Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DIEU

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 334-338).
◄  DIETZ
DIEUSE   ►

DIEU. s. m. Il ne peut y avoir de vraie définition, à cause que c’est un Etre infini & incompréhensible. Le premier être, l’être nécessaire, qui existe par lui-même, qui n’a point de cause, & qui est la cause & le Créateur de toutes choses, celui qui est. Deus. Dieu est un pur esprit, Créateur du ciel & de la terre, & Seigneur universel de toutes choses. Dieu dit à Moïse, Exod. III. 14. Je suis celui qui suis. Tu diras aux Enfans d’Israël : celui qui est m’envoie à vous. Deus, supremum numen, effector mundi atque molitor. L’Ecriture le définit ainsi. Je suis qui je suis, Alpha & Omega, le commencement & la fin de toutes choses. Cicéron, de Nat. Deor. L. III. met dans la bouche de Cotta cet argument ridicule contre l’existence de Dieu : comment pouvons-nous le concevoir, ne lui pouvant attribuer aucune vertu ? car, dirons-nous qu’il a de la prudence ? mais la prudence constant dans le choix des biens & des maux, quel besoin peut avoir Dieu de ce choix, n’étant capable d’aucun mal ? Dirons-nous qu’il a de l’intelligence, & de la raison ? Mais la raison & l’intelligence nous servent à découvrir ce qui nous est inconnu, parce qui nous est connu : or il ne peur y avoir rien d’inconnu à Dieu. La justice ne peut aussi être en Dieu, puisqu’elle ne regarde que la société des hommes, ni la tempérance, parce qu’il n’a point de voluptés à modérer : ni la force, parce qu’il n’est susceptible ni de douleur, ni de travail, & qu’il n’est exposé à aucun péril. Comment donc pourroit être Dieu, ce qui n’auroit ni vertu, ni intelligence ? Port-R. La piété nous ordonne de concevoir de Dieu l’idée la plus pure qu’il soit possible. Claud. Les impies disent que le Dieu que le commun des hommes se figure, est un Dieu sans amour, & sans piété, qui, jouissant d’une paix profonde & d’un repos immuable, se plaît à tenir le monde dans l’agitation, & à faire éclater sa puissance par l’humiliation, & la ruine même de ses créatures. Flech. On doute de Dieu, dans une pleine faute ; &, quand l’hydropisie est formée, l’on croit en Dieu. La Bruy.

Pour nier l’existence de Dieu, il faut résister à la voix commune de tous les hommes, & s’opposer au consentement universel du genre humain. Les hommes sont si naturellement portés à croire des Dieux, qu’ils ont mieux aimé s’en faire de ridicules que de n’en point avoir du tout. S. Evr. je pense, donc Dieu existe : car ce qui pense en moi, je le dois à un Etre qui est au-dessus de moi, & qui n’est point matiere ; & cet Etre c’est Dieu. La Bruy. La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. Toute la sagesse du monde n’est que folie devant Dieu. Les Chrétiens adorent un Dieu en trois personnes, Dieu le Père, Dieu le fils, Dieu le Saint Esprit & les trois ne sont qu’un seul Dieu. Il n’est pas besoin de se retirer du monde, pour aller chercher Dieu dans l’horreur de la solitude. S. Evr. Si nous quittons Dieu pour le monde, on nous traite d’impies : & si nous quittons le monde pour Dieu, on nous traite d’imbécilles. Id. Faut-il vous la prouver (l’existence de Dieu) par le témoignage de votre ame, qui, toute captive qu’elle est dans la prison du corps, assiégée par des habitudes criminelles, accablée sous le poids de ses penchans & de ses desirs, esclave des fausses Divinités, lorsqu’elle revient à elle-même comme d’une ivresse, d’un assoupissement, ou de quelque maladie violente, & qu’elle recouvre la raison, elle invoque la Divinité sous un nom qui ne convient qu’au véritable Dieu. Grand Dieu ! Bon Dieu ! Dieu veuille ! sont des paroles qui sont à la bouche de tous les hommes. Elle le prend aussi pour Juge, lorsqu’on dit, Dieu le voit, Je mets tout entre les mains de Dieu, Dieu me le rendra. Ne sont-ce pas là les sentimens d’une ame naturellement Chrétienne ? Enfin, en prononçant ces paroles, ce n’est point le capitole qu’elle regarde, c’est le ciel, parce qu’elle sait qu’il est la demeure du Dieu vivant, qu’elle est sortie de Dieu, & que le ciel est le lieu de son origine. Vassoult. Traduct. de l’Apolog. de Tertullien.

Ouvre les yeux, homme infidèle
Sur le Dieu puissant qui t’appelle :
Mais tu te plais à l’ignorer ;
Affermi dans l’ingratitude,
Tu voudrois que l’incertitude
Te dispensât de l’adorer. Nouv. ch. de Vers.

Il y a un excellent Livre de M. Ray, Anglois, intitulé, l’existence & la sagesse de Dieu manifestées dans les œuvres de la création ; il a été traduit en François. Il y en a aussi un de M. de Cambray sur la même matière, & Labadie a commencé par là son Traité de la vente de la Religion.

On dit, dans la première édition de ce Dictionnaire, & dans le Moréri, que le nom de Dieu est appelé des Grecs τετραγράμματον, ou composé de quatre lettres, comme il est presque chez toutes les Nations, ainsi qu’ont remarqué les Curieux : en Hébreu Jehova, &c. Il y a deux ou trois fautes grossières en cette remarque, qui viennent de ce qu’on n’a pas distingué le nom Dieu d’avec le nom de Dieu ; choses cependant très-différentes. Un exemple va le faire comprendre. Le nom Roi, & le nom du Roi, ne sont pas la même chose. Le nom Roi, c’est ce mot, Roi, & le nom du Roi c’est Louis. Il en est de même en Hébreu du nom Dieu, & non pas du nom de Dieu. Nous parlons ici du nom Dieu, & non pas du nom de Dieu. Or il n’est pas vrai que le nom Dieu, duquel seul il s’agit ici, soit le nom, qu’on appelle de quatre lettres ; c’est le nom de Dieu qu’on appelle ainsi, & non pas le nom Dieu, qui n’a pas quatre lettres, mais seulement trois au singulier, ou cinq au pluriel. 2o. Supposé qu’on voulût parler du nom de Dieu, non pas du nom Dieu, il falloit dire que ce sont les Hébreux qui l’appellent un nom de quatre lettres, בן אר בע אותיית, & les Grecs à leur exemple, τετραγράμματον. 3o. Ce n’est point le nom Dieu dont il s’agit ici, qui est composé de quatre lettres en Hébreu : ce nom est au singulier אלה, qui n’en a que trois, & plus ordinairement אלהים, pluriel, qui en a cinq. 4o. En Hébreu יהוה, Jehovah, qui est le nom de Dieu, n’est point, comme on le dit, Θεὸς en Grec, en Latin Deus, &c. en Hébreu le nom Dieu, c’est אלה, Eloah, comme je l’ai dit, ou אלהים, Elohim ; & le nom de Dieu c’est יהוה, Jehovah. Quand aux autres langues, le nom Dieu, mais non pas le nom de Dieu, c’est en Grec Θεὸς, en Latin Deus, en Espagnol Dios, en italien Iddio, en François Dieu, en Gaulois Dieux, en ancien Allemand Diet, & aujourd’hui God, en Sclavon Buch, en Arabe Alla. Ceux de Pannonie l’appelent Istu, les Polaques Bung, les Égyptiens Tenu, les Persiens Sire, les Mages Orsi, en langue Malaye Dios. Voilà quel est le nom Dieu dans toutes ces Langues ; mais elles n’ont point de nom de Dieu, comme l’Hébraïque a יהוה, Jehovah.

Les Rabbins & les Hébraïsans, S. Jérôme, & les Interprètes, comptent dix différens noms de Dieu dans l’Ecriture, qui sont, אל, El, אלהימ, Elohim, אלהי, Elohe, ou au singulier, אלה, Eloah, צבות, Tsebaot, עליון, Elion, אהיה, Ehjeh, אדני, Adonai, יה, Jah, שדי, Schaddai, יהוה, Jehovah ; mais il ne haut point distinguer אלהי, de צבאות : il n’en faut faire qu’un nom, אלהי צבאות, Eloeh tsebaoth, c’est-à-dire, Dieu des armées, & il ne faut point confondre אלהי, Elohe, avec אלה, Eloha. Il y a trois de ces noms de Dieu, qui signifient l’essence de Dieu, & sont des noms propres ; c’est אהיה, Ehjeh, אהיה, Jah, & יהוה, Jehovah. Les autres ne sont que des noms d’attribut, comme nous le montrerons peut-être à leur place. S. Jérôme a expliqué ces dix noms de Dieu dans sa Lettre à Marcella. Buxtorf le fils a fait une Dissertation sur ces mêmes noms, Dissertatio de Nominibus Dei. Le P. Souciet, Jésuite, en a fait trois sur les trois noms, El, Schaddai & Jehovah, imprimées à Paris en 1715.

L’Ecriture donne encore à Dieu le nom de Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, &c. Le Dieu des Armées, le Dieu des Batailles, le Dieu vivant. Les Hébreux, dans leurs sermens, disoient, Vive Dieu. Les Grecs, ni les Latins par le nom de Dieu, n’entendoient point un Être tout parfait, & dont l’éternité est un attribut essentiel. Ils entendoient par-là une nature excellente, & ils appeloient Dieux tous les êtres qu’ils regardoient comme supérieurs à la nature humaine. Les hommes mêmes, selon eux, pouvoient devenir des Dieux après leur mort, parce que leur ame pouvoit acquérir un degré d’excellence, qu’ils n’avoient point eu pendant leur vie. Les Sages du Paganisme reconnoissoient un seul Dieu sous des noms différens. La Fortune, Jupiter, ou Mars, sont des noms différens du vrai Dieu, diversifiés selon l’usage qu’il fait de sa puissance. Le P. Thomassin. Ils donnoient à Dieu les noms des bienfaits qu’il distribue aux hommes. Ils appeloient Dieu, Bacchus, parce qu’il a donné l’usage de la vigne. Id.

Le nom de Dieu vient du Latin Deus, qui est formé du Grec Θεὸς : ces mots signifient la même chose.

Il y a une infinité de façons de parler communes, ou proverbiales, où l’on fait entrer ce mot. On dit en actions de graces, graces à Dieu, Dieu merci, Dei beneficio quod Dei beneficium est. Populairement, Dieu merci, & vous, ou Dieu merci & à vous. Tuo beneficio. Dieu merci les soins que j’y ai pris, Dieu merci mon argent que j’ai fourni. Diligentiæ, pecuniæ præsidio. Dieu merci se dit aussi en choses indifférentes, & où il n’y a point d’actions de graces à rendre à Dieu. Il a ménagé les faiseurs de Romans, il s’est fait violence pour les louer : car, Dieu merci, vous ne louez jamais que ce que vous faites. Racine. Et quelquefois en riant :

Puisqu’on plaide & qu’on meurt, il faut qu’on se propose,
D’avoir des Appointeurs, & d’autres gens aussi,
On n’en manque pas, Dieu merci. De la Font.

On le dit aussi à contre-sens. Dieu merci les gens de guerre, je n’ai plus de bien. Quæ summa militum injuria est.

Cet homme vit selon Dieu. Secundùm Deum. Cela est selon Dieu & raison. On appelle un Saint, Homme de Dieu. L’homme de Dieu souffre tout sans se plaindre. Un homme selon le cœur de Dieu, c’est encore une périphrase, qui signifie un Saint. Ces deux dernières expressions sont prises de l’Ecriture, premier L. des Rois, II. 27. quatrième L. des Rois IV. 25. 27. 40. 42. &c. & premier L. des Rois XIII. 14. &c. En général c’est un usage de l’Ecriture d’ajouter le nom Dieu à un mot, quand en veut signifier que la chose signifiée par ce mot est excellente, parfaite dans son genre. Ainsi Ps. XXXV. 7. Des montagnes de Dieu, c’est-à-dire, de hautes montagnes. Ps. XXXIX. II. Des cèdres de Dieu, sont des cèdres beaux & grands. Premier L. des Rois XIV. 15. une terreur de Dieu veut dire une terreur épouvantable. Gen. XXX. 8. des combats de Dieu, ce sont de grands combats, rudes, difficiles, &c. Quand le nom est adjectif, l’Ecriture se sert devant le nom Dieu de la particule ל, qui signifie eu égard, par rapport. Ainsi, Jonas III. 3. Ninive étoit une ville grande à Dieu, eu égard à Dieu même, par rapport à Dieu, au jugement de Dieu même : cela veut dire une très-grande ville. Nous imitons quelquefois ces expressions dans notre langue en matière profane ; car on dit quelquefois, venez dîner chez moi, j’ai du vin des Dieux ; cela signifie, d’excellent vin.

En matière de souhait, Dieu le veuille, plût à Dieu. Faxit Deus, utinam. A Dieu ne plaise. Dieu m’en garde. Quod Deus avertat. Dieu vous assiste, Dieu vous benisse, Dieu vous garde de mal, Dieu vous veuille bien ouïr. Adsit tibi Deus, Deus te adjuvet. Dieu vous le rende, Dieu vous conserve, Dieu vous conduise.

Il vous salue,
D’un Dieu vous soit en aide, alors qu’on éternue. Mol.

On dit aussi, Dieu aidant ; pour dire, s’il plaît à Dieu. Deo juvante.

En matière de conjuration & d’affirmation. Pour l’amour de Dieu. Au nom de Dieu. Per Deum. Bon Dieu. Bone Deus. Juste Dieu. Sur mon Dieu : je prends Dieu à témoin. Ita me Deus adjuvet. Dieu sait si j’ai fait cela à mauvaise intention. Croix de par Dieu. Voyez Croix. Allez de par Dieu.

En matière d’exclamation, on dit, bon Dieu ! qu’est ceci ? Bone Deus ! o Deus ! Bon Dieu ! qui l’auroit cru ? Saint Jean, dans son Evangile, nous ouvre des routes toutes nouvelles ; mais, bon Dieu ! avec quelle élévation & quelle force ! Pélisson. On dit aussi, mon Dieu ! je vous connois. Mon Dieu ! Mon Dieu ! s’écrioit l’un, la pièce est merveilleuse. Vill.

En matière de salut, Dieu vous garde, Dieu soit avec vous, bon jour & adieu, adieu jusqu’au revoir. Salve, vale. Dieu vous ait en sa sainte garde : c’est la formule avec laquelle le Roi finit les lettres qu’il écrit à ses sujets. Les Princes souverains s’appellent Rois par la grâce de Dieu. Dei gratiâ. Et disent qu’ils ne relèvent que de Dieu & de leur épée. Ainsi c’est une formule de toutes les lettres de Chancellerie. Louis, par la grâce de Dieu, &c.

On appelle la cause de Dieu, la défense de l’Eglise, & des choses sacrées, celle de son nom & de sa gloire, & aussi celle des pauvres & orphelins, & autres qui sont sous sa protection. Jus Dei.

Dieu, se dit aussi des faux Dieux de la Gentilité, Créatures auxquelles on rend, ou l’on a rendu les honneurs de la Divinité. Idole, image de quelque créature, à laquelle on rend un culte qui n’est dû qu’à Dieu. Deus, falsus Deus, Idolum. Les premiers faux Dieux qu’on ait adorés, sont les Astres, le Ciel le Soleil, la Lune, &c. ensuite la terre, qui fournissoit les fruits qui servent à la nourriture de l’homme & des animaux, le feu si utile à la vie, &c. Dans la suite, ces Dieux se sont multipliés à l’infini par le caprice de leurs adorateurs. Chaque peuple, chaque province, chaque ville, s’est fait des Dieux particuliers à sa fantaisie. Pour autoriser le crime, & justifier ses débauches, on se fit des Dieux criminels & débauchés, des Dieux injustes & violens, des Dieux avares & voleurs, des Dieux ivrognes, des Dieux impudiques, des Dieux cruels & sanguinaires.

Les principaux Dieux, qu’on nommoit les grands Dieux, étoient Jupiter, Junon, Apollon, Diane, Vulcain, Venus, Mars, Minerve, Neptune, Vesta, Cérés & Mercure. On dit, le Dieu du Ciel, le Dieu de la mer, le Dieu des vers, le Dieu de la Poësie, pour marquer les choses auxquelles ces Dieux présidoient. Saturne étoit le Dieu du temps, Jupiter le Dieu du Ciel, Neptune le Dieu de la mer, Pluton le Dieu des enfers. Le Dieu de la guerre étoit Mars ; celui de l’éloquence, de la poësie & de la Médecine, Apollon ; Mercure le Dieu des voleurs ; Bacchus le Dieu de la vigne & du vin ; Pan le Dieu des Bergers ; Cupidon le Dieu de l’amour & de la volupté ; Esculape le Dieu de la Médecine ; Janus le Dieu du labourage ; Vulcain le Dieu du feu & des forgerons, le Génie le Dieu de la naissance ; les Pénates étoient les Dieux de la famille, & les Lares les Dieux du foyer ; Jugatinus le Dieu du mariage ; Domiducus le Dieu des nôces ; Silvain le Dieu des bois ; Vertumne le Dieu des saisons ; Priape le Dieu des semences ; Mithra étoit le Dieu des Perses ; Dagon le Dieu des Philistins ; Isis, Serapis, Osiris, Anubis, Dieux des Egyptiens ; Hercule Dieu des Tyriens, Thor Dieu des peuples du Septentrion ; Xaca & Amida sont les Dieux du Japon ; Wisnou le Dieu des Indes, & Foe un Dieu de la Chine.

Tous ces Dieux des Gentils sont 1o. des Esprits créés, Anges ou Démons. De là les bons & les mauvais Dieux, les Génies, les Typhons, les Dieux protecteurs, les Dieux ennemis, les Dieux infernaux, &c. 2o. Des corps célestes, comme le Soleil, la Lune, les autres Planètes, les Etoiles fixes, les Constellations, &c. 3o. Les Élémens, comme l’Air, la Terre, l’Océan, Ops, Vesta, les Fleuves, &c. 4o. Les Météores. Les Perses adoroient le vent ; le foudre & le tonnerre étoient honorés sous le nom de Géryon ; & plusieurs peuples des Indes & de l’Amérique en font aussi des Dieux. On a aussi donné la divinité aux Comètes, témoin celle qui parut vers la mort de César. Castor, Pollux, Hélène, Isis, sont encore des météores. Socrate divinisa les nuées, si nous en croyons Aristophane, & l’on fit aux Chrétiens le même reproche, dit Tertullien, Apolog. C. 14. 5o. On fit des Dieux des Minéraux ou Fossiles, tel étoit le Bætyle, dont nous avons parlé en son lieu. Les Arabes, les habitans de Possin, ou Possène, les Finlandois ont adoré des pierres. Les Scythes tenoient le fer pour un Dieu. L’Or & l’Argent ont aussi passé pour des Dieux. 6o. On en a fait des plantes. L’ail & les oignons étoient des Dieux en Egypte. Les Sclaves, les Lithuaniens, les Celtes, les Vandales, les Indiens, les peuples du Pérou, ont adoré les arbres & les forêts. Les Gaulois, les Germains & les Romains avoient beaucoup de vénération pour les chênes. C’étoit le froment, le blé, les semences, que les Anciens honoroient sous les noms de Cérès & de Proserpine. 7o. Ils prenoient des Dieux dans les Eaux. Les Syriens sur-tout, & les Egyptiens, adoroient des poissons. Voyez ci-dessus Atergatis, Dagon, Derceto. Les Oxyrinchites, les Latopolitains, les Sienites, les habitans d’Eléphantine, avoient chacun leur poisson pour Dieu. Les Tritons, les Néréides, les Syrènes, qu’étoient-ce autre chose que des poissons ? Plusieurs nations ont adoré les serpens ; par exemple, les Egyptiens, les Borussiens, les Samogites, les Lithuaniens. 8o. Les Insectes, comme les mouches, les fourmis, ont eu leurs sacrifices, celles-ci chez les Thessaliens, & celles-là dans l’Acarnanie, où on leur immoloit un bœuf. 9o. Parmi les Oiseaux, la cigogne, le corbeau, l’épervier, l’ibis, l’aigle, le griffon, la chauvesouris ; le premier en Egypte, les trois suivans & le sixième en Egypte, le quatrième à Thèbes, le dernier au Mexique. 10o. Les Bêtes à quatre pieds on aussi eu des autels : le bœuf, le chien, le chat, le cynocéphale, le loup, le singe, ou la guenon, le lion, le crocodile en Egypte, & ailleurs ; le cochon dans l’Ile de Crète, les rats & les souris, chez les Musorites dans la Troade & les Ténédiens ; les belettes à Thèbes ; toute l’École de Zoroastre honora le porc-épic. 11o. Rien n’a été plus commun que de mettre des hommes au nombre des Dieux, & depuis Belus, ou Baal, jusqu’aux Empereurs Romains avant Constantin, les exemples en sont fréquens : souvent même on n’a pas attendu qu’ils fussent morts, pour faire leur apothéose. Nabuchodonosor fit adorer lui-même sa statue. Virgile marque, Eglog. I v. 6, 7, & 8. qu’Auguste avoit des autels, & qu’on lui offroit des sacrifices : nous savons d’ailleurs qu’il avoit des Prêtres qu’on nommoit Augustales, des temples à Lyon, à Narbonne & en plusieurs autres endroits ; c’est le premier des Romains pour lequel on ait porté l’idolâtrie jusque-là. Les Ethiopiens regardoient leurs Rois comme des Dieux. Le Velleda des Germains, le Janus des Hongrois, le Thaut, l’Othin, l’Asa des peuples du Nord, étoient des hommes. 12o. Non-seulement les hommes, mais presque tout ce qui avoit rapport à l’homme, a été divinisé ; le travail, le repos, le sommeil, la jeunesse, la vieillesse, la mort, les vertus, les vices, le terme, le temps, le lieu, les nombres chez les Pythagoriciens ; la puissance de produire sous le nom de Priape : l’enfance avoit elle seule une troupe de Divinités, Va gitanus, Levana, Rumina, Edusa, Potina, Cuba, Cumina, Carna, Ossilago, Statulin, Fabulin, Nundine, Intercidone, Pilumne & Déverra. On reconnoissoit aussi pour Dieux la santé, la fièvre, la peur, l’amour, la douleur, l’indignation ou Némèse, la crainte, la pudeur, l’impudence, la fureur, la joie, l’opinion, la renommée, la science, l’art, la prudence, sous le nom de Minerve ; la vertu, la foi, le bonheur, la calomnie, la justice, la liberté, la concorde, la monnoie, la guerre, la paix, la victoire, le triomphe, &c. Enfin, la Nature, & le Monde tout entier a passé pour un Dieu. Presque tout ceci est tiré du savant Ouvrage d’Isaac Vossius, De Origine & Progressu Idololat.

Les Epicuriens croyoient que les Dieux ne se mêlent point des choses d’ici-bas, & ne se mettent point en peine que chacun vive à sa fantaisie. Port-R. Il est assez difficile de débrouiller les idées des Payens sur leurs Dieux : elles sont très-confuses, & souvent contradictoires. Ils admettoient tant de Dieux supérieurs & inférieurs, qui partageoient l’Empire du monde, que tout étoit plein de Dieux. On a compté jusqu’à 150 Dieux que les Payens ont adorés. Tous les Philosophes de l’antiquité ont reconnu qu’il n’y avoit qu’un Dieu, comme le P. Mourgues l’a très-bien prouvé dans la seconde lettre de son Plan Théologique des Sectes savantes de la Gréce.

On appele aussi Dieux improprement, les hommes, les idoles que les Gentils ont adorés. Dii. Les Payens ont fait des Dieux de tous les Héros, & de leurs Empereurs.

On appeloit Demi-Dieux, les Faunes & Divinités champêtres. Semi-Dei. On traitoit aussi de Demi-Dieux, les Héros & les hommes qu’on avoit élevés au rang des Dieux. Heroës. C’est pour cela que Juvénal disoit en raillant, qu’Atlas gémissoit sous le fardeau de tant de Dieux qu’on plaçoit dans le Ciel.

Les Poëtes, qui étoient leurs Théologiens, font leurs Dieux si ridicules, qu’ils semblent avoir eu plutôt dessein de les faire mépriser, que de les faire respecter. S. Evr. L’intervention des Dieux dans un Poëme Héroïque est nécessaire ; mais il ne faut pas que le Dieu en faisant tout, anéantisse le mérite du Héros. Id. La présence des Dieux déshonore le Héros, & sa gloire est souillée par le secours d’une Divinité. P. le Boss. Otez les Dieux de l’Antiquité, & vous lui ôtez tous ses Poëmes. S. Evr.

Quand le nom de Dieux est joint à certains autres mots, il désigne les Dieux auxquels les choses exprimées par ces mots ont rapport. Dieu des Vers, c’est Apollon : Dieu des combats ou de la guerre, c’est Mars : Dieu du tonnerre, c’est Jupiter : Dieu des enfers, c’est Pluton, &c.

Jamais le Dieu de la guerre
N’avoit donné sur la terre
Tant de spectacles d’horreur. Roy.

Térence est dans mes mains, je m’instruis dans Horace ;
Homère & son rival sont mes Dieux du Parnasse. La Font.

Hésiode a fait un Poëme intitulé Θεογονια, La Théogonie, C’est-à-dire, la Génération des Dieux, dans lequel il explique la généalogie des Dieux, quel est le premier & le principe de tous les autres, quels sont ceux qui en sont descendus, & quels enfans, quelles générations ils ont eus. C’est un abrégé de la Théologie Payenne. Outre cette Théologie populaire, chaque Philosophe se faisoit la sienne, comme on le peut voir dans le Timée de Platon, & dans les livres de Cicéron De natura Deorum.

Saint Justin, Martyr, Tertullien dans son Apologétique & dans ses Livres Contra Gentes, Arnobe, Minutius Félix, Lactance, Eusébe, Præp. & Dem. Evang. S. Augustin, De Civit. Dei, Théodoret Adv. Gentes, &c. ont écrit de la vanité de ces faux Dieux.

Dieu, se dit abusivement des Puissances & des personnes heureuses. Les Rois sont les Dieux de la terre. Dii terræ. Ablanc. Avec les Dieux il ose se mêler. Voit. Les Grands, les Princes, sont de petits Dieux. David, & après lui Jesus-Christ a dit, Vous êtes des Dieux, des enfans du Très-Haut. Les élus, les gens de bien sont appelés les enfans de Dieu.

On s’en sert aussi figurément, pour parler des choses qu’on aime passionnément. Une mere n’a qu’un fils, elle en fait son Dieu. Un avare fait son Dieu de son argent. Un gourmand n’a point d’autre Dieu que son ventre. Un amant dit que les yeux de sa Maîtresse sont ses Dieux.

Les Dieux-Manes, c’étoient les Dieux dont les Payens imploroient le secours, & à qui ils faisoient des vœux contre la crainte de la mort, & en faveur des défunts. Nicaise. Dii manes.

On dit en proverbe, Cela lui est venu de la grâce de Dieu ; pour dire, que c’est un don de Dieu ; par un bonheur inopiné, sans qu’il l’ait recherché. On dit qu’un homme est devant Dieu ; pour dire, qu’il est mort ; &, quand c’est un méchant homme, que c’est une belle ame devant Dieu. Je ne sais où cela est, Dieu le sache. Tout cela va comme il plaît à Dieu ; c’est-à-dire, en désordre, personne n’en a soin. Dieu sur-tout ; pour dire, que Dieu est au-dessus des choses sublunaires, sur lesquelles on fait des prédirions. On dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On dit aussi, que ce que la femme veut, Dieu le veut, pour dire, que les femmes sont opiniâtres.

On dit qu’un homme doit à Dieu & au monde : pour dire, qu’il est noyé de dettes. Ære alieno oppressus.

Dieu-donné, est le surnom donné à quelques Princes, dont la naissance a été inespérée, ou en quelque façon miraculeuse, que Dieu a accordés aux prières de son peuple. Deo-datus. Philippe Auguste a eu le nom de Dieu-donné.

Il y a quelques endroits où l’on appelle Dieu-donné, les séculiers qui se donnent à Dieu, & au service des Monastères où ils se retirent. En d’autres on les appelle seulement Donnés, & autrefois Oblats.

Dieu, se dit aussi, en plusieurs mots composés, des lieux pieux. L’Hôtel-Dieu, la Maison-Dieu, sont des Hôpitaux. La Chaise-Dieu, Bourg-Dieu, Benisson-Dieu, Lieu-Dieu, sont des noms d’Abbayes.

On appelle communément l’Hostie consacrée, le bon Dieu. On lève le bon Dieu. On va porter le bon Dieu à ce malade.

La Fête-Dieu, Festum Corporis Christi : c’est une fête que l’Eglise célèbre le Jeudi d’après le Dimanche de la Trinité, qui suit immédiatement celui de la Pentecôte. Elle s’appelle autrement la fête du S. Sacrement, ou la fête du Corps de Notre-Seigneur : c’est en l’honneur du S. Sacrement de l’Autel, & de son institution : le jour même de la fête s’appelle par le peuple la grande Fête-Dieu, & le jour de l’Octave, ou le Jeudi suivant, la petite Fête-Dieu, parce qu’elle est moins solennelle, & fêtée seulement jusqu’à midi. Quelques-uns disent mal Fête de Dieu. Vers le milieu du XIIIe siècle, une sainte fille de Liège, appelée Julienne, ayant eu une révélation de faire instituer une fête à l’honneur du Très Saint Sacrement de l’Autel, entreprit de l’exécuter, aidée d’une autre sainte Recluse, nommée la vénérable Eve. Elle en vint à bout, malgré un nombre infini de contradictions, & fit faire un office particulier pour cette fête, par son Clerc, nommé Jean-Jacques Pantaléon, de la ville de Troyes en Champagne, qui étoit alors Archidiacre de Liége, favorisa fort un si pieux dessein, & approuva cet Office. Cet Archidiacre ayant été tait Patriarche de Constantinople, & ensuite créé Pape le 29e d’Août 1261, sous le nom d’Urbain IV, un miracle qui arriva à Bolsena, petite ville de l’Etat Ecclésiastique, non loin de Civita-Vecchia, où au milieu des saints mystères, il coula du sang de l’hostie, entre les mains d’un Prêtre qui doutoit de la présence réelle, & il vit Jesus-Christ dans l’hostie ; ce miracle, dis-je, qui arriva vers la quatrième année du Pontificat d’Urbain, & dont tout le peuple fut témoin, & ce qui s’étoit passé à Liége environ quinze ans auparavant, porta le Pape, de l’avis des Cardinaux, à ordonner qu’on célébreroit tous les ans dans toute l’Eglise la fête du Corps de Jesus-Christ, le Jeudi qui suit l’octave de la Pentecôte, &, ayant envoyé quérir S. Thomas, qui se trouva pour lors à Civita-Vecchia, où étoit la Cour, il lui ordonna d’en composer l’office, qui est celui que nous récitons encore. Voyez les Bollandistes, Propylæum mensis Mari, Dissert. XXIII. & Maii, T. VII. Paralip. ad Conat. Chronol. p. 104.