferme un grand nombre de lois sur les aliénés, nous signalons comme les plus importantes la loi de 1853 (16-17 Vict. c. 97) qui — consolide — (codifie) la législation antérieure, et la loi du 7 août 1862 (25-26 Vict. c. 85). Nous en reproduisons les dispositions essentielles. Les aliénés inoffensifs peuvent être autorisés à rester dans leurs familles ou chez des amis, s’ils sont assurés ainsi d’un traitement convenable. Les autres sont reçus : 1o dans les asiles des comtés ; 2o dans les workhouses ; 3o dans les maisons de santé. En principe, les aliénés qui ont commis des crimes et les aliénés pauvres doivent être admis dans l’asile du comté de leur domicile. Si cet asile n’a pas de place, et si, dans le workhouse, on a établi pour ce but un quartier isolé, ce workhouse peut être autorisé à conserver les aliénés du canton. Les maisons de santé ne peuvent être ouvertes qu’après autorisation ; cette autorisation est accordée pour treize mois et sur le rapport des inspecteurs des aliénés par les juges de paix réunis en session trimestrielle, de sorte qu’elle doit être renouvelée tous les ans. Tout agent de l’autorité qui rencontre un aliéné en liberté, ou qui apprend qu’une personne restée auprès de sa famille est atteinte d’aliénation mentale et ne jouit pas des soins et du traitement nécessaires, doit en donner avis, dans les trois jours, au juge de paix, qui peut d’ailleurs agir sur les informations obtenues n’importe comment. Le juge examine lui-même le malade et le fait examiner par un médecin, qui donne son avis par écrit. Si l’aliénation lui semble évidente (ou probable), il fait amener le malade devant une commission de deux juges assistés d’un médecin, et c’est cette commission qui ordonne, s’il y a lieu, l’admission à l’asile ou à une maison de santé. Il faut donc le certificat de deux médecins. Ces établissements sont visités au moins quatre fois par an par des inspecteurs rétribués et par des commissions non rétribuées ; ils sont ouverts de jour et de nuit à l’autorité ; ils sont soumis à des règlements sanitaires. Le malade est entretenu à ses frais, à ceux des membres de sa famille tenus à la pension alimentaire, ou aux frais de la commune du domicile ; si le domicile est inconnu, aux frais du comté. Une personne détenue comme aliénée peut en appeler devant un jury ordinaire et même, selon le cas, devant un des tribunaux supérieurs. Il est inutile de dire que les malades considérés comme guéris sont libérés sans délai.

Comme l’a déjà fait remarquer M. L. de Stein (Das œffentliche Gesundheitswesen), la législation sur les aliénés n’est pas codifiée en Allemagne. Les asiles publics sont dans les attributions du chef de la province, et la dépense est généralement à la charge de ces grandes circonscriptions. Le directeur est présenté par le conseil provincial électif et nommé par le roi ; les autres fonctionnaires sont nommés par le conseil. Les asiles privés ou maisons de santé doivent obtenir l’autorisation du ministre « des cultes, de l’instruction et des affaires médicales ». Chaque asile public ou privé a ses statuts ou son règlement spécial, qui est confirmé par le ministre, et il s’administre sous la haute surveillance du président supérieur de la province. L’admission d’un aliéné est réglée par des dispositions protectrices de la liberté individuelle, et en même temps par les nécessités de la sécurité publique. (Rescrit du Conseil d’État du 29 septembre 1803.) C’est à l’autorité municipale à prendre les mesures nécessaires pour faire admettre un aliéné dangereux. Elle s’adresse au gouvernement de district (préfet), qui provoque la déclaration d’aliénation qui ne peut être prononcée que par le tribunal civil. En cas d’urgence, on peut enfermer la personne tombée en démence sur un simple certificat de médecin. En Bavière, l’intervention du tribunal semble tomber en désuétude, et avec raison, dit M. Poezl. (Bayer, Verwaltungsrecht, p. 313.) En somme, il n’existe encore (1875) aucune législation sur cette grave question en Allemagne ; tout est règlement administratif, coutume, appréciation individuelle, sauf que l’interdiction civile, qui est la conséquence naturelle de l’aliénation mentale, doit être prononcée par un tribunal. La législation et les règlements allemands se trouvent dans le journal de Psychiatrie, XIXe et XXe fascicules, suppl. 1803, et dans un ouvrage spécial de M. Rœnne.

La législation du canton de Berne, en Suisse, est renfermée dans le règlement du 27 janvier 1855, applicable à l’asile de Waldau. Cet établissement jouit d’une dotation et d’une grande indépendance pour son administration et son régime intérieur, mais divers articles prescrivent les pièces à fournir pour l’admission. Si l’admission est demandée par mesure de police, il faut produire le procès-verbal du préfet, dans lequel sont consignés les dires des témoins sur les dangers que le malade peut causer s’il restait en liberté ; 2o un certificat du curé ou pasteur, ainsi que du maire, faisant connaître l’état civil du malade et l’opinion des signataires sur l’état mental du malade ; 3o un certificat motivé d’un médecin. Si la famille demande l’admission, il faut en outre que cette demande soit rédigée par les plus proches parents et qu’elle soit au besoin accompagnée d’un engagement pris par le bureau de bienfaisance de la commune du domicile de payer régulièrement la pension. M. B.

  1. Ce point a été contesté et l’on demande des dispositions législatives qui assurent la réalité des visites prescrites par la loi de 1838. M. B.
  2. Mis à jour par M. Léon Morgand.