Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉROBER

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 252).

DÉROBER. v. a. Prendre en cachette ce qui ne nous appartient pas, ce qui appartient à autrui. Furari, surripere, subripere. Ce qu’on a dérobé est sujet à une perpétuelle revendication. Les coupeurs de bourse dérobent fort adroitement. Les valets dérobent leur maîtres.

Dérober, voler, friponner, filouter, ne sont synonymes que par l’idée générale. Dérober, prendre en cachette ; friponner, prendre par finesse ; filouter, escamoter, prendre avec adresse & subtilité. Voler, prendre de toutes manières, & même de force & avec violence. Le larron dérobe. Voy. les autres mots.

Ce mot vient de rober, & de robe, dérivés de raupa. Ménage, ou de l’Allemand rauben, sur lequel l’Italien a formé robare, & l’Espagnol rubar. Guichart le dérive de l’Hébreu rab, qui signifie piller, ravager. Le Moine Bertrand Reold, qui écrivoit la vie de Sainte Françoise, au commencement du XIVe siècle, dit locum sanctum derobare pour spoliare, Acta Sanctæ Franciscæ, c. 3, §. 40. Acta Sanct. April. T. III, p. 391. B.

Dérober, se dit en choses spirituelles & morales, & signifie ôter aux autres ce qui leur est dû, s’approprier scretement ce qui leur appartient. Auferre, subtrahere. Les Auteurs se dérobent les uns aux autres leurs pensées, les Machinistes leurs inventions. Alexandre ne voulut pas combatre de nuit, disant que c’étoit dérober la victoire. Il ne faut pas dérober la gloire qui est due aux belles actions. Que les reproches que vous vous étiez attirés, me coûtent cher, & qu’un jour de votre négligence me dérobe de transports. Let. Port. Qu’il faut être ennemi de soi-même pour se dérober un moment de bonne intelligence, quand on s’aime comme nous nous aimons ! Ib.

Dérober, est quelquefois synonyme à soustraire. Dérober un criminel à la justice, à la colère du Prince, à la fureur du peuple. Dérober une chose aux yeux, à la vue de quelqu’un. Subtrahere. Le désir & l’espérance nous entraînent vers l’avenir, & nous dérobent le sentiment du présent. Mont.

Sa suite à mes soupirs a dérobé son cœur.

Il soupire, & connoît en ce moment fâcheux,
Que le rang le plus haut n’est pas le plus heureux,
Et que de son emploi l’attachement extrême,
Le donnant au public le dérobe à lui-même.

Nouv. choix de vers.

☞ Dans cette acception, on dit, en termes de guerre, dérober une marche, souffler une marche, c’est-à-dire, faire une marche sans que l’armée ennemie s’en soit apperçue. On dérobe une marche à l’ennemi, en décampant sans qu’il en soit informé, ou en faisant une marche forcée.

☞ Dans le discours familier, on dit d’un homme qu’il dérobe sa marche, quand il va d’un côté, quoiqu’il ait fait entendre qu’il vouloit aller d’un autre.

☞ Et, dans le figuré, un homme dérobe sa marche, quand il cache les moyens dont il se sert pour arriver à son but.

Dérober, avec le pronom personnel, signifie aussi, s’échaper, disparoître, s’éloigner, s’écarter, se sauver de quelque lieu, se défendre de quelque chose, l’éviter. Subducere se. Par un bris de prison on se dérobe aux rigueurs de la Justice. Une Comète se dérobe peu-à-peu à notre vue, s’en éloigne, disparoît. Je m’ennuyois en cette assemblée, je m’en suis dérobé secrettement. Les contemplatifs se dérobent à la vue du monde pour vivre en retraite. Combien de fois votre cœur se dérobant tout-d’un-coup à lui-même, s’est-il perdu dans des imaginations vaines & frivoles ? Fl. La pauvreté est un monstre, dont le nom seul épouvante ; pour s’y dérober on abandonne la partie, on passe les mers. Roy.

Négligeant sa beauté, dans l’ombre renfermée,
Elle se déroboit même à sa renommée. Rac.

Se Dérober, pour s’échapper, &c. se joint aussi au nom avec la particule de. Quelques précautions qu’il prît, il ne put se dérober d’eux. Bouhours.

☞ On dit se dérober un repas, pour dire, s’abstenir d’un repas qu’on a accoutumé de faire. Fraudare ventrem.

Dérober le vent, en termes de Marine, se dit lorsqu’un vaisseau est au vent d’un autre, & qu’il empêche cet autre vaisseau de recevoir le vent dans les voiles. Auram captare navis alterius detrimento.

On dit en Fauconnerie, Dérober les sonnettes, quand l’oiseau s’écarte, & s’en va sans congé de son maître, & lui emporte ses sonnettes. Avolare, aufugere. Ce faucon est bon, il a le vol roide & pointu mais il est dangereux à dérober les sonnettes, c’est à-dire, il est sujet à s’écarter.

Se dérober, en termes de Manège, se dit d’un cheval qui, par un mouvement irrégulier, s’échappe de dessous le Cavalier en le surprenant. Subducere se. On dit aussi qu’un cheval a le pied dérobé, lorsqu’il manque de corne pour le ferrer, & qu’elle s’est usée à force de marcher pieds nus. Nudatus ungulâ.

On dit proverbialement à un homme qui achette trop cher une chose, qu’il ne l’a pas dérobée, qu’il l’a bien payée : au contraire, celui qui refuse de la donner à vil prix, dit, qu’il faudroit qu’il l’eût dérobée.

☞ En parlant d’un homme qui a amasse beaucoup de bien par des voies légitimes, mais en se donnant beaucoup de peine, On dit que, s’il a du bien, il ne l’a pas dérobé.

Dérobé, ée. part.

On appelle un escalier dérobé, un petit escalier par lequel on peut s’échapper secretement, & à l’insçu des autres. Scalæ occultæ.

On appelle fèves dérobées, celle dont on a ôté la robe, ou la première peau. Siliquis fabæ spoliatæ.

On dit qu’un homme fait une chose à ses heures dérobées ; pour dire, qu’il prend sur ses occupations ordinaires le temps de la faire. Ac. Fr.

Dérobé. Terme de danse. Un pas dérobé.

Pied dérobé. Voyez Dérober terme de Manège.