Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DIABLE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 307-310).
DIABLEMENT  ►

DIABLE. s. m. Mauvais Ange, & l’un de ces Esprits célestes qui ont été précipités du ciel, pour avoir voulu s’égaler à Dieu. Diabolus, malus dæmon, hostis humani generis. Les Ethiopiens peignent le Diable blanc, pour prendre le contrepied des Européens qui le représentent noir. Ludolf. Le Diable est toujours pris dans l’Ecriture pour l’ennemi de Dieu & de l’homme. Jésus-Christ fut tenté par le Diable dans le désert. Le Diable tente les Saints pour avoir des compagnons de sa misère. Ce n’est point le Diable qui nous tente pour l’ordinaire ; ce sont nos passions. S. Evr. Le Diable est toujours en embuscade, & en sentinelle pour nous surprendre. Id. Le Diable désabuseroit les incrédules, s’il se montroit ouvertement. Id. Le Diable tenta Eve sous la figure d’un serpent.

Eve aima mieux, pour s’en faire conter,
Prêter l’oreille aux fleurettes du Diable,
Que d’être femme, & ne pas caqueter. Saras.

On se livre à la volupté,
Parce qu’elle flatte & qu’on l’aime ;
Et, si du Diable on est tenté,
Il faut dire la vérité,
Chacun est son Diable à soi-même.

Nouv. choix de Vers.

Dieu donna pouvoir au Diable de tourmenter Job, pour éprouver sa patience. Jésus-Christ chassoit les Diables hors du corps des possédés. Il n’est point parlé du Diable dans l’ancien testament, mais seulement de satan. On ne trouve point dans les Auteurs Payens le mot de Diable dans la signification que l’on y a attachée parmi les Chrétiens ; c’est à-dire, pour signifier une créature qui s’est révoltée contre Dieu : ils tenoient seulement qu’il y avoit de mauvais Génies qui persécutoient les hommes. Les Chaldéens admettoient de même un bon Principe, & un mauvais Principe, ennemi des hommes. Les Relations qui parlent de la Religion des Américains, & de quelques autres peuples idolâtres, disent qu’ils adorent le Diable. Mais il ne faut pas prendre ce terme selon le style de l’Ecriture : ces peuples ont l’idée de deux Etres collatéraux, donc l’un est bon & l’autre méchant : Ils mettent mal-à-propos la terre sous la conduite de l’Etre malin que les Chrétiens appellent le Diable.

Et quel objet enfin à présenter aux yeux,
Que le Diable toujours heurlant contre les cieux,
Qui souvent avec Dieu balance la victoire ?

Boileau.

☞ En Poësie & dans le style élevé on substitue ordinairement une périphrase à la place du mot Diable, comme a fait Corneille dans Polyeucte.

Ainsi du genre humain l’ennemi vous abuse.

☞ Cette périphrase est noble, dit Voltaire, & le nom propre eût été ridicule.

Le vulgaire se représente le Diable avec des cornes & une longue queue. L’ennemi du genre humain donne l’idée d’un être terrible qui combat contre Dieu même. Toutes les fois qu’un mot présente une image ou basse, ou dégoûtante, ou comique, ennoblissez la par des images accessoires ; mais aussi ne vous piquez pas de vouloir ajouter une grandeur vaine à ce qui est imposant par soi-même. Voyez au mot Démon les remarques de M. l’Abbé Girard.

Le mot de Diable vient du Latin Diabolus, en Grec Διαβολος, qui veut dite, Calomniateur, accusateur, trompeur.

Le peuple se sert de ce mot en une infinité de phrases, & sur-tout pour exagérer les choses, soit en bien, soit en mal. Il est vaillant en Diable. C’est un Diable incarné, un Robert le Diable. Il fait le Diable à quatre ; pour dire, il le faut tenir à quatre, il est méchant, violent, emporté. C’est un Diable d’homme, un Diable en procès ; pour dire, un grand chicaneur.

Une femme d’esprit est un Diable en intrigue.

Molière.

Ne montez point ce cheval, c’est un Diable, il l’a battu en Diable, en Diable & demi, comme tous les Diables. On dit d’un homme que c’est un bon Diable ; pour dire, un bon vivant : un méchant Diable ; pour dire un homme dangereux : un pauvre Diable ; pour dire, un misérable.

Quand Sa Majesté me feroit
Quelque bienfait considérable ;
Grand Roi pas moins il ne seroit,
Et j’en serois moins pauvre Diable. Scar.

Savant en Diable ; c’est-à-dire, fort savant. On dit, d’un médisant, qu’il dit le Diable d’un autre ; pour dire, qu’il en dit tout le mal qu’on en peut dire. On dit c’est le Diable, c’est-là le Diable ; pour dire, c’est-là la difficulté, c’est-là ce qu’il y a de fâcheux. Scarron, pour expliquer le hoc opus, hic labor est de Virgile, dit, mais d’en revenir, c’est le Diable.

Joinville dit qu’il n’avoit oui Saint Louis nommer ni appeler le Diable, si ce n’étoit quand il lisoit quelque Livre ; & que c’est une chose très-honteuse aux Princes de souffrir qu’on le nomme : qu’on ne pouvoit dire trois mots, que le nom du Diable n’y fût entrelacé.

Diable, se dit, dans la conversation & dans le style familier, pour Méchant.

Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange carnage.
Ce Chat, le plus Diable des Chats,
S’il manque de Souris, voudra manger les Rats.

La Font.

On dit d’un méchant homme, c’est un Diable ; d’un enfant incommode, malin, c’est un petit Diable. On dit aussi d’un homme qui a beaucoup d’esprit, de finesse, de ruse, que c’est un Diable, qu’il a de l’esprit comme un Diable. Cela emporte néanmoins toujours quelque idée de mauvaise qualité. On diroit, il a de l’esprit comme un Ange, ou comme les Anges, d’un sujet qui, avec beaucoup d’esprit, n’auroit rien que de louable. Segrais nous montra ou nous voulut montrer un recueil qu’il a fait de chansons de Blot : elles ont le Diable au corps, & c’est dommage qu’il y ait tant d’esprit. Me de Sev.

Diable, se dit proverbialement en ces phrases : le Diable n’est pas toujours à la porte d’un pauvre homme ; pour dire, que la mauvaise fortune donne quelquefois du relâche. Le Diable est aux vaches ; pour dire, que tout est en trouble, en confusion. On dit par imprécation, le Diable s’en pende, le Diable vous emporte, je me donne au Diable, si, &c. D’autres disent, je me donne au Maître des Diables : ils entendent Dieu par le Maître des Diables. Au Diable, est une imprécation. Au Diable soient tous les Normands, dit la chanson, Judas étoit Normand, &c.

Le Démon cauteleux & fin
En a fait l’abord effroyable,
Sachant bien que le pèlerin
Se donneroit cent fois au Diable,
Et se damneroit par chemin. La Chap.

Il n’est pas si Diable qu’il est noir ; pour dire, il est meilleur qu’on ne pense. On dit, tirer le Diable par la queue ; pour dire, avoir de la peine à vivre. On dit, il ne le faut pas donner au Diable pour faire cela ; pour dire, qu’une chose est facile. Quand on ne peut venir à bout d’une chose, on dit que le Diable s’en mêle. Cela s’en est allé à tous les Diables ; pour dire, on ne sait ce que cela est devenu. Le Diable pourroit mourir, que je n’hériterois pas de ses cornes ; pour dire, personne ne me donne rien. On dit d’un méchant homme, d’un chicanneur qui trouble le repos des autres, que, quand il dort, le Diable le berce. On dit qu’un homme fait comme le valet du Diable, quand il fait plus qu’on ne lui commande. On dit que le Diable étoit beau quand il étoit jeune, pour dire, que la jeunesse a quelque chose d’agréable, même dans les personnes les plus laides. Acad. Fr. C’est la race du Diable, quand on a épluché tout le véreux, il ne reste rien ; pour parler d’une famille de scélérats. On dit d’un homme avare, que, s’il mangeoit le Diable, il n’en donneroit pas les cornes. Il vaut mieux tuer le Diable, que le Diable nous tue ; pour dire, qu’il vaut mieux tuer un homme, que de s’en laisser tuer, ou faire porter une perte à un autre, que de la souffrir soi-même. On dit d’un grand mangeur, qu’il mangeroit le Diable, s’il étoit cuit.

On dit aussi ironiquement à des hâbleurs, pour montrer qu’on ne croit rien de ce qu’ils disent, Au Diable-zot. Il y a apparence que cela vient d’une imprécation tronquée, & qu’on a voulu dire, allez au Diable, au Diable : on a retranché le dernier & le premier mot, & on a mis un z pour éviter la cacophonie ; car le mot zot n’est point de la langue ; de sorte qu’il faut que ce soit une orthographe corrompue. Vous pensez qu’on doit vous croire, Diable-zot : c’est-à-dire, je ne suis pas assez sot pour cela. Vous me conseillez de faire cela, Diable-zot : c’est à-dire, je ne suis point assez sot pour le faire. Ce mot se trouve dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie Françoise. Sancho Pança, tome. 2 de Dom-Quichotte, Chap. 46, p. 425 dit, en parlant du Comté que son Maître lui avoit promis : « Je ne m’amuserai point à marchander, je vous mettrai bientôt le Fermier en possession, & moi je mangerai mes rentes comme un Prince. Du reste qu’on en fasse des choux & des raves, Diable-zot si je m’en soucie… » Et, dans le Curieux impertinent de M. Destouches, Acte 3. Scène 8. Nérine dit à Julie, inquiète au sujet des délais & du refroidissement de son Amant :

Crispin, Madame, en sait quelque chose peut-être.
Allons, il faut qu’il jase au défaut de son Maître.
Crispin ........ répond Diable-zot.
Nous ne jasons pas nous, comme vous autres femmes.

Voyez zot dans le Dictionnaire.

On le dit aussi par exclamation & imprécation, à quoi Diable pensiez-vous, de faire ce mariage ? à quel Diable en voulez-vous ? On dit d’un méchant homme, qu’il ne craint ni Dieu ni Diable.

On emploie ce mot odieux dans une infinité de phrases, dans le discours familier, pour marquer la colère, l’indignation, l’étonnement, &c. en interrogeant, en répondant, en riant, en parlant sérieusement, &c. ô Diable ! si je vous entends. Que Diable est-ce là ? A qui Diable en voulez-vous ? Diable ! cela est-il vrai ? Comment Diable une femme donneroit quatre pistoles d’un pot de pommade ? Fi, au Diable, je ne souffre point ces canailles-là. Diable, la somme est forte. Nenni, Diable, nenni, dès que le crédit chancelle, il n’y a plus rien à faire, &c. Les Comédies sont remplies de ces sortes d’expressions.

On dit, dans un dépit, Diable soit de cela, Diable soit de cet homme là : Diable soit de l’Avocat, pourquoi me l’a-t-il fait si longue, disoit un Magistrat, à qui la mémoire manquoit dans une harangue qu’il avoit fait faire par un Avocat.

Avocat du Diable. On appelle ainsi, populairement, le Promoteur de la Foi dans la Congrégation de la Béatification & Canonisation des Saints, parce qu’il examine avec soin les preuves de Sainteté & les miracles que l’on produit, qu’il tâche de les infirmer, & qu’il forme toutes les difficultés & les objections que l’on peut faire contre ces preuves & ces miracles ; & qu’en général il fait ce qu’il peut pour empêcher la béatification ou la Canonization proposée.

Du Diable. Façon de parler adverbiale, pour nier fortement une chose. On dit que vous allez vous marier ? du Diable, je suis bien éloigné de faire une telle folie. La Fontaine a dit, au Diable, dans le même sens.

Devant sa porte l’on rencontre
Mille pas d’animaux dans sa caverne entrés
Mais au Diable, si l’on m’en montre
Un unique de ceux qui s’en sont retirés.

Cette expression convient particulièrement au style burlesque. Aussi Scarron l’a-t-il employée dans son Virgile travesti, L. I.

A plusieurs révérence il fit,
Au Diable si l’on lui rendit.

A la Diable ; c’est-à-dire, fort mal. Voilà un habit fait à la Diable.

L’ouvrage fait, elle en coeffe à la Diable
L’humanité du petit misérable.

Le Lutrin vivant de M. Gresset.

Diable, est aussi une manière d’adjectif, comme lorsque l’on dit, il faut être bien Diable pour faire une telle action pour dire, il faut être bien méchant, bien enragé.

Diable. Nom de plusieurs personnes, ou familles, ou surnom qu’elles ont pris, ou qu’on leur a donné. Il y a un Guillaume surnommé le Diable, c’étoit un Moine Anglois. Dans l’Histoire des Comtes de Poitou : Hugues VI, Sire de Lusignan, est surnommé le Diable. Robert, Duc de Normandie, fils de Guillaume le Conquérant, fut aussi surnommé le Diable. Olivier le Dain, s’appeloit Olivier le Diable. On ne sauroit traduire en François que par le nom de Diable, le nom de la famille de Troll en Suède, & celui de la famille de Teufel en Autriche, parce que troll en Suédois, & teufel en Allemand, veulent dire Diable. La famille de Saint Guétas en Bretagne, a changé son nom de Diable, qu’elle portoit autrefois, en celui de Saint Guétas, qu’elle a porté depuis. Le P. Briet, & le P. Labbe, prétendent que cette famille avoit pris son nom de Diable des endroits de la Bretagne appelés Diableres. Voyez M. Ménage Hist. de Sablé.

Diable de mer. Poisson qui se trouve vers les côtes de Pensilvanie. Sa grosseur est de quatre pieds de diamètre. Sa peau est rude & noire. Sa tête est plate, ses dents aiguës, dont il y en a deux recourbées, comme les défenses d’un sanglier. Il a deux cornes sur les yeux, qui tournent sur son dos, comme celles du bélier. Sa chair est venimeuse, & cause des vomissemens mortels.

Diable de mer, est aussi le nom d’un oiseau aquatique. C’est une espèce particulière de poule d’eau, qu’on appelle Macroule en Normandie ; à Paris on lui donne le nom de Diable de mer. Il se plonge incessamment dans l’eau douce. Il est d’un noir si obscur, qu’il en paroît terne. Il a une tache blanche sur la tête, plus grande que celle de la poule d’eau, & est d’une taille plus grande qu’elle. Il traîne ses jambes après lui. Ses doigts sont larges & séparés. Faultrier.

Diable, ou Diablotin. Oiseau que l’on voit dans l’Amérique, & spécialement à la Guadeloupe, & à la Dominique. C’est un Oiseau de passage qui vient dans ces îles vers le mois de Septembre, & qui y demeure jusqu’au mois de Mai. Il est de la grosseur d’une jeune poule qui n’a pas encore pondu. Son plumage est noir, les jambes sont courtes, ses pieds comme ceux des canards, mais garnis de longues & fortes griffes. Son bec est long de prés de deux pouces, courbé, pointu & fort dur. Il a de grands yeux à fleur-de-tête qui ne lui servent que la nuit ; car il ne peut supporter la lumière, ni discerner les objets. Ces oiseaux se retirent dans des trous, comme des Lapins, & n’en sortent que la nuit pour aller pêcher du poisson dont ils font leur nourriture. Ils crient en volant, comme s’ils se répondoient les uns aux autres. Ils s’accouplent, pondent & font leurs petits dans les Iles, & ils ne s’en retournent que lorsqu’ils sont en état de voler, qui est sur la fin de Mai. On mange les Diablotins, quoique la chair en soit noire & sente le poisson, parce qu’elle est bonne & fort nourrissante. On mange aussi leurs petits que l’on appelle des cottous ; mais ils sont par trop gras.

Diable, en termes d’Artillerie. C’est la même chose que le Chat. Voy. ce mot.

Diable. Espèce de levier dont les Maréchaux grossiers se servent pour faire passer les bandes de fer sur les roues des voitures, lorsqu’ils bandent ces roues d’une seule pièce. Encyc.

☞ On donne le même nom à un grand chariot à quatre roues, qui, par des verrins, sert à enlever & à conduire de grands fardeaux, & à une machine à deux roues dont se servent les Charpentiers pour porter quelques morceaux de bois.

Diables (mille), étoient de fameux voleurs, qui, vers l’an 1515, pour se rendre plus terribles ; se firent nommer les mille Diables. De-là, pour dire fort méchant, on dit d’abord, méchant comme les mille Diables : ensuite on a transporté cette expression à tout ce que l’on veut exagérer ; mais elle n’est que du style bas & familier. Plurimùm, oppidò, omninò, vehementer, supra modum.