Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CAUSE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 332-334).
◄  CAUSATIVE
CAUSER  ►

CAUSE. s. f. Ce qui produit un effet. Causa. On dit en Théologie, que Dieu est la première cause. La cause des causes. On appelle cause première, celle qui agit par elle-même, & par sa propre vertu. Dieu seul peut être cause première. On l’appelle aussi cause universelle. Causa universalis.

Quand tu vois du Soleil l’éclatante lumière,
Et tous les feux du Firmament,
La raison & la foi doivent en ce moment
Elever ton esprit vers la Cause première.

 
L’Ab. Tétu.

On nomme causes secondes, celles qui ayant reçu de la cause première leur vertu, leur pouvoir d’agir, leur faculté, n’agissent point par elles-mêmes, comme la cause première, & qui sont mues par la cause première. Causæ inferiores, causes secundæ. Selon les notions & les principes de la raison commune à tous les hommes, l’on peut décider, qu’il y a une cause supérieure & intelligente, à qui toutes les créatures doivent leur être. S. Evr. Dieu suspend quelquefois l’action des causes secondes, & les conduit à une autre fin que celles où elles tendoient par leur destination naturelle, quand il le trouve à propos pour les desseins de la sagesse. Sherlock. Si Dieu remue immédiatement les causes secondes pour chaque événement, elles ne sont que de pures machines immobiles par elles-mêmes, & qui n’ont en elles aucun principe d’action. Id. La Providence se sert des causes secondes, des causes sublunaires, & en détermine le mouvement comme il lui plaît. Les causes secondes sont subordonnées à une cause générale, qui les met en action. Bay. Par un enchaînement de causes inconnues, mais déterminées de tout temps, chaque chose marche en son rang, & acheve le cours de sa destinée. Vaug. Socrate ne regarde la beauté que comme un effet de la nature, qui s’eleve à la connoissance de sa cause. Vill.

Les causes, en termes de philosophie, ont été distinguées par les Anciens en cause efficiente, c’est l’agent qui produit quelque chose, Causa efficiens conficiens, effectrix. Cause matérielle, c’est le sujet sur lequel il travaille, ou ce dont la chose est formée. Materia, materies. Cause formelle, c’est le changement qui résulte de son action dans le sujet, ou ce qui rend une chose telle, & la distingue des autres. Forma. La cause finale, c’est le motif qui le fait agir, ou la fin pour laquelle une chose est. Finis, propositum, causa finalis. Quelques-uns ont ajouté la cause exemplaire. Causa exemplaris, exemplum, exemplar. C’est le modèle que suit un agent, & qui le conduit dans son action mais ce n’est pas proprement une cause.

La cause physique est celle qui produit un effet sensible, & corporel : comme l’approche du Soleil est cause de la chaleur. Causa physica. La cause morale est celle qui produit un effet réel, mais dans des choses spirituelles ; comme le péché est la cause de la perte de la grâce. Causa moralis. D’autres appellent cause physique, celle qui produit l’effet par une qualité physique ; & cause morale, celle qui détermine, quoique non nécessairement, la cause physique à produire l’effet : ainsi le Soleil est cause physique de la lumière ; une pierre qui écrase un homme en tombant, est cause physique de sa mort ; mais les prières, les conseils, les menaces, les ordres, les exhortations, &c. qui nous portent & nous déterminent, quoique non nécessairement, à faire ou ne pas faire quelque chose, sont des causes morales. Dans ce sens, cause morale ne se dit qu’à l’égard des êtres intelligens & libres. Cette dernière notion de cause physique, & cause morale, est la plus juste : elle distingue mieux & fait mieux connoître les deux espèces de causes dont il s’agit.

Cause occasionnelle, est l’occasion seulement, & non pas la cause directe de ce qui arrive. Occasio, causa occasionem, ansam præbens : par exemple, l’ame ne pouvant pas agir sur le corps, ni le corps réciproquement sur l’ame, Dieu, à l’occasion d’un mouvement du corps, imprime à l’ame une pensée ; & de même à l’occasion d’une pensée de l’ame, il imprime un mouvement au corps ; d’où il s’ensuit que les mouvemens de l’ame, ou du corps, ne sont que les causes occasionnelles de ce qui se passe dans l’un & dans l’autre. Font. Selon les Philosophes modernes, le choc, ou la percussion, n’est que la cause occasionnelle du mouvement produit dans le corps choqué : c’est Dieu qui en est la cause immédiate & efficiente. Bay. De même ils disent que l’action des corps sur nos organes n’est point la cause efficiente de nos idées, & de nos perceptions : elle en est seulement une cause occasionnelle ; qui détermine Dieu à agir sur notre esprit, suivant les loix de l’union de l’ame & du corps. Id. C’est le sentiment des Cartésiens de nos jours.

Ceux qui méditeront un peu la matière, verront aisément les fâcheuses & les ridicules concluions qu’on en peut tirer : par exemple, ce n’est point un boulet de canon qui tue un homme, ou qui abat une muraille, c’est Dieu qui fait tout. Le mouvement d’un Canonnier, dont le bras remué par la puissance de Dieu a porté du feu sur la poudre d’un canon, a déterminé Dieu à enflammer la poudre ; la poudre enflammée a déterminé Dieu à pousser le boulet ; le boulet poussé avec une rapidité inconcevable jusqu’à la superficie extérieure du corps d’un homme ou d’une muraille, a déterminé Dieu à briser le corps de cet homme, & à lui fracasser les os, ou à faire voler des éclats des pierres de cette muraille. Un fantassin qui s’enfuit, ne s’enfuit pas ; mais le mouvement de sa glande pinéale agitée par l’impression d’un bataillon ennemi qui vient à lui, hérissé de bayonnettes au bout du fusil, détermine Dieu à remuer les jambes de ce fantassin, & à le porter du côté opposé d’où vient ce bataillon. Les conclusions dangereuses de cette nouvelle Doctrine regardent les dogmes catholiques de la liberté du péché, du mérite, &c. On a toujours dit dans un sens moral, que le monde est un théâtre où l’on joue la comédie ; chacun y fait son rôle : mais on pourroit dire aujourd’hui dans un sens naturel, si la chose n’étoit pas si sérieuse, & qu’elle ne regardât pas Dieu & la Religion, que le monde est un théâtre de marionnettes, & que chaque homme est un Polichinelle, qui fait beaucoup de bruit sans parler, & qui s’agite beaucoup sans se remuer.

La cause universelle est celle qui par l’étendue de son pouvoir peut produire tous les effets : il n’y a que Dieu qui soit cause universelle. Causa universalis. La cause particulière est celle qui ne peut produire qu’un seul effet, ou que certaines espèces d’effets. {'lang|la|Causa singularis}}, ou particularis. La cause principale, est celle qui donne le mouvement à l’instrument ; qui s’en sert. Causa principalis. Dans l’usage ordinaire, & ailleurs que dans les ouvrages dogmatiques, on appelle cause principale, celui qui a plus de part à une chose que les autres. Cause totale est celle qui produit tout l’effet. Causa totalis. La cause partielle, Causa partialis, est celle qui concourt avec un autre pour la production du même effet. Cause univoque est celle qui est de même espèce que son effet, qui est semblable à son effet. Causa univoca. Cause équivoque est celle qui n’est pas de la même espèce que l’effet qu’elle produit. Causa æquivoca.

On dit qu’un homme est cause d’un scandale, d’une querelle, d’une guerre, de la fortune de quelqu’un ; pour dire, qu’il en a fourni les occasions. Je ne suis pas cause de ce qui lui est arrivé. Les hommes par leurs artifices & par leurs feintes passions, sont cause du malheur de celles qui se laissent tromper. M. Scud. L’ignorance invincible est une excuse légitime des crimes dont elle est cause. S. Evr.

Cause signifie aussi raison, prétexte, sujet, moyen qui sert à défendre, louer ou blâmer quelque chose. C’est pour cette cause qu’on l’a fait mourir. Un Juge se doit déporter, quand il fait qu’il y a des causes de récusation contre lui. L’Arrêt déclare qu’à bonne & juste cause il a formé son opposition. Il a été accusé à tort & sans cause. Sans alléguer aucune cause elle rompit tout commerce avec moi. Voit.

As-tu de ton espoir des causes légitimes ?
Quand tu crois te sauver sur quoi te fondes-tu ?
Toi, pécheur, de qui la vertu
Consiste à s’abstenir des plus énormes crimes.

L’Abbé Tetu.

Cause, en termes de Palais, signifie un droit acquis à quelque personne par quelque titre que ce soit, vente, cession, donation, succession, confiscation, &c. Jus. Ainsi on dit, ses héritiers ou ayant cause. On dit aussi, qu’un homme a une bonne cause y quand il a un droit apparent. Les Juges doivent être toujours pour la bonne cause. Æquitas.

Cause, se prend aussi pour intérêt. Causa, partes. La cause des pauvres est la cause de Dieu. En matière de Religion, la cause de Dieu devient d’ordinaire la nôtre, parce que nos passions se mêlent avec elle. S. Evr. Darius fit prier Alexandre de venger sa mort, & lui fit dire qu’il devoit cet exemple au monde, & que c’étoit la cause commune de tous les Rois. Vaug. C’est la cause publique qui réside en la bouche des gens du Roi.

Cause se prend aussi pour ce qu’on appelle parti. Etre pour la bonne cause. Vaug. La faveur de Dieu n’est pas moins attachée aux bonnes mœurs qu’à la bonne Cause. Sherlock.

Cause, signifie aussi différent, contestation qui doit être plaidée à l’audience. ☞ On dit procès quand il s’agit d’une affaire qui s’instruit par écritures. Cause se dit quelquefois du plaidoyer même. Causa, lis, controversia. Cette cause a été appelée à tour de rôle. Citata præconio apparitoris causa apud judices ad instituendam ejus disceptationem, Cet Avocat a bien plaidé sa cause. C’est une belle cause, une belle question à juger. Le renvoi se doit demander avant que la cause soit contestée. La contestation en cause se fait par l’appointement en matière civile, & par la confrontation en matière criminelle. Prendre fait & cause d’un autre, c’est, prendre en main sa défense, prendre sur soi l’événement du procès. Tueri partes alicujus. Cet homme est fort habile, il défend bien sa cause. Ceux qui perdent leur cause doivent être condamnés aux dépens. On dit encore, mettre un homme en cause ; pour dire, le rendre partie au procès. Tous les garans, tous les cohéritiers ont été mis en cause. Il n’est pas en cause. On l’a mis hors de cause ; c’est-à-dire, on l’a débouté de son intervention. Tite-Live rapporte, qu’Horace fut absous, plutôt par l’admiration de sa vertu, que par la justice de sa cause. S. Evr. Les preuves dont un Avocat appuie sa cause, font que les Juges la trouvent bonne ; mais les affections dont il l’anime, font qu’ils souhaitent qu’elle soit bonne. Bouh.

. . . . . . Huissier, faite faire silence :
Avec tous ces causeurs étes-vous de complot ?
Quelle pitié ! voilà quatre causes, je pense,
Que nous jugeons, sans en entendre un mot.

S. Ussan.

On appelle aussi la cause grasse, une cause plaisante, & sur un fait inventé, que les Clercs de la Basoche plaidoient autrefois pour se divertir le jour du Mardi gras, & qu’on a abolie depuis peu, à cause des ordures, dont elle étoit souvent remplie. Causa jocularis. Quand on plaide au Palais quelque cause plaisante, on dit encore une cause grasse.

On appelle Curateur aux causes, un homme préposé pour avoir soin des affaires des mineurs émancipés, qui ont des procès. Pupilli curator. On dit, qu’un homme a ses causes commises, quand il a droit de plaider en certaine Juridiction, comme les Officiers qui ont un Committimus aux Requêtes du Palais & de l’Hôtel ; l’Université au Châtelet de Paris ; l’Ordre de Cluni au Grand Conseil.

Une cause d’appel, est un différent sur la confirmation ou cassation d’un Jugement donné à l’Audience par un premier Juge. Provocationis causa, lis ex provocatione.

Il y a plusieurs écritures qu’on nomme absolument cause ; comme cause d’appel, sont les écritures qu’on donne en conséquence d’un appointement rendu à l’Audience sur une appellation verbale, à la différence des griefs qu’on donne sur les procès par écrit, qui ont été appointés devant les premiers Juges. On appelle aussi des causes d’opposition, les écritures qui se fournissent dans les décrets & instances d’ordre pour soutenir les oppositions qu’on y a formées. Lis contestata.

Cause Incidente, est une demande formée incidemment par l’une des Parties, qui a quelque connexité à la demande principale.

Cause d’Intervention. Voyez Intervention.

Cause Sommaire est celle qui est pure, personnelle, & n’excède pas la valeur de 400 livres aux Cours souveraines, aux Requêtes de l’Hôtel & du Palais, & par-tout ailleurs 200 livres, suivant l’art. I, tit des Matières Sommaires de l’Ordonnance de 1667.

Cause Bénéficiale, est celle dans laquelle il s’agit de bénéfice Ecclésiastique, de dixme, de portion congrue, & autres choses semblables.

Cause pie est celle qui provient de la libéralité des Fidèles, exercée envers une Eglise, un Hôpital, ou les pauvres.

Cause est aussi le motif, le fondement d’un acte. Une obligation sans cause est nulle. Une promesse pour cause de prêt.

On appelle Donations à cause de mort, les donations qui sont faites par un malade qui meurt de la maladie dont il est alité, & qui sont sujettes aux mêmes formalités que les testamens.

On se sert aussi dans les Requêtes, Arrêts, Edits & Déclarations, de cette formule : à ces causes, pour commencer la conclusion, le dispositif de l’acte. Proptereà, idcircò, ob eam causam. La seconde partie du décret de Gratien se divise en trente-six sections, qu’on appelle causes.

Ce nom de cause, vient de ce que Gratien examine de part & d’autre dans la seconde partie les questions qu’on peut agiter, tant au for intérieur qu’extérieur de l’Eglise, en une telle cause, en une telle distinction.

On appelle aussi en Droit Canon les causes majeures, les causes des Evêques, ou plutôt les grandes affaires de l’Eglise. Ces causes majeures sont de trois espèces suivant l’ancien Droit. Les unes regardent la foi ; les autres ont pour objet les points douteux & importans de la discipline ; & les dernières regardent directement la personne des Evêques, lorsqu’ils le trouvent coupables de quelque crime qui mérite la déposition. Le Droit nouveau en a introduit encore quelques autres espèces. Le plus ancien Canon où il soit fait mention des causes majeures, est tiré de l’Epitre Décrétale du Pape Innocent I, à Victrice, Archevêque de Rouen. Ce Canon qui est de l’an 404, porte que lorsqu’il se présentera des causes majeures, elles seront terminées par le jugement des Evêques, & ensuite rapportées au Siège Apostolique, ainsi qu’il est ordonne par le Synode, c’est-à-dire, par le Concile de Sardique, & non pas par celui de Nicée, comme quelques-uns ont cru mal-à-propos. M. Gerbais, Docteur de Sorbonne, imprima en 1679, à Paris, Dissertatio de Causis Majoribus ad caput Concordatorum de Causis.

☞ Le Concile de Trente ordonne que les causes criminelles contre les Evêques, si elles sont assez graves pour mériter déposition ou privation, ne seront examinées & terminées que par le Pape. Mais l’Eglise de France a conservé l’ancien droit.

Ce mot de cause, en y ajoutant la particule à, sert à former quelquefois une préposition, de quelquefois un adverbe. Quand il est préposition, il gouverne le génitif. Rei alicujus causâ, gratiâ. Il a fait cela à cause de moi. On l’estime à cause de sa doctrine. Les animaux ont été crées à cause des hommes, c’est-à-dire, en leur considération. Et quand il est adverbe, il est suivi d’un que, & signifie parce que. Propterea quod. Cet Ecolier, a été châtié à cause qu’il ne vouloit point étudier. On écrivit une lettre en gros caractères à Antigonus à cause qu’il étoit borgne, & un aveugle, dit-il, y mordoit. Abl. Mais en de pareilles occasions il vaut mieux se servir de parce que.

Cause se dit proverbialement en ces phrases. C’est un Avocat à tort & sans cause ; un Avocat de causes perdues. La guerre est cause des troubles ; ce qui se dit à ceux qui se plaignent d’un malheur public, qu’on ne sauroit empêcher.