Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DIGESTION

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 343-346).
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DIGESTION. s. f. Coction des viandes dans l’estomac. Digestio, concoctio. On appelle la digestion du nom de coction. La digestion est la préparation qui se fait des alimens dans le corps même de l’animal pour les rendre propres à la nutrition. Un Officier qui étoit à la tranchée, étant appelé par ses amis pour aller dîner, il dit, je ne mangerai point, que je ne sois sûr de la digestion. Ménage. Les noix, les amandes, les écrevisses, sont de dure digestion. Les viandes bouillies sont de facile digestion. Il faut éviter tout ce qui peut interrompre la digestion des alimens, comme par exemple, une chaleur immodérée, & un exercice trop violent, qui font dissipper beaucoup d’esprits ; une boisson trop abondante, qui fait flotter les alimens dans l’estomac. Lémery.

Les sentimens sont partagés sur la manière dont se fait la digestion. On peut les réduire à trois principaux, qu’on trouve expliqués & soutenus dans plusieurs traités que les Physiciens & les Médecins ont donnés depuis quelques années. Les uns disent que la digestion se fait par fermentation ; les autres, qu’elle se fait par trituration ; quelques-uns ont voulu réunir les deux partis, en disant qu’elle se fait en même-temps par fermentation, & par trituration. Le premier sentiment a été longtemps le seul que l’on connût & que l’on suivît. Il consite à dire que les alimens, quand ils sont passés dans l’estomac, se chargent & se remplissent d’acides, lesquels, étant excités par la chaleur naturelle, causent dans les alimens une fermentation qui les altère, les change, & les métamorphose en chyle.

Le second sentiment a été inventé ou renouvellé dans les derniers temps, & soutenu avec vivacité, comme l’est ordinairement tout ce qui a le caractère de la nouveauté. Ceux qui soutiennent ce sentiment, disent que c’est par un broiement continuel, que les alimens sont atténués, brisés, & réduits par-là en une substance grisâtre, qui est le chyle, à-peu-près comme le blé écrasé par la meule des moulins. Ce qui s’observe dans les oiseaux paroît confirmer cette opinion : leur gésier est composé de deux muscles forts, solides & compactes, qui, en se frottant l’un l’autre, & étant aidés de petits grains de sable anguleux, que les oiseaux avalent, brisent & broient la nourriture qu’ils prennent ; &, lorsque les angles de ces grains de sables sont abattus, les oiseaux rendent avec leurs excrémens de ces petites pierres dont les pointes sont émoussées, & leur sont inutiles ; & ils en avalent d’autres qui sont rudes & raboteuses.

Voici comment s’en explique un partisan de cette opinion : (c’est M. Hecquet) dans son Traité de la digestion. Tout est vaisseau dans le corps, donc tout y est creux. Tout y vit à sa manière, donc tout y est en mouvement ; donc tous ces vaisseaux se meuvent. Les parties d’un corps qui doit se mouvoir se meuvent vers les endroits ou ils trouvent moins de résistance ; l’endroit de la moindre résistance dans des tuyaux, est la partie cave ; donc le mouvement des parties des vaisseaux se fera vers les parties caves. Les parties qui ont à se mouvoir dans des vaisseaux sont leurs parois, parce qu’elles sont flexibles & élastiques ; & ce mouvement ne peut se faire que par le rapprochement de leurs parois : c’est donc un resserrement, une pression, une contraction, qui se fait en eux ; donc toutes les parties du corps, n’étant que des vaisseaux, ont un mouvement de compression, de systole, de contraction. Tous ces vaisseaux contiennent des liqueurs dans leurs cavités : toutes les liqueurs du corps humain sont donc continuellement pressées. Cette pression est l’action d’une force élastique ; donc cette pression sera telle que cette force ; donc cette pression sera alternative ; donc c’est un battement ; donc ces liqueurs sont battues. Ces liqueurs sont très-divisibles ; elles seront donc continuellement divisées. Une division procurée par un battement est un broiement, ou une trituration ; donc les liqueurs du corps humain sont continuellement triturées, ou broyées. La raison pourquoi la force qui presse doit être alternative, c’est que les membranes, qui composent les vaisseaux, sont tissues de deux plans de fibres ; les unes longitudinales ; les autres circulaires, qui coupent les longitudinales à angles droits. Les longitudinales sont tendineuses & élastiques ; les circulaires sont musculeuses, ou motrices. Les longitudinales sont au-dessous des circulaires : les circulaires sont au-dessus des longitudinales, qu’elles ceignent & embrassent. Celles-ci sont élastiques : les circulaires sont motrices, semblables à des sphinctères qui compriment. Or l’élasticité des longitudinales résiste à la compression, &, de cette résistance, naît une action réciproque ; c’est cette force alternative & broyante que l’on cherche. Ils objectent à ceux qui prétendent que la digestion se fait par un levain, que la digestion est une solution ; que, pour préparer cette solution, il faut amollir ; que le propre des levains acides est de ronger les matières plus dures, & de durcir les molles, d’épaissir les liquides, de figer les grasses, de coaguler les laiteuses ; qu’ainsi l’acide est contraire à la digestion. Outre la force qui les broie, & le vaisseau qui les comprime, il y a encore des liqueurs qui les délaient, c’est la salive & le suc stomacal. Des matières minérales que le suc stomacal ne peut dissoudre, se trouvent usées & polies après avoir séjourné dans l’estomac : or la polissure est l’effet du broiement, & non pas de la corrosion. De même on trouve des pelotons de fils entassés & roulés dans l’estomac des bœufs, polis & lissés, & qui ne portent aucun signe de corrosion.

Les auteurs de la Trituration demandent trois choses pour opérer la digestion : une liqueur pour arroser les alimens ; c’est la salive & le suc de l’estomac : un vase, c’est l’estomac : une force mouvante pour broyer ; ils croient la trouver dans les muscles de l’estomac, dans ceux du diaphragme & de l’abdomen : ils prétendent que la puissance de mouvoir qui est dans les muscles de l’estomac équivaut à un poids de 148 235 livres, & la force de l’estomac toute seule à un poids de 12 951 livres, & qu’ainsi ces deux forces unies équivalent à un poids de 161 186 livres ; puissance supérieure à celle d’une des plus puissantes meules. Voy. le Traité de la Digestion par M. Hecquet. M. Borelli, suivant le calcul propre de l’équilibre des liqueurs, a démontré que la force du muscle fléchisseur de la dernière articulation du pouce est égale à 2 730 livres ; d’où M. Pitcarne a conclu que la force des fibres de l’estomac est égale à 12 951 livres, & celle du diaphragme & des muscles du bas-ventre à 148 235 livres. Sa raison est : le fléchisseur ne pèse que 122 grains, & peut porter 3 720 livres, donc les forces de l’estomac qui pèsent 8 onces, & le diaphragme avec les muscles du bas-ventre, qui pèsent ensemble 8 223 grains, ont la force que l’on vient de marquer. Mais ce raisonnement paroît porter à faux : car ce n’est pas en vertu de son poids de 122 grains que le muscle dont il s’agit est égal à 3 720 livres. De plus il s’ensuivroit que, plus un muscle, plus l’estomac, un diaphragme, les muscles du bas-ventre seroient pesants, plus ils auroient de force, plus la digestion se feroit aisément & vite : ce qui est faux. M. Boher ne porte la force des fibres de l’estomac qu’à 110 708 livres. Les Partisans de la Trituration ajoutent tous les muscles du corps, qui concourent, disent-ils, à produire le même effet. De plus, dans la machine du corps de l’animal, ils comparent le cerveau à l’arbre du pressoir, le cœur au piston, les poumons aux soufflets, la bouche à la meule & aux pilons, l’estomac au pressoir, les boyaux au réservoir, ou à la cuve. Ils disent que Castellan, Médecin de Messine, a été le premier des Modernes à parler expressément des levains, & qu’il a été suivi par Wanhelmont, & par Willis. Du reste, les Partisans de la Trituration ne sont pas d’accord entr’eux. M. Pitcarne prétend que la Trituration se fait par le resserrement total de l’estomac, & M. Hecquet par un resserrement successif, pésistaltique, vermiculaire, par des oscillations.

M. Astruc, dans un Traité de la Cause de la Digestion, réfute fort en détail ce systême de la Trituration : il en conteste fortement le calcul, qui fait monter si haut la force mouvante des fibres de l’estomac : il soutient qu’elle n’équivaut qu’à trois onces, & que celle des muscles du bas-ventre n’excède pas quatre livres : s’il donne à la force de l’estomac, pour comprimer les alimens qui y sont descendus, trois onces, c’est encore gratuitement. Il évalue celle du diaphragme & des muscles du bas-ventre à environ quatre livres. Il observe que M. Pitcarne, vraisemblablement étonné lui-même de ce qu’il avançoit de cette force, n’a osé suivre la proportion sur laquelle pourtant il se fonde, & selon laquelle il faudroit faire monter ces forces l’une à 117 088 livres, & l’autre à 250 734 livres, ce qui fait ensemble 367 822 livres.

Le diaphragme a deux forces en son mouvement ; une directe, qui est celle par laquelle ses muscles le tendent, en le tirant vers la circonférence ; l’autre latérale, par laquelle il appuie sur l’estomac & le presse. Celle-ci est petite en comparaison de celle-là. Ce qui a trompé Messieurs Pitcarne & Hecquet, c’est qu’ils ont pris la force directe pour la latérale, la contraction du diaphragme pour sa pression sur l’estomac. Ils sont tombés dans la même erreur par rapport aux muscles du bas-ventre, dont la pression contre le bas-ventre n’est encore que latérale. Il y a plus ; car des animaux très-voraces, ou n’ont point de diaphragme, comme les poissons, qui respirent par les ouies, ou en ont d’une simple membrane, comme les oiseaux, qui avec cela ont les muscles du bas-ventre très-petits & très-foibles, & dans une situation à ne point agir sur l’estomac.

Les membranes de l’estomac n’ayant qu’un foible mouvement, & n’ayant aucune dureté, ne sont pas propres à faire l’office d’une meule. Il est vrai que, dans les poules & quelques oiseaux, l’estomac est composé d’un muscle charnu & dense, fort jusqu’à briser de petites pierres & des morceaux de verre : mais on répond que ce n’est pas-là une digestion, laquelle se fait dans les intestins de ces animaux. Et la structure de notre estomac, par comparaison au gésier des oiseaux qui se nourrissent de grain, fournit au contraire une raison forte contre la trituration. Le gésier est garni en dehors de quatre muscles charnus, dont les tendons se réunissent en deux points opposés : en dedans il est revêtu d’une membrane dure, épaisse & cartilagineuse, principalement aux endroits où se fait la réunion des tendons. La nature fait voir à l’œil par cette construction que l’office du gésier est de broyer les grains par le frottement de ses parois. Au lieu que la membrane de l’estomac de l’homme est mince, & garnie de peu de fibres charnues, couvertes en-dedans d’une espèce de duvet délicat & sensible ; & l’estomac est d’une grande capacité. L’estomac des oiseaux carnassiers, qui dévorent de gros morceaux de chair crue sans les mâcher, est d’une membrane encore plus mince. Enfin il paroît à M. Astruc que, dans le système de la Trituration, on ne sauroit expliquer ce que c’est que la faim, le dégoût, l’indigestion.

Dans le systême de la Trituration, il paroît impossible d’expliquer pourquoi certaines choses faciles à broyer, par exemple, des choux-fleurs, ne peuvent se digérer en certains estomacs, qui digèrent sans peine des alimens assez durs, comme le bœuf & le mouton ; au lieu que la diversité des dissolvans est une explication naturelle & aisée. Les hydropiques ne laissent pas de digérer, quoique les fibres de leur estomac, de même que toutes les autres parties de leurs corps, soient extrêmement relâchées par l’abondance d’humeurs. Le total & prompt changement de nature qui arrive aux alimens, ne sauroit être l’effet que de la fermentation, qui se fait même sentir par les rots, tandis qu’elle se fait.

M. Astruc a démontré, par le calcul géométrique, que la force de l’estomac n’est égale qu’à trois onces, & celle de l’abdomen à quarre livres. Le fer & les aiguilles qui se sont trouvés dans quelques estomacs, ne détruisent point le systême de la fermentation, puisqu’il est constant que tout dissolvant ne dissout pas tous les corps. Dans les oiseaux qui se nourrissent de grain, la fermentation est manifeste, premièrement dans le jabot, où le grain se prépare à la digestion par une liqueur semblable à la salive, & puis dans le gésier, où la digestion s’achève par un dissolvant qu’y verse une glande conglomérée. Cela est encore plus évident dans les animaux qui ruminent, & qui ont comme quatre estomacs : les deux premiers, quoique faits d’une membrane nerveuse, causent peu de changement à la nourriture, manque de ferment ou de dissolvant : elle revient donc pour être mâchée, & ce n’est que dans le quatrième qu’elle est bien digérée, à cause qu’une glande conglomérée y verse un dissolvant.

Quoique les anciens Médecins & Philosophes ne se soient exprimés sur la digestion qu’en termes généraux, de fondre, ramollir, dompter, assujettir, de concrétion, de qualités, M. Astruc prétend néanmoins qu’ils donnent assez à entendre ce que nous appelons fermentation. Ainsi Empédocle & Hippocrate disent, que la digestion se fait par la putréfaction des alimens, comme le même Empédocle dit que, de l’eau, se fait le vin par putréfaction. Hippocrate & Aristote usent du terme de concoction, qu’on trouve aussi dans Erotien, Plutarque & Actuarius, pour exprimer comment les fruits murissent, comment le moût se change en vin, & comment la pâte se lève. Hippocrate nomme expressément l’effervescence & la fermentation. De Vetere Medicina, C. 5. Et Gallien aussi, L. De consuetudine, C. 2. D’ailleurs il assure qu’une sérosité particulière de l’estomac, la bile & les esprits concourent à la digestion. Quant à Erasistrate, que les dégenseurs de la Trituration mettent de leur parti, il n’admettoit pas le seul broiement des alimens : il y joignoit le secours des esprits, dit M. Astruc, lesquels sans doute faisoient l’office d’un ferment volatil. Il en est de même de Cicéron, qui, selon l’opinion de son temps, attribue la digestion à la chaleur de l’estomac. L. II. De Nat. Deor. Ce suffrage de l’Antiquité est un préjugé contre la Trituration.

L’explication de M. Hecquet, par un resserrement successif, &c. se détruit d’elle-même. Où est le moulin qui écrase le grain sans le presser, & en l’agitant seulement & le balotant ?

La salive, la bile, le suc pancréatique, sont les levains qui sont la digestion des alimens dans l’estomac. Cela est si vrai, qu’en certains animaux voraces, dans les loups, par exemple, dans les porcs-épics, les autruches, la bile se décharge immédiatement dans la cavité de l’estomac, & l’on a remarqué une disposition à-peu-près semblable dans un homme qui avoit été grand mangeur. On ne reconnoît la fermentation de la pâte & du moût qu’à trois marques. 1o. En ce que la pâte s’élève & se gonfle, & que le moût bouillonne & se raréfie. 2o. En ce que le pain & le vin, formés par ces fermentations, ont un goût & des qualités différentes de celles que la farine & le moût avoient auparavant. 3o. En ce que le pain & le vin fournissent par la distillation des principes différens, à certains égards, de ceux qu’on tire du moût & de la farine. Or tout cela se trouve dans le changement que souffrent les alimens par la digestion. Il y a des glandes dans l’estomac destinées sans doute à filtrer une liqueur propre à avancer la fermentation des alimens dans l’estomac & leur digestion.

On objecte contre ce systême, que le chyle ne donne point d’esprit inflammable. M. Astruc répond, qu’il n’en résulte pas de toute fermentation, qu’il n’en vient point de la pâte, ni des fruits pourris, ni des acides & des alcalis purs : l’esprit inflammable demande un soufre dégagé & atténué, ce qui ne se trouve pas en toutes les fermentations.

Mais, dit M. Hecquet, en 24 heures, il se prépare une livre de salive, une demi-livre de bile, & du moins deux onces du suc pancréatique, à quoi il faut ajouter le suc stomacal semblable à la salive ; c’est environ deux livres, ou 13 824 grains de levain ; or un grain de levain, selon les Chymistes, assujettit 803 grains de la matière qu’il a à perfectionner : les deux livres ou environ de levain pourroient donc assujettir environ 1 200 livres d’alimens. Cependant un homme n’en prend pas plus de quatre livres par jour. On répond 1o. que, de l’aveu de M. Hecquet, la vertu de fermenter n’appartient qu’aux sels, & que, selon lui, la demi livre de bile ne contient que trente grains de sel ; que la livre de salive, avec les deux onces de suc pancréatique, & le suc stomacal, n’en contiennent que 14 grains ; en sorte que le levain de chaque jour ne reviendroit qu’à 44 grains, qui ne suffiroient pas pour deux livres d’alimens. Mais M. Hecquet diminue trop la quantité de ces sels, que des Auteurs exacts, comme Verheyen, font beaucoup plus grande. Il y faut ajouter le sel volatil mêlé avec le flegme & les esprits. 2o. qu’il n’est pas vrai qu’il faille toujours un grain, ou qu’il ne faille qu’un grain de levain pour assujettir 800 grains de matière ; l’expérience contredit cette règle. En quelques fermentations, il n’est pas besoin de levain ; en d’autres il en faut plus ou moins. Les levains agiroient, dit-on, sur les membranes de l’estomac, ils les dissoudroient. Ils y agissent en effet & les picotent, quand ils n’ont point d’alimens sur lesquels ils puissent agir ; c’est ce qui fait le sentiment de la faim : s’ils les corrodent, elles se réparent par la nourriture qui leur est propre. L’estomac est quelquefois incommodé & rongé par le ferment ; mais communément il est préservé par une matière visqueuse, dont il est enduit. On répond 3o. qu’il est faux qu’il ne se trouve point de ferment dans l’estomac ; que Vallæus, ayant laissé un chien trois jours sans manger, lui trouva dans l’estomac beaucoup de bile en forme d’écume. De plus, les Partisans de la Trituration ont la même objection à résoudre ; car le frottement des alimens devroit offenser considérablement ces membranes.

Les défenseurs du troisième sentiment disent qu’on ne peut nier qu’il n’y ait dans l’estomac, des acides qui agissent sur les alimens auxquels ils se mêlent, & que l’action des acides ne soit aidée & fortifiée par le mouvement de systole & de diastole qu’ont nos viscères ; que l’action des acides cause la fermentation, & le mouvement des viscères la trituration ; & qu’ainsi la digestion se fait en même-temps, & par fermentation & par trituration.

M. Lister, dans le Chap. 17e de sa Dissertation des Humeurs, réfute l’opinion qui fait consister la digestion dans le broiement. Au contraire, M. Pitcarne, Médecin Écossois, tient pour le broiement ou la trituration, &, dans son dernier Opuscule, il réfute M. Astruc. M. Boher soutient la même chose, en Mathématicien & en Géomètre. Baglivi, Auteur célèbre, a prouvé qu’en cette matière le calcul géométrique est impraticable ; mais il a prétendu montrer que la force des solides est supérieure à celle des liquides. M. Bertrand, Médecin de Marseille, a tâché de concilier les deux opinions, en donnant également part aux liqueurs & aux vaisseaux dans la digestion. Les liquides, selon lui, commencent l’action, & donnent le mouvement aux solides qui la continuent. Les liquides & les solides sont en action réciproque les uns contre les autres, & ceux-ci n’ont pas une action purement passive à l’égard des autres. Quelques Auteurs prétendent que la digestion se fait par putréfaction, mais putréfaction & fermentation c’est la même chose. Voyez sur ces disputes les Opuscula Medica de M. Pitcarne, Médecin Écossois, Dissert. V. & M. Hecquet, Traité de la Digestion, Lister, Boher, Baglivi, M. Astruc, Traité de la cause de la Digestion, imprimé à Paris en 1714, & des Réflexions insérées dans les Mémoires de Trévoux 1714, dans le mois de Février, &c.

Quoi qu’il en soit de ces trois opinions, voici ce qui concourt de la part de l’homme à la digestion des alimens qu’il prend. Comme la digestion ne se fait que pour préparer les alimens, afin qu’ils puissent servir à la nutrition, il faut considérer les alimens depuis que l’homme les prend, jusqu’à ce qu’étant changés en chyle, ils se mêlent au sang qui les porte dans toutes les parties du corps. Les alimens que nous prenons sont ou crus, comme les huîtres, les fruits, certains légumes, &c. ou cuits, comme les viandes & le poisson, qu’on fait rôtir, frire ou bouillir, & qu’on assaisonne en mille manières différentes avec du sel, du poivre, ou d’autres épiceries, des aromates, du vin, du vinaigre, &c. autant pour en relever le goût, que pour aider à la digestion. De plus, il y a des alimens qu’on avale sans les mâcher, comme les huîtres & les liqueurs, &c. d’autres qu’on broie en les mâchant, comme le pain, les viandes, &c. C’est de ces derniers qu’il faut parler, parce qu’ils reçoivent de notre part plus de préparations, qui y causent différens changemens nécessaires pour qu’ils nous nourrissent, & que les autres en reçoivent moins. D’abord l’aliment est divisé & broyé par les dents, & en même-temps abreuvé d’une liqueur que les glandes salivaires fournissent, ce qui lui donne une forme de pâte : quand il est ainsi pétri & préparé, il passe par l’œsophage dans l’estomac, où il fermente. Cette fermentation est causée 1o. par le suc salivaire, qui est un ferment, & qui fait aux alimens ce que le levain fait à la pâte. 2o. par la chaleur de l’estomac, des viscères du bas-ventre, & même des excrémens : cette chaleur produit dans les alimens à-peu près les mêmes effets, que le fumier produit dans les matières que les Chimistes y mettent en digestion. 3o. par les restes des alimens qui sont demeurés dans des rides de l’estomac, & qui s’y sont aigris. 4o. par la compression des muscles de l’abdomen, & du diaphragme. 5o. par la liqueur que la compression réitérée de ces muscles fait suinter des glandes de l’estomac. 6o, selon quelques Médecins modernes, par l’air même qui, étant embarrassé dans les alimens, se dilate par la chaleur de l’estomac, & sépare les parties des alimens. Toutes ces causes atténuent & divisent tellement les alimens, qu’ils se changent en une matière cendrée, qu’on appelle chyle. De l’estomac, le chyle descend dans l’intestin duodénum, où il est perfectionné par le suc pancréatique & par la bile, qui le rendent plus coulant, l’atténuent, & servent à précipiter ses parties grossières. Le chyle, ainsi perfectionné & atténué, entre dans les veines lactées qui le portent dans le réservoir de Pecquet, où il est délayé par la lymphe qui y vient en assez grande quantité ; puis il monte dans le canal thorachique, & entre dans la veine souclavière, d’où il est conduit dans le ventricule droit du cœur, par la veine cave ascendante.

Le chyle en se mêlant au sang, en ralentit le mouvement, en embarrasse les parties & les esprits, ce qui fait qu’on a envie de dormir après le repas, lorsque la digestion se fait : mais aussi le sang communique au chyle de son mouvement, &, par ses parties volatiles, & exaltées jointes aux parties salines & nitreuses de l’air, il le subtilise, & lui donne sa dernière perfection. Alors la digestion est accomplie, & les alimens, devenus par tant de changemens la matière prochaine de la nutrition, sont portés par le sang dans toutes les parties du corps, pour réparer & remplacer celles qui se dissipent continuellement, ou même pour en ajouter de nouvelles.

A l’égard das parties grossières des alimens qui ont été séparées du chyle par la bile & par le suc pancréatique, elles prennent de la bile la couleur qu’ont les excrémens, & cette odeur forte qui leur vient des soufres grossiers qu’elle y excite : ces soufres & les sels des excrémens servent, lorsqu’après avoir passé par tous les intestins, ils sont arrivés au dernier, qui est le rectum, à picoter les muscles de ce boyau, à les disposer à se relâcher, & à avertir par-là que la nature a besoin de se décharger des matières superflues.

La séparation de l’urine d’avec le sang peut être regardée comme une partie ou une perfection de la digestion, puisque cette séparation ne se fait que pour rendre 1 « sang plus pur, plus balsamique, & par conséquent plus propre à la nutrition, que les sels dont l’urine est chargée empêcheroient. Cette séparation de l’urine d’avec le sang se fait ainsi. Les rameaux de l’artère émulgente, qui se terminent aux glandes dont la substance des reins est composée, y portent le sang : la sérosité du sang est séparée de ce fluide par le moyen des pores des glandes des reins ; ces pores étant comme les trous d’un crible, qui ne laissent parler que les choses qui ont un plus petit diamètre qu’eux, ou une figure semblable à la leur, & un diamètre égal. Cette sérosité, qu’on appelle urine, est déchargée dans plusieurs petits tuyaux, qui se réunissant en forme de pyramides, la distillent dans le bassinet, d’où elle coule par les uretères dans la vessie.

☞ On dit figurément & familièrement qu’un mauvais traitement, qu’une réprimande, qu’un affront est de dure digestion, difficile à supporter. Durus, acerbus. On dit la même chose d’un ouvrage d’esprit, d’une entreprise, &c. pour dire, qu’ils sont difficiles, pénibles. Arduus, operosus.

Digestion en termes de Chymle, se dit d’une opération chymique, par laquelle certaines substances mêlées ensemble sont préparées, par une fermentation lente, à une dissolution parfaite. Mettre des plantes en digestion.

On confond souvent ce mot avec macération : mais ces deux choses diffèrent, en ce qu’il faut de la chaleur pour la digestion, & que la macération se fait à froid. La digestion se fait pour l’ordinaire avec addition de quelque menstrue convenable à la matière. On met en digestion des roses, des têtes de pavots dans l’huile ou dans de l’eau, pour en faire des onguens & des syrops. On met en digestion le plomb calciné, la céruse, dans du vinaigre distilé, pour les dissoudre, & en faire le magistère ou sel de Saturne. La digestion se fait tant des plantes que des minéraux, & même des métaux.

☞ La digestion diffère aussi de la circulation & de l’infusion. Voy. ces mots.

Digestion, se dit, dans les plantes comme dans les animaux, de la sève qui leur sert de nourriture bien préparée & digérée. Voyez Sève & Sucs, Végétation.

Digestion. Terme de Chirurgie. On le dit des apostêmes, des abscès, &c. pour marquer leur disposition à mûrir, à venir à suppuration. Les tumeurs qui viennent aux parotides des enfans, sont faites d’une humeur douce & de facile digestion : elles se murissent en peu de temps. Dionis.