Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COURIR

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 982-984).
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☞ COURIR & courre, v. n. quelquefois actif. Aller de vîtesse pour avancer chemin. Il se conjugue de la manière suivante. Je cours, tu cours, il court. Je courais. J’ai couru, je courus, je courrai. Je courois. Cours, qu’il coure, que je courusse. Currere.

☞ Il ne faut pas se servir indifféremment de courir & de courre. Ce dernier n’a lieu que dans quelques façons de parler que l’usage a autorisées, comme quand on dit courir ou courre le lièvre ; courir ou courre la bague, & dans quelques autres occasions dont nous parlerons plus bas.

Courre, dit M. l’Abbé Girard, est un verbe actif. C’est poursuivre quelqu’un pour l’attraper. Courir est un verbe neutre. C’est aller fort vite pour avancer chemin.

☞ On dit courre le cerf ; courir à toute bride ; & il me semble que ce ne seroit pas mal de dire, que pour courre les bénéfices & les emplois, il faut courir aux ruelles & audiences.

☞ Excepté ces cas, & ceux dont nous parlerons, on doit toujours dire courir, & l’on peut même s’en servir par tout où l’on a le moindre doute. En disant courre, on peut faire une faute ; en disant courir, on n’en fait jamais. C’est un homme qui court bien, il court comme un Basque. Il court à toutes jambes, à bride abattue. On y court comme au feu, comme à la noce. Concurritur. La mort étant la dernière de toutes les choses, c’est bien assez qu’on aille à elle d’un pas assuré, sans que l’on y coure. Vaug.

Oui toujours un ami sçait plaire quand il aime ;
Au secours d’un ami, toujours prêt à courir,
Il ne garde ses biens que pour le secourir.

Que dit-il, quand il voit avec la mort en trousse
Courir chez un malade, un assassin en housse ? Boileau.

Quand les Officiers de la Porte vont prendre séance au Divan, ils n’en approchent qu’en courant, y ayant des Capidgis qui crient à ceux qui marchent d’un pas trop lent : seghyrt, qui signifie cours, voulant faire entendre par cette précipitation avec laquelle tous valets en Turquie approchent leurs Maîtres quand ils sont appelés, la prompte obéissance qu’on doit aux commandemens de la justice. Du Loir, p. 78.

Courir pris activement signifie, poursuivre avec dessein d’attaquer. Insequi, persequi. Courir quelqu’un pour le prendre. Courir quelqu’un l’épée dans les reins.

Courir se dit, en ce sens, des incursions, hostilités & ravages qui se font à main armée. Prædari. Cette garnison vient de courir jusqu’à nos portes. Les Corsaires vont courir les Mers, Les troupes ont couru cette Province.

Courir se dit aussi des courses qui se font par jeu & par exercice. Decurrere, stadium currere. Alexandre ne voulut pas courir aux jeux Olympiques : à moins que des Rois n’y courussent. Dans les Académies on court la bague, les têtes, le faquin. Equestri ad annulum trajiciendum decursione astare. En Espagne on court les taureaux. Courir une lance.

Courir ou Courre, en termes de Chasse, signifie, poursuivre le cerf, le lièvre, le chevreuil. Persequi, sectari. Laisser courre les chiens, c’est les découpler après la bête ; & l’on appelle le laisser courre le lieu où l’on découple les chiens, en faisant un substantif des deux infinitifs ; on dit encore d’un pays commode pour la chasse, que c’est un beau courre.

Courre un cheval dans les manèges, signifie, faire galopper un cheval de toute sa force, le faire courre à bride abattue, étant monté dessus. Effusis habenis agitare, concitare. Vous avez trop couru ce cheval, c’est-à-dire, vous l’avez outré, fait courir trop vîte & trop long tems.

Courir signifie encore, voyager, aller çà & là, parcourir. Peregrinari, errare, vagari. Cet homme a bien couru par mer & par terre. Il a couru les quatre coins du monde. On dit en ce sens qu’un homme a bien couru le monde, ou simplement qu’il a bien couru : pour dire, qu’il a beaucoup voyagé. On dit des gens inquiets, qu’ils courent de tous côtés, & cependant qu’ils ne viennent d’aucun endroit, & ne vont nulle part. La Bruy.

L’insensé qu’il étoit ......
S’en alla follement, & croyant être un Dieu,
Courir comme un bandit qui n’a ni feu ni lieu. Boil.

☞ On dit familièrement donner à courre à quelqu’un, le mettre dans la nécessité de faire bien des pas.

☞ On dit d’un homme qui a l’esprit troublé jusqu’à être extravagant, qu’il est fou à courir les rues, à courre les champs.

☞ En style populaire, courir la prétentaine. Aller sans s’arrêter. Courir ou courre le guilledou, aller en débauche.

Courir, en termes de marine, signifie, faire route, gouverner, porter le cap du côté où l’on veut aller. Excurrere. Ce vaisseau a couru deux jours sous un même rumb, sous un même méridien. On appelle Courir des bordées différentes, quand on est obligé à louvoyer & à faire divers reviremens. Courir ou courre à l’autre bord, c’est cingler à un rumb de vent opposé à celui que l’on fait. Quand on répond à la question, où court-il, qui veut dite, quelle route tient-il ? Il court comme nous ; c’est-à-dire, il fait la même route que nous. Courir Nord c’est aller au Nord ; courir Sud, c’est aller au Sud, ou du Sud au Nord. Courir en longitude, c’est aller de l’Est à l’Ouest, & de l’Ouest à l’Est. Courir en latitude, c’est cingler du Nord au Sud, ou du Sud au Nord. On dit qu’un vaisseau a couru sur son ancre, lorsqu’étant poussé par le vent, ou par le courant de la mer, il a été porté vers l’endroit où l’ancre a mouillé. Courir terre à terre, ou cabotter, c’est aller le long de la côte. Courir la mer, c’est aller en haute mer ; c’est aussi aller, venir, faire diverses courses sur mer pour butiner. Courir le bon bord, parmi les Corsaires, signifie attaquer les vaisseaux marchands dont la prise peut enrichir. Dans le style figuré & familier, courir le bon bord, c’est fréquenter les mauvais lieux. Courir bord sur bord, c’est louvoyer tantôt d’un côté, tantôt de l’autre en chicannant le vent quand il est contraire, ou en attendant un autre vaisseau dont on ne veut pas s’éloigner.

Courir au plus près, terme de Marine, c’est aller autant qu’il est possible, contre le vent : ainsi si le vent est au Nord, on peut aller au Ouest-Nord-Ouest, où en changeant de bord, à l’Est-Nord-Est.

Courir se dit aussi des terres, des rochers & des côtes qui s’étendent selon tel air de vent. Vergere, protendi. Cette côte court Est-Ouest, c’est à-dire, va droit d’Orient en Occident. Ces rochers courent Sud-Ouest environ trois lieues ; pour dire, s’étendent depuis le midi jusqu’à l’Occident. Le Caucase, ou le Taurus, est une longue suite de montagnes qui court par le milieu de l’Asie du Couchant à l’Orient. Chevreau.

Courre la bouline. Châtiment sur mer. On fait passer le criminel au milieu de tout l’équipage rangé en haie des deux côtés, de l’avant à l’arrière, & chacun lui donne un coup de corde.

Courir, terme d’Escrime. C’est avancer sur son ennemi. Urgere adversarium.

Courir le bal, aller de bal en bal. Courir les ruelles, aller de visite en visite chez les Dames. Virgineos cætus, circulos consectari.

Courir ou Courre sus à quelqu’un. C’est un style d’ordonnances & de déclarations, se jeter sur lui, l’arrêter, le tuer. Tout le monde lui court sus. Il a paru une déclaration qui enjoint de courir sus l’ennemi.

Courir signifie aussi, fréquenter certains lieux, y aller souvent. Sequi, sectari. Les curieux de tableaux, de bijoux, courent les inventaires. Les dévots courent les sermons. Les galants courent le bal, les ruelles. Les Musiciens courent les concerts. On dit en ce sens, on court un tel Prédicateur. Cet homme est si agréable, que toutes les Dames le courent. Il ne tient pas à moi que je ne voie Madame une telle. C’est assez qu’elle vous aime pour me la faire courir, mais elle court après quelqu’autre ; j’ai beau la prier de m’attendre, je ne puis parvenir à ce bonheur. Madame de Sev.

Courir se dit encore de certaines choses qu’on fait vîte, avec précipitation. Lisez doucement, ne courez pas. Cela est écrit en courant. Cursim. Il ne faut pas courir en disant ses prières.

Courir, dans la signification de couler, se dit encore pour exprimer le mouvement des choses fluides, des ruisseaux, des rivières, du sang, &c. Fluere. L’eau qui court est la plus saine. Le sang court dans les veines. Je sens une humeur qui me court dans la tête.

Courir se dit aussi du temps & des choses qui se succèdent, ou qui coulent l’une après l’autre. Fluere, volvi. C’est le mois qui court, l’année qui court ; pour dire, le mois, l’année présente. Le temps de son bannissement a couru d’un tel jour ; pour dire, a commencé un tel jour. On le dit aussi des intérêts qui courent du jour de la demande en justice, du jour de la constitution ; pour dire, qu’ils sont dûs dès ce temps-là. On dit aussi qu’une homme court sa quarante-cinquième année, court son année climactérique ; pour dire qu’il est parvenu à ces âges-là. Decurrere.

Courir signifie aussi être en vogue, être reçu, approuvé. In usu esse, recipi ab omnibus. Il faut suivre la mode qui court. La monnoie qui court.

Courir se dit aussi de ce qui se publie, de ce qui se répand, de ce qu’on sème dans le monde, de ce qu’on sait par les mains, ou par la bouche de plusieurs personnes. Il court un bruit. Rumor est, spargitur, manat. Vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles, deux chansons. Mol. On a fait courir un manifeste sur la déclaration de la guerre. On a fait courir un libelle contre l’honeur de cette partie. Répandre dans le public, les chansons qui courent par la ville.

☞ On dit de quelqu’un qui cherche de l’argent à emprunter, que son billet court chez les Notaires, & que ces billets courent sur la place, pour dire qu’on cherche à s’en défaire.

☞ On fait courir des billets, le billet, pour avertir ou assembler des gens qui ont intérêt à quelque affaire.

☞ On fait courir le billet, pour avertir, des choses volées ou perdues. On dit aussi, faire courir une santé, pour dire, la faire boire à la ronde. Propinando culpiam pateram circumferre. On dit aussi, qu’il court bien des fièvres, des maladies ; pour dire, qu’elles sont bien communes, que plusieurs gens en sont attaqués.

☞ Dans les délibérations, on dit l’avis qui court ; pour dire le plus fort, celui qui a plus de voix.

On dit, faire courir la voix ; pour dire, demander les avis à ceux qui composent une assemblée. Acad. Fr.

Courir-franc ; terme de négoce d’argent, qui se dit lorsque les Agens de banque ne prennent rien pour leurs salaires des Lettres de change qu’ils font fournir pour de l’argent comptant.

Courir, en termes de Manufacture de draps, on dit que les fils courent, lorsque l’étoffe n’est pas assez remplie de trame, ou qu’elle n’est pas suffisamment battue.

Courir la poule, terme de jeu de Trictrac. Lorsqu’on est quatre ou cinq joueurs, & qu’on n’a qu’un seul trictrac, on peut courir la poule, pour que chacun s’amuse : on tire au fort pour le rang, chacun met un petit enjeu, & celui qui peut gagner un tout contre chacun des autres, tire la poule ; mais quand celui qui a gagné quelques tours en perd un, ceux qui n’ont pas encore joué, jouent successivement contre le dernier vainqueur, après quoi les premiers vaincus reviennent sur les rangs, le premier de tous, met un second enjeu sur la poule, joue sa partie, & chacun y passe à son tour, en fournissant son enjeu, pour grossir la poule, jusqu’à ce qu’un des concurrens ait vaincu tous les autres, sans interruption. A chaque fois qu’un ancien vaincu se remet au jeu, il grossit toujours la poule : elle devient par-là très-considérable, puisqu’on est souvent des semaines & des mois entiers à courir la même.

Quand on veut abréger, on n’a qu’à convenir que celui qui gagnera un tour contre chacun des autres avec ou sans interruption, retirera la poule. Alors on peut ordinairement finir dans une séance un peu longue. L. S.

Courir se dit aussi figurément en choses morales. Currere. Quand Dieu a résolu de perdre quelqu’un, il le laisse courir aveuglément au précipice. Sherlock. On court à la raison, & on cherche la vérité par les doutes & par la dispute. Balz. Il ne faut pas s’étonner que tant de gens courent après la fausse gloire ; puisqu’il en est si peu qui connoissent la véritable. Ab. de S. R. Si les Espagnols ne courent point au péril, c’est moins par timidité que par prudence. S. Evr. Il faut sortir de la carrière de la fortune, quand on ne se sent pas propre pour y courir.

Combien de gens voit-on d’une ardeur non commune,
Par le chemin du ciel courir à leur fortune ? Mol.

On dit qu’un homme court une belle fortune ; pour dire, qu’il est en belle passe : qu’il court à l’Evêché, au chapeau de Cardinal, au bâton de Maréchal ; pour dire, qu’il y aspire, & qu’il y a apparence qu’il y peut parvenir ; qu’il court à la gloire ; pour dire, qu’il n’estime que l’honneur, que le prix de la vertu. On dit, qu’il court à l’hôpital, à sa ruine, à sa perte, pour dire, qu’il conduit ses affaires de manière à se perdre, à se ruiner promptement. Ruere in exitium, in ruinam. Courir à l’hôpital est familier. On dit aussi qu’un homme court hasard, court fortune ; pour dire, qu’il lui peut arriver du bien & du mal. Subire periculum, aleam.

Votre honneur avec moi ne court point de hasard,
Et n’a nulle disgrace à craindre de ma part. Mol.

On dit encore, qu’un homme veut bien courir risque de quelque chose, quand il la prend à ses périls & fortunes ; qu’il veut bien que la perte tombe sur lui. On dit encore, qu’un homme a bien couru des fortunes en sa vie ; pour dire, qu’il a bien essuyé des périls, des dangers.

Courir après les honneurs, après les richesses, &c. les regarder avec ardeur. Honores, divitias expetere, concupire. Courir une charge, un bénéfice, &c.

Courir un bénéfice, signifie aussi, envoyer un Courier à Rome ou à celui qui a la nomination du bénéfice pour être le premier à le demander. On dit aussi courre un bénéfice. Voyez Courre.

Courir sur le marché de quelqu’un. Dans le propre, c’est enchérir sur lui pour emporter ce qu’il marchande. Au figuré, c’est vouloir emporter sur lui une chose à laquelle il a prétendu le premier. On dit aussi courir sur les brisées de quelqu’un, expressions familières.

Courir après son argent, continuer à jouer, regagner ce qu’on a perdu. Proverbialement courir après son éteuf, se donner bien de la peine pour recouvrer un bien qu’on a laissé échapper. Je me suis payé par mes mains pour ne pas courir après mon éteuf.

Couru, ue. part. Il a la signification de son verbe en latin comme en françois.