Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AIMANT, AIMAN ou AYMAN

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 188-189).

AIMANT, ou AIMAN, ou AYMAN. s. m. Magnes. C’est une pierre minérale, ou plutôt un métal, ou un fer imparfait, dont la pesanteur & la couleur approchent fort de celles du fer. Il est pourtant plus pesant, & plus dur. On le trouve pour l’ordinaire dans les mines de fer ; & il se rencontre souvent des morceaux, qui sont moitié aimant, & moitié fer. Sa couleur est différente suivant les différens pays d’où il vient : le meilleur est d’un noir luisant. Il n’y en a point de blanc. Celui d’Arabie est rougeâtre ; celui de Macédoine noirâtre ; celui de Hongrie, d’Allemagne, d’Angleterre, &c. de couleur de fer non poli. Sa figure ni sa grosseur ne sont point déterminées. On en trouve de toutes figures, & de grosseurs différentes. Il a des propriétés merveilleuses. Il va s’unir au fer, lorsqu’il en est à une certaine distance ; & il peut même le tenir suspendu, quoiqu’il ne le touche pas, & qu’il y ait même entre eux du papier, du carton, du cuivre, ou quelque autre corps mince. C’est ce qu’on appelle sa vertu attractive. Il tourne toujours un certain côté vers le Nord, & le côté opposé vers le Sud. C’est là sa vertu directive. On appelle ses côtés, les pôles de l’aimant, & la ligne qui va de l’un à l’autre pôle, l’axe de l’aimant. Il communique ces mêmes propriétés au fer qu’il touche ou qui a passé près de lui à une certaine distance ; ensorte qu’il a des pôles qui se tournent vers les pôles du monde, aussi bien que ceux de l’aimant. Ce qu’il y a de singulier, c’est que si ayant présenté au pôle d’un aimant le pôle d’un autre aimant, ils se joignent ; en lui présentant le pôle opposé, ils semblent se fuir. On connoît les pôles de l’aimant, en posant dessus une aiguille en liberté : cette aiguille se tournera de sorte qu’un de ses bouts marquera un pôle de l’aimant, & l’autre marquera le pôle opposé. Pour conserver un aimant, il faut l’armer, ou l’entourer de petites plaques de fer, qui puissent le toucher ; ou bien le suspendre à un fil par son équateur, pour lui laisser prendre sa situation. S’il s’enrouille, si on le laisse quelque temps dans le feu, ou si on le met en poudre, il perd la conformation naturelle de ses pores, & par conséquent toutes ses propriétés. On peut augmenter, ou diminuer la force de l’aimant ; au lieu qu’on ne peut point la rétablir lorsqu’elle est perdue. Il n’est pas vrai qu’un aimant frotté d’ail perd sa vertu. Matthiole dit que l’aimant fondu avec du bronze roux, le fait devenir de couleur d’argent, comme la calamine donne la couleur d’or au cuivre. Pline dit, que l’Architecte Dinocrates Alexandrin avoit commencé à voûter d’aimant le temple qu’un des Ptolomées avoit fait bâtir à Alexandrie à sa sœur Arsinoé qui étoit aussi sa femme, afin d’y faire tenir suspendue en l’air la statue de cette Princesse qui étoit toute de fer. Mais Ptolomée & l’Architecte moururent avant que l’ouvrage fut achevé. M. Godeau écrit la même chose de la statue de Sérapis faite par le Roi Sesostris, & suspendue dans un temple d’Alexandrie. On a fait accroire au peuple la même chose du cercueil de Mahomet. Mais ce sont des fables. Le tombeau de Mahomet est en terre au milieu de la Mosquée.

Gassendi & le Pzre Fournier dérivent ce mot de l’amour que l’aimant a pour le fer & pour le pôle, quia nihil amantiùs quàm attrahere & retinere. Ménage le dérive de adamante, ablatif de adamas, dont on a usé en cette signification. Voyez les Acta SS. April. T. I.p. 19, & dans la vie de S. Waleric, Ch. 2. Cette étimologie est plus vraie que celle qu’apporte au même endroit Henschenius, qui dit que nous l’appelons Pierre aimant ; c’est à-dire, Lapis amans, ou adamans. Guichard va plus loin. Il prétend qu’adamas signifie proprement la pierre d’aimant, & qu’elle a été ainsi appelée du mot hébreux אדם, adam, qui signifie être rouge, parce qu’en effet il y en a de rougeâtre. On l’appelle en latin Magnes, Lapis Lydius, ou Heraclius, parce qu’on le trouvoit auprès d’Héraclée, qui est une ville de Magnésie, qui fait partie de la Lydie, ou du nom d’un berger nommé Magnes qui le premier le découvrit avec le fer de sa houlette au mont Ida. ☞ L’ayant enfoncée dans la terre, dit Nicander, il eut de la peine à la retirer. Curieux de découvrir la cause du nouvel obstacle qu’il rencontroit, il creusa autour du bâton, & il en trouva la pointe attachée à un aimant.

Les Anciens qui ont sû que l’aimant attire le fer, ont entièrement ignoré la propriété qu’il a de se diriger vers les pôles du monde. Cette qualité nous est connue depuis 3 ou 4 siècles. On assure qu’un certain Jean de Goya de Melphi dans le 13e siècle a été l’inventeur de l’aiguille aimantée. Cependant Georges Wler Anglois, dans son voyage de Dalmatie, de Grèce & du Levant, dit qu’il a vu un ancien livre d’Astronomie, qui supposoit l’usage de l’aiguille aimantée, quoiqu’on ne s’en servît pas pour la navigation, mais pour d’autres usages d’Astronomie. Platon appelle l’aimant, Pierre Herculienne, à cause qu’elle commande au fer, qui dompte toutes choses. C’est ainsi qu’elle est nommée dans Euripide. On l’appelle aussi Lapis nauticus, à cause de son extrême utilité pour la navigation ; & sideritis, à cause qu’il attire le fer, que les Grecs nomment σιδηρος & en vieux françois calamite, ou marinette. Gilbert, Cabeus, les Peres Grandami & Kircher, en ont écrit fort au long. Le Pere Lieutaud en a donné un nouveau système. Descartes, Rohault, & après eux M. Regis, ont traité la même matière. Ils ont tâché d’en expliquer les effets d’une manière très-claire & très-simple ; & ils ont confirmé leurs sentimens par une infinité d’expériences, qui s’accordent parfaitement avec leurs principes. Les Anciens ont attribué la propriété attractive de l’aimant, ou à une ame qui l’anime, ou à une certaine sympathie entre le fer & l’aimant, ou à certains corpuscules qui s’écoulent du fer, & de l’aimant, & qui vont s’insinuer dans les pôles de l’un & de l’autre. Pour expliquer les effets de l’aimant, les Philosophes modernes ont imaginé plusieurs systèmes, dont quelques-uns, quoiqu’ingénieux, sont peu conformes aux loix de la saine physique.

☞ On doit supposer que chaque aimant a deux pôles, c’est-à-dire, deux points dans lesquels réside toute sa force, savoir le pôle du nord ou boréal, qui se tourne constamment vers le nord ; & le pôle austral, ou méridional, ou pôle du sud, qui se tourne vers le sud. C’est au moins la dénomination reçue parmi nous. Chez les Anglois, c’est tout le contraire.

☞ L’Aimant a ses pores droits & parallèles à son axe. Il est probable que les pores qui vont du nord au midi, n’ont pas précisément la même figure que ceux qui vont du midi au nord.

☞ On donne à l’aimant une atmosphère composée de corpuscules magnétiques. On ne doit pas regarder ceci comme une simple supposition, puisque l’expérience nous apprend que le fer s’aimante sans toucher l’aimant, pourvu qu’on le mette dans l’atmosphère de la pierre. L’espace dans lequel se meut cette espèce de tourbillon de matière magnétique autour de l’aimant, est ce qu’on appelle la sphère d’activité de l’aimant. Sa qualité attractive ne s’étend point au-delà.

☞ On regarde les pores de l’aimant comme remplis de corpuscules magnétiques, dont chacun est un petit aimant qui a son axe & ses deux pôles. On peut soupçonner que ces corpuscules ont une figure à peu près ronde. La facilité qu’ils ont de se mouvoir sur leur axe paroît l’annoncer. On peut supposer encore que les corpuscules magnétiques qui viennent de la partie boréale de la terre ne sont pas tout-à-fait semblables à ceux qui viennent de la partie méridionale.

☞ Enfin chaque corpuscule magnétique a une direction constante, & il tourne une des extrémités de son axe vers le pôle boréal de la terre, & l’autre extrémité vers le pôle méridional. D’où peut venir une direction aussi constante ?

☞ Les Physiciens ont toujours regardé la terre comme un grand aimant. On peut donc lui donner des pores parallèles à son axe, & supposer qu’elle nous fournit tous les corpuscules magnétiques qui se trouvent dans son atmosphère ; & que l’émission des corpuscules causée probablement par la fermentation qui se fait dans le sein de notre globe, ne peut se faire que par les pôles de la terre, puisque l’ouverture par laquelle elle se fait, se trouve aux pôles ou aux environs des pôles. Enfin l’on peut supposer que les corpuscules magnétiques conservent une direction vers les pôles de la terre, puisque c’est delà qu’ils sortent.

☞ Avec ces suppositions on explique avec assez de facilité les expériences de l’aimant.

☞ Si l’on fait toucher à une pierre d’aimant une aiguille de fer ou d’acier, elle recevra par le contact les propriétés de l’aimant ; parce que le fer & l’acier ont des pores à-peu-près semblables à ceux de l’aimant : ainsi les corpuscules qui sortent de l’aimant, vont se loger dans les pores de l’aiguille, & lui communiquent les propriétés de l’aimant.

☞ L’extrémité de l’aiguille qui touche le boréal d’une pierre d’aimant, acquiert une vertu méridionale, c’est-à-dire, une vertu qui la fera tourner vers le pôle de la terre opposé à celui que regardoit le pôle de la pierre qui a servi à l’aimanter, parce que les corpuscules magnetiques qui sortent du pôle boréal de la pierre, entrent dans l’aiguille d’acier en conservant leur direction. Ils y entrent donc la face boréale la première. Donc l’extrémité de l’aiguille qui ne touche pas la pierre, doit acquérir la vertu boréale, & celle qui touche le pôle boréal de la pierre, doit acquérir une vertu méridionale.

☞ Par la même raison, si l’extrémité de l’aiguille touchoit le pôle méridional de la pierre, elle acquérroit une vertu boréale.

☞ Si on fait toucher l’équateur de la pierre à l’aiguille, au lieu de lui faire toucher un des deux pôles, elle ne s’aimantera pas sensiblement, parce que l’aiguille ne s’aimante qu’autant qu’elle reçoit dans ses pores les corpuscules magnétiques. Or c’est par les pôles de la pierre que se fait l’émission de ces corpuscules, & non par l’équateur.

☞ Pour ce qui concerne la direction & la déclinaison de l’aiguille aimantée, Voyez au mot Aiguille.

☞ Pour l’attraction & la répulsion magnétique. Voyez au mot Attraction.

☞ Un aimant armé a beaucoup plus de force qu’un aimant désarmé, & il soutient quelquefois un poids cent quatre-vingts fois plus grand. On arme un aimant en appliquant à chacun de ses pôles une plaque d’acier terminée par un bouton. Ces deux boutons sont les deux endroits où va se réunir toute la force des deux pôles. Aussi c’est sur un de ces boutons que l’on doit frotter ce que l’on veut aimanter.

☞ On ne sera pas surpris de la force prodigieuse des aimans armés, si l’on fait attention que par le moyen de l’armure, les corpuscules magnétiques non-seulement ne s’évaporent pas, mais encore au lieu d’être épars çà & là, ils vont tous se réunir dans les deux boutons que l’on nomme les deux pôles.

☞ De plus, l’acier étant plus poli que la pierre d’aimant, il reste moins d’air entre l’acier & les corps qui s’attachent immédiatement à lui, qu’il n’en resteroit entre la pierre & ces mêmes corps.

☞ Enfin l’acier a des pores moins larges que l’aimant. Les corpuscules magnétiques qui sortent de l’aimant pour entrer dans l’armure d’acier, passent d’un endroit plus large dans un endroit plus étroit : ils accélerent donc leur mouvement ; & par conséquent leur force est augmentée.

☞ Pour connoître les deux pôles d’un aimant, enterrez-le dans la limaille d’acier. En le retirant, vous verrez la limaille attachée à deux endroits préférablement à tous les autres. Ces deux endroits sont les deux pôles de la pierre.

M. Parent est persuadé que dans le système de l’aimant, on doit admettre deux tourbillons de matière magnétique, qui tournent en hélice autour de la terre & le long de son axe en deux sens opposés l’un à l’autre, & dont l’un sort par un hémisphère, & l’aune par l’hémisphère opposé. Acad. des S. 1703. Hist. p. 15.

M. André, Médecin, dans ses Entretiens sur l’acide & sur l’alkali, prétend qu’on peut expliquer, par le moyen de ces sels, tous les effets qu’on attribuoit autrefois à des qualités occultes, & entr’autres la vertu de l’aimant. Il dit que la force de l’aimant qui est un fer imparfait, consiste dans de petits corps pointus qui remplissent ses pores ; qu’il sort sans cesse de l’aimant quantité de ces petits corps, en même temps qu’il y en rentre d’autres qui prennent leur place, parce que l’air en est tout rempli ; que ces atômes qui sortent continuellement de l’aimant, s’insinuent dans les pores du fer, & les remplissent ; mais que comme ils ne peuvent sortir sans agiter l’air avec violence, cet air ainsi agité pousse le fer vers l’aimant, ou l’aimant vers le fer, suivant que l’un de ces deux corps lui résiste.

Nicolas Harsocker dans ses Principes de Physique, prétend que l’aimant n’est qu’une pierre ordinaire parsemée d’une infinité de prismes creux, qui, par le mouvement diurne de la terre se sont rangés parallèles les uns aux autres, & à-peu près parallèles à l’axe de la terre. Ces prismes contiennent dans leurs canaux une matière extremement subtile, qui par le mouvement diurne de la terre doit couler par les canaux des prismes qui sont à la file l’un de l’autre ; ayant ainsi coulé de prisme en prisme jusqu’au dernier, elle doit retourner vers le premier & y rentrer par la même ouverture qui lui a déjà servi d’entrée ; ainsi elle doit faire une circulation perpétuelle autour de ses prismes. Par ces principes il prétend expliquer tous les phénomènes de l’aimant.

Monconis, T. II. p. 449, parle d’une pierre d’aimant qui ne pesoit qu’une once, & qui en portoit 33 étant armée, & d’une autre qui pesoit 5 onces, & portoit 13 livres de 12 onces chacune. Voyez sur l’aimant le livre du Pere Lieutaud Jésuite, intitulé Magnetologia, & imprimé à Lyon en 1668, in-4o. Velschius, dans ses Observationes Physico-Medicæ, parle d’un aimant blanc, qui avoit la même force & la même vertu que le meilleur aimant du monde, & d’un aimant artificiel sur lequel il discourt amplement.

On trouve en presque toutes les provinces de la Chine des pierres d’aimant. Il en vient aussi du Japon ; mais le grand usage qu’en font les Chinois est dans la Médecine. On les achete au poids, & les meilleures ne se vendent que 8 ou 10 sous l’once. J’en ai apporté une d’un pouce & demi d’épaisseur, qui quoiqu’assez mal armée, lève néanmoins 11 livres ; elle en lèvera 14 ou 15, quand elle sera en état. Au reste, ils ont une facilité fort grande de les tailler ; on a coupé à Nankin la mienne en moins de deux heures. La machine dont ils se servirent pour cela est simple ; & si nos ouvriers veulent en user, ils abrégeront beaucoup le travail. Elle est composée de deux jambages de 3 ou 4 pieds de haut arc-boutés par deux liens en contrefiches, & séparés par une membrure qui les traverse, & qui est emmortaisée dans leurs semelles. Sur la tête des jambages on pose de champ un petit rouleau, ou un cylindre, d’un pouce & demi de diamètre, qui peut tourner circulairement par le moyen d’une corde roulée sur le milieu, dont les deux bouts pendans sont attachés à une double marche, sur laquelle pose les pieds de l’ouvrier. A l’une des extrémités du cylindre, on a mastiqué par son centre une plaque de fer fort mince, fort ronde, & bien aiguisée en tout son contour, qui a environ huit pouces de diamètre, & qui se meut avec une grande vîtesse, tantôt en dessus & tantôt en dessous, selon qu’on élève ou qu’on abat les marches. L’ouvrier cependant présente d’une main l’aimant, & de l’autre de la boue faite d’un sable très-fin, qui rafraîchit le fer, & qui sert à couper la pierre ; mais parce que le fer en passant au travers du sable, le jette & le pousse tout autour avec violence, ce qui pourroit aveugler celui qui travaille, on a soin de placer précisément au-dessus une petite latte tournée en demi-cercle qui le reçoit & qui en défend l’ouvrier. P. Le Comte.