Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BRODEQUIN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 84).
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☞ BRODEQUIN. s. m. ou Bottine. s. f. Caliga. Chaussure d’un simple soldat Romain en guerre, d’où vient que le mot caligatus signifie un simple soldat. C’est ainsi qu’il faut entendre le passage de Suétone dans la vie d’Auguste. Coronas murales sœpè etiam caligatis tribuit ; qu’il accorda souvent des couronnes murales aux simples soldats qui montoient les premiers sur les murailles des villes ennemies. C’est ainsi qu’il faut entendre ce que dit Seneque de Marius qui de simple soldat, étoit parvenu au consulat. A caliga ad consulatum pervenisse. Aussi Agrippine fit-elle appeler Caligula son fils Caïus, à cause qu’étant né à l’armée, elle lui faisoit porter de ces bottines, comme les simples soldats, pour les gagner par cette complaisance. Cette chaussure venoit jusqu’au milieu de la jambe : la partie inférieure, ou le calceus, étoit une semelle de bois fort épaisse, quelquefois de cuir ; la partie supérieure, qui étoit proprement le caliga, étoit de cuir, quelquefois d’étoffe très-précieuse, lorsque cette chaussure devint à la mode, & passa des soldats jusqu’aux Princes. Elle étoit garnie de petits cloux de fer, & même d’or & d’argent. Il y avoit un fonds destiné pour fournir ces cloux aux soldats, qu’on appeloit clavarium, & les Officiers qui en étoient les distributeurs, se nommoient clavarii : tel fut le pere de Suétone. Justin nous apprend que tous les soldats de l’armée d’Antiochus firent orner leurs bottines de cloux d’or. Argenti certè, aurique tantùm, ut etiam gregarii milites caligas auro suffigerent.

Cette chaussur étoit carrée par en bas, & comme le calceus étoit fort épais, elle donnoit une taille de héros aux hommes ordinaires. Eschyle introduisit l’usage du brodequin, cothurnus, sur le théâtre, & le fit chausser à ses acteurs, pour leur donner une taille plus avantageuse : il étoit distingué du soc, espèce de soulier beaucoup plus bas, affecté à la Comédie. De-là, chez les Poëtes, le mot de brodequin ou cothurne désigne specialement la tragédie, & encore aujourd’hui on dit d’un Poëte qui compose de tragédies qu’il chausse le cothurne. Les Acteurs tragiques n’étoient pas les seuls qui se servissent de brodequins. Cette chaussure devint à la mode : les filles s’en servoient pour paroître plus grandes, les voyageurs pour se garantir des boues. Aujourd’hui il n’y a que les Comédiens qui s’en servent lorsqu’ils représentent quelque pièce tragique, ainsi que le pratiquoient les anciens.

Brodequin, selon Guichard, vient du grec Βρονιχὶς, qui est le nom d’une espèce de chaussure ; comme si l’on disoit beronequin. ☞ Cette espèce de chaussure est encore en usage chez nous dans certaines grandes cérémonies. Chausser les sandales & les brodequins à un Evêque à son intronisation. On chausse les brodequins aux Rois à leur sacre. Acad. Fr.

Brodequin, est aussi un terme d’Académiste, qui signifie une sorte de petits bas à étrier, qui sont de laine, & que les jeunes Académistes mettent avant que de se botter. Caliga. Ces brodequins ne viennent qu’à mi-jambe : ils servent à bien remplir la botte. Les bottes vont bien mieux avec des brodequins qu’avec des coussinets.

Brodequins, au pluriel, se dit d’une espèce de torture qu’on donne aux criminels par le moyen d’une chaussure de parchemin ☞ que l’on mouille & que l’on applique ainsi à la jambe du patient : cette jambe étant ensuite approchée du feu, le parchemin se retire, & en se retrécissant, il serre extraordinairement la jambe, & cause par là une très-grande douleur. On la donne aussi avec une sorte de brodequins qui sont quatre petits ais forts & épais, dont un se met d’un côté d’une des jambes, un autre entre les deux jambes, & les deux autres de l’autre côté de la seconde jambe, l’un à côté de l’autre. On lie tout cela ensemble avec de bonnes cordes, puis on prend ses coins de fer ou de bois que l’on fait entrer à coups de maillet entre les deux planches qui sont à côté l’une de l’autre. A mesure que l’on frappe, cela serre d’une manière si terrible, que l’on en a vû éclater les os & sortir la moële. On donne les brodequins à un criminel qui n’avoue pas de certaines choses qu’on voudroit savoir avec que de le juger.