Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Trinité (La Sainte)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 930-948).

TRINITÉ (LA SAINTE). — Dans le mystère de la Sainte Trinité l’apologiste doit étudier surtout : I. Sa révélation ; II. Sa tradition ; III. Son explication théologique.

I. Révélation du mystère de la Trinité. — La révélation progressive du mystère de la Trinité a été ainsi décrite par saint Grégoire de Naziance :

« L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, 

obscurément le Fils. Le Nouveau a révélé le Fils et a fait entendre la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui l’Esprit vit parmi nous, et se fait plus clairement connaître. Car il eût été périlleux, « lorsque la divinité du Père n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils, et, tant que la divinité du Fils n’était pas admise, d’imposer, si j’ose dire, comme en surcharge, le Saint-Esprit ; on eût pu craindre que, comme des gens chargés de trop d’aliments, ou comme ceux qui fixent sur le soleil des yeux encore débiles, les fidèles ne perdissent cela même qu’ils étaient capables de porter ; il fallait, au contraire que, par des additions partielles, et, comme dit David, par des ascen1849

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NOM, de gloire en gloive, la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement’».

Ce texte du grand docteur nous fait exactement saisir le plan providentiel dans la révélation du mystère : c’était le Fils de Dieu qui devait introduire les hommes dans le secret de la vie divine ; à cette révélation décisive l’Ancien Testament devait préparer progressivement le peuple élu. C’est ainsi en effet que se révèle à nous, à travers les livres saints, la lumière céleste, « rayonnant progressivement, de gloire en gloire ».

i) Avant de retracer ce progrès, il peut être utile de jeter un regard sur le monde païen. Les traditionalistes, Chateaubriand, Lamennais, Bonnetty, ont cru retrouver dans les mythologies les plus diverses les vestiges d’une révélation de la Trinité. Gladstone en reconnaît la trace dans le trident de Poséidon, ou encore dans la triade Zens-Poséidon -Héré ; V. Duruy, dans Zeas-Poseidon-Hadès. Aujourd’hui encore certains missionnaires aiment à signaler des rapprochements semblables. Ces analogies sont plus spécieuses que profondes ; et, comme le rappelait récemment (Recherciies de Science religieuse, 1927, p. 4}5, n. 3 ô) le P. Pinard uk La Boullaye, il est imprudent d’accorder aux païens la connaissance d’une révélation que les Pères n’ont pas reconnue chez les Juifs.

Les critiques radicaux qui essaient aujourd’hui d’expliquer l’origine du christianisme par l’inlluence des religions païennes, ne manquent pas de rechercher, eux aussi, des analogies dans les religions de l’Egypte, de la Grèce ou de l’Orient ; les plus avisés d’entre eux renoncent toutefois à presser ces comparaisons fragiles, mais dans les groupes ternaires de dieux ou de héros, ils dénoncent des créations spontanées de l’âme humaine, suivant un rythme instinctif. Ainsi II. Usbneb, Dreilieit, dans Rheinisches Muséum fur Philologie, Neue Folge, LVIII (1903, p. i-4/, 161-208, 321-362). Il conclut (p. 363- ;) : « Le dogme chrétien de la Trinité de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, n’a pas été révélé, mais il est né, il s’est produit sous l’action du même instinct, que nous avons vu à l’œuvre dans les religions anciennes. » Cette hypothèse futile n’essaie même pas d’expliquer l’élément capital du problème, c’est-à-dire le caractère propre de la Trinité chrétienne, et ses relations avec la foi juive d’où elle est née.

Sur toute cette question, cf. nos Origines du Dogme de la Trinité 6, p. 17 sq. On peut voir un expos S et une critique des thèses comparatistes dans C. Clbmbn, Religionsgescliichlliche Erldurung des N. T. 2, p. 125-128, et Harnack, Entstehung der Kirchenverfassung (Leipzig, 1910), p. 187-198.

2) Dans l’Ancien Testament, Dieu a préparé son peuple à la révélation chrétienne, tout d’abord en maintenant la pureté de sa foi, et ensuite en l’éclairant progressivement de lumières nouvelles.

Depuis le retour de l’exil et surtout depuis la réaction machabéenue, les Juifs ont, en face du polythéisme et de l’idolâtrie, une horreur qui ne transige plus, mais qui repousse et qui condamne. Xoa seulement les livres inspirés, mais tous les livres juifs de cette époque allirment la même foi rigoureusement monothéiste et la même horreur des idoles, et les faits confirment le témoignage des livres : sur la grande porte du temple, Hérode avait fait placer une aigle d’or, le peuple l’abattit ; Pilale provoqua une révolte pour avoir fait entrer à Jérusalem ses troupes portant les images des empereurs ; pour éviter un pareil soulèvement, Vitellius, se rendant d’Antioehe à Pétra, céda aux instances des Juifs et

1. OraL thtol. v, 26 (P. G., XXXVI, ICI) ; cf. ibid, 25 (160).

lit un long circuit plutôt que de traverser la Palestine. Quand Caligula voulut faire mettre sa statue dans le temple de Jérusalem, l’émotion populaire fut telle que Petronius, le gouverneur de Syrie, recula (sur tous ces faits, cf. Origines, p. K>4).

Et tout cela est continué par le témoignage de l’Evangile. Notre-Seigneur corrige sur d’autres points l’enseignement communément donné au peuple juif ; mais sur la foi au Dieu unique, il n’a pas de réforme à introduire : si on lui demande quel est le premier de tous les commandements, il répond comme répondent les docteurs : « Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est un Seigneur unique » (Marc, xa, 29).

Ce monothéisme si ferme était pour la révélation de la Trinité une condition indispensable et il sera toujours pour la foi orthodoxe en la Trinité la sauvegarde la plus ellicace.

Mais, en même temps que Dieu protège ainsi la foi de son peuple, il commence à l’enrichir ; il lui fait pressentir, dans l’unité de la nature divine, une pluralité de personnes. Certains textes, éclairés de la lumière de l’Évangile, feront apparaître aux yeux des Pères les premiers linéaments de cette doctrine que les Juifs n’entendaient pas encore et que le Christ enseignera : Gen., 1, 26 ; ii, 22 ; xi, 7 ; Is., vi, 8. Cf. Origines, p. 5Ô2-558.

Une préparation plus efficace apparaît dans la doctrine de la Sagesse (cf. Origines, p, 122-131). Les textes les plus importants se lisent au livre des Proverbes (vin, 22 sqq.), de l’Ecclésiastique (xxiv, 3 sqq.) et de la Sagesse de Salomon (vn-ix). Ces textes avaient déjà été remarqués par les Juifs, antérieurement à la révélation chrétienne, ils y avaient reconnu la préexistence de la Sagesse, qu’ils identifiaient souvent avec la Loi ; saint Paul reprendra le texte des Prover bes pour l’appliquer au Fils de Dieu,

« le premier-né de toute la création » (Col., 1, 10) ; 

les Apologistes s’en serviront comme d’une arme de choix pour prouver soit aux Gentils, soit aux Juifs la préexistence du Verbe et son rôle dans l’œuvre de la création. Dans V Ecclésiastique, et surtout dans la Sagesse, cette doctrine se précise : « La Sagesse est le souille de la puissance de Dieu, une pure émanation de la gloire du Tout-Puissant ; aussi rien de souillé ne peut tomber sur elle. Elle est la splendeur de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu et l’image de sa bonté » (Sap., vii, 2526). Plusieurs de ces expressions ont été reprises dans l’épltre aux Hébreux, et plus tard, au cours de la controverse arienne, les Pères y ont insisté fréquemment.

D’autres doctrines bibliques, celle de la Parole, du Messie, et aussi celle de l’Esprit de Dieu préparaient les âmes à la révélation chrétienne. Les Juifs ne discernaient pas encore le terme où convergeaient tous ces traits ; mais les chrétiens, qu’éclaire la lumière de l’Evangile, peuvent, en se retournant vers le passé, y distinguer le dessein de Dieu frayant les voies à son Fils.

3) Dans l’Evangile lui-même, la révélation divine nous appar.iit prudente, patiente, évitant de blesser des yeux trop faibles par une clarté trop vive. Dans le discours après la Cène Notre-Seigneur dira encore à ses apôtres : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter présentement ; quand il sera venu, l’Esprit de vérité, il vous introduira en toute vérité » (Jcan, xvi, 12-13) ; et un peu plus haut, dans ce môme discours :

« Voici si longtemps que je suis avec vous, 

et tu ne me connais pas encore, Philippe ? Qui m’a vu, a vu le Père » (Ibid, , xiv, 9). Ces paroles, adressées par le Seigneur, au dernier jour de sa vie mortelle, à ses confidents les plus intimes, nous disent 1851

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assez qu'à cette heure la révélation chrétienne n'était pas consommée ; il y fallait la Pentecôte, et tout le développement de la prédication apostolique. Toutefois, c’est dans l’enseignement et l’apparition du Fils de Dieu que le mystère divin nous apparaît d’abord.

On peut dans l’ensemble de la vie du Christ distinguer quelques manifestations plus lumineuses ; et tout d’abord l’annonce faite à Marie par l’ange, au jour de la conception virginale : « L’Esprit-Saint viendra sur loi, et la Vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de toi sera appelé le Fils de Dieu. » (Luc, 1, 35). Cf. A. Durand, L’enfance de Jésus-Christ (Paris, 1908), p. 156 ; A. Médkbiellk, art. Annonciation, Suppl. au Dict. de la Bible, col. 291-294 ; Origines du dogme de la Trinité 6, p. 302, 33 1-335.

Trente ans plus tard, Jésus est baptisé dans le Jourdain ; comme il sortait de l’eau après le baptême et qu’il était en prière, le ciel s’ouvrit et le SaintEsprit descendit sous la forme d’une colombe, en même temps qu’une voix se lit entendre : « Tu es mon Fils unique ; en loi je me suis complu » (Marc, 1, 1 1. Les mots vlit à-yxirriroi, selon l’usage hellénique de l'époque et l’ancienne interprétation patristique, signifient « tils unique » plutôt que « fils bien-aimé ». Cf. Origines, p. 268, n. 1 et 324, n. 8). Cette scène est une des plus solennelles de tout l’Evangile ; elle couronne tout le ministère du Précurseur : Dieu lui donnait la révélation décisive qu’il lui avait promise (Jean, i, 32-34)- En même temps Dieu conférait à Jésus, au début de son œuvre d'évangélisat ; on, une garantie solennelle. Nous reconnaissons ainsi dans cette scène la première manifestation solennelle de la Sainte Trinité ; le baptême chrétien devait être consacré par elle (Matt., xxviii, 19) ; le baptême du Christ en est déjà la révélation ; sans doute, cette révélation ne sera comprise que plus tard par les chrétiens que le Christ aura instruits et que le SaintEsprit aura éclairés intérieurement ; ils se reporteront alors vers ce premier jour de la vie publique du Seigneur, et ils aimeront à y reconnaître la première manifestation du Dieu Père, Fils et SaintEsprit.

Ce n’est que peu à peu que les apôtres sont, parle Père, conduits au Fils et introduits dans les secrets divins. Après la pêche miraculeuse (Luc, v, (,-n), Pierre se jette aux genoux de Jésus en s'écriant :

« Retire-toi de moi, Seigneur, parce que je suis un

homme pécheur ».Unpeu plus tard, les apôtres sont dans leur barque et repassent le lac ; soudain Jésus apparaît, marchant sur les eaux. Pierre s'écrie :

« Seigneur, si c’est toi, dis-moi de venir à toi sur les

eaux » ; Jésus lui dit : « Viens 1 » Pierre s’avance, mais, pris de peur, il commence à enfoncer ; Jésus le relève et monte avec lui dans la barque ; les apôtres se prosternent alors devant Jésus, en disant :

« Tu es vraiment le Fils de Dieu ». (Matth., xiv, 

22-33).

Vers la même date, Jésus, enseignant dans la synagogue de Capharmuim, se présente comme le pain de vie descendu du ciel. Beaucoup de disciples se scandalisent et s'éloignent ; le Christ, se tournant vers ceux qui restent, leur dit : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Et Pierre lui répond au nom de tous :

« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de

vie éternelle ; et nous croyons et nous sommes sûrs que tu es le Saint de Dieu. » (Jean, vi, 6769).

Peu après, à Césarée de Philippe, la confession plus solennelle encore que Pierre fait au nom de tous, marque un nouveau progrès de la foi des apôtres, et Jésus, par sa réponse, en consacre l’origine divine :

Qui dit-on qu’est le Fils de l’homme ? Et les disciples répondent : Le » uns disent que c’est Jean-Baptiste, d’autres Elie, d’autres Jérémie, ou un des prophètes. Et Jésus leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ? SimonPierre lui répondit : Tu es le Christ, Fils du Dieu vivant. Et Jésus reprit : Ta es heureux, Simon, fils de Jean ; car ce n’est pas la chair et le sansr qui te l’a révélé, mais mon Père, qui est au ciel. (Malth., xvi, 13-17). Cf sur ce texte, Lagrange, Saint Matthieu, p. 3 la sqq. ; Originel, p. 315 sq.

Six jours plus lard, cette révélation du Père céleste était confirmée par la glorieuse théophanie de la Transfiguration :

Et six jours après, Jésus prend Pierre et Jacques et Jeun son frère, et les emmène sur une haute montagne à l'écart. Et en leur présence il fut transfiguré, et sa face resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici que Moïse et Elie leur apparurent, s’entretenant avec lui. Alors Pierre prit la parole et dit à Jésus : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu veux, je ferai ici trois lentes, une pour toi, une Moïse et une pour Elie. Pendant qu’il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les recouvrit, et voici que de la nuée une voix se lit entendre, qui dit ; Celui- ci est mon Fils unique, en qui je me suis complu ; écoutez-le. Les disciples, ayant entendu cela, se jetèrent la face contre terre, et eurent une grande frayeur. Et Jésus s’approcha d’eux, les toucha et leur dit : Levez-vous et n’ayez pas peur ! El quand ils levèrent les yeux, ils ne virent personne, sinon Jésus seul. (Malt, xvii, 1-8).

Ces textes marquent pour nous quelques étapes de la manifestation progressive du Fils de Dieu ; pour en saisir toute la portée, il fan Irait relire intégralement l’Evangile. On trouvera cette étude ici même dans l’article magistral du P. dk Grandmaison, sur Jésus-Christ. Nous nous contenterons de rappeler ici quelques traits de cette démonstration évangélique.

Vis-à-vis de la foule des disciples plus encore que vis-à-vis du petit groupe des apôtres, l’enseignement de Jésus est prudent, lentement progressif ; mais dès ses premiers discours il ébranle lésâmes, et peu à peu il les attire vers le mystère divin qu’il doit leur révéler. Dès le début, il s’impose par l’autorité souveraine de sa parole (Matth., vir, 28-2g) ; il revendique, en face des pharisiens scandalisés, le pouvoir de remettre les péchés (Marc, ii, 1-12) ; il se présente comme maître du Sabbat (Ibid., ii, 23-28), comme plus grand que le temple (Matth., xii, 5-6). Il exerce sur les âmes un pouvoir souverain ; il réclame tout pour lui, sachant que tout lui est du et qu’il peut tout rendre (Ibid., x, 37-3q) ; dès maintenant, l’amour qu’on lui porte efface les fautes (Luc, vu, 36-50) ; au dernier jour, c’est sur l’attitude des hommes envers lui que tous seront jugés (Matth., vu, 22-23 ; xxvi, 35-46), et jugés par lui (Ibid.) : « il viendra dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun seloo ses œuvres » (Ibid., xvi, 27 ; cf. xxiv, 30-31). Ce rôle de juge souverain, commandant aux anges, sauvant ou condamnant les hommes, était communément attribué par les Juifs non au Messie, mais à Dieu même (Origines, p. 283 sqq) ; Jésus le revendique.

Cette transcendance est affirmée avec une énergie particulière pendant la dernière semaine de la vie de Jésus. Le temps n’est plus de la préparation réservée et patiente, l’heure est venue des avertissements suprêmes. On les relève particulièrement dans la parabole des vignerons (Marc, xii, 1-9) : ce qui y est enseigné, ce n’est pas seulement la mort du Christ et le châtiment des Juifs, c’est l’histoire du peuple de Dieu représenté sous l’image traditionnelle de la vigne ; les prophètes, envoyés d’abord par Dieu, ne sont que des serviteurs ; le Messie, que Dieu, envoie 1853

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enfin, est son Fils unique : c’est l’enseignement qui sera repris dans le prologue de l’épître aux Hébreux. Un peu plus tard, c’est la question sur le Messie fils de David : « David lui-même l’appelle Seigneur ; comment donc est-il son fils ? » (Marc, xii, 35-37) ; c’est la description prophétique du jugement universel,

« quand le Fils de l’homme viendra dans sa

gloire avec tous les anges », et décidera du sort de tous les hommes (Matth., xxv, 31-46). C’est eDfin le témoignage suprême que Jésus se rend à lui-même devant le grand-prêtre :

Le grand-prétre, se lavant, lui dit : Tu ne réponds rien ? qu’est-ce que ces gens témoignent contre toi ? Mais Jésu< se taisait. Le grand-prètre lui dit : Je t’adjure, au nom du Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. Jésus lui dit : Tu l’as dit. En outre, je vous le dis, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis a la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. Alors le grand-piêtre déchira ses vêtements en disant : Il a hlasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème. Que vous en semble ? Et ils répondirent : Il est digne de mort (Mail., xxiii, 62-66).

Tout cet ensemble de textes est décisif, il nous force à reconnaître en Jésus non pas seulement un prophète, un Messie, mais le Fils du Dieu vivant. Pour mieux entendre cette filiation, il faut considérer surtout certaines paroles du Seigneur, où se révèle la relation unique qui le rattache à son Père.

Entre les hommes et le Père céleste, Jésus est le médiateur indispensable, le seul qui connaisse le Père, le seul qui puisse le révéler ; et ce qu’il y a de plus remarquable encore, c’est que les relations qui unissent le Père et le Fils sont décrites sous l’aspect d’une réciprocité parfaite, impliquant une communauté de nature ;

Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligente, et de ce que tu les as révélées aux enfants : Oui, Père (je te loue) de ce que telle a été ta volonté. Tout m’a été confié

Par mon Père, et personne ne connaît le Fils, si ce n’est le ère ; personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler (Matth., xi, 25-27 ; Luc, x, 21-22). Sur ce texte, cf. Origines, p. 307 sqq., et note D, p. 391-598.

De ce texte on rapprochera beaucoup d’autres paroles du Seigneur, recueillies soit parles synoptiques, soit par saint Jean. Jésus y apparaît comme l’unique médiateur entre son Père et les hommes, vivant par le Père et communiquant la vie aux hommes (Jean, vi, 57) ; « de même que toi, Père, es en moi et moi en toi, qu’ainsi eux soient un en nous » (ibid., xvi, ai).

Et cette médiation n’apparaît jamais comme le ministère d’un agent subordonné, à mi-hauteur entre Dieu et les hommes, ainsi que Philon concevait le rôle et la nature du Logos ; c’est l’action de celui qui, étant vraiment Dieu et vraiment homme, unit en sa personne les deux natures et répand sur l’humanité les richesses infinies qu’il tient de son Père et qu’il reçoit en plénitude.

De là le double aspect sous lequel nous apparaît dans l’Evangile la personne du Christ : vis-à-vis du Père, une attitude de dépendance, d’adoration, de prière, de soumission totale à sa volonté : autant qu’il le peut, il s’efface pour orienter vers le Père le dévouement, l’amour, la prière de ses disciples :

« Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon, si ce

n’est Dieu seul » (Marc, x, 17-19) : « … quant à être assis à ma droite et à ma gauche, ce n’est pas à moi de vous le donner ; ces places appartiennent à ceux à qui mon Père les a réservées » (Matth., xx, 22-23) ; c ce jour (du jugement), nul ne le sait, ni les anges

du ciel, ni le Fils, si ce n’est le Père » (Marc. xni. 3a) : de même qu’il réserve au Père la disposition des places du royaume, ainsi il lui réserve ta communication des secrets divins (Cf. Origines, p. 310-312 et note C). Ce sont ces sentiments que révèle encore cette parole dedésir et d’humilité que Jésus, impatient d’aller à son Père, adressait à ses disciples : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi » (Jean, tc.iv, 28).

Et d’autre part, le Fils possède tout ce qu’a le Père : même puissance (Jean, v, 17 sqq. ; x, 28-30), même action vivifiante (ibid., v, 21-26 ; vi, 67) ; même science (xvi, 30) ; même nature (x, 30) ; d’un mot il peut dire à ses disciples : « Tout ce qu’a mon Père, est à moi » (xvi, 15), et à son Père : « Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi » (xvn, 10).

Et il faut remarquer enfin, d’après l’enseignement de Jésus, que ces biens infinis qu’il possède, il les reçoit du Père. Tout ce que le Fils a et tout ce qu’il fait, lui a été donné par le Père. Ainsi le Père lui a donné les œuvres qu’il fait (Jean, v, 36) ; il lui a donné d’avoir la vie en lui(v, 26), il lui a donné pouvoir sur toute chair (xvn, 2), en un mot, comme Jésus aime à le répéter, il lui a tout donné, il lui a tout remis entre les mains (m, 35 ; xiii, 3). Et l’on ne concevra pas cette donation comme une sorte d’investiture universelle conférée dans le principe au Fils par le Père, et l’établissant alors dans une souveraineté indépendante ; c’est une communication constante par laquelle le Père, qui est dans le Fils, agit en lui : « Je suis dans le Père, et le Père est en moi » (xvn, 21) ; 1 les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; et le Père, qui est en moi, fait ses œuvres ; croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi, sinon croyez-en du moins mes œuvres » (xiv, 10-11).

Aussi quiconque connaît vraiment le Fils, voit en lui le Père (xiv, 9-10), et cette connaissance, c’est la vie éternelle (xvn, 3).

La révélation du Fils de Dieu remplit tout l’Evangile, la révélation du Saint-Esprit est non pas moins certaine, mais moins lumineuse. Par son incarnation, le Fils nous est apparu en personne, le Saint-Esprit ne s’est révélé que par ses dons ; nous ne connaissons point sa personnepar une manifestation directe et immédiate, mais seulement par ce que les apôtres et le Christ lui-même nous enseignent.

L’action de l’Esprit Saint nous apparaît d’abord dans la conception virginale du Fils de Dieu (Luc, 1, 35), et dans la profusion de grâces qui l’accompagne. Les prophètes (Isaïe, xi, 1-2 ; xiii, 1 sqq. ; lxi, i ; xxxn, 15 ; xliv, 1 ssq. ; Ezéchiel, xi, 19 ; xxxvi, 26 ; xxxvn, ia ; Joël, iii, 1-2 [Vulg., 11, 28-29] ; Zacharie, xn, 10), avaient prédit, à l’avènement du Messie, une abondante effusion des dons de l’Esprit, soit sur le Christ lui-même, soit sur son peuple. L’aurore de ce grand jour apparaît dès la conception du Christ, l’Esprit se répandant sur Jean-Baptiste (Luc, 1, 15), sur Elisabeth (1, li), sur Zacharie (1, 67), sur Siméon (11, 25-27).

Au baptême de Jésus, l’Esprit apparaît sous la forme d’une colombe, en même temps que le Père rend témoignage à son Fils ; c’est, nous l’avons remarqué, une révélation de la Trinité, que le baptême chrétien attestera par la formule imposée par le Seigneur.

Au cours du ministère public, bien des traits manifestent l’action de l’Esprit-Saint sur le Christ (Marc, 1, 12 ; Luc, iv, 14 ; x, 21). Deux paroles de Jésus nous font connaître quelque chose de sa nature et de son rôle dans l’Eglise : 1855

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Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne leur sera pas remis. Les p< rôles dites contre le Fils de l’homme seront pardonnées ; les paroles dites contre l’Esprit-Saint i.e seront pas pardonnées, ri dans ce monde ni dans l’autre. (Malth., xii, : <1- : S2).

Dans les discussions théologiques du iv c’siècle, quand il faudra défendre contre les Macédoniens la divinité du Saint-Esprit, on trouvera dans ce texte un argument décisif.

Ailleurs Jésus, avertissant ses disciples des persécutions qui les attendent, leur prédit en même temps le secours divin qui leur est réservé : « Ne vous souciez pas à l’avance de ce qui vous sera inspiré sur l’heure ; car ce n’est pas vous qui parlerez alors, c’est l’Esprit-Saint » (Marc, xiii, n) ; et saint Luc, rapportant ces paroles, insiste plus encore sur l’assistance personnelle du Saint-Esprit : « Il vous enseignera ce qu’il vous faudra dire. » (Luc, xii, 12). L’expression est déjà toute semblable à celles du discours après la Gène, telles que les rapporte saint Jean.

C’est dans ce discours que nous relevons les enseignements les plus explicites au sujet du Saiut-Esprit, de son rôle et de sa personne.

Xiv, 15-19. Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements, et moi je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet afin qu’il soit avec vous toujours, l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit ni le connaît, mais vous, tous le connaîtrez parce qu’il demeurera en vous et qu’il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai vers vous ; encore un peu de temps, et le monde ne nie verra plu<- ; mais vous, vous me verrez, parce que je vis et quevous vivrez…

xiv, 25-26. Je vous ai dit ces choses pendant que je demeurais avec vous ; mais le Paraclet, l’Esprit-Saint que le Père enverra en mon nom, c’est lui qui vous apprendra tout, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.

xv, 26. Quand sera venu le Paraclet, que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, celui-là rendra témoignage de moi.

xvi, 7-15. Je vous dis la vérité : il vous est utile que je m’en aille ; car, si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers tous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai, et quand il sera venu, il convaincra le monde à propos de péché, de justice et de jugement : de péché, parce qu ils ne croient pas en moi ; de justice, parce que je vais au Père et que vous ne me verrez plus ; de jugement, parce que le prince de ce monde est jugé. J ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez le porter maintenant. Quand il sera venu, lui, l’Esprit de vérité, il vous fera pénétrer dans toute la Térité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il vous dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. Il me glorifiera, car il prendra du mien et vous l’annoncera. Tout ce qu’a le Père est à moi ; c’est pourquoi je vous ai dit qu’il prendra du mien et vous l’annoncera.

Il est manifeste que l’Esprit-Saint promis par Jésus n’est pas seulement un don, une force ; c’est une personne vivante comme il l’est lui-même, une personne divine dont la présence remplacera avantageusement pour les disciples la présence visible de Jésus : « Il vous est utile que je m’en aille. >< Il est aussi évident que l’Esprit n’est ni le Pore ni le Fils : à la prière du Fils, le Père enverra un autre Paraclet (xiv, 16) ; envoyé par le Père au nom du Fils, ce Paraclet rappellera aux apôtres tout ce que le Fils leur a dit (26) ; il procède du Père, il sera envoyé parle Fils de la part du Père, il rendra témoignage du Fils (xv, 26) ; quand le Fils sera parti, il l’enverra (xvi, 7) ; l’Esprit glorifiera le Fils, car il prendra du sien et l’annoncera (1’1).

D’autre part, l’unité des personnes divines est si

étroite que la présence du Saint-Esprit dans les disciples sera en même temps la présence du Fils (xvi, 18-19), et pareillement la présence du Père (xiv,

23).

L’enseignement du Seigneur nous introduit encore un peu plus avant dans le mystère divin en nous représentant les relations de l’Esprit et du Fils emhlables, en beaucoup de traits, à celles du Fils et du Père : de même que le Fils est le témoin du Père, l’Esprit est le témoin du Fils (xv, 26) ; il glorifie le Fils, de même que le Fils glorifie le Père (xvn, f t). Le Fils ne dit rien de lui-même, mais seulement ce que le Père veut qu’il dise (xii, 49> vll >’*J)î ainsi l’Esprit

« ne parlera pas de lui-même, mais dira tout ce

qu’il aura entendu ; … il prendra du mien, ajoute Jésus, et vous l’annoncera » (xvi, 13. i^). Enfin, de même que le Fils est envoyé par le Père, l’Esprit est envoyé par le Fils (xv, 26 ; xvi, 7).

Ce parallélisme est 1res étroit ; et quand, dans.>es lettre- à Sérapion, saint Athanase entreprendra de défendre et de développer la doctrine traditionnelle du Saint-Esprit, il ne choisira pas d’autre point de départ.

Au reste, cette analogie n’est pas telle qu’elle ne comporte des différences essentielles : la libation caractérise les relations du Fils et du Père ; elle n’apparaît jamais dans la théologie de l’Esprit. Le Père est l’unique principe du Fils ; il n’en est pas ainsi du Fils vis-à-vis de l’Esprit : le Fils envoie l’Esprit, mais 1 de la part du Père » Tcapk ro> Ilar/so ; (xv, 26) ; il dit : « l’Esprit prendra du mien », mais il ajoute : a tout ce qu’a le Père est à moi, et c’est pourquoi je disais qu’il prendra du mien » (xvi, i/|-15). Ainsi, même dans ses relations avec l’Esprit, le Fils est dépendant du Père ; c’est de lui qu’il reçoit t^ut ce qu’il donne à l’Esprit. Le Père est ici, comme partout, le principe premier et souverainement indépendant.

« De lui procède l’Esprit » (xv, 26) ; c’est

lui qui le donne à la prière du Fils (xiv, 16), qui l’envoie au nom du Fils (xiv, 26).

Toute cette doctrine se résume bien dans la vision symbolique de l’Apocalypse : « un fleuve d’eau vive, brillant comme le cristal, procédant du trône de Dieu et de l’agneau » (xxn, 1) ; telle est, pour saint Jean, la nature et l’origine de l’Esprit : il procède d’une source unique, qui est le trône de Dieu et de l’agneau ; mais d’ailleurs ni le prophète de l’Apocalypse ni l’évangéliste n’oubliera que ce trône n’appartient pas à titre identique au Père et au Fils : l’un possède la divinité comme en étant le principe unique, l’autre comme la recevant de lui en plénitude.

La doctrine ainsi enseignée peu à peu par le Seigneur au cours de sa vie mortelle, esl confirmée et éclairée par lui pendant sa vie glorieuse, particulièrement lors de la grande apparition en Galilée :

Les onze disciples se rendirent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait murquée, et le voyant ils l’adorèrent, mais quelques-uns doutèrent. Et Jésus s’approchant leur dit : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit ; et voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation du monde ».

Mali., xxvm. 16-20.

Avant de parler de la formule trinitaire, il importe de remarquer ce qui concerne proprement le Christ. Les premières paroles de ce texte rappellent la sentence étudiée plus haut : « Tout m’a été conlié par mon Père » ; mais là il s’agissait plutôt de secrets confiés, de doctrine transmise (navra -ntiipecoSr, ) ; ici c’est la puissance totale (nias sgeue-fe) qui 1857

TRINITÉ (LA SAINTE)

1858

est remise au Fils ; dans Mt„ xi, 27, il se représentait comme l’unique révélateur du Père ; maintenant, comme le souverain universel qui envoie partout ses apôtres. Il les suivra d’ailleurs, il sera partout et toujours avec eux : cette expression était familière aux apôtres et avait pour eux un sens bien déterminé : c’était la promesse même que Ialivé avait faite à Moïse et aux prophètes ; le parallélisme était signideatif, et révélait aux apôtres leur rôle et leur Maître.

Quant à la formule baptismale ici énoncée, elle est, de tous les textes trinitaires du Nouveau Testament, le plus explicite ; il n’en est pas non plus qui ait joué, dans les controverses ultérieures, un rôle aussi décisif ; au ive siècle surtout, les Pères s’en servent comme d’une arme de prédilection ; saint IIilairk, par exemple, commence ainsi sa démonstration :

« SufDciebat credentibus Dei sermo, qui in

aures nosiras Evangelistæ testimonio cum ipsa veritatissuæ virtute transfusus est, cum dicit Dominus : Euntes docete… Quid enim in eo de sacraînento salutis humanæ non continetur ?… Plena sunt omnia ut a pleno, et a perfecto perfecta’».

Les révélations faites par Notre-Seigneur à ses apôtres et consignées dans l’Évangile ont été, au cours du siècle apostolique, éclairées et enrichies par des révélations nouvelles ; on peut les recueillir au livre des Actes, dans l’Apocalypse et lesépîtresde saint Jean, et surtout dans les épltres de saint Paul. Pour l’étude de ces développements, qu’il nous est impossible de retracer ici, nous nous permettons de renvoyer à notre livre sur les Origines du Dogme de la Trinité 6, 1. III, ch. 2-5, p. 3’( a-473.

II. La tradition du mystère de la Trinité.

Quand on passe de l’étude des écrivains inspirés du Nouveau Testament à celle des Pères Apostoliques, on sent dès l’abord l’immense distance qui sépare les uns des autres. Les premiers, inspirés par l’Esprit-Saint, parlent en son nom et imposent son autorité ; les autres, quelque vénérables qu’ils soient, ne sont cependant que des hommes sujets à erreur et à faiblesse. Eux-mêmes sentent leur inlirmité et reconnaissent volontiers tout ce qui les sépare de leurs devanciers, de leurs maîtres. Saint Clément les propose aux Corintbiens comme leurs modèles :

« Ayons devant les yeux, leur dit-il, les excellents

apôtres » ; et saint Ignace, écrivant aux Romains, leur dit de même : « Je ne vous donne pas des ordres, comme faisaient Pierre et Paul ; eux étaient des apôtres ; moi je ne suis qu’un eondammé. » C’est ce même sentiment de l’autorité incomparable des apôtres qui inspire dès lors tant de pieuses fraudes : les Juifs, naguère, mettaient leurs compositions théologiques sous le nom et sous le patronage des anciens patriarches et prophètes, Hénoch, Moïse, Isaïe, Ësdras ; ainsi maintenant des écrivains chrétiens abritent sous l’autorité des apôtres leurs rêves d’avenir ou leurs thèses théologiques.

Cette estime si haute de l’éminente dignité des apôtres, ce sentiment si vif de leur propre infériorité n’étaient point une illusion des chrétiens de l’âge apostolique. La théologie catholique a définitivement consacré ce jugement et l’histoire, à son tour, ne peut qu’en reconnaître la valeur. Désormais, dans la longue suite des écrivains ecclésiastiques, nous n’en trouverons plus qui puisse imposer son sentiment personnel avec une autorité irréfragable, parce que nul d’entre eux ne peut lui donner la garantie d’une certitude infaillible.

1. De Triait., II, 1 (P. t., X, 50). Pour l’authenticité intégrale de ce texte, v. Oiiginei, note B, p. 599-610.

Tome IV.

Cependant la parole de Notre-Seigneur à ses apôtres reste toujours vraie : il est avec son Église jusqu’à la consommation des siècles ; mais cette infaillibilité, qu’il continue de lui assurer, ne réside plus, comme au temps des apôtres, dans les chefs ou les fondateurs des Eglises particulières ; elle n’appartient plus qu’à l’Eglise universelle et à ceux qui la représentent authentiquement, son chef suprême et l’ensemble de ses docteurs.

De ce fait, l’historien du dogme doit tirer les conséquences. Son intérêt doit se porter’, avant tout, sur 1 Eglise universelle pour recueillir son enseignement, s’il est explicitement formulé, ou, dans le cas contraire, dégager, s’il se peut, sa croyance ; auprès de ce témoignage tous les autres sont secondaires.

1" La croyance de l’Église au dogme de la Trinité.

La croyance de l’Eglise au dogme de la Trinité nous est attestée d’abord par sa liturgie, surtout par les rites du baptême et de l’eucharistie.

Nous avons signalé ci-dessus l’importance décisive du précepte du Seigneur : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et de l’Esprit-Saint. » (Matth., xxviii, ig). Il nous reste à en constater l’influence. Elle apparaît dans les plus anciens documents liturgiques que nous possédions.

On lit dans la Didachè (ch. vu) :

En ce qui concerne le baptême, baptisez ainsi : après avoir enseigné tout ce qui précède, baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, dans l’eau vive. Si tu n’as pas d’eau vive, baptise dans une autre eau ; si tu ne peux le faire dans l’eau froide, baptise dans l’eau chaude ; si tu n’as ni de l’une ni de l’autre, verse sur la tête trois fois de l’eau au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

La description du baptême donnée cinquante ans plus tard par saint Justin est moins détaillée que celle-ci, mais elle la confirme :

Ceux qui doivent être baptisés « sont conduits par nous au lieu où est l’eau, et là, de la même manière que nous avons été régénérés nous-mêmes, ils sont rég-énérés à leur tour. Au nom de Dieu le Père et le maître de toutes choses, et de notre Sauveur Jésus-Christ, et du Saint-Esprit, ils sont alors lavés dans l’eau ». (F Apol., lxi, 3).

Trente ans plus tard, saint Irénéb expose et explique de même le rite du baptême :

Voici ce que nous assure la foi, telle que les presbytres, disciples des apôtres, nous l’ont transmise. Tout d’abord, elle nous oblige à nous rappeler que nous avons reçu le baptême pour la rémission des péchés, au nom de Dieu le Père, et au nom de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, qui s’est incarné, est mort et est ressuscité, et dans l’Esprit-Saint de Dieu…

Quand nous sommes régénérés par le baptême qui nous est donné au nom de ces trois personnes, nous sommes enrichis dans cette seconde naissance des biens qui sont en Dieu le Père par le moyen de son Fils, avec le Saint-Esprit. Car ceux qui sont baptisés, reçoivent l’Esprit de Dieu, qui les donne au Verbe, c’est-à-dire au Fils ; et le Fils les prend et les offre à son Père, et le Père leur communique l’incorruptibilité. Ainsi donc tans l’Esprit, on ne peut voir le Verbe de Dieu ; et suns le Fils, nul ne peut arriver au Père ; puisque la connaissance du Père, c’est le Fils, et la connaissance du Fils de Dieu s’obtient par le moyen de l’Esprit-Saint ; mais c’est le Fils qui, par office, distribue l’Esprit, selon le bon plaisir du Père, à ceux que le Père veut et comme le Pèie le veut 1.

1. Démonstration de la prédiction apostolique (trad. Barthoulot) c. m et vii, Cf. Ilær., lll.xvn, 1 : « Iterum potestatem regenerationis in Deura dans discipulis, dicebat eis : Euntes docete omnes gentes, baptizantas eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancli. »

59 1859

TH1NITÉ (LA SAINTE)

1860

Toute cette Urologie de la Trinité, si lumineuse ei si ferme, n’est que le commentaire de la formule du baptême et l’interprétation de la liturgie baptismale. Les textes que nous avons recueillis jusqu’ici nous font connaître l’usage liturgique de la Syrie, de Rome, de l’Asie mineure, de la Gaule ; vers la lin du ne siècle, Terlullien apporte le témoignage &t l’Afrique’ ; au cours du siècle suivant, Okigiïnb y joint celui de l’Egypte : non seulement il atteste l’usage liturgique dans des textes nombreux 2, mais il en tire un argument pour établir la divinité du Saint-Esprit et conclut « tantae- esse auctoritatis subslantiam Spirilus Sancti, ut salularis baptismus non aliter nisi excellentissimæ omnium Trinitalis auctoritate, id est Patris et Filii et Spirilus Sancti eognominatione compleatur et ingenito Deo Patri et unigenito eius Filio nomen quoque Spirilus Sancti copulelur 3 ».

Le rite lui-même souligne la formule trinitaire qu’il accompagne : on a pu remarquer plus haut, dans le texte de la Didachè, la triple infusion qui est prescrite ; la même répétition était de rigueur dans le baptême par immersion, et Tertullien en tire un argument pour prouver, contre Praxéas, la distinction des trois personnes divines’*. La signification théologique de cette triple immersion était encore soulignée par les interrogations et les réponses qui raccompagnaient.

Tout cet ensemble liturgique, de formules et de rites, a donc une signification très ferme et que tout chrétien perçoit : dès le seuil de la vie chrétienne, le néophyte se trouve en face des trois personnes divines ; c’est à elles qu’il se consacre et c’est elles qu’il prend comme témoins des engagements qu’il contracte, comme garants des grâces qu’il espère :

« Angélus baptismi arbiter superventuro Spirilui

Sancto vias dirigit ablutione delictoruin, quam fides impelrat obsignata in Pâtre et Filio et Spirilu Sancto. Nam si in tribus testibns stabil omne verbum, quanto magis, dum babemus per benedictionem eosdem arbilros fidei quos et sponsores salutis, sullicit ad liduciam spei noslræ etiam numerus nominum divinorum 5 ? »

Aussi, à l’époque des grandes controverses sur le dogme de la Trinité, la formule et le rite du baptême devinrent-ils, pour les tenants de la cause catholique, un argument de prédilection. Si les Ariens ont raison, si le Fils et le Saint-Esprit ne sont que des créatures, nous sommes donc consacrés par le baptême à la fois au Créateur et à deux créatures, nous engageons donc notre foi, nous adressons notre prière par la même formule à Dieu et à deux êtres créés par lui 6.

1. De bapt., un ; adv. Pra.r., xxvi (cf. infra) ; de præter., zz.

2. In loan., VI, xxxui, 166 (éd. Preuschen, p. 142) ; ibid., fr. 3C (p. 512), i. 20-24 ; ire liai, boni, iv, i ; in Rom., t. V, 8 ; ire E.rod., boni, viii, 4 ; in Gen., hotn. vm ; in Num., l.cm. xii ; elc.

3. De principiis, I, III, 2.

4. (Christtis affirmai) Palris Filium confessurum côn es, et neg-uturum negatores suos #pud l’alrem… et posl resurreclionem spondens missurum se discipulis promiasionem Patri », et novissime mandans ut tinguerent in Patrem et Filium et Spirittim Sanctura, non in unum. Nam nec semel, sed ter, ad singula nomina in personas singnlm linguimur (Advenus Pia.ream, Xxvi). Cf. Tert., de cor. mil.. 3 ; can. 1 HippAS ( « d. Acbelis, p. 97) ; Pistis Sophia, c. 122 (éd. Schmidt, p. 202). Parmi les nombreux texte » du iv c siècle où ce rite est mentionné, on remarquera en particulier saint Basile, DeSpiritu Sancto xxvii, 06 (P. G., XXXII, 188), où le saint docteur donne cet usage comme un exemple de tradition apostolique. 5. Tbrtull., de bapt, ti.

C. Athan., Orat. cont. Ar., il, 41 (P. G., XXVI, 233) ;

A l’époque où nous sommes, les controverses sont plus rares sur le dogme de la Trinité ; déjà cependant, cette argumentation apparaît : nous l’avons relevée ci-dessus dans les textes d’Origène et de Tertullien, où les rites du baptême servent à prouver soit la divinité du Saint-Esprit, soit la distinction des personnes divines.

Ce qui donne à cet argument une force particulière, c’est que cette liturgie baptismale n’esl point née d’une préoccupation polémique ; elle domine toutes les controverses dogmatiques parce qu’elle leur est antérieure à toutes. Lorsque les gnostiques se séparent de la grande Église, ils emportent avec eux cette tradition qu’ils y ont puisée ; leur Trinité, sans doute, est déformée par leurs spéculations mythologiques ; mais on la reconnaît encore dans les formules qu’ils emploient, dans celle-ci, pur exemple, dont les Marcosiens usaient vers l’an 160 et qui nous a été conservée par saint lrénée : ils baptisent, nous dit-il, « au nom du Père inconnu de l’univers, de la Vérité, mère de tous les êtres, et de Celui qui est descendu en Jésus 1 ». A l’autre extrémité des groupes hérétiques, se trouvent les monarehiens qui méconnaissent la distinction réelle des personnes divines ; leur hérésie récente ne leur a pas fait oublier l’antique tradition de l’Eglise et eux aussi baptisent au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et par une triple immersion 2.

Parmi les rites du baptême, il en est surtout dont l’influence en matière de foi a été décisive : c’est la récitation du symbole. Le Symbole des apôtres a été étudie dans ce Dictionnaire par M. Vacandard, nous n’avons pas à en écrire de nouveau l’histoire ; nous tenons seulement à en signaler la portée dogmatique. Elle est excellement marquée par saint InÉnék, dans sa Démonstration de la vérité apostolique.

Dès le début du livre, lrénée en appelle à celle

« règle de foi inaltérable » > ; voici comment il

l’énonce :

Voici l’enseignement méthodique de notre foi, la base de l’édifice et te fou. eu. eut de notre salut : Dieu le Père, incréé, inengendré, invisible, Dieu unique, créateur do tout : c’est le premier article de notre Ici. Quant au second article, le voici : c’est le Verbe de Dieu, le l’ils de Dieu, Jésus-Christ Noire-Seigneur, qui est app ru aux prophètes en la forme décrite dans leurs oracles et selon l’économie spéciale du Père, (le Verbe) par lequel tout a été fait et qui, dans la plénitude des temps, pour récapituler et contenir toutes choses, s’est fait homme, né des hommes, s’est rendu visible et palpab’e, afin de détruire la mort et de montrer la vie, et de rétablir l’union entre Dieu et l’homme. Quant au troisK-mo article, c’est le Saint-Lsprit qui a parlé par les prophètes, a enseigné à nos pères les choses divines et a conduit les justes dans la voi.- de la justice : c est lui qui, dans la plénitude des temps, a été répandu d’une manière nouvelle sur l’humanité, tandis que Dieu renouvelait l’homme sur toute la terre a.

Gukc. Naz., Or. xxxvii, 18 (P. G., XXXVI, 304) ; ÛBBO. Nyss., Orat. catech, xxxix (éd. Srawl*y, p. 156) ; cf. Origines du dogme de la Trinité, p. 480, où sont cités d’autres textes de la même époque.

1. Advenus hacrtses, 1, 21, 3 : 0 « Si aycuztv l- T’Loup, xat pKTTTiÇ’ykTî ; si/T&j ; £7Ti/£ - /ovff<u. Ei ? ivipu. êv/vùrtou l «.Xf, Ôi T&V $Jb>v, eej c/’irfiiiav u.r, Tépvi Ttc/.v : urj £i’ç : w’7TiJ66vTX £< « ’LnjOv, £(’4 iyoïaiv x.a.i àJtoXûnotaMV xv.i xecvauuiw t&v Suiidptuv- Dans les trois premiers articles de cette formule 0.1 reconnaît les trois personnes divine, plus ou moins défigurée » par le gnosticisine : 1e 1ère ( « le Père inconnnu de l’univers »), le Fils ( « la Vérité, mère de tous les êtres »), le Saint-F. sprit « (Celui qui est descendu en Jésus »). Dans les trois derniers on peut reconnaître l’Fglise, la rémission des péchés, la communion des saints.

2. C’est co qui ressort de l’argua entation d « Tertullien, adv. l’raar t., xxvi.

3. Démonstration (trad, Barlhoulot), c. vi ; cf. ibid., m.

1861

TRINITÉ (LA SAINTE)

1362

Cet énoncé n’est évidemment pas la transcription littéral » du symbole ; il en est plutôt un bref commentaire ; mais il en souligne fortement la division tripartite : le premier article, c’est Dieu le Père ; le second article, c*est le Verbe de Dieu ; le troisième article, c est le S iint-Esprit.

On voit aussi très clairement comment ce symbole n’est que le développement de la formule baptismale ; un peu p ! us haut, dans ce même traité, saint Irinée énonce ainsi plus brièvement la règle de f.i :

Voici ce que nous assure la foi, telle que les presbytres. disciples des apôtres, nous l’ont transmise. Tout d’abord, elle nous oblige à nous rappeler que nous avons reçu le baptême pour 1 i r iinisaî m des pèches, au nom de Dieu le "ère, et au iij.h de Jésus Christ, le Fils de Dieu, qui s’est incarné, est mort et est ressuscité, et dans l’Esprit Saint de Dieu’.

Eu terminant son traité, le saint docteur revient à cette règle de foi : « Telle es ! , mon cher ami, la prédication de la vérité, et c’est la règle de notre salut ; c’est aussi la voie qui mène à la vie. Les prophètes l’ont annoncée, le Christ l’a établie, les apôl. es l’ont transmise, partout l’Église l’offre à ses enfants » (c. xcvm). Il rappelle ensuite brièvement les bérésies qui s’attaquent à chacun des trois articles de cette foi, à Dieu le Père, au Fils de Dieu, au Saint-Esprit ; et il conclut enfin son livre :

Par conséquent l’erreur s’est étrangement écartée d’j la vérité sur les tr js articlos principaux de notre baptême. En effet, ou bien ils méprisent le Père, ou bien ils ne reçoivent pas le Fils, en parlant contre l’économie de son incarnation, ou ils n’admettent pas l’Esprit-Saint, c’est-à-dire qu’ils méprisent la prophétie. Il faut nous délier de tous ces incrédules et fuir leur société, si vraiment nous voulons être agrt ables à Dieu et par lui arriver au salut (ce).

Ce comnientaiie de saint Irénée souligne excellemment la foi en la Trinité, telle qu’elle est’enseignée dans le symbole : non seulement il met en relief les trois articles qui le composent, mais en même temps il en manifeste le double aspect : ils sont à la fois l’objet de notre foi et le fondement de notre salut. Cette remarque s’applique, en particulier, à ce qui est dit du Saint-Esprit : il est présenté évidemment comme une personne, non seulement par le parallélisme qui le rapproche du Père et du Fils, mais aussi par le rôle qui lui est attribué : il parle par les prophètes, il enseigne les fidèles, il les conduit dans les voies de la justice ; mais en même temps, il est un don, une grâce : « Il a été répandu sur l’humanité, quand Dieu renouvelait l’homme sur toute la terre. » Ce double aspect de la théologie du Saint-Esprit était manifeste déjà dans le Nouveau Testament 1 ; la tradition chrétienne le présentera sans cesse, sans que, d’ailleurs, tous les écrivains ecclésiastiques aient la sûreté et la précision de doctrine des auteurs inspirés : plus d’un laissera dans l’ombre le caractère personnel du Saint-Esprit et ne le représentera que comme le don ou la grâce de Dieu.

Quelques historiens ont cru reconnaître dans le symbole cette conception « économique » de la Trinité ; ils tirent leur principal argument de la rédaotion du troisième article : ie croyant y confesse le Saint-Esprit, la sainte Église, la rémission des péchés, la résurrection de la chair » ; ce sont là, pensent-ils, quatre biens auxquels le chrétien parti 1. Dém., m. Cf. vu : Après avoir rapporté la symbole, comme on l’a lu ci-dessus, saint Irénée poursuit : « Aussi,

3uand nous sommes régénérés par le baptême qui nous est onné au nom de ces trois personnes, nous sommes enrichis nans cette seconde naissance des biens qui sont en Dieu le Perc, par le moyen de son Fils, avec le Saint-Esprit » 2. Cf. Les Origine » du dogme de la Trinité, p. 375, 434, 539.

cipe ; il ne les affirme que comme tels, dans leur relation avec lui, sans préjuger ce qu’ils peuvent être en eux-mêmes’. Celte interprétation méconnaît la portée réelle du texte : on a vii, en effet, que le symbole se divise en trois articles, visant respectivement le Père, le Fils et le S.iint-Esprit ; on a reconnu pareillement qu’il ne fait que développer la formule par laquelle le néophyte es ! baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Comment, sans faire violence au parallélisme évident de ces trois termes, reconnaître une personne dans le Père et dans le Fils, et ne voir dans lé Saint-Esprit qu’un don ? Comment méconnaître que, dans la formule du baptême, le Saint-Esprit est vraiment une personne ? ou comment reconnaître ce caractère personnel dans la formule du baptême et le nier dans le symbole, qui n’en est que le développement ? Ces arguments sont décisifs, mais il faut y ajouter encore l’interprétation primitive du symbole : le Saint-Esprit y apparaît avant tout comme la personne divine qui, au même titre que le Père et le Fils, est garant des grâces du baptême et objet de la foi. Sans doute, il est aussi le don de Dieu, et le chrétien le reconnaît pour tel ; mais cette profession n’est qu’un écho de la foi ap< tolique ; et si saint Paul et saint Jean ont vu dans le Saint-Esprit à la fois une personne divine et un don de Dieu, pourquoi les chrétiens auraient-ils brisé l’unité de cette foi, et ne pourraient-ils en confesser un article sans nier l’autre ? On connaît le serment par lequel saint Clément, dans sa lettre aux Corinthiens (lviii, 2), prend à témoin le Dieu des chrétiens :

« Vive Dieu et vive le Seigneur Jésus Christ et l’Esprit-Saint, 

la foi et l’espoir des élus. » Ces derniers mots résument et confirment tout ce que nous venons de dire : Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, et tout ensemble la foi et l’espoir du chrétien ; ce mystère de la Trinité n’est pas seulement le mystère de la vie divine, naturellement inaccessible à toute créature ; il est aussi, pour les élus, le mystère de leur salut, il retentit dans toute leur vie, et c’est ainsi qu’ils le professent dans leur symbole.

De l’analyse que nous venons d’esquisser ressort, nous l’espérons, l’importance capitale du symbole baptismal dans l’histoire des dogmes et, en particulier, dans l’histoire du dogme de la Trinité ; au point de vue de l’influence exercée, nul document ne lui est comparable, si l’on excepte les livres inspirés. On reconnaît universellement le rôle décisif joué par le symbole de Nicée ; il marque une date et divise toute l’histoire du dogme en deux périodes : anténicéenne et postnicéenne ; on oublie parfois que le symbole de Nicée n’est lui-même qu’un symbole baptismal

  • ; il contient sans doute plus de précisions

théologiques que le symbole romain, mais il lui est substantiellement identique ; et, s’il a pu s’imposer à la foi de toute l’Église, il le doit non seulement à l’autorité des troiscent dix-huit Pères, mais surtout à l’enseignement apostolique, dont chaque fidèle reconnaissait en lui l’expression traditionnelle.

Ainsi, à l’époque de la grande crise arienne, l’Eglise trouve dans ce symbole, en même temps que

1. Kattenhusch, Das apostolische Symbol, II, p. 475 sqq.

2. On admet en général, sur la foi d’Eusèbe, que le symbole de Nicée s’appuie sur le symbole baptismal de Césarée ; cf. Hort, Two Dissertations, 1, p. 54-72. Contre cette origine, Lu tzmann (Zeitschr. f, N. T. » K., 1925, p. 195-202) a fait valoir des arguments considérables, et avant tout la comparaison des deux symboles (p. 195). Il admet cependant (p. 198). et ce point est certain, que le symbole de Nicée a été rédigé en partant d’un symbole baptismal auquel les Pères du Concile ont ajouté quelques précisions en vue de combattre efficacement l’hérésie arienne. Cf. Harnack, ibid., p. 203. 18J3

TRINITÉ (LA SAINTE)

1864

dans la formule baptismale, son arme la plus efficace : unité de Dieu et distinction réelle des trois personnes ; Père, Fils et Saint-Esprit, objets toutes les trois d’une même foi, d’un même culte, n’était-ce pas tout le dogme de la Trinité qu’on trouvait là ? La définition de la consubstantialité ne fera qu’assurer, préciser ces données premières, elle n’aura pas à les transformer.

Pendant les trois siècles qui précèdent Nicée, nul concile général n’est réuni, nulle formule de foi n’est promulguée, et cependant, dès l’ère apostolique, les hérésies ont pullulé ; l’Église leur oppose une règle de foi et cette règle, c’est avant tout ce symbole. Il est vrai, alors comme toujours, l’organe de sa tradition est d’abord le magistère vivant ; la formule n’est que l’expression qui le traduit, que l’instrument dont il se sert ; mais, alors, il n’eut nulle expression plus authentique, nul instrument plus ellicace que ce symbole. Chaque chrétien y reconnaît la foi de son baptême, son trésor personnel le plus précieux, et, en même temps, il y A’énère la foi des apôtres, le dépôt commun de toute l’Église ; qu’il passe d’Epiièse à Rome, de Smyrne à Lyon, de Césarée à Carthage, il se sent partout dans la même armée, où tous ont prêté le même serment et répètent le même mot de passe ; où, comme le dit saint Irénce, il contemple partout la même lumière de foi, de même qu’il est éclairé partout par le même soleil de Dieu. On peut affirmer sans crainte que si des docteurs nés et élevés dans le paganisme ont su, parmi tant d’écoles rivales, maintenir substantiellement l’intégrité de la révélation chrétienne par rapport à des objets aussi mystérieux que le dogme de la Trinité, ils l’ont dû surtout à l’influence protectrice du symbole baptismal.

L’historien du dogme doit tirer de ces faits les conséquences qu’ils comportent : quand il recherche la source des doctrines qu’il rencontre, il ne doit pas perdre de vue cette foi du baptême qui est familière et sacrée à tout chrétien. On est trop porté souvent à ne faire état que des sources littéraires, à oublier cette tradition orale, « transmise sans papier ni encre, mais gravée par le Saint-Esprit dans les cœurs » ; il n’est pourtant pas permis de la méconnaître, en cette question surtout, alors que des textes si nombreux en attestent l’influence, en déterminent la portée, la direction, les termes mêmes. Ainsi, quand nous rencontrons chez saint Justin, par exemple, la doctrine du Verbe de Dieu, son Fils, incarné pour nous, nous n’allons pas d’abord en chercher la source dans la philosophie platonicienne, nous souvenant que tout ceci se retrouve dans ce symbole baptismal que Justin avait juré au baptême, qu’il enseignait comme catéchiste dans sa petite école de Rome, qu’il devait comme martyr sceller de son sang.

A côté de ces sources traditionnelles, on a souvent à en reconnaître d’autres qui se sont mêlées à elles et en ont troublé la pureté ; mais il est relativement facile de les distinguer et, à travers toutes les confusions doctrinales, tous les remous, de marquer- le grand courant chrétien qui, venant du Christ et des apôtres et entraînant toute l’Eglise, devait porter la révélation chrétienne jusqu’à nous 1.

2° Littérature patristique anténicéenne. Dans les documents liturgiques que nous venons de

1. I.Vsquisse qu’on vient de lire ne fait que résumer l’étude plus complète, exposée au tome M de l J Histoire du Dogme de la Trinité, p. 13 -173 ; et cette interprétation de la liturgie baptismide est complétée là (p. 174-247) par l’élude dos autres monuments liturgiques : prières, hymnes, homélies, dozologies.

parcourir, nous avons entendu la voix de l’Église, c’est elle aussi que nous écoutons quand nous prêtons l’oreille aux anciens l’ères et écrivains ecclésiastiques. Toutefois nous ne sommes pas assurés que l’écho qui nous parvient ainsi soit toujours fidèle.

L’histoire de la théologie de la Trinité avant le concile de Nicée contient bien des pages obscures et a provoqué bien des controverses, tous les théologiens le savent. Ils n’en sont pas d’ailleurs très surpris : les obscurités, les inexactitudes, les erreurs même se comprennent aisément dans les premiers essais d’interprétation rationnelle d’un dogme aussi sublime ; à ces difficultés, inhérentes au mystère, s’ajoutent les défauts personnels de plusieurs de ces premiers théologiens. Quelques-uns d’entre eux, esprits inquiets et turbulents, sont tombés dans le schisme : saint Hippolyte a noblement racheté sa défection par son martyre ; mais, quand il écrivit ses Philosophamena, il était hors de l’Église et, sur ce point précis de la théologie trinitaire, il s’opposait violemment à l’enseignement des évêques de Rome, saint Zéphyrin et saint Calliste. Tatien et Novatien sont s ortis de l’Église bien peu de temps après avoir écrit leur exposé théologique ; Tertullien était montaniste quand il composa VAdversus Praxeam. Malgré ces défections, on peut reconnaître chez ces divers auteurs nombre de traits bien conservés de l’authentique foi chrétienne ; mais du moins on ne peut ériger ces hommes en docteurs de l’Église ni même en témoins irréfragables de sa foi. Sur le groupe des Alexandrins d’autres suspicions pèsei’t ; sur Clément, esprit brillant mais confus, en qui 1 Église s’est toujours refusée à reconnaître un de ses docteurs : Benoît XIV s’en est assez clairement expliqué dans sa lettre au roi de Portugal ; sur Origène, chrétien si grand par son dévouement à l’Eglise, par sa confession glorieuse, par son érudition

« immense, par la hardiesse de ses vues, mais

maître aventureux dont la doctrine et l’école ont été frappées par bien des an a thèmes : saint Deny s enfin, que saint Athanase révère justement comme une des gloires de l’église d’Alexandrie, mais dont le pape saint Denys dut blâmer et corriger la théologie trinitaire.

Ces faits incontestables rassurent le théologien quand, en lisant ces vieux textes, il se heurte à des confusions qu’il doit dissiper ou même à des erreurs qu’il doit reprendre ; s’il garde sa vénération à ceux de ces hommes qui furent des saints admirables, s’il lit leurs livres avec un pieux respect, il conserve toute la liberté de son jugement vis-à-vis d’une doctrine où l’Église ne reconnaît point le témoignage assuré de sa foi.

Cette foi nous apparaît chez les Pères apostoliques d’abord, puis chez les apologistes, chez saint Irénée, chez les théologiens du m c siècle. Chez tous ces écrivains ce que nous devons rechercher avant tout, c’est le témoignage qu’ils rendent à la foi de l’Eglise ; tous ne sont pas des témoins également autorisés : parmi les Pères apostoliques, les deux grands évêques, Clément et Ignace, dominent tous les autres : la plupart des écrits apostoliques sont anonymes (la Doctrine des apôtres), ou pseudonymes (Barnabe, la u " démentis), ou sont l’œuvre d’un inconnu (Hermas). Seules les lettres de saint Clément et de saint Ignace se présentent à nous couvertes de la signature d’un nom illustre et fermement datées. Autant que leur origine, leur contenu doctrinal les met hors de pair. C’est donc sur elles surtout que l’on doit insister 1.

On trouve là un point de départ très ferme, dans

l.Cf. Histoire du dogme de la Trinité, II (le Deuxième siècle), p. 24H-331 ; et L. Choppin, La Trinité chez les Pères apostoliques (Lille, 1925), p. 52-71 et 80-100. 1805

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une foi encore indépendante de toute spéculation savante. Clément, Ignace, et de même les autres écrivains apostoliques, ne s’adressent qu’à leurs frères dans la foi ; ils n’ont pas encore le souci de se faire accepter ni même de se faire entendre des philosophes païens ou juifs ; sans se préoccuper des controverses ou des spéculations d’école, ils cherchent à édifier, à instruire, à exhorter.

De ce fait, ces écrits présentent à l’historien de la théologie, et surtout de la théologie trinitaire, un intérêt capital. Depuis la Renaissance et la Réforme, on a bien des fois agité la question de l’orthodoxie des Pères anténicéens : la discussion, entamée déjà par les Centurialeurs de Magdebourg et par Baronius, ne s’est pas apaisée depuis : Petau, Bull, Bossuet, Le Clerc, Baltus, et combien d’autres, jusqu’à Duchesne et après lui, ont échangé des dissertations érudites ou des discours éloquents, et le procès, si souvent plaidé, reste ouvert. La question le plus vivement débattue, celle qui domine toutes les autres, est l’attitude des écrivains incriminés vis-à-vis de l’hellénisme et, plus particulièrement, de la philosophie grecque : les titres mêmes des dissertations marquent assez clairement le point en litige : à une thèse du pasteur Souverain Du platonisme dévoilé, le jésuite Baltus répondra par sa Défense des saints Pères accusés de platonisme ; un peu plus lard, un protestant, Christian Samuel Khost, répliquera dans une thèse de "Wittenberg (i 7 33) : Disputatio philosophica de Platonismo thcologiae veterum Ecclesiæ doctorum nominatim Justini martyris et démentis Alexandrin, corruptore. Ce ne sont là que quelques spécimens d’une littérature très copieuse.

La multiplicité de ces plaidoyers et de ces réquisitoires suffit à montrer que le cas est complexe et mérite d’être étudié. On ne doit pas manquer de le faire. Mais on ne doit pas se laisser absorber par la discussion de ce problème : tous les écrivains anténicéens ne sont pas suspects de « platonisme », et il y a d’autres témoins de la tradition que ceux dont 1. s noms retentissent le plus souvent dans cette controverse séculaire : saint Justin, Tatien, Athénagore. Clément, Origène. Il y a la voix collective de

I Église ; nous nous sommes efforcé de l’entendre.

II y a aussi les Pères apostoliques ; nous devons recueillir leurs témoignages. Les anciens historiens du dogme ne les ont pas ignorés* ; il faut bien reconnaître toutefois que, dans la controverse sur les

« anténicéens », ces premiers de tous les « anténicéens

» ont été beaucoup plus rarement cités que les apologistes ou les Alexandrins. On n’en sera pas surpris si l’on se rappelle que plusieurs de ces textes ont été récemment découverts, que les autres ont clé, jusqu’à ces dernières années, mal édités et, par suite, mal connus. Chacun sait que la Didachè a été éditée pour la première fois en 1883. Des deux manuscrits grecs principaux qui contiennent la lettre de Barnabe, l’un est le Sinaïticus, découvert en 1809, l’autre le manuscrit de Jérusalem qui contient la Didachè et qui a été publié, nous venons de le rappeler, en 1883. C’est ce même manuscrit qui nous a rendu les derniers chapitres de la lettre de saint Clément et qui a dissipé tous les doutes au sujet du texte capital qu’on lit au chapitre lviii, 2 :

« Aussi vrai que Dieu vit, et que vit le Seigneur

Jésus-Christ et le Saint-Esprit, la foi et l’espoir des élus… » Quant à saint Ignace d’Antioche, on sait que sa correspondance nous est parvenue sous une

1. Petau les avait laissés de côté dans les chapitres de son De Trinitatc consacrés aux anténicéens ; il les a ultérieurement étudiés dans sa préface, ch. ii, n. <i sqq.

triple forme, longue, brève et moyenne, et que cet état confus de sa tradition manuscrite a pendant longtemps troublé le jugement des critiques ; il n’y a guère qu’une quarantaine d’années que, depuis les travaux de Lightfoot surtout, toute incertitude a été dissipée et l’authenticité de la forme moyenne unanimement reconnue. C’est là, pour l’histoire de la théologie anténicénne, un événement d’une portée considérable. Fr. Loofs écrivait récemment : « Il y eut une période des nouvelles recherches bibliques, théologiques, historiques, où l’on semblait rétrograde si l’on ne prétendait pas interpréter d’après Philon et la philosophie dérivée de lui, toutes les mentions du Logos qu’on pouvait rencontrer dans les textes christologiques de l’ancienne littérature chrétienne. Cela a changé depuis que l’authenticité des lettres d’Ignace a été définitivement établie’. »

Sans doute, l’étude des Pères apostoliques présente, elle aussi, des difficultés et fait surgir des controverses. Mais ce sont des difficultés tout autres que celles que nous rencontrons dans les œuvres des apologistes ou des Alexandrins. Cei tains historiens, par exemple, croiront reconnaître chez saint Ignace une doctrine modaliste ou, du moins, une des sources du modalisme postérieur ; il faut dissiper cette confusion. Il reste que nul ne pourra prétendre trouver chez lui le subordinatianisme dont on accuse Justin ou Origène ; et cela n’est pas sans intérêt : s’il est encore des écrivains qui veuillent expliquer la formation de la foi nicéenne par une apothéose progressive du Fils de Dieu, cette hypothèse se brise au contact des plus anciens textes chrétiens, des livres du Nouveau Testament d’abord, mais aussi des écrits apostoliques.

En abordant l’étude des apologistes, on entre dans un champ labouré par des siècles de controverse. On nous dispensera de raconter cette longue histoire ; il y faudrait un volume entier, et peut-être que le profit ne vaudrait pas la peine. Souvent ces discussions ont été provoquées et entretenues par des préoccupations étrangères à l’histoire : Jurieu, par exemple, a attaqué l’orthodoxie des écrivains anténicéens pour prouver, contre Bossuet, que les variations de l’Église protestante n’étaient pas une présomption d’erreur ; au contraire l’anglican Bull a entrepris, vers la même date, de montrer qu’on ne peut parler d’un progrès de la théologie chrétienne, mais que dès l’origine la construction dogmatique a eu son plein achèvement ; cette thèse fut saluée avec joie par Bossuet, qui n’en avait pas deviné l’inspiration, mais elle fut suivie de près par un autre ouvrage sur lequel on ne pouvait prendre le change : Des corruptions de l’Eglise de Home 2.

1. Paulus von Samosata, p. 312. L’ère des découvertes n’est pas close : K. Bihlmi.Yeu écrivait en 1925, dans la préface de sa nouvelle édition des Pères apostoliques, qu’il devait attendre, pour éditer le Pasteur d’Hermas, la publication de vingt-cinq feuilles de papyrus récemment découvertes et appartenant à la collection de l’Université de Micliigan : on y trouve, dans une écriture du quatrième siècle, le quart du texte du Pasteur : Sim. 11, 8 — îx, 5, 2. Campbell Bonner a décrit ce papyrus et a noté ses principales variantes dans The Harvard Thcologicnl Iieview, xvui (192.=.), p. 115-128 :

2. P. Godet, dans son article Bull du Diclionnaùe de Théo logie, col. 1243, a cité ce passage de Richard Simon sur les intentions du théologien anglican : « Quand on oppose aux catholiques que le concile de Latran, sous le pupe Innocent 111, n’a pas eu des preuves suffisantes pour établir ce dogme (de la transsubstantiation), les catholiques répondent que la consubslantialité du Verbe, qui a été défiire dailfl le concile de Nicée, n’a pas des preuves plus claires dans l’antiquité, que cependant les protestants, qui font cette objection, reconnaissent pour orthodoxe la foi du concile de Nicée. Bullus, qui avait senti la force de ce raison1867

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A coup sûr d’autres travaux sont indépendants de ces préoccupations polémiques, et gardent aujourd’hui toute leur valeur, avant tout le De Trinitate de Petau. Mais ici on rencontre d’autres difficultés : les anténicéens ont été étudiés à deux reprises, d’abord, au livre 1 er, chapitres iii, iv et v, puis dans la préface, dont la composition est postérieure, mais dont la publication fut simultanée. Il suffit d’un coup d’oeil jeté sur ces deux éludes pour voir que leur orientation n’est pas la même : le premier livre est fort sévère aux anténicéens ; la préface leur est beaucoup plus favorable. Dans les controverses qui suivirent, Jurieu ne cessa de faire état du premier livre, Bossuet de lui opposer la préface’ ; et sans doute la préface était le dernier écrit et représentait la pensée définitive de l’auteur ; mais, d’autre part, on devait convenir que Pctau avait maintenu dans sa publication le texte primitif de son premier livre, tout en l’éclairant et en le corrigeant par sa préface. Mais chez Jurieu lui-même ne trouvait-on pas des corrections semblables ? Ce qu’il avait écrit en 1689 dans sa Sixième Lettre pastorale était corrigé par lui l’année suivante dans son Tableau du Socinian 15 me 2.

Plus près de nous, n’avons-nous pas vu un historien dont la compétence et la sincérité sont également indiscutables, Tixeront, modifier profondément, dans la septième édition de sa Théologie anténicétnne, les jugements qu’il avait auparavant portés sur la doctrine trinitaire des écrivains du deuxième et du troisième siècles ?

Si je rappelle ici ces rétractations, ce n’est certes pas pour en faire grief à leurs auteurs. Pour ne parler ici que de Petau et de Tixeront, ils ont eu le courage de reviser un premier jugement trop sévère ; leur œuvre y a gagné. Mais le souvenir de ces devanciers doit nous être présent pour nous avertir des difficultés de la tâche. Si les livres que nous devons étudier étaient d’une interprétation aisée, ils n’auraient pas soulevé tant de controverses ni rendu opportunes ces rétractations.

Les obscurités de ces écrits viennent parfois de la témérité de’eurs auteurs, hérétiques ou à demi engagés dans l’hérésie. C’est ainsi, par exemple, que se présente à nousTatien : son Discours aux Grecs, s’il n’est pas postérieur à sa défection, la fait du moins pressentir. Nous n’entreprendrons pas de le ramener malgré lui à l’Église qu’il va abandonner.

Les autres apologistes du second siècle se présentent à nous sous un jour tout différent : saint Justin, chef du didascalée de Rome et martyr ; saint Théophile, éveque d’Antioche ; Athénagore, personnellement inconnu, maisdont rien ne nous permet de suspecter l’attachement à l’Église. Les œuvres de ces trois écrivains manifestent en effet une foi sincère ; ou peut dire d’eux trois ce que Petau écrivait d’Athénagore : leurs déclarations suffisent à faire connaître le dogme de la Trinité et à renverser également l’hé np. nenl, jugea que, pour y répondre, il était absolument nécessaire de réfuter le Père Pelan, et c’est à quoi n’ont pas pris garde la plupart drs catholiques qui, ne connaissant point le dessein de Bullus, donnent à cet auteur des louanges excessives. » (Mémoires de Niceron (Paris, 1737), xxxvir, p. 156).

1. Jurieu, importuné de l’argumentation, répond : a Que nous importe après tout ce qu’a dit le Père Petau dans « a préface ? » et BûSSUET réplique : a Mais c’est le comble de l’injustice ; car c’est de même que s’il disait : Que nous importe, quand il s’agit de condamner un auteur, de lire ses derniers écrits, et de voira quoi à la fin il s’est tenu ? 11 (Sixième avertissement, n. 102).

2. Ro’rSUET en fit la remarque dans son Sixième avertissement, n. 69, en comparant la Pastorale, p. 43, avec ! Tableau, p. I P » 0.

résie d’Arius et celle de Sabellius. Chez eux comme chez tous les autres anténicéens qui appartiennent à l’Église, on voit affirmer et l’unité de Dieu et la trinité des personnes et la véritable génération du Fils, qui n’est pas une créature du Père, mais qui est né de sa propre subtance. Ce dogme capital est le fondement de la foi de Nicée ; les docteurs anténicéens le confessent unanimement.

Il faut reconnaître cependant chez eux plus d’une ambiguïté et, sur les points secondaires, des erreurs 1. Nous n’en serons pas surpris si nous nous rappelons que ces écrivains sont les premiers qui aient essayé de donner de la génération du Verbe un exposé théologique et, ce qui est plus important encore, qu’ils ont composé cet essai dans des ouvrages apologétiques destinés à des païens ou à des juifs. Dans le souci de gagner leurs lecteurs à la foi chrétienne, ils la leur proposent sous le jour où elle risque le n : oins de les surprendre ; ils l’encadrent dans des conceptions helléniques ou judaïques qui lui sont étrangères et parfois opposées ; ils saisissent tout ce qu’ils peuvent trouver chez ces gens de pressentiments, de désirs, de besoins religieux, et sans doute c’est une méthode légitime, et qui peut être féconde, mais qui a aussi ses dangers. Quand on part, comme le fait saint Justin en un passage, du verbe séminal des stoïciens pour conduire ses lecteurs jusqu’au Verbe de Dieu, il faut traverser un abîme ; saint Justin y parvient en effet, mais c’est en perdant de vue son point de départ. La distance n’est pas moindre entre le dogme chrétien de la génération du Verbe et la conception psychologique, familièreaux stoïciens, du tâyetàrStocfar&cet du ï<6yofn(nfopiK6ï, Saint Théophile essaie cependant d’éclairer l’un par l’autre : essai malheureux, et qui sera bientôt définitivement abandonné.

Si les apologistes tentent ces rapprochements, c’est qu’ils n’entendent donner du dogme qu’une ébauche lointaine, que la catéchèse ultérieure précisera. On remarque chez eux tous, sauf Justin, l’absence du Christ, de son incarnation, de sa mort sur la croix. Ce n’est pas certes que cesdogmes leur aient été indifférents ; mais c’est qu’ils les regardaient comme n’appartenant pas à la préparation chrétienne ; les néophytes en seraient instruits p’us tard, et aussi de l’Eglise, de ses sacrements, de sa liturgie. L’apolofiste ne prétend pas former des chrétier s, mais préparer les âmes à la foi, la leur faire désirer ; il n’est pas nécessaire pour cela de leur en donner une connaissance précise, il suffit de leur en faire saisir la grandeur et l’attrait. Ces visées des apologistes doivent être constamment présentes à notre esprit lorsque nous lisons leurs œuvres ; nous ne serons pas déconcertés par les lacunes de leur théologie, ni même par la forme souvent vague et flottante qu’ils donneront à leur exposé doctrinal’-.

On peut donner à ces remarques plus de certitude en comparant entre elles différentes œuvres d’un même écrivain, par exemple Y Apologie de saint Jus 1. C’ast le jugement que, dans sa préface, t, 12, Petau porte de ces trois apologistes : « communem rectninfjie fidein, et ut sæpius dico, substantiam ipsam dogmalis lenrnt s, in consectariis qtiibusdam nonnihil hb régula defleclunl. »

?. M. J. ItoBiNSON, étudiant, dans son édition de la Démonstration de saint Irénée (introduction, p. 57), la théologie de Théophile, explique les incertitudes d’expression qu’on trouve chez cet apologiste par le souci qu’il avait a » ne pas révéler trop explicitement à un païen le » mystères les plus sacrés du christianisme : « Ile writes so clearly when lie chooses, that we are almost forced to conclude that he is withnoldintr the fulUr doctrine with intcntionul reserve from one who persists in his beuthen betiefs. » 1869

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tin et son Dialogue avec Tryphon : dans ce second ouvrage l’enseigneme : t doctrinal est plus explicite. Le progrès de serait plus sensible encore

si nous pouvions comparer entre elles non pas, connue ici, deux rouvres apologétiques, destinées l’une aux païens, l’autre aux juifs, mais deux livres entièrement divers, l’un propédeutiqur, l’autre théologique, tels que seraient par exemple, VApologie de saint Justin et son traité contre Man-ion’.

damier ouvrage est perdu ; mais nous possédons un autre, livre de controverse Jont l’importance est souveraine : la Réfutation de la fausse gnose par saint Irénée. C’est li que nous découvrirons dans sa plénitude, dans sa fermeté, dans sa précision l’enseignement de l’Église ; et celui qui nous transmet cet enseignement, c’est le témoin le plus autorisé que nous puissions souhaiter ; il nous atteste les traditions les plus vénérables : la tradition d’Asie, où son maître saint Polycarpe, évêque el prophète, lui a transmis l’enseignement de saint Jean et de saint Ignace ; la tradition de Rome, car c’est là quil a recueilli la doctrine de saint Justin, qu’il a saisi cette chaîne vive de la succession apostolique qui, d’évoqué en évêque, lui permet de remonter d’Eleuthère jusqu’aux glorieux apôtres Piere et Paul, c’est là aussi très probablement qu’il a préparé son grand ouvrage de controverse, qu’il a démasqué la fausse gnose, qu’il s’est armé, pour la combattre, du symbole romain. Et il nous atteste aussi les traditions de sa jeune et déjà glorieuse église de Lyon, et c’est une tierté pour nous de recueillir ce témoignage de l’évêque missionnaire et martyr.

Son grand traité de controverse est complété par la Démonstration de laPrédication apostolique, simple catéchèse exposant à un chrétien les aiticles et les preuves de sa foi.

Ainsi nous avons le bonheur de recevoir, de ce grand homme, autorisé entre tous, l’enseignement de la doctrine chrétienne, tel que l’Eglise, à la fin du second siècle, le transmettait à ses enfants et le défen lait contre ses ennemis. Nous ne trouvons pas là les spéculations ambitieuses d’un philosophe, mais, en face du mystère chrétien, les larges aperçus et la ferme adhésion d’un docteur, les profondes intuitions d’un contemplatif, le respect et l’amour d’un saint.

Nous ne pouvons espérer témoignage plus preoieux que celui-là 2.

Vu ni* siècle, la théologie de la Trinité est représentée surtout par deux groupes d’écrivains : les Occidentaux, Hippolyte, Tertullien, Novatien, et les Alexandrins, Clément, Origène, saint Denys d’Alexandrie. Ni les uns ni les autres r.e sont des témoins entièrement sûrs de la tradition ecclésiastique. Tertullien était déjà montanisle quand il écrivit VAdversiis Pra.xeam (après BlS) ; Hippolyte, quand il composa les Philosophumena (après 222), était schismatique et accusé par l’évêque de Rome de dithéisme ; Novatien était peut-être encore dans l’Église quand il fit paraître son De Trinilate, mais son schisme suivit deprès cette publication, s’il ne la précéda pas. Ces trois hommes étaient trop attachés à la foi de leur baptême pour que leur témoignage soit pour nous sans intérêt ; mais leur esprit était

1. I f. sur la théologie de » saint Justin et des Apologiste’, A.L Fkder, S.J., Justin » des Marlyrers Lettre von Jésus Christus, dem Messies und dem menschgewordenrn Sohne Gottet (Freiburtr, 1906) : — G. BABDT, art. S. Justin, dans le Dict. de Théo !. — Histoire du Dogme de la Triait/, II (Deuxième siècle), pp. 105-484.

2. Cf. Sur la théologie de S. Irénée, TniKfT, art. Irénée dans le Dict. de Théol. ; Histoire du dogme dt la Trinité, 11 (Deuxième siècle), p. 817-617.

trop aventureux pour que ce témoignage s’impose à notre adhésion. Leur théologie, si on la compare à celle de la plupart des apologistes apparaît [ lus ferme et plus mûre : ce progrès s’explique en partie par le caractère de leurs œuvres écrites, non pour des païens qui ignorent tout de la foi chre’tienne, mais pour des fidèles qui en sont déjà instruits et qui aspirent à la mieux connaître ; il est dû surtout à l’influence de saint Irénée ; Hippolyte et Tertullien l’ont subie ; on regrette qu’ils ne lui aient pas été plus entièrement dociles ; ils auraient mieux conçu et mieux exprimé la génération éternelle du Verbe et son unité avec le Père.

Sur ces trois théologiens on consultera A. d’Alès, La Théologie de Tertullien (Paris, tç)o5) ; la Théologie de saint Hippolyte (1006) j Novatien (it)35).

La théologie des Alexandrins, plus encore que celle des apologistes, porte la trace des systèmes philosophiques auxquelsils ont adhéré. La spéculaiation hellénique est, pour Clément et pour les maîtres qui l’ont suivi, une lumière providentielle qui jadis a guidé les Grecs vers le Christ et qui, maintenant encore, éclaire, aux yeux du croyant, les mystères de la foi chrétienne. On n’est donc pas surpris que, lorsqu’il parle de Dieu, du Verbe, de la Trinité, il s’inspire souvent des spéculations [latoniciennes, stoïciennes ou philoniennes, et cherche à interpréter d’après elles les données de la foi chrétienne. Son effort d’ailleurs ne tend pas seulement, comme celui des apologistes, à rapprocher l’hellénisme et le christianisme par un concordisme artificiel, mais bien à les pénétrer intimement l’un par l’autre, pour atteindre la s< urce profonde d’où l’un et l’auîre dérivent, c’est-à-dire la Vérité première. De là vient que. si la théologie de Clément est plus profondément hellénique que celle des apologistes, elle est aussi plus profondément chrétienne ; l’influence du Nouveau Testament, surtout des écrits johanniques, y est pltis marquée, et le rôle du Christ incarné y est beaucr up plus considérable. Cet essai puissant et sincère de philosophie chrétienne a-t-il été entièrement heureux ? On n’oserait le dire ; l’Eglise a toujours gardé visà-vis de Clément et de sa doctrine une réserve très marquée, se refusant à canoniser l’auteur pour ne point consacrer l’œuvre. La théologie trini taire du maître d’Alexandrie suffirait à justifier cette altitude : on y trouve, comme dans toute l’œuvre de Clément, des intuitions profondes et riches de vérité religieuse, mais, dans les développements prolixes où elles sontengagées, on rencontre souvent des idées inexactes ou fausses, lambeaux de théories hétérogènes qui ont séduit l’auteur, et dont un symbolisme étrange exagère encore le relief.

En des points importants, la théologie des Alexandrins marque un progrès : la théorie de la génération temporelle, qu’on rencontre chez plusieurs apologistes, leur est étrangère ; Clément, et Origène aussi, affirment souvent et énergiquement l’éternité du Verbe. Dans leur exégèse des théophanies, saint Justin et saint Théophile représentaient l’immensité comme un attribut propre au Père, et c’est de là qu’ils partaient pour attribuer au Fils les apparitions de l’Ancien Testament ; Ciémen I, comme saint Irénée, défend l’immensité du Fils et la décrit dans les mêmes termes par lesquels saint Justin décrivait l’immensité du Père (Stram., VII, 2, 5, 5 ; cf. Justin, Dial., cxxvii). Ailleurs encore il insiste avec force sur l’égalité du Père et’u Fils et sur leur unité ; il suffira de rappeler ici la prière qui termine le Pédagogue (Cf. Histoire du Dogme de la Trinité, H, p. 23 7).

Mais, à côté de ces affirmations si nettement chre1871

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tiennes, on relève cliez Clément la trace des spéculations platoniciennes ; la tradition philonienne identiliait le logos avec l’idéal et l’intelligible et représentait le Dieu souverain comme transcendant par rapport à lui ; on reconnaît chez Clément et surtout chez Origène l’influence de ces théories : le Fils peut être atteint par une démonstration scientifique, Dieu lui est transcendant (Strom., IV, 25, 1 55) ; pour atteindre Dieu, on doit d’abord se plonger dans la grandeur du Christ, puis avancer dans l’abîme cl parvenir ainsi à la connaissance du Tout-Puissant {Strom., IV. ii, 7 1 > 3) ; le Verbe n’est pas l’unité suprême, il est à la fois unet multiple (Strom., IV, a5, 155, 2).

Cette conception hiérarchique des personnes divines est beaucoup plus accusée chez Origène. Le grand Alexandrin était, sans doute, sincèrement attaché à la foi de l’Eglise, et il l’a assez prouvé en souffrant pour elle ; sur le dogme de la Trinité on peut recueillir chez lui des attestations très explicites de sa foi ; il est sûr que pour lui, la Trinité est un monde divin, transcendant à tout le reste ; elle est seule absolument immatérielle, immuable dans le bien, objet d’adoration et de culte ; sur le Fils en particulier, Origène professe clairement qu’il est distinct du Père, qu’il n’est pas une créature, qu’il est engendré du Père et que sa génération est éternelle, qu’il est intimement uni au Père, puisqu’il est la perfection même du Père. Mais, d’autre part, les trois personnes sont décrites comme constituant une hiérarchie, le Père étant au sommet, le Fils et le Saint-Esprit intermédiaires entre lui et les créatures ; in Joann., XIII, a5, 151-153 (P. G., XIV, 441) ; in Matlh., XV, 10 (P.G., XIII, 1280-1281). D’où cette conclusion que le Fils n’est qu’un degré pour monter à Dieu, et un degré provisoire que les parfaits dépasseront un jour : in Joann., XIX, 6, 305 (P. G., XIV, 536) ; XX, 7, 47 (P. G., XIV, 588) ; XXX1I, 29, 35g(P.G., XIV, 821) ; XIII, 3, 18-19 (P. G., XIV, 404).Du point de vue de la puissance, même conception hiérarchiqueétablissant des degrés inégaux entre les personnes divines et leurs sphères d’action : Periarchon, I, iii, 5 (P. G., XI, 100) ; cf. Cel$. t VIII, 15 ; in Joann., II, 10, "jh{P.G., XIV, 64). Cette hiérarchie apparaît à Origène symbolisée dans le culte que les deux séraphins d’Isaïe rendent au Dieu suprême : Periarchon, I, iii, 4, et in Isaiam, hom.x, a (P. G., XIII, 221) ; « Quæ sunt ista duo Seraphim ? Dominus meus Jésus et Spiritus Sanctus ».

De même Origène, comme Clément et plus que Clément, conçoit Dieu le Père commel’Unité suprême, tandis que le Fils est un et multiple ; in Joann, 1, 19, us (P. G., XIV, 56), I, 20, 119(/fctJ., 5 7) ; II, , 8, 126 {ib., 145) ; VI, 6, 38 (il>. 209) ; Ce/5., VI, 64 ; Periarchon,

! , 2, 2 ; etc. Cf. Revue d’Histoire ecclésiastique, 

XX (1924 », p. 17 sq.

Cette conception théologique retentit immédiatement sur le culte : celui-là seul a droit au culte suprême, qui est en effet le Dieu souverain. Cette conclusion a été très nettement formulée par Origène dans son Traité de la prière, xv-xvi. Nous avons cité et commenté ces textes dans la Revue d’Histoire ecclésiastique, XX (1924), p. 19 33.

On constate donc chez Origène deux tendances contraires ; l’apologiste doit les distinguer, il doit aussi en reconnaître la source. J. Denis, Philosophie d Origène (Paris, 1884), p. n 1, écrit : « La pensée d’Origène se meut dans deux directions opposées. Lorsqu’il ne suit que la logique et les idées où sa fervente piété l’inclinait, il va à l’égalité des personnes divines. Lorsqu’il s’en tient à la tradition qu’il interprète à l’aide de Philoii. ou qu’il défend soit contre le parti de Noet ou de Sabellius, soit contre celui de Théodote et d’Artéinon, soit enfin contre certains gnosti ques qui tendaient à subordonner le Père au Fils, il recule devant les conséquences de sa piété et de la logique et se jette à l’extrémité opposée. » Ce dualismt est incontestable, mais son interprétation est fausse, A l’inverse de ce que notait Denis, il faut reconnaître dans les textes consubstantialistes l’influence de la tradition, dans le subordinatianisme les forces contraires : ce qui le prouve, ce sont les textes eux-mêmes et ensuite l’histoire antérieure et postérieure : a) les livres qui accentuent le plus le subordinatianisme sont les livres savants : in fui ; , m., Periarchon…. : au contraire, ceux qui s’adressent au peuple chrétien, les homélies, gardent le contact avec la foi commune. De plus, et surtout, les thèses les plus nettement subordinatiennes sont manifestement en réaction contre la tradition chrétienne ; ceci est particulière, ment apparent dans la doctrine sur la prière : ni la pratique du peuple chrétien ni celle d’Origène homéliste, n’est conforme à la théorie défendue dans le livre sur la prière et rappelée en quelques endroits du traité contre Celse ; si nous voulons lui trouver un appui traditionnel, nous le reconnaîtrons non dans la doctrine chrétienne, mais dans la spéculation de Philon sur le Verbe grand-prêtre. Même remarque sur la conception du Verbe intermédiaire à mi-chemin entre Dieu et les créatures : Origène comme jadis Philon, se représente le Verbe comme l’idée suprême, l’exemplaire, la vérité, et Dieu comme la bonté qui est par delà l’idée : ce n’est pas la doctrine chrétienne qui conduit là, c’est la philosophie platonicienne et philonienne. h) l’histoire antérieure du dogme confirme ces données : le suboidinatianisme y apparaît surtout dans les spéculations philosophiques des apologistes ou de Clément, et non chez ceux qui expriment directement la foi chrétienne comme Ignace ou Irénée. c) même conclusion à tirer de ce qui suit : l’origénisme eut unegrande influence parmi les philosophes et les lettrés, il ne pénétra jamais la masse des croyants ; il ne trouvait pas chez eux la préparation et la culture hellénique qui seules lui donnaient prise sur les âmes.

Saint Denys d’Alexandrie avait été élève d’Origène ; en 23 1 il remplaja Héraclas à la tête du didascalée d’Alexandrie ; en 247 il lui succéda comme évêque d’Alexandrie. Il fut un grand défenseur de l’_iglise dans une période très troublée : émeute sanglante d’Alexandrie sous Philippe l’Arabe, per sécution de Dèce, puis de Valérien ; et, à l’intérieur même de l’Église, schisme de Novatien, controverse sur le baptême des hérétiques et le millénarisme ; dans toutes ces crises son rôie fut celui d’un pasteur fidèle et vigilant. Vers.260, il eut à intervenir dans une controverse où il fut moins heureux. Dans la Pentapole de Libye, certains évêques tenaient la doctrine de Sabellius ; Denys leur écrivit pour les ramener de leur erreur ; mais, dans sa préoccupation de distinguer le Fils du Père, il en vint à compromettre la consubstantialilé des personnes divi nés. Saint Basile, qui avait en main toutes les pièces du procès, en jugeait ainsi (Ep., 1, 9. P. G., XXXII, 268-269) : « Tu désires les livres de Denys ; ils sont parvenus jusqu’à nous, et en grand nombre ; mais nous n’avons pas ces volumes entre les mains, c’est pourquoi nous ne te les avons pas envoyés. Quant à notre sentiment, le voici : nous n’admirons pas tout dans cet homme ; il y a des choses que nous réprouvons absolument. Car l’impiété qui se répand aujourd’hui, je veux dire celle des Anoméens, on peut dire à peu de chose près, autant que nous le savons, qu’il est le premier à l’avoir semée parmi les hommes. La cause en a été, je crois, non la perversion de son esprit, mais son grand désir de s’opposer à Sabellius. Je le compare volontiers à un 1873

TRINITÉ (LA SAINTE)

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arboriculteur, qui voulant redresser un jeune arbre tordu, fait un effort exagéré dans l’autre sens et infléchit la branche en sens inverse. C’est à peu près ce que nous voyons arrivé à cet homme. Il s’opposait de toutes ses forces à l’impiété du Libyen, et il ne s’aperçut pas qu’il se laissait emporter par excès de zèle dans le mal contraire. Il lui devait suffire de montrer que le Père et le Fils ne sont pas personnellement identiques ; il eût ainsi vaincu le blasphème ; mais lui, pour triompher clairement et surabondamment, n’établit pas seulement la distinction des hypostases, mais la différence de l’essence, et la sujétion de la puissance et la diversité de la gloire. Ainsi il lui est arrivé de changer un mal pour un mal, et de ne pas atteindre à la rectitude de la doctrine. De là vient qu’il se contredit dans ses écrits, tantôt supprimant le consubstantiel à cause de celui qui en abuse pour confondre les h} r postascs, tantôt l’admettant dans l’apologie qu’il envoya à son homonyme. En outre au sujet du Saint-Esprit aussi il a des paroles tout à fait inconvenantes, l’expulsant de la divinité adorable, et le mettant à .un degré quelconque de la nature qui a été créée par Dieu et qui le sert. Voilà donc ce qu’était cet homme. »

Des fidèles d’Alexandrie déférèrent à Rome la lettre de leur évêque. L’évêque de Rome, saint Denys, jugea l’affaire assez grave pour motiver la réunion d’un concile ; les évêques convoqués furent ct’un sentiment unanime que le pape signifia aux intéressés. Pour ménager son collègue d’Alexandrie, il rédigea deux lettres : l’une lui était adressée, et l’invitait à s’expliquer ; elle ne nous a pas été conservée ; Denys d’Alexandrie y répondit par un livre intitulé Réfutation et Apologie, dont saint Athanase nous a conservé quelques fragments. Dans une deuxième lettre, Denys de Rome s’adressait à l’église d’Alexandrie ; il ne nommait pas l’évêque d’Alexandrie, mais il condamnait sa doctrine, et atteignait en même temps que lui tous ceux qui, à Alexandrie, tenaient les thèses incriminées. Dans 1 histoire du dogme anlénicéen, ce documenta une importance capitale ; il faut y insister quelque peu. D’après l’analyse donnée par saint Athanase, le fragment qui nous a été conservé était précédé d’une première partie, où Denys de Rome condamnait le snbellianisme. H poursuivait ainsi :

« Ensuite je dois m’adresser à ceux qui divisent, 

qui séparent, qui suppriment le dogme le plus vénérable de l’Église de Dieu, la monarchie, en trois puissances ou hypostases séparées et en trois divinités. Car j’ai appris que, parmi ceux qui chez vous sont catéchistes et maîtres de la doctrine divine, il en est qui introduisent cette opinion ; qui sont, pour ainsi dire, diamétralement opposés à la pensée deSabellius. Son blasphème à lui, c’est de dire que le Fils est le Père, et réciproquement ; mais eux prêchent en quelque façon trois dieux, divisant la sainte unité en trois hypostases étrangères entre elles, entièrement séparées. Car il est nécessaire que le Verbe livin soit uni au Dieu de l’univers ; et il faut que l’Esprit-Saint ait en Dieu son séjour et son habitation. Et il faut de toute façon que la sainte Trinité soit récapitulée et ramenée à un seul comme à son sommet, je veux dire le Dieu tout-puissant de l’univers : car couper et diviser la monarchie en trois principes, c’est l’enseignement de Marcion l’insensé, c’est une doctrine diabolique, et non de ceux qui sont vraiment disciples du Christ et qui se complaisent dans les enseignements du Sauveur. Car ceuxlà connaissent bien la Trinité prêchée par l’Écrilare divine, mais (ils savent que) ni l’Ancien Testain < nt ni le Nouveau ne prêchent trois dieux. Il

faut reprendre pareillement ceux qui enseignent que le Fils est une œuvre, que le Seigneur a été produit, comme s’il était l’une des choses produites, alors que les oracles divins lui attribuent la génération qui lui est propre et qui lui convient, et non pas une création ou production. C’est donc un blasphème, non pas quelconque, mais énorme, de dire que le Seigneur est en quelque façon l’œuvre des mains ; car s’il est devenu Fils, il y eut un temps où il n’était pas ; or il était toujours, puisqu’il est dans le Père, comme lui-même le dit, et puisque le Christ est Logos et Sagesse et Puissance — car les divines Écritures, vous le savez, disent que le Christ est cela — etcela.ee sont les puissances de Dieu ; si donc le Fils a été produit, il y eut un temps où cela n’était pas ; il y eut donc un moment où Dieu était sans ces (puissances) : c’est le comble de l’absurdité. Et pourquoi discuter plus longuement de tout cela avec vous, avec des hommes portés par l’Esprit de Dieu et qui voient clairement à quelles absurdités on est entraîné si l’on dit que le Fils est une œuvre ? Je crois que ceux-là n’y ont pas réfléchi, qui ont enseigné cette opinion ; et c’est pourquoi ils se sont entièrement trompés, en interprétant à contre-sens la parole divine et prophétique : Le Seigneur m’a créée, principe de ses voies. Car le mot « m’a créée » a, vous le savez, plus d’un sens ; et ici il faut entendre

« m’a créée » au sens de « m’a préposée » aux

ouvrages produits par lui, et produits par le moyen de son Fils lui-même. Et ici il ne faut pas entendre

« m’a créée » au sens de « m’a faite » ; car il y a une

différence entre faire et créer : « Est-ce que lui-même n’est pas ton Père, qui t’a possédé, qui t’a fait, qui t’a créé ? » dit au Deutéronome Moïse dans son grand cantique. On pourrait leur dire : O hommes téméraires, il est une créature, le premier-né de toute création, celui qui a été engendré du sein (de Dieu) avant l’aurore, celui qui a dit comme étant la Sagesse : Avant toutes les collines il m’engendre ? Et bien souvent, dans les divins oracles, on trouvera que le Fils est dit engendré, mais non produit. Et ees textes convainquent clairement de mensonge ceux qui, au sujet de la génération du Seigneur, osent dire que cette divine et ineffable génération est une production.

« Il ne faut donc pas s partager en trois divinités

l’admirable et divine unité, ni abaisser par (l’idée de) production la dignité et la grandeur excellente du Seigneur, mais croire en Dieu le Père tout-puissant et au Christ Jésus son Fils et au Saint-Esprit, et (croire que) le Verbe est uni au Dieu de l’univers. Car il dit : « Moi et mon Père nous sommes une seule chose » ; et : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». C’est ainsi qu’on assure la trinilé divine, en même temps que la sainte prédication de la monarchie ».

Ce document est d’une importance capitale dans l’histoire du dogme anténicéen : déclaration de la foi chrétienne, formulée par le pape, et souscrite unanimement par les évêques du concile de Rome. Ici, comme dans les autres documents romains, ce qu’il faut chercher avant tout, c’est l’expression authentique de la foi : point de spéculations théologiques, point de subtilités dialectiques, peu d’érudition scripturaire : mais la déclaration catégorique de la foi professée par l’Eglise. Haknack (Dogmengeschichte, I, 772), le constate non sans mauvaise humeur : « Si l’on compare cette lettre de Denys à celle de Léon I er à Flavien et à celle d’Agathon à l’empereur, on est étonné de reconnaître, entre ces trois documents romains, une si étroite parent* :. Leur forme est entièrement identique. Sans se soucier des preuves, les trois papes ont eu uniquement 1875

TRINITÉ (LA SAINTE)

1876

en vue les conséquences — ou ce qu’ils prenaient pour les conséquences — des doctrines correctes. Partant de là, ils condamnent les doctrines de droite et de gauche, et établissent simplement une doctrine moyenne, qui ne consiste qu’en mots, car elle est contradictoire. Ils la prouvent par le recours au symltole antique, sans même se mettre en peine de le pousser plus axant : un Dieu — mais Père, Fils, et Saint-Esprit ; une personne — maisdivinité parfaite et humanité parfaite ; une personne — mais deux énergies ; » et en note, au sujet de la conclusion :

« On le voit, Denys met simplement en fare l’une de

l’autre la sainte prédication de la monarchie » et f la divine trinité » : stat pro ratione voluntat ». La critique serait ju.*te, si le pape était un théologien qui construit, et non pas un témoin qui conserve. Denys de Rome avait une haute valeur personnelle : Denys d’Alexandrie en rendait témoignage dans la lettre qu’il lui écrivait alors qu’il n'était encore que prêtre (H.E., VII, 8) ; Basile aussi en fait un grand éloge, louant particulièrement la rectitude de sa foi (Ep. il, 70. P. G., XXXII, ^36). Mais ici ce n’est ni l'érudit ni le théologien qui parle, c’est le pape 1.

On a remarqué que l’argumentation de Denys ne tient pas compte ! es subtiles distinctions alexandrines sur le double état du Logos : « L'évêque de Home ne s’est point soucié des spéculations alexandrines, il a laissé de côté leurs thèses compliquées, et s’en est tenu simplement au résultat, tel qu’il le saisissait : trois hypostascs séparées » -. Il faut ajouter, pour comprendre la portée de cette intervention, que l'évêque d’Alexandrie n'était pas seul visé : Denys parle de ceux qui, à Alexandrie,

« sont catéchistes et maîtres de la doctrine divine » : 

manifestement il a en vue l'école catéchétique et sa tradition origéniste. Sans doute cette école était discutée à Alexandrie même : la dénonciation portée contre l'évêque le prouve assez, et Denys de Rome a soin, parmi les catéchistes, de marquer que quelques-uns seulement tiennent les thèses incriminées. Mais, encore une fois, l'évêque n’est pas seul, et c’est sans doute ce qui explique la procédure : la réunion du synode romain, et cette lettre publique et si grave.

Dans cette déclaration deux points sont mis en lumière : l’unité divine et l'éternité du Fils. L’affirmation de l’unité divine a toujours été la grande préoccupation des papes, dès le temps de Victor, de Zéph y rin, deCallisle ; pour sauvegarder cette unité, Denys a recours à la « récapitulation » : « Ilestnécessaire qu’au Dieu de toutes choses soit uni le Verbe divin. Il faut qu’en Dieu revienne habiter et vivre le Saint-Esprit. Enfin il est de toute nécessité que la divine Trinité soit récapitulée et ramassée en un seul, comme en un faite, c’est-à-dire dans le Dieu de tontes choses, le Tout-Puissant ». Dans ce mouvement de la vie divine, qui s'épanche du Père et qui reflue en lui, on saisit les relations qui unissent les trois personnes, et qu’on expliquera plus tard par la T>zpiyùpr, iii ou circuminccssion. Cf. Th. dk Régnon, Etudes de Théologie positive, I, p. 405.

Quant au Pila, Denys s’attache à défendre sa génération et son éternité ; il développe particulièrement l’argument tiré des relations du Fils et du Père : le Fils est la perfection du Père, et par conséquent éternel comme lui. Cet argument sera toujours cher aux Pères, et surtout aux Pères grecs. Cf. Régnon, III, p. I97 sqq.

1. Cf. Haqe.MAN.n, Die 1 Dinisclie k’irc/ie in den ersten drei JahrhunderUn (Freibarg, iar » ' « ), p. 432-445.

2. Fki.tok, Diont/*ii $ nf llexandria (Cambridge, 1904), p. lfi’J et 11. 1 ; cf. Harnack, Dogmengeschichte *, I, p. 771 ; Duchks.nr, Uitloire ancienne de L’Eglise, I, p. '188.

La lettre de Denys d’Alexandrie, malgré ses imprudences ou ses maladresses, était bien loin, à coup sûr, de l’enseignement d’Arius ; mais la lettre de Deny- de Rome a déjà l’accent de Nicée : même souci de l’unité divine, même décision souveraine et catégorique dans lu définition de la foi. Cette barrière infranchissable, contre laquelle soixante ans plus tard 1 hérésie se brisera, c’est elle qui arrête dès lors une théologie aventurer se.

Il est inutile de poursuivre plus loin cette histoire ; ce que nous en avons dit suffit à nous faire constater la perpétuité de la foi de l’Eglise, la source profonde où les Pères de Nicée ont puisé. Cette foi nous est attestée par les plus grands anténicéens, particulièrement par les grands théologiens et martyrs d’Antioche et de Lyon, Ignace et Irénée ; un témoignage plus décisif encore est celui de l'Église entière, que nous recueillons dans sa liturgie tt ses symboles ; enfin cette doctrine est consacrée par l’enseignement des évêques de Rome, depuis Clément jusqu'à Denys, en passant par Victor, Zéphyrin et Calliste.

On ne peut nier que, dans la théologie anténicéenne, surtout chez les apologistes et les Alexandrins, on ne trouve bien des traces de subordinatianisme ; mais il faut reconnaîlre que cette doctrine est fort éloignée des théories d’Arius ; elle s’y oppose en particulier par ce trait essentiel que les anténicéens, considérés dans leur ensemble, professent que le Fils de Dieu n’est pas une créature, mais qu’il est sorti de la substance même du Père : c’est la contradiction du principe fondamental de de l’arianisme.

Aussi, quand l’arianisme éclata, il dut, pour se faire accepter du peuple chrétien, se dissimuler sous des locutions équivoques ; trente ans après Nicée, saint Hn.Ainii s’en plaindra encore : « Hujus quidem usque adhuc impietatis fraude perficitur, ut jam sub antichristi sacerdotibus Christi poiulus non occidat, dum hoc putant illi iidei esse, quod vocis est. Audiunl Deum Christum ; putant esse quod dicitur. Audiunt ante tempora ; putant idipsum ante tempora esse, quod semper est. Sanctiore s aures pleins, quam corda sunt sacerdotum » (C. Auxent., vi. P. /„., X, G 1 3). Pendant les trente premières années de la controverse, les hérétiques cherchèrent à se couvrir de l’Ecriture, surtout de la dialectique, jamais de la tradition ; plus tard ils cherchèrent à Alexandrie des devanciers, et voulurent s’autoriser d’Origène et de Denys ; ils n’invoquent pas d’autre autorité. Saint Atuanasu pourra leur dire : « Voyez, nous pouvons vous démontrer que notre doctrine a été transmise identique de Pères en Pères ; mais vous, nouveaux Juifs et disciples de Caïphe, chez quels Pères pouvez-vous trouver les formules que vous répétez ? » (De décret. Aie. syn., xxviiii, P. G., XXV, 465). Et saint Hilaire :

« Post quadringentos fere annos, postquam Dei unigenitus Filins huniano generi pereunti subvenire.

dignatus est, quasi ante non apostoli, post eorum martyria et excessus fuerint Chrisliani, novella nunc et teterrima lues, non corrupti acris, sed exsecrandorum blasphemorum, Ariana effusa est. Ua illi, qui ante crediderunt, inanem spem immortalitatis habuerunt. Nuprr didicirauscomm » nta bæc fuisse inventa… » (C. Constant., v. P. /.., X, 560. Cf. id., De Trinit., xix-xxi. X, 171-173).

Aussi, au concile de Nicée, deux évêques seulement osèrent se solidariser avec Arius ; et plus tard, malgré toutes les habiletés des rhéteurs, toutes les intrigues des courtisans, toutes les perte* entions des empereurs, la conscience chrétienne se révolta contre cette hérésie mortelle, et cette rcA olta fut irrésistible. Cf, A. d’ALÈs, Le Dogme de Mae 1877

TRINITÉ (LA SAINTE)

1878

(Paris, 1926), particulièrement eh. n (p. 3g 66), les origines de l’h îeune, et ch. îv (p. 87-117), le

Concile dt Nie

Sur ce ; te question des Anténicéens on peut consulter Pctac, I, c. 3-6 et præf, c. a6. — Bull, lh(ensio fidei Nicænæ (Oxford, 16X5). — Bossukt. Avertissements aux protestants ; VIe avertissement contre M. Jurieu. — Baltus, Défense des Saints s accusée de platonisme (Paris, 1711). — Donnih, F. élire von der Persan Christi, I (Stuttgart, 18'|.">), p. 130-777, surtout p. 4 ' 4-4y6. — FrbppBl, Cours a" Eloquence Sacrée. — Th. Zaiin, Marceilus von Ancyra (Gotha. 1867), p. 210-lin : die Vorgdnger des Marceilus. — Franzhlin, De Deo Trino, 2, p. 145-ao6. — L. Doghbsni, Origines chrétiennes (cours autographié), surtout p. ao4 sqq. ; Les témoins anténicéens du Dogme de la Trinité, Revue des Sciences ecclés., VI (1882), p. 48S sqq ; et, contre Duchesne, Rambouillet, ib., p. ai sqq., 97 sqq. VII, (1883), p. 15 sqq., 333 sqq., 4^i sqq. — Nkwmax, surtout Causes 0/ the Bise and Successes « /' Arianism (1872). recueilli dans les Tracts theolo^ical an l ecclesiastical, p. 137~300 ; cf. Development r>f Christian Doctrine (éd. iSy’i), p. 133-148 ; The Ariane of the Fourth oeniury, (éd. 1901), ch. ii, p. 1 33-236. — J. Lebrbton, Histoire du dogme delà Trinité, II. Lé deuxième siècle (Paris, 1928).

III. Explication théologique.

Dans le symbole, dit de saint Athanase, la foi catholique est ainsi énoncée :

a FiJes catholica hæc est : ut unum Devitn in Trlnitute, et Trinitatem in unitate veneremur ; neque confund ntes personas, neque substantiam séparantes.

1 Alla est e..im persona Patris, alia Filii, alia Spîritus Sancti : ?ed Patris et Filii et Spiritus Sancti una est < ! i' initas, acqualia gloria, coæterna majestas. Qualis Pater, talis Filial, t dis Spiritus sanctus…

.< Ita Feus Pater, Deus Filius, Dcus Spiritus Sanctus. Et tamen non très Dii, sed unus est Dcus. Ita Pominus Pater, Dominus Filius, Donainus Spiritus Sanctus. Et tamen non très Dumini, se 1 unus est Dominus.

« Quia, sicut singillatim unamquamque persenam Deum

ac Dominum confiteri ch’isliana veritate compelliniur, ita très Deos aut Dominos diefre catholica religione prohibemur. »

Nous devons croire en un seul Dieu, et en même temps confesser qu’il y a en Dieu trois personnes réellement distinctes, le Père, le Fils et le SaintEsprit. Si l’on demande comment nous pouvons croire à trois personnes divines sans croire à trois dieux, nous ne prétendons pas sans doute donner une réponse qui fasse comprendre le mystère ; il dépasse non seulement notre intelligence et celle de ceux qui nous interrogent, mais il dépasse toute intelligence créée : ce sont là les « profondeurs de Dieu », que seul 1 Esprit de Dieu peut sonder ; et sans doute nul homme, s’il a quelque sentiment de ce qu’est Dieu et de ce qu’il est lui-même, ne sera surpris de rencontrer ici le mj stère ; ce serait tout au contraire la marque la plus assurée d’une doctrine purement humaine et indigne de Dieu, que la prétention d'éclairer jusqu’au fond la vie divine et de la rendre transparente à des yeux humains. Du moins a ton le droit de demander que notre foi ne se contredise pas elle-même.

Ramenée à ces exigences très légitimes, la question ici posée a toujours préoccupé les docteurs catholiques, et ils n’ont pas manqué d’y répondre ; saint Augustin écrivant sur ce point à un correspondant arien, le comte Pascentius, expose ainsi sa croyance et la nôtre :

« Notre foi consiste à croire et à confesser que le Père, le

Fils et le Saint-Esprit sont un seul Pieu ; et cependant n us

disons que celui qui est le Fils n’est pas le Pire : que celui qui est le Père n ost pas le Fils ; que celui qui est le SaintEsprit n’est pas le l'ère et le Fil » Car par ces noms est signifiée la relation par laquelle ils se rapportent les uns aux autres, non la substance par laquelle ils sont une seule chose. i' : r quand on dit père, on signifie seulement le pore d’un fils ; et de même le nom de fils marque seulement la rolaiinn à un pire ; et l’esprit, en tant qu’il exprime une relation est seulement l’esprit de celui qui soufllo (spirnns), de même que celui qui souille est ainsi appelé de l’esprit qu’il produit » (Epist. ; ccxxxviii, 2, ' ». /'. /.., X.WIII, 10, 43).

Ce texte marque nettement la distinction capitale qui éclaire toute cette théologie : elle sera ainsi formulée dans le décret pour les Jacobites :

« Hæ 1res personæ sunt unus Deus, et non très dii : 

quia trium est una substanlia, una essentia, una natura, una divinitas, una immensilas, una aetemilas, omniaque sunt unum, ubi non obviât relationis opposilio » ; et, dans la profession de foi du XIe concile de Tolède : « In hoc solum numerum insinuant, quod ad invicem sunt ; et in hoc numéro carent, quod ad se sunt. »

Celte distinction, de la nature qui est unique, tt des relations, qui se distinguent parce qu’elles s’opposent entre elles, a été sui tout mise en lumière par saint Augustin ; mais l’apologiste doit remarquer que cette profonde analyse du saint docteur s’appuie sur des données dogmatiques contenues dans l'Évangile et dans l’ancienne tradition patristique.

Son fondement, ce sont d’abord ces noms de Père et de Fils par lesquels le Christ lui-même nous a révélé son Père et s’est révélé lui-même ; ce sont ces déclarations expresses : « Mon Père et moi nous soi. unes une seule chose r>(Joan., x, 30) ; « tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi » (ib. xvii, 10) ; « quiconque m’a vii, a vu le Père » (xiv, 7) ; « le Fils ne peut rien faire de luimême, mais seulement ce qu’il voit faire au Père ; car ce que le Père fait, le Fils le fait semblablement » (ib., v, 19) ; « je ne peux rien faire de moimême » (v, 30), etc. Plus que ces paroles, la vie dn Christ nous révèle cette uni'é et cette relation mystérieuses. C’est, delà part du Père, un épanchemer t total, la remise entre les mains du Fils de tout ce qu’il a et de tout ce qu’il est : sa puissance, son domaine souverain, son action dans le monde, sa vie même, il lui livre tout. Et le Fils, qui tient toi t cela entre ces mains, le tient comme venant de son Père : plus nous pénétrons dans sa vie, plus nous la sentons orientée vers un autre ; il ne se possède pas lui-même, mais sans cesse il reçoit dans sa plcnitude la vie, la grâce, la lumière, qui, du Pèr". se répand en lui ; s’il ne dit rien et ne fait rien île lui-même, s’il n’a rien qu’il ne tienne du Père, c’e-.t qu’entre le Fils et le Père tout est commun, l’action, la vie, l'être, c’est que le Fils est dans le Père et qi<e le Père est d&ns le Fils. Cf. Origines du Dogme de l 1 Trinité, p. 520-529 ; ^e D' cu vivant, p. 38—44 Cette doctrine évangélique s’est profondémnt gravée dans l’ancienne tradition de l'Église, bien avant Augustin. Nous la reconnaissons dans la thèse, si chère aux Pères grecs, surtout aux Alexandrins, que le Fils est la perfection même du Père (cf. Th.de lîégnon, Etudes de Théologie positive sur la sainte Trinité, III, p. 467*566) ; ils en concluent très justement que les deux personnes sont si essentiellement relatives l’une à l’autre que l’une ne peut se concevoir sans l’autre : Athan., Or. 1, ao (P. 6'., XXVI, 53) ; Grbg. Xyss., et. Eunonu, 8 (P. G., XLV, 788) ; Grbo.Naz., Or., xxix, 17 (P. G, XXXVI, 92) ; Cyr. Alkx., Thés. (P. G., LXXV, 40) ; etc. De là encore cette thèse qu’ils énoncent avec beaucoup de force et de précision que, dans la Trinité, il n’y a 1879

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pas d’autre distinction que celle que créent les relations d’origine : Grbg. Nyss., Quod non sint très d ; i(P. G., XLV, 133/ ;) ; cf. RÉGNON, I. p. 77 ; Basile, Ep., xxxviii, 4 (P. G., 32, 320, -33-2). C’est cet enseignement que recueillera saint Jean Damasc.kne, De fideorthod., 1, 10 (P. G., XCIV, 837). Même tradition dans l’Eglise latine : Hilar., De Triiut., VII, 3 1-3 2 (P. L, X, 226-227) : « Non habel igitur fides /iposlolica duos deos, quia nec duos patres habet, nec duos filios. Confitendo Patrem, confessa Filiurn est ; credens in Filiurn, credidit et in Patrem ; quia et nomen Patris habet in se Filii nomcn. Non enim niai per Filiurn Pater est ; et significatio Filii demonstratio Patris est ; quia non nisi ex Pâtre sit Filius. In unius itaque confessione non unus est ; dum et Patrem consummat Filius, et Filii ex Pâtre nalivitas est… Non sunt naturarum significationes in nalurae utiius proprietate ; nec duos deos Dei ex Deo v sritas per/icil, nec singularem Deum Dei patitur nativilas, nec non unum sunt qui invicem sunt. Invicem autem sunt, cum unus ex uno est. »

Saint Augustin s’est efforcé d'éclairer toute cette question en insistant davantage sur l'étude philosophique de la relation ; il l’a fait surtout dans le De Trinitate, V, 3, 4, V, 8, 9 (P. L., XLII, 913-917) ; cf. Epist., ccxxxviii, 2, 14 (P. L., XXXIII, 10, 43) ; De Civitate Dei, XI, 10, 1. (P. L., XLI, 325) ; in Joann., xxxix, f, (P. L., XXXV, 1 68, 1. 3) ; DeTrinit., VIII, proem., 1 (P. L., XLII, 946-947). Saiut Thomas a creusé encore plus profondément ce difficile problème : Summa I a, q. 28 ; in Sent ; I, dist. 26 ; (Juæst. disput. de pvtenl., quæst. vii, viii, ix ; Comp. theol., 52-54. Sa doctrine a été puissamment exposée par le Cardinal Billot, De Deo, p. 337338. On peut la résumer ainsi :

La relation, telle que nous pouvons l'étudier icibas, se dislingue des autres accidents ; la quantité, la qualité, et en un mot tous les autres accidents, déterminent la substance qu’ils affectent ; la relation, au contraire, ne modifie pas le sujet mais le rapporte à un autre terme ; il suit de là que, si on la considère formellement en tant que relation, elle ne constitue pas une réalité absolue.

Ces remarques aident à résoudre deux des difficultés les plus pressantes que soulève le dogme de la Trinité :

a) Le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père, et cependant il ne manque de ce chef aucune perfection ni à l’un ni à l’autre. Saint Thomas l’explique ainsi (De potenlia, 11, 5) : « Non sequitur quod, quamvis paternitatcm Filius non habet quam Pater habet, aliquid habeat Pater quod non habel Filius, nam ipsa relatio secuudum rationem sui generis, in quantum est relatio, non habet quod sit aliquid, sed solum quod sit ad aliquid. Quod sit aliquid secundum rem habet ex illa parte qua in est, vel ut idem secundum rem, ut in divinis, vel ut habens causam in subjecto, sicut in creaturis. Unde, cum id quod est nbsolutum communiter sit in Pâtre et in Filio, non distinguunlur secundum aliquid tantum ; unde non potesl dici quod aliquid habeat Pater quod non habet Filius, sed quod aliquiil secundum unum respectum convenit Patri, et secundum alium aliquid Filio. » Cf. la q. 42, 4, ad 3 um. b) La paternité et la filiation sont deux relations réellement identiques à la substance divine, eteependant réellement distinctes l’une de l’autre. Cette position semble contredire un principe analytique :

« quæ sunt eadem uni tertio, sunt eadem interse ».

Saint Thomas répond (l », 28, 3, ad i um) : « Secundum Philosopliutii.argumentumillud tenet.quodquæcumque uni et eidem sunt eadem, sibi invicem sunt eadem, in his quæ sunt idem re et ratione, sicut

unica et indumentum ; non autem in his quæ differunt ratione. Unde ibidem dicit quod, licet actio sit idem motui, similiter et passio ; non tamen sequilur quod actio et passio sint idem : quia in actione importatur respectus ut a quo est motus in mobili ; in passione vero, ut qui est ab alio. Et similiter, licet paternitas sit idem secundum rem cum essentia divina, et similiter filiatio, tamen hæc duo in suis propriis rationibus important oppositos respectus. Unde distinguntur ab invicem ». Cf. l a, q. 3ga. 1, in Sent., I q., 34, art. 1 ; de patent, 11, 6. On voit que, pour rendre compte de la distinction réelle des relations divines, on met en jeu trois considérations : les relations se distinguent de la substance, non sans doute par une distinction réelle, mais par une distinction de raison ; elles sont non des réalités absolues, mais des relations ; elles s’opposent entre elles. Si l’une de ces trois conditions fait défaut, la distinction réelle disparait ; de là vient que la spiration active ne se distingue pas de la paternité (ni delà filiation), parce qu’elle ne s’y oppose pas.

Ces réponses ne prétendent pas dissiper toute obscurité ; nul ne s’en étonnera s’il veut bien considérer deux choses : le mystère divin nous dépasse infiniment ; d’autre part, l’analyse métaphysiqued’où nous partons est particulièrement difficile, parce que la relation, qui en est l’objet, est, de toutes les réalités, la plus fuyante, la plus débile, et partant la plus malaisée à saisir. Ces considérations suffisent toutefois à montrer que les do nnées dogmatiques n’impliquent pas de contradiction.

La théologie ne se contente pas de résoudre les objections qu’on lui oppose, elle s’efforce d'éclairer le mystère ; l'Écriture l’y provoque par les analogies qu’elle lui suggère.

Le Fils de Dieu nous a été révélé, dans l’Ancien Testament, comme la Sagesse du Père ; dans le Nouveau Testament, comme son Verbe. Les anciens Pères se sont attachés avec prédilection à ces termes scripturaires et se sont efforcés d’en scruter le sens. Cf.Th. de Rrgxoh, Etudes, 111, 38, 1-466 ; saint Augustin a recueilli les fruits de ces études et les a décuplés. On lira surtout De Trinitate, 1. IX, X, XIV, XV ; De Civitate Dei, XI, 26 ; Epist., clxix, 2. Cf. Portalie, art. Augustin, dans le Dict. de Théol., col. 2351 ; Th. Gangauf, De hl. Augustin spéculative Lehre von Gott dem Dreiseinigen (Augsburg, 1 865), p. 209-295 ; M. Sciimaus, Die psychologische Trinitdtslehre des hl. Augustinus (Munster, 1927), p. ig54ao.

Au sujet du Verbe de Dieu, on peut ainsi exposer les analogies recueillies par saint Augustin : nous pouvons distinguer dans notre connaissance un double verbe : l’un est notre pensée intérieure, l’autre notre pensée exprimée ; attachons-nous au premier, il nous fera entrevoir quelque image du mystère divin : « Quiconque peut saisir en soi le verbe mental, non seulement avant qu’il soit proféré par la parole, mais même avant qu’il éveille en nous l’image des sons, … peut entrevoir là, comme dans un miroir, quelque ressemblance de ce Verbe divin, duquel il a été dit : Au commencement était le Verbe » (De Trin., XV, 10, 19). Quand cette parole intérieure est proférée, elle nous présente une image du Verbe incarné qui, en se faisant chair, s’est rendu sensible (ib. t 20) ; de plus, ce verbe mental est pour nous le principe de nos œuvres : « … hominis opéra nulla sunt, quæ non prius dicantur in corde > ; ainsi est-il dit du Verbe de Dieu : « Omnia per ipsum facta sunt » (ib.). Enfin ce verbe mental, que notre esprit conçoit, est comme enfanté par lui, et demeure en lui, et est de même nature que l’es1881

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prit ilont il est le fruit (ifc., 12-16) ; en tout cela nous reconnaissons des images que le Créateur a gravées en nous, et qui le représentent.

La théologie de l’Esprit-Saint est plus obscure que celle du Verbe(/fr., XV, 17, ->), sq.). Nous apprenons toutefois que l’Esprit-Saint est amour ; or, en nous, l’amour unit le verbe et l’esprit IX, 8, 13), ainsi en est-il en Dieu ; il est comme le lien de la Trinité, procédant du Père et du Fils, unissant le Père au Fils XV, >-). Pourquoi ne peut-on pas dire que 1 Esprit-Saint est un Fils ? qu’est-ce qui distingue sa procession de la génération duVerbe ? Saint Augustin s’efforce de scruter encorece mystère : « Attolle oculosin ipsam luceru.et eos in eam tige, si potes. Sic enim videbis, i|uid distet nativitas Verbi Dei a processione Doni ' Dei » ; mais il confesse que ses efforts sont vains :

« Sed ad hoc dilucide perspicueque cernendum non 1

potes ibi aciem ligere ; scio, non potes. Verum dico, | mihidico, qxtid non possim scio … Quæ igitur causa | est, cur acie fixa ipsam(lucem) videre non possis, nisi I utique inlirmitas ? Et quid tibi eam fecit, nisi ini- I quilas ? Quis ergo sanat omnes languores tuos, nisi qui propilius lit omnibus iniquitatibus tuis ?Librum itaque istum jam tandem aliquando precatione melius quam disputationeconcludani » XV, 27, 50). Et c’est en effet par une prière que s’achève le livre, par la plus humble et la plus touchante des prières (traduite à la tin de notre livre, Le Dieu vivant, p. i ; t) sq.)

Portée déjà si haut par l’effort du grand Docteur, la théologie catholique a poursuivi son ascension vers Dieu ; elle a continué à scruter cette analogie du verbe mental et de l’amour. On lira particulièrement saint Thomas : sur la génération du Verbe : I a, 27, 2 ; I a. 34 : in Sent., l, d. 27, q. 2 ; Q. disput. de Verit., iv ; de Pot., q. Il ; q. viii, 1 ; Quodl., lv, G ; C. Gent., IV, 1 1 - 14 ; Of/usc. de nalura verbi intellectus. Sur la procession du Saint-Esprit : I a, q, 27, 2 ; q. 36 ; q. 37 ; Sent., I, d. 10 ; c. Gent. IV, 19.

Esquissons seulement quelques-uns des traits si fermement gravés par le saint Docteur, et d’abord la consubstantialité du Verbe de Dieu avec son Père : L’intellect divin est un acte pur ; donc la substance de l’intelligence divine est son acte même d’intellection ; d’autre part, l'être du verbe mental est sa conception par l’esprit ; donc il n’y a qu’un seul et même être du Verbe divin et de l’intelligence divine, et par conséquent, de Dieu lui-même, puisque Dieu est son intelligence. D’ailleurs, l'être de Dieu c’est son essence ou sa nature ; donc le Verbe de Dieu est l'être divin, et son essence, et le vrai Dieu lui-même (C.Gent., IV, 11).

De même la lilialion. Saint Augustin avait déjà enseigné : « Eo Filius quo Verbum, et eo Verbum quo Filius » (De 7>j «., VII, 12, 3). Saint Thomas l’explique ainsi : « Processio Verbi in divinis habet rationem generationis ; procedit enim per modum intelligibilis actionis, quæ est operatio vitae, et a principio conjuncto, et secundura rationem similitudinis, quia conceptio intellectus est simililudo rei intellectae, et in eadem nalura existens, quia in Deo idem est intelligcre et es « e. » (I a, q. 27, 2).

Cette analyse de la filiation divine fait apparaître ce qui dislingue la procession du Saint-Esprit de la génération du Verbe : la conception du verbe mental implique formellement une similitude entre la chose conçue et l’intelligence ; l’amour n’impliqua pas formellement cette similitude, mais l’inclination de la volonté vers son objet ; il suit de là que, dans les processions divines, on trouve dans la conception du Verbe ce caractère de similitude qui nous permet d’y reconnaître une filiation ; on ne le distingue pas dans

la procession du Saint-Esprit (I : i, q. 27, 3). Ainsi se trouve résolue la question que saint Augustin laissait sans réponse.

Remarquons encore que l’acte d’amour suppose l’acte d’intelligence, et ainsi s'éclaire pour nous l’ordre des processions divines (De Polent., x, 2) ; enfin cette analyse fait apparaître la procession du SaintEsprit comme procédant non seulement du Père, mais aussi du Fils ; « Nam amor procedit a verbo, co qttod nihilamare possumus, nisi verbo cordis illud cou cipiamus » (C. Gent., IV, 2^).

Et ces deux processions, selon l’intelligence et selon la volonté, sont les seules que l’on puisse concevoir en Dieu ; ainsi le cycle de la vie divine est fermé ; « postquam vero circulus conclusus est, nihil ultra addi potest ; et ideo non potest sequi tertia processio in nalura divina, sed sequitur ulterius processio in exteriorem naturam » (De Votent., ix, 9).

Ces analogies ne sont pas des démonstrations ; la vie divine est et demeure un mystère transcendant à toute intelligence créée. Mais Dieu lui-même nous a suggéré^ ces analogies par l'Écriture, par la tradition de l'Église ; il est légitime et bienfaisant de nous aider de ces secours pour guider notre foi vers ce mystère où nous tendons.

En terminant cette esquisse théologique, nous devons insister sur la fécondité religieuse de notre foi en ce mystère. La révélation de cette vie divine est déjà pour nous une faveur singulière, faisant de nous non plus des serviteurs, mais des amis et des enfants ; Notre-Seigneur cependant ne s est pas contenté de nous initier à ce secret ; il nous invite à entrer dans cette société intime du Père, du Fils et de l’Esprit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure » (Joan., xiv, 23). Ainsi, tandis que Dieu apparaît à la raison raturelle si solitaire et si lointain, la foi découvre en lui des échanges infinis d’amour et introduit le chrétien dans cette vie ; dès ici-bas la grâce l’y convie : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ et l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » (II Cor., xiii, 13) ; et au ciel ce sera la participation éternelle à cette vie divine.

De cette foi en la Trinité les chrétiens recueillent encore un autre fruit : « Qu’ils soient un comme nous sommes un », demandait le Christ à son Père (Joan., xvn, 22). C’est là sans doute un idéal qui nous dépassera toujours infiniment, mais qui toujours aussi doit nous attirer plus près du but : c’est ainsi que Jésus disait à ses disciples : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Dans les deux cas, ce qu’il propose à notre imitation, c’est un but infiniment distant, mais aussi infiniment enviable : nous ne serons jamais parfaits comme Dieu l’est, mais nous y devrons toujours tendre ; de même, notre union mutuelle ne sera jamais qu’une concorde morale, lointaine image de l’unité de la nature divine ; mais c’est vers cette unité qu’elle tendra comme vers le terme idéal que le Christ assigne à ses efforts.

Ainsi la Trinité divine n’est pas seulement l’objet de notre foi, elle est le modèle idéal de notre vie ; elle e<l aussi la béatidude où tend notre espoir. Les plus intimes amis de Dieu goûtent dès ici-bas les prémices de bonheur, et la contemplation de la Sainte Trinité est pour eux l’inauguration d’une vie nouvelle. La plupart des chrétiens ne peuvent qu’admirer de loin ces rares faveurs ; mais leur baptême leur donne le droit, le devoir d’espérer un bien incomparablement plus précieux encore : la vision face à face, pour l'éternité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit. 1883

TYRANNICIDE

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Et tout cela se résume dans ce mot du plus ancien des l'ères apostoliques, de saint Clkmknt db Roms :

« Dieu le Père, le Seigneur Jésus Christ, le SaintEsprit, c’est la foi et l’espoir des élus * (Clem., lvuj, 

a).

Jules Lebrkton.