Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BONHEUR

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 961-962).
◄  BONGOMILE
BONHOMMIE  ►

☞ BONHEUR, s. m. Prospera, secunda fortuna. Etat avantageux qui arrive par hasard, qui est capable de fournir la matière des plaisirs, & de mettre à portée de les prendre. Les choses étrangères servent au bonheur de l’homme ; mais il faut qu’il fasse lui même sa félicité, & qu’il demande à Dieu la béatitude. Notre bonheur brille aux yeux du public, & nous expose souvent à l’envie. On est quelquefois dans cet état de bonheur, sans être dans un état de félicité. La possession des biens, des honneurs, des amis & de la santé fait le bonheur de la vie : mais ce qui en fait la félicité, c’est l’usage, la jouissance, le sentiment & le goût de toutes ces choses. Voyez Béatitude et Félicité. Saint Augustin & plusieurs autres ont défini le bonheur, ce qui est désirable pour soi-même. Port-Royal.

Ce mot vient d’heur, qui signifioit bonheur, d’où vient le mot d’heureux, peut-être du latin hora. Voyez Heur et Heureux.

Ménage a observé qu’on ne s’en sert au pluriel, que quand il est opposé à malheur. Je ne ferois cependant point de difficulté de dire, il lui est arrivé toutes sortes de bonheurs. Corn. Il lui pourroit arriver tous les bonheurs & tous les malheurs du monde, qu’il ne se hausseroit, ni se baisseroit. Vaug. Rem. Cependant il est certain qu’excepté en certaines phrases semblables à celles-là, le mot de bonheur ne se dit jamais qu’au singulier. Ne parlez point de votre bonheur devant les misérables ; la comparaison qu’ils font de leur état au vôtre, leur est odieuse. La Bruy.

Que votre bonheur est extrême !
Cruels lions, sauvages ours,
Vous qui n’avez dans vos amours
D’autre règle que l’amour même. La Suze.

Il y a de la différence entre le bonheur & un bonheur. Un bonheur est un événement heureux. On peut avoir un bonheur sans être heureux.

☞ Le bonheur, pris indéfiniment, signifie une suite d’événemens heureux. Considéré comme sentiment, c’est une suite de plaisirs.

☞ Quand on dit en morale, que l’homme recherche nécessairement son bonheur, qu’il agit toujours en vue de son bonheur, on entend par ce mot, cette satisfaction intérieure de l’ame, qui naît de la possession du bien ; & par le bien, on entend tout ce qui convient à l’homme pour sa conservation, pour sa perfection, pour sa commodité ou son plaisir : tout plaisir ou sentiment agréable est un bonheur, puisqu’il met l’ame dans un état de joie & de satisfaction. Maleb.

Quand on dit que le bonheur est nécessaire aux grands Capitaines, aussi-bien qu’aux Joueurs ; qu’un homme a joué de bonheur ; que tel événement a été pour lui un bonheur singulier, le mot bonheur se prend dans le sens dont nous avons parlé pour un événement favorable à quelqu’un, qui n’est point une suite de ses soins, & de sa prévoyance, & à quoi il n’a point contribué par son adresse. On attache communément une autre idée à ce qu’on appelle bonheur. On croit d’ordinaire qu’il y a un certain principe de bonheur qui accompagne certaines personnes, & qui les fait réussir en des choses ou d’autres échoueroient, sans que l’on puisse attribuer ce bon succès à leur prudence. Mais à proprement parler, le terme de bonheur ne signifie rien dans la bouche de bien des gens, ou ils y joignent des idées très-obscures. Car si le bonheur est un effet du hasard, lequel se détermine sans règle, &c par caprice, l’on ne peut pas dire, que le bonheur est attaché & fixé à certaines personnes : autrement c’est fixer & déterminer une chose qui ne peut être fixée ni déterminée. Voyez Heureux.

Bonheur, se dit aussi en termes de complimens par exagération. Depuis que j’ai eu le bonheur de vous écrire, de vous voir, de vous parler.

On dit adverbialement, par bonheur ; pour dire, Heureusement.

Bonheur. Autrefois ce mot se séparoit en deux Bon heur, bonne fortune.

Rendra ton œuvre immortel de renom,
Qui te fera peut-être si bon heur,
Que le profit sera joint à l’honneur.