Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BÉATITUDE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 815).
◄  BÉATILLES
BÉATRIX  ►

BÉATITUDE. s. f. Le souverain bien, la félicité éternelle. Beatitudo, beatitas. Dieu a promis à ses Saints la béatitude, le Paradis. Il y a des Pères de l’Eglise qui ont cru que les ames ne jouiroient de la béatitude qu’après la résurrection. Du Pin. Le mot béatitude, en tant qu’il signifie la félicité éternelle, se prend en trois manières différentes. 1o Pour l’objet dont la possession doit nous rendre heureux : c’est Dieu qui est le souverain bien, la béatitude objective. 2o Pour les actes de l’ame par lesquels elle possede le souverain bien, & elle en jouit : c’est ce qu’on appelle béatitude formelle. 3o Pour l’état où la possession de Dieu met une ame ; & en ce sens la béatitude renferme, ou suppose, la béatitude objective & la béatitude formelle.

Béatitude, dans le style mystique signifie, dit M. l’abbé Girard, l’état de l’imagination, prévenue & pleinement satisfaite des lumières qu’on croit avoir, & du genre de vie qu’on a embrassé. C’est l’état d’une ame que la présence immédiate de son Dieu remplit dans ce monde-ci, ou dans l’autre. Il faut que l’homme demande à Dieu la béatitude : lui seul peut nous y conduire.

☞ Le bonheur marque un homme riche des biens de sa fortune : la félicité, un homme content de ce qu’il a. La béatitude reveille une idée d’extase & de ravissement. Elle nous attend dans une autre vie. Voyez encore Bonheur & Félicité.

Béatitude, ne se dit au pluriel qu’en parlant des huit béatitudes annoncées par Jésus-Christ dans le cinquième chap. de S. Mathieu.

Cebès représente la béatitude arrêtée sur un cippe, ou sur une pierre carrée, pour marquer qu’elle doit être inébranlable, tranquille, éternelle.

Béatitude, est aussi un titre d’honneur qu’on donne maintenant au Pape. Autrefois il se donnoit à tous les Evêques, & même dans les lettres de saint Anselme il est donné à quelques Laïques.

Béatitude, s’est formé du latin beatitudo, & à proportion béat, béatification, béatifier, béatifique, de beatus, beatificatio, beatificare, beatificus, qui se sont dits dans la basse latinité. Isidore, mauvais étymologiste, dit que beatus s’est dit quasi bene auctus, parce qu’on appelle beatus, heureux, celui qui a ce qu’il veut, & qui ne souffre point ce qu’il ne veut point ; mais beatus, selon la remarque de Vossius, vient de beo, comme legatus vient de lego ; & beo, selon le même Auteur, vient de βίος, qui se prend non-seulement pour vie, mais encore pour biens, richesses ; qui sont les choses en quoi le vulgaire fait consister la béatitude en cette vie. On pourroit encore tirer beo de l’ancien benus, de sorte qu’on en eût fait beneo, & par syncope beo ; mais il est plus vraisemblable, dit Vossius, que benus s’est fait de beo, comme fenus de l’ancien feo. On peut encore dériver beo de βείω, ou βάω, je vais, je marche, j’avance, qu’Hesychius interprète aussi je vis : c’est le sentiment de Martinius. Ainsi beo signifie, facio ut res eat, sive procedat, dit Vossius, qui remarque que les mots qui signifient aller & avancer, s’emploient dans presque toutes les langues, pour exprimer le bon état des choses. Ainsi l’on dit en françois, cela va bien, va son train, en allemand es gehet, & en flamand gaet wel. Dans ce sentiment, il faut encore remonter plus haut, & tirer βείω & βάω, de l’hébreu בא, ou בזא, aller.