Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Sphéricité de la Terre

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 744-745).

SPHÉRICITÉ DE LA TERRE. — Inutile de rappeler qu’on désigne sous le nom d’antipodes les parties de la surface terrestre diamétralement opposées à celles que nous occupons. Croire aux antipodes c’est donc, de nos jours, croire à la sphéricité de la terre. Mais, il n’en a pas été toujours ainsi. Quand donc, ainsi qu’on l’a prétendu, il serait prouvé que les Pères et, plus tard, le pape Zacharie ont condamné la croyance aux antipodes, il ne s’en suivrait pas que le fait de la sphéricité de la terre a été nié du même coup. Les anciens n’attachaient pas, en effet, au mot antipodes le sens que nous lui attribuons aujourd’hui. Pour eux, les antipodes étaient des « hommes » qui habitaient les régions situées sous leurs pieds, cl qui séparés d’eux par des mers absolument infranchissables, auraient eu une origine différente de la leur. Ainsi comprise, la question ne pouvait qu’être résolue négativement par les Pères et les anciens théologiens, puisque l’affirmation du fait supposé entraînait cette conséquence erronée que tous les hommes ne descendaient pas d’Adam, qu’ils n’avaient pas tous hérité du péché originel et que, par suite, il était inutile d’appliquer à tous le baptême.

Quant à la sphéricitédela terre, ilest impossible de prouver qu’elle ai t jamais été l’objet delà moindre condamnation. C’était, au reste, une opinion libre sur laquelle les Pères ont pu se tromper comme leurs contemporains, car il ne faut pas oublier qu’elle n’est devenue une vérité incontestable que depuis le xvr siècle, époque où Magellan la démontra expérimentalement en accomplissant son voyage de circumnavigation (151g-1522). Elle ne fut que soupçonnée dans l’antiquité. A côté de Pline le naturaliste qui l’admettait, nous voyons Lucrèce et Plutarque la rejeter. Il était permis aux Pères eux-mêmes de lui refuser leur adhésion. On se demande pourquoi ils auraient eu une science supérieure à celle de leur temps. Il ne faudrait pas croire, du reste, qu’ils lui étaient tous opposés. Comme les écrivains profanes, ils avaient sur ce sujet les vues les plus divergentes Si Lactancb se refusait à accepter cette opinion, saint Augustin avouait sagement qu’il ne savait pas à quoi s’en tenir à son sujet, et qu’au reste elle importait peu à la foi chrétienne. On demande souvent, dit-il, ce que nos Ecritures nous enseignent touchant la forme et la figure du ciel. Plusieurs disputent longuement sur ces choses que nos saints auteurs, plus réservés, ont préféré ne pas traiter. En effet, en quoi nous importe-t-il de savoir si le ciel, semblable à une sphère, enveloppe de toutes parts la terre suspendue en équilibre par sa masse au milieu du monde, ou si, pareil à un disque, il la couvre d’un côté seulement ? » (De Gen. ad litt., II, ix, 20, P. L., XXXIV, 270).

Ailleurs, précisément, à propos des antipodes ou des « hommes qui habiteraient la face opposée de la terre, celle où le soleil se lève quand il se couche pour nous, et dont les pieds fouleraient le sol opposé au nôtre », il observe qu’on « peut croire que « la terre est douée d’une forme globulaire et arrondie » — figura conglobata et rotunda mundus esse cre< a SPIRITISME

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tur, — sans qu’il s’ensuive pour cela que la partie opposée île la surface terrestre soit habitable et surtout habitée. (De Civil. Dei, XVI. ix, P. I.., XLI. 48 ;).

A une époque un peu plus rapprochée de la nuire, au commencement du huitième siècle, nous trouvons dans le vénérable BitnE un partisan plus décidé de la sphéricité’île la terre. Un de ses chapitres porte le titre significatif de : Terrain globo similem (De nature rerum, c. xlvi, /’. /.., XG, a64).

On voit s’il est exact de dire, avec Draper, que

« la forme sphérique de la terre avait été condamnée

par les Pères ». (Les conflits de la science et de la

On a ajouté que cette opinion avait été réprouvée comme fausse et hérétique parle pape Zachakix, au vnr’siècle. On évêque de Salzbourg, VlROILE, qu’on a appelé « un évêque révolutionnaire et libre-penseur », aurait été privé delà dignité cpiscopale pour avoir enseigné la sphéricité de la terre. La vérité est que ce Virgile, d’origine irlandaise, qui évangélisa L’Allemagne de concert avec saint Boniface, est mort évêque de Salzbourg eu 780 et qu’il a été canonisé par Grégoire IX.

Ce qui a donné lieu à cette imputation contre la mémoire de Zacharie, c’est une lettre de ce pape à Boniface, son représentant en Allemagne, lettre qui contient, en effet, des menaces contre Virgile. L’un des griefs articulés contre cet évêque est celui-ci :

« Quant à sa doctrine mauvaise et perverse par laquelle

il offense Dieu et sa conscience, s’il est bien établi qu’il a professé l’existence sous la terre d’un autre monde avec d’autres hommes, ayant un autre soleil et une autre lune (si clarification fueril ita cum confiteri, qnod alius mundus et alii homines sub terra suit, seu sol et lima), il faut réunir un concile et l’expulser de l’Eglise, privé de l’honneur du sacerdoce. Nous adressons à ce même Virgile des lettres évocatoires, afin que, s’étanl présenté devant nous et soumis à une enquête minutieuse, s’il est trouvé coupable d’erreur, il soit condamné aux peines canoniques. » (Ed., xi, P. /.., XGIX, y 46).

Tel est le document sur lequel on s’est appuyé pour reprocher au pape Zacharie la négation d’une vérité qu’il a bien fallu reconnaître depuis. Or, d’une part, rien ne prouve que les menaces contenues dans cette lettre aient jamais été suivies d’exécution. Le contraire est même beaucoup plus probable, du moment où l’évêque Virgile est mort, avons-nous dit, évêque de Silzbourg et a été, plus tard, mis au rang des saints. D’un autre côté, l’opinion qu’on lui reprochait ne portait nullement sur la forme de la terre, mais bien sur l’existence d’un autre monde avec d’autres hommes, opinion inconciliable, dans les idées du temps, avec l’unité de L’espèce humaine et, dès lors, vraiment condamnable.

Après tout, l’erreur de Zacharie, si elle est réelle, serait sans portée relativement à l’infaillibilité papale, puisqu’il ne s’agit que d’une opinion personnelle émise dans une lettre privée et non d’un jugement prononcé ex cathedra sur une question de foi ou de mœurs et adressé à l’Eglise universelle.

Sur la découverte de Magellan, on peut consulter P. Pastblls, S. J. El descubrimiento del estrecho de Magallants. Madrid, 1920 ; Cf. P. Dudon, Etudes, t. CLXVI, p. 21’|-233, 20 janv. 1921.

Hamard.