Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHÈVRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 527-528).
CHEVREAU  ►

CHÈVRE. s. f. Capra, capella. C’est la femelle du bouc. On se sert de poil de chèvre pour faire des chapeaux, & des camelots : de leur lait, pour faire des fromages ; & même quelques pauvres gens en mangent la chair. Varron assûre que les chèvres sont mal-saines, & qu’elles ont toujours la fièvre. Il est certain du moins que par la plûpart des Coutumes de France, il y a une prohibition perpétuelle de laisser aller les chèvres dans les champs, ou dans les prairies d’autrui, & qu’elles sont toujours en deffends. ☞ Il faut sur-tout écarter cet animal des arbres auxquels il porte un dommage considérable en les broutant. Varron soutient que ce mot a été dit a capra, comme carpa, de carpere, brouter. Les Mendésiens, & les habitans de la ville de Copte en Egypte adoroient les chèvres, ceux-ci parce qu’elles étoient le divertissement d’Isis. Vossius, de Idol. L. III, c.4’ 74.

Hérodote dit qu’on révéroit à Mendès une chèvre sur-tout, à la mort de laquelle on faisoit un grand deuil. Pendant qu’à Mendès on avoit de la vénération pour les chèvres, & qu’on n’y immoloit que des brebis, dans la Thébaïde au contraire, les victimes ordinaires étoient les chèvres, & on y respectoit les brebis. La chèvre étoit consacrée à Jupiter, à cause de la chèvre Amalthée qui fait la constellation de la chèvre.

Chèvre se dit proverbialement en ces phrases : prendre la chèvre, c’est se fâcher, se mettre en colère légèrement : c’est la même chose que, se cabrer, qui vient aussi du mot de chèvre.

D’un mari sur ce point j’approuve le souci,
Mais c’est prendre la chèvre un peu bien vîte aussi.

Mol.

Chèvre est aussi une machine dont se servent les Architectes, & Charpentiers, pour élever des pierres & des poutres. Capreolus. Elle porte de plus gros fardeaux que la grue, parce qu’elle n’a pas le bec si long. La figure de sa base est triangulaire, & est appuyée par deux bras & un ranchet ou une troisième jambe, qui en soutiennent le poinçon. A l’endroit où ces trois pièces se joignent, est pendue une poulie avec ses mouffles, dans lesquelles est passé un cable qui lève ce que l’on veut par le moyen d’un treuil ou tour, qui se meut avec des leviers passés à travers, & qui est appuyé sur les deux jambes de la chèvre. Il y a aussi des pinces de fer qu’on appelle piés de chèvre. Columelle l’appelle Capreolus.

Chèvre, chez les Charrons, est un outil qui sert pour lever le train de derrière d’un carrosse, pour en graisser les roues plus facilement.

Chèvre de Guideau, terme de Pêche. Ce sont les pieux sur lesquels on pose le rest ou sac de Guideau.

On donne aussi le nom de chèvre, dans les Salines de Lorraine, particulièrement dans celles de Moyenvic, à une espèce de grande table de bois sur laquelle les Sauniers dressent leurs meubles de sel à mesure qu’il se fait, & qu’ils le tirent du fond de la chaudière avec des rateaux.

On dit proverbialement. On ne peut pas sauver la chèvre & les choux ; pour dire, qu’on ne peut pas mettre une affaire à l’abri de toutes sortes d’inconvéniens, ni se ménager avec tout le monde. On dit aussi des choses qui n’ont aucune liaison ensemble, cela s’entretient comme crottes de chèvre. On dit encore, que là où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute ; pour dire, qu’il faut s’accommoder aux choses, aux temps, & à la situation des affaires où l’on se trouve engagé. On appelle barbe de chèvre, un homme qui n’a de la barbe que sous le menton, & par bouquets. On dit aussi, qu’un homme aimeroit une chèvre coëffée, lorsqu’il n’est pas difficile en amour, que toutes les femmes lui sont bonnes indifféremment. On dit, La chèvre a pris le loup, en parlant de ceux qui, pendant prendre ou tromper les autres, demeurent eux-mêmes pris. Cette expression se trouve dans un des dialogues de Lucien que d’Abalcnourt a traduit ainsi ; Voilà le proverbe arrivé, de la chèvre qui prit le loup ; & il ajoute cette remarque ; on dit aussi ce proverbe en notre langue, & l’on feint qu’une chèvre poursuivie d’un loup se sauva dans une maison déserte, dont elle ferma la porte par hazard avec ses cornes après que le loup fut entré, qui fut pris par ce moyen.

Chèvre. Constellation de l’hémisphère septentrional, composée de trois étoiles comprises entre les 45e & 55e degré de latitude nord, tout près du Cocher. L’une est de la première grandeur, & touche au 45e degré, les deux autres ne sont que de la 6e, & sont l’une au dessus de l’autre, entre le 50 & le 55e degré. Les Poëtes disent que c’est la chèvre d’Amalthée, qui nourrit Jupiter dans son enfance. On la surnommoit Olénie, Olenia, parce qu’elle avoit été nourrie dans la ville d’Olène en Bœotie ; ou parce qu’Olenus, fils d’une fille de Vulcain, la reçut entre ses bras, quand elle naquit. Quelques-uns disent que c’étoit un astre heureux ; cependant Horace l’appelle, L. III, Od. VII, v. 6, Insana Capræ Sidera. C’est, à ce que l’on croit, parce qu’elle fait des nuits froides, & que quand elle paroît, dit Pausanias, elle diminue les forces. Acosta écrit, L.V, c. 2, que les habitans du Pérou adorent la Constellation de la chèvre, qu’ils appellent Colea.

Chèvre, en Astronomie, est aussi une étoile de la première grandeur, située sur l’épaule gauche du Cocher. Capra.

☞ Les Physiciens appellent chèvre-dansante, un phénomène lumineux qui paroît quelquefois dans l’atmosphère, auquel le vent faire prendre différentes figures.

L’Île aux Chèvres. Île de l’Acadie, dans la Nouvelle-France. Capraria Acadica. Elle est au milieu du bassin du Port-Royal. Denis.