Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Sacerdoce catholique

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 523-537).

SACERDOCE CATHOLIQUE — Diverses questions, concernant le sacerdoce catholique, ont été abordées en divers articles de ce Dictionnaire. Nous toucherons ici deux points seulement, d’importance capitale :


I. L’Essence du Sacrement de l’Ordre.
II. Sacerdoce et Célibat.

I. — L’Essence du Sacrement de l’Ordre

I. Conception traditionnelle du sacerdoce chrétien.

Le prêtre, selon une conception universelle dans l’humanité, est un médiateur entre l’homme et la divinité. L’oblation du sacrifice, acte principal du culte divin, requiert ordinairement le ministère d’un prêtre et constitue la plus haute prérogative du sacerdoce. Médiateur désigné par son rang social, le chef de famille ou le prince, dans les sociétés patriarcales, exerce normalement les fonctions du sacerdoce. Tel. dans l’antiquité biblique, Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Très-Haut ( Gen., xiv, 18). Des sociétés plus évoluées présentent souvent des survivances plus ou moins notables de ces fonctions primitives du prince ; on en trouverait dans 1035

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l’antiquité égyptienne, ou assjrochaldéenne, ou grecque ou romaine ; qu’il suffise de renvoyer au livre classique de Fustel i>b Coulangbs, La Cité antique. On sait que les empereurs chrétiens ne renoncèrent que sur le déclin du ive siècle au titre, hérité des Césars païens, de Pontifex Maximus.

Mais souvent les fonctions sacerdotales devinrent le partage d’hommes spécialement consacrés au service de l’autel. Le sacerdoce lévitique se transmettait par hérédité dans la lignée d’Aaron, en vertu du choix fait primitivement par Dieu (Ex., xxvni, 1 sqq.). Non moins que le sacerdoce lévitique, le sacerdoce chrétien requiert une vocation divine. Ueb., -, i-4 : « Tout grand-prètre, pris d’entre les hommes, est établi pour les hommes, en vue de leurs relations avec Dieu, aiin d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés ; il doit savoir compatir à l’ignorance et à l’erreur, d’autant que lui-même est environné de faiblesse. Aussi doit-il non seulement pour le peuple, mais encore pour lui-même, oirrir des sacrifices en vue des péchés. Nul ne s’attribue à lui-même l’honneur (du sacerdoce), s’il n’est appelé de Dieu, r irume Aaron. » Dans le recrutement du sacerdoce chrétien, l’hérédité n’agit plus : chaque élu doit être l’objet d’un choix individuel. Et l’originalité transcendante de ce nouveau sacer.loce lui vient d’une relation essentielle à Jésus-Christ, Grand-Prèlre de la Loi nouvelle. Ueb., v, 5-io : « Ainsi le Christ ne s’est-il point arrogé la gloire du grandprêtre, mais (la tient de) Celui qui a dit : « Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui » ; et de même, ailleurs :

« Tu es prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de

Melchisédech. » Aux jours de sa chair, ayant présenté ses prières et supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort, avec un grand cri et des larmes, exaucé en vue de sa piété, tout Fils qu’il est, il apprit, à ses dépens, l’obéissance ; consommé (dans l’obéissance), il est devenu pour tous les obéissants l’Auteur du salut éternel, déclaré par Dieu Grand-Prêtre selon l’ordre de Melchisédech. »

Saint Paul s’appuie sur l’Ancien Testament (Ps., cix, 4 ; cf. Alt., xxir, 44) pour montrer dans le Christ le chef d’un sacerdoce infiniment supérieur au sacerdoce d’Aaron. Sacré par l’élection divine au jour de l’Incarnation (Ueb., x, ô-’j), il a consommé son sacrifice (ib., ix, 11-28 ; x, 10 1 4), parle sang qu’il a versé au Calvaire, et il est entré triomphant dans le sanctuaire du ciel. Mais il avait préludé à cette immolation sanglante par l’oblation de la Cène ; et cette ohlation, les prêtres du Nouveau Testament la rééditent à l’autel. De la Cène procède tout le sacerdoce chrétien, comme le sacrifice chrétien.

Après avoir offert son corps et son sang sous les espèces du pain et du viii, Jésus Christ dit aux siens :

« Faites ceci en mémoire de moi. » (/-c, xxii, 19 ; I

Cor., xi, 24-2")). Toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (I Cor., xi, 26).

Ces paroles sont un commandement exprès ; et le commandement opère, en instituant à jamais le sacrifice du corps et du sang du Seigneur, et les Apôtres, ou ceux qui prendront leur place, comme ministres du sacrifice. Le texte sacré, qui concerne l’investiture reçue par les Apôtres à la Cène, est la charte du sacerdoce chrétien. Par sa rédaction, cette charte remonte aux origines même de la prédication évangélique. L’expression la plus parfaite se lit en saint Paul ; or saint Paul écrivait sa première épltre aux Corinthiens en l’année 55 ou 56, à une date où peut-être aucun de nos évangiles n’existait encore sous la forme qui nous est parvenue ; il n’y a peut-être pas dans le Nouveau Testament une parole du Seigneur plus anciennement attestée.

Le pouvoir donné par le Christ sur son propre corps constitue la première prérogative du sacerdoce chrétien.

Et voici la seconde. Le Christ avait ébauché un autre don, qu’il se réservait de parfaire après sa résurrection. Il avait dire à Pierre, Mt., xvi, 19 : « Je le donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur terre, sera lié dans les cieux ; tout ce que tu délieras sur terre, sera délié dans les cieux. » Et à tous les Apôtres, Alt., xviii, 18 : « En vérité je vous le dis, tout ce que vous lierez sur terre, sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur terre, sera délié dans le ciel. » Le soir de la résurrection apporte la réalisation de la promesse, quand le Seigneur dit aux Apôtres réunis, lo., xx, 22, 23 : « Recevez le Saint Esprit ; tous ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; tous ceux dont vous retiendrez les péchés, ils leur seront retenus. »

Pouvoir sur les fidèles, qui sont les membres du corps mystique du Christ, s’ajoutant au pouvoir de consacrer l’Eucharistie.

Toute la tradition chrétienne, depuis les origines, a vu dans ce double pouvoir un don qui descend de Dieu, un charisme, au sens le plus strict.

Et très tôt elle eut le sentiment que la transmission de ce charisme était liée à un rite extérieur. La première apparition historique du rite se rattache à l’institution des sept premiers diacres, placés sur un degré inférieur du sacerdoce. Ait., vi, 6 : « Ils les amenèrent devant les Apôtres, qui prièrent et leur imposèrent les mains. » Le geste de l’imposition des mains ne devait pas servir seulement à liniliation diaconale. Quand l’Esprit Saint désigne Paul et Barnabe pour une mission spéciale parmi les Gentils, on réédite sur eux le geste d’initiation, Ad., xiii, 2-3 : « Tandis qu’ils s’adonnaient au service du Seigneur et au jeûne, l’Esprit Saint dit : Séparez-moi Paul et Barnabe, pour l’œuvre à laquelle je les destine. Alors, ayant jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent aller ». Saint Paul avait établi Timothée pour régir l’Eglise d’Ephèse. Il lui écrit de Rome pour lui remettre en mémoire le don divin qu’il a reçu et l’inviter à en faire bon usage.

I Itm., iv, 1 4 : « Ne néglige pas la grâce qui est en toi, qui te fut donnée par une parole inspirée, avec l’imposition des mains du collège sacerdotal. » M/ ; àfii/si roj h soi yapiafiv.roç, ô iiôOr, ea otx Ttpofrrrtlnz’lira, tr.tféjcui rfi> yupùv toj T.p^Zjtcpiou. De nouveau,

II 77m., 1, 6 : « Je t’avertis de ranimer la grâce de Dieu qui est en toi, de par l’imposition de mes mains. »’Avap.twsiiï/.u at ôaiodÇwnvptïv ib yâ.pvspv. reO ©îoO, i izzu b -.i Stà rfii titiOimtt *& » %tipG », « ; v. L’Apôtre présente le don du sacerdoce comme une grâce d’en haut, qui ne dispense pas de l’effort, mais qui, une fois reçue par l’imposition des mains, demeure acquise, en dépit même des infidélités.

Telle est bien la conception traditionnelle du sacerdoce chrétien. Travaillant sur cette donnée, la théologie catholique a élaboréla notion du caractère sacramentel indélébile et la distinction d’un double pouvoir : pouvoir d’ordre qui constitue le prêtre, et pouvoir de juridiction, qui l’habilite pour le ministère des âmes. Nous ne croyons pas devoir reprendre ici l’exposition d’idées développées ailleurs dans ce dictionnaire, soit à l’article Sacrements, soit à l’article Ordination, soit à l’article Evkquks, soit à l’article Église. Mais il faut dire un mot des attaques dirigées cou lie la conception traditionnelle du sacerdoce chrétien et de la hiérarchie ecclésiastique, par l’individualisme protestant, au nom de la conception large du sacerdoce. io ;  ; 7

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II Sacerdoce au sens large et sacerdoce au sens strict. — Le pouvoir réservé du sacerdocechrétien n’est pas exclusif d’une certaine participation de tous lestidèles au culte divin, sans excepter l’acte principal du culte chrétien, qui est l’oblalion du sacrilice eucharistique. Ce n’est pas sans raison que le prêtre dit, après l’Offertoire de la liturgie romaine : Orate, Fratres, ut mcum ac vbstrum sacrificium icceptabile fiât apud Deum Patrcm omnipotrntem. L’offrande eucharistique e-.t l’offrande de tous ; présentée par les mains du prêtre et consacrée par sa parole, elle traduit un hommage collectif. On retrouve cet esprit dans toutes les liturgies primitives, attentives à marquer l’unité ecclésiastique par l’unité de prière.

D’ailleurs le Nouveau Testament, qui exalte si haut le suprême sacerdoce du Christ, et le sacerdoce spécial dérivé de lui, ne laisse pas d’attribuer à tous les ûdèles une certaine part de sacerdoce, au sens large. Saint Paul écrit, Rom., xii, i : « Je vous exhorte, mes Frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, par un culte spirituel. » fleb., xiii, 15-16 :

« Offrons sans cesse par Jésus une hostie de louange

à Dieu, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom. N’oubliez pas la bienfaisance et l’assistance fraternelle, car c’est par de tels sacrilices qu’on gagne la faveur de Dieu. » Saint Pierre est encore plus précis, l Pt., ii, 5…9 : « (Sur le fondement du Christ) soyez élevés, pierres vivantes, maison spirituelle, pour (l’œuvre du) sacerdoce spirituel qui offre à Dieu des hosties agréables par Jésus-Christ. .. Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, un peuple saint, une nation de choix, pour annoncer les vertus de Celui qui vous appela des ténèbres à son admirable lumière, » Cette race élue, saint Jean la voit à son tour dans les perspectives du ciel, Ap., v, 10 : « Vous nous avez faits pour notre Dieu royaume et prêtres… » xx, 6 : « Bienheureux qui a part à la première résurrection : sur ceux-là, la seconde mort est impuissante, ils seront prêtres de Dieu et du Christ et régneront avec lui pendant mille ans. »

Entre le sacerdoce au sens strict du clergé catholique et le sacerdoce au sens large de tous les fidèles, la tradition chrétienne avait toujours marqué une frontière très nette ; la Réforme entreprit de la supprimer. Luther fut le grand ennemi du sacerdoce chrétien. Dans son écrit De capiivitate babylonica, il avait attaqué le sacrifice et la transsubtantiation. Dans le De abroganda missa privata (1521), c’est à l’idée nierai du sacerdoce qu’il s’en prend, en écrivant :

« De sacerdoce extérieur, visible, il n’en existe

absolument pas ; et celui qui existe présentement est d’origine humaine ou plutôt diabolique. Il n’y a au monde rien de plus fune-te et de plus exécrable que les masques aveuglants, les messes, rites, exercices et pratiques de piété de ce sacerdoce. »

Les théologiens catholiques ne manqueront pas de relever ces attaques. En Allemagne, JoIi.Mrnsino, Von dem Testament Christi unsers Ilerrn itnd Seligmackers, |5>6 ; Von dtm Opffer Christi ynder Messe, 15a6 ; De sacerdolio Ecclesiæ Christi catholicæ Oratio, 1527 ; Examen f.cripturarum a’que argumeniorum qnæ adversus sacerdotium Ecclesiæ libella de abroganda missa p. M. f.utherum sunt adducta, 1529. En France, Jousse Cliciitovr, Jntilutherus, Paris, 1523 ; De sacramento Encharistiac, Paris, 102& ; P 10piignacilitm Ecclesiæ adversus f.ulheranos, ibid. En Angleterre, John Fischer, évêque de Rochester, Sacri sacerdotii defi-nsio contra Lutherum, 15 ; >5. Ce dernier ouvrage, publié pour la première fois à Cologne, vient d’être réédité pour le quatrième cen tenaire de son apparition, par M. Hermann Klein Sciimbink, recteur à Kaldenkirchen. C’est le 9 » volume du Corpus Catholicorum, publié par la librairie Aschendorff, de Munster i.W. Ce volume mérite de trouver encore des lecteurs ; nous croyons bon de le résumer ici.

Dans un premier chapitre, l’auteur fait appel à l’argument de prescription théologique, en opposant à Luther la tradition constante des Pères touchant le pouvoir réservé du sacerdoce.

Dans un deuxième chapitre, il énonce et motive solidement dix propositions, qui constituent une démonstration en règle de la thèse catholique :

1. Il est raisonnable que les choses intéressant le salut des àmes, soient confiées à de certains hommes, charges du soin de toute la multitude.

2. Le Christ, vivant sur terre, a établi des pasteurs pour avoir soin de ses brebis et remplir près d’elles un rôle de pasteurs, de chefs, de docteurs.

3. Il convient que les pasteurs appelés à remplir ce rôle près du peuple chrétien, reçoivent à cet effet le don d’une grâce plus abondante.

4. Non seulement cela convient, mais de fait, le Christ a départi aux pasteurs de son Eglise une telle grâce et un tel pouvoir, pour qu’ils puissent mieux s’acquitter de leurs fonctions.

5. Non seulement à l’origine de l’Eglise l’institution de tels pasteurs fut nécessaire, mais elle doit durer toujours, jusqu’à ce que l’édifice de l’Eglise soit complet.

6. Nul n’exerce légitimement les fonctions pastorales, s’il n’a été appelé parles chefs de l’Eglise, régulièrement ordonné et envoyé.

7. Tous ceux qui sont ainsi légitimement établis par les pasteurs de l’Eglise pour les fonctions pastorales, doivent être tenus pour également appelés par l’Esprit saint.

8. Les mêmes pasteurs reçoivent du même Esprit dans leurs ordinations le don de la grâce, qui les rend plus capables de remplir saintement le devoir de leur ministère.

9. Néanmoins l’Esprit saint veut que cette grâce soit liée à l’apparition d’un signe sensible, dont l’accomplissement exact nous sera un gage que la grâce est actuellement donnée.

10. Ceux qui ont été ainsi légitimement ordonnés pasteurs des Egliseset prêtres, sont justement tenus pour investis du sacerdoce divin et le sont certainement.

Dans un troisième chapitre, l’auteur réfute les arguments scripturaires par lesquels Luther prétendait ruiner le pouvoir du sacerdoce chrétien proprement dit, et ne montrer partout qu’un sacerdoce au sens large.

On sait qu’après avoir vengé contre les attaques de Luther les droits du sacerdoce, le B x John Fisher en pratiqua les devoirs jusqu’à l’effusion du sang, durant la persécution d’Henry VIII.

Les Fglisesnéesdela Réforme s’accordaient toutes à nier la réalité du sacrifice eucharistique. Elles s’accordaient aussi à saccager le système sacramentel de l’Eglise catholique. Ces Eglises étaient logiques en niant le pouvoir d’Ordre. Celles qui, par égard pour des habitudes séculaires, maintinrent lVpiscopat historique, à savoir l’Eglise luthérienne de Suède et l’Eglise anglicane, pouvaient difficilement conserver une illusion sur la valeur d’un sacerdoce qu’elles avaient délibérément vidé de toute sa vertu. Si, de nos jours surtout, des réactions se sont produites en faveur du sacrifice eucharistique et en faveur du sacrement de l’Ordre, ces réactions procèdent d’une inconséquence et démentent le principe de la Réforme . 1039

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La tentative de Luther a d’ailleurs été renouvelée maintes fois et sous maintes formes. Ainsi, dans l’anglicanisme, lors des conférences données à Oxford, en 1880, par Edwin Hatcii, et publiées sous ce titre : The organisation of the early Christian Church (5 th ed., London 1895). Mais un nombre oroissant d’Anglicans se détacbe de la conception exclusive d’un sacerdoce au sens large. Un signe non équivoque de cette désaffection croissante est la publication faite en 1918, sous les auspices mêmes du primat anglican de Canterbury, d’un remarquable volume d’essais, auquel il a déjà été fait allusion dans ce Dictionnaire, t. IV, p. 712. Essays on the early Uistory of the Church and the Ministry, by various vriters ; edited by H. B. Swete, London, 1918. Nous ne toucherons ici que le troisième des essais réunis dans ce volume ; il ne le cède à aucun autre, soit par son étendue (12a pages), soit par son importance. Dû à la plume experte de M. Cuthbert Hamilton Tuknbr, il traite la question, délicate entre toutes, de la Succession apostolique.

M. Turner se refuse à reconnaître dans le rite de la consécration épiscopale, séparé de l’attribution à un siège épiseopal distinct, un gage suffisant de la succession apostolique ; il estime que c’est là, pour le pouvoir de l'évêque, une bien pauvre garantie, dont on ne s’avisa jamais avant 1ère de la Réforme ; donc, à tout le moins, une nouveauté, souvent présentée sous une forme qui donne à la conception moderne du sacrement quelque chose de mécanique. Op. cit., p. 196.

On éprouvera sans doute quelque peine à réconcilier cette exigence avec les autres assertions de M. Turner lui-même. Il a donné, p. 181sqq., une adhésion très franche au grand principe augustinien qui domine toute la conception moderne des sacrements : le sacrement est avant tout acte du Christ, Grand-Prêtre de la Loi nouvelle, et devant cette opération souveraine du Christ, les déficiences personnelles du ministre immédiat s’effacent. Il a loué saint Augustin d’avoir appliqué fermement ce principe, non seulement au Baptême, mais encore à la Confirmation et à l’Ordre. Et il n’ose pas nier que la conception moderne du sacrement a quelque titre à être présentée comme une légitime déduction du principe augustinien. Dès lors, n’est-il pas logiquement amené à reconnaître dans le rite de l’ordination le seul critère sur de la transmission du charismeépiscopal, etdonc le vrai eritèredela succession apostolique ? Le geste hiératique de l’imposition des mains, consacré dès le temps des Apôtres pour une œuvre spirituelle, n’a-t-il pas une autre signification et une autre valeur que l’attribution à une chaire locale ? El (}uel rôle appartientaux chaires locales, dans le travail progressifde l'évangélisation, qui se poursuit depuis les Apôtres ? Quand l’Eglise crée des chaires nouvelles — et elle en crée tous les jours dans les pays qu’elle ouvre à la foi, — de quel signe marquera-t-ellc leurs élus, sinon du signe usité dès le temps des Apôtres ? Et si elle peut créer, à plus forte raison doit-elle pouvoir déplacer et disposer. Je n’apprendrai pas à M. Turner que les translations à un nouveau siège n'étaient pas chose inouïe dans l’Eglise du iv « siècle.

Ce que la conception dite « moderne » du sacrement présente de plus caractéristique, c’est assurément la distinction très nette qu’elle établit entre le caractère imprimé par le sacrement et la grâce qu’il confère aux âmes bien préparées. Or, d’après la conception la plus primitive, l’impression du caractère est liée au rite sacramentel. On ne peut pourtant pas dire que la doctrine du caractère sacramentel date de la Réforme ; elle tient une assez

grande place dans la théologie de saint Augustin, pour ne pas descendre jusqu’aux scolastiques. Et ce qui constitue proprement le charisme épiseopal, c’est le caractère. Saint Augustin a le premier enseigné clairement ce que peuvent à cet égard des mains criminelles, et par là porté le coup de mort au schisme donatiste. Il est permis de s'étonner que M. Turner ait pu écrire, sur la succession apostolique, une étude si vaste et si détaillée, sans nommer le caractère sacramentel. Ce charisme épiseopal a pu exister en Judas comme en saint Pierre, car ce n’est pas un don actuellement réservé aux amis de Dieu, une gratia gratum faciens, c’est une puissance active, liée au geste de l’imposition des mains épiscopales. La doctrine du caractère sacramentel aélinie par l’Eglise (Conc. de Trente, S. vii, can. 9, DB., 85? (734) : S fjuis dixerit in tribus sacramentis, Baptismo se, Conftrmatione et Ordine, non imprimi characterem in anima, h. e. signum quoddam spirituale et indélébile, unde ea iterari non possunt ; A..s'.), marque une frontière parfaitement nette entre le sacerdoce au sens large et le sacerdoce au sens strict.

On peut voir sur cette question tous les traités dogmatiques du sacrement de l’Ordre ; de plus, le livre récent de J. Tixbhont, L’Ordre et les Ordinations. Etude de théologie historique, Paris, 1925. — Nous avons donné au (ïregorianum, t. VI, (1925), p. 3- 18, un article : Succession apostolique et ministère ecclésiastique, d’après un ouvrage anglican ; qui expose et prolonge quelques-unes des idées indiquées ci-dessus. — J. Coppens, L’imposition des mains et les rites connexes, dans le N. T. et dans l’Eglise ancienne, Louvain, 1925.

A. d’Alès.

IL — Sacerdoce et Célibat 4

N’a-t-on pas tout dit sur le célibat des prêtres, depuis des siècles que l'Église leur en a fait une loi, et que les docteurs catholiques en développent les convenances ? La cause est entendue, jugée ; elle ne devrait plus être discutée. Et cependant, telle est la force de l’instinct contraire, que des protestations s'élèvent périodiquement contre cette prétendue tyrannie de l'Église. Pib X, dans l’encyclique Pascendi, Pauca demum superant, D. B., 2104, notait déjà ce trait chez quelques modernistes. De fait, une propagande hostile au célibat obligatoire du clergé s’organise en Italie. Cf. Civiltà caltolica, 21 octobre 191 1, // modernismoe la sua lotta contro il celibato ecclesiastico, i>. 21£, et en Allemagne. Cf. Max Bierbaum, Der Kampf uni den Zoelibat, dans Der Katholik, 1910, t. I, p. 62 sqq. Der R’ath. 191 1, 1, p. 79, 317. En France, deux livres que l’Index a condamnés, Décrets du 24 janvier 1912 (Acta Ap. Sed., 1912, p. 56) et du 9 mai 1912 (loc. cit., p. 36g), ont rouvert le débat devant l’opinion publique. Le sujet sera toujours d’actualité, et quoi qu’on ait pu déjà écrire d’excellent à ce propos, peut-être ne sera-t-il pas inutile de rappeler exactement ce que veut l’Eglise en cette matière délicate, de justifier sa conduite et de la défendre contre les préjugés à la mode.

I. La législation canonique. — L’histoire du célibat ecclésiastique a été très étudiée. (Indications

1. Les pages que nous publions ici et qui avaient vu le jour dans les Et idet en octobre 1912, n’ont pas été relues par leur auteur, tombé à son poste sacerdotal, dès les premiers jours de la grande guerre. Mais elles ont conservé toute leur valeur. Docteur en droit et prêtre, le. P. Auffrov avait abordé le sujet avec la hauteur de vues et la conscience qu’il ? portait en toutes choses. Nous recueillons précieusement cette relique. (N. D. L. D.) 1041

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précises et bibliographie abondante dans : Lbclkrcq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne, v° Célibat ; Vacandird, Dictionnaire de théologie catholique v' Célibat ; Villien, Revue pratique d’apologétique, ! " mars 191 1, t. XI, p. 801 ; 'Wbhnz, Jus Decretalium, t. II, n. 196 sqq.) Dès l’origine du christianisme, beaucoup de prêtres, à l’imitation de Notre Seigneur, de Saint-Paul (I 6'o/, vii, 7), et probablement des autres Apôtres, vécurent dans une continence absolue (Voir Tbrtullibn, De eshortatione castitatis, c. xi 1 1 P. L., t. II, col. ijg3 : Quanti igitur et quantæ inecclesiasticis ordinibus de continentia censentur, qui Deo nubere maluerunt, qui carnis suæ honorem restiiuerunt, quique se jam illius aevi lilios dicaverunt, occidentes in se concupiscentiam libidinis, et totum îlludquodintra paradisumnonpotuit admitti ? Okigène, In Levit, Ilomil. vi, 11. G l'.G, 1. XII, col. 474 etc. Cf. Lbclbrcq, loc. cit., col. 2807 -sqq. ; Vacandahd. loc. cit. col. 2071) Mais il semble qu'à l'époque primitive aucune loi ne les y obligeait strictement. Ceux qui s'étaient mariés avant de recevoir les saints ordres continuaient, une fois prêtres, à mener la vie conjugale ; quant à ceux que l’ordination trouvait célibataires, l’usage s'établit promptementde leur interdire le mariage. A partir du quatrième siècle, une divergence s’accuse entre l’Occident et l’Orient. L’Occident commence à imposer aux clercs des ordres majeurs la chasteté parfaite. Les désirs dupeuple tidèle, le sens chrétien des ministres sacrés, les injonctions de la hiérarchie, concourent à ce résultat. La première loi écrite connue sur cet objet remonte aux environs de l’an 300 : c’est le trente-troisième canon du concile d’Elvire (H « fele, Histoire des conciles, ae édit., trad. Leclercq, t. I, P. 1, p. 238), qui prescrit à tous les clercs employés au service de l’autel de rompre leurs relations avec leurs épouses et de ne pas les rendre mères. En 386, sous le pape saint Siricb, le concile romain (Ibid., t. II, P. I, p. 71) insiste pour que les prêtres et les lévites s’abstiennent de s’unir à leurs femmes. Le même saint Sirice s’efforce de faire prévaloir cette règle dans toute l’Eglise latine (P. L., LV1, 554 sqq., r)tâ). Ses successeurs, saintlnnocent 1 er (fbid., LVI, 001, âa3), saint Lron lb Grand, (Ibid., LIV, iao4), y travaillent à leur tour ; les conciles particuliers agissent dans le même sens. Au temps de saint Grbgoire le Grand (Ï90-604 (Cf. Decretil 1 Pars, Dist. 28, c. 1 ; Dist. 32, c. 2), le droit commun de l’Occident est que les évêques, les prêtres, les diacres, peut-être même les sous-diacres, doivent, s’ils sont mariés, vivre comme s’ils ne l'étaient pas, et s’ils ne le sont pas, rester célibataires. Pius tard, on admit la nullité du mariage que tenterait de contracter un clerc in sacris, ce qui fut confirmé par le second concile de Latran (1 139). (Decrtti II Pars, caus. 27, q. 1, c. 40). La discipline est dès lors flxée ; elle ne variera plus. Quand, au seizième siècle, Luther se révolte et prétend la briser, le concile de Trente, loin de lui rien concéder, répond en affirmant solennellement que cette législation est légitime ; il délinil les droits de l’Eglise et anathématise ceux qui les nient. (Sess. xxiv, De Sacrant. Matrim., 4- 9. D. B. 974, 979). Chaque fois que d’autres novateurs essayent rie rompre une lance contre le célibat clérical, ils se heurtent invariablement à la même résistance. Tout leur effort n’aboutit qu'à provoquer, <le la part du SaintSiège, des déclarations fermes et péremptoires : sans hésiter ni se lasser, Rome leur répète sa volonté de maintenir inflexible sur ce point la discipline traditionnelle. Ainsi ûrent notamment Grégoire XVI (Encycl. Mirari vos, 15 Aug., 183a)etPiR IX (Encycl. Q n plurious, 9 nov. 1 846 ;.S’y//., prop. 74, N. B. D H., ni k).

Néanmoins, la continence reste, comme le voulut Notre-Seigneur, unconseilet non un précepte. Ceuxlà seuls y sont astreints qui se sont mis de bon gré ce joug sur les épaules. Sans doute, les ordres majeurs entraînent l’obligation de renoncer au mariage ; mais on n’y admet que les candidats qui y consentent librement, à un âge où ils savent ce qu’ils font. Le concile de Trente exige vingt et un ans révolus, Sess. xxiii, De Réf., c. 12. Si, d’aventure, en violation des canons, on conférait les ordres sacrés à un enfant, l’ordination serait valide : l’enfant serait sousdiacre pour toujours, prêtrepour l'éternité, mais non point obligea une chasteté perpétuelle. On le laisserait grandir jusqu'à seize ans ; à ce moment, on le mettrait en demeure de choisir : ou la vie cléricale, avec les droits et les devoirs qu’elle comporte, y compris le célibat ; ou la vie du monde, avec la faculté de se marier et l’interdiction corrélative d’exercer les fonctions sacrées. Cf. Constit. Bbnbdicti XIV' Eo quamvis tempore, l mai 1745, §20 sqq. ; Gasparri, De Matrimonio, t. I, n. 586 ; Wernx loc. cit., n. 81. Même solution pour le jeune homme qui n’aurait consenti à son ordination que sous l’empire d’une crainte grave. L'Église n’impose le célibat qu'à ceux qui le désirent ou l’acceptent.

Quant au clergé oriental, il n’a jamais connu l’obligation universelle d’une continence absolue. Le concile in Trullo (692) lui a tracé sa loi (Can. 6, 12, 13, 48. Cf. Hbfelb loc. cit., t. III, P. I, p. 562 sqq.) qui n’a plus changé et que le Saint-Siège a admise : Décrétai. Gregorii IX, iii, 1, c. 13 ; iii, 3, c. 6 ; Constit, Bknbdicti XIV' Etsi pastoralis, 26 mai 1742, § 7, n. 26). Les hommes déjà mariés, promus au sousdiaconat, puis au diaconat et à la prêtrise, n’ont pas à se séparer de leur femme ; mais il est interdit de contracter mariage après le sous-diaconat, et les évêques sont obligés à la chasteté parfaite. Tel est encore, actuellement, le droit commun des rites orientaux. (Cf. Papp. Szila’gyi, Enchiridion Iuris Ecclesiæ orientalis catholiae, p. 327). Cà et là, cependant, se sont manifestées, en ces dernières années, des tendances favorables à l’idéal romain. Le concile syrien de Sciarfa prescrit en 1888 « que le célibat, déjà observé par la plupart des prêtres de notre Église, soit désormais commun à tous ». Dix ans après, le concile copte d’Alexandrie décrète « qu'à l’avenir tous les candidats aux ordres majeurs devront être célibataires, selon l’ancienne discipline de l'Église d’Alexandrie et de toutes les autres Églises ». Wbrnz, loc. cit., n. 19817) fine.

II. Les motifs. Pourquoi donc cette austérité et cette vie hors nature, prescrite au clergé latin ? Voir Slimmen aus Maria-Laach, 1912, t. LXXXIII, p. a56 sqq., Moritz Meschler, P ~om Kifchlichen Zoelibat. La réponse se résume en deux mots : le célibat est plus parfait que le mariage, et l'Église veut cette perfection pour ses prêtres.

Que le célibat soit supérieur et préférable à l'état conjugal, c’est un dogme, insinué dans l'Évangile, Mt., xix, tosqq., clairement enseigné par saint Paul, I Cor., vii, cru par toute la tradition catholique, Voir tous les manuels de théologie catholique, v. g. Prsch, Prælectiones dogmaticae, t. VII, n. 858 sqq. Cf. Dublanchy, Dictionnaire de Théologie catholique, v° Chasteté, et défini au concile de Trente, Sess. xxiv. De Sacram. Matrim., can. 10. D.B., 981. Il faut, d’ailleurs, le bien entendre. On ne dit pas que tout prêtre, tout religieux, par le seul fait qu’il renonce au mariage, est plus saint que n’importe qui ; on ne compare pas personne à personne, mais on oppose acte à acte, habitude à habitude, état à état : toutes choses égales d’ailleurs, il est mieux de s’interdire les plaisirs charnels que de se les permettre ; garder 1043

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ia continence est d’une vertu plus haute que contracter mariage. Non que le mariage soit un péché, loin de là ; de soi, c’est un acte bon ; mais, en thèse gêné raie, ce n’est pas le meilleur possible. <i Le père qui marie sa lille fait bien, dit saint Paul (I Cor., vii, 38), celui qui ne la marie pas fait mieux encore. » La palme reste à la virginité.

Cette vérité de loi fui étudiée parles docteurschrétiens, et saint Thomas surtout en a bien dégagé l’explication profonde. (Contra impugnantes Dei cultum et religionem c. i ; De perjectione vitæ spiritualis, c. S sqq. ; C. Génies, L. III, c. 136-138 ; II* II**, q. 2 4, art. 8, y ; q. it>4 sqq. Cf Suxnaz, De virlule et statu religion is, Tr. vii, 1. 9). La perfection consiste à aimer Dieu. L’homme sera d’autant plus parfait que l’amour divin dominera plus complètement son cœur et sa volonté. Ainsi, l’idéal serait de toujours penser, parler ou agir sous l’influence de cette charité céleste : savoir ou cleviner ce qui plaît le plus à Dieu, accomplir par amour ce bon plaisir adorable, la sainteté n’a pas d autre programme. Ici-bas, notre pauvre nature ne le réalisera jamais intégralement ; mais il est permis, conseillé, de s’en inspirer et de tendre vers la perfection, en développant sans cesse en soi le règne de la charité.

Or, ce triomphe de la charité appelle la chasteté, comme préparation ou comme conséquence. Le plus sur moyen d’avancer dans l’amour n’est-il pas d'écarter les obstacles qui retarderaient ce progrès ? Dieu est si bon, si beau, que noire cœur se tixeraitsponlanément en Lui, s’il ne s’en laissait détourner par les biens inférieurs. C’est l’attachement à la créature qui arrête l'élan vers le Créateur. Le chrétien, jaloux de s'élever à une charilé plus pure, rompra done un à un les liens qui le retiendraient en bas. Les plaisirs des sens et du cœur le sollicitent d’abord : il s’en privera. Il y a sans doule des exigences physiologiques avec lesquelles tout le monde doit compter ; il faut manger, dormir et boire, parce que c’est nécessaire à l’existence et que pei sonne n’est autorisé à se détruire. Il y a de même des devoirs de famille auxquels il nous est défendu de nous soustraire, parce que les parents qui nous ont donné le jour oui droit à notre piété, et que le quatrième commandementnecomportepasde dispenses Parcontre, la chair de l’homme éprouve d’autres convoitisesqui tendent, non plus à la conservation de l’individu, mais à la propagation de la race ; son cœur cherche des affections, non plus déterminées par la nature, mais laissées à son libre choix, et qui l’engagent à fonder une nouvelle famille. Ces désirs, sensuels ou sensibles, ne sont pas des ordres de la conscience ; on peut sans crime leur résister. Dans le décalogue, à côté des préceptes connus : Tu n’adoreras pas d’ido’es, tu ne tueras pas…, je cherche vainement l’article qui dirait : tu te marieras. Se marier est un droit pour qui n’a pas déjà volontairement disposé de soi-même ; ce n’est, en principe, un devoir pour personne. Un cœur résolu à s’affranchir renonce à se choisir une épouse ; il réserve sa tendresse à Dieu seul. Saint Paul explique comment les joies et les ; ollicitudes de l’union conjugale, si légitimes qu’elles soient, refroidissent cependant la ferveur de la charilé : « Celui qui n’est pas marié a souci des choses du Seigneur, il cherche à plaire au Seigneur ; celui qui est marié a souci des choses du monde, il cherche à plaire à sa femme, et il est partagé. » I Cor., vii, 3a-33). Les maîtres de la pensée chrétienne, saint Augustin et saint Thomas, n’ont pas reeulé devant les analyses réalistes qui montrent que toute concession, même licite, à la concupiscence, alourdit le vol de l’esprit. II » II*e q. 186, art. / (. in c : ("sus autem carnalis copulæ retrahitanimum ne totaliler

feratur in Dei servitium, dupliciter : uno modopropter veuementiam delectationis, ex cujus fréquent ! experientia augetur concupiscentia.ut etiam Philosophus dicit [Etkic., lib. III, cap. ult. ad med.). Et inde est quod usus venereorum retrahit animum ab illa perfecta intentione tendendi in Deum. Et hoc est quod Augustinus dicit (Soliloquior., ih A, cap. x ante med.) : « Nihil esse sentio quod magis ex arce dejiciat animum virilem quam blandimenta feminea, corporumque ille contactus, sir.e quo uxor haberi non potest. » Alio modo propter sollicitudinem quam ingerit hominide gubernalione uxoris, etiiliorum, et rerum temporalium, quæ ad eorum sustentationem sufficiant. Unde Apostolus dicit (I Cor., vii, 32, quod qui sine uxore est, sollicitas e.t quæ sunt Do mini, qumnodo placeal Deo ; qui autem cum uxore est, sollicitus est quæ surit mundi, quomodo placeat uxori.) Les voluptés des sens sont intenses et séductrices ; plus on en a goûté, plus on en est avide ; elles laissent des souvenirs, elles excitent des désirs qui n’ont rien de céleste et qui occupent la place d’aspirations plus hautes. L'âme n’a qu une puissance limitée ; l’attention qu’elle accorde à la chair et au monde, même légitimement, est refusée aux choses surnaturelles. « Recherchons encore, dit Bossubt…, 1 Sermon pour une profession, 14 septembre 1660, (édit. Lebarq, t. 111, p. 53 1), d’où vient que le Fils de Dieu fait ses plus chères délices d’un cœur virginal, et ne trouve rien de plus digne de ses chastes embrassements. C’est à cause qu’un cœur virginal se donne à lui sans aucun partage, qu il ne brûle point d’autres flammes, et qu’il n’est point occupé par d’autres affections. Qui pourrait assez exprimer quelle grande place y tient un époux, et combien ilaltired’amour après soi ? Ensuite naissent les enfants, dont chacun emporte sa part, qui lui est mieux due et plus assurée que celle de son héritage. Parmi tant de désirs divers, à combien de sortes d’objets le cœur est-il contraint de s’ouvrir ? L’esprit, dit l’Apôtre, en est divisé : Sollicitus…et divisas est ; et dans ce fâcheux partage, nous pouvons dire avec lepsalmiste : Sic ut aqua effusus sum : « Je suis répandu comme de l’eau » ; et cette vive source d’amour, qui devait tendre tout entière au ciel, multipliée et divisée en tant de ruisseaux, se va perdre deçà delà dans la terre. Pour empêcher ce partage, la sainte virginité vient fermer le cœur : Ut signaculum super cor luum ; elle y appose comme un sceau sacré, qui empêche d’en ouvrir l’entrée, si bien que Jésus-Christ y règne tout seul : et c’est pourquoi il aime ce cœur virginal, parce qu’il possède en repos, sans distraction, toute l’intégrité de son amour. » Aliment de la charilé, la chasteté en est aussi le fruit. Ici-bas, l’amour vit de sacrifices ; il méprise pour l’objet aimé tous les biens qui ne sont pas lui. Un cœur qu’anime l’amour divin en vient vite au désir, et je dirais presque au besoin, de dévouer à son Dieu tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. L’histoire de la sainteté chrétienne se résume en une série de sacrifices que des âmes généreuses ont consentis pour le Christ, qui, le premier, s'était livré pour elles. Or, la chasteté est un holocauste ; elle nous prive des émotions les plus passionnées que comporte notre nature : c’est par là qu’elle est sainte. Les amis de Dieu la choisissent, parce qu’elle les immole à leur unique Ami. Dès qu’un souffle de grâce soulève une âme fervente au-dessus de la vulgarité, presque toujours il la porte d’abord aux renoncements de la chasteté. Il y eut, je le sais, des saints mariés, mais leur vertu, à mesure qu’elle grandissait, cherchait à se dégager des joies nuptiales : combien d'époux et d'épouses, épris de perfection, firent vœu de se respecter l’un l’autre 1045

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comme frère et saur ! Le sens catholique ùc.ne d’instinct ce qu’a défini le concile de Trente : la continence vaut mieux que le mariage.

L'église ne craint pas d’imposer à ses prêtres ce sacrifice et ce moyen de perfection. Le prêtre est en effet l’intermédiaire entre le ciel et la terre, mediatorem inter Deum et populum. (Saint Thomas, III*, q. 2a, art. i, ln c.) Il convient qu'à cette fonction de médiateur corresponde une sainteté personnelle hors de pair. L’Eglise, — et qui l’en blâmerait ? — entend que ses ministres dépassent en vertu le commun des lidèles ; elle les aide à s'élever en les obligeant aune pureté plus délicate ; elle a raison. Les rapports du sacerdoce chrétien, soit avec Dieu, soit avec le peuple, postulent le célibat : c’est l'état qui s’harmonise le mieux avec les exigences de sa mission.

Le prêtre est l’homme de la prière, et la prière suppose une àme affranchie, autant que faire se peut, de la matière et de ses servitudes. La chasteté garantit cette délivrance. Saint Pau ! (I Cor., vii, 5) approuve les époux qui se séparent de temps à autre pour mieux vaquer à l’oraison. Le piètre, lui, doit prier tous les jours ; sa continence sera donc perpétuelle et constante :.Si sempcr omnium, dit Jkromr, nunqtiam ergo conjugio servtendum. Adversus Joviniunum, I. 1, c. vu ; P. L., XXIII. 220. Cf. Mgr Pavy, Du célibat ecclésiastique, 2e édit., p. 288 sqq.

Le prêtre est surtout l’homme du Sacrifice, et nous voici au centre de la question. La fonction principale de notre sacerdoce, c’est d’offrir le Sacrifice du corps et du sang de Notre-Seigneur ; il convient de n’y porter que des mains parfaitement chastes, un cœur qui ne s’est donné à aucune créature. « Parce que vous êtes les ministres et les coopérateurs du corps et du sang du Seigneur, dit l'évêque à ceux qu’il ordonne diacres, gardez-vous de toutes les séductions de la chair. » Et quia comministri et cooperatores estis corporis et sanguiuis Domini, estote ab omni illccebra carnis alieni. (Pontificale Romanum, de ordinatione diaconi). Les ministres de l’ancienne Loi, quand ils servaient dans le Temple, étaient astreints à la continence. Pourtant leurs sacrifices n'étaient qu’une figure et qu’une ombre. (Cf. saint Sihick, Epist. ad Himerium, cap. 7 ; P. L., t. LV1, 558 ; saint Innocent I er, Epist. ud Exsuperitim, cap. 1 ; P. !.., t. LV1, ', 01 ; Epiit. ad Victricium, 10 ; loe. cit., col. 5a4). Nous avons maintenant la réalité, et nos prêtres sont admis chaque jour à l’intimité de la Victime sans tache. Comme la très sainte Vierge Marie, ils rendent Notre-Seigneur présent au monde, ils le tiennent dans leurs mains et ils le donner.t aux hommes. Or Jésus, qui vécut vierge, voulut naître d’une Vierge et reposer sur un sein virginal. L'Église comprend-elle mal ses préférences, quand elle ordonne à ceux qui reproduiront la maternité de Marie d’imiter quelque chose de son ineffable pureté? « Ignorez-vous, demande Saint Pierre Dajiik.n, que le Fils de Dieu a choisi la chasteté, si bien que l’honnêteté conjugale ne suffit pas à son Incarnation, et qu’il y fallut l’intégrité d’une vierge ? Et pour qu’il ne parût pas que ce fût assez d’une mère vierge, l’Eglise croit que son père putatif resta vierge, lui aussi. Si donc notre Rédempteur a tant aimé la fleur d’une pudeur intacte, qu’il naquit d’un sein vierge, qu’il ne se confia qu'à un père nourricier vierge, et cela au temps de sa petite enfance, vagissant dans un ber ceau, à qui donc, dites-moi, veut-iiconfier son corps, maintenant qu’il règne, immense, dans les cieux ? S’il n’admettait que des mains pures à le toucher dans sa crèche, quelle pureté veut-il en ceux qui approchent son corps, depuis qu’il est élevé dans la

gloire et la majesté de son Père ? » (De cuclibatu sacerdotum, cap. 3 ; / J. L., t. CXLV, col. 384). Nos prêtres sont les associés de Jésus dans l'œuvre suprême de son amour ; est-ce trop exiger d’eux, que de leur demander d’aimer un peu plus que la foule, et de passer par le sentier réservé qui mène droit à l’amour, celui de la chasteté ? Nos prêtres collaborent avec le Sauveur à la consommation de son sacrifice total ; est-ce trop présumer de leur générosité, que de les conviera se sacrifier, eux ausssi, en immolant à Dieu, outre les voluptés coupables, quelques-uns des plaisirs permis, les moins nobles au moins que connaisse l’humanité? « Imitez ce que vous toucl.ez, leur dit l'évêque au jour de leur ordination ; vous qui oélébrez le mystère de la mort du Seigneur, ave ? soin de faire mourir vos membres à tous les vices et à toutes les concupiscences. » Imitamiiu quod tract atis, quatenus, rnortis Dominicae myslerium célébrantes, mortificare membra veslra a litiis et cuncupiscentus omnibus procuretis. (Pontificale Roman um, de ordinatione presbyteri). L’Eglise orientale elle-même, pourtant plus tolérante sur ce chapitre que sa sœur d’Occident, prescrit la continence à ses prêtres chaque fois qu’ils doivent célébrer la sainte Messe. (Concile in Trullo, can. 13 ; Constit. Bknkuicti XIV' Elsi pastoralis, 26 mai 1742, §7, n. 28. Cf. Papf. Szilagyi, toc. cit., p. 329). Les prêtres latins la disent tous les jours ; ce n’est pas payer ce bonheur trop cher que de l’acheter au prix d’une chasteté parfaite et perpétuelle. Mysticisme 1 dit-on. El que met-on sous ce mot ? Si on appelle mystique tout sentiment plus haut que les instincts naturels, toute doctrine qui dépasse la raison et qui exige la foi, oh 1 d’accord. Nous ne prétendons pas faire comprendre les motifsdu célibat ecclésiastique à qui ne sait pas ce que c’est que la messe et le sacerdoce. Mais si, parmyslicisme, on entend l’exaltation, l’illusion, l’illuminisme, lion paslLes convenances delà continence cléricale reposent sur des vérités dogmatiques, certaines autant que sublimes. Qui putest capere, capiat. (Matth., xix, la).

Ce n’est pas tout. Le ministère des âmes, s’il veut être fécond, demande la chasteté.

Voyez le prêtre en nos pays d’Europe. Il est pasteur, il est curé, il est père. Il exerce auprès des fidèles une magistrature d’un ordre supérieur, une paternité qui suppose de leur part une conliance respectueuse. Or, il se condamnerait lui-même à une véritable déchéance, s’il se mettait en ménage. Emile Pagubt, qui s’en est rendu compte, s’en explique avec verve ' : « L’alfaire importante, ici, ditil, c’est la diminution de l’autorité morale du prêtre… Le pasteur protestant, le prêtre de l’Eglise grecque, est leplus souvent un très honnête homme, parfaitement digne de respect, d’estime et de confiance ; mais ce n’est, en somme, pour ses fidèles, que quelque chose comme un magistrat ou un professeur. C’est un égal qui, le prétoire fermé, ou le collège, ou le temple, trouve chez lui les mêmes misères, les mêmes petits soucis personnels, et les mêmes sottises que M. le pharmacien ou M. le quincaillier. Le prêtre catholique, lui, est toujours prêtre, à quelque moment des vingt-quatre heures qu’on le rencontre ou qu’on le réclame… Il n’a pas une part de sa vie pour ses fonctions et une autre qu’il se réserve et où il ne faut pas aller jeter les yeux. Il n’a pas une vie officielle et une vie privée. On ne doit pas, en lui, distinguer le prêtre et 1 homme, et il n’a pas des moments pourêlre homme et des moments pour être prêtre. Il est prêtre tout

1. Préface du roman d » Pravicux. Un vieux célibataire. 1047

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le temps que Dieu fait, en tout temps et en tout lieu… Voilà ce qu’on a obtenu, en décrétant qu’il n’aurait pas de femme… »

La confession surtout, et la direction des consciences, exigent une vénération filiale de* pénitents pour le père de leur âme. (Cf. Mgr Pavy, toc. cit., p. 316 sqq.) Pareil sentiment ne peut naître et durer que si le prêtre apparaît au milieu de ses enfants spirituels comme meilleur qu’eux, plus grand qu’eux, plus rapproché de Dieu, dégagé des misères qui les appesantissent. L’expérience en est faite. Dans les pays d’Orient, où résident, à côté d’un clergé indigène marié, des missionnaires voués au célibat, les pénitents préfèrent les confesseurs célibataires, et s’ouvrent moins facilement à ceux qu’ils savent doublés d’une compagne

Le pasteur est tenu de se dévouer au bien de son troupeau. Un curé, dans sa paroisse, doit êtrel’homme de toutle monde, quidépense ton temps, son argent, ses forces, au service de son peuple. Il est même obligé, quand les circonstances l’exigent, de donner sa vie pour ses brebis. Le fera-t-il, s’il prévoit que sa mort mettra en deuil une veuve et des orptie- j lins ? Pendant la guerre de 1890, de nombreux pri- j sonniers français furent internés en Allemagne ; la maladie décimait leurs bataillons. « Nous avions des soldats dans onze hôpitaux et campements établis sur les deux rives du Rhin. Dans certains de ces hôpitaux, où les varioleux étaient en majorité, seuls les aumôniers et les médecins avaient le droit d’entrer. L’aumônier protestant vint un jour trouver M. Debras (l’aumônier catholique) elle pria de se charger de ses varioleux à lui. a Etant père de famille, disait-il, je ne puis m’exposer en.allant les I voir. » M. Debras lui rendit volontiers ce service. » Saint-Sulpice pendant la guerre et la Commune (par un Sulpicien). Paris, 1909, p. 80. Ne taxez pas ce ministre protestant de prudence excessive ; il suivait simplement les conseils d’un de ses plus vénérés confrères, Alexandre Vinbt, dont voici l’enseignement : « Comment le pasteur ne serait-il pas d’abord pasteur de sa famille ?… C’est une grave erreur de croire que la paroisse doive aller avant la famille. Pour le pasteur, comme pour tout autre homme, la famille est le premier intérêt. Si l’on ne veut pas admettre ceci, il est plus simple de ne pas se marier. » Théologie pastorale, ou théorie du ministère évangélique, a » édit., p. 181 et 182. Paris, 1854 Pasteur de sa famille ! Le prêtre marié le serait tous les jours, à toute heure ; le pôle de ses pensées en serait déplacé, elson axe moral dévié. Son souci principal, dominant tous les autres s’il ne les excluait pas, irait à assurer l’entretien de son ménage, l'éducation de ses ûls et l'établissement de ses filles. Quelle tentation, dès lors, de ne plus voir en ses fonctions sacrées qu’un gagne-pain, qu’un métier dont on tire le rendement maximum I Un missionnaire de Syrie, le R. P. Ramier, nous apprend ce qu’est devenu, aux mains d’un clergé marié, le sacrement de pénitence dans les milieux schismatiqnes qu’il a observés : * Si la famille est un peu à l’aise, le curé viendra deux fois par an la confesser dans la maison, pendant l’Avent et pendant le Carême ; quant à la communion, elle se fera huit, quinze, trente jours après la confession : peu importe. Ce qu’il y a de plus clair pour le curé, c’est la piècede quatre ou cinq piastres (1 fr.)qu’iltouche après la prétendue confession ; car de la vraie confession, ni le prêtre ni le pénitent n’en ont idée. Pour ceux qui sont vraiment pauvres, il ne se dérangera pas. Que d’enfants, de jeunes gens, d’hommes faits, ne se sont presque jamais confessés ! » — « Il y a quelques années, me disait l’un des convertis,

songeant à revenir à la pratique des sacrements depuis longtemps abandonnée, je priai le curé X… d’entendre ma confession, et comme je voulais la faire sérieusement, elle dura un peu trop, paraît-il, car le curé se fâcha tout de bon quand, après sa prière sur moi, je lui remis la pièce de monnaie ordinaire. — Comment ? c’est là tout ce que tu me donnes ? Eh bien ! sache-le, pour tout autre que pour toi, je ne prierais pas ainsi pour dix piastres (a fr.). Je fus si indigné, ajoutait le converti, que depuis lors je n’ai pas pu supporter la vue de ce prêtre, ni aller à son église, ni me confesser. » Jullien. La Nouvelle Mission di la Compagnie de Jésus en Syrie (1831-1896), t. ii, p. 208, Paris-Lyon, 1899.

L'Église catholique a réussi non sans peine, grâce à une assistance merveilleuse de la Providence, à supprimer les pratiques simoniaques qui furent la honte du moyen âge ; jamais elle n’exposera de gaieté de cœur son clergé à la tentation de renouveler ces crimes ; et le mariage, en multipliant les besoins pécuniaires, risque de provoquer des arrière-pensées mercantiles qui aviliraient l’exercice du plus saint ministère. Cf. saint Pibrrb Damikn, Contra intempérantes clericos, cap. 4 ; P. L., t. CXLV, 3g3 : « … Ubi angustiora sunt alimenta, ibi minor est alenda familia ; et mensa quæ non grnvatur eduliis, non est pluribus obeunda convivis, Unde necesse est ut paupertas indiga solitudinis fe.minarum doceat abdicare consortium, et grèges inhianter edentium prohibeat gignere parvulorum. »

Il est vrai qu’on suggère actuellement une autre solution : le prêtre demanderait sa subsistance à la science, à l’art, peut-être à l’industrie ; il se ferait avocat, médecin, vétérinaire… pour gagner de quoi vivre et élever une famille. Voir la Nouvelle Revue, 191 1, t. VI, p. /|48 sqq. La Condition du prêtre à notre époque. Mémoire attribué au cardinal Mathieu ; il est manifeste que cette pièce est un faux. Ce n’est pas ici le lieu d'étudier sous toutes ses formes le problème complexe des professions accessibles ou interdites au clergé ; quelques brèves remarque » suffiront à nous fixer sur la valeur de l’expédient proposé.

Si l'Église admet, en certaines circonstances, que ses ministres s’acquittent de quelque emploi profane, elle n’approuve pas que cette activité exUa-sacerdotale devienne pour eux une nécessité de fait ; elle ne prendra pas l’initiative de leur ouvrir une situation où ils seraient pratiquement forcés de se chercher un gagne-pain en dehors de leurs fonctions religieuses. « Qu’aucun de ceux qui sont engagés dans la milice sacrée, dit saint Paul, II Tim., Il, 4, ne s’embarrasse d’affaires séculières. » Les conciles et les papes se sont constamment efforcés, par des lois multipliées, de faire observer cette recommandation, dont la sagesse est manifeste. Un curé n’a pas le temps, il ne doit pas l’avoir, de mener de front deux vies parallèles, la vie sacerdotale et la vie d’avocat ou d’employé de bureau. Son rôle, c’est de catéchiser les enfants, de préparer des sermons et de les prêcher, de visiter ses paroissiens à domicile, de diriger des patronages, de lancer les œuvres sociales. Il ne lui reste guère de loisirs, s’il prend vraiment sa tâche à cœur. Tous ne le font pas ? Tous ne se laissent pas absorber à ce point par leur ministère ? Eh bien I les négligents ont tort ; mais ce n’est pas en les invitant à se choisir un emploi lucratif qu’on obtiendra d’eux plus de zèle pastoral. En outre et surtout, l'Église, après saint Paul, s’inquiète de la mentalité que supposent ou que créent les entreprises temporelles, incompatibles avec l’esprit sacerdotal. La pratique habituelle des

« affaires » maintient ceux qui s’y livrent dans une 1040

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atmosphère terre à lerre, malsaine à l'àme du prêtre, qui doit rester surnaturelle et saturée des pensées de foi. Les paroissiens, amenés à traiter d’intérêts pécuniaires avec leur curé comme avec un égal, oublieraient qu’il est leur pasteur. Son activité profane cacherait à leurs regards son caractère sacré ; son prestige en serait diminué, au détriment des âmes. Indirectes, si l’on veut, ces conséquences du mariage des prêtres n’en seraient pas moins fâcheuses ; elles concourraient à déformer la vraie notion du sacerdoce. La paternité spirituelle s’allie mal à la paternité selon la chair, et il faut que le prêtre soit la père des âmes.

Il faut aussi qu il soit apôtre. L'Église catholique ambitionne d'étendre le règne de Notre Seigneur à l’univers entier : c’est de son essence. Tant qu’il restera un pays où l'Évangile n’est pas prêché, une tribu qui ignore Jésus et Marie, des missionnaires iront vers cette terre et ce peuple, pour leur porter la bonne nouvelle. Le feraient-ils, y mettraient-ils du moins le dévouement qui convertit, si leur cœur se partageait entre ces pauvres païens et leur (lancée ou leur épouse ? si le plus clair de leurs ressources était dû. non aux exigences de l’apostolat, mais aux besoins de leur famille ? Ici encore, la comparaison entre l’Orient et l’Occident est instructive. Depuis le quinzième siècle et la découverte de continents nouveaux, des milliers de missionnaires se sont répandus sur l’Amérique, l’Asie, l’Afrique, pour y planter la foi. Beaucoup sont morts martyrs, ils ont conquis à Jésus-Christ des millions d’infidèles : c'étaient des prêtres latins, voués au célibat. Le clergé oriental n’a rien fait, ou presque rien, dans cette œuvre immense d'évangélisation. Sans doute, à notre époque, les schismatiques et les protestants entretiennent à grands frais, dans des régions lointaines, de nombreux missionnaires ; mais le résultat ne répond qu’imparfaitement à l’effort. Voir l’article : Propagation dr l’Evangilb, col. 384 386 Or, le retard des protestants tient pour partie au mariage de leurs cler^ymen. Un anglican revenu à la foi romaine, le R. P. Beriram Wolfbrstan, a publié une série de témoignages, empruntés à ses anciens coreligionnaires, sur l’apostolat en Chine. The catholic Church in China, from 1860 to 1907. Cf. Etudes du 20 novembre 1910, t. CXXV, p. 558 sqq. De ces textes curieux, deux faits ressortent. D’abord, les missionnaires protestants sont souvent contraints d’abandonner la partie pour des raisons de famille. A chaque instant, les journaux de Tientsin, Pékin, Shanghai sont émaillésde notes comme celles-ci : « La mauvaise santé de Mme W… et de son enfant les ont forcés à quitter leur champ de travail. » Peu après, une autre suit : « La santé de Mme W… ne se rétablissant pas, le Rév. W… a été contraint de retourner en Europe. » Puis, ces apôtres ont besoin d’un traitement très élevé : ni Madame ni Bébé ne peuvent vivre à la chinoise, et il leur fautà 'out prix, en Extrême-Orient, leconfortable de la mère patrie. Aussi certaines sociétés de propagande, entre autres V Universitiex Mission, n’acceptent elles plus que des ouvriers célibataires. Ils coûteront quatre fois moins et feront quatre fois [/lus d’ouvrage. L'Église catholique n’a pas attendu ces expériences pour comprendre que seul le célibat assure la liberté de se donner totalement à Dieu et aux âmes. Sans la chasteté, le prêtre ne peut pas être pleinement ce qu’il doit être, l’intermédiaire entre Dieu et le peuple, médias inter Deum et poputum. Saint Thomas, III, q. 22, art. f u in c.

III. Les objections. — La thèse est belle, tout le monde enconvient. D’aucuns la trouvent même trop

sublime, bonne pour des anges et non pas pour des hommes. La chasteté, dit-on, est impossible ; l’instinct qu’elleprétendcontrarier est irrésistible ; affecter d’en être maître, n’est qu’une hypocrisie.

L’objection n’est pas jeune (bien réfutée par Bikrbatjm dans Der Katholik, 1910, I, p. 68). Les clercs incontinents du moyen âge s’en faisaient déjà une excuse (Cf. Lambkrti Hbrsfkldbnsis Annales, a. 107/1, Mon. Germ., Scriptnrum, t. V, p. 217). Luthbr I exprime crûment et la répète à satiété. « De même, ditil, qu’il n’est pas en mon pouvoir de ne pas être homme, ainsi il ne dépend pas de moi de vivre sans femme. « (Sermon de i. r)22, Vont ehelichen Leben. Ed. Weimar, t. X, P. 11, p. 276. Voir aussi les textes cités par Dbniflf, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. I, p. 163 sqq., 173 ; t. II, p. 92 sqq ; et par Ghisar, Luther, t. II, p 200 ; cf. t. I, p. 423 sqq. ; t. Il p. 498 sqq.) De nos jours encore, c’est l'éternel refrain des défroqués.

Mais aucun catholique n’a le droit de souscrire à une pareille erreur, condamnée par le concile de Trente : « Si quelqu’un soutient qu’on peut contracter mariage, quand on ne se sent pas le don de la chasteté, même si on en a fait le vœu, que celui-là soit anathème ; car Dieu ne refuse pas cela à qui l’en prie comme il faut, et il ne souffre pasquenous soyons tentés au delà de nos forces. » Sess. xxiv, De sacrum, matrim., can 9. D. B., n. 979.

Ce qui peut faire illusion, c’est que, pour certains individus, la chasteté a des difficultés qui frisent l’impossibilité. Il s’agit de tempéraments profondément viciés, héritiers d’une tare atavique ou esclaves d’habitudes invétérées. Chez eux, l’appéiit sensuel e-.t si surexcité que ne pas le satisfaire leur serait un supplice ; la volonté a pris le pli de lui céder si docilement qu à moins d’un miracle elle continuera de lui obéir. Peut-être même en arrivent-ils à n’avoir plus conscience d’actes qu’ils multiplient machinalement ; ou bien le troublede leurs facultés mentales paralyse quelquefois leur libre arbitre et supprime leur responsabilité Mais ce sont là des cas anormaux de déséquilibre morbide. De tels sujets ne sont évidemment pas aptes au sacerdoce. Si, d’aventure, ils essayaient de s’y présenter, confesseurs ou directeurs seraient tenus de les en écarter. Saint Alphonse (Theol. Mor., 1 VI, tract. I n. 63 sqq.) enseigne, et c’est la doctrine commune, qu’il faut refuser l’absolution au jeune homme qui voudrait recevoir le sous-diaconat malgré des habitudes vicieuses, si secrète.s qu’on les suppose. Le prêtre à qui il en fait l’aveu lui interdira d’avancer aux Ordres sacrés tant qu’il n’aura pas donné des gages sérieux de conversion Comme le dit le Concile de Trente (Sess. xxiii, Pe réf., c. 13), la vie cléricale ne convient qu à ceux « qui espèrent, avec la grâce de Dieu, pouvoir garder la continence ». Pratiquement, les aspirants au sacerdoce demandent conseil longtemps d’avance au directeur de leur conscience ; celui-ci doit leur indiquer prudemment, en temps opportun, qu’ils vont au-devant de luttes pénibles et s’engagent dans la voie du sacrilice. Il s’assurera de leur générosité, , de leur piété, de leur constance ; il n’approuvera ou n’encouragera leur vocation que si leur énergie et leur esprit de foi lui donnent confiance que, même exposés à des dangers réels, ils sauront se vaincre et rester (idèles.

Ainsi, le clergé ne doit se recruter que parmi les candidats dont le chaste passé garantit l’avenir. Même pour ceux-là, personne ne prétend qu’ils éviteront les chutes sans prendre' de précautions,

« Veillez et priez, dit Notre-Seigneur (Malt., xxvi, 

/Ji), afin de ne pas entrer en tentation ; l’esprit est prompt, mais la chair est faible. 1 Aussi l’Eglise 1051

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impose-t-elle à ses prêtres, en même temps que la loi du célibat, des règles qui en rendent l’observation possible. Le droit commun ou les statuts particuliers prescrivent un cnse.nble de précautions dont le but est d’écarter de la vie ecclésiastique les occasionsdangereus -s(Voirles traités dedroit canon, aux titres : De vita el honestate cleri> ; orum, de cohabitutione clericorum et mulierum). Défense, sauf exception, de loger sous le même toit que des femmes ;

— défense, de fréquenter le parloir des religieuses ;

— défense de confesser les femmes hors du confessionnal ; — interdiction des divertissements trop libres et des lieux de réunion trop profanes : théâtres, bals, cafés, etc. ; — prohibition des recherches d’élégance dans le costume et la tenue extérieure ; — obligation de porter un vêtement spécial qui, en distinguant les clercs du public laïque, les désigne au respect d’autrui et les rappelle eux-mêmes au sentiment de leur dignité.

Ces préservatifs ne suflisent pas encore. La chasteté a besoin d’un aliment positif, et comme d’une flamme intérieure, qui rende l’esprit aussi bien que le corps lumineux et pur. Mais toute la vie du prêtre, s’il la règle selon les préceptes et les conseils qu’on lui prodigue, concourt à entretenir au fond de son cœur ce principe qui neutralise les ferments de corruption (Voir, par exemple. L’exhortation de Pin X au clergé catholique, l août 1908, à l’occasion de son jubilé sacerdotal).

Dès le séminaire, il fut préparé à se garder du mal. On proposa à sa méditation les grandes vérités de foi, d’où germent l’horreur du vice et le culte de la virginité ; on l’exerça à fuir l’oisiveté et la rêverie ; on lui apprit à se créer par l’étude, la lecture, la récréation même, un petit monde intime de souvenirs inoffensifs, où l’imagination se promène sans se souiller ; surtout on fortilia sa volonté en exigeant de lui travail et discipline, et c’est un point capital dans l’éducation de la vertu : l’âme qui se laisse aller au gré de ses convoitisescédera sans résistance à la « concupiscence de la chair », la plus violente de toutes. Celle qui sait se vaincre, au contraire, qui, par un long exercice, assouplit ses instincts aux ordres de la raison, celle-là est prête pour les luttes de la chasteté.

Le séminaire, avec sa règle presque monacale, n’a pas seulement pour but de proléger l’inexpérience ou la faiblesse des jeunes gens et de leur assurer avant les prémices sacerdotales quelques années d’innocence. Il est destiné à former le prêtre, c’est-à-dire à lui donner des habitudes qui le suivront tout le long de sa carrière. Sans doute, quand un séminariste, après sa dernière ordination, quitte la maison où s’achevèrent ses études et se trouve lancé dans le ministère actif, le cadre extérieur de ses journées est subitement modifié ; bien des détails du règlement auquel il était astreint jusque là sont emportés par les nécessités d’une situation nouvelle, mais l’esprit qui l’anime doit rester intact, ainsi que sa vigilance, sa piété, et tout le gouvernement intime de son âme Il fa tit qu’il garde une vie intérieure intense, fidèlement entretenue par les mêmes exercices : méditation quotidienne, qui raffermit les convictions de l’intelligence et les résolutions de la volonté ; — retraites périodiques, qui réparent les pertes, inévitables el renouvellent les provisions d’énergie surnaturelle ; - lectures sérieuses, utiles, qui maintiennent l’esprit et le cœur au milieu d’une atmosphère salubre ; — travail, qui dompte le corps et occupe l’imagination ; — efforts sur soi, guerre aux tendances mauvaises et mortification ; prier* fréquente, union de l’âme à Noti -r-Seigneur crucifié et à la Vierge Immaculée : tel est le régime

normal du prêtre catholique. On comprend quel secours y trouvesa chasteté. Psychologiquement, c’est un ensemble d’actes, d’images ou d’idées, qui entraînent loin des sens ses préoccupations : son trésor est au ciel, donc aussi son cœur Du point de vue surnaturel, ses journées deviennent une succession d’œuvres salutaires qui le maintiennent sous 1 influence incessante de la grâce ; et en définitive, là est l’essentiel, l’unique nécessaire.

La chasteté est une affaire de grâce. C’est, je pense, parce qu’on l’oublie ou qu’on l’ignore qu’on tombe en de si étranges confusions. Jamais l’Eglise n’a cru que la nature déchue pouvait triompher, par ses propres forces, de toutes les tentations de la chair. Quelques rares privilégiés y réussiraient peut-être, à la faveur d’un tempérament moins sensible ou d’une volonté plus énergique ; la masse succomberait certainement. Les théologiens enseignent que l’homme, tel qu’il est actuellement, n’est pa-- capable, sans la grâce, d’éviter longtemps le péché mortel. Et quand ils cherchent à se rendre compte de cette impuissance, c’est principalement par les tendances sensuelles qu’ils l’expliquent : ils allèguent la violence de la concupiscence, opposée à la faiblesse el à la mobilité dulibre arbitre. La passion parle, la volonté résiste quelque temps ; niais, si la grâce ne la soutient pas, elle se la « se bientôt, se relâche de savigilance, se laisse surprendre et tombe. Vienne la grâce, au contraire, secours surnaturel qui met au service de notre infirmité la force même de Dieu, et la victoire change de camp. Une pauvre âme est tentée, séduite par l’attrait de la volupté, elle va succomber… Tout d’un coupelle comprend quelle infamie ce sf rail de se détourner du Créateur pour se livrer à la créature ; la peur de 1 enfer la saisit, au point de lui rendre odieux les plaisirs qui y conduisent ; l’amour de Dieu la domine et refoule les convoitises des sens : c’est la grâce qui souffle du ciel. La tentation est vaincue. Vingt fois en une heure elle reprendra l’offensive, et vingt foi ?, la grâce agira, versant lumière et force à la nature blessée, dissipant les ténèbres où se dissimule l’ennemi, fixant dans le bien une liberté toujours penchée vers les jouissances coupables.

Cette grâce triomphante est un don gratuit de la Bonté infinie. Mais jamais le Seigneur ne la refuse à ses prêtres, voués à la chasteté, qui la lui demandent sincèrement II est trop jaloux de leur pureté virginale pour les priver du secours qui la protège. Au jour de leur ordination, il leur infusa, par le rite sacramentel, le germe des énergies qui les maintiendraient, pendant toute leur carrière, à la hauteur de leurs devoirs. L’Eglise, secondant ses desseins, les engage, les oblige à féconder ce germe par les moyens qui font pleuvoir la grâce : la prière et la communion. Sans parler des exercices de piété facultatifs que, depuis le séminaire, ils ont coutume de s’imposer, sansparler du recours humble et confiant à la très sainte Vierge, qui est le premier instinct d’un cœur consacré à Dieu, l’Eglise ordonne aux prêtres de réciter tous les jours le Bréviaire ; elle leur permet decélébrer tousles jours la sainte Messe, et l’immense majorité d’entre eux s’est fait de la célébration quotidienne une habitude, un besoin c’est le secret de leur chasteté. L’Eucharistie est le centre d’où rayonne la pureté du clergé. C’est si** tout à causede la Messe qu’il doit être parfaitement chaste, et c’est par la Messe qu’il peut l’être. Le s ; iint sacrifice, avec la communion qui l’intègre, est une source intarissable de grâces souveraines, de celles surtout qui font les vierges. Un prêtre qui dit //iW) sa messe, le malin, est assuré pour sa journée de secours tout-puissants. 1053

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Si donc le prêtre mène une vie vraiment sacerdotale, occupée et priante, s’ileélèbre dignement les saints mystères, lachasteté lui est possible. Dironsnous qu’elle lui est lui est facile ? Cela dépend. Certains sentent toute leur vie le travail d’une lutte pénible ; l’Imitation nous en avertit, L. 1, c. xiii, n. 6 : Quidam in prineipio conversionis suæ graviores tentationes patiuntur ; quidam autem in fine. Quidam i’f(i, quasi per totanwilam suam, maie hahent. Leur mérite en est accru. D’autres, en très grand nombre, connaissent de longues périodes de calme, et les tempêtes qui, par intervalles, eflleurent la surface de leur àme, n’en troublent pas les profondeurs.

Mais si on néglige la prière, si on se permet imprudemment toutes les lectures et toutes les fréquentations, lame peu à peu s’attiédit. La grâce ne descend plus ci avec même elïieace o,

Après certains moments que perdent nos longueurs, Elle quitte ces truits qui pénètrent les cœurs ; Le nôtre s’endurcit, la repousse, l'égnre : Le bras qui la versait en devient plus avare, Kt cette sainte ardeur qui doit porter au bien Tombe plus rarement, ou n’opère plus rien.

On en vient vite aux chutes lourdes et honteuses.. Les scandales retentissants n’ont pas d’autre histoire. Luther, moine, professeur, prédicateur et vicaire de son ordre, se laisse tellement absorber par ses occupations extérieures qu’il ne trouve plus le temps de réciter son ollice ni de dire la messe. (Lettre à Lang, prieur d Erfurt, 26 octobre 1516 : Haro mihi integrum tempus est lioras persolvendi et celehrandi.Ct. Dbniflk. loc. cit., t. I, p. 62 ; Grisar, loc. cit., t. 1, p. 223 ; t. III, p. 900, 9Ç)3). Il oublie ses devoirs de règle, perd le souci de sa vie spirituelle, s’adonne à la boisson. Cf. Dbniflb, /oc. cil., t. I, p. 179 S 1 ( J- î Grisar, loc. cit., t. I, p. 31ja ; t. ii, p. 'i ! k *'/</ ! 26° Quoi d'étonnant ensuite qu’il doive s’avouer brûlé par la concupiscence. Lettre à Mélanchthon, 13 juillet 1 52 1 : Ego hic insensitus et induratus sedeo m otio, pro dolur parum orans, nihil gemenspro ecclesia Det, quin carnis meae iudomitæ uror magnis ignihus. Summa : >/ui fervere spiritu drliro, ferveo canif, libidine, pigritia, otio, somnolent ta. Cf. Dknii-le, loc. cit., t. I, p. 144, 177 ; Grisar, loc. cit., t. 1, p. 233, 3y6, 406 ; t. II, p. 202 Tout récemment, un autre dévoyé reconnaisait que le « dévotisnie » tient les passions endormies. « Pen dant les années de séminaire, écrit-il,.. la fui ardente du jeune lévite le fait triompher.les sens, et l’habitude de les dominer en apaise peu à peu les.lé vorantes ardeurs. » Jules Claraz, Le Mariage des prétn-s, p 85. Mais, ajoute-t-il, « la f-rveur passe et la nature reste l>. On renonce à.a réserve que recommandaient les anciens, on veut goûter a la joie de vivre » ; bientôt on sent le besoin de toutes les voluptés, et on n’a plus le courage de s’en refuser aucune.

En un mot, la continence, impossible à la nature, est possible à la grâce, que Dieuolfie libéralement a ses prêtres. Ceux-ci ne se trouveraient désarmés devant la tentation que s’ils négligeaientles secours, positifs et négatifs, que l’Eglise leur propose ou leur impose.

Les adversaires lu célibat ne se tiennent pas pour battus. Soit, répliquent-ils. admettons que. la continence n’est pas absolument impraticable Klle est en tout cas malsaine, contraire au* exigences de l’hygiène ; s’y astreindre, c’est se mettre sur le chemin de la neurasthénie et de la folie.

Sur quoi j’observe d’abord que certaines incommodités dont souffrent plusieurscélibataires tiennent

moins à leur chasteté qu'à leur manque d’esprit pratique : ils ne savent pas organiser leur vie ni se procurerune alimentation saine ; ou bien ils se réduise ut à un isolement qui leur pèse, l’ennui les déprime ; ils tombent, ou croient tomber.de labradypepsie dans la dyspepsie, de la dyspepsie dans l’hypocondrie, de l’hypocondrie dans la psychiatrie… En pareil cas, est-ce leur vertu qui cause leurs maux, ou leur maladresse et peut-être leur égoisme ? Un emploi du temps mieux réglé, une hygiène mieux comprise, souvent aussi plus de travail, plus de zèle à s’occuper du prochain en s’oubliant soi-même, suffirait à guérir bien des migraines et des humeurs noires.

Quant aux prétendus dangers physiologiques de la continence elle-même, on me permettra, pour les apprécier, de céder la paiole aux spécialistes, et de rapporter simplement le témoignage de médecins compétents.

Dr. Francotte, profe-tseurà l’université de Liège :

« La continence perpétuelle, telle que l’impose le

sacerdoce catholique, n’est point en contradiction avec la nature humaine. Les suites morbides qu’on a prétendu lui assigner, nesontnullement établies. » Annales de la Société scientifique de Bruxelles. De quelques pomts de morale sexuelle dans ses relations avec la médecine. Rapport présenté à la section de médecine de la Société scientifique de Bruxelles, par le docteur Xavier Francotte. Séance du 10 avril 1907, p. 36.

Deuxième conférence internationale pour la prophylaxie de la syphilis et des maladies vénérienne--. Bruxelles, 1902 :

« Il faut surtout enseigner à la jeunesse masculine

<[iie non seulement la chasteté et la continence ne sont pas nuisibles, mais encore que ces vertus sont .les plus recommandabiesau point de vue médical.'. Compte rendu des séances, publié par le docteur Dul)ois-IIavenith, secrétaire général. Bruxelles, Lamertin, 1903. T. ii, p. 51a ; cf. p. 453.

Le vœu fut présenté par Neisser, Bertarelli, Mme Bieler Bœhm, de Petersen, II. Minod, Peroni, Pierson II fut adopté à l’unanimité. Etaient présents à la conférence, parmi beaucoup d’autres sommités du monde savant, les docteurs Lesser, Balzer, Burlureaux, Gaucher, Barthélémy, etc.

Docteur Ch. Fbrb, médecin de Bicêtre :

« Ceux qui sont capables de chasteté psychique

peuvent garder la continence sansavoir rien à craindre.. pour leur santé, qui ne dépend pas de la satisfaction de l’instinct sexuel… Les médecins compétents qui se sont occupés d’hygiène sexuelle ne mettent pas en doute l’innocuité de la continence. » Bkalk, professeur au Collège royal de Londres, ditqu' « on ne saurait trop répéter que l’abstinence et la pureté la plus absolues sont parfaitement compatibles avecles lois physiologiqueset morales ». Ch. Féré, L’instinct sexuel, Evolution et Dissolution, a" « -lit-, p. 26. Paris, Alcan, 1902.

« Le célibat., n’a sur la folie qu’une influence apparente. Le célibat est plus souvent la conséquence

que la cause de l’anomalie ; il a moins de part dans les aliénations mentales les célibataires que le mariage dans les aliénations mentales des gens mariés, soumise une multitude de soucis évités aux célibataires. On peut en dire autant des autres plaies attribuées au célibat par Bertillon. Dansla discussion qui eut lieu à la Société de médecine de Lyon, à propos du livre de Dulieux qui faisait l’apologie du célibat religieux, ses ad versairesn’ont rien trouvé à objecter à la négation des maladies attribuées i la continence. Mantegazza, qui ne se fait pas remarquer parmi les apôtres de la continence, ne lui re1055

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connaît cependant aucun inconvénient. Les physiologistes, au contraire, lui onttrouvé désavantages. Harvey et Haller connaissaient ses effets heureux sur la longévité chez les oiseaux, et la physiologie moderne n’est pas en contradiction avec eux sur ce point. La continence réalise une réservede forces. L'économie sexuelle favorise la longévité et les dillerentes formes de l’activité intellectuelle. » Cf. Fkhk, loc. cit., p. 316. Professeur Ascha.ffbnbuug de Cologne :

« Au cours de longues années, je n’ai pas rencontré un seul cas de troubles nerveux graves dont la

cause fût incontestablement l’onanisme, et j’ajoute aussitôt, pas un dont la cause fût la continence. Assurément, il peut n'être pas facile pour des jeunes gens vigoureux, surtout dans les conditions actuelles de la vie, de s’abstenir des plaisirs, mais je suis persuadé que cette abstention n’a pas de conséquences fâcheuses. » (LehrbuchderNen’enkrankheiten, herausgegeben von Dr. HansCurschmann, Berlin, Springer, 1909. VIII, Die psychasthenischen Zustande, von Prof. Dr. G. A-chaffenburg, p. 780.) Professeur Skvkd Ribbing :

« On récuse aujourd’hui beaucoup des autorités

qu’on invoquaitautrefois en faveur de la continence, sous le prétexte que la science moderne juge tout autrement les choses. Nous nousvoyons donc obligé de cueillir un petit bouquet de citations dans les écrits des auteurs les plus récents, pour répondre au reproche qu’on nous fait d'être arriéré…

« M. llubner écrit : « Il n’est absolument pas né< cessaire pour tous les hommes, au point de vue
« hygiénique, d’avoir des relations sexuelles » Le

célèbre spécialiste de la syphilis, Alfred Fournier, de Paris, exprime son avis en ces termes : « On a

« parlé indûment et à la légère des dangers de la
  • continence pour le jeune homme. Vous avoue'< rai-je que, sices danger » existent, je ne les connais
« pas, et que moi, médecin, j’en serais encore à ne
« pas les avoirconstatés, bien que les sujets d’obser « vation ne m’aient pas manqué en la matière. » 
« D’une série de leçons sur les maladies sexuelles, 

queR. Waldvogel lit à Gottingen devant les étudiants, nous extrayons ce qui suit : « … La continence, a dit-on, est physiologiquement nuisible. Depuis

« quelque temps, beaucoup de voix se sont élevées
« dans ce débat. Mais il faut observer ici qu'à côté
« des hommes, et c'étaient des hommes compétents, 
« qui insistaient sur l’innocuité absolue de la conti « nence, les autres ne formaient qu’une faible mino « rite et ne différaient des premiers que par un peu
« plus de réserve dans l’expression. » 
« De Lohedank, nous avons cette déclaration : 

C’estuneopinion très répandue que la continence

« ne va pas à la longue sans inconvénients pour la
« santé. D’après l’expérience de tous les médecins
« qui ont étudié la question, cette opinion est ahso « luinent fausse. On n’a jamais établi que la contik nence ait nui à une personne bien constituée… » 
« Noire manièredevoir personnellen’a pas changé

au cours des vingt-cinq ans qui se sont écoulés depuis que nous nous occupons d’hygiène sexuelle. Il a pu arriver que l’un ou l’antre de nos clients ne se soit pas accommodé d’une hygiène à base de continence, et que, pour cette raison, il ait cherché et trouvé près d’un collègue plus « libéral » un conseil répondant mieux à ses désirs. Mais la plupartde nos malades et de nos élèves ont été contents de la méthode. Handbuchder Sexual-Wissenschaftcn, herausgegeben von Dr. Albert Moll. Leipzig, 1912. Zehnter Hauptabschnitt, Sexuelle FAhik, von Professor Doctor Seved Ribbing, p. 9/|5 sqq.

Docteur Albert Moll :

t Je suis, moi aussi, persuadé que pour la grande majorité des hommes, ni pendant la jeunesse, ni plus tard, la continenceprolongéenc nuit à la santé. Il est en outre important d’insister sur ce fait que, plus on pratique longtemps la continence, mieux on la supporte et moins on est incommodé par la passion… Même chez les adultes, la continence n’a que rarement des conséquences gravement nuisibles à la santé… Il faut combattre cette superstition, — car c’en est une, - que les relations sexuelles sont nécessaires aux jeunes gens, et que. sans cela, leur santé serait compromise. > Handbuch der Sexual-Wissenschuften. JVeunter Hauptabschnitt, Sexuelle Hygiène, von Dr. Albert Moll ; 2, n. 2, Sexuelle Abstinenz und Hygiène, p. 887, 889.

Docteur Emile Kn.TîPELiN, professeur à l’Université de Munich :

« Il n’y a à ma connaissance absolument aucune

expérience qui permette d’attribuer à l’abstinence sexuelle une influence pernicieuse sur la vie psychique. Sinon, les jeunes fllles des meilleures familles seraient atteintes de catatonie dans une proportion effrayante. En général, chez les personnes bien portantes, l’excitabilité sexuelle décroît peu à peu par suite d’une continence prolongée. » Dr. Emil Kræpelin, Psychiatrie, 7,e Auflage. Leipzig, 1903, p. 76. »

Docteur R. von Krafft-Ebing, professeur de psychiatrie et de neuropathologie à l’Université de Vienne :

« Manque de satisfaction sexuelle. — On le considère souvent comme la cause de névroses et de

psychoses, mais il ne produit certainement d’effet que chez les névropathes tarés et dans les cas d’instinct génital d’une force anormale. Ces deux conditions se trouvent souvent réunies chez les individus tarés » Docteur. R. von Krafft-Ebing, Traité clinique de psychiatrie, traduit sur la cinquième édition allemande par le docteur Emile Laurent. Paris, Maloine, 1897. Liv. II, P. 11, les Causes de la fuite, chap. 11. Causes occasionnelles ou adjuvantes, p. 239.

Docteur L. Lokwbnfbld, spécialiste des maladies nerveuses à Munich :

« Pour déterminer l’influence de la continence sur

un groupe plus nombreux de sujets, on pourrait d’abord considérer l'étal sanitaire du clergé catholique. Cet état, en tout cas, ne témoigneraitpas, pour l’ensemble, d’une action néfaste de la continence sur le système nerveux. D’une fréquence spéciale des maladies nerveuses, particulièrement de la neurasthénie, dans le clergé catholique, je n’ai aucun indice, et notamment nos curés de campagne jouissent pour la plupart » de nerfs très robustes. Chez les neurasthéniques ecclésiastiques qui, au cours des années, sont venus me consulter sur leur état nerveux. à part de très rares exceptions, rien ne suggérait l’idée que la continence ait contribué à produire les troubles nerveux dont ils souffraient ; il y avait presque toujours assez d’autres causes. » Dr. Lowenfeld, Sexualleben und Nervenleiden, 3,e Auflage, Wiesbaden.Bergmann, 1903. §5, /)/e sexuelle Abstinenz beim Manne, p. 35.

« Pour résumer tout ce < ; ui vient d'être dit sur les

suites de la continence virile : il faut d’abord concéder que, dans certaines circonstances spéciales, la continence chez l’homme peut devenir nuisible au ssstème nerveux ; mais il faut en même temps constater qu’en général les incommodités résultant de la continence n’ont aucune gravité ; qu’il est rare, on peut bien dire exceptionnel, que des troubles sérieux s’ensuivent au point de vue nerveux ou psychique. (L’auteur a précédemment expliqué, p. ^o, que ces exceptions concernent les individus « qui, par des excès 1057

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vénériens, ont accru leur excitabilité sexuelle », ou

« cesnévropathes qui, par suite de leur constitution, 

sont allligés d’instincts sexuels très violents, morbi dément exagérés. *)L’homme normalement constitué, qui n’a pas diminue par l’abus des plaisirs sa force de résistance aux impressions sensuelles, peut même, grâce d une rit laborieuse et hygiéniquement réglée, supporter la continence d’une façon durable sans incommodité appréciable, et certainement cette continence devient en général d’autant plus facile qu’on y persévère avec plus de constance dans toutes les circonstances. » (Docteur L. Lowenfeld, loc. cil., p. 54. C’est l’auteur qui souligne).

Il serait aise de multiplier ces citations, Cf. Docteur Di’BOis, professeur ^de neuropathologie à la Faculté de médecine de Berne, les Psychonévroses et leur Traitement moral, leçons faites à l’Université de Berne, 2e édit., 1900, p. 3go. Dubreuilh, professeur de dermatologie à la Faculté de médecine de Bordeaux, Chronique médicale, 1906, p. 714. Gkmblli, Aon moechaberis, i" édit., Florence, 191 1, p. 79 sqq. Docteur Paul Goy, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, v* Célibat, et De la Pureté rationnelle. Paris, M iloine. Docteur Good, ex-médecin delà marine. Hygiène et Morale, p. l sqq. Chanoine Mourbau et Docteur Lavrand, Le médecin chrétien. Paris, Lethielleux, 1902, p. a54 sqq. Docteur Surblhd, la Morale dans ses rapports avec la médecine et l’hygiène t. I, Célibat et Mariage, 3e édit. Paris, Beauchesne, p.^sqq ; la Vie déjeune homme, ^e édit. Paris, Maloine, 1912. G. Wbyoandt, Primat docentde psychiatrie à l’Université de Wurzbourg, Atlas-manuel de psychiatrie. Edition française par le docteur J. Roubinovitch, médecin-adjoint de la Salpêtrière. Paris, Baillière et tils, 1904, p. 19 etc. Retenons comme un faitacquis que la continence est desoiinoffensive. Quant aux déséquilibrés dont le tempérament, à raison de tares individuelles, s’accommoderait mal de la chasteté, ce n’est pas dans leurs rangs que se recrute normalement le clergé catholique ; l’Eglise n’avait donc pas à tenir compte de leurs misères spéciales, quand elle fixait le droit commun des clercs. Les victimes du célibatcanonique, s’ily en a, sont fort rares. Le martyrologe du mariage serait autrement riche. Une femme meurt en donnant le jour à son enfant, un chef de famille succombe à la peine en travaillant pour les siens ; indirectement, mais réellement, c’est le mariage qui les tue. S’ensuit-il que le mariage soit une institution néfaste ? S’ensuit-il même que cet homme et cette femme aient eu tort d’en assumer les charges et de risquer quelque chose pour fonder un foyer ? Non, sans doute, parce que le but de l’existence n’est pas de se bien porter ; la santé, comme tout autre bien créé, n’est qu’un moyen de servir Dieu, de sauver son âme, et d’aider le prochain à se sanctifier ; il est licite, et quelquefois obligatoire, de la compromettre pour une fin plus haute. L’ouvrier quimanie ses outils sait bien qu’il les use ; il s’en sert, cependant ; et si on lui commande une tâche plus difficile qui l’expose à les briser, mais mieux rétribuée et plus glorieuse à son art, il n’hésite pas : il se résigne à perdre un instrument pour produire un chef-d'œuvre. Ainsi le jeune homme dignedu sacerdoce a compris la beauté de la chasteté ; il l’aime, il la veut, avec tous les sacrifices qu’elle comporte et qui en font la valeur. Alors même qu’il s’imaginerait qu’elle lui coûtera plus cher qu’aux autres, que, contrairement à larèglecommuneetaux assurancesdesmédecins, elle lui prendra un peu de sa santé et quelques années de son existence, il en voudrait encore, et il l’aimerait davantage, heureux de ressembler de moins loin au divin Prêtre, le Christ vierge et crucifié.

Tome IV.

Une dernière objection, plus perfide, s’attaque à la moralité du célibat. Sans doute, dit-on, la loi qui le prescrit aux prêtres serait de nature à les sanctifier, mais à condition qu’elle fût observée loyalement, dans l’intime de la vie privée et au fond de la conscience, comme dans la conduite extérieure et aux yeux du peuple. Or, elle ne l’est pas, elle ne l’a jamais été.) En enlevant aux ministres de l’autel la possibilité d’unions légitimes, conformes au vœu de la nature, l'Église n’a réussi qu'à les provoquer au péché. Us ont cherché dans des désordres plus ou moins secrets des satisfaction » qu’ils n’avaient plus le moyen de se procurer honnêtement. C'était fatal, car « qui veut faire l’ange, fait la bête », et il n’est que temps de revenir au conseil de saint Paul : il vaut mieux se marier que de brûler. I Cor., vii, 9.

Une remarque très simple suffit de prime abord à jeter quelque doute sur le bien-fondé de pareilles accusations. Si les effets du célibat sont aussi désastreux qu’on le prétend, comment se fait-il que l'Église maintienne sur ce point avec tant d’insistance sa législation traditionnelle ? Les conciles et les papes ont le souci de la gloire de Dieu et de l’honneur du clergé ; toute leur œuvre disciplinaire trahit la préoccupation de diminuer les fautes, de promouvoir la sainteté chez les fidèles et plus encore chez les pasteurs. D’autre part, les chefs de la hiérarchie, qui n’en atteignent le sommet qu’après en avoir parcouru tous les degrés, connaissent mieux que personne le fort et le faible du corps sacerdotal. Or, ils ne consentent, en fait de chasteté, à aucune concession ; avec une énergie calme et confiante, ils persistent à vouloir que les sous-diacres s’engagent à la continence, et ils réprouvent toute velléité contraire aussi résolument que s’il s’agissait d’une hérésie. C’est donc qu'à leur avis le célibat clérical produit autre chose que des fruits pourris ; ils estiment que cette loi austère est assez obéie pour que le bien qu’elle fait compense le mal dont elle serait l’occasion. Voilà qui nous avertit de ne pas accepter sans contrôle certaines déclamations trop retentissantes contre la corruption universelle du clergé.

De fait, les auteurs de ces pamphlets usent d’un procédé injuste et déloyal. Ils accumulent en un effrayant raccourci tous les scandales qui ont désolé l'Église au cours des siècles, et devant ce tableau où ils n’ont peint que des horreurs, ils se voilent la face, il crient que c’est Babylone et ses prostitutions… Mais en vérité, cette série de crimes est loin de constituer tout le passé et tout le présent de l'Église ; réduire son histoire à ce peu de pages sombres, c’est la mutiler, donc la dénaturer. La perspective d’ensemble, qui, seule, permettrait un jugement équitable, est plus large et plus claire : au delà de quelques régions obscures et tristes, elle développe au regard des horizons splendides.radieusement illuminés.

Oui, l’incontinence des clercs fut une plaie dont l'Église, à certaines périodes, souffrit eruellement. Mais en même temps que des prévaricateurs, il y eut toujours des saints. Chaque siècle en a connu. C'étaient souvent des prêtres et des religieux, héroïquement fidèles à leur vœu de chasteté, et ce renoncement à leurs sens fut d’ordinaire le premier effort de leur ascétisme, comme la pierre angulaire qui supporta tout l'édifice de leur perfection. A leur école, se formèrentdesélites nombreuses de disciples qui suivirent la même voie ; sans parvenir à la gloire de leurs maîtres, ils laissèrent cependant une mémoire vénérée ; les annales de chaque diocèse, de chaque ordre religieux, compteraient par centaines

34 1019

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ces types nobles et purs d’abnégation cbrétienne. C’en est assez pour racbeter bien des misères.

Insistons encore, et cberclions à nous édifier sur la valeur des moyennes. A côté de quelques époques qui ne laissent que l’impression d’une pénible décadence, d’autres offrent le spectacle d’un merveilleux relèvement. Si l'Église a connu l « s abus dans son sein, jamais elle ne lésa approuvés, jamais elle ne s’y est résignée ; elle a voulu les abolir, et elle y a réussi Rien île révélateur d’une action de l’EspritSaint comme ces réformes successives, qui ramenèrent périodiquement les mœurs cléricales à une correction plus édifiante. Après les tristesses du dixième et du onzième siècle, les papes, qui ne se lassaient pas de combattre pour la contiuence des clercs, finirent par triompher en fait comme endroit.

« Au treizième siècle, dit M. l’abbé Vacandard, les

prêtres qui vivaient dans le concubinage ne formaient plus qu’une exception. » (Dict. de théol.catli., v" Célibat, col. 2087). On eut ensuite à déplorer un recul ; mais le concile de Trente entreprituneréforme générale ; à mesure que ses décrets furentappliqués dans les différentes contrées de l’Europe, à mesure aussi monta le niveau de la sainteté sacerdotale. Les dispositions relatives à la formation longue et surnaturelle des candidats aux ordres, furentspécialemenl bienfaisantes.

Bornons-nous aux résultats acquis en France. Il fut de mode, pour un temps, de dire beaucoup de mal de notre clergé du dix- huitième siècle ; on s’est aperçu depuis qu’il valait mieux que sa réputation. Tout le monde connaît le témoignage que lui rend de Tocqukvillb : « J’ai commencé l'étude de l’ancienne société, plein de préjugés contre lui ; je l’ai finie, plein de respect. » (L’Ancien régime et la Révolution, liv. II, chap. xi, p. iqj). M. dbu Gorch a institué une enquête consciencieuse et impartiale sur lesévêques, les abbés, les prêtres, à la veille de la Révolution ; il la conclut par ce verdict :

« De ces prêtres on répétera ce qu’on a ditdes évoques, ce qu’on a dit des moines : parmi eux le libertinage de l’esprit, la dépravation des mœurs sont à

l'état d’infime exception. Qu’on compulse des documents contemporains, et l’on s’assurera que les noms cités avec flétrissure sont toujours les mêmes. Ils reviennent comme ces figurants de théâtre qui, à force de passer sur la scène, Unissent par graver l’impression d’une foule. Il faut s’abstenir de cette illusion grossissante et se garder de traduire deux par plusieurs, et troisouqualre parun grand nombre. Mais si les scandales de conduite furent rares, si l’impiété le fut plus encore, on peut reprocher à beaucoup d’ei’désiasliques, non leurs vices, mais l’insuffisance de leur vertus. » (Histoire religieuse de lu Révolution française, t.I, liv. I, § 9, p. 61 ; cf. § 4, ! >

32 ; 8 5 - P 3 ^ ; §7-p- 4?).

Après la persécution jacobine et la restauration concordataire, au dix-neuvième siècle, le progrès s’accentua. Actuellement, nos prêtres, dans l’ensemble, sont bons, fidèles aux devoirs.le leur état. [I ne s’Hait pas de les canoniser en masse, mais simplement desc rendre compte d’une situation jrénéralementreconnue : l’opinion publique honore leur vertu ; la preuve en est dans l'étonnement que causent les faiblesses dont l’un ou l’autre, par accident, se rend coupable. Les journaux colportent aux quatre coins 'e la France ce fait-divers sensationnel, et c’e-t, d’un bout à l’autre du pays, comme un frémissement de surprise et d’indignation : dans une vie d'étu liant, d’hommede lettresou d’ollicier.pareilles fredaines passeraient presque inaperçues ; de la part d’un prêtre, elles scandalisent tout le monde ; on attendait de lui plus de tenue, parce que ses con frères ont habitué la foule à ne rien voir en eux que d’irréprochable.

Des langues malveillantes insinuent que les apparences peuvent être trompeuses, et qu’une conduite extérieurement sérieuse n’est pas une preuve infaillible de la pureté du cœur. — Ce n’est pas en tout cas une preuve du contraire, et nul n’a le droit de supposer des fautes cachées, là où aucun indice n’en suggère l’existence. Je vais plus loin ; il y a chez nous des curés, des missionnaires, et grâce à Dieu en grand nombre, dont la vie, au vu et su de paroisses entières, est si dévouée, si sanctifiée par l’abnégation, si féconde en succès apostoliques, que le moindre soupçon à leur égard révolterait tous ceux qui les approchent, comme une injustice manifeste. Les hommes informés, pourvu qu’ils soient sincères, déposent volontiers en faveur de notre cierge. Tel, par exemple, le docteurGoon, ancien médecin de marine :

« Des rencontres de voyages avec des mi « sionnaires

auxcolonies, écrit-il, eteertaines conditions dans lesquelles je me suis trouvé placédepuis, m’ont permis de connaître, plusieurs prêtres ou moines chez lesquels la hauteur de vues et la largeur d’esprit n’excluaientpas, a priori, toute relation avec un homme qui ne pensait pas toujours comme eux. Je ne puis répéter nos entretiens, mais il en ressert cependant que ceux d’entre eux qui observent réellement l’esprit et la lettre de leur vœu de chasteté sont plus nombreux qu’on ne le croit généralement. v Hygiène et Morale, p. 47- Cf. Surblkd, la Vie de jeune homme, 4e édit., p. 37. Revue pratique d’apologétique, i « r mars iyia, p. 84y : l’n protestant défend le célibat eccli siastique. D’autres que le docteur Good ontreçu des confidences pareilles, mais leurs lèvres sont closes par un secret sacré.

Est-ce à dire que tous nos prêtres sont impeccables, et que, dans la lutte contre les tentations, jamais aucun ne se laisse vaincre ? Certainement non ; quelle classe d’hommes tant soit peu nombreuse réalise cette persévérance unanime dans le bien ? Qu’on y prenne garde, toutefois : dans la carrière des prêtres qui ne sont pas immuablement fidèles, à part des exceptions vraiment monstrueuses, les chutes ne sont que des accidents, des défaillances momentanées, profondément regrettables, sans doute, mais bientôt expiées par le repentir et suivies d’un courageux relèvement. Il faut chercher à les prévenir, c’est entendu. Seulement le pire des remèdes serait le mariage.

D’abord ce palliatif serait insuffisant. Il éviterait, je le veux bien, quelques fautes ; il ne les empêcherait pas toutes.

« Une vierge, dit Luther, une veuve, un célibataire, satisfont au commandement de ne pas succomber à la concupiscence, avec plus de facilité qu’une

personne mariée, qui accorde déjà quelque chose à la concupiscence. » Contra malignum Joliuunts Eccii iiidiciam, 151q. Edition de Weimart, t. ii, p. G/J4 : M>" ergo r/istinctio est inier eonsiliitm et præceptum, quod cousilium plus quant præerptum sit — sic enan enanelnugantur iheologl, — sed quod surit média commodiora ad præceptum.facdius enim continet, qui viduus aut virgo est, srparatus asexii, quam copulatus cum sexii, quiconcupiscentiar aliquid cedit. Cf. Dhniflr. loc. cit. t.I, p. 251, note 2. Il écrivait ces lignes en 1 5 1 9, avant d’avoir consommé sa rupture avec Rome, l’eu d’années après, il se mariait, et engageait les prêtres, les moines, les nonnes, à en faire autant pour se délivrer de leurs tentations. Cf. Dknii’lr, loc. cit., t. I p. 167 ; Grisar, loc cit., t. I, p. 399 sqq. ; l-n sqq. Malheureusement, le succès ne répondit pas à son attente ; « Rien ne peut guérir la passion, déclarait-il en 1 r>36, pas même le l()6t

SACREMENT

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mariage v.(Sola libido nullo rcmedio potest curari, ne quidem conjugio, quod dtvinitus infirma* nalurae pro rernedio ordinatum est. Major enim pars conjugatorum vivit in aditlltriis. Cf. Dbniflb, loc. cit., t. I, p. 30, i(>8 sqij. ; Grisar, loc. cit., t. ii, p. 204) et il appuyait sa llièse de commentaires cyniques. Au témoignage de ses contemporains, les défroqués qui, entraînés par lui, s’étaient choisi des épouses, ne trouvaient pas, près d’elles, l’antidote de leurs vices ; les prédicants mariés se laissaient aller à des écarts plus fréquents et plus graves que les prêtres fidèles au célibat et à l’Eglise. Cf. Deniflr, loc. ci !. t. I, p. 168 sqq. : Grisar, loc. cit., t. I p. 4^8 sqq. ; t. II, p. 510 sqq. Ainsi donc, conelut le P. Denifle, en leur conseillant de rompre leurs vœux et de recourir au remède du « mariage », Luther n’a pas délivré de l’obsession du diable les prêtres et les religieux apostats ; au contraire, le diable n’en fut que plus fort et plus insolent : cette constatation devint même de tradition dans la corporation des prédiants. » Drmflk, loc. cil., 1. I, p. 171.

Mais admettons que le mariage, s’il était permis au clergé, préserverait du naufrage ou d’accidents pénibles quelques vertus fragiles. A quel prix payerions-nous ces sauvetages ! Le prêtre marié, c’est l’idéal défloré, c’est la vie sacerdotale ramenée au niveau d’un fonctionnarisme banal, c’est le prestige du père des âmes détruit aux yeux de son peuple, c’est le sentiment de son caractère sacré obscurci en sa propre conscienoe, c’est l’intimité de ses rapports avec Dieu compromise et la flamme apostolique étouffée en son cœur par les soucis du ménage. Qui se résoudrait à cette déchéance ? S’il faut choisir, entre un homme qui tend habituellement vers le mieux, qui s’efiforce de gravir les sentiers ardus de la [> « rfection, quiild à trébucher quelquefois pour se ressaisir aussitôt, et un honnête bourgeois qui chemine sans encombre à égale distance desabîmes et des sommets, je préfère lepremier, celui qui monte. C’est lui qui, malgré ses faux pas, arrive finalement le plus haut et entraîne à sa suite le plus d’Ames vers le ciel. A l’heure actuelle, en Angleterre, le protestantisme lai-même s’éprend de célibat, et les simples fidèles le réclament pour leurs pasteurs. Une anglicane demandait récemment moins de clergymen avec femmes et enfants, et plus de prêtres n’appartenant qu’au Seigneur. Voir la Revue hebdomadaire. 3 février 1912, p. 126. Cf. Revue pratique d’apologétique, 15août 1912, p. 775. L’Eglise catholique romaine a des prêtres, elle ne se résignera pas à se contenter de Clergymen.

Le progrès est ailleurs. Si on veut rendre meilleur encore un clergé déjà excellent, il suffit de suivre de plus près les conseils tant de fois répétés par les autorités compétentes. Qu’on surveille le recrutement, et qu’on écarte impitoyablement du sanctuaire les vocations douteuses, car Pie X nous avertit qu’ici la qualité importe plus que le nombre :

« Mieux vaut manquer de pasteurs, écrit-il an métropolitain

du Venezuela, que d’en avoir dont la perversité soitpour le peuple chrétien une cause de ruine, et non pas de salut. » Epistola ad R. P. D. Joannem Baptistam Castro, archiepiscopum Carascesem. Omnino enim præstat nullum alicubi ad este sacerdoti m qui euram animarum geiat, quant atteste ejusmodi, qui vitæ perversitateoffendens, pestent ac, perniciem christianæ plebi, prosalute, pare t. Aria, p. Sed., 1912, p. ù6. Qu’on assure aux futurs prêtres, dès leur jeune âge autant que possible, une éducation surnaturelle ; faisant écho à une longue tradition, le concile de Trente insiste sur la nécessité de former de bonne heure à la piété et aux bonnes mœurs ceux qui monteront un jour à l’autel

(Sess. xxiii, De réf., c. 18). D’autres moyens encore ont été proposés ; plusieurs concilesprovinciaux, par exemple, recommandent aux curés et aux vicaires la vie eu commun, qui pare aux dangers de l’isolement et protège l’intégrité des mœurs. Conc. prov. Burdigalensis, a. 185g, tit. 11, c.4, n. 1 ; Coll. Lac, IV, 758 ; Conc. prov. Senonensis, a. 1850, tit. iv, c.

; Coll. Lac., IV, 898 ; Conc. prov. Tolosouae, a. 1850, 

tit. 1 c. G. n. lî ; Coll. Lac, IV, io44 ; Conc. prov. Auscilanae, a. 1851, tit. 11, c. 6, n. 50 ; Coll. Lac, IV, 1 179 ; Conc. prov. Aquinensis, a. 1850, tit. v, c. 7 ; Coll. Lac, IV, <j8/ (. En tout cas, l’essentiel est de faire, de nos séminaristes et de nos prêtres, des hommes de caractère et de foi, maîtres d’eux-mêmes, portant au cœur un grand amour de Jésus, de Marie et de leurs frères.

Solutio totius dif ficiiltatis Christus ! Le problème du célibat ecclésiastique, comme bien d’auii es, se résout dans le Christ. Notre Seigneur, doi : t nous ne séparons jamais sa sainte Mère, est l’âme de cette grave discipline. C’est Lui, sa doctrine, son exemple, qui, dès l’aurore du christianisme, ût lever au fond des cœurs, surtout des cœurs sacerdotaux, l’ambition d’une pureté infiniment délicate ; c’est Lui, présent dans la sainte Eucharistie, qui demandée ses prêtres de se réserver virginalement pour Lui seul ; et c’est Lui, par sa grâce, qui leur rend ce sacrilice possible et aimable. Si on s’en tient au point de vue naturel, on peut alléguer en faveur de la chasteté quelques motifs plausibles ; de fait, des protesiants ou des incrédules ont écrit de belles pages sur ce thème : mais ils n’ont pas le secret de joindre à leurs conseils la force de les suivre, et les convictions qu’engendrent leurs raisonnements s’évanouissent au premier soufle des passions. La vérité intégrale et féeonde habite un monde supérieur, où n’atteignent que la foi et la charité : le prêtre, nous dit-elle, doit être un autre Christ ; or, le Christ fut vierge et victime, parce qu’il aima ; le prêtre sera donc chaste, pour l’amour et par la vertu du Christ.

Henri Acpfroy, S. I.