Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AIMER

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 190-191).
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AIMER. v. a. En général c’est avoir de l’affection pour un objet quel qu’il soit, dans la pensée que c’est un bien. Amare. Un ancien a dit qu’il faut aimer ses amis, comme devant les haïr un jour ; & haïr ses ennemis, comme devant les aimer un jour. Cet ancien est Isocrates, & il n’est pas le seul qui ait été dans ce sentiment : sa maxime peut avoir un bon sens, mais absolument parlant, elle est fausse, & même pernicieuse, & contre les loix de la Religion & de la raison. Voyez ce qu’en ont dit Cicéron & M. de Sacy, dans leurs traités de l’amitié. Il faut aimer Dieu de tout son cœur, & son prochain comme soi même. ☞ On le dit dans ce sens pour marquer l’attachement qu’on a pour les animaux & pour certaines choses qui font plaisir. On aime les chevaux, les chiens, les oiseaux. La Religion fait aimer l’austérité aux personnes pieuses. S. Evr. Les uns aiment le bien ; les autres la gloire. Les uns aiment l’étude ; les autres les plaisirs, le vin, la débauche, le jeu.

Aimer, absolument, se dit plus particulièrement de l’inclination qu’on a pour une maîtresse, & de cette forte & tendre affection, qu’un sexe a pour l’autre. Le mariage n’apprend point à aimer, il veut seulement qu’on se laisse aimer. Qui aime en plus d’un lieu, ne sauroit bien aimer. Despor. Aimer ou n’aimer pas, n’est pas de notre choix. M. de la Suze. Il est dangereux d’aimer.

Quand aimer signifie prendre plaisir à quelque chose, il veut le verbe qu’il régit à l’infinitif avec la particule à. On n’aime point à louer, & on ne loue jamais sans intérêt. Rochef. Le mensonge est tellement reconnu pour un vice, que ceux qui aiment le plus à mentir, le condamnent. Peliss. Le lecteur aime à être traité en habile homme, & non pas en ignorant, qui ne peut rien suppléer de lui-même. Perr.

Aimer, signifie aussi quelquefois, savoir gré à quelqu’un d’une chose, lui en être obligé. Mol. Je vous aime de ce que vous avez répondu à Octavius. Aimez qu’on vous conseille, & non pas qu’on vous loue. Boil.

Aimer, se dit aussi avec le pronom personnel, & alors il signifie, se plaire, Delectari aliquâre. Il s’aime bien à la cour, à la guerre, à l’étude. Les éléphans ne s’aiment pas dans les pays froids. Les saules, les aunes s’aiment dans les lieux humides. C’est-à-dire, y profitent, y réussissent mieux qu’ailleurs. On dit aussi qu’une personne s’aime bien, quand elle a un soin extraordinaire de sa personne, ou quand elle a trop d’amour propre. Sibi placere.

 
Très-souvent un esprit qui se flatte, & qui s’aime,
Méconnoît son génie, & s’ignore soi-même. Boil.

Aimer mieux. Malle. Quand ces mots sont suivis d’un infinitif, cet infinitif veut être suivi des particules que & de qui en régissent un autre. Ils aimerent mieux le prendre vif, que de le tuer. Vaug. Il aime mieux dire du mal de soi, que de n’en point parler. Rochef.

Aimer mieux, se dit quelquefois des choses dont on préfère les unes aux autres. Il aime mieux une fortune basse & tranquille, qu’une fortune élevée & tumultueuse. Bouh.

Aimer mieux, se dit aussi des personnes, quand il ne s’agit pas d’amitié, mais d’une simple préférence. J’aime mieux un valet mal fait & sage, qu’un valet bien fait & fripon. Id. Mais quand il s’agit d’amitié, & non pas de préférence, il faut dire Aimer plus, & non pas aimer mieux. Ainsi il faut dire, c’est l’homme du monde que j’aime le plus, & non pas, c’est l’homme du monde que j’aime le mieux. Id. Voyez Plus et Mieux.

Aimer, se dit proverbialement en ces phrases : qui aime Bertrand, aime son chien, ou qui m’aime, aime mon chien ; pour dire, que quand on aime quelqu’un, on aime tout ce qui lui appartient. On dit à la guerre, ou en quelqu’entreprise périlleuse, qui m’aime, me suive. On dit aussi, qui bien aime, bien châtie. Il n’est pas dégoûté, il aime mieux deux œufs qu’une prune ; pour dire, il préfére un grand avantage à un moindre. On dit aussi burlesquement, il l’aime comme ses petits boyaux, comme la prunelle de ses yeux. Cette dernière expression est prise apparemment de l’Ecriture, qui dit conserver comme la prunelle de l’œil ; pour dire, conserver avec beaucoup de soin & d’affection. Deut. XXXII, 10. Psalm. XVI, 10, & ailleurs. On dit encore, j’aime mieux un tien, que deux tu l’auras ; pour dire, je préfére une chose médiocre, mais présente & assurée, à une plus considérable, qui sera incertaine, & à venir. Louis XIII étant pressé par des Députés des Huguenots de leur conserver plusieurs grands privilèges, à l’exemple des Rois ses prédécesseurs, leur répondit : Henri III vous craignoit ; le Roi mon pere vous aimoit ; & moi je ne vous crains, ni ne vous aime. Bons mots.

AIMÉ, ÉE. part. Amatus. C’est mon fils bien aimé, dit l’Ecriture : une longue absence affoiblit peu-à-peu l’idée de l’objet aimé, & l’efface enfin du cœur. M. Scud.

AIMÉ. Nom propre, Voyez Amé.

Aimée, s. f. & nom de femme. Amatalis. Ce nom n’est ni grec, ni latin, comme on le pourroit soupçonner d’abord ; il est syriac. En syriac amna signifie mere, comme abba signifie pere, & Talis est un nom propre ; de sorte que Amna, ou Ama Talis est la même chose que la Mere, ou l’Abbesse Talis. Dans le Pallade grec de Meursius, imprimé en 1616, cette Sainte est nommée tout en un mot Amatalis, au génitif Amatalidos ; & dans la Traduction du Paradis d’Héraclite que Rosweide Jésuite a fait imprimer à la fin des vies des Peres, elle est nommée simplement Amata, & c’est de cette seule manière que l’ont nommée Vincent de Beauvais, les Chartreux de Cologne en leurs Additions à Usuard, le Martyrologe germanique, Raderus dans un Catalogue des Saints écrit de sa main, Guillaume Gazée au Calendrier des Saintes jointes à son Ciméliarque, Sadder en ses gravûres, & Ferrarius en son Catalogue des Saints qui ne sont point au Martyrologe Romain. D’Amata. Il a été naturelle de faire Aimée, comme si ç’avoit été un nom propre qu’on eût fait du participe passif du verbe amo, j’aime. Aussi cette Sainte est-elle appelée Aimée en quelques Calendriers François ; ce qui ne doit point paroître extraordinaire, puisque depuis plusieurs siècles, non-seulement en Occident, mais même en Orient, on dit Amata, pour Amatalis. De même l’incorporation d’Amna avec Talis ne doit pas paroître plus extraordinaire que celle d’Abba avec Cyrus, dans le mot Abbacyrus, d’où les Cophtes ont fait Saint Abacher, & les Italiens Appassara, pour Abba Cyre. Chast. 5 Janv. Pallade rapporte, ch. 137, qu’à Antinoé il alla voir Sainte Aimée, ou Amatalide, Religieuse depuis 80 ans. M. Chastelain semble douter si le nom d’Aimée qu’on donne souvent au baptême, est celui de cette Sainte, ou Esmée, Emée, en l’honneur de Saint Esdme, ou Elme : mais ce dernier sentiment ne paroît point douteux : on ne connoît point Sainte Amatalide en France, où S. Edme au contraire est fort connu.