Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AUTEL

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 662-664).
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AUTEL. s. m. Lieu élevé pour sacrifier à une Divinité. Ara. C’étoit chez les Païens une espèce de piédestal, ou carré, ou rond, ou triangulaire, orné de sculptures, de bas-reliefs & d’inscriptions, sur lequel on brûloit les victimes qu’on sacrifioit aux idoles. Les Païens ont distingué deux sortes d’autels pour les sacrifices. Celui sur lequel on offroit des sacrifices aux Dieux, s’appeloit en grec βωμὸς, & étoit un véritable autel, différent de celui sur lequel on offroit des sacrifices aux Héros, qui étoit plus petit, & qu’on nommoit en grec ἐσχάρα. Pollux fait cette distinction d’autel dans son Onomasticon, l. 1, ch. 1, n. 5. Il ajoute néanmoins que quelques Poëtes se sont servis du mot ἐσχάρα, pour marquer l’autel sur lequel on sacrifioit aux Dieux. La version des Septante se sert quelquefois de ce mot ἐσχάρα pour signifier une forme de petit autel, qu’on peut exprimer en latin par craticula : ce petit autel appelé ἐσχάρα, n’avoit aucune hauteur, & c’étoit plutôt un foyer qu’un autel, comme Ammonius le remarque dans Harpocration sur le mot ἐσχάρα. Les Romains avoient aussi différens autels. Les autels destinés à l’honneur des Dieux célestes & supérieurs, étoient exhaussés & posés sur quelque édifice relevé ; & c’est pourquoi on les appeloit altaria, du mot alta ara, qui signifie autel haut & élevé. Ceux qui étoient pour les Dieux terrestres, étoient posés sur la superficie de la terre, & se nommoient aræ. Pour les Dieux infernaux on faisoit un trou en terre, où l’on égorgeoit les victimes ; & ce trou s’appeloit Scrobiculus. Voyez Horace, Lib. I, Sat. VIII, v. 25. ☞ Je ne sais si cette distinction de Servius est bien fondée. Au moins voyons nous qu’on y a pas toujours eu égard ; & nos meilleurs auteurs ont fait du mot ara un terme générique, sous lequel ils comprennent également les autels des Dieux célestes, terrestres & infernaux. Il y avoit à Athènes un autel de la miséricorde, où tous les malheureux avoient leur refuge. Peut-on s’imaginer que les Dieux se repaissent de l’encens qu’on fait fumer sur les autels, & qu’ils s’apaisent, ou s’irritent, selon le nombre des victimes qu’on leur immole ? S. Evr. Périclès, sollicité de faire un faux serment en faveur de l’un de ses amis, répondit : nous sommes amis, mais jusqu’aux autels. Ablanc.

Sur les médailles des Colonies on voit souvent au revers un autel, & dessus un étendard élevé ; & c’est la marque d’une Colonie, parce que la première chose que l’on faisoit, quand on établissoit une Colonie en quelque lieu, c’étoit d’y élever un autel, & d’y faire des sacrifices. Dans une médaille singulière de Sarragosse frappée pour Auguste son fondateur, il y a même trois autels, un plus grand, & deux plus petits aux côtés. Sur le grand, qui est au milieu, un étendard ; & sur les deux autres des boucliers élevés, ou pendus à des bâtons comme l’étendard. Voyez Vaill. Colon. T. I, p. 29.

Optat, dans la belle Histoire qu’il a composée du schisme des Donatistes, rapporte que sous Julien l’Apostat, ils rompirent les autels des Eglises, dont ils s’emparerent, ou qu’ils les laverent ou les raclerent : les autels, dit Optat, où eux-mêmes avoient autrefois offert, où les vœux du peuple, où les membres de Jésus-Christ ont été portés, où le Dieu Tout-puissant étoit invoqué ; autels enfin qui ne sont autre chose que le siége du corps & du sang de Jésus-Christ, & où durant certains momens l’un & l’autre avoient habité ; preuves très-puissantes, aussi-bien qu’irréprochables, qu’en ce siècle il y avoit des autels & un sacrifice, où l’Eglise croyoit que le corps & le sang de Jésus-Christ étoient, non pas en figure, mais en vérité, & comme l’Eglise le croit aujourd’hui. God.

Je sais qu’en ce moment pour ce nœud solennel,
La victime, Seigneur, nous attend à l’autel.

Racin.

Les Muses révérées
Furent d’un juste encens en tous lieux honorées ;
A leur gloire en cent lieux on dressa des autels.

Boil.

Ce mot autel vient d’altare, dans lequel l’usage a changé à l’ordinaire al en au, & l’r en l, pour adoucir la prononciation. Le P. Pezron va plus loin à son ordinaire. Autel vient de l’allemand Autaer, & Autaer est pris du Celtique Auter. Ou bien ara, autel, vient du Celtique ar, qui veut dire de la terre. De-là on a formé altar, ou altare, autel, parce que les premiers autels ont été faits d’une terre un peu haute & élevée. En effet, le mot auter chez les Celtes, comme altar chez les anciens Latins, ne signifie rien autre chose que terre élevée pour servir d’autel. Quand tout le reste seroit vrai, il resteroit toujours à prouver que les Celtes ont dit alt, pour signifier haut. Voyez ce mot.

Autel, s’est dit autrefois chez les Juifs, de ces tables qu’ils dressoient à la campagne pour sacrifier à Dieu. En cet endroit il édifia un autel au Seigneur.

Autel, se dit proprement dans le Christianisme, d’une table carrée consacrée à Dieu, élevée & ornée, pour célébrer la Messe. Dans la primitive Eglise les autels étoient sans parure & sans pompe. Ils n’étoient que de bois, parce que la crainte des Gentils & les persécutions obligeoient de les transporter souvent d’un lieu en un autre, & de changer les lieux des assemblées & des sacrifices, & qu’on ne pouvoit en ce temps-là bâtir des temples & des autels ; mais quand la conversion de Constantin eut donné la paix à l’Eglise, on fit des temples & des autels. Les Chrétiens n’ont point donné à leurs autels la forme qu’ils avoient chez les Païens, ni même chez les Juifs dans le temple ; mais parce que Jésus-Christ institua la sainte Eucharistie au souper Paschal & sur une table, ils ont donné à leurs autels la forme d’une table. Le Concile de Paris, tenu en 509, ordonne que l’on ne consacrera point d’autel qui ne soit de pierre. Saint Grégoire de Nysse, qui vivoit au IVe siècle, parle d’autels de pierre dans un discours qu’il a fait sur le Baptême de Notre-Seigneur. Il n’y eut d’abord qu’un autel dans chaque Eglise ; mais bientôt après il y en eut plusieurs, comme on le voit souvent dans S. Grégoire le Grand, qui vivoit au VIe siècle : dans sa 50e Lettre du Xe Livre, il en compte jusqu’à treize dans une seule Eglise. Les Peres d’Achery & Mabillon ont aussi prouvé dans les Acta Sanct. de leur Ordre, Shc. III, p. I, præf. 57 & suiv. que la pluralité des autels dans une même Eglise, a commencé avant le Xe siècle.

On ne peut dresser un autel dans une maison particulière, si l’Evêque ne l’a béni, ou fait bénir. Il paroit par Socrate, Liv. I, ch. 36, de l’Hist. Eccl. & par d’autres encore, que dans les premiers siècles les autels étoient élevés, & qu’ils n’étoient point massifs, mais creux, ensorte que l’on se mettoit dessous pour prier.

Le Patriarche Taraise, quoiqu’accablé de vieillesse & de maladie, ne laissoit pas d’offrir encore le sacrifice, s’appuyant sur une table de bois que l’on mettoit devant l’autel ; ce qui montre qu’on n’eût osé s’appuyer sur l’autel même. Fleury. Comme les Martyrs étoient enterrés dans les cimetières ; ce fut là particulièrement que les Chrétiens bâtirent des Eglises, lorsque Constantin leur eut donné une entière liberté ; & en croit que c’est de cette coutume qu’est venue la régle qu’on observe aujourd’hui, de ne consacrer aucun autel, sans y mettre des reliques des Martyrs. L’Eglise en a fait une Loi dans le VIIe Concile Œcuménique : on y peut rapporter encore le Canon d’Afrique, qui défend de bâtir un autel sous le nom d’un Saint, à moins que ce ne soit le lieu de sa mort, ou qu’il n’y ait de ses reliques. Tillem.

On dit, Consacrer un autel. Il n’y a que l’Evêque qui consacre les autels. La consécration des autels est d’un usage très-ancien. Il en est parlé très-expressément dans un Décret qu’on attribue communément au Pape Evariste, qui gouvernoit l’Eglise au commencement du second siècle, & que Gratien donne au Pape Hygin, qui est du milieu du même siècle, & il n’en est point parlé comme d’une chose nouvelle.

Grand Autel, Maître Autel. C’est parmi nous le principal autel d’une Eglise. La Messe de Paroisse se dit au maître autel. C’est celui du Chœur. Stephelin, Auteur du onzième siècle, l’appelle barbarement, Altare capitaneum.

Autel portatif. Il y a des autels qu’on appelle portatifs. Ce sont des pierres consacrées, qu’on peut transporter où l’on veut. & selon le besoin. Altare mobile. On dit aussi barbarement, portatille. Il y y a des exemples d’autels portatifs avant le Xe siècle. Acta SS. Benedict. Sæc. III. Præf. p. 58. On les appelle aussi quelquefois Autel itinéraire, Altare itinerarium. Ainsi à la fin de la vie de S. Gerard, Abbé de Braine le-Comte, qui vivoit au Xe siècle, il est dit qu’en sortant de S. Denis, pour aller être Abbé de Braine, il emporta avec lui l’autel itinéraire, dont S. Denis. Apôtre de France, se servoit, dit-on, pendant qu’il vivoit.

Autel isolé, est un autel qui n’est adossé ni contre un mur, ni contre un pilier, & qui a un contre-retable, comme dans la plûpart des Eglises Catholiques. On appelle aussi. Autel isolé, un autel qui est placé sous un dais, ou Baldaquin.

Autel privilégié, est un autel auquel sont attachées quelques indulgences particulières. Ara prærogativa. Les Brefs d’autels privilégiés ne s’accordent que pour un jour la semaine, en faveur d’un autel d’une Eglise, en laquelle on dit sept Messes par jour ; ou pour deux jours, si on en dit quatorze ; ou pour trois jours, si on en dit vingt-une ; on n’en accorde point au-delà, & encore n’est-ce que pendant sept ans.

Autel de la Prothèse. Mensa Protheseos. C’est le mot que les Grecs donnent à un petit autel, sur lequel ils bénissent le pain avant que de le porter au grand autel, où l’on fait la liturgie. Le P. Goar néanmoins, dans ses notes sur l’Eucologe ou Rituel des Grecs, p. 16, croit qu’on doit plutôt donner le nom de table que d’autel, à ce que les Grecs appellent Prothesis, & que Genebrard a traduit par le mot latin altare. En effet, les Grecs ne célèbrent jamais la liturgie en un seul jour, que sur un autel, & celui de la Prothèse ne sert qu’à préparer le pain sur lequel le Prêtre fait plusieurs bénédictions. Le P. Goar prétend que cette table de la prothèse étoit autrefois dans la Sacristie, & il le prouve par quelques exemplaires grecs, où au lieu du mot de prothèse, on lit celui de Sacristie, ce qui a beaucoup de vraisemblance ; & en effet, on préparoit autrefois dans les Sacristies de nos Eglises, aussi-bien que dans celles des Grecs & des autres Orientaux, le pain qui étoit destiné au sacrifice. On faisoit cette préparation avec beaucoup de cérémonie. Voyez le mot de pain. Suicerus, dans son Trésor Ecclés. & du Cange, dans son Glossaire grec, sur le mot de Prothesis, ont parlé de ce petit autel ; ou table de la prothèse. Meursius, dans son Glossaire sur le mot άρτίς, pain, & M. Simon, dans ses notes sur les Opuscules de Gabriel de Philadelphie, en ont aussi fait mention, Voyez le mot Don.

Ce nom d’autel, ou table de la prothèse, est pris apparemment de l’Écriture ; car les Septante appellent la table des pains de la prothèse, ce que nous appelons en notre langue la table des pains de proposition. C’est la signification de prothèse, προθεσις. On y mettoit les pains que l’on offroit à Dieu, de même que les Grecs mettent sur celle-ci le pain qu’ils offrent pour être consacré.

Autel, s’est dit autrefois, & se trouve dans l’Histoire du onzième siècle, pour les oblations & le casuel d’une Eglise ; dans ces temps-là les Monastères étoient en possession de plusieurs Eglises, dont les revenus avoient été usurpés par les laïques, qui les leur avoient ensuite donnés, pour en décharger leur conscience. Le consentement de l’Évêque y étoit nécessaire. En le donnant, il obligeoit les Moines à mettre dans chaque Eglise un Clerc capable de la desservir, & à lui donner un entretien suffisant ; & quelquefois l’Évêque se faisoit payer un droit en lui donnant l’institution, & exigeoit des Moines le même droit à toutes les mutations de personnes. Ce droit se nommoit rachat, à l’imitation du rachat des fiefs aux mutations de Seigneur, & on le nommoit rachat d’autels, Redemptio altarium, parce qu’on distinguoit l’Eglise & l’autel. On appeloit Eglise, les dîmes, & les autres revenus fixes ; & autel, les oblations & le casuel. Fleury.

On appelle Pierre d’autel, une pierre sur laquelle on pose le calice & la Sainte Hostie pendant la Messe, & dont on ne se peut servir qu’après qu’elle a été bénite avec beaucoup de cérémonie. La table de l’autel est quelquefois soutenue d’une seule colonne, comme on le voit dans les chapelles souterraines de sainte Cécile à Rome, & comme étoit à Constantinople, au rapport de Paul Diacre, l’autel de la mere de Dieu au Palais de Blaquernes. Quelquefois la table étoit soutenue de quatre colonnes, comme l’autel de S. Sebastien de crypta arenaria, quelquefois enfin, & c’est la forme la plus ordinaire, un corps de maçonnerie soutient la table de l’autel ; ces sortes d’autels ressemblent à des tombeaux. C’étoit l’usage de l’Eglise, comme on l’a dit ci-dessus, de célébrer les saints mystères sur les tombeaux des Martyrs : & quand on consacre une Eglise, on renferme encore dans l’autel avec de la maçonnerie des reliques des Martyrs : dans les Eglises qui ne sont pas consacrées, la pierre de l’autel sur laquelle on dit la Messe, est marquée de croix, où il entre de la poudre des ossemens des Martyrs. C’est de ces Saints dont les reliques sont à l’autel, que le Prêtre parle en baisant l’autel durant la prière qu’il dit après l’oblation.

Autel, se dit figurément au pluriel, pour la Religion, le service, le culte, & l’honneur que l’on rend à Dieu. Honores divini, Dei cultus. Cet ambitieux, bien loin de refuser un trône, ne refuseroit pas des autels, ni tous les hommages qu’on rend aux Dieux. M. Scud. Attaquer les autels, respecter les autels. Acad. Fr. pour dire, la Religion.

Pour vous rendre à jamais des honneurs immortels,
Je vais me dévouer à vos sacrés autels. L’Abbé Tetu.


Mais depuis que l’Eglise eut aux yeux des mortels
De son sang en tous lieux cimenté ses autels. Boil.

On dit figurément d’une personne pour qui on a un grand amour, une singulière vénération, qu’elle mérite des autels, qu’on lui veut élever un autel. Ils profanent tes autels d’un indigne encens. Boil.

On appelle le très-auguste Sacrement de l’Eucharistie, le saint Sacrement de l’Autel.

Autel, se dit proverbialement en ces phrases : Qui sert à l’autel, doit vivre de l’autel ; pour dire, qu’il faut trouver de quoi subsister dans sa profession. Cette expression est prise de l’Écriture, I. Cor. IX. 13. Elever autel contre autel ; pour dire, faire un schisme, une division dans l’Eglise, dans une Communauté, y établir deux Supérieurs qui soient contraires. On dit d’un avare, d’un altéré du bien d’autrui, qu’il en prendroit sur l’autel ; pour dire, qu’il ne feroit point de difficulté de faire un sacrifice pour s’enrichir. On dit, qu’on doit être ami jusqu’aux autels ; pour dire, qu’on ne doit pas servir ses amis aux dépens de sa conscience. On dit, recourir aux autels ; pour dire, y chercher un asile, y demander du secours, y chercher des consolations. On dit d’une femme qui est chargée d’ornemens, qu’elle est parée comme un autel du Jeudi bénit, c’est-à-dire, du jeudi Saint.

l’Autel. Terme d’Astronomie. C’est le nom qu’on donne à l’une des quinze constellations méridionales. Ara. Elle est composée de douze étoiles. Bayer n’en met que huit. Elle passe à notre horizon sur le milieu de la nuit ; & au méridien sur la fin de Juin. Les Poëtes disent que c’est l’autel sur lequel les Dieux prêtèrent serment de fidélité à Jupiter avant la guerre centre les Titans, & que ce Dieu le mit dans les astres après sa victoire. D’autres disent que c’est l’autel sur lequel Chiron le Centaure immola un loup, dont la constellation est dans le ciel proche de l’autel.

L’Académie de gli ardenti à Naples, a pour devise l’autel d’Elie sur lequel le feu du ciel descend, avec ce mot grec, ΟΥΚ ΑΛΛΟΘΕΝ, Non d’ailleurs, pour marquer qu’ils ne sont ardens que du feu du ciel. Ce Corps n’est pas dans les règles de la devise.

Autel. Petit autel. Ara parva. Espèce de bandage qui, quand il est achevé, représente les coins d’un autel. Sostrate en fut l’inventeur, & Galien en fait mention dans son Traité, De Fasciis.

Autel. adj. Vieux mot. Pareil, semblable.

Autel. adv. Vieux mot. De même, semblablement. Poës. du roi de Nav.