Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BOUCHE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 982-984).
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BOUCHE, s. f. ☞ Partie du visage de l’homme par où sort la voix, & par où se reçoivent les alimens. Elle est composée des lèvres, des gencives, & des dents, du dedans des joues, & du palais. Os. Toutes ces parties, excepté les dents, sont tapissées d’une tunique glanduleuse où sont les conduits excrétoires de la salive, qui entretient dans la bouche & dans toutes ses parties l’humidité & la souplesse. Voyez Salive.

☞ La bouche de presque tous les animaux s’appelle gueule.

Les morceaux trop hâtés se pressent dans la bouche. Boil. On dit, dire de bouche de vive voix, parler bouche à bouche ; pour dire, parler à la personne même à qui on veut faire savoir quelque chose. Il est plus expédient de consulter de bouche que par écrit. Ablanc. Lorsque nous sommes ensemble, & que nous nous disons tout ce qui nous vient à la bouche, pour dire, lorsque nous nous parlons sans contrainte. Vous me l’avez arraché de la bouche, malgré la résistance de ma raison, (S. Evr.) pour dire, vous m’avez forcé de parler, & de vous dire ce que je devois taire. Il m’a mis dans la bouche un nouveau cantique. Port-R. Je n’ai point eu la bouche fermée, quand il a fallu parler de vos merveilles. Id.

☞ On dit qu’une nouvelle va de bouche en bouche, per manus, de manu in manum, pour dire, qu’elle devient publique.

Oui, malgré les obscurités
Qui nous cachent des vérités,
Mon cœur n’en doute point, ma bouche les confesse. L’Abbé Tétu.

Fuyez donc ces amis dont la bouche timide
N’a pour tous les absens qu’un silence perfide. Vill.

Mais un cœur pour parler n’a-t-il qu’un interprète ?
Ne dit-on rien des yeux, quand la bouche est muette ? Racine.

Un Auteur ne fait pas de faciles conquêtes,
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes.

Boileau


☞ On appelle poëtiquement la Renommée, la Déesse aux cent bouches.

On dit d’une grande bouche, qu’elle est fendue jusques aux oreilles. Rictum habere diductum vastius. On dit, faire la petite bouche ; pour dire, affecter de faire paroître qu’on a la bouche petite, Elegantiorem oris parvi compositionem affectare. On le dit aussi pour faire paroître qu’on est petit mangeur, qu’on est délicat au choix des viandes. Inter vescendum delicias facere, præferre exigui cibi laudem & gloriam. On le dit figurément d’un homme qui ne veut pas s’expliquer clairement, qui ne veut pas dire tout ce qu’il fait d’une affaire ; & au contraire, on dit qu’il n’en fait pas la petite bouche ; pour dire, qu’il déclare franchement tout ce qui en est. Mais tout cela est du style familier. L’Abbé de Choisi, dans sa Relation du Voyage de Siam, dit que la Reine de Siam fait coudre la bouche aux Dames de sa Cour, quand elles parlent trop en sa présence ; & qu’elle la leur fait fendre jusqu’aux oreilles, quand elles ne parlent pas assez. Quand on voit un morceau délicat, l’eau en vient à la bouche. La raison est, que comme les esprits qui sont dans les nerfs du nez & des yeux, ne sauroient être considérablement ébranlés par l’odeur de quelque morceau délicat qui les frappe, ou par les espèces de quelque chose qui a flatté notre goût, sans que cet ébranlement passe bientôt à la bouche, il arrive que les conduits salivaires, qui sont alors pressés par la contraction des anneaux nerveux qui les environnent, font couler la salive, qui est rendue plus liquide par les esprits qui s’y mêlent alors, & qui la font quelquefois pétiller. On dit proverbialement d’une chose qui se mange, & dont on a envie, que l’eau en vient à la bouche, pour marquer l’envie qu’on en a.

☞ On le dit figurément de ce qui est agréable, & qui donne quelque idée de plaisir.

Bouche, le dit aussi des personnes qu’il faut nourrir. Il a tous les jours cent bouches à nourrir. Centena ad mensam capita. On a chassé de la ville les bouches inutiles, c’est-à-dire, ceux qui étoient incapables de défenses. Il y a plus de cent mille bouches à l’armée.

En ce sens on appelle dépense de bouche, celle qu’on fait seulement pour la nourriture de soi & de sa famille. Nous avons pris sur notre bouche la dépense de ses funérailles. (Patru.) pour dire, nous avons pris sur la dépense de bouche, pour fournir aux frais de ses funérailles.

On dit aussi populairement, qu’un homme est sujet à la bouche, qu’il est sur la bouche ; pour dire, qu’il est gourmand. Gulæ deditus, vorax, gulæ parens. On dit qu’un homme s’est ôté le morceau de la bouche, pour dire qu’il s’est privé du nécessaire. On dit qu’une chose fait bonne bouche, quand elle laisse un bon goût dans la bouche. Edulium palato blandiens, ou grati odoris. On dit aussi, garder une chose pour la bonne bouche, pour dire, garder la meilleure chose pour la servir la dernière, On dit figurément, qu’on laisse les gens sur la bonne bouche, quand on interrompt le discours à l’endroit qui est le meilleur, & qui est le plus attendu. ☞ On le dit en général, de ce qu’on reserve d’agréable pour la fin.

Flux de bouche, se dit non seulement de ceux qui crachent beaucoup, ou de ceux à qui on provoque la salivation par des remèdes, salive profluvium ; mais encore dans le sens figuré, de ceux qui parlent beaucoup, qui ne peuvent se taire. Loquendi profluentia. On dit figurément, fermer la bouche à quelqu’un, lorsqu’on lui défend de parler, ou qu’on lui coupe la parole, & qu’on le corrompt par l’espérance de quelque récompense, comme quand on dit, on lui a fermé la bouche avec de l’argent : on le dit aussi, quand on lui apporte des raisons si convaincantes, qu’il ne sauroit y répondre. Occludere linguam alicui.

Au contraire, on dit qu’un homme n’ose ouvrir la bouche, pour dire, qu’il n’ose se plaindre des maux qu’il souffre, des violences qu’on lui fait : on le dit aussi pour exprimer qu’il est timide & honteux, qu’il n’ose dire son sentiment dans les compagnies où il se trouve. Mutire nihil audet.

Bouche, se dit aussi des ouvertures par lesquels les fleuves se déchargent dans la mer. Ostium. Damiette est sur une des bouches du Nil. Le Danube se décharge par sept bouches dans le Pont-Euxin. On le donne aussi à l’entrée des Golfes & des Détroits ; les bouches de Bexinora, entre les îles de Sardaigne & de Corse ; la bouche du Golfe de Venise. T. Corn.

Bouche, en termes d’Organiste, se dit de l’ouverture d’un tuyau qui donne libre entrée au vent. Hiatus. Elle est large de la quatrième ou cinquième partie de sa grosseur. On la nomme ainsi parce qu’on dit que les tuyaux parlent ; on l’appelle quelquefois lumière.

Bouche, se dit figurément. Les plaies d’un homme assassiné, sont autant de bouches muettes qui demandent vengeance. Ora.

Sa valeur en cet état réduite
Me parlait par sa plaie, & hâtoit ma poursuite :
Par cette triple bouche elle empruntait ma voix.
Corneille.

Les trophées, les grands monumens, sont autant de bouches qui annoncent la gloire des Héros. Les charités que nous faisons aux pauvres, sont autant de bouches qui prient Dieu pour nous.

Bouche, signifie aussi chez les Rois & les Princes, ce qui regarde leur boire & leur manger. Quidquid ad quotidianam Principis mensam pertinet. Les Officiers de la bouche. Le vin de la bouche. Aller à la bouche du Roi ; c’est-à-dire, au lieu où on lui prépare son manger. Bouche en ces phrases signifie un des sept offices de chez le Roi, qu’on appelle aussi Cuisine-Bouche, pour le distinguer du gobelet, Qui est un autre office : les Officiers de ces deux offices ne travailleur que pour la personne du Roi, & ne servent que Sa Majesté. On appelle absolument la Bouche, les Officiers de la bouche du Roi. La Bouche est partie. On dit d’un mets qu’on veut bien priser, quand ce seroit pour la bouche du Roi, je n’en donnerois pas de meilleur. On dit aussi, avoir bouche à Cour ; pour dire, être nourri aux tables & aux dépens des Princes & des Grands Seigneurs. Quotidianæ mensæ jus habere apud Principem.

On dit en Cour de Rome, ouvrir la bouche aux Cardinaux, en parlant d’une cérémonie qui se fait dans un Consistoire secret, où le Pape ferme la bouche aux Cardinaux qu’il a nouvellement nommés, ensorte qu’ils ne parlent point, quoique le Pape leur parle ; ils sont privés de toute voix active & passive jusqu’à un autre Consistoire, où le Pape leur ouvre la bouche, & leur fait une petite harangue, pour leur montrer de quelle manière ils doivent parler, & se comporter dans le Consistoire.

En termes de Palais, on dit, ouir un homme par sa bouche, lorsqu’il comparoît en personne, & non par Procureur. On dit qu’un vassal doit à son Seigneur la bouche & les mains, pour dire, qu’il lui doit un hommage, aveu & soumission : ce qui se fait non-seulement de la bouche & par paroles ; mais aussi des mains, en mettant ses mains dans les mains de son Seigneur féodal. Beneficiariæ possessionis obligatio. Clientelæ professio ore facta & manu.

Bouche, en termes de Manège, se dit des chevaux, & de la sensibilité qu’ils ont en cette partie, où on leur met le mors. On dit qu’ils ont la bouche fine, tendre, légère, loyale quand ils s’arrêtent pour peu qu’on lève la main. Os eruditum ac docile. Une bouche fausse est celle qui n’a aucune sensibilité. Sensu carens. Une bouche forte, ruinée & désespérée, se dit des chevaux qui n’obéissent point, qui s’emportent. Durum atque asperum. Une bouche assurée, est celle qui ne bat, qui ne pese jamais à la main. Tractabile. On appelle un cheval sans bouche, celui qui n’obéit point au Cavalier. Indocile, intractabile. Bouche chatouilleuse, est celle qui craint trop le mors. Delicatum, tenerum. Bouche à pleine main, est celle qui a l’appui assuré, & qui souffre qu’on tourne la main sans le cabrer, ni peser sur le mors. Patiens. Bouche au-delà de pleine main, ou plus qu’à pleine main, est celle d’un cheval qui a de la peine à obéir. Durum, difficile, frœni impatiens. Le cavesson doit être fort serré, & bien doublé d’un cuir double pour le moins, de peur qu’il ne blesse le cheval ; car bien que ce soit un vieux proverbe, que nez saigneux fais bonne bouche, je luis fort allure que si on ne lui fait point mal au nez, la bouche n’en sera que meilleure. Newc. Les imperfections de la bouche des chevaux sont, 1°. lorsque le cheval tire en haut & suce la langue, 2°. quand il la met par-dessus le mors, 3°. lorsqu’il la double autour du mors, 4°. quand il la laisse pendre hors de la bouche, soit tout droit en avant, ou de l’un des deux côtés. Le cheval ne reçoit aucun préjudice de tous ces vices auxquels il n’y a point de remèdes. Idem. p. 426 & suiv.

En ce sens, on dit figurément d’un homme, qu’il n’a ni bouche ni éperon ; pour dire, qu’il n’est bon à rien, qu’il ne sait rien faire, qu’il est stupide & insensible ; & on dit qu’un homme est fort en bouche non-seulement quand il est difficile à conduire, mais aussi quand il est violent en paroles, qu’il parle beaucoup, avec hauteur, ou qu’il s’emporte à dire des injures.

Bouche. Terme de Conchyliologie. Il se dit de l’ouverture par laquelle les coquillages prennent leur nourriture. Os conchæ. Généralement tous les coquillages ont l’ouverture de la bouche à droite, & il n’y en a que cinq ou six espèces dans lesquelles cette ouverture se trouve à gauche, & que l’on nomme ordinairement uniques, à cause de cette singularité. Gersain.

Il y a encore d’autres animaux, à l’égard desquels on se sert du mot de bouche. Rondelet, dans son Histoire des poissons, dit bouche de saumon, bouche de carpe, bouche de grenouille.

On dit, en termes de guerre, la bouche d’un canon, la bouche d’un mortier, pour dire, l’ouverture par où le boulet sort, ou la bombe. On dit aussi des munitions de bouche, pour dire, tout ce qui est nécessaire à la substance d’une garnison, ou d’un peuple enfermé dans une ville assiégée. On dit aussi qu’une garnison est sortie tambour battant, mèche allumée, balle en bouche ; pour dire, qu’elle est sortie avec un mousquet chargé, & une balle dans la bouche, pour le charger plus promptement une autrefois.

Bouches à feu. En termes d’Artillerie, on nomme bouches à feu les canons & les mortiers. Tormentum bellicum. Il y a un instrument pour calibrer les bouches à feu, c’est-à-dire, les pièces de canon, les mortiers. Il est de l’invention de M. de Buzani, Commissaire provincial d’Artillerie, Commandant les Ecoles de ce Corps à Grenoble. On a taillé un chemin dans le roc, pour conduire les quatre bouches à feu, qui composent cette batterie, c’est-à-dire, deux canons & deux mortiers.

Bouche, ou Bosson. Terme de Marine. C’est la rondeur des bans & tillacs, & c’est proprement tout ce qui est relevé hors d’œuvre, qui n’est pas plat & uni.

Bouche, se dit proverbialement en ces phrases. Il a dit cela de bouche, mais le cœur n’y touche, en parlant d’un homme faux qui ne parle pas selon ses vrais sentimens. On dit aussi qu’on a traité quelqu’un à bouche que veux-tu ; pour dire, qu’on lui a présenté toutes sortes de mets des plus friands. On dit, manger une chose de broc en bouche, pour dire, tout chaudement. On dit aussi d’un indiscret qui dit tout ce qu’il fait, que c’est un S. Jean Bouche d’or. On dit aussi, bouche cousue, pour recommander le secret à quelqu’un. On dit qu’il arrive beaucoup de choses entre la bouche & le verre, pour dire, qu’il ne faut qu’un moment pour faire manquer une affaire par quelque accident imprévu. Cette façon de parler vient de ce qu’un homme portant son verre à la bouche pour boire, on lui vint dire qu’un sanglier étoit entré dans la vigne, & qu’il la ravageoit. Aussitôt il quitte son verre, prend une arme, & va au sanglier qui se jette sur lui, & le tue.

On dit qu’un homme a toujours une parole à la bouche, pour dire, qu’il a accoutumé de répéter souvent un mot, un même mot, une même sentence.

Bouche, vient du latin bucca ; le P. Pezron tire l’un & l’autre du celtique boch.