Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Superstition

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 787-791).

SUPERSTITION. —
I. Le mot et la chose. — II. L’Eglise et les superstitions. — III. Les pratiques superstitieuses. — IV. Origine et fond des superstitions.

I. Le mot et la chose — Le mot superstitio appartient à la vieille langue latine. Il désigne en général une aberration du sentiment religieux, ou une excroissance morbide de la pratique religieuse. Chez Cicéron, dans le De nntura deorum (I. xlii, 1 17). l’Académicien Cotta, parlant des philosophes athées, oppose en ces termes superstition à religion : Horum sententiæ omn’itm non modo superstitionem lollunt, in qua inest timor inunis deorum. sed etiam religionem, quæ deorum ciltu pi » continctur. Le Stoïcien Balbus lui fait écho, ib., II, xxviii, 71.71 :

Son philosophi solum, verum etiam maiores nostri superstilioncm a religione separa.erunt. Nam qui totos dies precabantur et immolubant ut sibi sui liberi super sliies essent, sunerstitiosi sunt appellati, quod nomen patuit poslea latius ; qui autem omnia quæ ad cullum deorum pertinerent diligenter retractarenl et tanquam relegerent, sunt dicti religiosi ex relegendo… lia factum est in superstitioso et religioso alterum vitii nomen, alterum lundis.

La langue chrétienne s’empara de ce mot, d’al )ord pour traduire le grec 8ei<riSiy.i/j.ovtv.. Toutefois ôii-iôxifi.o-na. présentait une ambiguité de sens que ne comportait pas par lui-même superstitio. C’est avec une nuance de respect que saint Paul parlait aux Atliénicns de leur SeiaiSai/uvïet (Act., xvii, 22), et que Festus, parlant au roi Agrippa, appliquait le même mot à la religion juive (Act., xxv, 19). Couramment, superstitio désigne des pratiques plus ou moins apparentées à l’idolâtrie. Après Lactanck {Div. Inst., IV, xxviii, P. L., VI, 536), saint Augustin se réfère à Cicéron, De natura deorum (De Civ. Dei, IV, xxx, P. L., XLI, 136-7). Il écrit, De Doctrina christiana, II, xx, 30, P. L., XXXIV, 50 : Superstitiosum est quidquid institution est ab ho minibus ad facienda et colenda idola pertinens, vel ad colendam sicut Deum creaturam parlemve ullam creaturae, vel al consultationes et pacta quædam significationum cum dæmonibus placita atque foederata, qualia sunt molimina magicarum artium, quæ quidem commemorare potius qua m docete assolent poetae. Plus brièvement, Ep., eu, 9, 3, 18, P. L., XXXIII, 377 : (Sacriftcia) cum exhibenlur Deo, secundum eius inspirationem atque doctrinam, vera veligio est ; cum autem dæmonibus, secundum eorum impiam superbiam, noxia superstitio.

Saint Thomas coordonne celle doctrine, en se demandant d’abord, Il a II" q. 92 a. 1, Utrum superstitio sit vitium religioni contrarium. Il répond que la religion, comme toute vertu morale, tient le milieu entre un excès et un défaut ; que la superstition lui est opposée par excès. Superstitio est vitium religioni oppositum secundum excessum, non quia plus exhibeat in cultum divinum quam vera religio, sed quia exhibel cultum divinum, vel cui non débet, vel eo modo quo non débet. Cette réponse amorce une classification, développée ibid., a. 2. Le sentiment religieux peut s’égarer de deux manières : quant au mode, en rendant à Dieu des lionneurs qu’il n’ ; >grée pas ; quant à l’objet, en rendant à la créature des honneurs divins : actes positifs d’idolâtrie ; commerce avec les démons, soit par le recours à la divination, soit par de vaines observances.

A. d’Alès.

II. L’Église et les superstitions.

L’Église est intervenue à maintes reprises pour condamner les superstitions. Elle l’a fait dans ses canons pénitentiaux, ses conciles provinciaux, particuliers, généraux, ses statuts synodaux, ses catéchismes. On peut en voir le détail dans le Traité des Superstitions selon l’Écriture Sainte, les décrets des Conciles, et les sentiments des Saints Pères et des Théologiens, par J.-B. Tiiiers, Paris, 1679.

Le quatrième Concile de Carthage, en 398, ordonne

« que L’on chasse de l’assemblée des fidèles

ceux qui s’appliquent aux augures et aux enchantements, aussi bien que ceux qui observent les superstitions et les fériés judaïques ». Canon 89, Mansi. t. III, 9^8 C.

Le Concile de Trente, en divers endroits, proscrit diverses formes de superstitions. Dans sa session XXII’, il enjoint aux évêques de supprimer les pratiques que « la superstition, cette fausse imitai : >63

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trice île l ; i vraie piété, a pu introduire dans le service divin ». « Ne superstitioni locus aliquis detur, edicto et poenis propositis caveant ne sacerdotes aliis quara debitis horis célèbrent, neve ritus alios aut alias cæremonias et preces in Missarum celebratione adhibeant, prueter eas quæ ab Ecclesia probatæ ac frequenti et laudabili usu receptæ fuerint. Quarunidam vero Missarum, et candelaruin certuin nuinerum, qui magia a superstitioso cultu quam a vera religione inventus est, omnino ab Ecclesia removeant. »

Il recommande encore, dans sa session xxve, de mettre en garde les fidèles contre tout ce qui, dans la créance au Purgatoire, aurait couleur de vaine curiosité ou de superstition. Que toute superstition soit encore bannie de l’invocation des saints, de la vénération des reliques, du culte des images.

III. Les pratiques superstitieuses. — Innombrable esl la variole des pratiques superstitieuses. On lit dans les statuts synodaux du diocèse de SainlMalo, eu l’an 1618 : « Les Sorciers, instruments de Satan, pour leurs actions magiques, usent de moyens et signes qui, de leur vertu naturelle, ne peuvent causer ni produire les effets qu’ils promettent, et ne sont autorisés d’ordonnance ni de disposition divine : comme quand ils portent et foi^t porter des brevets, ligatures, caractères, billets, crins de quelque beste, pierre ou anneaux, avec des lettres ou figures ineptes et billebarées, ou des noms barbares, inusitez et inconnus, ou quelques termes du vieil ou nouveau Testament écrits sur la peau, ou en parchemin qu’ils appellent vierge, délié comme toile d’oignon, ou meslez d’autre superstition pour quelque occasion que ce soit, quand en mannotant certains maux (sic) ils appliquent quelquechose au col d’un cheval pour lui guérir le farcin d’une jambe ou le mordent en une oreille pour le panser de quelque mal. Quand ils employent pour cause eiliciente certain nombre ou autres fariboles improportionnées à l’effet. Quand ils disent tenir un démon enclos en une pliiole, pierre, miroir, ou anneau… Quand sous prétexte de médicamens, ils murmurent quelques charmes qu’ils appellent oraisons, versent de l’eau sur certaine herbe, se servent d’un osier fendu, ou d’une mesure de ceinture… Même quand ils entreprennent de dire la bonne aventure, comme ceux que l’on appelle Bohémiens, ou soutenir que les herbes cueillies avant que parler ont plus de vertu qu’autrement. Quand en proférant le nom de quelque Saint, ou bourdonnant quelque verset d’un psalme, ou autres paroles dont ils affeublent leur magie, ils empesclient le beurre de prendre, charment les chiens, eslanchent et arrestent le sang, font sauter un liard hors d’un vase, tourner le saz, mouvoir un anneau, et sonner les heures en un verre… », etc. (J.-13. Tkikks, ouvrage cité, p. Go-61)

Il arrive, ici comme ailleurs, que les pratiques superstitieuses s’unissent aux pratiques de la sorcellerie.

S. François de Sales et Mgr d’Arantou d’Alex, évoques de Genève, disent dans leurs Constitutions et Instructions synodales, qu' « il y a superstition autant de fois qu’on met toute l’ellicacité des paroles, pour saintes qu’elles soient, en quelque circonstance vaine et inutile, comme si on croyait que, pour guérir un malade, il faut dire trois Pater avant le soleil levé ». (Ibiii., p. 89)

On trouvera des séries de pratiques superstitieuses dans le Traité de J.-B. Tliiers, particulièrement p. 184-187, 201-'203, a44-24*J, 3 1 tj-334- Force est de se borner. Arrêtons-nous quelque peu aux formes

qui ont fleuri dans la période de la Grande Guerre, 191 4->918, dont la secousse a comme misaujour le fonds superstitieux de l'âme populaire.

A consulter sur ce sujet : Agostino Gbmelli.O.F.M., Folklore di Guerra, dans Vitae Pensiero, 1 Gennaio, 1917 ; Le Superstitioni dei Soldati in Guerra, éd. Vitae Pensiero. — Charles Calippk, Prières efficaces et Porte-bonheur, dans Revue du Clergé Français, i cr fcvrieret i cr septembre 1917. — Revue, des Etudes anciennes, 1916, 191O passim. — L. Rouai- : , Superst itiuns du jronl de guerre, dans Au. pays de l’Occult isme, Paris, Beauchesne. Appendice.

Prières superstitieuses ; Prière pour se garantir des armes à feu

« En contre-charme, vous récitez cette prière trois

fois de suite tous les matins à jeun, vous la porterez sur vous, et vous serez préservé de tout péril et danger de mort, et vous serez toujours vainqueur sur vos ennemis.

« Prière. Eccé, Crucem, donini, fugité, partes, 

adverse, vicis. l’eodé, Tribu, Juda, -|- faire le signe de la croix, radix, clavo. »

A travers ces syllabes défigurées et juxtaposées sans nul souci du sens, on reconnaît une des formules de l’exorcisme, empruntée à l’Apocalypse :

« Voici la croix du Seigneur ; fuyez, cohortes ennemies. Il a vaincu, le Lion de la tribu de Judas, le

rejeton de David. »

Au verso d’une reproduction de la statue de Notre-Dame de Lourdes, se lit le texte suivant :

« Enfants de France ! 
« Acceptez cette image représentant la statue de

la sainte Vierge qui a pleuré il y a cinq ans à Bordeaux et annoncé la guerre actuelle.

« Elle vous ramènera dans vos foyers.
« Récitez trois Ave Maria chaque jour pour obtenir le salut de la France et le triomphe du SacréCœur par Notre-Dame-des-Pleurs.
« La Sainte Vierge prie ses enfants qui reviendront sains et saufs de cette guerre d’envoyer leur

témoignage à l’adresse ci-dessous pour sa Glorification. »

Marie Mksmin, '26, bo.ilevard du Bougeât, 20, Bordeaux.

On voit aisément en quoi ces prières sont superstiiieuses. Le textenest pas, en général, autrement hétérodoxe. Mais on prétend assurer à ces, formules une infaillibilité absolue, et cela dans l’ordre des grâces temporelles. Qui les récite, d’ordinaire selon certaines conditions, se trouve garanti contre tout péril de mort et toute calamité. L'Évangile n’accorde pas à la prière cett toute-puissance. A qui demande Dieu, il promet Dieu et les moyens surnaturels d’y atteindre. A qui demande les biens créés, il laisse espérer les biens créés, dans la mesure où Dieu les juge salutaires pour ce ui qui prie.

Fréquemment, la superstition devient plus grossière par l’addition de certains rites. Ce n’est pas tant la prière qui importe que le mode selon lequel elle est récitée. Célèbres sont les « Chaînes de prières ». Elles sévissaient un peu partout avant la guerre. La plupart des Semaines diocésaines contiennent là-dessus des condamnations épiscopalcs, d’ailleurs trop impuissantes. La guerre dev- il leur donner une vogue nouvelle. En voici un exemple :

Keuvaine.

« Oh l Jésus, je viens implorer de vous secour ?.

Cœur de Jésus, sauvez la France. 1565

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1561,

Protégez-nous des balles allemandes. Jeanne d’Are, sauvez-nous.

Sainl Michel, priez pour nous. »

t Cette prière m’a été envoyée et doit être répandue sur tout le front.

t II est dit que ceux qui l’écrirons seront préservés de toutes les calamités et ceux qui la négligerons aurons du malheur. Envoyez-la à neuf personnes diirérentes une chaque jour et le neuvième vous aurez une grande joie.

« Ne pas signer indiquer seulement la date de

réception. Ne pas rompre la chaîne, soyez coudant. » y 8/10.

Amulettes. — Les amulettes ont leur histoire et elle est infinie. Les anciens attribuaient à certaines substances une vertu occulte. Ils portaient en guise de préservatifs des morceaux de corail ou d’ambre, certains coquillages, des racines, des graii.es, des dents, des pierres précieuses, comme l’agate et le jaspe, des figurines de pierre ou de métal. Selon Pline, l’usage tire en grande partie sou origine de la médecine. C’est d’abord la croyance à la vertu curativede certaines substances. Puis on s’imagine que, grâce à ces substances, le mal peut non seulement être guéri, mais prévenu. On cherche moins à combattre le mal présent que l’influence mauvaise. Entin des maladies, on passe à toutes sortes de maléfices. Peu à peu, on trace sur les ligurines des symboles astrologiques ou des signes incohérents. Il ne s’agit plus des vertus de la substance elle-même. On se met sous les influences astrales ; on fait appel au pouvoir protecteur de certaines formules mystérieuses. El il doit arriver que ces puissances s’incarnent dans les objets eux-mêmes qui prennent alors une valeur absolue et sont traités comme de vrais fétiches.

Dbchklbtte (Manuel d’Archéologie préhistorique celtique et gallo-romaine. Paris, Picard, t. I, i te partie, chap. xn ; t. 11, 2 partie, ebap. xi ; t. 111, 3e partie, eliap. îx, § i, r) signale l’usage fréquent du corail et de l’ambre dans les amulettes celtiques, surtout de la roue ouroueile (ou disque) solaire, du Stvastika ou croix aux branches recourbées, symbole du soleil en mouvement, de l’S, detai-Swustilta, sur le casque, la cuirasse ou l’épée des Gaulois. Il rappelle que les Gaulois étaient, au dire de César, une nation admodum dedila religionibus, que Mêla les qualifie de Gentes sttperstitiosae. Il est permis de acroire, joute-t-il, que l’expression de César s’applique non seulement aux conceptions religieuses proprement dites, mais à l’ensemble des superstitions populaires dont nous retrouvons de nos jours tant de survivances.

Des auteurs croient, d’après les textes et l’examen des objets eux-mêmes, que nombre des bijoux antiques, bulles, bagues, bracelets, pendants d’oreilles, aiguilles de tête, colliers, feuilles de métal cousues sur les vêtements, étaient portés dans une pensée de défense contie une action occulte. Les pauvres rem plaçait nt la bulle par un nœud de corde. Dans certaines bagues est enchâssée une pierre figurant un œil. Darbmbrrg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités, voir Ainulettim, Huila. — D. Cabrol, Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, voir Amulettes. — J.-B. Tiiikrs, Traité des superstitions, chapitres xxviii, xxix, xxx, xxxii, xxxm. — Mi’.lu-Recuetl de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, publié par Henri Gaiooz, Paris, 180.8, t IX.

L’amulette superstitieuse, sous le nom de Portebonheur, était en honneur avant la guerre dans

toutes les classes sociales. Il en existait de toutes les variétés et de tous les prix, depuis le sou percé ou marqué, que l’ouvrier garde jalousement dans sa poche, jusqu’au petit animal en mêlai précieux, souvent un éléphant ou un cochon, que L’élégante ou l’homme du monde portent comme bijou ou breloque, depuis la branche de muguet, dont nos midinettes se parent le premier jour de mai, ou le gui dont on orne son appartement au temps de Noël, jusqu’à la médaille de Notre-Dame du Platin, patronne des aviateur » qui « dispose des éléments du ciel ».

Le P. Gh.M klli cite de nombreuses pratiques « Portebonheur », auxquelles la guerre a donné un regain de vogue. Il parle surtout du front italien. C’est, par exemple, écrire sur trois billets les trois noms « Gasp. ird, Melchior, Balthasar », et porter ces trois billets dans trois poches différentes. C’est, pour échapper aux coups, porter sur soi de l’herbe nommée Rue, ou avoir dans trois poches différentes trois petits pois brisés en trois morceaux, renfermés dans trois sachets et changer chaque jour de poche. Les soldats calabrais attribuent à un morceau de toile, porté sur la peau, une vertu médicinale, en particulier contre les douleurs de la colique. Pour se rendre le sort favorable, on se sert de gousses de petits pois contenant neuf grains, le nombre normal étant sept ; on garde une figurine représentant un bossu avec bosse devant et derrière, un animal élrange et monstrueux.

Il y a quelque chose de la foi aux amu’ettes dans la faveur accordée à certains animaux. Un régiment de bersaglieri menait avec soi une chèvre toute noire ornée de rubans rouges. Cette chèvre, qui aimait à se faire caresser par les bersaglieri, ne se laissait pas approcher par les soldats d’autres armes. D’autres fois, l’animal porte-bonheur, la Mascotte, sera un oiseau, un petit chien, un écureuil. La pratique des Masco ts est très répandue dans l’armée anglaise. Elle y est vieille d’au moins cent ans. Des fusiliers gallois entretiennent une chèvre, d’autres régiments des chiens, l’un d’eux un ours. Faut-il voit- là une expression du Totémisme, institution primitive qui établit, entre autres particularités, un lien de parenté entre un groupe humain et une espèce animale ou végétale ? Ou n’est ce qu’un symbolisme dégénéré, quelque chose comme les animaux qui figuraient sur les casques ou les armes des anciens, les animaux qu’on voit encore dans les armoiries ? Ou se trouvet-on en présence d’un reste ou d’un renouveau de fétichisme, selon lequel ces animaux seraient dépositaires d’un pouvoir supranaturel ? Ne serait-ce qu’un vestige de l’ancien usage des armées en campagne, d’avoir avec soi des animaux apprivoisés ? En tous cas, ici la superstition serait plus facilement grossière.

. Fer et clou. — L’usage superstitieux du fer ou du clou a toute une littérature, mais les érudits ne s’accordent pas sur l’explication à en donner. Le Dictionnaire des Antiquités, de Darembeko et Saglio, au mot Clav-us, fournit sur ce sujet de nombreuses indications. — Fkazkk, /c Hameau d’or, Paris, iyo3, t. I, p. 272-279. Voir encore Revue des Etudes Anciennes, 1915, p. 213, 21/(, 217, 282.

Pline en parle comme d’un remède contre l’épi* lepsie : il recommande de planter un clou à la place où la tête du malade a frappé en tombant. Le clou apaise la douleur des blessures, surtout si c’est un clou ramassé à terre, sur lequel on a marché. Les clous arrachés des tombeaux et plantés sur le seuil sont excellents contre les cauchemars. Les clous des croix chassent la fièvre. Ailleurs, on recommande de planter un clou dans le mur à la hau1507

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teur de la partie du corps où l’on souffre, comme pour immobiliser le mal.

Au dire de Pline encore, on conte des merveilles des chevaux. Un fer de cheval (ou une semelle de fer), détaché du sabot et mis quelque part en réserve, est un remède pour le hoquet ; il sutlit de se rappeler l’endroit où on l’a mis. (E. Rivikui : , le Fer du pied des Équidés, 6° congrès préhistorique, Paris, hjio).

En Egypte, en Chaldée, en Assyrie, des coins de terre cuite et des (igurines dont le corps se termine en pointe, étaient plantés dans le sol, enfoncés dans les fondations ou dans les assises des murs. (Pkrkot et Chipiez, Histoire de l’Art dans l’Antiquité ; t. II, Chaldée et Assyrie, p. 330). Il semble qu’on voulait tenir en respect les démons souterrains par la vertu de leurs pointes. Faut-il rapprocher de cet usage celui qu’on avait à Rome de planter un clou dans la cella du temple de Jupiter et de Minerve au Capitole ? D’abord, la cérémonie avait lieu aux ides de septembre, probablement pour marquer la fin de l’année. Puis, ou la voit renouvelée dans des circonstances graves, à la suite de calamités publiques, comme une peste, soit qu’on veuille donner à l’événement le caractère d’un fait irrévocablement passé, soit qu’on veuille immobiliser l’influence néfaste.

Dans son Traité des Superstitions (ch. xxx), J.-B. Thiers parle de l’usage d’  « attacher des testes de clous aux portes des maisons afin que les gens et 1 -s bêtes qui les habitent soient préservés de charme et de maléfice », ou de « clouer un clou dans une muraille pour être guéri du mal de dents ».

Grand est l’usage que nos combattants faisaient du clou, du clou détaché. Tout le monde a vu de ces bagues composées d’un clou recourbé, employées comme porte-bonheur. L’Angleterre fabrique beaucoup de ces talismans. Parfois à l’entrée d’un baraquement, d’un observatoire, d’une cagna, était suspendu, comme préservatif, un gros clou. Le clou provenant d’un fer de cheval semble particulièrement eslimé, ou le fer lui-même, surtout le fer de cheval trouvé par hasard ou volé.

L’Allemagne ressuscita sous une autre forme, forme étrange, forme collective, le rite du clou.

A Berlin, devant le monument de la Victoire, avait été élevée la statue en bois du feld-maréchal Hindenburg. haute de 12 mètres et pesant 26. 000 kg. C’est là que les Berlinois venaient planter dévotement des clous.

Un peu sur tous les fronts sévissait l’usage de toucher du fer pour conjurer le sort funeste. A en croire Frazkr (Le Hameau d’or, Paris, 1903, t. 1, p. 276), quand les pêcheurs écossais sont en mer et que l’un d’eux prononce un juron où se trouve le nom <le Dieu, le premier qui l’entend crie : Cauld airn. Chaque homme de l’équipage porte alors la main sur un morceau de fer à sa portée et l’y tient quelque temps. Dans les faubourgs de nos cités, où, hélas ! le prêtre n’est appelé et n’est connu trop souvent qu’à l’occasion des décès, sa rencontre est considérée par quelques-uns comme un mauvais présage qu’il faut neutraliser en touchant du fer. Cette superstition est partagée par beaucoup de femmes de mauvaise vie, qui, d’ailleurs, sortent fréquemment des milieux populaires.

La croyance au mauvais sort prit, à la lin de la guerre, une forme assez bizarre. Il était dit que si trois soldats allument leurs cigare^ ou leurs cigarettes à la même allumette, un des trois ne tardera pas

; 'i être tué. Cette croyance, qui semble être née chez

les troupes anglaises, fut bientôt adoptée sur tous les fronts. Elle est certainement antérieure à la grande guerre. Le R. P. Thdhston nous assure qu’on la trouve déjà au cours de la campagne de l’Afrique

du Sud en 1900. Au début des opérations de l’armée britannique sur notre front, les pertes ont pu être assez élevées pour qu’un groupe de trois ou quatre hommes réunis comptât bientôt un tué : d’où peut-être confirmation de cette croyance.

IV. Origine et fond des superstitions. — En général, ces superstitions sont une déviation du sens religieux. L’homme se sent sous la dépendance d’un être supérieur. Il veut s’attirer sa bienveillance, gagner sa protection. Certains moyens lui sont indiqués comme propres à cette lin : il s’en saisit. Quelques-uns se présentent à lui avec une origine divine : tel saint, Dieu lui-même les a communiqués aux hommes. Quelle meilleure garantie ? Dans le besoin qu’il éprouve d’une protection, il n’examine pas ; il met en œuvre le moyen qu’on lui indique, comme le malade se jette sur le premier remède préconisé, surtout si celui-ci se réclame de quelque célébrité médicale. D’autres pratiques ont une allure religieuse : c’est le port d’une elligie sainte, la récitation ou le port d’une formule par elle même ou pieuse ou sacrée. Mais il faut en user selon le procédé obligatoire, selon tel rite infrangible. Et toujours il y a la promesse d’une infaillible eflicacité. Que Dieu se soit volontairement lié ou non, Dieu est lié. El voilà la superstition dans sa signification première, une excroissance, super siure, du sentiment religieux, quelque chose qui s’ajoute à la religion pour la déformer, une outrance d’un de ses éléments, en particulier une foi sans fondement dans l’origine sacrée ou dans la puissance de tel rite.

Les procédés dits superstitieux répondent souvent encore à un autre besoin. Au milieu de l’ignorance des forces qui nous environnent, de l’infinie multiplicité des énergies qui commandent les faits auxquels nous sommes mêlés, nous voulons arrêter à un point nos efforts pour dominer et conduire cet enchevêtrement de causes et de puissances. Nous voulons trouver un point matériel où nous appuyer, une surface tangible où nous accoter. On ne peut aller à l’infini. Par son caractère matériel, la supers’ition offre précisément ce point d’appui dans l’effort, ce point d’arrêt dans la marche vers l’infini, la précision dans le flottement des données.

Serai-je tué ? Je coii’S grand risque de l’être si je porte un canif à sept laines, si, à l’assaut, j’ai des caries à jouer dans ma poche, si, ayant rencontré un bossu ou un borgne, je n’ai pas craché trois fois à terre. Serai-je sauvé ? Oui, sûrement, si j’ai été lidèle aux prescriptions de la chaîne de prières, si je suis muni d’une médaille portant la figure de tel saint et le chiffre 13, si j’ai sur moi la lettre écrite par la sainte Vierge à la cité de Messine, si je porte au doigt une bague faite d’un clou ou une bague en bois, touch wood, à ma chaîne de montre un petit cochon en métal. Voilà qui est simple, voilà qui met à peu de frais l’esprit en repos, qui dispense d’infinies recherches, d’interrogations sans fin.

Le procédé superstitieux naît encore de la croyance à une influence réciproque de toutes les choses les unes sur les autres, sans distinction d’ordre ou de valeur. D’où la série des amulettes, des formules conjura toires. De plus, ce qui était tout à l’heure simple présage devient maintenant cause proprement dite. C’est la confusion si fréquente entre le signe, vrai ou erroné, et la cause du fait. Une éclipse n’annonce pas seulement une famine, mais la produit : la rencontre d’une personne mal conformée n’est pas seulement le présage de quelque calamité, mais si tel malheur arrive, c’est que cette personne a jeté un sort. L569

SWASTIKA — SYLLABUS

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Dans l’usage courant, le mot se substitue à l’idée, comme la monnaie à la valeur. On croit avoir expliqué un fait parce qu’on lui accole une dénomination a la façon d’une étiquette. Peu à peu, le mot prend la valeur de la chose. Dans la médecine magique, le nom du remède remplace le remède luimême. Selon la croyance populaire, prononcer tel mot, c’est attirer sur soi le malheur que le mot exprime. Il arrive que le mot significatif tombe à son tour pour ne p’us donner place qu’au son. Les formules déprécaloires, qui se montrent comme de simples assemblages de sons, avaient sans doute à l’origine un sens déterminé. En passant par des lèvres ignorantes, elles n’ont gardé que quelques consonances plus caractéristiques, et ces consonances ont la vertu de la prière, ont la vertu du remède qu’autrefois, sons une forme intelligible, elles exprimaient ou accompagnaient. Lucien Rodr ^