Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BATTRE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 804-806).
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☞ BATTRE. v. a. Cædere, verberare, percutere. Je bats, tu bas, il bat : nous battons, vous battez, ils battent. J’ai battu. Je battis. Je batterai. Bats. Que je batisse. Battant. Donner des coups à quelqu’un, redoubler les coups.

☞ Il semble que pour battre, il faille redoubler les coups, & que pour frapper il suffise d’en donner un. On n’est jamais battu qu’on ne soit frappé. Mais on peut être frappé sans être battu. Le plus fort bat le foible. Le plus violent frappe le premier. l’Abbé Girard. Syn.

Battre, suppose toujours de l’intention : on peut frapper sans le vouloir, Voyez Frapper.

Frapper est toujours un verbe actif. Battre reçoit un sens neutre dans se battre. Voyez plus bas Se Battre.

Ce mot vient du latin batuo, batuis, selon Nicot, Ménage & Du Cange, qui proprement signifioit l’exercice des Gladiateurs, qui se faisoit avec un bâton ou épée de bois, ou un fleuret de fer. De-là vient aussi bataille. Ferrarius, de Gladiatoribus, On a dit battidere pour batuere ; il se trouve dans les Lois Saliques, Tit. 36, & battere. Le premier, dit Chifflet, étoit un terme militaire, & l’autre romain, ou venu du romain, Romanicum. C’est de ces mots que s’est formé battre. Mais, selon Guichard, battuo & battre vienent de l’hébreu הבט qui signifie excutere fructus ex arbore, vel frumenta aut legumina ex foliculis, c’est-à-dire, battre un arbre pour en faire tomber les fruits, ou le blé, ou des légumes, pour faire tomber les grains de leurs gousses. ☞ On bat les noyers avec la gaule pour en recueillir les noix.

Battre, signifie aussi, défaire des troupes assemblées en un corps. Fundere, cædere, profligare. Les petites armées battent bien souvent les grandes. Samson battit les Philistins avec une mâchoire d’âne.

Battre, signifie encore en termes de guerre, attaquer avec de l’artillerie. Quatere, verberare. Une armée que le canon bat en flanc est bientôt défaite. On a battu Rhodes avec cent pièces de canon.

Battre en brêche, c’est ruiner à coups de canon le revêtement ou le rempart de quelqu’ouvrage, pour y faire une ouverture par laquelle on puisse y entrer.

Battre en ruine une ville, c’est en détruire les édifices avec le canon & les bombes. En ce sens on le dit figurément des personnes qu’on poursuit jusqu’à l’extrémité, & des disputes où l’on apporte de si bonnes raisons qu’elles détruisent absolument le parti contraire.

Battre par camarade, quand plusieurs pièces de canon tirent tout à la fois sur le même ouvrage, soit qu’elles soient de diverses batteries, soit qu’elles soient de la même.

Battre en salve, c’est tirer toutes à la fois les différentes pièces d’une batterie avec lesquelles on bat un ouvrage en brèche. Voyez au mot Batterie.

Battre, se dit aussi en parlant du tambour. Battre la caisse, Tympanum tundere, c’est assembler les soldats, ou les enrôler.

Battre aux champs, quand l’armée est en marche. On bat aussi aux champs, pour faire honneur aux généraux.

Battre l’assemblée, ou la générale ; la diane, ou le veil, la marche, pour donner le signal de tous les mouvemens militaires. Battre la chamade, lorsque dans une ville assiégée, on bat le tambour pour marquer qu’on veut capituler.

Battre l’estrade, envoyer des cavaliers dans la campagne, pour aller aux avis & découvrir l’ennemi. Excurrere, concursare. Battre la campagne, faire des courses sur les terres des ennemis & les ravager. On dit figurément d’un Orateur, d’un Ecrivain, qu’il bat la campagne, qu’il bat bien du pays, pour dire, qu’il s’égare, qu’il s’éloigne de son sujet. Vagari, deflectere à proposito. On le dit aussi d’un Orateur à qui la Mémoire manque, & qui s’accroche où il peut.

Battre, signifie aussi, tourmenter, agiter, secouer. Agitare, pulsare, concutere, jactare. Ce navire a été battu de la tempête. Ces fruits ont été battus du mauvais vent. Toute cette côte a été battue de l’orage.

On le dit à-peu-près en ce sens, en termes d’Agriculture & de Jardinage même, des pluies, des grands agastes d’eau, & des arrosemens abondans, qui foulent les terres & les rendent plus dures. Voilà des terres qui ont été bien battues de pluies. Les grandes eaux ont battu ces terres, de manière qu’on diroit que le dessus n’est qu’une croûte. Liger.

Battre, est neutre quelquefois, comme dans ces exemples. Ce malade est bien bas, son pouls ne bat plus. Arteria non micat. Quelquefois l’artère ne battra pas de coup, mais s’enflera peu à peu. P. Le Comte. Le cœur bat étant hors du corps de l’animal. Conpalpitat. On dit même dans un sens figuré, que le cœur bat pour dire, qu’on tremble de peur.

Monseigneur, en ce triste état,
Confessez que le cœur vous bat. Voit.

On dit aussi qu’un cheval bat du flanc, quand il est poussif. Ducere, trahere ilia ; & que le fer d’un chevalbat, pour dire, qu’il loche. Acad. Fr. Qu’une montre bat encore, lorsque la fusée n’est pas encore au bout.

Battre, se dit aussi neutralement en termes de Musique, lorsque deux tons, après avoir été différens & dissonans, viennent à s’accorder. Consonare, concordare. Le son des tuyaux d’orgues ensemble doit avoir plus de force, quand leurs vibrations, après avoir été quelque temps séparées, viennent à se réunir, & s’accordent à frapper l’oreille d’un même coup. Il semble que l’expression commune des Musiciens, qui disent que les tuyaux battent, quand leur son se redouble ainsi, ait son origine dans cette idée. Acad. des Sç. 1700. Hist. pag. 134. Quand les tuyaux approchent de l’unisson, il y a sur un plus grand nombre de vibrations séparées, moins de vibrations qui se rencontrent & qui battent.

Battre, se dit encore pour donner sur quelque chose. Imminere. Le soleil bat à-plomb dans la zone torride. Le soleil battoit à-plomb sur la terre. Ablanc.

Battre, se dit en parlant de diverses choses sur lesquelles on touche fortement avec différens instrumens. Tundere. Battre une tapisserie pour la nettoyer. Batre des siéges. Battre du fer à la forge. Battre à chaud. Battre à froid. Battre du papier.

Battre des livres, c’est-à-dire, donner des coups de marteau sur les feuilles d’un livre pour les presser, afin que le papier en soit plus uni & le volume plus menu. On bat aussi le papier, le carton.

Battre de la poudre à carton, du poivre, du ciment, du plâtre. Pinsere.

☞ On dit aussi battre les métaux. Battre de l’or ou de l’argent c’est l’étendre en feuille. In laminas ducere. On bat ces métaux sur une pierre de marbre noir, d’un pied en carré, élevée de trois pieds de terre. On se sert de trois marteaux en manière de maillets de fer, dont l’un est de 3 à 4 livres pour chasser ; l’autre de 11 à 12 livres pour fermer, & le 3e de 14 à 15 livres pour étendre & achever. On se sert aussi de quatre moules de différentes grandeurs, dont nous parlerons au mot Moule. Battre, ou frapper carreaux, est la seconde des huit façons qu’on donne aux carreaux des monnoies, ce qui se fait par un habile ouvrier sur une clume oblongue, qui est sur son banc dans sa fournaise.

Battre la chaude, c’est étendre sur l’enclume les lames d’or & d’argent après qu’on les a fait recuire. Boizard.

Battre Monnoie, c’est faire & marquer de la monnoie. Cudere. Ce qui se dit non-seulement des ouvriers qui la battent, mais aussi de ceux qui ont droit de la foire battre. Battuere. Le Prince de Monaco bat monnoie.

Battre le fer, en termes d’Escrime, signifie s’exercer à tirer des armes chez les maîtres d’Escrime. Exercere se. En ce sens on dit figurément qu’un homme a long-temps battu le fer, quand il s’est long-temps exercé en quelque art ou profession que ce soit.

Battre, en termes de maître à danser, c’est faire un mouvement figuré avec le pied.

Battre le blé, battreen grange, &c. C’est faire sortir le grain des épis de blé en les frappant avec un fléau. Terere. Au reste battre en grange signifie quelque chose de plus que battre le blé simplement ; car on le bat en plusieurs endroits dans un aire, & alors c’est battre le blé, & non point battre en grange, qui ne se dit que lorsqu’on le bat dans une grange. Voyez les différentes manières de battre le blé au mot Battage.

Battre le fusil, c’est en tirer du feu en le frappant avec une pierre. Ex pyrite ignem excutere. Battre des pieux, c’est enfoncer des pieux avec un mouton. Defigere, deprimere, adigere. Battre la terre, battre une allée de jardin ; c’est la rendre ferme & plus unie, avec des maillets. Tundere malleis, ac complanare. Il est nécessaire de battre les allées de ce jardin, si on veut les rendre unies. Battez bien cette allée. Liger.

Battre, signifie quelquefois, mêler, brouiller. Miscere, subigere. Battre des œufs pour faire une omelette. Battre les cartes dont on joue pour les biens mêler. Battre le beurre, c’est agiter & brouiller tellement les parties de la crême, qu’elles s’épaississent en beurre. Agitare.

Battre, signifie aussi, fouler en marchant. Terere. Ainsi on dit, battre la semelle, battre la calabre ; pour dire, voyager à pied. Voyez au mot Calabre. Battre le pavé, marcher sans cesse dans une ville où l’on est sans occupation. Concursare.

Battre, signifie aussi, approcher de près, toucher légérement. Perstringere, alluere. Cette rivière bat au pied de la montagne, bat les murs de cette ville, pour dire, qu’elle en est proche.

Battre des mains, applaudir : ce qui se dit non-seulement du battement effectif des mains, qui est un témoignage de joie, ou d’approbation publique que donne le peuple, mais encore de tous les applaudissemens que les honnêtes gens donnent à quelque action, ou à quelque ouvrage public. Plaudere.

Battre les oreilles à quelqu’un de quelque chose ; c’est la lui répéter souvent, l’en importuner à force de la redire inutilement. Verberare, obtundere.

☞ On dit en termes de chasse, battre le bois, battre la plaine, c’est-à-dire les parcourir en chassant ; battre les buissons, c’est chercher le gibier qui s’y est retiré. On dit proverbialement, il a battu les buissons, & un autre a pris les oiseaux ; c’est-à-dire, il a eu beaucoup de peine & un autre en a profité.

Battre le ruisseau, terme de pêche. C’est frapper l’eau à grands coups de perche pour épouventer le poisson, & le faire donner dans les filets.

On dit aussi, qu’un oiseau bat de l’aile, lorsqu’il agite fortement ses ailes pour se soutenir en l’air en se battant. Agitare. Et en ce sens on dit figurément & dans le style familier, qu’un homme ne bat plus que d’une aile, lorsque sa fortune ou sa santé, ont beaucoup diminué, & qu’il a peine à subsister.

Battre, joint au pronom réciproque cesse d’être verbe actif, & reçoit un sens neutre ; c’est-à-dire que ce pronom ne sert pas alors à marquer un objet où l’action se termine, mais que son service se borne uniquement à former conjointement avec le verbe la simple description de l’action, sans rapport à aucun objet distingué d’elle-même. Se battre ne signifie ni donner des coups à un autre, ni s’en donner à soi-même, il signifie simplement l’action personnelle dans le combat, ainsi que le mot s’enfuir. La Loi du Prince défend de se battre dans bien des occasions où celle de l’honneur l’ordonne, quel embarras pour ceux qui se trouvent malheureusement dans ce cas ! Le Docteur Boileau a écrit contre la pratique monacale de se frapper à coups de fouet, M. l’Abbé Girard. On voit par ce dernier exemple, que le verbe frapper joint au pronom réciproque, conserve toujours sa signification active, & qu’ainsi au lieu de dire, se battre dans le sens de se donner des coups à soi-même, on doit se frapper. On dit se battre en duel. Se battre à l’épée, au poignard, à coups de pistolet ; se battre en brave ; se battre pour avoir quelque chose. On se bat pour avoir du pain. Il y a une si grande foule d’acheteurs à cette vente, qu’on s’y bat.

Se Battre en retraite. Voyez Retraite.

☞ Ce mot se dit aussi de la guerre que se font les animaux & les élémens, par leurs qualités contraires. Pugnare, adversari. Les vents contraires se battent sur la mer. Les taureaux sont furieux quand ils se battent.

Se faire Battre, se faire donner des coups mal-à-propos, sans nécessité & lorsqu’il auroit été facile de les éviter. Ictus, plagas accercere. Ainsi on dit d’un général, qu’il se fit battre ; pour dire, qu’il s’engagea imprudemment dans un combat inégal, de quelque côté que l’inégalité vînt.

Se faire Battre, se dit aussi en termes de chasse, parlant des bêtes qui se font chasser long-temps dans un certain canton de pays. Salnove. Venatores longiùs morari.

Une heure là-dedans notre cerf se fait battre
J’appuie alors mes chiens & fais le diable à quatre. Mol.

En termes de Manége, on dit qu’un cheval bat la main, ou égaye ; quand un cheval n’a pas la tête ferme, leve le nez, branle & secoue la tête à tout moment en secouant sa bride. Agitare, movere, succutere. Les chevaux turcs & cravates sont sujets à battre la main, & il faut leur mettre une martingale.

On dit aussi qu’un cheval bat la poudre en poussière, lorsqu’il trépigne, qu’il fait un pas trop court, & qu’il avance peu. Terram quatere, tundere. On dit aussi, qu’un cheval bat du flanc, quand il commence à être poussif. Ilia ducere.

En termes de Musique, on appelle battre la mesure, donner un signal aux Musiciens en haussant & baissant la main, du temps qu’ils doivent employer à chaque cadence pour chanter & jouer tous ensemble. Musicum concentum moderari certâ quâdam manus agitatione.

Battre. Terme de jeu de Trictrac. Battre une dame, c’est partant de son jeu, tomber par le nombre du dé que l’on a amené, sur une dame découverte dans le jeu de celui contre qui l’on joue, c’est-à-dire, sur une dame qui est seule. On bat passage ouvert, ou par passage fermé. Battre par passage ouvert, c’est lorsque par le nombre de l’un de vos dés au moins, vous tombez sur une lame, sur laquelle il n’y a point de dames, ou sur laquelle il n’y en a qu’une. Battre par passage fermé, c’est lorsque les cases sur lesquelles l’un & l’autre nombre de vos dés tombent sont faites, qu’il y a deux dames sur ces lames. On gagne des points au premier cas, & on en perd au second. Voyez le Traité du jeu de Trictrac.

Battre tout d’une, c’est par les deux points des deux dés mis ensemble. L. S. Battre des deux, c’est battre par chacun des deux points en particulier. On peut tout à la fois & d’un même coup battre des deux & battre tout d’une ; par exemple, battre par cinq, battre par quatre, & battre par cinq & quatre.

Battre à faux, ou Jan qui ne peut, se dit d’une dame qui en bat une autre tout d’une par un passage qui n’est pas libre. Je m’explique. Toutes les fois que vos deux points réunis ensemble portent sur une demi-case, & que pour y arriver, chacun de ces deux points porte sur une case complète de votre adversaire, vous battez à faux.

Battre le coin. Pour battre le coin de son adversaire, il faut 1.o Avoir le sien garni : 2.o Que celui de l’adversaire soit vide : 3.o Faire un coup de dés qui porte tout à la fois deux dames dans le coin vide de l’adversaire, sans dégarnir le vôtre. L. S. Le coin battu par simple vaut quatre points ; par doublet il en vaut six. Le même coin peut être battu plusieurs fois. Il n’est pas nécessaire, pour battre le coin, que les deux dames partent d’une même case. Elles peuvent partir de deux indifféremment ; mais quand c’est par doublet, elles partent toujours de la même case. L. S.

Battre, s’emploie aussi figurément en ces autres phrases ; battre froid à quelqu’un, c’est lui faire mauvais accueil, lui témoigner qu’on est mal satisfait de sa visite, de ses discours. Frigidè aliquem excipere. On dit aussi, il l’a battu de cette raison, de cet argument ; pour dire, il lui a fait une telle objection, il l’a convaincu par cette raison. Oppugnare. On dit aussi qu’un homme se bat en retraite ; pour dire, qu’il se retire des affaires, du commerce du monde. Cedere, recedere, valedicere.

Battre, s’emploie proverbialement en ces phrases : ils se battent comme chiens & chats. Cet homme a été battu comme un chien, a été battu comme plâtre, a été battu dos & ventre. On dit, qu’il fait bon battre l’orgueilleux, il ne s’en vante pas. On dit qu’il vaut autant battre sa tête contre un mur ; pour dire, que toute la peine qu’on prendroit à faire quelque chose seroit inutile. On dit aussi en même sens, que c’est battre l’eau, quand on s’amuse à quelque travail où il n’y a rien à profiter. On dit, qu’il faut battre le fer tandis qu’il est chaud ; pour dire, qu’il ne faut pas perdre l’occasion de faire réussir une affaire, quand on la trouve. On dit aussi, à battre faut l’amour ; pour dire, qu’on n’aime jamais les gens qui nous ont battus. On dit aussi, battre le chien devant le lion, ou devant le loup ; pour dire, corriger un Grand, en châtiant un petit devant lui. On dit aussi, c’est la coutume de Lorris, où le battu paye l’amende, quand un homme qui a reçu quelque injure ou dommage d’un autre, est encore réprimandé ou condamné par ses supérieurs. Voy. l’origine de ce proverbe à Coutume. On dit aussi ironiquement à ceux qui disent qu’ils n’ont rien à faire, qu’ils aillent battre le Prevôt, qu’ils gagneront double amende. On dit aussi qu’un homme est battu de l’oiseau ; pour dire, qu’il est rebuté des traverses, des persécutions qu’on lui a faites en une affaire. On dit aussi, se battre à la perche ; pour dire, qu’un homme se met fort en peine d’une chose dont il ne lui revient aucun profit. Je n’ai vu que dans le Dictionnaire comique le proverbe s’en battre les fesses, pour dire, se soucier peu d’une chose, s’en moquer, n’en faire aucun cas.

Mais à ces discours d’ivrognesses,
Le Roi dit : je m’en bats les fesses.

Scarron, Virgile travesti, Liv. 7, pag. 257.

On dit proverbialement encore : il ne fait pas bon battre un homme la veille de sa mort.