Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AGNEL ou AIGNEL

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 162-163).
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AGNEL, ou AIGNEL, est un vieux mot, qui étoit le nom d’une ancienne monnoie d’or que fit battre Saint Louis, sur laquelle étoit représenté un agneau, ou mouton. Le mouton que l’on peint ordinairement auprès de S. Jean-Baptiste, a donné lieu à quelques-uns de croire que le Roi Jean avoit fait le premier frapper cette monnoie pour honorer son patron ; Froissard assure même que ce fut après la bataille de Poitiers. Voyez Budé, L. V, & Froiss. T. I, ch. 171. L’inscription de cette monnoie étoit, Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis. Le Blanc. Cet Auteur marque que cette monnoie étoit d’or fin à 59 ½ au marc sous S. Louis, & Charles le Bel, en 1226 & en 1321. Et il dit dans sa Préface, p. 3, qu’elle pesoit 3 deniers 5 grains trébuchans ; qu’elle valoit 12 sous 6 deniers tournois, qui étoient des sous d’argent, qui pesoient environ autant que l’aignel. Ceux que le Roi Jean fit faire, étoient aussi d’or fin ; mais ils étoient plus pesans environ de 10 à 12 grains que ceux de ses prédécesseurs, puisqu’ils pesoient 3 deniers 16 grains la pièce. Ceux de Charles VI & Charles VII ne pesoient que deux deniers, & n’étoient pas d’or fin. Sous ce dernier Prince les agnels valoient dix sous parisis, ou 12 sous 6 deniers tournois ; ce qu’il faut entendre des sous de ce temps-là, lesquels étoient d’argent fin, & pesoient environ une drachme 7 grains. Ceci se prouve par une ordonnance de Philippe le Bel de l’an 1320, dans laquelle il dit : Agnels que nous faisons forger comme au temps de S. Louis ; & sous ce Roi, cette monnoie étoit d’or fin, & pesoit 3 deniers 5 grains trebuchans. Louis Huttin, dans une de ses ordonnances, dit que S. Louis fit faire le denier d’or appelé l’agnel, & qu’il eut cours pour 10 sous parisis. Parmi les Auteurs qui ont parlé de cette monnoie, les uns la font beaucoup postérieure à S. Louis ; mais leur opinion est condamnée par les deux ordonnances que je viens de citer. Quelques-autres veulent que Louis VIII soit le premier qui la fit faire, & ce sentiment me paroît détruit par un endroit des ordonnances de Philippe le Bel, où il dit : qu’il fera forger monnoie d’or, qui est & qui sera appelée à l’agnel, lequel est du temps de S. Louis notre aïeul.

M. de Peyresc, qui, au rapport de M. du Cange, est un de ceux qui prétendent que les prédécesseurs de S. Louis firent cette monnoie, croit qu’elle fut fabriquée au temps de la guerre des Albigeois, pour payer les troupes de l’armée des croisés, & qu’on la marqua de cet agneau, que nous appelons communément Agnus Dei, à cause qu’il étoit sur les drapeaux des principaux chefs de cette armée ; que depuis ce temps-là le clergé de France, aussi-bien que plusieurs églises, le mirent dans leurs armes. Je ne sais d’où M. de Peyresc a tiré cela. Les ordonnances citées marquent clairement que ce fut S. Louis qui fit faire cette monnoie : ce fut sans doute par un effet de sa piété, qu’il y fit mettre le symbole sous lequel on a accoutumé de représenter le fils de Dieu.

Cette monnoie fut nommée aignel d’or, à cause de la figure d’un mouton, ou d’un aignel, comme on parloit en ce temps-là, qui étoit représentée sur l’un de ses côtés. Le Blanc. En latin agnus un agneau, agnellus, diminutif, un petit agneau. On la nomma ainsi, Denier d’or à l’aignel ; Florin d’or à l’aignel, Moutons d’or à la grande laine ; & Moutons d’or à la petite laine. Id. Nos Auteurs françois appellent aussi Agneaux la monnoie que Jacob donna aux enfans d’Hémor, & que le texte hébreu appelle קשיטה, Gen. XXXIII, 19. Nous apprenons encore du même Livre de la Genèse, que Jacob paya cent agneaux aux enfans d’Hémor pour le champ qu’il avoit acheté d’eux ; c’est-à-dire, cent pièces de monnoie, sur lesquelles un agneau ou un mouton étoit gravé ; ce qui est justifié par les Actes des Apôtres, Ch. VII, v 16, où il est marqué que Jacob avoit acheté à prix d’argent. Cette circonstance marque que ces agneaux étoient des monnoies réelles, comme ont été autrefois en France les deniers d’or à l’agnel, & les moutons d’or à la grande ou petite laine… Ce nom d’agneau fait voir que la monnoie étoit marquée dès ce temps-là. Boizard. M. Pelletier de Rouen a fait une Dissertation sur cette monnoie. Elle est dans les Mémoires de Trévoux, au mois de Mai 1704, dans laquelle il montre que c’étoit une monnoie des Chaldéens, & quelle étoit marquée d’un côté d’un agneau, & de l’autre d’un sagittaire, ou archer, ou d’un arc, ou d’un carquois plein de flèches. Hortinger, de Num. Orient, p. 100, prouve aussi que c’étoit une monnoie. 1o Par l’endroit des Actes, VII, 16, que nous avons déjà cité. 2o Par le commerce que faisoit Jacob. 3o Par l’ancienne coutume de presque tous les peuples, de donner à l’argent, à la monnoie, le nom des animaux qu’on y gravoit ; témoins les bœufs d’Athènes & de Rome, les loups d’Argos, les chevaux de Céphalène & de Thessalie, &c. 4o Par le consentement unanime des Hébreux, qui disent que ces Késita sont une espèce de monnoie. 5o Par l’usage de cette monnoie, que l’on trouve encore dans le Thalmud : il devoit ajouter, & parmi les Arabes. Ce sentiment est le plus commun ; c’est celui de Waserus, de Antiq. Hebr. Num. L II, C. 15, p. 89. De Drusius, in Gen. XXXIII, 19. Du P. de la Haye, Bibl.Max. & de Grotius sur le même endroit de l’Ecriture ; de R. David Kimhhi, Libr. Rad. & du Miclol Jophi, in Gen. XXXIII, 19, de Villalpandus & de beaucoup d’autres. Il n’y a pas jusqu’à M. Sperlingius, qui, dans sa Dissertation, de Nummis non cusis, chap. 13, soutient que c’étoit une monnoie d’or, quoiqu’il prétende qu’elle n’étoit point marquée.