Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BRETAGNE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 55-57).
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BRETAGNE. Nom de lieu. Britannia.

La grande Bretagne. Magna Britannia. Grande Île de l’océan, qui comprend l’Angleterre & l’Ecosse. C’est une espèce de triangle dont la base est la côte méridionale qui regarde la France. Tite-Live & Fabius Rusticus lui donnent la figure d’une hache. Quelques Anciens ont cru que cette Île avoit été autrefois jointe à notre continent. Ils prétendent que c’est le sens de ce vers de Virgile,

Et penitus toto divisos orbe Britannos. Ecl. 1, v. 67.

Et Servius l’assure positivement, en expliquant ce vers de Claudien. In Consim. Manlii.v. 51.

Et nostro diducta Britannia mundo.

Et peut-être pourroit-on trouver dans le nom de cette Île de quoi appuyer ce sentiment, comme on le verra ci-après. Quoi qu’il en soit les premiers habitans de la Grande Bretagne furent des Gaulois qui y passerent, ou qui y furent jetés des côtes de Picardie & de Flandres. On ne peut en douter, quand on fait réflexion. 1°. Qu’ils sont appelée Cumeri, & Kombri, & leur langue Kimry, de même que les Gaulois ont été appelés Cimbri, selon la remarque de Cambden. 2°. Que la religion étoit la même dans la Gaule & dans la Grande Bretagne, comme l’a remarqué Tacite ; que l’une & l’autre nation avoit ses Druïdes & ses Bardes, &c. 3°. Que l’ancienne langue des Bretons étoit la même que les langue des Gaulois, comme on peut s’en convaincre dans l’Archæologie Britannique de Lhuyd, a dans Cambden, Britan. p. 12, & suiv. Ce sont apparemment ces premiers habitans de l’Île qui lui donnerent son nom. On dit qu’ils la nommoient Pridain, ou Phridain, & que c’est de-là que s’est fait le mot de Bretagne & de Breton.

Au reste, ce n’est pas la seule Île que nous appelons aujourd’hui Grande Bretagne que l’antiquité a donné ce nom ; toutes les Îles de la mer, qui sont aux environs de la Grande Bretagne, furent appelées îLes Britanniques, comme il paroît par Denys le Géographe, l’Auteur du livre du monde attribué à Aristote, &c. Celle-ci fut cependant appelée par excellence Britannique, Βριταννικής ; Britannia, ou Bretannia, Βρέτανις, Βρετάνια. Elle se nomma aussi Albion. Quelques anciens Auteurs fabuleux prétendent qu’elle fut nommée d’abord Samothée, puis Albion, & enfin Bretagne. Elle avoit ce nom du temps de César, ou Anglois-Saxons, qui donnerent le leur à la partie qu’ils occupèrent, & la firent nomme Engelland, c’est-à-dire, Angleterre, tandis que la partie septentrionale, s’qppeloit Ecosse, du nom d’un peuple Irlandois qui s’y étoit établi. On a repris ce nom de Bretagne dans ces derniers siècles. Jacques I, qui avoit réuni les deux couronnes d’Angleterre & d’Ecosse en sa personne, projettoit aussi la réunion des deux Royaumes, & fit même battre des médailles à ce sujet, dont les Légendes étoient : Quæ Deus conjunxit, nemo separet : Et, Faciam eos in Gentem unam : &, Tueatur unita Deus ; &, Henricus rosas, regna Jacobus, par allusion à Henri VII, qui avoit réuni les deux factions de la rose blanche & de la rose rouge, en réunissant par son mariage avec Elizabeth fille d’Edouard IV, les droits des maisons de Lancastre & d’Yorck. Cependant Jacques ne put venir à bout de son dessin, auquel les Parlemens d’Angleterre & d’Ecosse s’opposerent également. Enfin, la Reine Anne l’a exécuté, en ne faisant qu’un Royaume des deux, & ordonnant qu’on l’appelât Grande Bretagne. Ainsi l’on a rappelé l’ancien nom, de l’étymologie & de la signification duquel on ne convient pas.

Un certain Galfredus Aturius, qui sous Henri II, donna une Histoire Britannique qu’il avoit tirée, disoit-il, des anciens Auteurs Bretons, prétendit que Brutus Troien, fils de Sylvius, petit-fils d’Ascanius, & arrière petit-fils d’Enée, après bien des avantures romanesques, étoit passé dans l’Île dont nous parlons, habitée pour-lors par des géans, & lui avoit donné son nom. Le Chevalier Thomas Eliot le titre du nom grec πρυτάνια, qui signifioit chez les Atheniens, les revenus publics de la République. Humfroy Lhuyd veut que ce mot soit formé de Pridcain, qui signifie fort blanche. Cela reviendroit au nom Albion que les Grecs lui donnerent. Ainsi ce n’auroit été qu’une interprétation du nom propre ; & ce qui pourroit appuyer ce sentiment, c’est qu’on en a usé de même en d’autres noms semblables, comme en celui d’Aquitaine, appelée par les Gaulois Armorique, ainsi qu’on le peut voir au mot Aquitaine. Mais Cabden prétend que cette étymologie est dure, & que cain, blanc, a passé, du latin candidus, dans l’anglois, & qu’il ne vient pas de plus loin. Pomponius Gallus dit que ce sont les Bretons de Gaule, ou les Armoriques, qui ont porté ce nom en Angleterre ; Goropius Becanus, que les Danois qui s’y établirent lui donnerent le nom Bridanium, qui signifie Libera Dania, & que de-là s’est fait Britania. D’autres tirent ce nom de Prutenia, la Prusse ; Bodin de Bretta, espagnol, quisignifie terre ; d’autres de Britin ; qui dans l’Athénée s’est dit pour signifier un port ; d’autres des Brutiens, peuples d’Italie, & quelques-uns du mot latin brutus, brutal, à cause des mœurs sauvages & barbares des habitans de cette Île. Cambden réfute toutes ces opinions. Bochart, qui rapporte tout aux Phéniciens, prétend que ce nom est phénicien, formé de ברת, terre, & אנה, étain, dont les mines qui sont en Angleterre donnèrent le nom à toute l’Île ; que les Bretons sont des colonies de Phéniciens, ou de Chananéens, que Josué chassa de leur pays, & qui se répandirent en Espagne, en Gaule, & en Angleterre plus de 300 ans avant le temps où l’on place le Brutus dont nous avons parlé. On pourroit dire que ce nom, pridain, venoit de פרד, separavit, disjunxit, pour marquer que cette terre a été séparée de notre continent. Cambden croit que Britannia vient de Brit, qui signifie peint, parce que ces peuples avoient coutume de se peindre le corps, pour se rendre, disent quelques-uns, plus effroyables dans les combats.

On ne sut que l’Angleterre étoit une Île que sous Domitien, & sur la fin du gouvernement d’Agricola, par une aventure que Tacite & Dion racontent. M. Jhuyd a fait un recueil de toutes les Grammaires & Dictionnaires de l’ancien breton , ou du bas-breton, qui ont rapport à l’ancien-breton, qu’il a intitulé Archæologia Britannica. On trouve beaucoup de choses curieuses & savantes sur l’ancienne Bretagne dans la Britannia de Cambden ; cet ouvrage a été traduit en anglois, & augmenté par Edmond Gibson, & cette traduction fut imprimée à Londres en 1695. Les Reliquiæ Cambdenianæ est aussi un bon livre, imprimé à Londres en 1637, dans lequel il y a des remarques curieuses touchant le langage des anciens Bretons. Pitsæus, Balæus, Wood, & en dernier lieu Nicholson, ont donné des listes & bibliothéques des Ecrivains de leur nation, tant anciens que modernes. M. Blair, Médecin Ecossois, a fait un ouvrage intitulé, Pharmaco Botanologia, ou Histoire complette des plantes médecinales de la Grande Bretagne.

Les Îles de la Grande Bretagne. Insulæ Britannicæ. Ce sont des Îles d’Europe, situées entre le 50, & le 61, ou 62° degré de latitude septentrionale, & entre le 9e & le 23e degré de longitude. On les divise en cinq parties 1°. La Grande Bretagne, dont nous avons parlé. 2°. L’Irlande. 3°. Les Sorlingues. 4°. Les Hébudes, ou Inch Galles, ou Westernes. 5°. les Orcades, auxquelles on joint les Schetlandiques. Toutes ces Îles dépendent aujourd’hui du Roi de la Grande Bretagne. Maty.

La nouvelle Bretagne. Grand pays de l’Amérique septentrionale au nord du Canade. Nova . Britannia. On l’appelle aussi Estotilande, ou terre de Labrador, ou de Corta-real.

BRETAGNE. Armorica, Britannia minor. Petite Bretagne. Province de France qui a titre de Duché. C’est une grande presqu’Île baignée au nord par la mer de Bretagne, au couchant par l’Océan, au midi par la mer de Gascogne, & du côté de la terre elle est bornée par le Poitou, l’Anjou, le Maine, & une petite partie de la Normandie. C’est une des plus grandes Provinces de France, qui s’étend depuis environ le 12e degré 50 minutes de longitude jusqu’au 16d 30’, selon les cartes de M. de l’Isle, faites sur les observations de l’Académie des Sciences, & qui est entre le 47e & le 49e de latitude septentrionale. La capitale de Bretagne est Rennes. Cette province Ce divise en Haute-Bretagne, & en Basse-Bretagne. La Haute-Bretagne comprend les Evêchés de Rennes, de S. Brieu, de S. Malo, de Dol & de Nantes. On trouve dans la Basse-Bretagne les Diocèses de Vannes, de Cornouailles, de Léon & de Tréguier. Ces neuf Evêchés sont suffragans de Tours. On ne dit guère la Haute-Bretagne, mais on dit souvent Basse-Bretagne.

Le Phaéton d’une voiture à foin
Vit son char embourbé. La pauvre homme étoit loin
De tout humain secours : c’étoit à la campagne,
Près d’un certain canton de la Basse-Bretagne
Appelle Quimper-Corentin :
On sait assez que le destin
Adresse-là les gens, quand il veut qu’on enrage :
Dieu nous préserve du voyage.

La Bretagne s’appeloit Armorique du temps des Romains. On convient assez qu’elle a reçu le nom de Bretagne des habitans de la Grande-Bretagne qui s’y sont établis, mais on ne convient pas du temps où cela s’est fait. Il y a des Auteurs, qui fondés sur quelques endroits de Pline & de Bède, prétendent que dès les premiers siècles de l’Eglise, des Bretons avoient passé la mer, & conduit des colonies dans l’Armorique. Ils ne disent pas cependant que dès-lors elle prit le nom de ces nouveaux hôtes. D’autres soutiennent qu’au quatrième siècle l’Empereur Maxime s’étant rendu maître de cette province, il la donna aux Bretons qui l’avoient suivi dans ses expéditions ; d’autres que Vortiger, ou Vortigem, que les Bretons avoient appelé à leur secours contre les Ecossois, peuple d’Hibernie ou d’Irlande, qui vouloit envahir la Grande-Bretagne ; que ce Vortiger, dis-je, après avoir repoussé les Ecossois, se rendit maître de la Bretagne ; qu’un grand nombre de Bretons, pour éviter sa tyrannie, passerent en Armorique, & s’y étant établis, donnerent leur nom à cette partie de la Gaule. D’autres écrivent que ceux qui s’y retirerent, & lui donnerent ce nom, sont les Bretons chassés de leur Île par les Anglois-Saxons, qui y entrerent sous la conduite de Hengist en 446. La Chronique Bretonne, ou Britannique de l’Eglise de Nantes, que le P. Lobineau a imprimée dans le IIe Tome de l’Hist. de Bret. p. 3, dit p. 31, que ce fut en 513, sous le règne de Clotaire fils de Clovis, que ces Bretons passerent dans l’Armorique. Clotaire II vaincu par Théodebert & Théodoric, fils de Childebert, céda à Théodoric tous les pays renfermés entre la Seine, la Loire & l’Océan, jusqu’à la frontière des Bretons, mots, dit le P. Lobineau, qui font voir que nos premiers Rois n’avoient aucun droit de souveraineté sur la Bretagne. Le même Auteur dit que son gouvernement étoit aristocratique, T.I, p. 73.

Quelques-uns prétendent que la Bretagne a eu titre de Royaume ; que Conan, le chef des Bretons, que Maxime mit dans l’Armorique, la reçut de cet Empereur à titre de Royaume ; que ce Royaume, après avoir duré jusqu’à Charlemagne, fut rendu feudataire par cet Empereur, & changé en Comté. D’autres disent qu’il ne dura que jusqu’à Clovis & Chilperic, qui obligerent ces petits Rois de se contenter de la qualité de Comte ; qu’ensuite cependant, s’étant remis en liberté, ils furent rendus tributaires par Dagobert II jusqu’à Charlemagne, qui les subjugua & les réduisit à la qualité de Comtes ; depuis, la Bretagne fut érigée en Duché, & a eu long-temps ses Ducs particuliers. C’est Philippe le Bel, qui étant à Courtray en 1247, au mois de Septembre, en considération des grands services que le Duc de Bretagne Jean II lui avoit rendus, le créa Pair de France, avec les mêmes prérogatives dont jouissoit le Duc de Bourgogne, déclarant que la Pairie seroit attachée au Duché de Bretagne, & que le Duc qui n’avoit été jufques-là nommé que Comte dans les Lettres Royaux, seroit désormais appellé Duc. Lobineau. Le dernier Duc de Bretagne fut François II, qui n’eut qu’une fille, Anne de Bretagne, qui apporta la Bretagne à la France par son mariage avec Charles VIII, & puis avec Louis XII.

La Bretagne relevoit de Richard troisième Duc de Normandie, & dès le temps du premier Duc (Rolon, Fondateur de ce Duché) elle étoit devenue comme un arrière fief de la Couronne, par le consentement de Charles le Simple. Au commencement de la troisième race on vit les Bretons se relever, & donner de l’inquiétude aux Ducs de Normandie. P. Dan. Il fut réglé par le traité de Guérande, conclu le 12 d’Avril de l’an 1365, que désormais les femmes ne pourroient prétendre au Duché de Bretagne qu’au défaut de tous les mâles légitimes de la Maison de Bretagne. Id. Tom. II, pag. 628. La Bretagne est un pays d’Etats. Les Etats de Bretagne se tiennent de deux ans en deux ans dans le lieu de la Province que le Roi désigne. Voyez encore le mot Armorique. Il y a des Chroniques Annales de Bretagne, par Me Alain Bouchard, Avocat au Parlement ; l'Histoire de Bretagne par Bertrand d’Argentré ; une autre par d’Hosier, avec les Chroniques des Maisons de Vitré & de Laval ; & enfin la dernière en deux tomes, dont le second contient les preuves données par D. Alexis Lobineau, Bénédictin. Il y a des Dissertations sur la mouvance de la Bretagne, de M. l’Abbé de Vertot & d’un Anonyme. Voyez encore de Hauteserre, Notæ in Greg. Tur. L. IV, p. 114.

La mer de Bretagne, autrement la Manche, ou le Canal. C’est un grand détroit de l’Océan Atlantique, qui s’étend entre les côtes de France au midi, & celles d’Angleterre au nord.

Il y a une contrée en Canada, à la pointe du golfe de Saint Laurent, à laquelle on a donné le nom de Nouvelle-Bretagne. On écrivoit autrefois Bretaigne.