Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CARTE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 288-289).
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CARTE. s. f. Papier. Charta. Il n’est plus en usage que dans cette phrase, donner la carte blanche à quelqu’un, ou donner carte blanche ; pour dire, lui donner un papier blanc ligné pour le remplir de ce qu’il lui plaira.

On le dit aussi au figuré, pour dire ; se soumettre à toutes les conditions qu’un autre nous voudra imposer ; lui laisser la liberté entière de faire ce qu’il lui plaira, dans une affaire qu’on lui propose, ou dont on le charge. On dit, avoir carte blanche, de celui à qui on la donne. ☞ Dans l’art militaire, dire qu’un Général a carte blanche, c’est dire qu’il peut attaquer l’ennemi sans avoir besoin d’ordres particuliers, sans en avertir la Cour auparavant.

Carte, se dit aussi du mémoire de la dépense d’un repas, chez un Traiteur. Apportez la carte.

Carte, signifie en général le carton dont se servent les Artificiers. Ils en désignent l’épaisseur par le nombre des feuilles de gros papier gris dont il est composé : ainsi l’on dit de la carte en deux, trois, quatre ou cinq, sans y ajouter le mot de feuilles, qui est sous-entendu chez eux & chez les Marchands qui les vendent. On désigne les petites cartes, en les appelant cartes à jouer, & le gros carton plus roide & moins propre au moulage, qui doit être flexible, s’appelle carte-lisse.

Carte, est aussi une grande feuille de papier ou plusieurs feuilles collées ensemble, sur lesquelles on a tracé, dépeint ou gravé la représentation du monde, ou de ses parties. Tabula. Les cartes géographiques contiennent la description des terres, les hydrographiques, celle de la mer ; les chorographiques, celle d’une région ; les topographiques, celle de quelques lieux particuliers.

Hévélius a fait le premier des cartes sélénographiques, qui contiennent la description des figures qui apparoissent dans la lune. La carte universelle, qui représente toute la surface de la terre ou les deux hémisphères, s’appelle mappemonde. Totius orbis in tabula descriptio. On dit aussi des cartes cosmographiques ; pour dire, la description du monde. La carte particulière est celle qui représente quelques pays particuliers, ou quelques portions de pays. On a trouvé l’invention de faire des cartes topographiques fort exactes, en faisant des observations avec des instrumens garnis d’alhidades en deux stations. Le premier qui en a écrit, a été Philippe d’Amfrie, Tailleur général des monnoies de France en 1597 & les PP. Jean-François Schot & Pardies, Jésuites, comme a rapporté le sieur Comiers en son Traité des Lunettes. On prétend que Sesostris, premier Roi d’Egypte, qui se rendit redoutable par les armes, fut aussi le premier des hommes qui inventa les cartes géographiques, pour faire connoître l’étendue de ses conquêtes.

Carte Marine ou Hydrographique, est la projection de quelques parties de la mer sur un plan, pour l’usage des Navigateurs : c’est une carte où l’on prend peu de soin de marquer les villes qui sont en terre ferme ; mais on y décrit exactement la mer, les côtes, les ports, les rochers, les îles, les bancs de fable, les fèches & les golfes. Marina, nautica tabula. On y décrit aussi, outre les longitudes & latitudes, les lignes des rhumbs des vents. On y marque les méridiens en lignes parallèles ; ce qui est sujet à beaucoup d’erreurs. On se sert sur la méditerranée de cartes par routes & distances. Elles n’ont point d’autres lignes que celles des rhumbs des vents ; & une seule échelle, qui se mesure par milles. Les matelots ont des cartes au point plat, au point commun, qui sont les ordinaires ; d’autres au point réduit, quand les degrés de latitude, c’est-à-dire, les degrés qui courent nord & sud, sont tous inégaux entr’eux, plus petits auprès de l’équateur, & plus grands à mesure qu’ils s’approchent des pôles ; ce qui arrive, lorsque la projection de la carte est telle, que le pole y sert de centre, & que les rayons en marquent les méridiens.

Carte plate, est une carte qui représente une moyenne étendue, comme sont les côtes ; qui ont une échelle de lieues, & de plus les degrés de latitude marqués sur leurs côtés parallèles au méridien. Plus les cartes sont à grands points, c’est-à-dire, plus elles sont grandes à proportion du terrain qu’elles représentent, plus elles sont parfaites.

On appelle cartes réduites, celles où les degrés de latitude vont en augmentant de l’équateur vers les pôles, en raison des sécantes. Ainsi, prenant pour un degré de l’équateur, & pour le premier degré de latitude, ou le rayon entier, ou une partie aliquote quelconque de ce rayon, on prerd pour le second degré de latitude la sécante d’un degré, ou la partie aliquote semblable de cette sécante. Pour le 3e degré, on prend la sécante de deux degrés, ou la partie aliquote semblable, & ainsi de suite.

Lorsque l’on veut avoir une carte à plus grand point, on prend pour 30 minutes de latitude, ou pour 30 minutes de l’équateur, un rayon de cercle, ou une partie aliquote quelconque de ce rayon : pour un degré de latitude, on ajoute de suite la sécante de 30 minutes. Pour le second degré de latitude, on ajoute la sécante de 30′ ou les parties aliquotes semblables de ces sécantes, & ainsi de suite. C’est absolument la même construction pour les échelles de latitude. Dans les cartes au plus grand point, comme celles du Neptune François, au lieu de prendre les sécantes de degré en degré, ou de démi-degré en demi-degré, on les prend de 10 minures en 10 minutes, & même plus près à près ; & tous les Auteurs conviennent que les cartes réduites & les échelles de latitude, sont d’autant meilleures, que l’on prend de suite de plus petits arcs. De Lagny, Acad. des Sciences, 1703, p. 96, 97. On dit que les cartes sont réduites en grand ou en petit point, suivant que la divison des degrés est faite en un plus grand ou en un plus petit nombre de parties. Snellius est le premier Auteur des cartes réduites.

Carte de Mercator, ainsi nommée de Mercator, qui l’a proposée le premier, est celle dans laquelle les méridiens & les parallèles sont représentés par des droites parallèles, mais où les degrés des méridiens sont inégaux, & croissent toujours à mesure qu’ils s’approchent au pôle, dans la même raison que ceux des parallèles décroissent sur le globe, au moyen de quoi, ils conservent entr’eux la même proportion que sur le globe.

Pointer la carte, c’est marquer le lieu sur la carte où on croît être en pleine mer, suivant l’observation & l’estime d’un Pilote. Altum mare in tabula nautica designare.

On fait aussi sur terre des cartes de routes pour les logemens de gens de guerre, &c pour les campemens : & on dit, ôter quelqu’un de dessus la carte, pour dire l’exemter du logement des gens de guerre, faire détourner un peu la route.

Savoir la carte, se dit au propre de ceux qui savent la Géographie. Peritum esse Geographiœ, in Geographia esse versatum. Il se dit mieux encore, au figuré, de ceux qui connoissent les intrigues d’une Cour, le train des affaires d’un Etat, les détours d’une maison, les connoissances, les habitudes, les secrets d’une famille, d’un quartier. Occultas aulicorum artes, initas rerum rationes, secreta domus, arcana familiarum nosse, callere. Balzac a dit qu’il est aisé de trafiquer sur la carte, c’est-à-dire, qu’il est facile de donner des conseils, loin des événemens & du danger.

Carte Astronomique, est une carte qui représente les Constellations, dans la situation qu’elles ont les unes à l’égard des autres. Tabula astronomica.

Carte Généalogique, est une carte qui contient toute la Généalogie d’une Maison. Tabula genealogica.

Carte signifie aussi, un corps fait de plusieurs feuilles de papier collées ensemble, ou de papier haché, mouillé, réduit en bouillie, rassemblé & sèché dans une presse. Charta spissior, On met de la carte dans les collets de pourpoint, & dans plusieurs autres choses qu’on veut rendre dures & fermes. On fait des images de carte dans des moules, des plaques ; des ornemens de plafond avec de la carte dorée.

Carte, en termes de Cartier, est une feuille de carton, où il y a plusieurs cartes sans êtres coupées. Tabula pictis foliis lusoriis distincta.

Cartes, se dit plus ordinairement au pluriel, quoiqu’on dise aussi fort bien au singulier, une carte. ☞ Petits feuillets de carton fin coupé en carré long, blancs d’un côté, marqués de l’autre de quelque figure & de quelque couleur, dont on se sert à plusieurs jeux, qu’on appelle pour cette raison jeux de cartes. Folia lusoria. Il y a plusieurs jeux de cartes, le piquet, le brelan, l’ombre, le quadrille, la bassette, le lansquenet, la triomphe, le hère, l’impériale, le hoc, le reversis, la grande & petite prime, la menille, &c.

On appelle fausses cartes ou cartes préparées, des cartes qui ont des marques auxquelles on les connoît, & par le moyen desquelles on voit si elles sont dans le jeu de l’adversaire, ou qui servent à les faite tomber à qui l’on veut. Adulterinum folium. Les filoux se servent de cartes préparées, pour tromper ceux contre lesquels ils jouent. Cléon étoit d’un quart à la bassette avec une jeune dupe, pour laquelle il tailloit avec des cartes préparées. Chev. de Rior.

On dit aussi qu’il est entré une fausse carte dans un jeu, quand c’est une carte toute seule d’un point. Folium lusorium notæ inferioris. Elle est désavantageuse, parce qu’on est obligé d’obéir à une haute de même point qu’on jette, & qui fait perdre la main. Les Lydiens, pour charmer la faim pendant une extrême disette, inventèrent les cartes & la paume ; ils jouoient un jour, ils mangeoient l’autre. Le Gendre.

On dit aussi, battre, mêler, brouiller, couper les cartes ; lorsqu’on les manie long-temps pour en changer l’ordre & la disposition, & qu’ensuite on en sépare le jeu en deux, & qu’on met dessus celles qui étoient dessous, après quoi on les distribue. Miscere, perturbare.

On dit figurément en ce sens, que les cartes sont bien brouillées, quand dans un Etat, ou dans une Cour, il y a des troubles, des guerres, des dissensions, des intérêts & affaires fort difficiles à accommoder.

On dit figurément, le dessous des cartes, pour dire, une chose secrète. Je trahis son secret pour vous, par le plaisir que j’ai de vous faire voir le dessous des cartes, qu’il a dessein de vous cacher à vous-même. Madame de Sevig.

On dit proverbialement à un homme qui se plaint, & qui est difficile à satisfaire. Si vous n’êtes pas content, prenez des cartes.

On appelle jouer bien les cartes, faire des cartes, gagner les cartes, quand on fait un plus grand nombre de levées des cartes qu’on joue sur la table, que celui contre qui l’on joue. Scienter foliis pictis ludere, folia versare, dimittere.

On appelle cartes, ce que les joueurs laissent pour la dépense des cartes. Les domestiques ont les cartes.

On dit figurément d’une maison bien enjolivée, mais bâtie peu solidement, que c’est un château de cartes.

Carte. Dans l’Ordre des Chartreux on donne le nom de carte aux décisions du chapitre général de l’Ordre.

Carte de Charité. Nom en usage dans l’Ordre de Cîteaux. Charta charitatis. S. Etienne, Abbé de Cîteaux, ayant fondé plusieurs monastères en France & en Allemagne, & voulant les unir par les liens de charité & d’uniformité d’observances, dressa avec les Abbés & quelques Religieux de ces monastères le premier statut de l’Ordre qu’il appella la Carte de charité, qui contient en cinq chapitres tous les réglemens nécessaires pour l’établissement & la conduite de cet Ordre, & pour maintenir l’union, la régularité, la dépendance & la charité. P. Hel. T. V, p. 351. La carte de charité fut modifiée en 1265, par la Clémentine ou Bulle de Clément V.

Carte de Perruquier. Voyez Carde.