Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COIN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 673-675).
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COIN. s. m. Endroit où se fait la rencontre des deux côtés de quelque chose ; angle formé de deux surfaces inclinées l’une vers l’autre. Angulus. Il se dit, tant de l’angle extérieur, comme le coin de rue, ou de la muraille, que de l’intérieur, comme le coin d’une chambre, le coin de la cheminée.

Ce mot vient de cuneus. Nicod. Ce qui a donné le nom au coin des monnoies, à cudendis monetis. Coin, cuneus : & κῶνος (kônos), sont pris du Celtique Cuen, ou Cyn. Pezron.

Coin se dit aussi des extrémités de quelque chose. Extrema, partes extremæ. Ce voyageur a vu les quatre coins du Monde. J’ai fait les quatre coins de Paris, pour vous chercher. Les Hérétiques ont allumé la guerre aux quatre coins de la France.

☞ On dit les quatre coins & le milieu d’une contrée, d’un pays, &c. pour dire, tout l’espace que renferme ce pays, cette contrée. J’ai couru les quatre coins, & le milieu du bois, pour vous chercher.

☞ On dit, regarder du coin de l’œil, regarder à la dérobée, sans faire semblant de rien, ou de travers. Limis oculis aspectare, aspicere, intueri. Faire signe du coin de l’œil.

Coin se dit aussi de quelque lieu écarté & solitaire. Secessus, recessius, solitudo, extrema pars. Le Prince de Condé fut assassiné au coin d’une haie, après la bataille de Jarnac. Ce Savant est allé fouiller dans tous les coins & recoins de l’Antiquité. Vetera Antiquitatis monumenta. S. Evr. Je vois ces effroyables espaces de l’Univers qui m’enferment, & je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans avoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu, qu’en un autre. Pasc. Elle mourut de misère au coin d’un buisson. Mlle l’Héritier.

Qu’heureux est le mortel, qui du monde ignoré,
Vit content de soi-même en un coin retiré. Boil.

Coin signifie encore ☞ un petit espace dans une maison, un endroit qui n’est pas exposé à la vue. Angulus, locus abditus. Il est logé dans un coin. Je n’ai besoin que d’un petit coin. Cachez-vous dans un coin. Jetez cela dans un coin.

☞ En termes de jeu de Paume, tenir son coin, se dit, lorsque deux hommes, jouant partie contre deux autres, chacun d’eux défend son côté, sans qu’ils aient la permission de s’aider réciproquement.

☞ Au figuré, tenir son coin dans une Assemblée, c’est parler à son tour, de manière à se faire distinguer : expression familière.

Coin, terme de Trictrac. C’est la onzième case, en comptant depuis celle qui est voisine du tas des dames, & qui est effectivement à l’un des coins du trictrac. On dit, faire son coin ; pour dire, faire la onzième case, y mettre deux dames. Prendre son coin, c’est la même chose que faire son coin. Pour faire son coin, il faut du coup de dé y pouvoir mettre deux dames à la fois ; & pour le prendre plutôt & plus facilement, il faut avoir toujours, s’il est possible, des dames sur les cases de quine & de sanne, sur-tout quand celui contre qui on joue, a le sien. On l’appelle aussi coin de repos. Quand on dit simplement coin de trictrac, on entend toujours parler du coin de repos, qui est, comme on l’a dit, la onzième case. Traité du Trictrac. Battre le coin de son adversaire, c’est comme battre une dame, c’est, du nombre du dé que l’on a amené, tomber sur le coin de son adversaire, quand il n’est pas fait, qu’il est encore vide, qu’il n’y a point de dames.

On dit, les coins de sanne & de quinne, c’est la sixième & la cinquième case, qu’on appelle aussi coin bourgeois. Traité du Trictrac. Sortir son coin, c’est en tirer les dames. Ibid. Il seroit plus régulier de dire sortir de son coin.

Coins Bourgeois, autres termes de Trictrac. Ce sont les deux coins qui sont les plus près de la charnière, par rapport à chaque joueur, ou bien, c’est pour chaque joueur la cinquième & la sixième flèche. Quelle que soit la signification de ces termes, il est certain que dans un commencement de partie, on doit chercher à garnir ces coins bourgeois le plutôt qu’on peut.

Coin arrondi. Il y a plusieurs fruits dont les coins sont arrondis, c’est-à-dire, que leur arête est rabattue & arrondie. Dict. de James.

Coin se dit aussi de plusieurs ornemens qu’on met à diverses choses. Angulos, partes extremas vestire, tegere auro, vel argento. Il a fait mettre des coins d’argent à cette cassette, à cette table, à cette paire d’Heures ; pour dire, des plaques d’argent aux extrémités. Il a fait broder les coins de son bas de soie : c’est l’endroit qui est vers la cheville du pié, ou l’estame & le tissu se divisent.

Coins se dit aussi de petits ouvrages de marqueterie, armoires, ou tablettes qui se placent dans les angles des appartemens.

Coin se dit encore des faux cheveux que les hommes & les femmes ajoutent à leurs cheveux naturels, pour les faire paroître ou plus épais ou plus longs ; mais en ce sens il ne se dit guère qu’au pluriel. Mentiti capilli, falsa coma. Il a été obligé de prendre des coins, à cause que ses cheveux sont trop courts : ce sont des cheveux postiches, que les hommes mettent pour faire paroître leurs cheveux plus longs, & que les femmes portoient autrefois pour retrousser & enfler leurs coëffures. Comme Louis XIII aimoit les cheveux, on lui fit plaisir de les porter longs : ce changement embarrassa les Courtisans ; ceux de la vieille Cour, qui étoient à demi-rasés, furent contraints, pour se mettre à la mode, de prendre des coins ou perruques. Le Gendre.

Coin, en termes de Fauconnerie, se dit des plumes qui forment les deux côtés de la queue de l’oiseau. Latus. Les deux grandes pennes du milieu de la queue sont appelées les couvertes ; les deux premières de chaque côté sont les premières du coin, les suivantes, les deuxièmes du coin, & ainsi des autres.

Coin, terme de Doreur sur tranche. C’est un petit ornement autour des bouquets, qui sont sur le dos des livres reliés. Impressæ librorum teguminis notæ. Pousser les coins se dit aussi du petit fer qui est figuré, & qui ayant un manche de bois, sert à pousser les coins sur le dos des livres. Typus ferreus signandis librorum tegumentis.

Coin, en termes de Maréchallerie, se dit des quatre dents du cheval situées entre les mitoyennes & les crocs, qui poussent lorsque le cheval a quatre ans & demi. Dentes extremi.

Coins se dit aussi, en termes de Manége, des quatre angles, extrémités, ou lignes de la volte, lorsque le cheval travaille en carré. Ce cheval a fait les quatre coins. Anguli.

Coin signifie, dans les Méchaniques, une pièce de bois ou de fer, plate & fort aiguë, qui sert à fendre, presser, ou élever d’autres corps. Cuneus. Le coin est le second principe des Méchaniques, qui a la force de feux leviers inclinés l’un vers l’autre, & qui agissent à droit & à gauche. Les plus gros arbres se fendent avec des coins. Les cognées, couteaux & autres instrumens fendans & tranchans, n’agissent que par la vertu du coin. ☞ La hauteur du coin est toujours représentée par une ligne perpendiculaire tirée du sommet sur la base. Suivant les principes de la Méchanique, la vîtesse de la puissance qui se sert du coin, l’emporte autant sur la vîtesse de résistance, ou des parties qu’il faut diviser, que la hauteur du coin l’emporte sur sa base ; parce que le coin poussé par la puissance ne peut pas s’enfoncer de toute sa hauteur dans un morceau de bois, sans en séparer les parties de toute la longueur de sa base. C’est pour cela, sans doute, que les coins aigus qui ont beaucoup de hauteur & peu de base, augmentent considérablement la vîtesse de la puissance. Les Canonniers ont des coins de mire, qui sont des pièces de bois, minces par un bout, & épaisses par l’autre, qui servent à élever la culasse des canons pour les pointer. Les Menuisiers, les Tonneliers ont des coins pour serrer ou presser les chassis, les cerceaux, & autres ouvrages. Les Imprimeurs chassent des coins dans leurs formes pour les serrer & tenir en état. Les Maçons ont aussi des coins ou cales sur lesquels ils posent leurs pierres. Les Cordonniers en ont aussi, & ce sont de petits morceaux de bois pour hausser le cou du pié des souliers, lorsqu’ils sont sur la forme.

Coin, terme de Facteur d’Orgues. C’est un petit morceau de bois, de figure conique, qui sert à boucher le trou que l’anche & la languette des jeux d’anche laissent dans la noix.

☞ Chez les Jardiniers, le coin est un instrument qui sert, dans la greffe, à ouvrir la fente que le couteau a commencée.

Sur mer, on appelle coins du mât, des coins de bois traversé, des chevilles de fer, qui servent à resserrer le mât, quand il est trop au large dans l’étambraie du pont ; coins d’arimages, des coins qu’on met entre les futailles en les arimant ; coins de chantier, des coins qu’on met entre les tins & la quille, lorsqu’on la pose sur le chantier ; on les enfonce à coups de bolin, lorsqu’on veut lancer le vaisseau à l’eau. Les Serruriers appellent coins leurs tranchoirs à fendre.

On trouve quelquefois en Angleterre, en fouïssant la terre, des instrumens de cuivre, qui ont la forme d’un coin. Ils sont de différentes grandeurs, depuis trois jusqu’à quatre pouces de longueur, & larges d’un pouce & demi. Ils sont affilés par un bout comme une hache, s’élargissant un peu à ce bout-là ; & par l’autre bout, & tout le reste de leur corps, ils sont carrés. Ils sont creux & ouverts par le gros bout opposé à celui qui est tranchant ; à l’un des côtés de ce gros bout est une petite anse. Les côtés ont l’épaisseur d’une ligne environ, quelquefois plus & quelquefois moins. Ce n’est pas seulement en Angleterre qu’on en trouve, il y en a aussi en France. J’en ai vû dans le Cabinet de M. Foucault, qui ont été déterrés en Normandie, & j’en ai un qui en vient aussi. Il a quatre pouces de long, un pouce de large sur chaque face à l’endroit aigu, un pouce & sept lignes dans sa plus grandes largeur. Les Antiquaires sont partagés sur l’origine & l’usage de ces coins. Quelques-uns les ont pris pour des pointes de flèches, ou des haches d’armes des anciens Bretons ; mais, en vérité, ils sont trop gros pour des pointes de flèches, & paroissent bien petits pour des haches d’armes. D’autres ont cru que c’étoient des têtes de Catapultes des Romains. Speed, Historien Anglois, a cru que c’étoient des armes des anciens Bretons. M. Hearne, habile Antiquaire Anglois, n’est pas de ce sentiment, parce que ces coins n’ont aucun rapport à aucunes des armes des anciens Bretons que nous connoissons. De plus, puisqu’on en trouve en France, il ne paroît pas que ce soient des armes des Bretons ; car, de prétendre que les Bretons étant originairement Gaulois, leurs armes & celles des Celtes étoient semblables, & que les coins que l’on trouve en France sont des monumens des anciens Gaulois ; cela ne paroît pas vraisemblable, parce qu’aucune des armes gauloises, que nous connoissons beaucoup mieux que celles des Bretons, n’ont de rapport à ces coins. M. Hearne a cru d’abord que c’étoient des instruments servans aux sacrifices chez les Romains, mais ils ne ressemblent point à toutes les figures que nous en avons. Ainsi il conclut que c’étoient des ciseaux dont les Romains se servoient à tailler & à polir les pierres dont ils faisoient les murailles qui entouroient leurs camps. Le trou qu’on y voit servoit à les emmancher, & la petite anse à les pendre à la ceinture des soldats & ouvriers ; & en effet, les soldats sont ainsi représentés sur la colonne Trajanne. D’ailleurs, rien n’est plus commun parmi les Anciens que les instrumens de cuivre. Tous les Auteurs en parlent ; & Cambden prouve que non seulement les outils, mais aussi les armes des Grecs, des Cimbres & des Bretons, étoient de ce métal, auquel les Anciens savoient donner une trempe qui nous est inconnue. Un curieux Antiquaire, qui depuis quelques années, a trouvé de ces coins dans l’Île de Man, aussi bien qu’un grand nombre d’urnes, avec des inscriptions Rhuniques, conclut de-là que ce sont des monumens ; parce que les Romains, dit-il, n’ont jamais mis le pié dans cette Île. Mais M. Hearne n’est pas de son avis ; car Plutarque assure qu’un nommé Démétrius passa à l’Île de Man sous l’Empereur Adrien.

Un Curieux de France a conjecturé que ces coins, emmanchés d’une manière convenable, pouvoient servir aux soldats pour escalader les murs, ou pour monter par dehors sur des machines de guerre, en les faisant entrer à force dans les joints des pierres, des poutres, ou des ais ; & que la petite boucle servoit à les pendre à la ceinture des soldats. Mais en vérité, ces instrumens sont bien peu propres à entrer dans les joints des pierres, ils sont trop gros. Un autre croit au contraire que ce sont les dents des roues avec lesquelles on bandoit les balistes. Il s’appuie de l’autorité de Vitruve, qui dans le ch. 16 de son Xe Liv. dit en effet, qu’il y avoit des balistes que l’on bandoit avec des roues à dents : d’où cet Antiquaire prétend que les coins en question, creux en dedans, étoient employés à emboîter des morceaux de bois, qui étoient attachés comme des dents à tenons & à mortoises, aux jantes des roues, qui servoient à bander les balistes : ces roues, dit-il, étoient ensuite arrêtées par des crémaillères, & attachées aux deux côtés de la baliste. L’anse ou l’anneau, qui est à côté des coins, servoit, selon lui, à les emboîter ou déboîter plus aisément, en y passant une petite barre de fer pour les frapper. Les grandeurs différentes, ajoute-t’il, font voir qu’ils servoient à des roues de différentes grandeurs. Voyez la Dissertation de M. Hearne sur des Monumens anciens trouvés dans la province d’Yorck, & les Mémoires de Trévoux 1713, pag. 287 & 1534, & 1714, pag. 1777.

Coin, terme de l’Art Militaire chez les Anciens. Cuneus. On donnoit ce nom, selon Végece, à un corps de Troupes rangées en forme de coin, qui va en s’étrécissant par le front : ce triangle servoit à rompre la ligne des Ennemis. Selon M. le Chevalier Folard, le Cuneus des Anciens n’avoit pas la figure d’un coin : c’étoit un corps de Troupes qui avoit beaucoup de profondeur, & peu de front. Il répondoit à nos colonnes.

Coin, en Architecture, est une espèce de dé coupé diagonalement suivant le rampant d’un escalier, qui sert à porter en bas des colonnes de niveaux, & à racheter par en haut la pente de l’entablement qui soûtient un berceau rampant. Lapis in cuneum sectus. Ces coins font aussi le même effet aux balustres ronds qui ne sont point inclinés suivant une rampe.

Coin de Beurre, c’est une pièce de beurre d’une livre, ou demi-livre, qui est de figure plate, & pointue par les deux bouts. Butiri massa cunei in speciem informata.

Coin, en termes de Monnoie, est le morceau de fer trempé & gravé, qui sert à marquer, à frapper les monnoies, les médailles, les jetons. Typus monetalis. On change tous les coins des monnoies. Cet écu est marqué d’un faux coin.

On appelle aussi coin, le poinçon, la marque qu’on met sur la vaisselle d’argent ou d’étain. Typus vasis aut ex argento aut ex plumbo candido signandis. Cette aiguière d’argent est du coin ou du poinçon de Paris. Ce Maître Potier d’étain a un tel coin, une telle marque. Chaque Maître est obligé de porter son coin, de laisser une empreinte de sa marque sur une table au Greffe de la Cour des Monnoies, à l’égard des Orfèvres ; ou au Greffe de la Police, à l’égard des autres ouvriers.

☞ On dit d’une médaille qui s’est très-bien conservée, qu’elle est à fleur de coin.

Coin, pris aux deux derniers sens, se dit figurément des bonnes & des mauvaises qualités ; mais plus ordinairement il ne se dit que des bonnes. Ainsi, l’on dit d’un homme qui a plusieurs bonnes qualités, qu’il est marqué au bon coin. Notâ de meliore. Cela se dit aussi des ouvrages qui ont quelque chose d’excellent. Tout est grand & admirable dans la nature, il ne s’y voit rien qui ne soit marqué au coin de l’ouvrier. La Bruy.

Toi qui sais à quel coin se marquent les bons vers.Boil.

Un Poëte a dit en parlant de la Cour.

Là de dehors trompeurs le crime revêtu,
Est marqué bien souvent au coin de la vertu.

Nouv. choix de vers.

Coin. s. m. Quelques-uns écrivent coing. C’est le fruit du coignassier. Cotoneum, Malum Cidonium ou Cydonium.

Ce fruit naît de la partie postérieure de la fleur & du calice du Coignassier. Voyez ce mot. Il est de la figure d’une poire ou d’un cône renversé, inégal sur sa surface, & couvert d’un coton épais, blanchâtre, qui s’efface à mesure que ce fruit mûrit : pour lors il est d’un jaune d’or & d’une odeur forte. Sa chair est ferme, d’un goût très-austère & très-âpre, & de couleur de miel. Le milieu de ce fruit est partagé en cinq loges, qui renferment quelques semences ou pepins semblables à ceux de la poire, & enduites d’un mucilage qui se fond dans l’eau.

Sa semence est d’usage en Médecine : on recommande son mucilage dans plusieurs occasions, où il faut calmer de grandes inflammations, comme celles des yeux, des hémorrhoïdes, &c. Les Médecins se servent encore du syrop de coin dans les dyssenteries & les cours de ventre. Voyez Cotignac.

Sa couleur jaune, a passé en proverbe, & l’on dit d’un homme qui est devenu jaune, ou qui a la jaunisse, qu’il est jaune comme un coin.