Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉSERT

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 265-266).
DÉSERTE  ►

DÉSERT, erte. adj. Qui est inculte & inhabité. Desertus. On donne à cens, à rentes, des terres incultes & désertes. La peste & la guerre ont rendu cette Province déserte. L’Arabie déserte. Dans les lieux les plus solitaires, & les plus déserts, vous êtes pour moi une grande compagnie. Bouh.

Colomb jamais n’a découvert,
Lieu plus sauvage & plus désert. Bois-R.

Désert, est substantif dans le même sens ; & signifie une certaine étendue de terre ou de pays entièrement stérile ; un lieu sauvage, inculte & inhabité. Solitudo, desertus locus, desertum. Les déserts de Lybie. Les déserts de la Thébaïde étoient autrefois peuplés de pieux Solitaires. Du Pin.

Je fuis dans un désert l’approche des humains.

Molière.

Déserts, soyez témoins des peines que je sens.

La Suze.

Au milieu des déserts affreux,
Un céleste aliment nourrissoit les Hébreux.

L’Abbé Tétu.

Désert. Se dit en général par les Géographes de tous les pays inhabités, ou peu habités.

Dans l’Ecriture plusieurs endroits de la Terre-sainte, sont appelés désert. Le désert simplement, c’est la partie de l’Arabie qui est au midi de la Terre-sainte, & dans laquelle les Israëlites errèrent pendant quarante ans, depuis leur sortie d’Egypte jusqu’à leur entrée dans la Terre-promise ; & de-là vient qu’on appeloit le vent du midi, vent du désert. Le désert de Betsabée étoit une partie du désert dont nous venons de parler, sur les confins de la Terre-sainte en tirant vers la mer Méditerranée. Le désert de l’Idumée, c’est l’Idumée, pays aride & montagneux. Le désert de Béharen, de Bethsaïde, de Cadès, de Cédémoth, de Damas, de Dibla, d’Engaddi, d’Etham, de Gabaon, d’Horeb, de Jernel, de Juda, de Mahun, de Moab, de Pharan, de Sin, de Sinaï, de Sur, de Thecné, de Ziph : ce sont des lieux stériles, incultes, quelquefois montagneux, quelquefois des pays-plats, comme ce que nous appelons des landes où l’on ne laisse pas de faire paître des troupeaux ; des lieux secs & arides, où il n’y a point d’eau, lieux solitaires où il n’y a point ou peu d’habitations, ni d’habitans, d’où vient que les Hébreux les appeloient, par antiphrase, טךכד, qui proprement signifie, parole humaine, parce qu’on n’en entendoit point dans ces lieux. Ces lieux prenoient souvent le nom des villes qui en étoient proches. Voyez, en leur place, les noms que nous venons de marquer ci dessus.

De-là tant d’expressions figurées dans l’Ecriture, où mettre quelqu’un dans le désert, c’est le mettre en de grandes misères. Os. II. 3. Le conduire dans le désert, c’est lui procurer, lui causer de grands malheurs. Os. II 14. La terre du désert, c’est une condition, un état misérable. Deuteron. XXXII, 10. Le désert des peuples, signifie des persécutions des peuples voisins, l’état déplorable dans lequel ils réduisent par la guerre & la captivité. Ezech. XX 35. Monter ou sortir du désert. Cant. III, 6, VIII, 5. c’est quitter le monde, renoncer au monde. Il se prend aussi pour un lieu, une demeure fâcheuse, incommode, &c. Ainsi Is. XL, 3 la Babylonie, où le peuple fut emmené en captivité, toute fertile & toute peuplée qu’elle étoit, est appelée désert, & quelques-uns prennent en ce sens le désert des peuples. Ez. XX, 35.

En termes de spiritualité, désert, c’est solitude, retraite, ou d’esprit seulement, c’est-à-dire, recueillement, méditation, contemplation, ou de corps & d’esprit, comme lorsqu’on se retire, ou pour quelques jours qu’on se dérobe à ses affaires, à ses occupations, pour vaquer à Dieu & à son salut ; ou pour toujours, comme lorsque l’on quitte ses emplois, &c, pour vivre dans la piété & la dévotion, ou qu’on embrasse l’état religieux. Dieu conduit les âmes saintes dans le désert, ou dans la solitude, pour leur parler au cœur. Cet expression est prise d’Osée II, 14.

On appelle aussi désert chez les Carmes Déchaux des Monastères destinés à la retraite & aux exercices de la vie spirituelle, dont ceux qui demeurent dans ces déserts doivent uniquement s’occuper. Un Carme Déchaux, nommé le P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, donna en 1651 la description de ces sortes de déserts. Jusque-là ils n’en avoient point en France. En 1660 Louis le Grand en fonda un près de Louviers en Normandie, au Diocèse d’Evreux. M. De Villefore en a donné la description & le plan dans ses Vies des Saints Pères du désert, d’Occident. Les Constitutions des Carmes Déchaussés ordonnent qu’il n’y en aura qu’un dans chaque Province. Ils sont bâtis à la manière des Chartreux, & comme l’extrême solitude & l’austérité de ceux qui résident dans ces déserts, demandent que ces Monastères aient une grande enceinte, ils doivent être situés pour l’ordinaire dans des forêts, & être diversifiés de lieux champêtres & agréables, de vallons, de collines, de fontaines & d’autres mêlanges propres au recueillement intérieur. Un Religieux n’y va point qu’après en avoir obtenu la permission de son Supérieur. Le nombre de ceux qui demeurent dans ces déserts ne doit point passer celui de vingt destinés pour le chœur. Quant aux Frères lais, il doit y en avoir suffisamment pour le service de la Maison. On n’y fait aucune étude, & on ne s’y occupe que de l’oraison & de la prière, de lectures pieuses, & des autres exercices de la vie spirituelle. On n’y demeure régulièrement qu’un an : mais il y a ordinairement quatre Religieux qui y demeurent toujours, toutefois de leur gré & à leurs instances, afin que par leurs exemples ils puissent instruire & former les nouveaux Solitaires. Le silence y est très-étroitement gardé, l’abstinence y est rigoureuse. Outre les cellules du cloître, qui sont à la manière des Chartreux, il y a encore dans les bois des cellules séparées & éloignées du Couvent d’environ trois ou quatre cens pas, où en certains temps de l’année on permet aux Religieux de se retirer les uns après les autres, pour y vivre dans une plus grande solitude, & dans une plus grande abstinence. Voyez sur ces déserts & sur les observances qui s’y pratiquent le P. Héliot, Hist. des Ordres Relig. T. I, C. 49.

Désert. Les Port-royalistes donnoient ce nom à Port-royal des champs, & ils appeloient les solitaires, ceux qui s’y retiroient. L’on fit venir au désert ce volume qui parloit de vous ; il y courut de main en main, & tous les solitaires voulurent voir l’endroit où ils étoient traités d’illustres. Racine.

Désert, se dit aussi, en Agriculture, d’une terre mal cultivée ou abandonnée sans culture. On lui avoit affermé cette terre en bon ordre, il en a fait un désert. On appelle des vignes en désert, quand elles ne sont point labourées, fumées, ni échalassées. Une ferme en désert, qui est mal tenue.

On le dit, à contre sens, d’un homme qui aimant la solitude, a fait bâtir quelque jolie maison hors des grands chemins, & éloignée du commerce du monde, pour s’y retirer. Ainsi on appelle la grande Chartreuse, un beau désert.

☞ En termes de Palais, on dit un appel désert, lorsqu’on ne l’a pas relevé dans le temps prescrit. Dans cette phrase, désert est adjectif. Voyez désertion d’appel.