Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Réforme

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 297-411).

RÉFORME. — Le présent article ne peut prétendre donner une orientation complète sur les causes, le développement et l’histoire de la Réforme protestante. D’un point de vue catholique, on devait s’attacher à marquer, pour les divers pays où la Réforme s’est implantée, l’origine de ce mouvement très complexe, à en décrire l’aboutissement de nos jours, à en dégager l’esprit.


I. — Causes religieuses, politiques et morales de la Réforme protestante.
II. — Luther. Sa vie, son œuvre, son caractère.
III. — La Confession d’Augsbourg.
IV. — Aperçu de l'évolution du Luthéranisme aux XVIIe et XVIIIe siècles.
V. — Calvin et le Protestantisme à Genève.
VI. — Origines du schisme anglican.
VII. — Le Protestantisme allemand moderne.
VIII. — Le Protestantisme français.
IX. — L’Anglicanisme moderne.
X. — Suisse.
XI. — Pays-Bas.
XII. — Pays Scandinaves.
XIII. — Europe centrale.
XIV. — Amérique.
XV. — Principes et essence de la Réforme. 583

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I. — CAUSES RELIGIEUSES, POLITIQUES ET SOCIALES DE LA RÉFORME PROTESTANTE

La Réforme protestante fut beaueoup plus une Révolution qu’une réforme proprement dite. Elle arracha des royaumes entiers à l’Eglise catholique. Elle substitua au principe même de l’Eglise catholique une conception toute nouvelle des rapports entre les chrétiens et Jésus-Clirist. Elle aboutit à une hérésie d’une part, à un schisme de l’autre. En tant qu’hérésie, elle eut surtout des causes d’ordre théologique, des causes intellectuelles et morales, que nous appellerons d’un mot général : causes religieuses. En tant que schisme, elle eut des causes d’ordre politique et social.

i° Causes religieuses. — A considérer la doctrine de Luther, initiateur de la Révolution protestante, dans ses rapports avec les doctrines antérieures, elle apparaît comme une violente réaction contre la scolastique d’une part, et contre l’humanisme païen d’autre part. Les influences qui préparent la voie au protestantisme, dans l’ordre intellectuel, sont donc la décadence de la scolastique et l’exteniion de l’humanisme païen.

a) Décadence de la scolastique. — Le grand effort de la théologie médiévale avait été pour réaliser l’accord permanent de la raison avec la foi. Après de séculaires tâtonnements, la doctrine catholique avait trouvé dans la philosophie d’Aristote les fondements rationnels qui lui donnaient dans l’esprit humain la stabilité nécessaire. Le thomisme avait réussi à délimiter les domaines respectifs de la raison et de la foi, tout en montrant l’accord providentiel de l’une avec l’autre. Mais le thomisme n’avait pas encore fait ses preuves. Il avait eu de la peine à s’imposer. L’Eglise ne lui avait pas donné de consécration officielle. Le mouvement des esprits était, quoi qu’on ait dit, si ardent et si audacieux au Moyen Age, que les sages équilibres créés par le thomisme furent bientôt ébranlés. Scot édilia un système où les rapports entre la raison et la foi étaient déjà beaucoup plus tendus. Entre l’école thomiste et l’école scotiste, la bataille s’engagea très vite et dégénéra en discussions interminables. Tandis que le monde marchait, qu’un certain goût d’élégance littéraire commençait à se développer, les scolastiques poursuivirent leurs querelles intestines, qui n’intéressaient plus qu’eux-mêmes, et leur langage, alourdi par les subtilités croissantes de la lutte, devint chaque jour plus barbare. La confusion s’accrut lorsque, sous l’influence d’OccAM, le thomisme et le scotisme cédèrent le pas au nominalisme, jusque-là discrédité, et tout à coup victorieux.

C’est dans l’école occamiste, bien plus que dans celle de Descartes, qu’il convient de chercher l’origine de la philosophie moderne, caractérisée par l’emploi presque exclusif de la méthode expérimentale, la défiance de toute métaphysique, l’opposition entre la raison et la foi, la préoccupation des sciences positives. (Voir, sur ce point, Gilson. La Philosophie au Moyen Age, tome II, de saint Thomas à Occam.)

Le nominalisme nie la valeur des idées générales, il n’y voit que des étiquettes destinées à résumer des séries d’expériences sensibles. L’expérience seule compte à ses yeux. Les concepts ne sont que des noms, des mots, des termes ; d’où le nom d’école terministe, qu’on donne alors à l’ensemble des occamistes. On l’appelle également école moderne. La lutte entre les anciens et les modernes (Thomistes et Scotistes d’une part, Nominalistes de l’autre) remplit de son fracas les xiv « et xv’siècles. Parfois, les rois eux mêmes intervenaient dans cette guerre entre

docteurs. Ainsi Louis XI condamna sévèrement les lerministes, dans un arrêt du i c’marsi/174. Mais en règle générale, les occamisles tiennent le haut du pavé. Leurs docteurs sont les plus écoutés. Une fissure grave se produit dans l’édiûce théologique. L’occamisme prépare directement le protestantisme, et de plus loin l’incrédulité moderne. L’occamisme en effet se résume en deux mots : scepticisme en métaphysique, fidéisme en religion. Il n’admet pas qu’il y ait l’ombre d’un accord possible entre la raison et la foi. La raison ne sait rien des vérités que la foi postule comme fondements : l’existence de Dieu, l’existence de l’âme, sa liberté, son immortalité. Les arguments que l’on donne à ce sujet sont simplement probables pour Guillaume d’Occam, ils sont nuls pour Nicolas d’Autrbcourt, un de ses disciples. La foi seule nous enseigne ces vérités primordiales. La foi apparaît ainsi comme un coup d’état, dans la vie intellectuelle de l’homme. On croit par un influx de la grâce, sans preuve, sans raison. La foi est chose personnelle, indémontrable, incommunicable. On peut la rejeter sans manquer aux exigences de la raison. Mais on s’expose alors à l’enfer. Il faut croire ou perdre le ciel, il n’y a pas d’autre motif de crédibilité. Le protestantisme continuera directement cette doctrine. Il ne sera qu’un fidéisme désespéré, une volonté de croire fondée sur le plus profond mépris de la raison et dissimulée derrière une prétendue élection divine.

D’autre part, le protestantisme sera une réaction contre l’occamisme, d’abord au point de vue méthode, par un recours continuel à la Bible et l’abandon de la dialectique termimste, ensuite au point de vue esprit, par une tendance mystique très prononcée qui apparente le luthéranisme au courant issu de Maître Eckiiart, par l’intermédiaire de la Théologie allemande, œuvre anonyme du nv « siècle Unissant, que Luther édita eni 516 et qui se distingue par une grande imprécision de langage et de vives effusions de sentiment.

b) L’humanisme païen. — Pendant que la scolastique s’enlisait en des disputes de plus en pins stériles et surannées, un événement considéraMe se produisait dans le monde. Les laïques, jusque-là exilés de la haute science ou confinés dans les rôles légers de jongleurs, de trouvères, ou de troubadours, commençaient à aspirer à une vie intellectuelle plus ample. Dante Alighieri, sons ce rapport, est une apparition d’intérêt capital. Après lui, la science du siècle s’oriente vers des voies nouvelles. Dante appartenait encore à l’ère théologique. Avec Pbtrarqub, Boccacb, Pogoio, Brdni, Laurbnt Vac.la, des préoccupations jusque-là presque inconnues se font sentir. Le souci de’la forme pour elle-même apparaît. La grammaire et la rhétorique prennent le pas sur la théologie. La faculté des arts, — ainsi qu’on disait alors, — s’émancipe. Le culte de la beauté littéraire grandit parallèlement au culte de la beauté plastique. L’humanisme fait partie du grand mouvement de la Renaissance, où tous les arts se développent à la fois. Mais très vite la science du sircle s’oppose à la science de l’Eglise, qui est en grande partie une science du cloître. Des escarmouches s’engagent. Boccacb ridiculise les moines, les accuse d’hypocrisie, de mauvaises mœurs. Bientôt toute la morale chrétienne est mise en cause. Le naturalisme s’étale sans vergogne. Laurbnt Valla préconise IY’pieurisme, dans son De voluptate (1431), où l’on pouvait lire cet énoncé de thèse : « Je déclnre et j’affirme que la volupté est le vrai bien et je l’affirma au point de soutenir qu’il n’y a pas d’autre bien qu’elle. » Un émule de Valla, Antonio BnccvnBLLi, surnommé le Panormite, verse dans l’obscénité la 585

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plus honteuse. Son livre : l’Hermaphrodite (vers i^31) est intordit sous peine d’excommunication par Eugène IV. On le lit quand même. Les Facéties de Poggio Bhacciolini ne sont pas moins ordurières et n’ont pas moins de succès. Cette littérature abominable est en rapport avec les mœurs du temps. Le luxe et la débauche s’étalent dans les petites cours des seigneurs italiens et même à la cour de Rome. Le paganisme renaît. En copiant les modèles de l’époque classique païenne, on adopte, consciemment ou non, une mentalité païenne.

Le protestantisme sera une réaction très âpre contre cet état d’esprit, dont toutefois il s’inspire par certains côtés.

Les humanistes critiquaient la scolastique, Luther la condamnera violemment. Les humanistes avaient horreur de la vie monastique et en général de l’ascétisme. Le protestantisme ouvrira les cloîtres, supprimera toute la discipline pénitentielle en usage avant lui (jeûnes, abstinences, etc.), et favorisera, au début tout au moins, sans le vouloir toutefois, un effrayant débordement de la chair. Les humanistes italiens du xv « siècle auraient sûrement applaudi aux mariages de prêtres, de moines et de nonnes provoqués par la révolution luthérienne. Ulrich de Hutten et Grotus Rubianus, qui étaient de l’école d’un Valla ou d’un Beccadelli, y applaudirent en effet.

EnQn, dernière ressemblance, les humanistes préconisaient le retour à l’antiquité et aux sources. De même, Luther et Calvin prétendront réformer la foi catholique par un recours aux sources scripturaires et le rejet de la tradition.

Mais, dans son essence, le protestantisme estaux antipodes de l’humanisme. Tandis qu’un Erasme glorifie la raison humaine, admire les vertus des paiens et se déclare tenté d’invoquer saint Socrate ou de baiser les pages de Cicéron, comme on baise celles de la Bible, Luther regarde l’homme en général comme radicalement corrompu par le péché originel, comme incapable d’aucune vertu naturelle, d’aucune connaissance des vérités religieuses, il s’élève avec force contrele naturalisme d’Erasme, il nie la liberté humaine et professe le fatalisme absolu par le dogme décourageant de la prédestination arbitraire de Dieu.

En un mot, l’humanisme évoluait vers le naturalisme rationaliste et païen. Le protestantisme fut un coup de barre vers l’horizon opposé, vers le fidé.sme absolu et intransigeant. Il commença par un mysticisme nébuleux, puis s’étant heurte à l’autorité de l’Eglise, à propos des Indulgences, il tourna contre Rome le principe qu’il avait d’abord adopté sans esprit de combat : le recours à la Bible. Du biblicisme intégral, il passa à une révision complète des dogmes et des rites traditionnels. Entre temps, l’hérésie était devenue schisme. Le schisme lui-même se consolida en Eglise d’Etat. Mais en tout cela, de nouvelles causes étaient intervenues, non plus d’ordre théologique ou intellectuel, mais d’ordre politique et social.

a° Causes politiques. — Parmi les causes politiques de la Réforme, il faut mettre au premier rang l’abaissement du prestige de la papauté et la diminution de l’autorité impériale en Allemagne.

a) La papauté. — La papauté a commencé à déchoir après Boniface VIII. Elle avait subi une humiliation atroce en la personne de cet in fortuné pontife. La querelle séculaire du sacerdoce et de l’empire se fermait par une défaite retentissante, en sa nouvelle phase : la lutte de Philippe le Bel, inspiré des légistes, contre le pape, armé des saints canons. — Le séjour prolongé des souverains pontifes en Avignon ne fit qu’accentuer la déchéance de leur pouvoir. Le pape

fut regardé comme un simple chapelain du Roi de France. Le mécontentement général aboutitau Grand Schisme. Ce fut une crise effroyable. Une dangereuse théorie apparut alors comme un remède désespéré à une situation sans issue : la théorie conciliaire . Les conciles de Constance et de Bâle la consacrèrent en apparence. La constitution de l’Eglise courut un temps le risque d’être changée. Au lieu d’une monarchie spirituelle, on aurait eu le régime parlementaire : un Concile général tous les dix ans. La première moitié du xv* siècle fut remplie par cette lutte entre le pape et le concile. Le concile fut vaincu ; niais la théorie conciliaire ne fut pasdétruite. Le gallicanisme en fit le rempart des « libertés » de l’Eglise de France, et Luther se souviendra un jour de la tradition gallicane pour lancer son appel du pape au concile et esquiver ainsi une juridiction gênante.

Mais la papauté subit encore une diminution de prestige plus affligeante, quand elle fut enveloppée et à demi sécularisée par l’ambiance de l’humanisme italien. Comme les autres cours italiennes, celle du pape prit des habitudes de luxe et de légèreté. Les papes oublièrent complètement la grande œuvre de la

« Réforme de l’Eglise dans son chef et dans ses membres

», qui leur était demandée, depuis l’époque du concile de Vienne, en 1 3 1 1. Au lieu d’un Grégoire VII, on eut Alexandre VI, au lieu d’un Innocent III, on eut Jules II et Lkon X. La papauté se mêlait aux luttes, aux intrigues, aux passions du siècle. On finit par la regarder comme un simple pouvoir de fait, d’origine humaine, de caractère purement humain, d’aspirations tout humaines.

Ajoutez à cela les abus de la fiscalité pontificale. Dès l’époque des Croisades, la papauté, chargée des intérêts généraux de l’Eglise, avait réclamé le concours financier de la chrétienté entière. Puis l’on s’était habitué àcompter sur les ressources venues de tous les points du monde. Les papes d’Avignon avaient établi une administration très ingénieuse et une législation fiscale très exigeante. Les papes de la Renaissance avaient trop besoin d’argent pour négliger des précédents aussi tentateurs. Les expédients les plus fâcheux s’ajoutèrent aux méthodes d’imposition semi-régulière. Il estcaractéristique que l’occasion immédiate de la Révolution ait été « le trafic des Indulgences ». Mais si le schisme s’accomplit si aisément, c’est sans nul doute parce que Rome avait depuis longtemps perdu l’affection et le respect qui lui étaient dus. On discerne très aisément, dans les débuts du luthéranisme, l’aversion, la défiance, la haine des Germains pour les Italiens de la Curie romaine. Luther souffla sur une flamme déjà allumée. Avec lui, la colère contre Rome devint une rage inexprimable. Toutes les fois que Luther parle du pape, il voit rouge, sa plume s’irrite, un torrent de fiel sort de son cœur, les injures les plus grossières se pressent sur ses lèvres, et de tous les points des pays allemands, des échos passionnés répondent à sa voix.

b) L’empire, — Si la papauté est déchue de son ancien prestige, l’empire ne l’est guère moins. Sans doute la dignité et le titre d’empereur excitent encore de formidables compétitions. On le vit bien à la mort de Maximilien I", en 151t). Mais [’autorité impériale n’est plus qu’une ombre. La décadence avait commencé à la chute des Hohenstaufen, en 12.50. Elle s’était accentuée aux xiv’et xv* siècles. Pendant que la féodalité perdait ses forces en France, en Angleterre, en Espagne, elle triomphait en terre d’empire sous l’action du particularisme allemand.

Un siècle avant Luther, la redoutable hérésie de Jban Hus avait pu être réprimée grâce au concours de l’empereur Sigismond. Au moment où éclate la 587

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Réforme, le premier souverain du monde se trouve désarmé. C’eit pourtant un prince énergique, habile et autoritaire, que le jeune Charlbs-Quint. Il veut sincèrement accomplir ce qu’il considère comme 60n devoir d’empereur chrétien, successeur de Constantin et de Charlemagne. Mais il n’arrivera pas à faire respecter l’édit de Worms, qui mettra Luther au ban de l’empire (15ai). Provisoirement réfugié à la Wartbourg, par les soins du souverain immédiat, — lequel n’est nullement luthérien et ne comprend rien à la théologie, mais ne veut pas qu’on lui enlève un maître réputé de son Université, — l’hérésiarque pourra sortir de sa cachette, au bout de dix mois, rentrer à Wittemberg et se faire le pape d’une contre Eglise, sans que les foudres impériales puissent jamais l’atteindre.

Luther n’aura point de peine à discerner tout le parti qu’il peut tirer de l’ambition et de l’esprit d’indépendance des petits souverains qui l’entourent. Il flattera leur cupidité en leur livrant les dépouilles de l’Eglise, leur despotisme, en leur con liant le droit de contrôle sur la doctrine comme sur les mœurs de leurs sujets, en leur livrant les âmes avec les corps. A la faveur des protections princières liguées contre l’empereur, le luthéranisme poursuivra son chemin, le schisme se développera, l’hérésie pourra se comparer au grain de sénevé devenu un grand arbre, sans effort apparent.

A ces causes politiques générales, se joignaient par surcroît des causes sociales non moins agissantes.

3° Causes sociales. — Il y a un malaise social toutes les fois qu’un groupe nombreux de membres de la société se trouve mécontent de son sort et s’agite pour améliorer sa situation. Au xv’siècle, les mécontents se multiplient à l’extrême. Il y en a dans le clergé, dans la noblesse, dans le peuple.

a) Mécontentement dans le clergé. — L’Eglise avait reçu, de la reconnaissance des peuples, une fortune territoriale considérable, répartie en d’innombrables

« bénéfices ». Cette fortune excitait naturellement

bien des convoitises. Le monde brûlait de remettre la main sur ce qu’il avait donné. La grande plaie des xiv’et xv* siècles, c’est la chasse aux bénéfices. Les évêchés et les canonicats, les abbayes elles-mêmes sont mis en coupe réglée. Un historien a pu les nommer les « hôpitaux de la noblesse ». Elle y case, sans vergogne, ses cadets, ses infirmes, tous ceux que le monde repousse. En recevant les ordres, parfois dans une extrême jeunesse et sans préparation, ces élus de la fortune n’ont point changé d’esprit. Ils ont gardé les appétits et les mœurs du siècle. Les laïques se scandalisent de trouver chez eux leurs propres habitudes. Ce sont eux cependant qui les ont poussés indiscrètement vers le sanctuaire. La pnpauté n’exerce aucun contrôle, car elle souffre elle-même du mal qu’il faudrait corriger. La curie romaine, au contraire, donne l’exemple du désordre, ou du moins elle se prêle à toutes les complaisances et favorise toutesles ambitions, dès qu’elle y voit un moyen d’accroître les ressources du trr’sor pontifical. C’est ainsi qu’un Albf.rt de Hohknzollern pourra, à 23 ans, devenir archevêque de Magdebourg et administrateur de l’évêché d’Halberstacit, et un an plus tard (1514) archevêque de Mayence. On lui permettra de garder à la fois ses trois diocèses, moyennant une c componende » de io.ooo ducats I

Cependant, au-dessous de l’aristocratie cléricale, oisive et fastueuse, tout occupée d’affaires ou de plaisirs mondains, s’agite une foule souvent ignorante et misérable de clercs et de bénéflciers inférieurs qui constitue un véritable prolétariat ecclésiastique. De quoi vivaient ces vicaires, sur qui les riches prébendes laissaient d’ordinaire peser tout le fardeau

du saint ministère ? Dédîmes incertaines, de fondations devenues insuffisantesavec le temps, de rites étranges tels que ces Messes sèches, ces Messes à deux ou trois faces, que le Concile de Trente devra interdire comme d’inconvenantescaricatures du saint sacrifice, mais dont l’usage eut alors en Allemagne une extension considérable. (Voir sur ce point : Franz, Die Messe im deutschen Mittelalter, 1902.)

Au surplus, les membres de ce bas clergé ne se privent pas, soit par besoin, soit par cupidité, d’exercer toutes sortes de métiers plus ou moins compatibles avec leur sainte vocation. Entrés souvent dans les ordres sans disposition et sans formation suffisantes, mécontents deJeur situation, en lutte fréquente avec l’autorité épiscopale qui plane au-dessus d’eux, ils se trouvent prêts à appuyer de leur approbation, de leur concours, de leurs passions, de leur envie, tout mouvement révolutionnaire qui les affranchira de chaînes devenues pour euxinsupportables. Moines déchus et curés ou prédicateurs indigents se donneront la main, le moment venu. Les défections se produiront en masse, comme les fruits mûrs tombent un jour de grand vent. Les sectes qui vont bientôt pulluler recruteront là sans peine des adhérents, des chefs de second ou troisième ordre. La plupart de ceux qui se sont fait un nom dans la tourmente révolutionnaire du xvi « siècle, Bucbr, Brrnz, Karlstadt, Mûnzbr, Obcolampadb, Capiton, sans parler de Luthkr ni de Zwinglb, appartiennent an clergé régulier ou séculier, et ils sont suivis par une multitude de prêtres et de religieux, qui jettent le froc à leur exemple et embrassent avec ardeur la cause de « l’Evangile ». Luther lui même, surpris de leur zèle aux allures suspectes, écrira le a8mars 1523 à l’und’eux, Jean Lang, moine d’Erfurt : » Je m’aperçois que beaucoup des nôtres ne sortentdu couvent quepour la même cause qui les y avait fait entrer, je veux dire pour le ventreetlalicence charnelle et par eux Satan fera monter une grande puanteur contre le parfum de notre parole. Mais que faire ? Ce sont des oisifs qui cherchent leurs intérêts, il vaut mieux lesvoir pécher et périr hors du froc que dans le froc.de peur qu’ils ne soient perdus deux fois, si leur vie présente est pour eux un châtiment. » (Endehs, Lulhers Briefuechsel, III, 3a3. 32^-) Luther ne se trompait pas. On ne se fera pas faute de lui reprocher l’immoralité de ses sectateurs. Erasme pourra écrire, en 1024 : « Je vois surgir, à l’abri de l’Evangile, une nouvelle race, insolente et sans pudeur, qui finira par se rendre à charge à Luther lui-même », et dans le même sens, un peu plus tard : « Autrefois, d’hommes grossiers et sauvages, avides et querelleurs, l’Evangile sut faire des hommes doux, charitables, pacifiques, bienveillants ; chez vous au contraire, — la lettre est adressée à Mélanchthon, — ils deviennent fous furieux, voleurs, trompeurs, ils fomentent partout la révolte, ils outragent les gens de bien. Je vois en eux denouveauxhypocrites, denouveaux tyrans, mais pas même une miette d’esprit évangélique. »

b) la noblesse. — S’il y avait un prolétariat ecclésiastique prêt à entrer dans le mouvement révolutionnaire, il y avait aussi un prolétariat de la noblesse, qui était tout disposé à soutenir ce mouvement et à tâcher de s’enrichir à la faveur des troubles. Nous désignons par là cette chevalerie allemande, ambitieuse, remuante, souvent perdue de dettes, toujours besogneuse et toujours anarchiste, qui allait s’exalter à la voix d’un Ulrich i>b IIuttkn, à l’appel d’un Franz db Sickingkn, et fournir à Luther, en un moment décisif, l’encouragement qui lui était nécessaire pour oser. On verra qu’il ne rompit avec Rome, en 1520, que sur lespro589

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messes de secours qui lui vinrent de Sickingen et de Silvestre deSchauniberg. La chevalerie allemande est alors passionnément antiromaine. Tout ce que l’Allemagne compte d’humanistes plus ou moins vagabonds, tels qu’un Ulrich db Huttbn ou un CnoTcs Rubianus, est sûr de trouver appui et refuge dans les burgs féodaux, où les orgueilleux et rudes Junker, dont le fameux Gœtz von Bbrlichingbn est le type achevé, sont perchés comme des aigles, toujours prêts à fondre sur la proie qui passe à leur portée. On trouvera ces nobles dans tous les soulèvements, ils prendront part à toutes les curées et fourniront notamment le contingent le plus actif pendant les guerres de religion qui bientôt vont commencer.

c) Le peuple. — Au-dessous des deux prolétariats qu’on vient de signaler, végétait encore un prolétariat plus misérable, celui des paysans, celui du peuple durement opprimé et foulé, celui des ouvriers des villes. En entendant parler d’Evangile, de réforme chrétienne, ces malheureux tendront l’oreille, ils croiront le moment venu de faire entendre leurs revendications séculaires. De hardis prédicants s’adresseront à leurs passions, à leur désir trop légitime de justice sociale. L’affreuse Guerre des Paysans sera une tentative désespérée, de leur part, pour secouer leur joug de misère. Mais alors ils verront Luther, en qui ils avaient placé toute leur confiance, les repousser avec rudesse et approuver, bien plus, encourager et au besoin provoquer la répression impitoyable, où cent mille d’entre eux devaient périr.

Il est à noter, cependant, que le peuple fournira presque partout cette pâte docile de quoi seront faits les Etats luthériens ou calvinistes. Rome ne les retient pas. Ils ne la connaissent plus que par ses exigences d’argent. Ils se détournent d’elle et sont prêts à suivre les bergers audacieux qui les entraînent hors des voies traditionnelles. Le peuple fournira aussi les adhérents de toutes les sectes révolutionnaires, pourchassés à outrance par les sectes nanties et que la faveur des princes aura légalisées. En France, les premier » luthériens seront des « gens mechaniques » c’est-à-dire des ouvriers, cardeurs de laine ou autres, aigris par le besoin, excités contre le clergé et tout fiers de pouvoir lire la Bible, dont on leur dit qu’elle contient toute vérité, sans qu’il soit nécessaire de passer par l’intermédiaire d’un pouvoir qu ils détestent.

Mais, en somme, le peuple n’a pas eu à se féliciter de la Révolution protestante. Il n’est guère apparu sur le théâtre de l’histoire que comme figurant à demi conscient, destiné à être entraîné, dupé ou massacré (guerre des Paysans, guerre des Anabaptistes, guerres de religion en Allemagne, en France, en Angleterre, en Suède, etc.).

Parmi toutes les « causes » qui viennent d’être énumérées.il faut, de toute évidence, accorder une importance particulière à celles qui sont d’ordre religieux. Ce sont les maux de l’Eglise, les abus dont elle souffrait, les désordres qui la troublaient, qui ont créé l’atmosphère de malaise où a germé le luthéranisme. De ces abus on aura un tableau très authentique dans le discours qui fut prononcé, à la clôture du concile de Trente, le 3 décembre 1563, par Jbrômi RAGAZzoNi.évêque titulaire de Nazianze :

« Désormais, dirait, l’orateur, l’ambition ne supplantera

plus la vertu dans le ministère sacré. La parole du Seigneur sera plus fréquemment et plus soigneusement annoncée. Les évoques resteront au milieu de leur troupeau. Désormais, plus de ces privilèges dont se couvraient le vice ou l’erreur ; plus de prêtres oisifs ou indigents. Les choses sain tes ne seront plus livrées à prix d’argent et on ne verra plus le scandaleux trafic des quêteurs de profession. Des ministres élevés dès leur enfance pour leSeigneurseront instruits à lui rendre un culte plus pur et plus digne. Les synodes provinciaux rétablis, une règle sévère prescrite pour la collation des bénéfices, la défense de transmettre comme un héritage les biens d’Eglise, les bornes plus étroites mises aux excommunications, un frein puissant posé à la cupidité, à la licence, à la luxure de tous, ecclésiastiques et séculiers, de sages avertissements donnés aux rois et aux puissants de la terre, tout cela ne dit-il pas assez les grandes et saintes choses que vous avez réalisées ? »

Ce qu’on trouve derrière ces félicitations, du reste méritées, adressées aux Pères du Concile, c’est surtout l’aveu des misères antérieures. Cependant ces misères n’auraient pas d’elles-mêmes engendré le mouvement révolutionnaire du protestantisme. Les vrais moteurs en histoire, ce sont les chefs. La situation d’ensemble que nous venons d’esquisser constitue le moment historique oùl’action d’un homme va déchaîner la tempête. Cet homme est le principal responsable, bien qu’il ne soit pas le seul, et bien qu’il ait été, on va le voir, en partie inconscient de la gravité de l’aventure où il s’engageait et entraînait les autres. Son nom était Martin Luthbr.

Bibliographie. — L’Allemagne et la Réforme, par Jean Janssen, trad. Paris, Paris, Pion. — Histoire des Papes depuis la fin du Moyen Age, par Louis Pastor. — Jean Guiraud, L’Eglise romaine et les origines de la Renaissance, Paris, Gabalda. — Burckhardt, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. Schmitt, Paris, 1885. — Gebhart, Les Origines de la Renaissance en Italie, Paris, 1879. — Mgr Baudrillarl, L’Eglise catholique, la Renaissance et le protestantisme, Paris, Bloud. — Marc Monnier, La Renaissance, de Dante à Luther, Paris, Didot, 1889. — Noël Valois, Le Pape et le Concile, Paris, Picard, 1909. — En outre, les ouvrages cités à l’article suivant, sur Luther.

L. Cristiani.

II. — LUTHER, SA VIE, SON ŒUVRE,

SON CARACTÈRE

I. La jeunesse (1483-1505). — « Je suis le fils d’un paysan, aimait à dire Luther ; mon père, mon grand-père, mes ancêtres ontété de vrais paysans. »

— « Je suis un rustique et dur Saxon », disait-il encore. De fait, les historiens reconnaissent dans tous les traits de son caractère, de son style, de son visage même, les marques de cette origine paysanne et saxonne. C’est de là qu’il tire sa rudesse, sa verdeur, son activité, sa puissance d’injures, son esprit d’opposition, et sans doute aussi son tempérament superstitieux. C’est pour cela qu’il apparaît un peu comme une force aveugle déchaînée dans l’histoire. Il fut l’artisan d’une Révolution qu’il n’avait ni prévue ni désirée. Les circonstances l’entraînèrent, plus encore qu’il ne provoqua les circonstances. C’est une preuve de sa puissance, qu’il ait réussi à discipliner, partiellement du moins, le mouvement qu’il avait déchaîné. Longtemps, il demeura catholique d’intention, même après sa révolte, se flattant sans doute d’arracher au pape la direction de la chrétienté et de rallier l’Eglise universelle à sa doctrine. Peu à peu cependant, il dut renoncer à son rêve et se contenter d’envisager une Eglise nationale, bien qu’il sentit nettement que rien n’était moins conforme à l’esprit du Christ.

Martin Luther était né le 10 novembre 1^83 (la date est du moins très probable. Voir Œrgbl, Vom jungen Luther, 1 et s.). Son vrai nom de famille était Ludher, forme équivalente, en bas-allemand, à celle de Lothaire. Ses parents étaient originaires de Mii’hra, sur la lisière occidentale de la grande forêt de Thuringe. Mais comme son père n’espérait aucune part de l’héritage familial, il était entré dans le travail des mines, à Eisleben, au comté de Mansfeld. C’est là que Martin vint au monde. Son enfance fut sans joie. Hans Luther, le père, paraît avoir été un travailleur acharné, au tempérament rude et vigoureux, grossier et violent, prompt à la colère, très économe et ne connaissant guère de jouissances en dehors des sensualités un peu épaisses de la table, aux jours de fête.

Marguerite Ziegler, la mère, était la digne compagne du fruste mineur, travailleuse et âpre au gain, rude et sévère comme lui.

Son portrait, peint par Granach, nous présente l’image d’une femme usée par le labenr quotidien. Nous savons par ailleurs que les deux époux réussirent à élever leurs enfants et à sortir de la pauvreté. Les archives de Mansfeld établissent qu’en ibo"] Hans Luther était devenu un personnage important de Mansfeld et comptait parmi les artisans les plus aisés de la petite ville. Sur l’influence de son éducation familiale, nous avons ce mot de Luther, dans les Propos de table : « Mes parents ont été très sévères pour moi et j’en suis devenu timide… ce fut leur sévérité qui, dans la suite, lit que je m’enfuis dans un couvent et que je devins moine. »

De bonne heure, Martin Luther fut mis à l’école, à Mansfeld d’abord, où ses parents s’étaient établis, peu de temps après sa naissance, à Magdebourg ensuite, où il semble avoir subi la pieuse influence des Frères de la vie commune, qui s’attachaient à développer dans l’àme des jeunes gens le goût de la vie intérieure et des lectures bibliques. H est sûrement faux que Luther n’ait « découvert » la Bible qu’une fois devenu moine et se soit attiré des difficultés de la part de ses supérieurs, à cause de son ardeur à lire les Saintes Ecritures. C’est plutôt à Magdebourg que, tout enfant, il aurait commencé à lire la Bible, sous la direction des Frères de la vie commune, qui en propageaient le culte, bien avant l’apparition du protestantisme (voir sur ce point O. Schebl (protestant), Martin Luther, I, Tubingue, 1916, p. 77etsuiv.).

De Magdebourg, Luther passa bientôt àEisenach, où sa mère avait un oncle, Conrad liutter, sacristain à l’église Saint-Nicolas. Le jeune garçon fut admis dans la maitrise des chantres. On le vit, avec ses petits camarades, chantera la porte des familles aisées, pour obtenir des secours en vue de ses études. Sa jolie voix, son air de piété et de recueillement attirèrent l’attention de dame Ursule Cotta. Le petit chantre fut accueilli dans la famille Cotta, Il connut alors pour la première fois le charme d’une maternelle tendresse. Il passa quelques bonnes années à Eisenacb et il parlait plus tard avec reconnaissance de cette a chère ville ». En 1501, Luther se ût inscrire à l’Université d’Erfurt, à la Faculté des Arts.

Il est à remarquer qu’il n’a presque pas mordu à la formation humaniste. De tous côtés cependant, la jeunesse studieuse s’ouvrait au goût des humanités que les maîtres italiens avaient révélées au monde occidental. On se passionnait pour l’étude du grec et de la belle latinité. Erasme, encore jeune à cette date, traitait les scolastiques de barbares et de C.olhs. Luther* ignoré cesengouements. Il n’a pas appris le grec, au cours de ses éludes, mais seule ment plus tard et très imparfaitement, avec le concours de Mélanchthon. Il n’a guère lu ni les poètes ni les historiens. Il s’est adonné à la philosophie. Ses maîtres, Trudfetter, Usingen, Palz, étaient des occaniistes militants, Mélanchthon déclare dans sa petite biographie, en 15/ » 6, que Luther « savait réciter Gabriel, — il s’agit du nominalisle Gabriel Jiiel, J- 149, 5, — presque textuellement par cœur », qu’il

« avait longtemps et beaucoup lu les écrits d’Occam

et le préférait à Thomas [d’Aquin] et à Scot ». En réalité, Luther connut très mal les grands maîtres de la théologie scolaslique. Dbniflb en a fait la preuve. Ses professeurs tiraieiità leur opinion toutes lesautorités scolastiques et lui apprirent ainsi à confondre toutes les écoles. Les violentes apostrophes qu’il adressera plus tard aux théologiens (.San theologen.’) s’expliquent par là. Il fut cependant un bon élève et fut classé, à l’examen de maître es arts, deuxième sur 17 ( » 505). Les étudiants d’Erfurt ne paraissent pasavoirmené une conduite très régulière. Luther se mêlait volontiers aux jeux et aux amusements de ses camarades, mais il semble qu’une crise d’âme ait éclaté de bonne heure chez lui. La préoccupation du salut, cette grande passion des âmes religieuses, agitait secrètement son cœur. Le monde lui souriait et l’effrayait à la fois. Son père voulait qu’il fit des études de droit. Un juriste pouvait prétendre alors à tous les honneurs. Luther cependant ne pensait point aux honneurs. La théologie l’attirait. Soudain on apprit qu’il renonçait au monde et qu’il entrait au couvent des Augustins d’Erfurt (17 juillet 1505).

II. Luther au couvent. — On a beaucoup discuté sur les motifs de l’entrée de Luther dans la vie monastique. La légende s’est emparée du fait, après sa mort. Ne voyons que les textes certains. Au moment où Rome commençait à procéder contre Luther, dont le nom volait de bouche en bouche, un de ses anciens condisciples d’Erfurt, Johann Jægbu, surnommé Crotus Rubianus dansle clan humaniste, lui écrivit, de Bologne, le 16 octobre 151q, une lettre d’encouragement et d’excitation à la guerre au papisme. Il lui rappelait aussi des souvenirs de jeunesse et disait notamment : « Poursuis comme tu as commencé, laisse un exemple à la postérité ; tu n’agis pas sans le pouvoir des dieux. La divine Providence avait prévu ce qui arrive, lorsqu’un éclair céleste te terrassa, comme un autre Paul, en vue d’Erfurt, alors qne tu revenais de chez tes patents, et te poussa au cloître des Augustins, en t arrachant à notre société que ton départ attristait » (Endbrs, Lulhcis Briefwechsel, II, p. 208).

Auprès de ce témoignage, important mais un peu sommaire, il faut placer celui de Luther lui-même. Le ai novembre 1521, il adressait à son père une lettre dédicace de son ouvrage De vutis monasticis. On y trouve cette page autobiographique : « Voici bientôt 16 ans’que je suis entré, contre ta volonté et à ton insu, dans la vie monastique. Tu te préoccupais, dans ton amour paternel, de. ma faiblesse, alors que j’étais déjà parvenu à ma 22e année et me trouvais, pour employer un mot d’Augustin, « revêtu d’une bouillante adolescence ». Car tu avais appris par de nombreux exemples que cette sorte de vie [la vie monastique] avait été dangereuse pour beaucoup. Tu avais donc le dessein arrêté de me lier par un mariage honorable et riche. Ce souci fut cause de ton affliction, el ton déplaisir à mon égard ne put être apaisé de quelque temps. Eu vain les amis

l.II faut compterces 16 ans depuis la profession, après le noviciat, cette profession eutlieu en septembre 1500. — Au contraire, les 22 ans, a la phrase suivante, tombent en 1505. 593

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essayaient-ils de te persuader quesi tu voulais offrir quelque chose à Dieu, tu devais lui offrir ce que lu possédais de meilleur et de plus cher… A la lin cependant tu cédas et tu soumis ta volonté à Dieu, sans être délivré toutefois de tes soucis à mon sujet. Car je me souviens, — cela m’est encore très nettement présent, — du l’ait que voici : alors que nous étions réconciliés et que tu parlais avec moi, comme je t’assurais avoir été appelé par une terreur venue du ciel,

— car ce n’est pas avec plaisir ni de bon gré que je devins moine, encore moins pour la recherche du ventre, mais plein de crainte et d’angoisse, en face d’une mort [qui me menaçait] tout à coup, je lis un vœu contraint et forcé, — tu me répondis : Puisse cela ne pas avoir été une illusion ni un acte de présomption ! Cette parole me transperça, comme si Dieu lui-même l’avait dite par ta bouche, et elle se grava profondément dans mon àme. Mais je barricadais mon cœur, autant que je pouvais, contre toi et ta parole. Et comme je te reprochais (ilialement ton irritation, tu me répliquas de nouveau et de nouveau tu frappas si juste que dans toute ma vie j’ai rarement entendu d’un homme une parole qui m’ait atteint si puissamment et se soit fixée si forte--menlen moi. Tu me dis en effet : * A’as-tu pas entendu dire qu’on doit l’obéissance à ses parents / « Mais moi, assuré de ma justice, je, ne t’entendis que comme un homme et n’eus pas grand égard à ton appréciation. Cependant je ne fus pas capable de mépriser intérieurement cette parole. Mais considère si tu n’ignorais pas toi-même que les commandements de Dieu doivent être préférés à tout. Si tu l’avais bien su, ne devais-tu pas, alors que j’étais encore en ton pouvoir, m’arracher au froc, en vertu de ton autorité paternelle ? Et moi, de mon côté, ne devais--je pas affronter bien des morts plutôt que de faire une démarche semblable contre ta volonté et sans te prévenir ? Mon vœu ne valait pasun flocon de laine, car je me soustrayais ainsi à l’autorité paternelle et à la volonté du commandementdivin.Bien plus, mon vœu était impie, et ce qui prouve qu’il n’était pas de Dieu, c’est non seulement qu’il était en opposition coupable avec ta volonté, mais encore qu’il ne procédait [tas d’une décision libre et volontaire f. Mais tout cela se produisit en vertu de traditions humaines et de superstitions hypocrites que Dieu n’avait point ordonnées. Mais regarde comment Dieu, dont la miséricorde ne connaît point de mesure et la sagesse point de bornes, a tiré de grands biens de tant d’erreurs et de péchés ! Ne voudrais-tu pas plutôt avoir perdu cent (ils que de ne pas avoir vu ce bien ? Il me semble que Satan, depuis ma jeunesse, a prévu quelque chose de ce qu’il souffre actuellement [par mes doctrines]. C’est pour cela qu’il s’est acharné à me ruiner et à me persécuter avec des ruses incroyables, à tel point que souvent je me suis demandé, stupéfait, si j’étais le seul parmi les mortels à qui il appliquât ses efforts. » (Luthers fVerke, édition Weimar, VIII, p. b’fi-b’}^’)

Il résulte de ces textes et de quelques autres qui en précisent les détails, ]’que Luther est entré au eouvent àlasuite d’un vœuformulé hâtivement, sous l’impression d’une crainte violente, au milieu d’un orage dont les éclairs apparurent à ses regards superstitieux comme les messagers d’un appel divin ; a" que son père était oppose à sa vocation, non seulement parce qu’elle contrariait ses projets d’avenir sur son fils, mais parce que le l Tnpérament et le caractère de ce fils lui donnaient de graves inquiétudes, s’il s’engageait témérairement dans une voie

1. Ce langage est étrange sous la plume de quelqu’un qui niait le libre arbitre, comme Luther.

qui n’était pas la sienne ; 3° que Luther fut constamment tourmenté par le démon et s’imagina bien vite qu’il était marqué pour une mission spéciale. Toute sa vie, en effet, il rejettera sur la rage du démon, furieux, à l’entendre, de la restauration de la vraie doctrine, les remords qui viendront l’assaillir et même les désordres qui découleront de ce qu’il appelait son « Evangile ».

L’entrée soudaine de Luther au couvent, sans examen et sans préparation, sans conseil de personne, à la suite d’un vœu irréfléchi, fut une erreur formidable. Il n’était point fait pour le cloître. Il essaya sans doute, courageusement et loyalemeut, de remplir les obligations qu’il s’était données avec tant d’imprudence. Mais la nature l’emporta. La vie monastique, la théologie traditionnelle, l’Eglise catholique tout entière furent par lui rendus responsables des terribles déceptions de sa vie intérieure. Il chercha longtemps et il découvrit au bout de 10 ans environ une théologie nouvelle adaptée à son cas particulier ; et sans prendre garde à ce que sa situation avait d’anormal et sa théologie de subjectif et de fictif, il en fit un Evangile nouveau qu’il entreprit d’imposer à l’Eglise entière. Tout le luthéranisme primitif est dans cette incroyable méprise. Plus tard, il n’en restera rien, sinon un modèle à suivre, à savoir une façon de se faire à soi-même, à l’aide de la Bible ou même sans la Bible, une religion personnelle et pour ainsi dire portative, ajustée par chacun à ses besoins et à ses aspirations.

Luther ne fut pas longtemps heureux au couvent. Ne nous arrêtons point aux légendes qu’il a répandues plus tard sur les pénitences qu’on lui imposait. Denifle en a fait justice. Le protestant Adolphe Hausrath a dit avec raison que, dans sa vieillesse,

« Luther devenait mythique pour lui-même ». —
« Non seulement, ajoutecetauteur, les dates se brouillent

dans son esprit, mais encore les faits. Quand le vieillard [Luther] se met à se raconter, le passé devient pour lui comme une cire plastique. Les mêmes paroles, il les attribue tantôt à l’un tantôt à l’autre de ses amis ou ennemis… Ainsi, c’est une exagération de vieillesse, quand il dit qu’en son jeune temps la Bible était pour tous un livre inconnu… Quand il parle du cloitre, le réformateur vieilli ne voit presque plus que du noir. » (Luthers Leben, 1904, II, p. 430 et suiv.)

Heureusement nous sommes renseignés par ailleurs. Nous savons que son maître des novices était un excellent directeur d’âmes.

Mais Luther avoue que ce bon Père était obligé de lui répéter souvent : « Pourquoi vous tourmenter, mon fils, ne savez-vous pas que le Seigneur vous a ordonné d’espérer en lui ? » Le jeune novice étaitdonc très troublé intérieurement. Après sa profession, en septembre 1506, il reçut les saints ordres au début de 1507, et célébra sa première messe le a mai de cette année. Dix-huit mois plus lard, un ordre de Staopitz le transféra à l’Université de Wittemberg, pour y enseigner la philosophie. Ce qu’on appelait de ce nom alors n’était guère qu’un insipide commentaire des auteurs en renom. Luther n’avait aucun goût pour cet enseignement. La théologie l’attirait, non pas la théologie scolastiquc, toutencombrée de discussions philosophiques, mais la théologie positive, qui commençait à être à la mode, à Oxford avec John Colet, à Paris avec Lefèvre d’Etaples, et qu’Erasme allait bientôt définir « la recherche du Christ pur et simple, à l’aide des langues anciennes, dans les sources elles-mêmes » (voir Hbrminjard, Correspondance des Réformateurs, I, n°* 10 (Erasme à Capiton, 26 février 1517>, 18 (Erasme à Hué, 9 août 1518), 27 (Erasme à Bérauld), etc.). 505

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Les rares documents qui nous restent de la main de Luther, entre 1508 et 1510, semblent prouver i° que les docteurs nominalistes l’ont conduit dès cette époque à l’agnosticisme et au fidéisme, qu’il gardera toute sa vie ; 2° qu’il a un véritable dégoût de la philosophie. Elle paiera cher un jour l’ennui qu’elle lui a causé I

III. Le voyage â Rome. — Martin Luther ne croyait plus au pouvoir delà raison, mais il croyait encore à celui de la volonté. Les doctrines occamistes étaient résolument volontaristes. On peut dire qu’elles se plaçaient à la frontière la plusvoisine du semipélagianisme. L’évolution de Luther va consister à désespérer de la volontécomme ses maîtres désespéraient de l’entendement humain, à nier le libre arbitre comme ils niaient les aptitudes métaphysiques de l’intelligence.

Le point de départ de cette évolution, c’est une obsession continuelle du péché qui poursuit le malheureux moine. Dès qu’il commence à écrire, cette obsession apparaît sous sa plume. Il parle avec terreur de « la chair désobéissante, furieuse, soulevée contre l’esprit » (Annotations marginales de Luther au Livre des Sentences de Pierre Lombard, Œuvres, édition Weimar, IX, p. 74. 76, années 1510-1511). Les expressionsdece genre reviennent constamment sous sa plume. Elles apparaissent dès 1009. A cette date, Luther a quitté Wittemberg pour revenir à Erfurt (automne 1500,). Il y professe sur le Livre des Sentences de Pierre Lombard. Un an plus tard, il part pour Rome, en qualité de délégué des couvents de la stricte observance qui proteslentcontre un projet élaboré par Staupitz, vicaire-général de l’Ordre pour la Saxe. Il partit à pied avec un autre frère. Son séjour à Rome fut d’environ un mois. Luther a parlé plus tard de ce voyagecomme d’un événement capital de sa vie. En réalité, il ne dut voir que bien peu de chose et on ne constate aucun changement dans ses idées, à l’égard de la hiérarchie ecclésiastique, à la suite de cette mission. L’absence de Luther dura de novembre 1510 à février ou mars1511. Peu après son retour, il abandonnait le parti de l’Observance, qui l’avait délégué à Rome, pour se rallier à celui de Staupitz, et il fut rappelé à Wittemberg. L’année suivante, il subit avec succès les épreuves du doctorat en théologie ( 1 8- 1 g septembre 151a) et fut chargé officiellement d’une chaire d’études bibliques (leciura in Biblia). Il occupa cette chaire presque jusqu’à sa mort. Ce qui prouve que son voyage à Rome n’a pu qu’accroître son attachement à la foi traditionnelle, c’est l’aveu qu’il en faisait vingt ans plus tard : « A Rome, disait-il, j’ai parcouru dans ma démence toutes les églises et toutes les cryptes ; je croyais tous les mensonge » que l’on y débitait. » (Com. des Psaumes, 1530, Weimar, XXXI, 1, page 226.)

IV. Vers l’hérésie. — Si Luther avait quitté le parti de l’Observance, ce n’était pas par mépris de la règle ni par désir de s’en affranchir. On peut admettre qu’il lui en coûtait de se trouver en opposition avec Staupitz, son vicaire-général. Dans son Commentaire du Psautier (Dictata in Psulterium), qui est de 1513-1514, il s’élève « contre les orgueilleux en sainteté et en observance qui détruisent l’humilité et l’obéissance > (Weimar, IV, 313). L’aigreur que ses lettres d’alors manifestent à l’égard des frères d’Erfurt permet de croire que cette allusion est dirigée contre eux (nié par Kawbrait et Henri Strohl ; voir ce dernier : L’Evolution religieuse de Luther jusqu’en 151f>, Strasbourg, 1922. p. 130).

On trouve souvent des attaques contre les Obser vantins, dans leCommentaire du Psautier, de 15131ôi 4- H les appelle « les petits saints d’oeuvres », les « justitiaires ». Il leur oppose PAumi/i/é, qui seule justifie : t A celui qui se regarde comme pécheur et s’humilie devant Dieu, Dieu donne sa grâce. » Il explique ainsi sa théorie : « II est impossible que celui qui confesse ses péchés ne soit pas juste, puisqu’il dit la vérité. Car où est la vérité, là est le Christ », explication un peu enfantine, qui supprime l’efficacité de l’absolution.

Le sentiment du péché continue à hanter l’esprit de Luther. Déjà, à cette date (1513-1514), il lui échappe de dire que « nous péchons toujours », que

« nous sommes toujours impurs », que « toute justice

du moment présent est péché par rapport à celle qui doit lui succéder au moment suivant » ; mais ce sont là de simples hyberboles, car Luther aime à outrer son langage. Sa pensée toutefois demeure à peu près orthodoxe, il distingue encore la concupiscence du péché originel, il oppose le sentir au consentir. Il trouve cependant que la concupiscence est quelque chose de terrifiant : « Les passions de colère, d’orgueil, de luxure, écrit-il, sont regardées comme faciles à vaincre, de loin et par les gens sans expérience. Mais de près, on les sent très difficiles et même insurmontables, comme V enseigne V expérience. « (Voir Schbel, Dokumente zu Luthers Entwicklung, Tubingue, 191 1, p. 87, — Weimar, IV, 207)

Après avoir commenté les Psaumes, Luther fit son cours sur Yépttre aux Romains, de saint Paul. C’est alors qu’il versa complètement dans l’hérésie, mais ce ne fut pas par une révolte consciente et voulue contre la doctrine de l’Eglise. Son hérésie demeura longtemps purement matérielle. La confusion doctrinale, créée parla querelle des anciens (thomistes et scotistes) et des modernes (occamistes) et par la guerre entre la théologie positive et la théologie scolastique, était alors très grande. La formation de Luther était fort incomplète. Sa tendance à interpréter les textes en fonction de ses expériences intimes, — et même de ses expériences physiologiques,

— s’accentuait d’année en année. Il a raconté, dans la préface de l’édition de ses œuvres, en 1545, que l’instant décisif dans son évolution avait été celui où, par une soudaine illumination, il avait compris que le mot de saint Paul, dans l’épître aux Romains : la justice de Dieu est révélée dans l’Evangile, ne parlait point de la justice qui punit qustice active) mais de la justice qui absout qustice passive) et qui confère la justification. Il datait cette découverte de 151g. Il affirmait que nul docteur avant lui, sauf saint Augustin, n’avait interprété ce passage dans ce sens. Le P. Dbniplb a prouvé au contraire que « pas un seul écrivain catholique, depuis l’Ambrosiaster jusqu’à Luther, n’avait entendu ce passage de saint Paul dans le sens de la justice divine qui punit, dans le sens d’un Dieu irrité, et que tous, au contraire, l’avaient entendu de Dieu qui justifie, de la justice obtenue par la foi » (Voir Dkniplk, traduction Paquier, Paris, 1913, II, 366et s.). Le savant dominicain n’hé « it « H pas à conclure : « Les théologiens protestants se trouvent donc en face de cette alternative : Ou Luther n’a pas lu un seul des écrivains catholiques qui avaient interprété ce texte, et alors il porte sur eux un jugement inconsidéré, en pleine ignorance de cause ; ou, ce dont il est assez coutumier, il a caché la vérité de propos délibéré. » Ou ignorant ou menteur. Le dilemme était rude. Les écrivains protestants ont cherché à l’éluder. Ils ont supposé une erreur de mémoire chez Lutin r, ou une simplification excessive des for mules employées par lui pour marquer ses différences avec le catholicisme. L’un d’eux cependant, M. H. Strohl, reconnaît que Luther 597

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a présente les choses sous une forme inexacte. « Les formules employées en 1 545, écrit-il, justice active (appliquée peu à peu au catholicisme tout entier) et justice passive (Luther) ne caractérisent exactement ni la théorie catholique, ni celle de Luther. On comprend qu’un théologien catholique en conteste la précision et lui reproche d’être injuste, même envers la théologie scolastique. »

Tout ce que l’on peut garder de l’affirmation de Luther, c’est que le point de départ de sa théologie n’est autre que le problème de la justification, en d’autres termes : le problème du salut. M. Stroiil expose en ces termes sa théorie : « Ce qui distingue la doctrine catholique de celle de Luther, c’est l’affirmation que Dieu ne couronne que les mérites, acquis sous l’impulsion et avec l’aide continue de la grâce. Il faut que l’homme soit devenu juste pour que Dieu l’agrée. Dieu demeure, avant tout, le Dieu juste qui pose des conditions à ceux qu’il reçoit dans sa communion, tout en les aidant à satisfaire à ces conditions. Luther a trouvé la paix dans le paradoxe que le salut est inconditionnel. Le chrétien reçu en grâce est toujours « justeetpécheur » [à la fois]. Dans les rapports entre Dieu et l’homme, il n’y a aucune place pour les mérites nipour unejustice qui mesure le salut selon les mérites. Dans la doctrine catholique, Dieu tient un livre de comptes. La raison comprend et démontre [ ?] les rapports qu’il y a entre la justice, qui reste l’idée dominante, et la grâce, qui rend les hommes justes en transformant leur nature et leur caractère [ ?]. Dansl’idéede Luther, lagràce surpasse tout entendement. Elle est irrationnelle, mystérieuse. Le Dieu parfaitement saint enveloppe de son amour une humanité soumise irrémédiablement à l’état de péché. La religion de Luther est la religion d’un homme convaincu d’être entaché d’une tare indélébile, mais aussi d’un homme qui a fait l’expérience d’un amour divin dont il ne peut comprendre la raison, dont il se sent toujours indigne, auquel il ne peut jamais prétendre, auquel il n’aura jamais droit, pour lequel il ne pourra que témoigner, bien imparfaitement du reste, sa reconnaissance » (Strohl, L’évolution religieuse de Luther, Strasbourg, 192a, p. iô3).

Cetexposé, juste en partie, nedonnecependant pas une idée assez complète du dédain de Luther pour la raison et de l’absurdité foncière de sa théologie.

L’analyse de son système, pris dans son origine et pour ainsi dire dans son germe, aboutit aux trois principes suivants : i° L’homme est irrémédiablement corrompu par le péché originel. — 2° La prescience éternelle de Dieu est radicalement opposée au libre arbitre humain. — 3° N’étant pas libre et se rouvant corrompu par le péché originel, l’homme est incapable d’aucun bien ; la justification et le salut ne sauraient donc dériver que d’un décret >rbitraire de la miséricorde divine.

Comment pouvons-nous être assurés qu’un tel lécret a été porté pour nous ? Voilà le nouveau pro>lème devant lequel Luther hésite pendant troisans. ilors que, dès 1515, il est en possession des trois jrincipes qu’on vientderesumer.il ne trouvera qu’en ">18 le quatrième principe essentiel de sa doctrine, celui qui devait en faire la fortune, par la commodité, la consolation, l’épanouissement qu’il donne aux âmes, à savoir que Dieu donne à ceux qu’il sauve la foi en leur propre justification, et qu’il suffit de sentir en soi la certitude dn salut pour être justifié et sauvé, puisqu’une teile certitude ne peut venir que de Dieu. Avant |5|8, Luther cherche la consolation dans l’humilité, — entendue à sa manière, — dans la résignation à l’enfer, — car il va jusque-là, — et il ne veut pas qu’on donne aux

hommes trop de sécurité. C’est ainsi que les deux dernières des fameuses 0, 5 thèses contre les Indulgences seront libellées ainsi : « On doit exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre le Christ leur chef à travers les peines, les morts et les enfers (sic), — de telle sorte qu’ils aient plus confiance c d’entrer au <’ciel par de nombreuses tribulations » (Actes, xiv, 22) que par la sécurité de la paix. »

C’est de 151â à 1 5 1 8 que se place l’élaboration de la théologie de Luther. Sous quelles influences et dans quelles conditions, voilà ce qu’il faut dire.

V. Sources de la théologie luthérienne. — Les protestants répètent volontiers que c’est « de l’être le plus intime de Luther » que le protestantisme est né. Nous les en croyons sans peine. Luther a tiré toute sa Ihéologie, non point de la Bible seule, comme il le prétendait, mais de quelques textes bibliques détournés de leur sens et interprétés à travers ses impressions personnelles. — Au cours de l’année iu15, il fut amené à commenter, dans jeu cours à lUniversité de Wittemberg, VEpltre aux Romains. On sait avec quelle force le poignant problème de la lutte entre la chair et l’esprit, s’y trouve posé et résolu par l’Apôtre des Gentils. Nulle paît saint Paul n’est plus abondant, plus incisif, plus profond et, si l’on ose dire, mieux inspiré, dans tous les sens du mot. Nulle part, il n’éclaire plus parfaitement la doctrine catholique du péché originel, de l’impuissance de l’honimesanslagi àce, delà justification par la foi en Jésus-Christ, encore que son exposé trouve d’utiles compléments dans les autres épltres, spécialement au sujet de la foi justifiante. Bien des fois déjà les docteurs catholiques avaient lu, médité, commenté les pages de ce texte célèbre. Il paraissait invraisemblable qu’on y découvrit du nouveau. Chaque génération chrétienne était venue y chercher la solution de l’énigme que l’homme est à lui-même. Mais Luther abordait saint Paul, à 32 ans, avec dei préoccupations intimes si violentes, un trouble intérieur si profond et si invétéré, qu’il devait lui être totalement impossible d’aboutir à une interprétation exacte et objective de la pensée de l’Apôtre. Ces préoccupations, nous les connaissons déjà. Il est obsédé par la tyrannie de la concupiscence, — il cherche un refuge dans l’humilité, conçue comme un dégoût de soi-même, un désespoir de ses forces personnelles, — enfin, il combat les œuvres de l’Observance. Sous la pression de ces tendances, de ces expériences et de ces passions, il sollicite le texte, il y découvre des sens nouveaux et certainement inadmissibles en saine exégèse, et voici le résultat de ses réflexions :

Le péché originel est quelque chose de bien plus grave qu’on ne pense communément. Il n’est autre chose que « la concupiscence, c’est-à dire le penchant au mal, la répugnance au bien ». — C’est « la privation de toute rectitude et de tout pouvoir dans toutes nos facultés tant du corps que de l’âme et de tout l’homme intérieur et extérieur. De plus, c’est le penchant même au mal, le dégoût du bien, l’ennui de la lumière et de la sagesse, l’amour de l’erreur et des ténèbres, la fuite et l’abomination des bonnes œuvres, l’empressement au mal » (Comment, de l’ép. aux Romains, édi ion Fickbr, I, 2, p. 1 43 et suiv. — Sur le texte : Rom., v, lf) Il s’ensuit que tout ce que nous faisons est mauvais. Nous péchons mortellement dans chacun de nos actes. Nos prétendues bonnes œurres sont des péchés mortels. En un sens, nos vertus sont plus dangereuses que nos vices. Un bon gros péché, cela se voit, on n’est pas tenté d’en être fier, ce n’est pas cela qui nous fera manquer à l’humilité. Mais ces 599

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actes d’amour de Dieu, ces bonnes actions où nous avons mis toute notre ferveur, voilà ce qui est à craindre. C’est là que se cache un orgueil secret, un amour-propre rafliné, une pernicieuse confia ce en nous-mêmes. Cela nous fait oublier notre impuissance : t Cependant tout cela n’est pas dit pour que nous omettions les œuvres justes, bonnes, saintes, mais pour que nous réprouvions l’estime qu’on en a, en sorte que nous n’ayons pas une telle confiance en elles, ni ne les regardions comme si dignes que nous nous figurions être justes devant Dieu par elles » (Fic.ker, ouvrage cité, I, a, p. 71).

L’idéal du chrétien, d’après Luther, à cette date, c’est le quiétisme radical : ne plus penser à soi, « ne plus désirer la gloire éternelle », ne plus s’effrayer du péché ; « ne plus craindre la peine dont Dieu le frappe, ne plus se réjouir de la vertu, mais se jeter à corps perdu entre les bras du Christ en lui disant :

« Seigneur Jésus, vous êtes ma justice, je suis

votre péché, vous avez pris ce qui est à moi, vous m’avez donné ce qui est à vous. » En un mot, « nous ne sommes sauvés que si, ayant le péché et vivant dans le péché, nous souffrons de l’avoir et gémissons vers Dieu pour en être affranchis ».

Tout pénétré de cette pensée du péché incurable, Luther construit une métaphysique autour de son obsession favorite :

i* La volonté de Dieu est irrésistible, a* L’àme humaine n’est douée d’aucune liberté, 3° Laissée à elle-même ou abandonnée à Satan, elle est esclave du péché, 4* Dieu tient à ce qu’elle pèche pour l’humilier et lui faire comprendre que lui seul est Dieu, 5° Il lui impose donc la Loi morale, non point pour qu’elle l’observe puisqu’elle en est incapable, mais pour la décourager, la pousser au désespoir, lui montrer l’enfer qu’elle mérite à tout instant, G" La Loi sert aussi à justifier Dieu, quand il damne le pécheur. Sans doute, celui-ci ne pouvait pas l’accomplir, mais il a admis les chances du jeu, il a violé la Loi en croyant qu’il pouvait l’observer, il n’a pas désespéré de lui-même, il a mérité l’enfer [Ce point est le plus étrange de cette inconsistante théologie. Luther y insistera dans le De servo arbilrio, de 1525 ; voir Cristia.ni, Du Luthéranisme au protestantisme, Paris, 191 1, p. 354 et suiv.], 7* Quand l’àme est bien épouvantée, à l’aspect terrifiant de la Loi, Dieu fait luire à ses yeux les consolantes Promesses de l’Evangile, il lui donne la foi, par laquelle se reconnaissant pécheresse, elle Justifie Dieu et en reçoit en échange la justification.

Poussant à bout sa pensée, que l’excès du désespoir doit engendrer l’espérance (nous dirions : la présomption), Luther écrit : « Le troisième degré et le plus parfait (des signes d’élection ou de prédestination ) est en ceux qui effectivement se résignent d’eux-mêmes à l’enfer pour la volonté de Dieu, comme il arrive peut-être à beaucoup à l’heure de la mort ! » (Com. de Ilom., viii, 28, Ficker, I, 2, p. a15).

Luther avait l’obsession de l’enfer. Dans ses Ilesolutiones de 1518, il dit, parlant évidemment de lui-même :

« Je sais un homme qui Hlirmait avoir souffert

les peines infernales, pendant un temps très court il est vrai, mais d’une manière si intense que ni la langue ne le peut dire, ni la plume l’écrire, ni celui qui ne l’a pas senti s’en faire une idée (. »

Pour guérir cette obsession, il ne trouve rien de mieux que le dogme de la certitude du salut, qui va devenir le pivot de. sa théologie. Jusqu’à 1518, il n’avait pas une idée précise de l’objet de la foi, ni par conséquent de sa nature. A partir de 1 5 1 8, il

1. C’est presque en ces termes que saint Puul parle du ciel.

donne à la foi justifiante pour objet : la certitude du salut personnel, il en fait donc un acte de présomption obligatoire (Sur la genèse de ce dogme, voir Cristiani, Luther au couvent, p. 67 à 72).

Dans tout cela, il n’y avait encore qu’une hérésie matérielle, Luther croyait assurément retourner, par delà les Scolastiques, à la saine tradition, celle des Pères, de saint Augustin surtout, à la vérité pure de la Bible. Le glissement de sa pensée s’était produit d’une manière si naturelle, si continue, si insensible, qu’il avait passé de l’orthodoxie à l’erreur, sans s’en apercevoir (comme avait fait avant lui Jean Hus), par le simple développement d’une théologie très impressionniste, peu précise, toujours flottante, et sous l’impulsion d’un tempérament inquiet et agité, d’expériences souvent obscures ou équivoques, mais d’une singulière violence. Qu’une occasion se présente, qu’il 6e croie appelé à protester contre un abus quelconque, — ils ne manquaient pas alors, — il est à prévoir qu’il enflera la voix avec son exagération et son àpreté habituelles, que les dogmes essentiels de la foi seront par lui tôt ou tard mis en cause et que l’incendie, rêvé par un Ulrich de Hulten, se trouvera allumé par un moine à demi inconscient de ce qu’il va faire et se propagera avec une telle rapidité que rien ne pourra plus l’éteindre.

VI. Vers la rupture : de l’affaire des Indulgences à la dispute de Leipzig (1517-1519). — Luther n’était pas seulement ce théologien aux tendances pessimistes, fatalistes et mystiques, dont on vient d’analyser l’état d’âme, c’était encore un rude et hardi prédicateur, qui ne craignait pas de porter devant le peuple fidèle la critique, souvent amère et assaisonnée de lourde ironie, des abus dont souffrait l’Eglise. Il tonnait surtout contre l’excès des manifestations extérieures, dans le culte des saints. Il y avait des pensées justes et édifiantes dans ses discours, mais également des idées contestables, des opinions personnelles, issues de cette théologie dont on a vu l’origine dans sa vie. Dès 1 51 5, il prêche contre l’Observance et les œuvres. Il reproche aux partisans de l’Observance leur confiance dans leurs propres mérites, il prononce à ce propos le gros mot d’idolâtrie. Dès cette époque, il semble que les étudiants et le peuple de Wittemberg aient été subjugués par cette parole chaude et âpre à la fois, séduits par ce3 discours où le mysticisme le plus obscur s’alliait au réalisme le plus piquant, où des nouveautés de doctrine tout à fait alléchantes s’ajoutaient à de violentes attaques contre la scolastique, dont il était de mode alors de médire. Tout ce qu’il y avait à la fois de vivant et de paradoxal, d’ardent et de téméraire dans le langage du moine augustin lui conférait un prestige chaque jour grandissant. La foule accourait à ses sermons. Quand il touchait surtout à la brûlante question des Indulgences — ce qu’il avait fait en plusieurs sermons que nous possédons encore, — il ne pouvait manquer de faire sensation, dans un auditoire, déjà très excité sur ce point. La responsabilité de ce qu’il est permis d’appeler le scandale des Indulgences retombe en grande partie sur la triste famille des Hohenzollern. C’est son avidité insatiable, son ambition effrénée, qui fut l’origine des tractations abusives, — où le Pape se montra faible et la Curie romaine complice du désordre, qui aboutirent à la Révolution protestante. (Pour l’exposé des faits, voir Cristiani, Du Luthéranisme au protestantisme, p. 28-34-) C’est en effet pour permettre à Albert de Hohenzollern de payer les frais de son installation à l’archevêchéélectorat de Mayence, qu’il devait cumuler avec les 601

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évêchés de Magdebourg et d’Halberstadt, qu’une Indulgence fut concédée aux diocèses qui dépendaient de lui. Pour gagner cette indulgence, il fallait donner une aumône (le » indigents en étaient dispensés). La moitié du produit de cette aumône devait revenir à Albert, l’autre moitié à la fabrique de Saint-Pierre de Rome, alors en construction. On était très monté en Allemagne contre la fiscalité pontificale. Des rumeurs de colère s'élevèrent de toutes part ». On ne parlait que de l’affaire des Indulgences, dans les tavernes, allirme Luther. C’est alors qu’il résolut d'élever la voix. Il choisit la grande fête de la Toussaint, qui attirait à la Collégiale ou Chapelle du Château, à Wittemberg, un grand concours de peuple, et la veille au soir, — 31 octobre 15 1 7, — il afficha à la porte de cette église ses 9.î thèses contre les indulgences. Ce qui prouve que la foule comprenait infiniment mieux son geste que sa doctrine, o’est qu'à cette date il reprochait surtout aux Indulgences d’engendrer chez les acheteurs la certitude du salut et de les détourner de la vraie pénitence. On l’applaudissait quand même, parce qu’on ne retenait de ses thèses que l’idée d’une hardie protestation contre Rome et contre le « tratic des indulgences ». L’année suivante, il dira tout le contraire. Il aura découvert le dogme de la certitude du salut, il proclamera ce dogme avec la plus intransigeante rigueur. On l’applaudira encore. Il sera très sou vent amené à se contredire dans la suite, sur un point ou sur un autre. On l’applaudira quand même. Cela ne montre-t-il pas jusqu'à l'évidence qu’il peut dire à son gré blanc ou noir, pourvu qu’il soit contre l’Eglise romaine, il obtient toujours le même succès. Les thèses qui retinrent l’attention et dont l'énoncé provoqua en quelques jours un émoi de Révolution dans toute l’Allemagne, furent les suivantes : « Les trésors des indulgences sont les filets avec lesquels on pèche aujourd’hui les richesses des hommes. Pourquoi le Pape, dont les richesses sont plus grasses que celles des Crassus les plus opulents, n'élève-t-il pas sa basiliqne de Saint-Pierre avec son argent plutôt qu’avec celui des pauvres fidèles ?… Si le Pape est capable de racheter tant d'âmes du purgatoire pour de l’argent, sous prétexte de bâtir une basilique, pourquoi ne les délivre-t-il pas toutes par charité pure ?… etc. (thèses 66, 86, 82). En même temps, Luther se faisait l'écho des fables les plus indignes contre les prédicateurs d’indulgences, dont le principal, on le sait, était le dominicain Jran Trtzkl (thèse 75).

Luther semble avoir été surpris par l'énorme retentissement de ses thèses. Elles furentimprimées un peu partout, à son insu. Anssitôtl’Alleraagne se trouva divisée en deux camps. Les uns appplaudissaient avec rage, les autres proféraient, paralt-il, des menaces de mort contre le nouvel hérésiarque. Tetzel répondit, en janvier 1518, par une longue liste d’Antithèses, mais quand celles-ci parvinrent à Wittemberg, les étudiants en arrachèrent les copies au colporteur et en firent un feu de joie. L’Archevêque de Mayence avait entre temps déféré à Rome les thèses de Luther. Une enquête canonique fut ouverte. Le Maître du Sacré Palais, Silrestro Mazzolini dit Prierias, publia une réfutation en règle des idées de Luther. Cekii-ci avait un tempérament irascible et têtu. II fut aiguillonné par les critiqurs, bien plus qu’effrayé par les menaces. Il écrivait, le a£ mars 1518 : « Plus ils témoignent de fureuret plus je m’avance. Je laisse mes premières positions pour qu’ils jappent après et j’en prends de nouvelles pour les faire aboyer encore » (f.ettres, éd.EivDKRs, I, 173).

Luther, du reste, se sent soutenu par son prince,

l’Electeur Frédéric de Saxe, et il entretient une correspondance sacrée avec Spalalin, confident et chapelain de Frédéric. Il commence à parler de réforme radicale de l’Eglise. Rome lui apparaît comme le siègede l’Antéchrist. La haine des Italiens soulève son cœur d’Allemand.

Il consentit toutefois à comparaître devant le cardinal-légat, Cajbt an, à Augsbourg^-ao octobre 1518). Le cardinal le traita très paternellement, mais exigea sa soumission à l’Eglise. Luther au contraire voulut discuter. Ses arguments étaient du reste sans aucune portée. Aucune discussion ne pouvait aboutir. Cajétan parlait théologie, Luther croyait faire de même, mais sous son langage perçaient des impressions d’ordre tout subjectif. Avant de se rendre à Augsbourg.il avait écrit à Staupitz : « Aucune menace ne peut m'émouvoir. Je souffre, comme tu sais, des choses incomparablement pires, qui m’obligent à regarder comme insignifiantes les foudres passagères (de Rome) » (Lettres, Endkrs, I, 223). De quelle nature étaient ces souffrances, nous ne pouvons que le conjecturer. Mais il n’est pas douteux que c’est dans ces tortures intimes qu’il faut chercher l’explication dernière et de la doctrine de Luther et de l’obstination désespérée qu’il mettait à la défendre.

Dès lors les événements se précipitent. Il suffira de rappeler ici les dates principales. Dans la nuit du aoauai octobre, Luthers’enfuitd’Augsbourg. Le 22, il lance son Appel du Pape mal informé au Pape mieux informé ; le 28 novembre, son Appel du Pape au Concile général. Dans la célèbre Dispute de Leipzig (27 juin-16 juillet 1919) contre Jban Eck, il rejette définitivement toute autorité dogmatique, il nie l’infaillibilité des Conciles généraux et nereconnaitplus que la Bible comme source de toute vérité, mais la Bible interprétée par chaque chrétien, sous l’influx de l’Espril-Saint.

Ainsi sa théologie, déjà formée dans ses principes métaphysiques (fatalisme prédestinatien) et théologiques qustification par la foi au salut personnel, sans les œuvres), de 1515 à 1518, se complète par la théorie du biblicisme intégral, qui consacre la rupture avec l’autorité enseignante de l’Eglise. Paradoxal jusqu’au bout, Luther condamne cependant le libre examen et prétend que « les Saintes Lettres ne peuvent être pénétrées par l'étude ni par l’esprit humain… » « Il faut donc que tu désespères, affirmait-il, de ton propre examen et de ta raison, pour n’avoir conliance que dans le véritable influx de l’Esprit-Sainl. Crois-en mon expérience « (Lettre du ï8 janvier 1518, Endkrs, I, 1^2).

Il ne s’apercevait pas que rien n’est plus dangereux que cet appel, — par delà le bon sens et la raison, — à l’influx direct de l’Esprit-Saint. Le protestantisme sera jusqu'à nosjours condamné à osciller entre Villuminisme et le rationalisme,

Luther se heurtera bientôt aux illuminés (Anabaptistes, dès le début de 1622) etleurfera, jusqu'à sa mort, une rude guerre. Mais ayant sapé le principe d'à u <0'17e', indispensable pour trancher en dernier ressort les discussions exégétiques, il livrera la Bible sans défense aux inévitables variations du sens propre, — et c’est ce qu’on appellera le libre examen.

VII. Révolte ouverte contre Rome. — En 1 5 1 9, après la Dispute de Leipzig, Luther est définitivement détaché de l’Eglise romaine et du dogme catholique. Mais il hésite à déclarerouvertement la guerre au Pape. Son protecteur, Frédéric le Sage, est ennemi des aventures. C’est alors que le moine Augustin reçoit les encouragements des néo-humanistes, dont 603

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Ulrich db Hutten, un agitateur et un pamphlétaire, est le chef le plus autorisé, et l’appui de la chevalerie révolutionnaire, notamment Je Fhanî de Sickinobn et de Silvbstre db Schacmbbrg. Se sentant soutenu par un puissant parti nationaliste et italophobe, il écrit le 10 juillet k>20 : « Le sort en est jeté ! je méprise la fureur et la faveur de Rome : je neveux plus de réconciliation ni decommunion avec eux pour l’éternité » ; et le 17 juillet, il donne, dans une autre lettre, le secret de son assurance : « Silvestre de Schaumberg et Franz de Sickingen m’ont désormais affranchi de toute crainte humaine. »

Aussi, dès le I er août, il lance son fameux appel : A la noblesse chrétienne d’Allemagne sur la réforme de VEtat chrétien. Il monte à l’assaut de la « triple muraille » qui constitue la forteresse des « romanistes » — on dira bientôt des papistes. La première, c’est la distinction du clergé et des fidèles. Luther proclame l’égalité de tous les chrétiens, c’est le principe du sacerdoce universel. La seconde muraille, c’est le droit d’interpréter la Bible réservée l’autorité ecclésiastique. Luther déclare que la Bible est à tout le monde ; principe du libre-examen, en fait sinon en droit, comme on a vu plus haut. La troisième muraille, c’est le droit que le Pape s’arroge de pouvoir seul convoquer le Concile général. Luther transfère ce droit aux princes, et ce principe le conduira au césaropapisme, c’est-à-dire aux Eglises d’Etat.

En octobre 15ao, Luther publie son Prélude sur la captivité babylonienne de l’Eglise, où il s’attaque au dogme sacramentaire et réduit le nombre des sacrements à trois : Baptême, Eucharistie, Pénitence, eu subordonnant leur efficacité à la foi, qui seule justifie (Le sacrement agit non plus ex opère operato, mais ex opère operantis).

Enfin, en novembre, paraissait le petit livre De la liberté du chrétien, qui achève la trilogie des écrits révolutionnaires de Luther. Il y précise la théorie de la justification par la foi seule. La foi, d’après lui, nous rend libres de toute obligation. Cependant, l’homme qui a la foi, s’empresse d’accomplir, par pur amour, tout le bien dont le Christ nous a donné l’exemple. Il n’est pas douteux que le peuple, toujours simpliste, aitcomprisqu’on pouvait tout se permettre pourvu qu’on eût la foi, c’est-à-dire la certitude du salut, sans les œuvres.

Cependant Rome avait parlé. La Bulle Exsurge Domine, du 1 5 juin 1510, condamnait’< 1 propositions de Luther etexigeaitdesa part unerétractation. sous menace d’anathème. En recevant cette sommation suprême, Luther bondit de colère et de rage. La haine de Rome s’exhale dès lors dans ses lettres et ses écrits, en invectives forcenées et brûlantes. Le 17 novembre, il renouvelle son Appel au Concile, — simple artifice de procédure de sa part, — puis le 10 décembre 1920, il brûle publiquement la Bulle du pape, à Wittemberg, en disant : « Parce que tu as tourmenté In vérité de Dieu, il te tourmente à ton tour dans ce feu.* » A quoi tous les assistants répondent : Amen (voir Grisar, Luther, J, p. 3}o, note). Finalement, leojanvier 15ai, Lkon X lança l’excommunication.

La parole était à l’empereur, pour l’exécution des conséquences civiles de cette mesure. L’empereur était alors Ciurlbs-Quint, qui venait d’arriver au trône. A la demande du légat Jkiiômr Alkandrb, Charles-Quint résolut d’intervenir. Il ne crut pas pouvoir cependant procéder immédiatement contre Luther et il le convoqua à la diète de Vorms. en lui adressant un sauf-conduit. Luther comparut le 18 avril 1 5a 1 et prononça, en pleine assemblée, ces paroles fameuses : « PuisqueSa Majesté Impériale et les seigneurs désirent une réponse simple, j’en

donnerai une qui n’aura ni cornes ni dents : A moins d’être convaincu par des preuves d’Ecriture et des raisons évidentes, — car je ne crois ni au Pape ni aux Conciles seuls, lesquels, cela est certain, se sont souvent trompés et contredits, — je suis lié par les textes que j’ai apportés tt ma conscience est captive des paroles de Dieu. Je ne puis ni ne veu.r rien rétracter, parce qu’il n’est ni sûr ni convenable d’aller contre sa conscience. Dieu me soit en aide ! Amen. »

Cette réponse ne luissepas que d’être impressionnante. Notons toutefois que le principe sous-entendu dont s’inspire Luther, à savoir que « quand on a un texte clair, l’on doit s’y tenir, alors même que l’explication des Maîtres serait contraire », est essentiellement fallacieux. Ce principe, Luther l’avait formulé à la Dispute de Leipzig^ le l juillet 151g. Jean Eck avait répliqué avec beaucoup d’à propos :

« Si le texte est si clair, comment les divins Docteurs

ne V auraient-ils jamais compris ! » et il concluait que

« personne ne doit interpréter la Bible d’après sa

raison individuelle, mais seulement d’après le sentiment des Pères ». De toute évidence, la religion du Christ n’avait plus à être découverte, quinze siècles après les Apôtres I Autrement ce serait à désespérer de la vérité. Ce n’est pas en vain que le Christ a fondé une Eglise hiérarchisée, indéfectible, infaillible, et lui a promis son assistance « jusqu’à la consommation du siècle » (voir Saint Matthieu, xxviii, ao).

Luther, ayant refusé de se rétracter, fut mis au ban de l’empire. Mais comme il jouissait du saufconduit jnsqu’à son retour à Wittemberg, l’exécution de la sentence était réservée à son prince immédiat, Frédéric le Sage. Celui-ci le fit enlever mystérieusement, pendant le voyage de retour, et mettre en sûreté sous an déguisement, au château de la Wartbourg (4 m li 15ai). Frédéric ne comprenait rien aux querelles théologiques et il tenait à son Luther, parce qu’il voyait en lui l’ornement et la gloire de la jeune Université de Wittemberg, fondée par ses soins, en 150a. On appelait Frédéric « le Renard saxon ». C’est grâce à lui que Luther échappa aux foudres impériales.

VIII. Fondation de l’Eglise protestante (1 5a 1-1629). — Luther resta dix mois à la Wartbourg. Les troubles intimes, qui toute sa vie l’avaient tourmenté, reprirent de plus belle en sa profonde solitude. Il se demandait anxieusement : « Es-tu donc le seul sage ? Tous les autres se trompent-ils ? Tant de siècles onl-ilsété dansl’ignorance ? » — C’était, on s’en souvient, ce que Eck lui avait objecté à Leipzig, c’était ce que Jean d’Ecken, officiai de Trêves, lui opposait de nouveau, à la diète de Worms. — « Et si tu te trompais, reprenait Luther, et si tu entraînais avectoi tant d’àmesà l’erreur et à la damnation éternelle ? » (Préface du De abroganda missa, composée à la Wartbourg et datée du i’r nov. 15ai, Weirnar, VIII, 4’"*) Son imagination terrifiée lui faisait voir le diable en personne, sous des apparences diverses : « J*. n’ai pas seulement un Satan avec moi, écrivait-il, ou plutôt contre moi… » (Lettre à SpaUtin, Il nov. 15ai, Endbrs, III, a’17). Parfois, ilsemble presque halluciné, seslettresd’alors sont bizarres, violentes, déconcertantes. Ilest visiblement malade de corps et d’esprit. C’est le moment qu’il choisit pour aborder la délicate question du célibat ecclésiastique et des vœux de religion. Des nouvelles inquiétantes lui arrivent de Wittemberg. Son ancien collègue, Karlstadt prend, à sa place, la tête du mouvement. Un de « es confrères augustins, Gabriel Zwillihg, le supplante comme prédicateur. 605

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I.utlier supporte impatiemment les initiatives de ces rivaux, qui lui ravissent son prestige et sa gloire, vu surplus, on passe de la parole aux actes. Les prêtres se marient, les moines sortent du couvent, les rites sacrés delà Messe sont bouleversés. ANoël lôai, lvarlstadl célèbre une messe évangélique, en habit séculier et donne la communion sous les deux espèces, me’nie k ceux qui ne si" sont pas confessés et ne sont pas à jeun. Bientôt apparaissent des « prophètes » venant de Zwickau. Ce sont les premiers anabaptistes. On commence à faire la guerre aux images. t)n prétend abattre même les crucilix. Le désordre est à son comble. En apprenant tout cela, Luther s’emporte et s’indigne. Jusqu’en décembre îôai, il fait effort pour suivre les progrès de ses adhérents, il écrit contre la Messe et contre les Voeux monastiques. Puis un revirement radical se produit dans son esprit. Il s’élève contre les novateurs et les fanatiques. Il se prépare à enrayer le mouvement révolutionnaire. Enfin, il n’y tient plus. Le i c’mars 15aa, il quitte audacieusement la Wartbourg, rentre à Wittemberg, au mépris du or ban impérial » qui le frappe, monte en chaire à l’Eglise paroissiale et, en huit jours de sermons consécutifs, il réussit à calmer les esprits, à rétablir l’ordre. Il comprend dès lors qu’il lui faut organiser son Eglise. Il avait rêvé d’une religion démocratique dans la liberté et l’égalité. Il évolue vers la fondation d’une Eglise d’Etat, sans aucune liberté et sans nulle égalité. Il fait la guerre aux anabaptistes, aux iconoclastes, aux émeutiers de toute nature. Il les appelle d’un nom collectif : die Schwàrmgeister, qui signifie les Fanatiques ou les Extravagants.

La Révolte des Paysans, en ]5a4-15a5, acheva de lui ouvrir les yeux. Il fut aussi farouche dans la répression qu’il avait été hardi à promouvoir la révolution. Son ouvrage intitulé : Contre les bandes pillardes etmeurtrièresdes paysans (mai 15a5) était un appel sanglant aux seigneurs contre les malheureux révoltés, qui s’étaient pourtant recommandés de lui et de son Evangile. On y lisait ces lignes : « Chers seigneurs, délivrez-nous, sauvez-nous, secourez-nous, ayez pitié des pauvres gens (que nous sommes), sabrez, frappez, égorgez tant que vous pourrez.’» Et comme on avait trouvé son écrit trop violent, il riposta par un nouveau pamphlet, plus brutal encore que le précédent : « Un anarchiste, y disait-il, n’est pas digne qu’on lui apporte des raisons, car il ne les accepte pas. C’est avec le poing qu’il faut répondre à tous ces gens-là, pour leur faire jaillir le sang du nez. » Mais le poing, ce n’est pas encore assez. Luther ne craignait pas d’ajouter ces lignes horribles : « Les paysans ne voulaient pas entendre… Il a fallu leur défie : 1er les oreilles à coups d’arquebuse, au point que les cervelles volaient en l’air, A de tels écoliers, il fallait une telle férule ! » Et il concluait par cette phrase qui résume son idéal politique : « l’âne veut recevoir des coups et le peuple veut être gouverné par la force. Dieu le savait bien, ca> il n’a pas donné aux gouvernants une queue de renard, mais un sabre. » (Wbimar, XVIII. 396-397.) Déjà, ’dans un ouvrage antérieur, Contre les prophètes célestes [Anabaptistes], de décembre 1 5a’i, il s’était exprimé en termes analogues ; « Pour la foule grossière, pour /fer Oinues [Monsieur Tout-le-monde], il est indispensable de la presser corporellement et avec rudesse pour qu’elle accomplisse des œuvres, et de la sorte la foule doit être pieuse extérieurement sous la menace de la loi et du glaive, comme les bâtes fauves sont réduites par le fer et la cage. » (Sur tout cela, voir Chistiam. f.uther et la question sociale, Paris, Tralin, 1919., p. 77 à 133)

Mais si Luther réagissait avec violence contre les

excès des t fanatiques de gauche », contre un K.uu.stadt, qu’il faisait expulser, contre un Miknziui, qui allait périr misérablement dans la guerre des paysans, il n’était point disposé pour cela à revenir en arrière, à se remettre lui-même dans le rang et dans l’ordre, par une rétractation de ses erreurs et un acte de soumission au chef de l’Eglise. Tout au contraire, il achevait de rompre avec son passé catholique et monacal. Il quittait le froc, en décembre 15a4, et six mois plus tard, le 1 3 juin 15a5, il donnait l’effroyable scandale de son mariage avec une ancienne moniale cistercienne, Catherine de Sera, dont il devait avoir cinq enfants, trois fils et deux filles. Ses amis eux-mêmes trouvaient qu’il se déconsidérait par là. MKLANCHTHON, son plus intime collaborateur, écrivaità Camerarius, ces lignes désolées (en grec) : t Vous serez surpris d’apprendre qu’en un temps si tristefen pleine guerre des paysans] et parmi les infortunes de tant de braves gens, Luther semble se désintéresser des misères publiques, se plonger dans les réjouissances, ravaler sa dignité, au moment même où l’Allemagne a le plus besoin de son savoir et de son autorité. Voici comment la chose est arrivée, à mon sens : c’est « in homme excessivement mobile (w ? /uHiary tù^tphi)’, et les nonnes l’ont travaillé en l’enveloppant de leurs intrigues sansnombre. A vraidire, sesfréquentations trop continuelles avec les nonnes l’ont amolli et allume, malgré la vigueur et l’élévation deson esprit… Le bruit qui a couru que sa femme était déjà enceinte est évidemment faux. Mais ce n’est plus le moment de s’attrister du fait accompli ni de le critiquer. En somme, je crois qu’il était contraint par la nature de se marier… Et comme je vois que Luther lui-même semble affligé et tourmenté de ce changement dévie, je m’efforce de le consoler… Ausurplus, j’espère que sa nouvelle existence le rendra plus sérieux et le fera renoncer aux bouffonneries que nous avons souvent blâmées chez lui. » (Cette importante lettre est un document écrasant pour Luther. Elle a été publiée dans Sitzungsberichte der philos, -philol. und historischen Classe’der k. bar. Akademie der Wissenschajten zn Mûnchen, année 1876, p. 601.) EnASMK, qui était justement engagé dans une violente polémique contre Luther, à propos du serf arbitre, ne manque point de lui décocher un trait de sa façon, à l’occasion de son mariage : c Les comédies, écrivait-il, finissent d’ordinaire par un mariage… Luther commence déjà à être plus doux et sa plume n’est plus aussi méchante. Il n’est rien de si sauvage qu’une épouse ne l’apprivoise ! » La position de Lutherétait singulièrementdifïicile et son attitude contradictoire. D’une part, il violait sans scrupules toutes les lois de la discipline ecclésiastique, changeait les dogmes, modifiait le culte, renversait les traditions. D’autrepart, il combattait la révolution et prétendait imposer au peuple une piété dont les dogmes de la corruption totale de l’homme, du fatalisme absolu, et de la justification par la foi seule devaient être les sources génératrices. Il ne pouvait aboutir. La faillite de son Evangile fut bientôt évidente. Luther s’en rendit compte lui-même. Dès 15a5, il écrivait : « Il n’est pas un de nos évangéliques qui ne soit aujourd’hui sept fois pire qu’il n’était auparavant, dérobant le bien d’autrui, mentant, trompant, mangeant, s’enivrant et se livrant à tous les vices, comme s’il ne venait pas de recevoir la sainte parole. » (Œuvres, édition d’Erlangen, XXV III, 4 20.) Son désenchantement le conduisit de la religion de liberté, qu’il avait voulu inaugurer, à une religion d’Etat, qui en était tout le

1. Quelques auteurs traduisent : excessivement léger. 607

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contraire. On ne saurait rien dire de plus fort, pour dévoiler son erreur et prouver la banqueroute de son système religieux, que ce qu’il écrivait lui-même, le 7 janrier 1527, à son ami Spalatin :

« Jusqu’à présent, par une folle espérance, je présumais

des hommes quelque chose de surhumain, à savoir qu’on pouvait les conduire par V Evangile. Mais l’expérience démontre qu’au mépris de l’Evangile ils doivent être contraints par les lois et le glaive. » (Endbrs, VI, 6)

Ce fut une bonne fortune, pour Luther, en ces conjonctures de rencontrer dans son souverain, le princeélecteur de Saxe, le secours qu’il attendait. Frédéric le Sage était mort. Son frère Jean le Persévérant lui succéda (5 mai 15a5). Jean était entièrement gagné aux idées de Luther. Il devait déclarer, dans la suite, qu’il sacrifierait la paix plutôt que « le moindre article de la vérité luthérienne ». Leprédicant Hausm a.nn, un ami de Luther, fut le premier à lui proposer de prendre en main l’administration religieuse de l’Electorat, de prescrire une visite des églises, et d’imposer une règle de foi, de culte et de prédication, obligatoire dans tout le pays (lettre du 15 mai 1515, quelques jours avant la mort de Frédéric le Sage). Hausmann invoquait, pour convaincre le prince, l’exemple des rois de l’Ancien Testament. On allait donc rétrograder jusqu’à une époque antérieure au Christ. Le principe de la séparation du spirituel et du temporel, établi par Jésus, serait supprimé. Obligé de choisir entre l’anarchie et la théocratie, Luther s’arrêtait à la théocratie. Car Luther est pleinement d’accord avec Hausmann. Il a sans doute inspiré sa supplique. En tout cas, il l’approuve, il l’appuie. Dans une lettre du 31 octobre 15a5, il écrit à l’Electeur, il lui représente l’état misérable des paroisses, la détresse des pasteurs.

Les revenus des églises disparaissent. Personne ne paie, on ne donne plus rien. Autrefois, gémit Luther, on achetait volontiers même les Indulgences. Maintenant les paroissiens demeurent indifférents à la pénurie de leurs curés (luthériens). Les écoles tombent également. Il appartient au gouvernement de prendre des mesures énergiques, autrement tout s’en va : religion et ministres, écoles et écoliers.

On ne saurait trop remarquer la régression déplorable qui, sous le beau nom de Réforme, s’opérait ainsi en matière religieuse, dans les mœurs politiques. Même au Moyen Age catholique, l’intervention de l’Etat dans les questions de conscience ne se produisait que rarement, dans le cas d’hérésie déclarée et condamnée par le pouvoir ecclésiastique. Maintenant, c’est une action habituelle et constante qui lui est demandée.

Le dogme, la morale, le culte, tout rentre dans ses attributions. La religion ne sera plus qu’un département de l’administration publique. Elle dépendra désormais, en pays protestant.de chaque souverain, et les sujets n’auront d’autre droit que celui de réciter passivcmentle Credo des théologiens couronnés, à qui seuls il appartient d’apprendre au peuple ce qu’il doit croire ou ne pas croire.

L’Electeur Jean de Saxe prêta une oreille complaisante aux suggestions de Luihrr. Dès 15a6, l’autorité civile commence à réglementer le culte, elle impose la Messe allemande, elle organise la Visite des églises (autrefois confiée aux évoques). Cette Visite eut lieu en 1537. Elle révéla une situation lamentable. Luther en fut encore davantage affermi dans sa manière de voir. Une voix cependant s’éleva, celle de Jean Agricola, pour réclamer

« la liberté des consciences » — le mot est textuel.

Luther lui répondit, le 31 août 1627, non sans embarras, mais dumoins sans ambages : « Prends patience,

disait-il, étouffe tout désir de discussion à ce sujet, de peur que cette œuvre nécessaire (opus necessarium )dt la Visite [des églises] ne soit arrêtée dans sa course avant l’heure et sans raison suffisante. Le Christ nous accordera que tout se passe avec rectitude. .. » (Endbrs, VI, 84.) Il faut absolument, pensait Luther, arriver à l’uniformité. Or cela est impossible sans contrainte. Il fautprendre le peuple tel qu’il est. Lui prêcher la liberté spirituelle, c’est engendrer chez lui la liberté charnelle ; il faut donc revenir aux méthodes qui réussissaient autrefois et, devant ces imaginations grossières, ne pas avoir peur de dresser les perspectives effrayantes de l’enfer, exiger les œuvres, car « l’estime des œuvres nous est incorporée, innée, elle vient de la nature elle même » (Luther à Agricola, même lettre que ci-dessus, Endbrs, VI, 85). Aussi, malgré les protestations d’Agricola, Luther poussa-t-il à la publication de l’Ordonnance ou Instruction de la Visite des Eglises. Cette Ordonnance, promulguée le 22 mars 15a8, doit être regardée comme la charte fondamentale de l’Eglise luthérienne, en tant qu’Eglise d’Etat.

Dans la Préface de ce document, on lisait ces lignes de la main de Luther : « La lumière de l’Evangile ayant été restituée par la divine miséricorde, … nous avons désiré que la fonction épiscopale fût rétablie ainsi que la Visite des Eglises. Mais comme personne parmi nous n’avait d’appel ni d’ordre pour une œuvre si importante, nous avons prié humblement l’Electeur Sérénissime, Jean, duc de Saxe, constitué indubitablement, par Dieu, prince de la région, — bien qu’il ne fût pas obligé par la loi humaine de nous entendre, au nom de la charité chrétienne et pour l’amour de Dieu, de prendre en main le soin de l’Evangile et du salut de ses sujets et de déléguer à cet effet des hommes de valeur et de conscience. »

Luther abdiquait ainsi entre les mains de l’Etat. Sa Réforme s’achevait en Constitution civile du Clergé ; et cette Constitution elle-même reposait, en dernière analyse, sur le principe du droit divin des princes, principe que le gallicanisme affectionnait, mais que Rome n’a jamais adopté.

Ici s’arrête l’évolution religieuse de Luther. Sa vie n’a plus désormais qu’un intérêt biographique particulier. Elle n’appartient plus à l’histoire de la Réforme. Le luthéranisme entre dans la vie politique internationale par la fameuse Protestation des princes de la minorité, à la diète de Spire (19 avril 15ao, ).Il se donne nn Symbole officiel l’année suivante parla Confession d’Àugsbnurg (a5 juin 1530). Cette confession sera analysée ci-aprés.

Luther avait bien des fois déclaré que le pouvoir de Rome était un pouvoir de fait, d’origine humaine, nullement un pouvoir de droit, voulu par Jésus-Christ ; mais quand il s’agit de lui-même, son succès (relatif, car il visait sûrement à la conquête de toute la chrétienté) lui apparait comme une marque d’approbation divine. Il y voit, à la lettre, un mirarle de la Providence, une confirmation suprême de son « Evangile », une preuve évidente de la divinité de sa mission. Il demeure jusqu’à sa mort le théologien par excellence de son Eglise. Les princes le consultent. Ils le mettent parfois dans un terrible embarras. La p dilique a de si terribles exigences. On lui demande notamment si les seigneurs luthériens peuvent se liguer entre eux et au besoin faire la guerre à l’Empereur. Luther hésite longtemps. Le respect traditionnel d’un si grand nom arrête sa plume. Il se déclare à plusieurs reprises contre les « guerres de religion ».

Puis il cède aux circonstances et, en octobre 1530, il fournit aux princes de son Eglise un « avis théologique » où il déclare permise la guerre à l’Empe 609

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reur. Peu après, l’Electeur de Saxe et le Landgrave de Hesse prenaient l’initiative de la fameuse Ligue de Smalkulde (27 février 1531), dont l’importance venait moins du nombre de ses adhérents, que de leur variété de rang et de croyance etde leur situation géographique. On y voyait pèle-mêledesprincesavec des villes, des Luthériens avec des Zwingliens, des souverains du nord et du sud, de l’est et de l’ouest. La ligue formait un Etat dans l’Etat, elle recevait de§ envoyés étrangers et en expédiait elle-même au dehors. L’Allemagne était coupée en deux. Luther, que les Allemands vénèrent comme un de leurs grands hommes, a brisé l’unité allemande, accentué le particularisme, favorisé l'étranger, notamment la France, provoqué à distance les effroyables guerres de religion qui devaient si profondément ruiner l’Allemagne. Il s’est servi desprinces. Mais lesprinces se sont encore davantage servis de lui.

Un des faits les plus connus, à ce propos, est celui du Landgrave de Hesse arrachant à Luther l’autorisation de vivre dans la bigamie. Luther essaya d’abord de résister. Il craignait le scandale. Il demanda au Landgrave le secret le plus absolu. La Bible en main, il croyait pouvoir autoriser le second mariage désiré par le prince. Il espère cependant qu’une discrétion convenable couvrira son approbation. Le mariage est célébré le 4 mars 1540, en présence de Mclanchthon. Mais bientôt le scandale éclate. La Chambre impériale s'émeut. Les lois d’empire interdisent la bigamie sous peine de mort. Mélanchlhon s'épouvante. Il en tombe malade de chagrin et de frayeur. Mais Luther rit de sa peine. Il sait que le Landgrave est un personnage trop important pour qu’on y touche, et il dit un jour à sa table : « Pourquoi ce bon Philippe [Mélanchthon] se tourmente-t il à ce point ?… Moi, je suis endurci, je suis un rustique et rude Saxon I… Comme nos papistescrieront ! Maisqu’ils crient, c’est pour leurpropre ruine ! … Si nous avons desscandales, le Christ en a eu aussi… » (Voir Cristiani, Les Propos de table de Luther, dans Revue des Questions historiques, 1912.)

On voit de quelle nature fut en général l’intervention de Luther, dans le domaine de la politique. Sa vie personnelle est celle d’un professeur d’Université, qui fait régulièrement ses cours à Wittemberg, publie une grande quantité d’ouvrages (la liste de ses œuvres, dressée par le P. Sinthriin, pour l’ouvrage du P. Grisar, compte 426 numéros, de 1510 à 1546) et s’entoure de nombreux et enthousiastes disciples. II loge au Couvent noir, l’ancien couvent des Augustins, dont l’Electeur lui a fait cadeau. L’avaricieuse Catherine dirige son intérieur, nourrit à sa table des pensionnaires moyennant finances, et se mêle parfois auxdiscussions théologiques, soulevées pendant le repas. Les Propos de table nous renseignent admirablement sur la nature des conversations qui assaisonnent les banquets de famille. C’est -là qu’il faut chercher le portrait de Luther.

IX. Portrait de Luther. — Pendant des siècles, catholiques et protestants ont puisé à l’envi dans l’arsenal des Propos de table des arguments pourou contre Luther. Les protestants ycherchaient surtout les récits que Luther aimait à faire de ses souffrances intimes sous le joug étouffant de la discipline catholique. Les catholiques y trouvaient matière à scandale dans les trivialités, les grossièretés, les calomnies dont ce recueil est plein. Aujourd’hui, en face des cahiers originaux et authentiques, dont la collection des Propos de table fut primitivement formée, notre curiosité va surtout au Réformateur lui-même, aux sentiments qui l’animent, aux pasTome IV.

sions qui l’agitent, aux mobiles plus ou moins élevés qui le guident, à son caractère et à son àme, en un mot. Sans douteon doit se rappeler sans cesse la nature spéciale de ce genre de documents. Ce sont I des Propos de table. Or, après avoir été pendant des heurespenchésurson travail, à sa table derédaction, après avoir porté tout le jour le fardeau des préoccupations et des soucis que lui donne l’avenir de son Eglise, après avoir enseigné, prêché, discuté, combattu, en lutteur infatigable et obstiné, contre ses nombreux adversaires : papistes, sacramentaires, anabaptistes, calvinistes, le Réformateur éprouve le besoin, cela se comprend, de se détendre et de se reposer l’esprit en « 'asseyant parmi ses hôtes et ses disciples. Nous ne serons donc pas trop surpris du ton souvent enjoué et plaisant qu’il prend pour parler des choses les plus sérieuses. Dudoublepenchant qui le pousse et à traiter des sujets qui lui tiennent le plus au cœur et à échapper un instant au poids des affaires, résulte, dans ses Propos de table, un curieux mélange de comique et de grave, de badin et de mystique, de risible et d’austère, qui heurte parfois violemment notre goût de la mesure et des convenances, et qui nous choque par une absence presque totale de délicatesse, de tact et de dignité. Ce n’est pas ainsi, à coup sûr, que l’on se représente un Réformateur, un nouvel « Evangéliste », un autre « saint Paul », un « Elie », ainsi qu’il s’appelait lui-même, ou se laissaitappeler par ses admirateurs (voir Grisar, Luther, II, 660).

Mais ce qu’on trouve là, en un relief saisissant de vie et de vérité, c’est ce que les Allemands ont souvent appelé le type parfait de l’Allemand, — kerndeutsch, comme ils disent, — c’est-à-dire un -homme plein de sève et d’entrain, qui cache sous une enveloppe de bonhomie d’ordinaire très gourmée et pour ainsi dire rengorgée, une sensibilité excessivement irritable et comme un remous perpétuel d'émotions et de pensées, tour à tour violent et calme, menaçant et enjoué, sérieux et plaisant, terrible et attendri, renfrogné etexubérant, toujours un peu rustique, souvent grossier et mal élevé.

Le plus habituellement, il pontifie. Il apparail à sa table, le front lourd de soucis et de réflexions. Tout le monde respecte son silence. Soudain, il amorce la conversation. Chacun des convives parle à son rang, suivant son grade et son importance. Chacun d’eux attend le moment que la hiérarchie lui assigne pour lâcher son petit mot.

Il faut voir dans Mathbsius le récit de ces repas, l’empressement, la curiosité, l’admiration naïve des disciples, le soin avec lequel ils relèvent les moindres paroles du Maître. Dès qu’il daigne descendre de sa solennité un peu distante, dès que la glace est rompue, quelles aubaines pour ses jeunes pensionnaires. Il » saisissent leurs plumes, leur cahier de notes, ils oublient de manger, et furtivement, hâtivement, sur le coin de la table dont ils occupent le bout inférieur, ils notent à la volée ce qu’ils entendent, les discours, les plaisanteries, les sentences, les décisions de l’oracle infaillible. Le sujet qui domine dans ces conversations, c’est la haine du Pape. Celte haine fut la passion dominante de Luther. A propos de tout et de rien, il tonne contre le pape. On sait qu'étant tombé malade à Smalkalde, en 1 537, il ne trouvait pas de recommandation plus pressante à faire aux siens, en une minute qui pouvait être la dernière de sa vie, que cette recommandation forcenée : fmpleat vos Dominus odio papæ ! On sait aussi que l’un de ses derniers ouvrages, en 15/|.">, avait pour titre : Contre la Papauté fondée à Rome par le diable.

C’est ce livre qu’il faut lire pour se rendre compte

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de la virulence, du mauvais goût, de la passion Laineuse du Réformateur. Le pamphlet se termine par ces mots que nous pouvons regarder comme le testament de Luther : « Viens ici, Pape-àne, avec tes longues oreilles d’àne et ta gueule damnée de mensonge ; le » Allemands ont reçu l’empire romain, non de ta faveur, niais de Charlemagne et des empereurs de Constantinople. Tu n’en as pas fourni la largeur d’un cheveu. Mais tu en as volé incommensurablemeni davantage par tes mensonges, tes tromperies, tes blasphèmes, tes idolâtries, en te conduisant eomm ? un diable envers les évêques par des mensonges d’abord, ensuite par les palliums, les serments, les taxations de toute sorte… Mais je dois m’en tenir là. Si Dieu le veut, je ferai mieux dans un autre livre ; si je meurs auparavant, Dieu veuille qu’un autre le fasse mille fois plus violent. Car la papisterie diabolique est le plus grand fléau de la terre et le plus menaçant pour nous, que tous lesdiables aient pu fabriquer avec tout leur pouvoir. Que Dieu nous aide. Amen I »

S’il est vrai de dire : c Le style, c’est l’homme », Luther se peint toutentier dans sa manière d’écrire, abondante, torrentueuse, fangeuse. Il déforme tout, il exagère tout, il dépasse à tout instant les limites de la justice, de la modération, du bon sens. Il est grisé par l’ivresse du verbe. Il parle volontiers de sa « rhétorique ». Il joue de la parole comme un artiste des rues joue de l’accordéon, sans relâche et avec un orgueil naïf, qui conflne parfois à l’absurdité. Que penser de l’homme qui a écrit ceci : t II n’a existé personne avant moi qui ait sa ce que c’est que l’Evangile, que le Christ, que le Baptême, que la Pénitence, qu’un sacrement, que la foi, que l’esprit, que la chair, que les bonnes œuvres, que les dix commandements, que le Notre-Père, que la prière, que la souffrance, que la consolation, que l’aulorité civile, que le mariage, que les parents, que les enfants, que le maître, que le serviteur, que la femme, que la servante, que le diable, que l’ange, que le monde, que la vie, que la mort, que le péché, que le droit, que la rémission des péchés, que Dieu, qu’un évêque, qu’un curé, que l’Eglise, que la croix. Bref, nous ne savions absolument rien de ce qu’un chrétien doit savoir… Mais maintenant, Dieu merci, homme et femme, jeunes et vieux savent leur catéchisme. » (Dans Avertissement à ses chers Allemands (1530), Wiumar, XXX, 3 ; p. 317)

On voit que ce n’est pas sans raison que certains de ses partisans même l’avaient surnommé Doctor lirperholicus et l’accusaient « de faire un chameau d’une puce, de dire mille quand il ne pensait que cinq et de parler à bouche que veux-tu, vérité ou erreur. » (Voir Grisar, Luther, II, 663, citant Spangrmieru, un disciple fanatique de Luther, qui défendit la réputation du Réformateur, en 21 serinons,

l5f>2)

C’est pourquoi, dans les jugements que porte Luther sur les choses et les hommes de son temps, il ne faut pas rechercher ce que ces choses et ces hommes étaient en réalité, mais la déformation passionnelle que leur image subit en se reflétant dans son esprit, et c’est en définitive la nature de cet esprit même, si excitable, si mobile, si excessif, si peu équilibré et judicieux.

Et ce sont ces défauts qui expliquent en grande partie son sucées. Il eut l’art de donner une ex pression ardente, passionnée, contagieuse, à desaspiration", à des récriminations qui étaient répandues dans toute I’Allemagne de son temps. La foule n’aime ni les timides ni les modestes, ni les délicats. Les grosses vantardises de Luther, ses injures à l’adresse de ses ennemis, ses attendrissements, sa rudesse, sa verdeur de

langage, sa trivialité, ses inlassables répétitions, ses déclamations sonores et creuses, c’était bien cela qu’il fallait pour soulever les masses. A son appel, se flt une coalition étrange d’appétits scandaleux, de désirs trop légitimes de réforme, de besoins de nouveauté, de passions nationalistes, de réalisme et de mysticisme. Il ne sut pas comprendre que, pour reformer une société, il ne faut pas commencer par s’en exclure. Il n’eut point l’art de sympathiser avec le grand malade qu’il voulait guérir. Dieu s’est servi de lui, dira l’historien catholique, pour provoquer dans l’Eglise un salutaire sursaut d’horreur et de terreur, mais la vraie Réforme fut accomplie par d’autres, sans lui et contre lui.

X. Mort de Luther. — Luther mourut, dans sa 63* année, au lieu même de sa naissance, le 18 février 1 546. On a prétendu longtemps qu’il s’était suicidé, dans un accès de désespoir Bozu : s et Sbdulius, au xvi’siècle, se sont faits les échot de cette rumeur sans fondement. Nous avons sur sa dernière maladie le témoignage irréfutablede l’apothicaire Jean Landau, d’Eisleben, qui fut appelé auprès de Luther moribond. Landau était demeuré catholique, sa relation estcelle d’un témoin oculaire. Il en résulte que le Réformateur fut emporté subitement par une attaque d’apoplexie ou une congestion, à la suite d’un dîner très gai où il avait amusé tout le monde par ses habituelles bouffonneries. Il commença à être indisposé vers huit heures du soir et rendit l’âme un peu après minuit. Jonas et Cœlius ont rapporté que peu d’instants avant sa mort, ils lui crièrent à l’oreille : « Révérend Père, voulez-vous rester fidèle au Christ et à la doctrine que vous avez prèchée ? »

— « Oui ! » répliqua le mourant d’une voix très distincte. Ce fut sa dernière parole (Voir Paulus, Luthers Lehensende, Fribourg, 1898).

Bibliogbaphir. — La bibliographie de Luther et du Luthéranisme est immense ; citons seulement l’essentiel :

a) Sources. — Luther* Briefvechsel, Endbrs, i 884 et suiv. — Luthers Wcrhe, édition d’Erlangen, 18261 883, — édition critique de Weimar, 1883 et suiv. — Les Propos de table y ont été publiés pendant la guerre, d’après les originaux. — Corpus Reformatorum, œuvres de Mélanchthon, tomesl à XXVIII (1834-1860). — Archiv fur Reformationsgeschichfe, Texte und Untersuchungen in Verbindung mit dem Vcrein fur Reformationsgeschichte, depuis 1903. — Quellen und Darstellungen ans der Geschichte des Reformations/ « l<ihuridert, deis 1907. — Beitràge zur Reformationsgeschichte aus Biichern und Handschriften der Zwickauer Bibliothek, depuis 1900. — Quelleiisrhri/ten zur Geschichte des Protestantisnuts, Leipzig, depuis 1903.

b) Biographies ou histoires. — Ouvrages protestants : J. Kostlin, Martin Luther, 2 vol’883, — 5e édition par Kawerau, Berlin, 1903. — Th. Kolde, Martm Luther, Gotha, 1884 et s., ae éd. 1893. — M. Rade, DoUnr Martm Luthers I.eben, Neusalza, 188 : ^.— F.Kuhn, Luther, sa vie et son œuvre, Paris, 1 KK3-188/1 (3 vol.).— Arnold BHRCHn, .V « r/i>i luther in kulturgeschichtlicher Darstellung, 189^-1919. — Cet ouvrage, dont les volumesont paru à de grands intervalles, s’est terminé en 1919, par une étude sur Luther et lu Civilisation allemande (Luther und die deutsche Kultur, ybo pages : quatre parties : Luther fondateur d’Eglise et théologien, — Luther moraliste et socialiste, — importance de Luther, pour la science, l’éducation et l’art, — Luther et la littérature allemande, — c’est un panégyrique 613

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enthousiaste et continu). — G. Buchwald, Doktor Martin Luther, Leipzig et Berlin, 2* éd., 191 7, 1 vol.

— Ad Uausrj’.h, l.utliers Leben, % vol., ae éd.. 1906.

— J. Kôstlin, Luthers théologie, a vol., ae éd., 1901.

— F. Kuhn, Le christianisme de Luther ; Revue chrétienne, 1900. — H. Boeliiner, Luther irn Lichte der neucren Forschung, Leipzig et Berlin, J’éd., 1907. — Jundt, Le développement de la pensée religieuse de Luther t Paris, 1900. — O. Sclieel, Martin Luther, tome I, 1916(Tubingue), — tomell, 191 7. — Henri Strohl, L’évolution religieuse de Luther, jusqu’en 1515, Strasbourg, 1922 — [une suite est annoncée. Asignaler l’erreur énorme de cet auteur qui, à proposd’unelettre de Luther, du 16 juin 1 5 1 4, écrit (op. cil. p. 1 ; 3) : « Cette lettre prouve que Luther avait trouvé la paix. Il n’avait pas subi un ap.iisement passager et imparfait, mais définitif. » C’est évidemment ne rien connaître de la vieintime de Luther. Ses lettres de la Vartbourg(15ai-15a2) témoignent, presque à chaque ligne, de troubles affreux.. Sa correspondance est pleine d’aveux dans le genre de celui ci : « Je me suis vu enfoncé plus d’unesemainedans la mortet l’enfer…J’avais perdu presque entièrement le Christ. J’étais agité par des vagues et des tempêtes de désespoir et de blasphème contre Dieu » (lettre de Luther à Mélanchthon, a août iôa^.ENDEns, VI, 7 1)J- — Outre les ouvrages protestants qu’on vientde signaler, consulter l’importante collection intitulée : Schriflen des Vereins fur Reformationsgeschichte, depuis 1883. Le 100e numéro de la collection a paru en 1910. Parmi les numéros récents, à signaler : Schubert, Luthers Fruhentwickelung bis 15 1 7. 1919 (n° 12^).

Ouvrages catholiques. — Nous ne remontons pas au delà de Janssen, qui a entièrement renouvelé l’histoire de cette période et dont l’ouvrage monumental provoqua une éclosion prodigieuse d’études de détail ou d’ensemble sur Luther et le luthéranisme, dans les deux camps.

J. Janssen, Geschichte des deuischenVolkes seit de m Aiisg’in » des MiitelaUers, à partir de 1876, 14e à 1 Coédition publiéeparL. Pastor. 1897- 1903. Erlaiïterungen und Ergànzungen zu.lanssens Geschichte des deutschen Volkes, à partir de 1903, par divers auteurs, sous la direction de Pastor, — H. Denitle, Luther und Lutherlum in der ersten Enlwickelung quell’nmàssig dargestellt, Mainz, 190/1-1909. Cet ouvrage, qui lit sensation, a été traduit en français parPaquier, Luther et le Luthéranisme, 4 vol. parus, Paris, Picard, et vulgarisé par L. Cristiani, Luther et le luthéranisme, Paris, 1908, 2 » éd., 1909. — H. fîrisar, Luther, 3 vol., Fribourg, 191 1-1912, atténue la rudesse des conclusions de Denifle, mais donne du Réformateur un portrait accablant. — L. Cristiani, Du luthéranisme au protestantisme, Paris, 1911, souligne la contradiction à laquelle aboutit l’évolution de Luther, entre 1 51 7 et 15a8 : d’une religion de liberté à une religion d’Etat, — Imliart de la Tour, Les origines de la Réforme, tome III. Paris, 1 9 1 4- — L- Cristiani, Les Propos det<iiU.de Luther ; Revue des questions historiques, 1911-1912. — Luther an couvent, ibid., 1914. — Luther et la question sociale, Paris, 191 2. — Luther, De la liberté dn Chrétien, traduction française avec introduction et notes. Paris, Bloud, 191^. — J. Paquier, Luther et l’Allemagne, Paris, 1918.

III. — LA. CONFESSION D’AUSBOURG — 25 juin 1530. — Analyse et critique sommaire.

I. Historique. — Après neuf ans d’absence, Charles-Quint se proposait de retourner en Allemagne, d’y présider la diète convoquée à Augsbourg et

d’y mettre Un aux discussions religieuses. Il avait reçu la couronne impériale des mains du pape Clément VII, à Bologne, le a.’i fév. 1530. Son intention était de servir de médiateur entre la cour romaine et l’Eglise luthérienne. Pendant que le légat Campeggio insistait pour la répression d’une secte déjà formellement et définitivement condamnée, l’Empereur promettait de prêter une « oreille charitable à l’opinion de chacun » (texte des convocations, du ai janv. 1530). L’Electeur de Saxe reçut sa convocation le 1 1 mars et demanda aussitôt à ses théologiens d’exposer par écrit leur croyance précise. Ils répondirent le ai mnrs par un document appelé Articles de Torg (iu (Corpus Reformatorum, II, 33 et XXVI, 171 et suiv.). Ce document ne traitait que de discipline. Cependant, le l mars, le docteur Eck avait présenté à la Cour impériale un rapport contre la doctrine protestante. Mblanohthon fut chargé par l’Electeur de lui répondre. Il le ût en rédigeant une Confession qu’il envoya à Luther, alors au château de Cobourg, pour recevoir son approbation. Luther fut satisfait de son travail et le 15 mai, il écrivait à l’Electeur, en propres termes : « J’ai lu l’Apologie de Maître Philippe… Elle me plaît beaucoup et je ne vois pas en quoi la corriger, p Cependant à quelques amis (lettre à Jonas, ai juillet if>30) il avouait qu’elle lui semblait trop diplomatique (leise treten), en ce qu’elle omettait certains articles gênants : contre le purgatoire, contre le culte des saints, contre le pape identifié à l’Antéchrist (voir Endbrs, VIII, 133). Le 1 5 juin, l’empereur fit son entrée à Augsbourg. La Confession luthérienne fut lue par Mélanchthon, le 25 juin. Elle portait les signatures de sept princes et deux villes d’empire. Les théologiens catholiques la réfutèrent. Mélanchthon aurait volontiers fait des concessions. Luther s’y opposa (Lettre de Cobourg, 26 août 1530, éd. de Wette, IV, 1 46). L’empereur termina la discussion en promettant la réunion d’un Concile et en exigeant la soumission en attendant la décision à intervenir dans cette assemblée suprême. Les partis restaient sur leurs positions.

IL Analyse. — Après une préface adressée à l’empereur et à la diète, la Confession d’Augshourg comprend deux parties : 1° Articles principaux de foi, a Enoncé des abusa corriger dans l’Eglise.

l">partie. — Elle est divisée en 2a paragraphes :

1. — de Dieu. — Sur ce point les Luthériens s’en tiennent au Concile de Nicée et professent l’unité de substance et la trinité des personnes divines. —

2. — du péché originel. — « Ils enseignent qu’après la chute d’Adam tous les hommes, issus suivant la nature, naissent avec le péché, c’est-à-dire sans la crainte de Dieu, sans confiance en Dieu, et avec la concupiscence, et que cette maladie ou vice d’origine est vraiment un péché, condamnant et méritant la mort éternelle à ceux qui n’en renaissent point par le baptême et l’Esprit-Saint. » (Cette conception du péché n’a pas été admise par le Concile de Trente, elle est en contradiction avec l’Ecriture et la tradition des Pères.) — 3. — du Fils de Dieu. — L’Eglise luthérienne s’en tient au symbole des Apôtres et au Concile de Chalcédoine, unité de personne, dualité de natures, dans le Christ. — 4- — de la justification. — Les Eglises de la secte « enseignent que les hommes ne peuvent être justifiés devant Dieu par leurs propres forces, mérites ou œuvres, mais qu’ils soni justifié s gratuitement à cause du Christ par la foi, en tant qu’ils croient être reçus en grâce et avoir le pardon de leurs péchés à cause du Christ, qui, par sa mort, a satisfait pour nos fautes : Dieu impute cette foi pour la justice devant lui ». (Cet article a été condamné au Concile de Trente, il corrompt gravement la doctrine du salut établie par l’Ecriture 615

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et la tradition catholique.) — 5. — du ministère ecclésiastique. — Contre les Anabaptistes, qui admettent une illumination directe des fidèles par l’Esprit-Saint, le luthéranisme admet « un ministère de l’enseignement de l’Evangile et de la distribution des sacrements, car par la parole et les sacrements, comme par des instruments, l’Espril-Saint est donné, où et quand il plait à Dieu, à ceux qui entendent l’Evangile, à savoir que Dieu ne justifie pas à cause de nos mérites, mais à cause du Christ ceux qui croient qu’à cause du Christ ils sont reçusen « race ». (L’Evangile est donc tout entier ramené à cette invention de Luther : justification par la certitude du salut personnel, décorée du nom de foi. Nulle part on ne sent mieux l’arbitraire de cette doctrine, toute subjective. ) — 6. — de l’obéissance nouvelle. — « La foi doit engendrer de bons fruits et il est nécessaire d’accomplir de bonnes œuvres, en obéissant aux commandements de Dieu, sans toutefois s’imaginer que l’on mérite ainsi la justification devant Dieu. » (Cet article est un de ceux qu’une bonne logique doit trouver le plus étrange. — La foi doit engendrerde bonnes œuvres. Que veut-on dire parla ? Les bonnes œuvres sont donc obligatoires ? Que deviennent alors les dogmes luthériens du serf-arbitre et de la corruption radicale et incurable de l’homme ? Nous péchons mortellement en tous nos actes, dit Luther, notre volonté est serve soit de Dieu soit du diable ? Comment concilier cela avec l’obligation de faire de bonnes œuvres ? D’autre part, si ces œuvres sont bonnes pourquoi ne mériteraient-elles pas une récompense ? Si nous faisons effort pour les accomplir, pourquoi un Dieu juste ne nous paierait-il pas de cet effort, puisqu’il chàlie en enfer ceux qui ne le font pas ? La vérité, c’est que le fameux mot : Pèche hardiment mais crois plus hardiment encore Pecca fortiter, sed fortius crede, — lettre de Luther à Mélanchthon du i*’août 1921, Enders, III, 208], avait des conséquences sociales si graves qu’il fallait insister sur la nécessité des œuvres, même si la logique et le bon sens devaient trouver cette insistance inexplicable, étant données les autres parties de la doctrine. — Voir, sur ces contradictions ^. Ckistiani, Luther et le Luthéranisme, p. 66 à g4-) — 7. — de l’Eglise. — « Ils enseignent que l’unique sainte Eglise durera toujours. Mais l’Eglise est la congrégation des saints, dans laquelle le saint Evangile est enseignécorrectement et les sacrements correctement administrés. » (Si cette Eglise doit toujours durer, elle existait donc avant Luther. Pourquoi prétendait-il alors découvrir l’Evangile ? Et si son Evangile, c’est-à-dire sa doctrine, était connue avant lui, qu’on nous nomme ceux qui la professaient. — D’autre part, qui sera juge de la correction de cette prédication de l’Evangile et de cette administration des sacrements ?) — 8. — qu’est-ce que l’Eglise ? — Contre les donalistes, les luthériens admettent que « les sacrements et la parole sont efficaces en raison de l’institution du Christ, même s’ils sont administrés par des ministres mauvais ». (Article éminemment « diplomatique » de la part des luthériens, après tout ce qu’ils avaient dit des catholiques.) — 9. — du baptême. — Sur ce point : nécessité du baptême, même pour les enfants, Luther n’a rien changé à la doctrine traditionnelle. — 10. — de la Cène du Seigneur. — « Ils enseignent que le corps et le sang du Christ sont vraiment présents… et condamnent ceux qui le nient » (zwingliens, et karlstadiens, sacramentaires en général). — 11. — de la confession. — « L’absolution privée doit être retenue dans les Eglises, bien que dans la confession l’énumération de tous les péchés ne soit pas nécessaire. Elleestimpossible en effet, suivantle motdupsaume :

Delicta quis intelligill » (On voit avecquelle légèreté les textes bibliques étaient invoqués chez les Luthériens. La vraie raison qui fait qu’on ne peut, suivant eux, exiger l’intégrité de la confession, c’est que, d’après Luther, nous péchons mortellement en tous nos actes, il faudrait donc tout dire, même ce qui serait à notre éloge. Pour éviter cet inconvénient, Luther voulait qu’on n’avouât que ce qui gênait. La confession, d’après lui, est un soulagement du cœur, elle ne doit jamais être pénible. Mais pourquoi se confesser quand on a déjà la certitude du salut ? Et si cette certitude peut se perdre, quel fondement a-t-elle donc ? Partout l’illogisme et l’incohérence.) — 12. — de la pénitence. — « Elle comprend deux parties : la contrition ou terreur de la conscience en reconnaissant son péché et la foi qui est conçue par l’évangile ou l’absolution et qui croit que les péchés sont remis à cause du Christ et console la conscience et la libère des terreurs. Ensuite doivent suivre les bonnes tcuvres, qui sont les fruits de la pénitence. Les luthériens condamnent les anabaptistes qui nient que les justes puissent perdre l’Esprit-Saint. » (Sur ce point, les anabaptistes étaient dans l’erreur, mais ils étaient logiques avec eux-mêmes.) — 13. — de l’usage des sacrements. — « Les sacrements sont institués, non seulement pour être des marques de la religion parmi les hommes (ce que disait Zwingle), mais surtout pour être les signes et les témoigu, de la volonté de Dieu envers nous, pour exciter et confirmer la foi dans ceux qui les reçoivent… Il faut donc condamner ceux qui enseignent que les sacrements justilient ex opère operato. » (On sait que ce dernier point fait partie de l’enseignement catholique. La théorie luthérienne n’explique d’aucune façon l’action du Baptême chez les enfants nouveaunés. ) — 14- — de l’ordre ecclésiastique. — « Personne ne doit publiquement enseigner dans l’Eglise ni administrer les sacrements, s’il n’est appelé officiellement (rite vocatus). » — 15. — des rites ecclésiastiques, — on ne doit pas les regarder comme « nécessaires au salut », mais « on conservera ceux qui servent à la tranquillité et au bon ordre dans l’Eglise, comme certaines fériés et fêtes ». — A mots couverts, la Confession rejetait cependant comme contraires à l’Evangile* les vœux et les traditions au sujet des aliments (maigres ou gras) et des jours (Quatre-temps, Vigiles, Carême, etc.). C’étaient surtout ces bonnes œuvres-là que le luthéranisme proscrivait. — 16. — des choses civiles, — les Luthériens condamnent les opinions antisociales des anabaptistes, ils ne veulent détruire « ni l’organisation politique ni l’ordre économique », ils regardent les institutions sociales comme voulues de Dieu : le mariage, le serment en justice, les magistratures, les tribunaux, les lois, les supplices pour les coupables, le service militaire, la guerre légitime, la propriété, les contrats légaux… (C’était une des grandes préoccupations de Luther de maintenir l’ordre social, quitte à se contredire et à condamner ceux de ses partisans qu’une logique trop hardie entraînait, en suivant ses principes, à des opinions anarchiques ou subversives.) — 19. — du retour du Christ pour le jugement. — Les luthériens admettent le jugement dernier, la résurrection des morts, le ciel et l’enfer éternels el condamnent sur ce point les anabaptistes (enfer non éternel) et les millénaristes. — 18. — du libre arbitre. — « Ils enseignent que la volonté humaine possède quelque liberté pour réaliser la justice civile et choisir les choses sujettes à la raison. Mais elle n’a pas la force, sans l’Esprit-Saint, de réaliser la justice de Dieu ou justice spirituelle, … mais celle-ci s’effectue dans les cœurs lorsque la parole de l’Esprit-Saint y est conçue. » El ils condamnent les pélagiens. (On 617

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voit combien Mélanchthon, jaloux île rétablir la responsabilité civile, était loin de maintenir dans leur rigueur, les thèses du de servo arbilrio de Luther où l’on pouvait lire notamment ceci :

« Par sa volonté immuable, éternelle et indéfectible, 

Dieu prévoit, prédit et réalise toutes choses. Cette proposition est comme un éclair qui foudroie et détruit de fond en comble la liberté humaine. » Mélanchthon, pour appuyer sa doctrine, cite l’/fvpognosticon attribue à saint Augustin, traité réellement antipélagien et où se trouve une phrase, soigneusement empruntée par Mélanchthon, de laquelle Bossuet a pu dire qu’elle insinue « l’erreur semipélagienne ». Voici cette phrase : « Le libre-arbitre ne peut commencer ou du moins achever les choses de Dieu sans Dieu » (voir Hist. des variations, livre I, i, n° 20). — 19. — De la cause du péché. — Ce n’est pas Dieu qui est cause du péché mais seulement

« la volonté des méchants, c’est-à-dire du diable

et des impies, qui, privée du secours de Dieu, s’éloigne de Dieu ». (On remarquera l’équivoque de cette proposition : veut-elle dire que Dieu ne donne point son aide pour qu’on s’éloigne de lui, ou que la volonté des méchants s’éloignede Dieu, parce qu’elle est privée du secours divin ? Dans ce dernier cas, qui serait sûrement le sens adopté par Luther, on se demande comment Dieu n’est point l’auteur du péché, puisqu’il prive les pécheurs de sa grâce, sans qu’on dise que ce soit leur faute.) — 20. — De la foi et des bonnes œuvres. — « On nous accuse injustement de prohiber les bonnes œuvres », dit Mélanchthon. Et comme cet article est le plus important de tous, il y insiste longuement dans la Confession. Il prétend qu’avant Luther on ne prêchait jamais sur la foi, mais seulement sur des « œuvres puériles et non nécessaires, telles que l’observation de certaines fêtes, de certains jeûnes, les confréries, les pèlerinages, le culte des saints, le rosaire, la vie monastique, etc. » C’est seulement depuis Luther que les catholiques eux-mêmes se sont mis à parler delà foi. Les luthériens affirment « que nos œuvres ne peuvent nous réconcilier avec Dieu, ni mériter la rémission des péchés, la grâce et la justi-Gcation, mais que celle-ci n’est obtenue que par la foi, en vertu de laquelle nous croyons que nous somm s reçus en grâce àcausedu Christ, seul médiateur et propitiateur ».

On avertit les hommes que le nom de foi ne signifie pas seulement la connaissance de l’histoire, telle que l’ont les impies et le diable, mais cette foi qui ne croit pas seulement à l’histoire, mais aussi à l’effet de l’histoire, c’est-à-dire à cet article : la rémission des péchés, à savoir que par le Christ nous avons la gràee, la justice et la rémission des péchés. »

— C’est ce qu’on a appelé la foi-confiance, opposée à la loi-croyance. On pourrait dire que la grande différence entre la théorie de la justification des luthériens et celle du Concile de Trente, c’est que pour les luthériens la présomption justifie, — tandis que pour l’Eglise catholique, c’est t la foi qui agit par famourt qui seule peut justilier. Mélanchthon cependant s’attache à sa doctrine parce qu’elle est consolant

  • . Nous touchons ici au cœur même du luthéranisme.

Il y a eu à cette époque un véritable romantisme spirituel, f.e mal du siècle, c’était l’effroi d> la conscience en face du Dieu vengeur. On le trouve chez Luther, chez Calvin, comme chez Mêla ichthon. Celui-ci écrit dans la Confession d’Augsbourg, au lieu même que nous analysons : « Toute cette doclrine doit être mise en rapport avec ce comintimpj de la conscience épouvantée, et elle ne peut être comprise sans ce combat… Les consciences pieuses et craintives reçoivent de là une grande con solation, car elles ne peuvent ètrt tranquillisées par aucune œuvre, mais seulement par la foi qui les assure que Dieu est apaisé pour elles par le Christ. » Autrefois on cherohait la consolation dans le cloître. Depuis Luther on la trouve dans la foi-certitude du salut personnel. — Mais, ajoute Mélanchthon, une fois justilié, le chrétien doit accomplir les œuvres pour répondre à la volonté de Dieu. Avec le Saint-Esprit qui est en lui, c’est chose facile. Comme disait Luther : un bon arbre rapporte toujours de bons fruits, — doctrine dangereuse et illusoire. — ai. — du culte des saints. — La Confession permet de proposer les exemples des saints, elle n’admet pas qu’on les invoque, ni qu’on leur demande du secours. — Serait-ce que les saints au paradis soient indifférents à noire égard ou que leur intercession n’a aucun pouvoir ? Ils sont doncousans amour ousans crédit I

Mélanchthon, en terminant cette première partie de la Confession, soutenait que cette doctrine des Eglises luthériennes ne s’éloignait « ni des Ecritures, ni de l’Eglise catholique, ni de l’Eglise romaine, en tant que représentée par les écrivains ecclésiastiques ». A l’entendre, les différends n’existaient qu’au sujet de certains abus t sans rapport avec la doctrine même. — La seconde partie de la Confession dénonçait donc ces abus : 1" la suppression de la communion sous les deux espèces et les processions de l’Hostie seule, séparée du calice, — 3° le célibat ecclésiastique, durement imposé en Allemagne, depuis cinq siècles (depuis Grégoire VII). Mélanchthon y est très opposé, — 3" la messe privée, qui ne se célèbre guère que par intérêt, affirme notre auteur. La Confession s’élève également contre la doctrine catholique du sacrifice de la Messe. Mais elle n’ose pas dire ouvertement que la Messe n’est pas un sacrilice, elle se contente de l’insinuer en de longues circonlocutions : i Si la messe détruit les péchés des vivants et des morts ex opère operato, dit-elle, la justification est effectuée par l’œuvre des messes et non par la foi, ce qui est contraire à l’Ecriture. » — Inutile de dire que telle n’est point la doctrine catholique, et que jamais théologien n’a enseigné

« que le Christ ayant satisfait dans sa passion pour

le péché originel, il a institué la messe pour y faire une oblation pour les péchés quotidiens [actuels], mortels et véniels ». Ceci est une invention gratuite de Mélanchthon, — 4° la confession auriculaire, avec énuméralion complète des fautes, — torture des consciences. — Cependant, dit le rédacteur, « la confession est conservée chez nous, tant à cause du très grand bienfait de l’absolution que pour les autres besoins des consciences », — 5° les traditions humaines concernant les jeûnes, abstinences, pratiques de piété, etc, — tout cela n’est fait que pour tyranniser les consciences, les éloigner de la doctrine de la foi, les troubler et les égarer, — 6° les vœux monastiques, causes, nous dit-on, de toutes sortes d’abus, soit au point de vue doctrinal (confiance dans les œuvres), — soit au point de vue moral, — "j" les envahissements de la puissance ecclésiastique. Cette dernière, assure Mélanchthon, a constamment usurpé sur le pouvoir civil. Elle a établi également une foule de lois, de décrets, de pratiques, dont l’unique résultat est l’oppression des consciences, telles que la récitation du bréviaire, le célibat ecclésiastique, les empêchements du mariage, le Carême, les Qualre-Temps, les rites de la Mf-sse et des Sacrements, etc., tout cela obligeant plus au moins sous peine de péché grave. Tout cela est manifestement abusif.

En terminant, la Confession donnait une brève mention aux abus secondaires : indulgences, pèlerinages, excommunications, etc., etc. Elle nevoyait en 619

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tout cela que dei désordres récents, et voulait faire croire qu’en matière purement doctrinale les luthériens étaient les meilleurs des catholiques. On montrera plus loin, en instituant la critique générale du protestantisme, que le dissentiment était au contraire bien plus profond. Luther n’aurait jamais été condamné comme hérétique s’il n’avait voulu que corriger des abus ou réformer des hommes. Son erreur fut justement de croire que la doctrine même était corrompue dans l’Eglise et qu’il allait redécouvrir l’Evangile.

Une des plus solides réfutations de la Confession d’Augsbourg est celle de Bossdrt dans l’Histoire des variations. Il esta remarquer cependant que les premières éditions de la Confession présentaient toutes de notables différences. Bossuet lui-même le constate. Il ne cite pas toujours le texte comme nous venons de le faire. L’analyse qu’on vient de lire est faite d’après la rédaction authentique de Mélanchthon, lue à la diète d’Augsbourg, et éditée dans Corpus lieformatorum, XXVI, 263 et suiv. — Le document était signé de Jean, duc-électeur de Saxe, — Georges, margrave de Brandebourg, — Ernest, duc deLunebourg, — Philippe, landgrave de liesse, — Jean-Frédéric, duc de Saxe, — François, duc de Lunebourg, — Wolfgang, prince d’Anhalt, — le sénat et les magistrats de Nuremberg, — le sénat de Reutlingen. On sait que les théologiens catholiques réfutèrent la Confession et que Mélanchthon défendit son œuvre dans l’Apologie de la Confession d’Augsbourg, que les Luthériens considèrent également comme un de leurs livres symboliques.

IV. — APERÇU DE L’ÉVOLUTION DU

LUTHÉRANISME AUX XVIIe ET XVIIP SIÈCLES

I. La scolastique luthérienne, — XVI* et XVII’siècles. — La luthéranisme avait été, pour une bonne part, une protestation contre la scolastique du Moyen Age. Mais la doctrine de Luther donnée comme la vérité absolue, purifiée de tout alliage humain, ne pouvait échapper à la loi fatale qui veut que trop souvent le commentaire finisse par recouvrir l’enseignement original. Les disciples, sont, en un sens, les pires ennemis du maître. Ils étouffent l’esprit en s’attachant à la lettre. Il se forma de bonne heure une scolastique luthérienne, infiniment plus sèche, plus étroite, plus intransigeante et plus disputeuse, que l’ancienne scolastique. Mklanchthon avait été le premier auteur d’une théologie systématique luthérienne, en publiant, dès 15ai, se » Loci communes rerum theologicarum seu hypotyposes theologicae. Son ouvrage, d’abord très incomplet et très sommaire, s’était développé, d’édition en édition, etil était devenu l* Manuel de. théologie luthérienne, par excellence. L’édition de 155q comptait 858 pages, au moins trois fois plus que celle de 1521. L’Eglise luthérienne reconnaissante décerne à Mélanchthon le titre de Præceptor Cermaniæ. Flacius Illyricus donna à la méthode de l’auteur le nom de synthétique (Mélanchthon passe de la cause à l’effet, des principes aux conséquences). Cette méthode demeura en honneur jusqu’à Georges Calixte (i 586-1 656).

Les principaux commentateurs du luthéranisme, marchant surlestraces de Mélanchthon, furentMARïin Chkmnitz (1522-i ^~l), mort surintendant (titre équivalent à celui d’évêque) de Brunswick. Son principal ouvrage avait pour titre : « Loci communes rerum theologicarum, qnibus et loci communes Melanchthonis perspicue explicantur et quasi integrum christianæ doctrinæ corpus ecdesiæ Dei sincère proponitur » (trois vol., Francfort-sur-le-Mein, i."><|i).

Avec Chemnitz, s’accusait déjà la tendance de l’orthodoxie luthérienne à se figer en formules fixes et à retourner au fatalisme prédestinatien de Luther, que Mélanchthon avait essayé d’adoucir. La que/elle synergisle avait éclaté un peu avant la mort de Mélanchthon, dès 1 558. Luther avait enseigné que l’homme « demeure purement passif, comme un morceau de bois ou une pierre entre les mains du statuaire, dans l’œuvre de sa conversion et de sa régénération sous l’action de Dieu ». En vain Mélanchthon avait-il timidement affirmé le libre-arbitre. Quand ses amis voulurent enseigner une coopération de la volonté humaine avec la grâce, dans la justification (c’est la doctrine appelée synergisme o » coopérationnisme), ils soulevèrent les protestations des luthériens stricts : Nicolas Amsdorp, Plaotos Illyricds. Les synergistes, PwrrJMMit, Strioai., Hukgbl bien que protégés par Mélanchthon, furent condamnés, les deux derniers même jetés en prison. Pendant un temps, on se demanda qui l’emporterait, des Flaciens ou des synergistes. Les princes, hésitants, passaient d’un camp à l’autre, et leur faveur décidait de la foi des sujets. Finalement le luthéranisme strict l’emporta.

ha. Formule de concorde en 1077, décida que dans l’œuvre de la justification, l’homme est » pire que la pierre ou le morceau de bois, parce qu’il répugne à la parole et à la volonté de Dieu ». Les principaux auteurs de cette Formule étaient Martin Chbmnitz et Nicolas Sklnbckbr (1532-160a). — La scolastique luthérienne proprement dite commence avec If.onhard Huttbr prf. à Wittemberg (1616), dont l’ouvrage principal, paru en 1619, était intitulé : Loci communes theologici ex sacris litteris diligenter euti, vtterum patrum testimonio passim roborati et confirmati, ad methodum eocorum Melanchthonis. » Mais le géant de la dogmatique luthérienne fut assurément Johann Gerhard (1082-1637), dont les Lieux théologiques, développés « en thèses nerveusement, solidement et copieusement » (textuel dans le sous titre) ne comptent pas moins de 9 volumes in-folio ! Avec Georges Calixte (1 586-1 656), un nouveau plan apparut dans les manuels luthériens. Calixte inaugurait la méthode analytique. Il divisait la théologie en trois parties : la fin (objective : Dieu, formelle la béatitude) ; — le sujet (l’homme déchu) ; — les moyens (grâce du Christ, parole de Dieu, sacrements). Il fut du reste attaqué avec violence pour ses opinions et ses tendances conciliantes. On lui reprocha de soutenir que le S3’mbole des Apôtres, commun aux catholiques, calvinistes et luthériens, contenait l’essentiel du christianisme et que tout le reste, par quoi les églises étaient divisées, n’était qu’opinion controversable. Ses plus chauds adversaires furent Abraham Calov (1612-1686), Huklsrmann, Buschbr, Wrllbr. — Ainsitoute tentative pour élargir l’orthodoxie luthérienne se heurtait à une farouche opposition. La scolastique de la secte était féroce autant que puérile. Pour donner une idée du genre de problèmes qu’on agitait au sein des écoles, rappelons seulement que, de 1616 à 1637, une formidablequerelle mit aux prises lesthéologiens de Giessen et ceux de Tubingue. Il s’agissait de savoir si le Verbe avait seulement voilé ou complètement abdiqué ses ntt’ibuls divins, en se faisant homme. Tubingue tenait pour la première solution ; on appela les partisans de cette doctrine les Cryptiques. Ceux de Giessen soutenaient que le Ch iist était vidé de toutes les prérogatives divines, ils furent dénommés les Kénotiques.

II. La réaction piétiste. — Une réaction devait se produire sous l’aiguillon de la Réforme catholique, 621

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dont la réalité se traduisait en fruits de sainteté et de conversion avec sainte Thérèse, saint Charles Horromée, saint Philippe de Néri et tant d’autres. Un certain nombre de théologiens luthériens reprirent goût à la dévotion traditionnelle et à la mystique du moyen âge. On vit apparaître, dès la tin du xvi* siècle, quantité d’ouvrages d’inspiration luthérienne, qui reprenaient la langue et le style d’un ïauler, d’un Thomas a Kempis ou de cette théologie allemande, que Luther lui même avait tant appréciée. C’était le piétismequi s’ébauchait. Le précurseur du mouvement fut Johann Arndt, né à Ballenstedt, au comté d’Anliait, en 1555. Devenu pasteur à Brunswick, Arndt publia, en 1500, le premier livre de son Vrai christianisme (vter Biichern vom wahren Christenthum). Il définissait son but en ces ternies : « d’abord détourner les étudiants et les pasteurs de cette théologie étroite et batailleuse qui menace de nous ramener à la scolastique ; ensuite, conduire les âmes de la foi morte à la foi vivante, de la science pure et delà théorie aune piété pratique et féconde ; montrer enfin ce que c’est qu’une véritable vie chrétienne, inséparable delà vraie foi.etce que signitie cette parole de l’Apôtre : Je ne vis plus, mais Christ vil en moi.’»

Arndt rencontra du côté de sa propre Eglise une opposition acharnée. On l’accusait de toutes les hérésies. Un prédicant de Dantzig, Jean Corvinus, disait de lui du haut de sa chaire, après sa mort, survenue en ibai : « Que Satan le récompense de ses ouvrages ; pour moi, je ne voudrais pas aller après ma mort là où est Arndt. »

L’œuvre d’Arndt marque un tournant important dans l’histoire intérieure du luthéranisme. Désormais les œuvres, que tant de fois on avait déclarées dangereuses, sont remises à leur place, qui est la première de toutes. Le piétisme aura même une tendance à regarder comme insignifiantes et insolubles les discussions doctrinales et à prêcher ce que Kant,

— le philosophe du piétisme — appellera le primat de la raison pratique sur la raison pure, de l’action tur la croyance, de l’amour sur la foi.

Le vrai fondateur du piétisme fut Philippb-Jacques Spbnch, un Alsacien de Ribeauvillé, grand admirateur d’Arndt. C’est lui qui commença à réagir pratiquement contre le formalisme luthérien en organisant, à Francfort, des Collèges de pieté (d’où le nom de piété tes, sobriquet dont on désigne ses partisans). Bientôt d’ardents disciples lui vinrent : A. H. Franckb, P. Anton, Sp.hadb, etc. Quand Spener mourut, en 17<>5, le mouvement était lancé. Il ne devait plus s’arrêter, Mais toute la honne volonté et tout le mérite de Spener n’empêchèrent point sa secte de tomber d’un excès dans un autre. L’orthodoxie luthérienne aboutissait presque à l’indifférentisme moral, le piétisme aboutit très vite à l’indifférentisme théologique et au rationalisme intégral. Chez Kant, l’évolution estachevée. L’existence même de Dieu est indémontrable. La croyance en Dieu est un postulat de la morale. Avant d’en arriver là, le piétisme avait passé par le ûdéisme absolu. On peut ramener à trois les principes de la théologie piétiste, au début du xvm » siècle :

I. Un vrai théologien doit être régénéré. La théologie d’un non-régénéré n’est qu’une philosophie appliquée aux choses divines, un rationalisme pur, d’autant plus choquant qu’il s’exerce en matière sacrée. Toute philosophie doit au contraire être bannie de la dogmatique. Celle-ci ne s’appuie que sur l’Ecriture et ne reconnaît aucune autre autorité. — a° Par la régénération, la volonté de l’homme, contrairement à ce qu’enseignait Luther, est de nouveau inclinée au bien. L’illumination de l’intel ligence est chose secondaire, la transformation do la volonté par l’Esprit saint est seule primordiale. — 3° Un régénéré ne peut plus agir ([lie pour la gloire de Dieu et du Christ. Il n’admet pas qu’il y ait des actions in28). — Jean Calvin naquit à Noyon, en Picardie, le 10 juillet 1501j. Par son père, Gérard Cauvin, comme par sa mère, Jeanne Lefranc, il appartenait à un milieu bourgeois, et l’on se plaît à expliquer ainsi les nuances appréciables qui sépareront l’Eglise t réformée », dont il sera le fondateur, de l’Eglise

« évangélique », établie par Luther, (ils d’un rustique

mineur Saxon.

Cependant les Cauvin n’étaient sortis que depuis peu du milieu ouvrier. Le grand-père Cauvin était tonnelier à Pont-l’Evèque. Deux de ses fils étaient établis, comme serruriers, à Paris. Gérard Cauvin, le père du réformateur, était le premier de sa famille qui se fut élevé à une carrière libérale.

Il s’était fixé à Noyon autour de 1 ^80. Il y devint t notaire apostolique, procureur fiscal du comté, scribe en cour d’église, secrétaire de l’évêché et promoteur du chapitre ». Il avait de la sorte plus d’une 623

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corde à son arc. Un historien du xvn" siècle, Le VxssKun, le nomme un « praticien à cinq parties », et il nous apprend que maître Gérard était un « esprit ardent et des mieux entendus en la plus fine algèbre des procez ». « Il se fourra partout, ajoute-t-il, et brigua grandement les affaires. » (Annales de l’église de Noyon, Paris, 1633.)

Gérard Cauvin était devenu bourgeois de Noyon en 1497, el n’avait pas craint, lui qui ne payait que quatorze sous de taxe, de demander la main de Jeanne Lefranc, fille d’un hôtelier de Cambrai, devenu aussi bourgeois de Noyon, en 14g8, et qui payait quatre livres.

Pour apprécier ces chiffres, rappelons qu’un bon ouvrier gagnait alors de trois à cinq sous par journée de travail, et que le salaire d’un maître d’œuvre ou constructeur de cathédrale ne dépassait pas sept ous !

Le ménage Cauvin-Lefranc eut six enfants, quatre (ils, dont un mourut en bas âge, et deux ûlles. L’aîné se nommait Charles. Il entra dans les ordres, devint curé de Roupy et mourut excommunié, en 1.537. Gérard Cauvin, le père, était mort de même dès 1531. De père en fils, les Cauvin paraissent avoir été violents, très obstinés, assez intrigants.

Jean Calvin, le second fils de maître Gérard, fut également dirigé de bonne heure vers la carrière ecclésiastique. Il fit ses premières études au collège des Capettes à Noyon. C était une école fondée pour vingt boursiers pauvres. Les élèves y portaient un petit manteau à capuchon, appelé cappa, d’où le collège tirait son nom. Une bourse s’appelait une capetterie.

C’est dans cette école que le jeune Calvin commença à se révéler. Chaque enfant porte en son âme un mystère. La vie oblige l’homme qui est en lui à se faire connaître. Calvin montra de bonne heure qu’il était fait pour les livres. Toute sa vie, il sera « livresque ».

Ravi de ses premiers succès, Gérard Cauvin fit tout au monde pour « pousser » un fils qui donnait tant d’espérances. L’enfant fut associé aux études des jeunes seigneurs de Montmor. Dédiant plus tard son premier ouvrage à Claude de Hangest, qui était un Montmor, Calvin lui disait : « J’ai été élevé tout enfant dans votre maison et initié avec toi aux mêmes études. »

A l’âge de neuf ans, Calvin reçut la tonsure, à la demande de son père. Cela lui permit d’être pourvu d’un petit bénéfice, en cette même chapelle de la Gésine, que son aîné avait eue avant lui. Plus tard, quand il sera obligé de fuir et de se cacher sous un pseudonyme, à cause de ses opinions hérétiques, il se fera volontiers appeler d’Espeville, d’une terre appartenant à sa chapellenie. Il fut nommé, en 15a7,

— bien que simple tonsuré, — curé de Marleville. Deuxansplustard.il passait sa chapellenie de la Gésine à son frère cadet, Antoine, et échangeait sa curecontrecelle de Pont-1’Evêque. En 1 53 1, Antoine lui rendit sa chapellenie.

Ces menus détails nous apprennent nue la famille Calvin ne dédaigna pas de profiter des abus qui s’étaient glissésdans la discipline ecclésiastique.

Jean Calvin fut curé pendant sept ans, sans avoir jamais reçu les Ordres. Il faisait desservir sa paroisse par quelque vicaire et touchait les revenus. Il est juste toutefois de noter, à ce propos, que la distribution des bénéfices ecclésiastiques, qui nous choque si fort aujourd’hui, était un des grands rouages financiers d’alors, un moyen de récompener de précieux services rendus à la nation, ou, comme dans le cas de Calvin, de favoriser l’avenir d’un jeune homme intelligent mais sans fortune.

Toujours associé aux études des Montmor, Calvin suivit ses petits camarades, quand ils allèrent achever leur instruction à Paris. L’Université de cette ville était la première du monde. Elle donnait la science et la gloire. Jean Calvin y arrivait, avide de l’une et de l’autre, au début de sa quinzième année, en août 15a3.

Il logea chez son oncle Richard, le serrurier, établi près de Saint-Germain l’Auxerrois, et suivit d’abord, en qualité de martinet (externe libre), les leçons de grammaire au collège de la Marche.

C’est là qu’il eut la bonne fortune de rencontrer un maître qui lui donna la première idée de ce que doit être le style, cette grande force de l’écrivain. Ce maître était Mathurin Cordier, le « Lhomond du xvi* siècle ». Calvin lui adressait plus tard ce témoignage flatteur : « De tes leçons, j’ai tiré un si grand secours que je te rapporte, ajuste titre, tous les progrès que j’ai pu faire dans la suite. Et j’ai voulu en rendre témoignage devant la postérité. Si elle retire quelque utilité de mes écrits, qu’elle sache bien que c’est à toi, en partie, qu’elle le doit. » (Dédicace du comment, de la l’c aux Thessaloniciens.)

Au bout d’un an, Calvin passa du collège de la Marche à celui de Montaigu, le même où devait venir bientôt un jeune capitaine espagnol nommé Ignace de Loyola.

Le grand exercice de la maison était l’argumentation dialectique. «. On y dispute avant le dîner, écrivait le célèbre humaniste Louis Vives, on y dispute pendant le dîner, on y dispute en public, en particulier, en tout lieu, en tout temps. »

Cette gymnastique tournait sans doute plus d’une fois à l’acrobatie intellectuelle. On désirait peut-être moins d’avoir raison que d’avoir le dernier mot. Le fils du notaire et procureur fiscal de Noyon ne manqua point de se distinguer dans ces joutes quotidiennes, où son intelligence subtile devait faire merveille. C’est bien à Montaigu qu’il a été rompu à la discussion. Il est sous ce rapport un fils authentique de la scolastique médiévale. C’est à Montaigu qu’il apprit cet art de « presser un argument », dont volontiers il se vantait plus tard, mais où il était souvent plus attentif à la rigueur de la forme qu’à l’exactitude de la pensée.

Il reste du séjour de Calvin à Montaigu un souvenir assez curieux. Théodore de Bèze nous apprend qu’il s’érigeait volontiers en « censeur sévère » de tous les vices de ses camarades. Ceux-ci cherchaient naturellement à se venger, aussi croyons-nous aisément à l’information que nous fournit Le Vasseur, quand ils nous dit qu’on l’avait surnommé* l’ocrasatif ». M. Doumergue s’est donné beaucoup de mal pour écarter le reproche impliqué dans ce sobriquet, assez bien trouvé. Mais le rôle que le réformateur donnera plus tard à la délation dans la discipline de son Eglise, à Genève, ne permet guère de partager les scrupules du savant biographe

Calvin disait de lui-même qu’il était peu sociable,

« Estant, écrit-il, d’un naturel un peu sauvage et

honteux, j’ay tousjours aimé requoy et tranquillité. »

Il avait cependant quelques amis, les trois Montmor, en première ligne ; Joachira, Yves et Claude de Hangest, ensuite les quatre (Ils de Guillaume Cop, médecin du roi, et, parmi eux, surtout Nicolas Cop, que nous retrouverons plus tard, A un moment décisif de la vie de Calvin, et Michel Cop, qui se fera pasteur à Genève.

Il semble pourtant que ces amitiés fussent tempérées, dès le principe, par une nuance de respect et même de crainte pour cet écolier modèle qui paraissait mûri avant l’âge. 625

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-V cette époque, Calvin était profondément attaché aux convictions catholiques. On commençait cependant à connaître le luthéranisme, en France, même en dehors des milieux universitaires. La Sorbonne avait condamné io3 propositions de Luther, en date du 15 avril 15ai. Depuis ce temps, elle poursuivait l’tiérésie protestante partout où elle envoyait des traces, et pas toujours avec beaucoup de discernement. Les procès d’hérésie avaient commencé pour les sectateurs de Luther, au temps même où Calvin arrivait à Paris Un certain Jean Vallières avait été brûlé, le 8 août i.">23. Un Picard, nommé Jacques 1’uivant ou Pavanes, d’abord jeté en prison, puis élargi, avait été ressaisi comme relaps, condamné et brûlé vif, en place de Grève, l’an 1525.

Un autre compatriote de Calvin, Louis de Berquin, avait de même été enfermé, puis délivré sur l’intervention de Louise de Savoie, alors régente, de nouveau appréhendé, en 1526, déclaré luthérien et par conséquent digne du bûcher, une seconde fois mis en liberté, sur l’ordre formel de François I, à son retour de Madrid. Il devait se faire reprendre en 1029, et cette fois il n’échapperait point à l’horrible peine du feu, réservée par le droit rigoureux du temps aux hérétiques notoires.

De tels événements ne pouvaient manquer de passionner les esprits, surtout dans les collèges, où l’on disputait du matin au soir. Les retentissantes querelles entre la Sorbonne et les novateurs, entre Erasme et Luther, entre Luther et les Zwingliens, devaient forcément défrayer les conversations des apprentis théologiens de Montaigu.

Le principal de cette école était justement Nobl Bkda ou Bédirr, le plus fougueux adversaire du protestantisme en France. Nul doute que le jeune Calvin n’ait pris parti, à cette date, pour ce principe d’autorité, qu’il appliquerait lui-même un jour avec une vigueur si inflexible, en matière doctrinale, dans son Eglise de Genève.

S’il avait désapprouvé les exécutions des hérétiques, en place de Grève, il est infiniment probable qu’il nous l’aurait appris dans quelqu’un des textes fameux où il explique son passage au protestantisme et que nous citerons dans un instant.

Jusqu’à 1528, date de sa sortie de Montaigu, Calvin n’a pas connu, semble-t-il, une seule hésitation en matière de foi. Son évolution vers le protestantisme se place entre 15a8 et 1533. Nous allons en analyser les phases successives.

II Passage de Cal via au protestantisme. — Au début de 15a8, Jean Calvin quittait le collège de Montaigu, pour s’engager dans l’étude du droit, son père avait changé d’avis et ne rêvait plus pour lui de la carrière ecclésiastique. Il alla donc à Orléans, où il eut pour maître Pierre de l’Estoile. L’année suivante, 15aç), il passait à l’Université de Bourges, où l’attirait la renommée du jurisconsulte Alciat. Il fit 4 Bourges la connaissance d’un humaniste allemand, Mklchior Wolmar, qui était luthérien et qui lui apprit un peu de grec. Sur ces entrefaites, la mort de son père, survenue le 26 mai 1 53 1, vint lui donner une liberté plus grande. Il en profita pour abandonner le droit, qui ne l’intéressait guère, et pour s’adonner aux études littéraires Pendant quelques années, le jeune Calvin sera humaniste à son tour. Il revient à Paris. Justement François I vient de fonder, en mars 1530, le fameux Collège de France (Collège des Trois Langues). Calvin se range parmi les premiers disciples des professeurs royaux : Pierre Danès, pour le grec, et Valable pour l’hébreu. Il coudoie peut-être, au cours, Ignace de Loyola, Pierre Lefèvre, François-Xavier, Marot, Rabelais I

En ces noms se résument toute l’époque et toutes les tendances de l’avenir.

Enfin, en 153a, il fait acte d’humaniste en publiant son premier ouvrage, un Commentaire sur le Traité delà clémence de Sénèque, dont la préface est datée du 4 avril.

L’année suivante, en octobre, il écrit, pour son ami Nicolas Cop, recteur de l’Université de Paris, un discours qui est prononcé le 1" novembre, et qui provoque un énorme scandale. Nicolas Cop, suspect de luthéranisme et poursuivi comme tel, s’enfuit à Bàle. Jean Calvin, non moins compromis, disparaît également. A partir d’octobre 1533, Calvin doit être regardé comme un adversaire déclaré du catholicisme. Nous disons qu’il a apostasie. Les protestants soutiennent qu’il s’est converti. Que s’est-il donc passé ? La tradition protestante la plus ancienne rattache cette « apostasie-conversion » de Calvin à l’influence de son cousin Pibrrb-Robbrt Olivétan. Cette tradition remonte à Théodore db Bbzb, premier biographe de Calvin, qui dit formellement : « Calvin, ayant été instruit de la vraie religion par un de ses parents nommé Pierre Robert Olivétan, et ayant lu avec soin les livres sacrés, commença d’avoir en horreur la doctrine de l’Eglise romaine et fit dessein de renoncer à sa communion. »

Ce texte a été admis sans contestation, presque jusqu’à nos jours. Certains historiens, d’esprit romantique, tels que Merle d’Aubigné, l’ont dramatisé avec complaisance. L’iconographie calviniste a représenté plus d’une fois ce tableau émouvant : dans quelque mansarde orléanaise, Olivétan et Calvin, jeunes étudiants tous les deux, disputant surlaBible, le premier essayant de faire comprendre au second la nécessité de remonter aux pures sources de la foi, Calvin se défendant, invoquant ce principe d’autorité qu’on lui avait inculqué et qui allait si bien à son tempérament, mais finissant par se laisser convaincre I

La critique la plus récente a fortement réduit la portée de l’affirmation de Bèze. Une lettre de Martin Bucer datée de Strasbourg, le 1" mai 1528, parle d’un jeune homme de Noyon, réfugié en Alsace, d’Orléans où il étudiait les lettres. Herminjard et Lefranc s’accordent à identifier ce jeune homme avec Olivétan. Mais si le cousin de Calvin a quitté Orléans, au plus tard, en avril 15a8, pour ne plus rentrer en France, ses relationsavec le futur réformateur n’ont pu être que très courtes. Calvin donnera, en 1 535, une double préface, en latin et en français, à la traduction de la Bible par Olivétan. Mais il ne fera aucune allusion au rôle que son parent aurait joué auprès de lui. Argument plus décisif encore : l’examen attentif de la préface et du commentaire de Calvin au De Clementia, celui de sa correspondance assez active avec ses amis, les Daniel, Duchemin et autres (une douzaine de lettres nous restent de1530à 1533, voir Hbrminjard, Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française, Paris-Genève, 1866et s., tomeII, p. 310, 3a8, 338, 345, etc.), ne dénote aucune aversion déclarée pour le catholicisme, aucune connaissance approfondie de la Bible. Il n’utilise que la Vulgate, el d’une façon qui n’a rien de spécifiquement protestant. Le critique calviniste Auguste Lang a pu écrire : « Du théologien biblique que deviendra Calvin, il n’y a encore aucune trace [en 153a]. La sainte Ecriture n’est pas encore entrée dans le cercle de ses goûts. Nous devons en conclure que son cœur ne bal pas encore pour elle. » (Zwingli und Calvin, von August Lang, Bielefeld und Leipzig, 1 91 3, p.o, 3.)

Si ce n’est pas Olivétan, c’est peut-être l’humaniste luthérien, Melciiior Wolmar, qui a entraîné Calvin 627

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hors du giron de l’Eglise ? Pas davantage. Il nous reste des lettres échangées plus tard, entre Wohnar et Calvin. Il nous reste une préface au commentaire sur la 11e aux Corinthiens, dédiée par Calvin à Wolmar. On y cherche en vain l’aveu d’une influence religieuse exercée par l’helléniste sur son élève de Bourges. On y trouve au contraire ceci : a Tu n’aurais pas refusé de continuer à me tendre la main [pour mes études de grec], si la mort de mon père ne m’eût rappelé presque au début [de nos leçons]. » Les relations avec Wohnar, aussi bien qu’avec Olivétan, ont donc été courtes et peu profondes. Ce serait pourtant forcer la note, que de n’y attacher aucune importance. Ce qu’Olivétan et Wolmar ont pu faire, et ce qu’ils ont fait, suivant toute vraisemblance, c’est d’orienter Calvin vers l’étude de la Bible, d’éveiller son esprit critique à l’égard de l’Eglise. Il n’a pas obéi tout de suite à leurs suggestions. Les études humanistes se sont emparées de lui. Elles continuent à le détacher de la doctrine catholique, à son insu peut-être. Sans le savoir, son esprit est en marche. Le travail qui s’y accomplit est encore obscur et, si l’on peut dire, souterrain.

Ce qui l’arrête, en partie du moins, c’est l’argument que reprendra Bossuet : l’argument des Variations du protestantisme. Calvin nous l’apprend lui-même. Parlant plus tard des disputes entre Luther et Zwingle, au sujet de l’Eucharistie notamment, il écrira :

« Je suis content de me glorifier que, quand ils eurent

commencé à faire quelque approche de plus près les uns des autres, leur consentement, combien qu’il ne fust pas encore plain et entier, me servit beaucoup. Car, commençant un peu à sortir des ténèbres de la papauté et ayant prias quelque petit goust à la saine doctrine (le nui sanæ doctrinæ gustuconcepto), quand je lisoye en Luther qu’Œcolampande et Zwingle ne laissoyent rien es sacremens que des figures nues et représentations sans la vérité, je confesse que cela me destourna de leurs livres, en sorte que/’e m’abstins longtemps d’y lire. Or, devant que je commençasse à escrire, ils avoyent conféré ensemble à Marpourg et par ce moyen leur première véhémence estoitun peu modérée. » (Seconde défense contre les calomnies de J. Westphal, Opéra Calvini dans Corpus Reformatorum, IX, 51.)

La colloque de Marbourg est de 15au. C’est donc en 15a8, peut-êtred’011vétan, queCalvinavait « prins quelque petit goust à la saine doctrine ».

Le passage qu’on vient de citer est de 1545. En voici un an i r^ qui est plus explicite encore. Il date du 18 mars 153a et il est tiré de la célèbre réponse à Sadolet. Calvin y plaide sa cause, et s’adressant à Dieu, souverain juge, il s’écrie, non sans quelque emphase : « Quant est à moy, Seigneur, j’ay tousjours confessé publiquement la foy chrestienne, comme je l’avoye apprinse dès ma jeunesse… Et comme que j’eusse accompli toutes ces choses [les pratiques catholiques] tellement quellement, encore que je ne m’y confiasse quelque peu, si estoy-je toutefois bien eslongné d’une certaine tranquillité de conscience. Car toutes fois et quantes que je descendoye en moy, ou que j’eslevoye le cœur à toy, une si extrême horreur me surprenait, qu’il n’esloit ni purifications, ni satisfactions qui m’en peussent aucunement guérir. Et tant plus que je me considéroye de plus près, de tant plus aigres aiguillons estoit ma conscience pressé*, tellement qu’il ne me demeuroit autre soûlas ni confort sinon de me tromper moymesme en m’oubliant. Mais pour ce que rien ne s’offroit de meilleur, je poursuivoye tousjoui s le train que j’avoye commencé, quand cependant il s’est eslevé une bien autre forme de doctrine : non pas pour nousdestourner de profession chrestienne, mais pour

la réduire [ramener] elle-mesme en sa propre source et pour la restituer, eoinme emmodce de toute ordure, en sa pureté. Mais moy, offensé de ceste nouveauté, à grand’peine ay-je voulu prester l’aureille et si confesse que j’y ai vaillamment et courageusement résisté… Et mesmement une chose y avoit qui me gardoit de croire à ces gens-là ; c’estoit la révérence de l’Eglise. Mais après que j’eu ouvert quelque fois les aureilles et soulïert d’estre enseigné, je cogneu bien que telle crainte, que la majesté de l’Eglise ne fust diminuée, estoit vaine et superflue… Lorsque mon esprit s’est appareillé àestre vrayement attentif, j’ay commencé à cognoistre, comme qui m’eust apporté la lumière, en quel bourbier d’erreurs je m’estoye veautré et souilléetde combien de boues et macules je m’estoye honni. Moy donc (selon mon devoir) estant véhémentement consterné et esperdu pour la misère en laquelle j’estoye tombé et plus encore pour la cognoissance de la mort éternelle qui m’estoit prochaine, je n’ay rien estimé m’estre plus nécessaire, après avoir condamné en pleurs et gémisse mens ma façon de vivre passée, que de merendre et retirer en la tienne. » (Op. Calvini, V, 41a-413.)

III. Analyse des motifs de l’ « apostasie- conversion » de Calvin. — Le texte qu’on vient de citer est capital. Calvin y parle sûrement de lui-même et d’après une expérience personnelle, bien qu’il prétende décrire une « conversion-type », — ce que nous appelons, nous, catholiques, une « apostasie ».

Certains critiques, tels que Lefranc et Bossert, estiment que Calvin a exagéré la note dans cette page. Ils croientqu’il était un cérébral, beaucoup plus qu’un sentimental. Ces tourments de conscieneeque Calvin accuse, ces émotions déchaînées au dedans de l’âme, par la pensée du péché et du salut par la foi, tout cela leur paraît artificiel, peu conforme au tempérament de Calvin. Ils veulent que sa « conversion « ait été surtout une question de raisonnement et de logique. M. Doumergue pense au contraire que Calvin nourrissait, sous son enveloppe glacée et raisonneuse, une rare profondeur de sensibilité et de passion. Il nous semble que M. Doumergue a raison et que l’intelligence si vive, siaignë.la logique sisubtile et si pressante de Calvin, étaient animées, entretenues, aiguillonnées, mises en mouvement par une formidable puissance d’émotion concentrée, de susceptibilité, en un mot de sensibilité, d’autant plus forte qu’elle était davantage comprimée et contenue.

On peut donc se représenter Calvin ouvrant les ouvrages de Luther, peut-être à la recommandation d’Olivétan ou de Wolmar. Il est de ceux qu’un livre parfois révèle à eux-mêmes. Ilest l’homme accessible surtout aux sentiments livresques. Or une contagion émane des ouvrages de Luther. Nous avons signalé, plus haut, ce qu’on appelle le mal du siècle, l’obsession des esprits à cette époque, le romantisme du xvr’siècle, mis à la mode par Luther, mais latent au fond des coeurs : les angoisses de l’àme poursuivie par la hantise du péché et des jugements de Dieu, le besoin de certitude mystique, de paix, de pardon, le sentiment de l’insuffisance des doctrines traditionnelles du péché et de la grâce, et tout ce drame intérieur trouvant son dénouement dans l’opposition, inventée par Luther, entre la Loi qui menace et l’Evangile qui rassure, entre Moïse qui terrifie et Jésus qui pardonne, en un mot : dans la théorie du salut par la foi seule, base essentielle d’une théologie de la consolation et de l’amour.

C’est cette mystique de lu consolation, qui forme le noyau le plus intérieur du protestantisme luthérien. C’est par cette mystique que le grossier Luther a séduit le fin Mélanchthon. Dans ses Loci communes, 629

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GSO

— premier essai de dogmatique luthérienne, — ce dernier résumait tous les motifs de crédibilité de la nouvelle doctrine en cette phrase signilieative

« Iltivc est necessuria consulatio pus conscienttis », 
« Telle est lu consolation nécessaire des consciences

pieuses » (/.oci, éd. Utile, i ô 4 ' - I'- 20a). Dès le principe, le protestantisme apparaît comme une construction île circonstance, adaptée à des besoins particuliers. C’est comme un vêtement fait sur mesure, mais qui ne répond qu'à la mode d’un temps ou d’un pays. C’est pourquoi, ainsi que la mode, il a varié continuellement.

Cette théologie de la consolation ne lit pas beaucoup de conquêtes en France, probablement parce que le caractère de la race était imperméable à cette nébuleuse mystique, si évidemment subjective.

Mais il est à remarquer que l’un des livres préférés des milieux protestants, fréquentés par Calvin, au moment de son « apostasie-conversion », était précisément une traduction de Luther par Louis de Berquin, ayant pour titre : Consolation chrestienne contre les afflictions de ce monde et scrupules de conscience,

— dans l’original : Tessaradecas consolatoria pro laborantibns et oneratis (Opéra Lutheri, éd. YVeiraar, VI, io4- 1 34, an. 1019).

Calvin ne nous trompe donc pas, quand il expose, dans sa lettre à Sadolet, les motifs de son changement de religion. Il s’est fait protestant parce que la théologie « consolatoire » de Luther l’avait conquis. Une ditKculté reste cependant. Une théologie assez analogue à celle de Luther était propagée par le

« groupe de Meaux », par l'évêque Briçonnet, par

Lefèvre d’Etaples, par Gérard Roussel et quelques autres.

La correspondance spirituelle entre l'évêque de Meaux, Briçonnet, et Marguerite de Valois, soeur de François I, est plus nébuleuse que toute la mystique luthérienne. Pourquoi Calvin a-t-il dépassé résolument le groupe de Meaux, qui reculait devant le schisme et gardait le culte de l’unité catholique ? Pourquoi a-t-il été jusqu'à la rébellion ouverte, intransigeante, acharnée contre l’Eglise de 60n enfance ? Voilà ce qu’il importe de préciser.

IV. La date précise de l’apostasie de Calvin et les raisons qni l’expliquent. — Un autre texte de Calvin nous aidera àserrer le problème de plus près. Il se trouve au Commentaire des Psaumes. Dans la préface, qui est datée du 22 juillet 1557. Calvin raconte sa propre évolution. Modestement, il se compare au saint roi David. Il retrace sa jeunesse en ces termes : « Combien que j’ensuyve David de bien loinget qu’il s’en fale beaucoup que je soye à compaier à luy…, tout'-s fois, si j’ay quelques choses de commun avec luy, je suis content de les considérer et faire comparaison de l’un à l’autre. Ainsi… c’a esté une chose qui m’a beaucoup servi de contempler en luy, comme en un miroir, tant les commencemens de ma vocation que le discours et la continuation de ma charge… Comme il fut prins d’après les bestes et eslevé au souverain degré de dignité royale, ainsi Dieu, de mes petits et bas commencemens m’a advancé jusques à m’appeler à ceste charge tant honorablede ministre etprescheur de l’Evangile.

« Dès que j’estoye jeune enfant, mon père

m’avoit destiné à la théologie : mais puis après, d’autant qu’il considéroit que la science des loix communément enrichit ceux qui la suyvent, ceste espérance luy feit incontinent changer d’advis. Ainsi cela fut cause qu’on me retira de l’estnde de la philosophie et que je fus mis à apprendre les loix : auxquelles combien que je m’efforçasse de ra’ra ployer fidèlement, pour obéir à mon père, Dieu toutes l’ois par sa providence secrette me feit linalement tourner bride d’un autre costé. Et premièrement, comme ainsi soit que je fusse si obstinément adonne aux superstitions de la Papauté, qu’il estoit bien mal aisé qu’on me peust tirer de ce bourbier si profond, par une conversion subite, il douta et rangea à docilité mon cœur, lequel, eu esgard à l’aage, estoit par trop endurcy en telles choses. Ayant donc receu quelque goust et cognoissance de la vraye piété, jt fus incontinent enflambè d’un si grand désir de proupter, qu’encores que je ne quitasse pas du tout les autres estudes je m’y employoye toutes fois plus laschement. Or, je fus tout eshahy que devant que l’an passast, tous ceux qui avoyent quelque désir de la pure doctrine, se rangeoyent à moy pour apprendre, combien que je ne l’eisse quasi que commencer moy-mesme. De mon costé, d’autant qu’estant d’un naturel un peu sauvage et honteux, j’ay tousjours aimé requoy et tranquillité, je commença}' à chercher quelque cachette et moyen de me retirer des gens ; mais tant s’en faut que je veinsse à bout de mon désir, qu’au contraire toutes retraittes et lieux à l’escart m’estoyent comme escholes publiques. Brief, cependant quej’avoye tous jours ce but de vivre en privé sans eslre cognu, Dieu m’a tellement proumené et fait tournoyer par divers changemens, que toutesfois il ne m’a jamais laissé de repos en lieu quelconque, jusques à ce que maugré mon naturel il m’a produit en lumière et fait venir en jeu, comme on dit. »

Les dernières lignes de ce récit, — qui manque singulièrement de noms propres de lieux et de dates précises, — se rapportent sûrement à l'époque où Calvin se fit connaître par la publication de son Institution chrétienne, à Bàle(1536). Mais, en repassant sa propre histoire, Calvin, cela est sûr, a l’impression que sa conversion a été « subite ». Il y eut donc un jour, où, sous l’impression de quelque lecture secrète, ou de quelque discussion passionnée, peut-être après un sermon de Gérard Roussbl, qui fit courir tout Paris, pendant le Carême de 1533, Calvin, jusque-là enfoncé « dans le bourbier » de la Papauté, refusa intérieurement l’adhésion de son esprit à la foi traditionnelle et commença à dire non à la doctrine de son enfance. Ces choses-là, dans les âmes réfléchies et éclairées, arrivent toujours subitement. Ce sont les indifférents et les inconscients qui perdent la foi sans le savoir. Il y eut une lutte terrible, au fond du cœur de Calvin. Les autres textes cités en font foi. Combien de temps dura cette lutte ? C’est ce que nul ne peut dire ; peutêtre depuis la rencontre d’Olivétan, en 15a8, jusqu'à l’année décisive, en 1533. Car il est hors de doute que ce fut 1 533 l’année décisive : « Devant que l’an passast, dit Calvin, tous ceux qui avoyent quelque désir de la pure doctrine se rangeoyent à moy pour apprendre. » Comment ne pas voir dans ce texte une allusion frappante à la démarche de Nicolas Cop, recteur temporaire ("on changeait tous les trois mois] de l’Université de Paris, venant trouver Calvin, à la fin d’octobre 1 533, au temps où une grosse querelle s’agite entre Gérard Roussel et la Sorbonne, complotant aveclui de faire un discours de rentrée nettement révolutionnaire et lui demandant de le rédiger pour lui ? Nous connaissons ce discours. Il est bien de la main de Calvin. Nicolas Cop avait seulement atténué quelques passages. La doctrine est nettement luthérienne. Cependant l’exorde se termine encore, suivant l’usage du temps, par une invocation à Marie : Ave Maria. Calvin n’a donc pas encore renoncé à toutes les pratiques du catholicisme. C’est ce qu’il dit dans cette phrase : « Com 631

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bien que je ne feisse que commencer moy-ræsme. » Puis, quand il ajoute que son « naturel un peu honteux et sauvage » lui lit « chercher quelque cichette », n’est-ce point une façon discrète de nous faire entendre qu’il dut s’enfuir de Paris, après le scandale énorme du discours de Cop, dont il était l’auteur et pour lequel il faillit être arrêté ?

Calvin n’a jamais aimé affronter la persécution pour lui-même. Du Tillet lui fera plus tard quelque reproche de son manque de bravoure, en contraste frappant avec les exhortations ardentes et même un peu rudes qu’il adressait à « Messieurs les Nicodémites ».

La fin du texte étudié coïncide fort bien avec les faits. Partout où Calvin, fuyant de Paris, après le i p ' novembre 1533, chercha une retraite, il se vit entouré, sollicité, écoulé comme un maître.

Ainsi tout semble s'éclairer et nous avons une date infiniment probable pour « la conversion subite » de Calvin : entre leCarêmeetla Toussaint de i. r >33, d’après M. Lan g, après l'échec du discours de Cop, selon nous (nov. 1533).

Nous croyons, avec Auguste Lang, que c’est Gérard Roussel, plutôt qu’Olivétan ou Wolmar, quia déterminé l'évolution décisive du jeune Calvin.

Roussel était un ancien professeur du collège Lemoine, Picard d’origine comme Lefèvre d’Etaples et Calvin. Il avait suivi Lefèvre, son ami intime, à M eaux, auprès de l'évêque Briçonnet, qui le fit chanoine, trésorier de la cathédrale, prédicateur attitré dans tout le diocèse. Il avait, croit-on, orientéle jeune Guillaume Farel vers le biblicisme, d’où celui-ci passa bientôt au luthéranisme déclaré. Une offensive de la Sorbonne contre les novateurs avait dispersé le

« groupe de Meaux ».

Roussel s'était enfui à Strasbourg, en 1525. A son retour Marguerite d’Angoulême, sœur du roi, le prit pour aumônier. Ses prédications de Carême, en 1533, avaient soulevé et divisé l’opinion. Une pièce satirique, jouée à la rentrée d’octobre, à Montaigu, l’ancien collège de Calvin, le désignait à la colère publique, sous le nom transparent de Mégéra (maître Gérard). A cette date, une grande intimité régnait entre lui et le jeune Calvin, celui-ci, en effet, lui écrivant quatre ans plus tard, en 1537, pour lui reprocher d'être resté en roule et de n’avoir pas rompu avec l’Eglise de Rome, lui parlera de cette t familiarité », de cette « cognoissance ancienne et amitié presque fraternelle », qui les unissait naguère.

Ces termes impliquent des rapports très étroits. Calvin et Roussel se rencontraient donc très souvent. A quel endroit ? Chez qui ? Dans quel but ? Théodore de Bèze nous l’apprend, quand il rapporte que Calvin rappelait avec prédilection, de ce temps, le souvenir du « pieux Estibnnk db la Forgk ». C’est chez lui que se tenait le conciliabule protestant de Paris. Nous savons par ailleurs que de la Forge distribuait des livres hérétiques, notamment l’ouvrage de Luther, traduit par Louis de Berquin : Consolat on chrestienne contre les afflictions de ce monde et scrupules de conscience. Estienne de la Forge était on allait être bientôt connu delà police. Impliqué dans l’affaire des Placards (oct. 1 534), il fut arrêté, condamné, pendu, puis brûlé au cimetière de Saint Jean. Suivant M. Doumergue, une de sesGlles épousa le fameux baron des Adrets (Jean Calvin, I, 33g).

C’est sûrement dans ce milieu que Calvin est devenu luthérien. C’est là que ses qualités, sa puissance de dialectique, sa maîtrise de style ont été remarquées, admirées, vantées pour la première foi-t. Et ce qui nous semble prouver que l’influence de Roussel est alors prépondérante sur l’esprit du jeune Calvin, c’est l’identité des attitudes doctrina les chez l’un et l’autre. Gérard Roussel appartenait, en effet, à ce parti réformiste français qui voulait une réforme, mais ne voulait pas de rupture ni de révolte, qui professait l’hérésie, — de bonne foi, croyons-nous, — mais reculait devant le schisme. Gérard Roussel était/a fcr/s/e plutôt que luthérien. Son maître était Lefèvre d’Etaples (Faber Stapulensis), Pas plus que Marguerite d’Angoulême, il ne renoncera jamais formellement à l’unité catholique. Marguerite sollicitera et obtiendra, pour Roussel, son aumônier, l'évèché d’Oloron, où il instituera une messe à sa façon, une « messe réformée », qu’on appellera t la messe aux sept points ». En résumé, la doctrine de Roussel est une sorte d'évangélisme mystique, assez indifférent ou même hostile aux cérémonies du culte, mais ennemi de toute rébellion ouverte contre l’Eglise.

Or, c’est précisément la position adoptée par Calvin, à cette date. On s’explique très bien, dès lors, qu’il ait assisté, encore le 23 août 1533, à une séance du chapitre de Noyon, où l’on décida de prescrire des prières contre la peste. On s’explique que l’exorde de son discours, prononcé par Cop, se termine par l’invocation à la Sainte Vierge.

Mais ce discours, que Nicolas Cop et Calvin, son compère, ne jugeaient peut-être pas plus provocant que ceux de Roussel, au Carême précédent, souleva, on l’a dit, une violente agitation. Cop dut s’enfuir jusqu'à Bàle, après un semblant de résistance à la Sorbonne. Calvin se cacha. Roussel, appuyé par Marguerite d’Angoulême, réussit à esquiver toute poursuite. Calvin ne lui pardonna point d’avoir désiré ou accepté l'épiscopat. Il lui en fera, dans la lettre déjà citée de 1 53^, de sanglants reproches. Il le sommera d'éviter « et fuir les cérémonies et superstitions papales ». Mais Roussel fera la sourde oreille. C’est que, depuis plusieurs années, ils se trouvent de chaque côté de la barricade. La rupture définitive de Calvin avec l’unité catholique peut se placer après Péchecdudiscoursdu i er novembre 1533, destiné, semble-t-il, à tàter et à entraîner l’opinion.

Le 4 mai 1 534, Jean Calvin renonçait à ses bénéfices ecclésiastiques. L’Affaire des Placards (17-18 octobre 1 534), due à l’imprudence du pasteur Antoine Marcourt, amena une violente réaction catholique. Calvin quitta la France, dans les dernières semaines de 1 534, sans espoir de retour, et déjà sans doute il méditait sa Lettre à François I, l’un des plus violents réquisitoires qu’on ait dressés contre Rome et l’Eglise catholique.

La première période de sa vie, eelle qui intéresse le plus l’apologétique, est terminée. Donnons comme conclusion à cette étude, le tableau récapitulatif que voici : jusqu'à 1528, aucune hésitation, aucun doute n’apparaît dans l'âme de Calvin. En 1528, une légère fêlure se produit au vase, sous l’action d’Olivétan, — en 1529, la fêlure s’accentue, par l’influence de Wolmar, — de 152g à 1 53 1, les démêlés du père Cauvin avec le chapitre de Noyon répandent une certaine amertume dans l'âme de son fils. Il se sent le fils d’un excommunié, — de 1531 à 1533, il est déjà aux trois quarts détaché, il fait de l’humanisme, il parle i des vœux de religion avec une nuance de dédain (à propos d’une sœur de son ami Daniel, qui entrait au couvent, voirHoRMiNJARD, Correspondance des liéformoteurs, lettre de Calvin à Daniel, du 27 juin 1531,

I, 340-347)

En 1533, il se lie, chez de la Forge, avec Gérard Roussel et adopte à peu près son attitude. Déjà il abandonne la doctrine catholique, mais il n’a pas encore rompu officiellement avec l’Eglise, qu’il prétend réformer.

Le 1" novembre i"133, le discours de Cop, 633

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634

rédigé par lui, atteste qu’il n’est plus catholique. La persécution que déchaîne ce discours et celle qui marque la lin de 1534, après les Placards, le jettent dans la révolte déclarée. La France demeure catholique. Calvin quitte la France.

V. L’Institution chrétienne. — On a pu voir, d’après ce qui précède, que les raisons de l’apostasie de Calvin furent quelque chose de tout personnel, d’essentiellement subjectif. La tâche de l’apologiste est en somme achevée quand il a montré, par une analyse impartiale autant que rigoureuse, que l’abandon du catholicisme par des hommes tels que Luther, Mélanchthon, Calvin se réduit à des manifestations particulières du sens propre. Ce qui prouve bien que les motifs de la désertion de Calvin n’avaient pas ce caractère objectif qui vient de la possession certaine de l’immuable vérité, c’est que la théologie de Calvin a péri tout entière, dans sa partie positive. Il n’en reste plus que la partie négative : l’opposition à l’Eglise catholique. Il n’est pas un protestant de nos jours qui puisse approuver sans les plus graves réserves, ni les idées ni les actes de Calvin. Nous nous bornerons à résumer 1 histoire de sa vie, de iô34 à 1564, c’est-à-dire de son départ de France à sa mort.

En quittant son pays, Calvin se rendit d’abord à Strasbourg, puisa Bàle (début de 1535). C’est là qu’il acheva la première édition de sa Christianæ religions Institutio, précédée d’une lettre-préface à François I er, datée du a3 août 1 535. L’ouvrage lui-même ne parut qu’en mars 1 536. Immédiatement après, Calvin partit pour l’Italie, où il fut reçu avec faveur par Renée de France, duchesse de Ferrare.

C’est au mois d’août 1536, à son retour d’Italie, qu’il fut retenu à Genève, par Guillaume Farel.

VI. Calvin à Genève. — Voici en quels termes Calvin nous raconte cet événement : « Je ne mis pas lors en lumière le livre [de l’Institution chrétienne] tel qu’il est maintenant, copieux et de grand labeur, mais c’estoit seulement un petit livret contenant sommairement les principales matières : et non à aulre intention, sinon afin qu’on fust adverty quelle foy tenoyent ceux lesquels je voyoye que ces ræschans et déloyaux flatteurs diffamoyent vilenement et malheureusement. Or, que je n’eusse point ce but de me monstrer et acquérir bruit, je le donnay bien à cognoistre, par ce qu’incontinent après je me retiray de là : joinct mesmement que personn » ne sceut là que j’en fusse l’autheur : comme aussi par tout ailleurs que je n’enay point faict de semblant, et avoye délibéré de continuer de mesmejusques à ce que finalement maistre Guillaume Farel me reteint à Genève, non pas tant par conseil et exhortation, que par une adjuration espovantable, comme ti Dieu eust d’en haut estendu sa main sur mor pour m’arrester. Pour ce que pour aller à Strasbourg, où je vouloye lors me retirer, le plus droict chemin estoit fermé par les guerres, j’avoye délibéré de passer par yci [Genève] légèrement, sans arrester plus d’une nuit en la ville. Or, un peu auparavant, la Papauté en avoit esté chassée par le moyen de ce bon personnage que j’ay nommé [Farel, en 1535], et de maistre Pierre Viret : mais les choses n’estoyent p >int encore dressées en leur forme, et y avoit des divisions et factions mauvaises et dangereuses entre ceux de la ville. Adoncques, un personnage

Louis du Tilletl, lequel maintenant s’est vilenement révolté et retourné vers les Papistes, me descouvrit et feit cognoistre aux autres. Sur cela Farel (comme ilbrusloit d’un merveilleux zèle d’advancer l’Evangile ) feit incontinent tous ses efforts pour me retenir.

Et après avoir entendu que j’avoye quelques estudes particulières auxquelles je mevouloye réserver libre, quand il vit qu’il ne gaignoit rien par prières, il veint jusques à une imprécation, qu’il pleust à Dieu de maudire mon repos et la tranquillité d’estudes que je cherchoye si en une si grande nécessité je me reliroyeet refusoye de donner secours et aide. Lequel mot m’espovanta et esbranla tellement, que je me désistay du voyage que j’avoye entreprins : en sorte toutesfois que sentant ma honte et ma timidité, je ne voulus pointm’obliger à exercer quelque certaine charge. » (Corp. Réf., Op. Calvini, XXXI,

23)

La scène de Fahel levant la main au ciel pour maudire Calvin et le remplissant d’épouvante, est demeurée célèbre. On ne peut s’empêcher cependant de trouver je ne sais quoi de tendu, de violent, d’excessif dans cet appel, que Calvin regardait dans la suite comme un appel évidemment divin.

Il vient de nous dire qu’il n’avait point voulu s’obliger « à exercer quelque certaine charge ».

De fait, les Registres du Conseil de la ville nous apprennent simplement ceci, à la date du 5 septembre 1 536 : « Maître Guillaume Farel expose comme quoi est nécessaire cette lecture que ce Français [ille Gallus] a commencée à Saint-Pierre : c’est pour cela qu’il supplie que l’on prenne des mesures pour le retenir et l’entretenir. Sur quoi, il a été décidé que l’on avisera à le garder. »

Ille Gallus : c’est dans ces termes assez distants et presque dédaigneux que Genève désigne pour la première fois celui qui allait rapidement devenir son maître. D’un bout à l’autre de la vie de Calvin, on remarque l’art infini et peut-être inconscient qu’il a de se faire prier, rechercher et porter au premier rang, comme malgré lui et sans aucune apparence de désir ou d’ambition de sa part.

VII. Première période du ministère de Calvin à Genève (i 536-1 538). — Calvin était donc simple

« lecteur de la Sainte-Ecriture » à Genève, tandis

que Farel portait le titre de « prédicateur de l’Evangile » (voir Hkhminjaiid, Correspondance des Réform. , IV, n° 650). Ils marchaient la main dans la main. La Réforme gagnait rapidement du terrain en Suisse. Le canton de Berne se faisait le propagateur très zélé du mouvement anticatbolique. Pendant que l’Empereur cherchait à apaiser les querelles théologiques et interdisait les conférences, — on disait alors : les disputes, — contradictoires, en prévision du prochain Concile général, déjà convoqué par le pape Paul III, à Mantoue, les Bernois envoyaient au contraire des convocations publiques à la Dispute de Lausanne (i-8 octobre 1536). Tous les prêtres, moines, * etgensque l’on appelle d’Eglise », étaient sommés de « comparoir et se trouver à Lausanne. .. pour rendre raison de leur foi, pour maintenir et soutenir par la sainte Escriplure, tant du Vieulx que du Nouveau Testament, ce qu’ils enseignent, font et tiennent en l’assemblée du peuple a (Ruchat, Hist. de la Ré/orm. de la Suisse, V, 717).

Le clergé catholique, mal préparé à ce genre de combat, se montra très inférieur. La doctrine de l’Eglise ne trouva point de défenseur. Farel et Calvin triomphèrent sur toute la ligne. Le Conseil de Berne s’empressa de décréter la destruction de

« l’Eglise papale » dans tout le pays de Vaud (19 octobre

1536). L’ordonnance contenait les formelles prescriptions que voici : « A ceste cause et affect mandons et commandons à tous et un chacun nous [nos] baillifs, advoyers, chastelain*, lieutenans et aullres officiers que, incontinent avoir vues iccstes, vous transpourtiez d’une église en l’autre, et aussy 635

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es cloistres etmonastères que [qui] sont soubs votre charge et office, et à tous prestres.prevosts, doyens, chanoines, curés, vicaires, chappelains, abbés, prieurs, moennes, nunins [religieuses], et toutes autres personnes appelées d’Eglise, de notre part fassiez exprès commandement de soy incontinent dépourler de toutes cérémonies, sacrifices, offices, institutions et traditions papistiques, et de toutellenient [totalement] cesser d’ycelles, entant qu’ils désireront d’éviter notre maie grâce et griefve punition ; aussy vous expressément recomiuandant sans dilution abatte toutes images et idoles, aussy les autels estans dans lesdites églises et monastères. » Ces mesures furent exécutées immédiatement.

Les pasteurs Caroli et Viret furent envoyés à Lausanne. Un Edit de re formation, du 24 décembre » 530, vint réduire les dernières résistances du clergécatholique.

Encouragés par ces succès, Farel et Calvin avaient proposé, dès le 10 nov. 1 536, des « articles sur la discipline ecclésiastique ». Il s’agissait surtout de détruire les images, et d’obliger tous les citoyens à assister au prêche protestant. Le projet fut adopté. Les ministres firent donc un pas de plus et présentèrent, le 13 janvier 1537, au Conseil de la cité, un mémorandum, où l’organisation du culte protestant prenait sa forme officielle et définitive : police de

« laSaincte Cène », chant des psaumes, instruction

chrétienne des enfants, discipline des mariages.

Cette fois encore Calvin et Farel obtinrent ce qu’ils désiraient. Le Conseil des Deux- Cents accepta leur projet, le iG janvier, avec de légères modifications .

Les élections du 4 février furent favorables aux ministres. Le 17 février parut l’ « Instruction etConfession de Foi dont on use en l’Eglise de Genève », sorte de Catéchisme rédigé par Calvin, d’après ^Institution chrétienne. S’avançant toujours davantage et resserrant, pour ainsi dire, leur étreinte sur la ville, Calvin et Farel imaginèrent alors d’extraire de l’Instruction une Confession, qui serait imposée à tous les citoyens, sous le titre suivant : Confession de la Foi, laquelle tous bourgeois et kahitans de Genève et subjects du pays doibvent jurer de garder et tenir (Opéra Calvini, XXII, 84 et s.). Cette fois, Genève commença à s’étonner, et une opposition se dessina contre les Réformateurs. A vrai dire, les magistrats municipaux avaient imposé depuis le Moyen Age des règlements que notre époque jugerait bien sévères. Mais on pouvait trouver surprenant que des étrangers, tels que Farel et Calvin, eussent la prétention de gouverner le pays et d’établir une tyrannie ecclésiastique, alors qu’on venait à peine de secouer la domination de l’Eglise romaine, infiniment moins oppressive que la leur.

Le Conseil passa outre cependant aux objections et aux murmures. Il fit expulser les Anabaptistes, qui menaçaient Farel, et déposer Caroli, qui l’accusait d’arianisme, aussi bien que Calvin. Il rendit obligatoire la Confession de foi, par décret des 28 et 29 juillet, prononça, en septembre et novembre 1 037, la peine de bannissement contre ceux qui la repousseraient. Cependant l’opposition grandissait. De notables citoyens refusaient de jurer la Confession de foi. Merne les appuyait. Au début de 1538, le Conseil des Deux-Cents décida que les ministres ne pourraient refuser la Cène aux opposants. C’était un grave échec pour Calvin. Les élections du 3 février 1538 furent défavorables à son parti Le Conseil des Deux-Cents vota, le 1 1 mars, la résolution suivante : « que l’on doyve advertir les prédican qu’ils ne ce meslepoënde la politique, mes qu’ils preschent l’évangile de Dieu… Plus, de vivre en la

Parolle de Dieu, joste [suivant] les ordonance de Messieurs de Berne i. Le lendemain le Conseil récidive :

« L’on azdelTendu az M « G. Farel et M 8 Calvinus

de poen se mesler du magistrat. »

Entre la liturgie de Berne et celle de Calvin, la principale différence était en ceci, que Berne maintenait l’usage du pain azyme, tandis que Calvin usait, pour la Cène, de pairt fermenté.

Calvin n’était pas homme à céder, même en si petite matière. Le Conseil eut beau insister, ni Farel ni Calvin ne voulurent se soumettre.

Les Registres du Conseil général de Genève portent, à la date du 23 avril 1538, lamention suivante :

« Touchant de Farel et Calvinus… laz plus grand

voys az arresté qu’ils doyjent vuyder laz ville dans troys jours prochaien. » — et ceux du /’etit Conseil ajoutent : « M. le Soultier est aller fère commandement az Me G. Farel et az Calvinus de non plus prescher dans laz ville et laz absente dans troys jours prochaien comment az esté resoluz en gênerai. Surquoy on respondus les dits predicans : « Est bien ! az laz bonne heure 1 Si nous heussions servy les hommes, nous fussions mal recompenser : mes nous servons ung grand maystre que nous recompenseraz

  • . » Gilvinus az respondus cecy dessus.

M" Farel ausy azresponduz : a Az laz bonne heure I et bien de par Dieu ! »

VIII. Calvin, maître de Genève (1541-1564). — Malgré l’intervention du Synode de Zurich (29 avril, 4 mai 1538), et même celle de Berne, Calvin et Farel avaient dû renoncer à leur poste a Genève. Le 23 juillet, Farel se retirait à Neufchàtel, où, si l’on excepte une audacieuse tentative à Metz, en 1 542- 1 543, il demeura jusqu’à sa mort, le 1 3 sept. 156 ; ">. Calvin, de son côté, se rendit à Strasbourg, sur l’invitation de Bucer. Il y devint, le 8 septembre, pasteur des réfugiés français, puis professeur de théologie, payé par la ville (1.539). ^ y publia la seconde édition, très augmentée, de son Institution (i’r août 153g), son Commentaire de VEpltre aux Romains (1540), sa fameuse Réponse à Sadolet, dont nous avons cité plus haut un important passage. Le Conseil de Genève fut si frappé de cette Réponse, qu’il en ordonna l’impression (30 janvier 1540). Un revirement s’opérait dans la ville. Les Guillermins (partisans de Guillaume Farel) reprenaient pied. Les élections du 8 février 1540 leur furent favorables. Le 5 juin, les principaux adversaires des ministres exilés furent condamnés à mort. Le ai septembre, Ami Perrin, chef des Guillermins, fut ofiiciellement chargé « de trouver moyeant si pourroyfere venyr H* Caulvin » (Op. Calvini, XXI, 260). Les trois Conseils de la ville adressèrent, le 22 octobre, une lettre pressante à Calvin, pour la prier de revenir. Mais il se rendait alors au colloque de Worms. Un peu plus lard, il assista encore à celui de Ratisbonne (27avril-25 mai 1540- U eut l’art de se faire longtemps désirer. Plus il retardait son retour, plus on brûlait de le posséder. Il fallut encore des menaces imprécatoires de Farel et de Bucer pour le décider. Bucer n’allait-il pas jusqu’à lui prédire le destin de Jonas, s’il s’obstinait dans son refus I (voir Op. Calvini, XXXI, 25). Les pasteurs de Zurich lui envoyaient aussi leurs exhortations (4 avril 1541). Habile jusqu’au bout, Calvin rentra le 13 septembre 1541. à Genève, mais en présentant des lettres des magistrats de Strasbourg, qui réclamaient son retour dans cette ville. En même temps, il posait ses conditions en vainqueur. Il exigeait la nomination de commissaires, chargés de conférer avec lui pour établir dans la

1. Elrnnge langage dans la bourbe d’un théologien qui nie le mérite et les bonnes œuvres ! 637

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ville la discipline ecclésiastique. Le Conseil accepta tout. Les Registres notent, à la date du 1 3 septembre, que « M 1’Jehan Calvin, ministre évangélique… est arryvé d’Estrabourg » et qu’il a été « resoluz de le prier que entièrement il doybje demore iey, … aussy resoluz que l’on envoyé querre sa femme et son MWHIQ1

Calvin en elîet s’était marié, à la fin d’août i~>î<>, avec la veuve d’un anabaptiste qu’il avait converti. Cette femme se nommait Idelette de Bure. Elle avait, de son premier mariage, une tille qui donna plus tard beaucoup d’ennui à Calvin, par les scandales qu’elle provoqua. Calvin eut aussi un tils qui mourut en bas âge. Il semble bien que Calvin ait su déployer, dans l’intimité de son intérieur, une certaine tendresse de cœur, qui étonne de la part d’un homme si dur au dehors, mais que les historiens protestants, Lang, Doumergue surtout, ont célébrée avec un véritable enthousiasme.

A partir de i">41. Calvin fut le maître de « Genève, non pas, à vrai dire, le maître incontesté, car il eut des adversaires acharnés et implacables, mais du moins le maître qui commande et se fait obéir.

Sa situation est assez étrange. Il n’est à Genève qu’un étranger. Il s’est offert d’ê ire toujours « serviteur de Genève ». Ce serviteur est logé par la ville, dans une maison simplement meubléeavec un beau jardin, rue des Chanoines ; il reçoit un traitement de cinq cents florins d’or, — le double de ce qu’on donne aux autres prédicants. Il ne deviendra hourgeoisde Genève, qu’en iô.Vj. « Il n’était, au point de vue civique, qu’un hôte, et cela lui plaisait sans doute de n’être apparemment qu’un néant, un néant devant Genève, comme un néant devant Dieu. Mais il revendiqua et sut obtenir pour Dieu des prérogatives légales ; et, dès lors qu’elles furent reconnues, ce fut lui qui parla au nom de Dieu, et son néant devint tyrannie. » (Gborgbs Goyxii, Une Ville-Eglise

I, 40-40"

Calvin se regarde en effet, quoique indigne, comme un nouveau Moïse. Il a le même genre de confiance en soi-même que nous avons trouve dans un Luther. Il s’imagine que par sa bouche c’est Dieu même qui parle. Il est convaincu que seule son interprétation de la Bible est correcte.

Il s’accorde à lui-même cette infaillibilité qu’il refuse à l’Eglise catholique. Il fait profession cependant de se délier de lui-même, de son talent, de sa raison. Il écrit à M. d’Aubelerre, en mai 1553 : « Je confesse que ce seroit trop grande présomption à moy de me lier à mon sens propre, cuidant avoir meilleur jugement que les aultres. » Mais il ajoute aussitôt : « Puisque Dieu m’a jaict la grâce de me déclairer ce qui bon ou mauvais, il fault que je me règle à cesf/> mesure. » Avec une pareille assurance, rien ne l’émeut, rien ne l’arrête. Il ne songe qu’à l’honneur de Dieu, il commande, il menace, il enseigne, il impose ses idées, ses manières de voir, ses volontés, tout cela au nom d’un livre, dont il connaît tous les secrets, dont il sait traduire toutes les intentions : la Sainte- flible. M. Choisy a pu ap peler très justement le régimequ’il instituée Genève une Hibïiocratie.

Quels étaient les rouages principaux de ce gouvernement biblique ?

IX. L’Etat puritain à Genève. — Dès l’époque où il avait commencé à s’éloigner de l’Eglise catholique, Calvin avait été frappé de trois choses que l’on reprochait justement à la « Réforme luthérienne » : i* Elle n’avait pas amélioré les mœurs, tout au contraire, l’insistance que Luther avait mise à enseigner la. justification par la foi sans les

œuvres avait amené un relâchement moral que Luther lui-même déplorait amèrement ; a* Elle avait assujetti l’Eglise au pouvoir civil, d’une façon dangereuse et humiliante : 3* l’ar contre-coup, certaines sectes, — les Anabaptistes surtout, — avaient montré à l’égard des autorités civiles un esprit d’indépendance et d’insoumission qui faisait redouter les plus graves désordres sociaux.

Très préocupé de ces critiques adressées à la Réforme, Calvin organise l’Eglise de Genève, de façon à répondre victorieusement aux attaques de ses adversaires.

Il maintient le dogme de la justification par la foi seule. Mais il rétablit la nécessité des œuvres. On a eu tort de le croire original sur ce point. Il ne fait que copier Luther. Comme lui, il déclare que toutes les œuvres « que nous faisons de notre propre nature sont vicieuses, et par conséquent ne peuvent plaire à Dieu », que Dieu nous justifie par la foi,

« sans aucune considération de nos œuvres », que

ces œuvres ne deviennent jamais des mérites même chez les justes, mais qu’elles sont nécessaires pourtant afin de montrer que nous avons bien la vraie foi. Comme Luther, Calvin est convaincu que le peuple ne peut pas être dirigé par l’Evangile pur, mais qu’il doit être « pressé corporellement » et

« contraint par les lois et le glaive » (voir ci dessus

l’aveu de Luther à son ami Spalatin, lettre du 7 janvier 1627, Endrrs, VI, 6).

Mais Calvin profite des expériences faites par Luther. Il va droit au but. Il a sa constitution toute prête. Il veut que l’Eglise et l’Etat marchent de pair. L’Etat accepte les ministres, mais les ministres imposent à l’Etat les volontés divines. C’est Dieu qui commande par ses ministres, et l’Etat n’a d’autre but, d’autre raison d’être que de faire observer la loi de Dieu par tous les sujets. La distinction du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, précieuse conquête de l’Evangile, disparait avec Calvin, comme avec Luther. On rétrograde jusqu’à l’Ancien Testament. L’Etat puritain ne connaît guère que la loi de crainte. Il ignore ou il oublie la loi d’amour. Jamais le joug de la religion n’a été plus oppressif ni plus importun. le calvinisme a retardé l’avènement de la liberté dépensée, t du naturalisme, mais au détriment de la liberté tout court et des aspirations légitimes de la nature.

Les Ordonnances ecclésiastiques, proposées par Calvin dès le 13 sept. 1541. furent soumises, d’après son désir, dès le 16, aux six commissaires nommés par le Conseil, et approuvées en Conseil général

« sans contradiction » le dimanche aonov. 154 1.

En voici l’analyse :

« Il y aquatre sortes d’offices, que Nostre Seigneur

ainsiilué pour le gouvernement de son Eglise : 1 " les nasleurs, puis les docteurs, après les anciens, 4e le- ; diacres ». — 1 » Les pasteurs ont pour office d’annoncer la Parole de Dieu pour endoctriner, admonester, exhorter et reprendre tant en publia comme en particulier, administrer les sacramans et faire les correct ons fraternelles avec les anciens et comys », … « nul ne se’loibt ingérer en cest office sans vacation ; en laquelle il fault considérer trois choses assavoir 1) l’examen, qui est le principal, après a) à qui il appartient de instituer les ministres, 3) quelle cérémonie ou façon de faire il est bon de garder à les introduire en l’office ».

L’examen des futurspasleurs porte sur la doctrine, l’aptitude à enseigner, sur la conduite privée et publique. Il est fait par le Consistoire.

L’institution se fait de la manière suivante : a Que les ministres eslisent premièrement oelluy qu’on doibvra mettre en l’office. Après, qu’on le 639

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présente au Conseil. Et s’il est trouvé digne, que le Conseil le reçoive et accepte, luy donnant tesmonage pour le produyre (maniement au peuble en la prédication, affin qu’il soit receu par consentement commun de la compagnye des fldelles. >.

Pour éviter les superstitions catholiques (sacrement de l’Ordre), on supprime l’imposition des mains, qui servait aux Apôlres à introduire les ministres dans leur office. On se contentera d’une déclaration faite par un ministre déjà en exercice et de prières pour le futur pasteur, qui prêtera serment « entre les mains de la Seigneurie ». Pour conserver l’unité de doctrine, les ministres se réunissent une fois par semaine pour conférer des Ecritures. — C’est ce qu’on appellera la Congrégation, qui se tiendra chaque vendredi à L’Auditoire (ancienne église de Notre-Dame-la-Neuve).

En cas de conflit doctrinal, la Congrégation fait appel aux « Anciens et comys par la Seigneurie » [Consistoire]. Si l’accord ne peut être rétabli, « que la cause soit déférée au magistrat pour y mettre ordre ». Si quelque pasteur se rend coupable d’une faute grave ou d’un crime, « la première inquisition » en appartiendra au Consistoire. Mais celui-ci en fera « le raport au Conseil », aûnque « le dernier jugement de la correction soit tousjours réservé à la Seigneurerie ».

Les Ordonnances réglaient ensuite le nombre, le lieu et le temps des prédications. Les sept paroisses de Genève étaient réduites à trois : Saint-Pierre, Saint-Gervais, la Madeleine. Il y avait deux sermons le dimanche, catéchisme pour les enfants, un sermon les lundis, mardis et vendredis. On comptait pour ce service « cinq ministres et troys co-adjuteurs, qui seront aussi ministres ». — a Après les pasteurs, viennent les docteurs. Les Ordonnances prescrivaient en cetendroitl’organisation desécoles. Elles devaient être soumises en tout aux ministres :

« Que tous ceulx qui seront là soient subjectz à la

discipline ecclésiastique, comme, les ministres… que nul ne soit receu s’il n’est apprové par les ministres. .. Toutesfois l’examen debvra estre faict présent deux des seigneurs du Petit Conseil. »

3° L’office des Anciens « est de prendre garde sur la vie d’un chascun, d’admonester amyablement ceulx qu’ilz verront faillir et mener vie désordonnée, et là ou il en seroit mestier faire rapport à la Compaignye qui sera députée pour faire les corrections fraternelles et les faire avec les aultres.

« Comme ceste esglise est disposée, il seroit bon

d’en eslire deux du Conseil Estroict, quatre du Conseil des soixante, et six du Conseil des Deux-cens, gens de bonne vie et honeste, sans reproche et hors de toute suspection, sur tout craignansDieu et ayant bonne prudence spirituelle. Et les fauldra tellement eslire qu’il y en ait en chascun quartier de la ville, affin d’avoir l’œil partout. »

C’est ce Conseil des Anciens qui prendra le nom de Consistoire, redoutable institution de surveillance dont les Ordonnances précisent le fonctionnement :

Le Consistoire doit se réunir chaque semaine

« assavoir le Jeudy matin pour veoir s’il n’y a nul

désordre en PEsglise et traicter ensemble des remèdes quand il en sera besoing. Pour ce qu’ilz [les Anciens] n’auront nulle auctorité ne jurisdiction pour contraindre, qu’il plaise à Messieurs leur donner ung de leurs officiers, pour appeller ceulx nusquelz ilzvouldront faire quelque admonition. Si quelqu’un par mespris refuse de comparoistre, leur office sera en advertir le Conseil, affin de y donner remède ».

Mais sur quelles matières devait se porter la surveillance des Anciens ? Les Ordonnances nous

l’apprennent : « S’il y a quelqu’un qui dogmatise contre la doctrine receue… Si quelqu’un est négligent de convenir à l’esglise, tellement qu’on aperçoive ung mespris notable de la communion des Qdelles, ou si quelqu’un se monstre estre contempteur de l’ordre ecclésiastique… Les vices secretz, qu’on les repregne secrètement… Quant est des vices notoires et publiques, l’office des Anciens sera appeller ceulx qui en seront entachez, leur faire remonstrances amyables affin qu’ilz ayent à s’en corriger… Et si à la longue, on ne proufytoit rien, leur dénoncer comme à contempteurs de Dieu, qu’ilz ayent à s’abstenir de la Cène, jusques à ce qu’on voye en eulx changement de vie… Quant est des crimes qui ne méritent pas seulement remonstrance de paroles mais correction avec chastiement, si quelqu’un y est tombé, selon l’exigence du cas il luy fauldra dénoncer qu’il s’abstienne quelque temps de la Cène… Si quelqu’un par contumace ou rébellion se volloit ingérer contre la deffence, l’office du ministre sera de le renvoyer, veu qu’il ne luy est licite de le recevoir à la Communion. »

4° Les Diacres étaient chargés des aumônes et du service hospitalier. Notons à ce propos que le personnel calviniste ne montra qu’un faible courage, au cours des épidémies qui signalèrent les années 15^2 et 1 543. Le Conseil défendit à Calvin d’exposer sa vie si précieuse, en visitant les hôpitaux. Quant auxautres ministres, ils déclarèrentqne Dieu ne leur avait pas donné la grâce de force indispensable pour accomplir leur devoir, en cette circonstance.

Les Ordonnances réglaient encore la discipline des sacrements, au nombre de deux seulement : le Baptême et la Cène. Elles parlaient du mariage, des enterrements, de la visite des malades et des prisonniers.

Calvin obtint en outre que tous les habitants de Genève, sans excep’ion, fussent obligés d’assister au prêche, le jeudi, en plus du dimanche.

La liturgie genevoise fut réglée au cours de 15/|2.

Le Catéchisme avait précédé le nouveau Rituel, de quelques mois. Calvin était surtout lier de l’établissement du Consistoire, par lequel il imposait à toute la ville une discipline impitoyable.

X. Le Consistoire â l’œuvre. — La domination de Calvin à Genève ne s’établit pas sans lutte. On distingue trois périodes dans le développement de la discipline consistoriale. De 154a à 1548, Calvin consolide son œuvre. De 1548 à1554, il voit se dresser contre lui une violente opposition. Il est honni, injurié, détesté, menacé. Il triomphe cependant de ses adversaires, à force de ténacité et de vigueur. Le supplice de Michel Servet rétablit son prestige et de 1554 à 1564, il règne sur la cité sans rencontrer aucun obstacle sérieux.

a) Première période (1542-i.V, 8). — Nous possédons les comptes rendus desséances du Consistoire, à partir de la io* séance, 16 février 154a- Pendant les deux premières années, Calvin fut extrêmement assidu à ces réunions. On ne constate que cinq absences de sa part. Le Consistoire exerce une inquisition de tous les instants sur tous les citoyens. Il questionne, il admoneste, il réprimande, il dénonce. Il veut savoir si Antoine Simon va au sermon et s’il peut réciterle « 7e crois en Dieu ». Hélas ! il ne sait que le Notre Père, mais il va au sermon, quand il peut (séance du 16 mars 15’|2). — Le Consistoire fait de graves remontrances à « doua Jane Petreman » parce qu’  « elle n’a receupl la saincte Cène et vat aux Messes ». La dame « respond qu’elle vaz ou il luy semble bon » (30 mars i. r >4a). — Le 641

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Consistoire s’applique à venger l’honneur de Dieu, outragé par les offenses des citoyens, surtout des papistes obstinés, tels que Jane Petreman. Nul n’échappe à ses curiosités ni à ses rigueurs : « On comparaissait devant lui, a écrit M. Goyau, pour gamineries et pour débauches, pour adultère et pour bal déjeunes gens, pour blasphèmes et pour un festin tropcopieux, pour manque d’assiduité aux prêches et pour superstition papiste. » Ce tribunal employait à la ville et dans les campagnes ses délateurs, chargés de prendre note du péché ; et chaque membre du Consistoire devait lui-même apporter à ses confrères, tous les huit jours, l’in licalion des délits qu’il avait pu constater et qui méritaient châtiment. .. Jouer aux dames et au trictrac, dans quelque cabaret, en y buvant un quarteron de viii, étaitun délit sérieux ; pour l’avoircommis, Bonivard, quelque fanatique que fût sa foi huguenote, et Clément Marot, quelque édifiants que fussent ses psaumes, furent cités en « Consistoire » (Une Ville Eglise, p. b~, 6a, — la comparution de Marot est du 20 décembre 1 543).

L’arme principale du Consistoire, c’était l’excommunication, qui consistait à interdire la Cène au délinquant, ce qui l’obligeait à se soumettre, sous peine d’être déféré au pouvoir civil. Calvin tenait par-dessus tout à ce droit d’excommuiication. A Pàquasde 15.’|3, le Sénat de Genève, ou Conseil des soixante, essaya de se réserver ce droit et de l’enlever au Consistoire. Aussitôt Calvin prit feu et flamme et se déclara prêt à la mort ou à l’exil plutôt que de céder. Le Sénat dut s’incliner (voir Lettre de Calvin à Viret, 24 mars 1.3 / ( 3, Hbrminjard, Correspondance des Réformateurs, VIII, n° I213). — Les premières oppositions furent vaincues sans trop de difficultés. Il y eut cependant quelques cas épineux : ainsi Sébastibn Castelliox [1515-1563) fut exclu du ministère pastoral pour avoir soutenu sur le Cantique des Cantiques une opinion que Calvin réprouvait, et l’on n’est pas peu surpris de voir Calvin lui opposer ce « perpétuel consentement de toute l’Eglise » qu’il n’avait pas craint de mépriser lui-même en passant au protestantisme. Castellion fut fait maître d’école. Il resta mécontent et quitta Genève, le 12 juin 1544- L’affaire Ambaux fut un peu plus grave. Pierre Ameaux était fabricant de cartes à jouer. La rigueur puritaine du régime calvinien lui faisait perdre sa clientèle. Il proféra des injures contre Calvin. On le jeta en prison. A la date du 8 avril iblfi, le Conseil prononça la sentence suivante :

« Ayans vheu le contenuz de ces responses, 

par lesquelle nous appert que il [Ameaux] a meschamrnent parlé contre Dieu, le Magestral et M.Calvin ministre etc Ordonné qu’il soyt condampné

à debvoyer fère le tour à la ville en chemise teste nue, une torche allumée en sa maien et dempuys devant le tribunal venyr crie mercy à Dieu et à la justice les genoulx à terre, confessant avoyer mal parlé, le condampnant aussy à tous despens et que la sentence so3’t proféré publiquement. » Notons que Pierre Ameaux était membre du Petit-Conseil, donc un personnage considérable. Pius considérable encore était Ami Perrin, eapit&ine-géuéral de la ville, gendre de François Favre dont les descendants existent encore à Genève. Les Favre étaient tous de caractère assez indépendant. On vivait bien et on était gai, dans la famille. A l’occasion d’un mariage, il y eut un bal chez ces excellents bourgeois. Le Consistoire enquêta, fit comparaître les danseurs et les danseuses. Tous mentirent effrontément, sauf Amblard Corne, syndic et président du Consistoire, et Ami Perrin. Calvin tonna contre la danse et jura de réduire les coupables. La femme de

Tome IV.

Perrin, Franchequine, lui cria avec rage : « Méchant homme, vous voulez boire le sang de notre famille, niaU vous sortirez de Genève avant nous s ! La querelle agita la ville pendant longtemps. Le syndic Corne et le capitaine Perrin durent faire amende honorable. Mais Franchequine Perrin fut plus malaisée à réduire. Elle continua à danser, comparut de nouveau devant le Consistoire, le a3 juin vhtfi, traita le ministre Abel Poupin de « gros pouacre »,

— ce qui était une injure assez salée, — et fut jetée en prison. Mais l’opinion s’ébranlait. Une alliche fut apposée à la chaire, on y disait n que des prêtres renégats, comme Calvin et ses amis, n’avaient que faire de désoler ainsi le monde, que s’ilsconlinuaient, on les mettraiten tel lieu qu’ils maudiraient l’heure qu’ils étaient sortis de leur moinerie » (voir lettre de Calvin à Viret, a juillet 154 ?). Calvin, furieux, fit faire une perquisition dans la demeure de Jacques Gruet, un ami des Favre. On constata que l’affiche n’était pas de sa main, mais on trouva chez lui des chiffons de papier, brouillons et notes, compromettants. Il se permettait de penser et d’écrire dans ses carnets intimes que les lois ne doivent frapper que ce qui fait tort à la République, qu’à Venise on le comprend ainsi, qu’on perdrait mille citoyensen obéissantaux imaginations d’un homme mélancolique. Il allait plus loin, il plaisantait la Bible et le christianisme. Immédiatement arrêté, Gruet fut jugé et condamné à « avoyer tranché la teste de dessus les espaules et son corps attaché aut gibet et la teste cloyé en icelluy » (26 juillet 1547).

b) La lutte, — Mais en février 1548, les élections tournèrent contre Calvin, et l’année suivante, 10 fév. 154g, le capitaine-général Ami Perrin, devint syndic. Une vive réaction se produisit. On se montrait très animé, dans la ville, contre les Français. La persécution exercée en France par Henri II, contre les huguenots, amena en effet, de 154q à 1554, 1.376 réfugiés à Genève, et ils n’étaient pas les premiers. Or, Genève n’était alors qu’une petite république de 13.ooo habitants, comptant de 1.000 à i.500 électeurs. On craignit d’être submergé par les étrangers. Calvin, au contraire, s’appuyait sur les réfugiés, qu’il regardait comme des « confesseurs de la foi ». En1551, les Perrinistes proposèrent que nul ne pût être reçu bourgeois, avant a5 ans de résidence. Sur ces entrefaites, le médecin Jérôme Bolsec, ancien Carme devenu protestant, attaqua publiquement la doctrine de Calvin, sur le dogme central de la prédestination. Calvin se défendit avec véhémence etobtint le bannissement de Bolsec (a3 déc. 1551), puis la consécration officielle du dogme de la prédestination (Consensus Genevensis, i er janvier 1552).

L’année 1 553 fut décisive. Aux élections du 5 février, la victoire des Perrinistes fut complète. La déflance envers les étrangers devint extrême. Si Calvin triomphait dans les questions de doctrine pure, comme celle de Bolsec, il essuyait par ail’eurs les affronts les plus mortifiants : « La colère et la rage contre moi en sont venues à ce point, disait Calvin, que tout ce que je dis soulève le soupçon. Même si j’affirmais qu’il fait clair en plein midi, on commencerait aussitôt à en douter » (voir A. Lang, Zwingli und Calvin, p. 127). C’est au moment où l’autorité de Calvin était le plus menacée, qu’elle fut soudain rétablie, dans Genève, par l’événement qui a le plus contribué, dans la suite, à souiller sa mémoire : l’exécution de Michel Sbrvet. On sait que le médecin espagnol Servet niait le dogme de la Sainte Trinité. Dans un ouvrage paru dès 1531, il s’était mis en état d’opposition résolue envers la doctrine traditionnelle sur ce point. Dans une lettre à Farel, du 13 février 1 5 4 7, Calvin racontait qu’il avait discuté

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avec lui par leltres, et il ajoutait cette phrase sinistre :

« s’il vient ici, pourvu que mon autorité ait

du poids, je ne soulfrirai pas qu’il s’en aille vivant, — si venerit, modo valeat mea auctoritas, vivum exire nunquam patiar ». Michel Servet était averti. Il fut dénoncé à l’Inquisition catholique par un ami de Calvin, Guillaume de Trie, qui fournit de plus les preuves judiciaires de l’hérésie de Servet. Calvin nia plus tard impudemment avoir été mêlé au procès de Vienne. Cependant de Trie affirme que c’est de lui qu’il a reçu les documents transmis à l’Inquisition, il ajoute que Calvin ne s’est décidé’qu’avec peine à les livrer. Servet fut condamné au feu, mais l’Inquisition le laissa fuir. Il commit l’incroyahle imprudence de passer par Genève pour se rendre àNaples. Reconnu et arrêté, le 1 3 août 1 553, il fut jugé, et se sentant un peu soutenu par le parti perriniste, il s’éleva avec force contre Calvin, le « magicien » et le « sycophante » et contre sa doctrine. Mais lesidées de Servet lui-même heurtaient trop violenunentl’opinion . La sentence fulportée le 26 octobre 1553.Le RegistredesPasteursla mentionne ainsi :

« Messeigneurs aians reçue l’advis des Eglises de

Berne, Basle, Zurich et Chafouz, touchant le faict de Servet, condamnèrent ledict Servet a estre mené en Champey et la estre bruslé vif. Ce que fut faict sans que ledict Servet à sa mort ait donné aucung indice de repentance de ses erreurs. » Calvin justifia publiquement cette sentence et le doux Mélanchthon lui-même lui écrivait, le 14 octobre 1554 :

« J’ai lu l’écrit où tu as réfuté abondamment les

horribles blasphèmes de Servet et jerends grâces au Fils de Dieu qui fut l’arbitre de ce combat. L’Eglise d’aujourd’hui et celle de l’avenir te doit et te devra de la gratitude… J’affirme que vos magistrats ont agi justement en mettant à mort cet homme de blasphème, après un jugement régulier » (voir Corpus Reformatorum. XLIII, a68).

« Ce qu’il y a déplus triste en tout cela, conclut

l’historien protestant Augustb Lang, c’est que dans sa « Défense contre Servet », qui parut en février 1 554, Calvin n’eut pas le courage d’avouer la part qu’il avait prise à l’emprisonnement de Servet à Vienne. Il affirme sèchement, dans cet ouvrage, que c’est une frivole calomnie que de l’accuser d’avoir livré le malheureux aux ennemis mortels de la foi. » (Ouvrage cité, p. 131).

c) Le triomphe de Calvin. — Après l’exécution de Servet, Calvin reconquit entièrement l’opinion. Les circonstances du reste le favorisèrent. Philibert de Savoie, devenu le général favori de Philippe II d’Espagne, donnait des craintes à Genève et à Berne. Les deux cités se rapprochèrent. Les Perrinistes furent privés du secours bernois.

Les élections du 4 février [554 amenèrent au pouvoir 3 syndics favorables à Calvin sur 4- L’année suivante, tous quatreétaient pour Calvin. Ses adversaires furent traqués, exilés ou exécutés. Calvin fit recevoir dans la bourgeoisie un grand nombre de réfugiés. Il s’appuya fortement sur ce nouveau parli, qui partageait toutes ses manières de voir. Il organisa, en 1550, , une Université, qui devint le séminaire du Calvinisme.

Un Français, Théodore ob BBZK(151g-1605), enfut nommé recteur. Genève fut désormais le centre intellectuel et apostolique de l’Eglise réformée. Il ne sortit jamais personne île là pour aller prêcher l’Evangile aux païens des missions lointaines. En revanche, il en sortit par centaines des pasteurs qui allèrent en France ou dans d’autres régions catholiques arracher les âmes simples a la foi de leurs ancêtres. A la date du 4 niai 1564, l’Université comptait i.500 étudiants.

Cependant Calvin avait donné sa dernière forme à l’Institution chrétienne. Ce monumental exposé de sa doctrine avait grossi d’édition en édition, jusqu’en 155q. Le livre dépassait alors mille pages in-4°. Sans nous arrêtera donner dans le détailles éléments de la théologie calviniste, qui tient de si près à la théologie luthérienne (biblicisme intégral, fatalisme absolu, justification par la foi seule, liturgie réduite au Baptême et à la Cène), nous résumerons la théorie célèbre de Calvin sur la prédestination.

XL Le dogme de la prédestination d’après Calvin. — C’est au chapitre xxie du livre 1Il de son Institution chrétienne (édition de 155y), que Calvin traite ex professo « De l’élection éternelle, par laquelle Dieu en a prédestiné les uns à salut, les autres à condamnation ». Il serait inexact de lui attribuer la paternité de la doctrine qu’il développe en ce lieu. Si l’on a raison de voir en Calvin le théologien du fatalisme prédestinatien, par excellence, il ne faut pas oublier qu’il ne fait que suivre, sur ce point, l’enseignement formel de Luther (dans le De servo arbitrio, 15a5), qui lui-même est d’accord avec Wyclif, au xive siècle, et Gotleschalk, au ixe [Voir article Prédestination], Plus que tout autre, cependant, Calvin a appuyé sur cette théorie désespérante et abominable, que par une aberration inconcevable il trouve agréable et souriante, ou, comme il dit,

« douce et savoureuse au fruict qui en revient ». Il

n’ignore pas cependant que tel n’est pas l’avis général :

« Je confesse, dit-il, que les meschanls et blasphémateurs

trouvent incontinent en ceste matière de prédestination à taxer, caviller.abbayer ou se moquer. Mais si nous craignons leur pétulance, il faudra taire un des principaux articles de nostre foy. »

« Nous appelons Prédestination, poursuit-il : le

conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il vouloit faire d’un chacun homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à vie éternelle, les autres à éternelle damnation. »

Calvin prétend découvrir cette affreuse doctrine dans la Bible : « Nous disons donc, comme l’Escriture le monstre évidemment, que Dieu a une fois décrété par son conseil éternel et immuable, lesquels il vouloit prendre à salut, et lesquels il vouloit dévouer à perdition. Nous disons que ce conseil, quant aux esleus, est fondé en sa miséricorde sans aucun regard d « dignité humaine. Au contraire, que l’entrée de vie est forclose à tous ceux qu’il veut livrer à damnation, et que cela se fait par son jugement occulte et incompréhensible, combien qu’il soit juste et équitable. D’avantage nous enseignons que la vocation des esleus est comme une monstre et tesmoignage de leur élection. Pareillement que leur justification en est une autre marque et enseigne jusques à ce qu’ils viennent en la gloire en laquelle gistl’accomplissementd’icelle. Or, comme le Seigneur marque ceux qu’il a esleus, en les appelant et justifiant, ainsi au contraire, en privant les réprouvez de la cognoissancedesa parole ou de lasanctiGcation de son Esprit, il démonstre par tel signe quelle sera leur fin et que jugement leur est préparé. »

Calvintrouvemagnifiquecetteconception d’un Dieu qui crée des êtres capables de penser, de vouloir el d’aimer, avides de bonheur éternel, et qui froidementfait son choix parmi eux, sans aucun égard à leurs effort*, à leurs mérites ou démérites, sans aucune considéra lion du développement ultérieur de leur vie, députe les uns au ciel et par suite leur assure la foi, la justification, la certitude du salut, et destine les autres aux enfers et par conséquent leur donne en partage les vices, les ténèbres de l’esprit, la perversion du cœur, afin de pouvoir les salir en même temps 6’15

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qu’il les condamne 1 II consacre tout son chapitre xxii à établir ce dogme par les textes de saint Paul (Itom., ix, 6, ia 15, — Eph., , 4) et les commentaires de saint Augustin. Il essaie de prouver que la gloire de Dieu exige la damnation d’un grand nombre. Au chapitre xxine, il réfute les « calomnies » l’outre sa doctrine, et il les traite sans hésiter de « grondements de pourceaux ».Sa manière de raisonner est tout à fait enfantine : toute la race d’Adam, dit-il, est une masse de corruption. Tous les humains devraient donc être condamnés à l’enfer. Quelle reconnaissance ne devons-nous pas à Dieu, puisqu’il daigne fairemiséricordeà quelques-uns ?Quand il nous châtie, il ne nous donne que ce qui nous revient, * quand il nous sauve, il montre sa bonté, nous ne pouvons donc que le bénir. Mais si vous demandezâCalvincoramentilsefait que la race d’A-il ; i m soit une masse de corruption, il est contraint de répondre : « On ne peut nier que Dieu n’ait préveu devant que créer l’humme à quelle fin il devoit venir et ne l’ait préveu pour ce qu’il l’avoit ainsi ordonné en son conseil… Dieu non-seulement a préveu la cheute du premier homme et en icelle la ruine de toute sa postérité, niais il l’a ainsi voulu. » La puissance de raisonnement de Calvin s’arrête là. Elle ne va pas jusqu’à conclure que, dans son système. Dieu est cause de tout mal et qu’en punissant les créatures, après les avoir jetées dans le péché, il agit en révoltant despote et non en Maître juste et bon. Les calvinistes eux-mêmes conviennent que Calvin a de Dieu une idée inadmissible.

« Le Dieu de Calvin, écrit M. Henri Bois, professeur

à la Faculté de théologie protestante de Montauban, n’est qu’un grand égoïste. Il se soucie fort peu de ses créatures. Leurs souffrances présentes et éternelles ne lui importent guère. Ce qui l’intéresse, c’est sa gloire, à lui. S’ilen condamneunemultitudeàla perte éternelle, leur sort déplorable ne le touche pas : qu’importe, si cela met en relief sa justice à lui ? S’il en destine quelques-uns au ciel, ce n’est pas qu’il les aime tout simplement, sans arrière-pensée, mais c’est qu’il en rejaillira sur lui de l’honneur. Toujours sa gloire I la gloirede son nom ! Pasun sentiment désintéressé 1 Le Dieu de l’Evangile, le Père de Jésus, n’est pas un Dieu de cette sorte. » (La Prédestination d’après Calvin, dans R. de métaphysique et de morale, 1918, p. 682).

A notre avis, tout Calvin est dans cette doctrine sombre et désolante, il nous apparaît comme un scolastique à qui les humanistes ont appris à écrire, tout hérissé d’arguments, tout desséché par la manie de ratiociner, esprit faux, peu original, têtu dans ses partis pris, aveugle dans les opinions qu’il a chaussées, caractère tendu, âpre, tenace, dominateur, sachant en imposer par l’intransigeance de ses principes, l’algèbre de ses raisonnements, la régularité extérieure de sa vie, un masque affecté de puritanisme sévère et contraint, et enfin et surtout par le prestige alors tout-puissant de la parole de Dieu, contenue dans l’Ecriture, dont il apportait » toute heure les oracles, -ur un ton dogmatique et péremptoire, pour appuyer ses moindres affirmations et autoriser es moind’-es gestes. Nul n’a abusé à ce point du rôle de prophète, d’interprète infaillible de la pensée et de la volonté de Dieu. Il a régné par la terreur religieuse. Ses disciples feront de même, chacun suivant ses moyens, ’.es plus fidèles de ses imitateurs seront les presbytériens d’Ecosse et les puritains d’Angleterre

XII. M^rt de Calvin- — Calvin s’était rapidement épuisé à la tâche. Les six derniores années de sa vie ne sont que l’histoire d’un malade. Il était usé à

50 ans. En décembre 1502, c’est, à peine s’il peut aller de son lit à sa table. On le porte à l’église, les jours de sermon. En février 1 564, on s’aperçut que la (in approchait. Le a, il monta pour la dernière fois dans sa chaire professorale ; le 6, il donna son dernier sermon. Le a- ; avril il lit ses adieux solennels aux magistrats, le 28 aux pasteurs, puis il attendit la mort qui ne vint le délivrer que le 27 mai 1 564, un samedi vers 8 heures du soir. Le ministre Pinault avait pris soin de noter ses dernières recommandations, dans son discours aux prédicants, le 28 avril. Voici quelques passages de ce document mémorable : « Quand je vins premièrementen cesteEglise.iln’y avoitquasi comme rien. On preschoit et puis c’est tout. On cerchoit bien les idoles et les brusloit-on ; mais il n’y avoit aucune réformation. Tout estoit en tumulte. Il y avoit bien le bonhomme maistre Guillaume [Farel], et puis l’aveugle Couraut. D’advantage.il y avoit maistre Anthoine Saulnier, et ce beau prescheur Froment qui ayant laissé son devantier s’en monloit en chaire, puis s’en retournoit à sa boutique où il jasoit, et ainsi faisoit double sermon. — J’ay vescu en combats merveilleux ; j’ay esté salué par mocquerie le soir devant ma porte de 50 à 60 coups d’arquebuse. Que pensez-vous que cela pouvoit estonner un pauvre escholier timide comme je suis et comme je l’ay tousjours esté, je le confesse ? — Puis après je fus chassé de ceste ville, et m’en allay à Strasbourg, où ayant demeuré quelque temps, je fus rappelé, mais je n’eus pas moins de peine qu’auparavantenvoulantfairemacharge. — On m’a mis les chiens à ma queue, criant : hère I hère 1 et m’ont prins par la robbe et par les jambes. Je m’en allay au Conseil des 200, quand on se cornbatoit, et retins les aultres qui y vouloyent aller et qui n’estoyent pour faire cela… et en entrant on me disoit : « Monsieur, retirez-vous ; ce n’est pas à vous qu’on en veult » ; je leur dis : « Nonferay ; allez meschans, tuez-moy et mon sang sera contre vous, , et ces banqs mesmes le requerront. » — Ainsy j’ay esté parmy les combats, et vous en expérimenterez qu’ils ne seront pas moindres, mais plus grands. Car vous estes en une perverse et malheureuse nation, et combien qu’il y ait des gens de bien, la nation est perverse et meschante, et vous aurez de l’affaire, quand Dieu m’aura retiré ; car encores que je ne sois rien, si sçay-je bien que j’ay empesché trois mille tumultes qui eussent esté en Genève.

« … Quanta ma doctrine, j’ay enseigné fidellement,

et Dieu m’a faict la grâce d’escripre ce que j’ay faict le plus fidellement qu’il m’a esté possible, et n’ar pas corrompu un seul passage de l’Escrilure, ne destourné à mon escient ; et quand j’eusse bien peu amener des sens subtils, si je me feusse estudié à subtilité, j’ay mis tout cela soubs le pied et me suis toujours estudié à simplicité. Je n’ay escrit aucune chose par haine à rencontre d’aucun, mais tousjours ay proposé fidellement ce que j’ay estimé estre pour la gloire de Dieu. »

On fait parfois le panégyrique des grands personnages quand ils sont morts. Calvin n’a voulu laisser à personne le soin de faire son propre éloge. L’humilité n’était pas sa vertu dominante.

Terminons cette étudeennousétonnant de l’étrange contradiction qui se remarque dans l’Eglise calviniste de nos jours. Calvin y est toujours en grand honneur et cependant on y répudie généralement avec force et le dogme de la prédestination et celui de la divinité de Jésus-Christ. Or c’est justement pour cela que Calvin a fait bannir JÉRÔME Bolsec et brûler

MlCIIRL SlWVET !

BimioonAPHiB. — a) Sources. — Opéra Cahini, dans Corpus Iteformatorum, .">ij volumes, tomes 647

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XXIX à LXXXV1I de la collection, Brunswick, 1863-io, oo, — Herminjard, Correspondance des réformateurs dans les pays de langue française, 9 vol. Genève, Paris, Baie, Lyon, 1866-1897, — Mémoires de l’Institut national, de Genève, — Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, — Bulletin de l’Institut national, Genève. — Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français. — Bonnet, Lettres de Jean Calvin, 2 vol. Paris, 1 8">4 (c’est à ce dernier recueil que nom avons emprunté le discours de Calvin mourant aux pasteurs).

b) Ouvrages à consulter. — Emile Doumergue, Jean Calvin, les hommes et les choses de son temps, 5 vol. Lausanne, 1899-1917, ouvrage de haute érudition, mais déparé par un ton de panégyrique trop continu et un style très négligé. — Abel Lefranc, La jeunesse de Calvin, 1888. — lios sert, Vie de Calvin, Paris, 190$. — Kampschulte catholique) Johann Calvin, seine Kirche, und sein Staat in Genf, 1869 — August Lang, Zwingli und Calvin, Bielefeld und Leipzig, 1913. — Heyer, L’Eglise de Genève, esquisse historique de ses diverses constitutions, avec la liste de ses pasteurs et professeurs, Genève, 1909. — Georges Goyau, Une Ville-Eglise : Genève, 2 vol. Paris, 19 19. — J. Ant. Gautier, Histoire de Genève, 9 vol. Genève, 1898-1914, — J- Gaborel, Histoire de l’Eglise de Genève, depuis le commencement de la Réformalion, jusqu'à nos jours, Genève, 3 vol. 1850-18(')2. — Alfred Franklin, Vie de J. Calvin par Th. de Bèze, (avec une préface très intéressante), publiée et annotée, Genève, 1859. — Abraham Ruchat, Histoire delà Réformation de la Suisse, 6 vol. Genève, 1727. — Florimond de Ræmond. La neissance, progrez et décadence de l’hérésie de ce siècle, , 6 5. — Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique des Eglises réformées au royaume de France. — La vie de Calvin par Bèze se trouve dans le tome XXI des Opéra Calvini, en trois rédactions, datées de 1564, [566, 1575. — M. Doumergue a repris son panégyrique de Calvin dans une brochure intitulée : Le Caractère de Calvin, Paris, éditions de foi et vie, 192 1.

L. Cristiani.

VI. — LA RÉFORME EN ANGLETERRE LES ORIGINES (1 509-1 645)

I. _ Henri VIII sépare l’Eglise d' Angleterre de Rome, 150q-1547. — II. Le protestantisme est introduit sous le règne d’Edouard VI, 1 547-1 553. — III. Marie Tudor essaye de rétablir le catholicisme, 15531558. — IV. Elisabeth et l’Eglise anglicane, 15581603. — V. Les vicissitudes de l’Eglise anglicane sous les Sti.a-ts jusqu'à l’exécution de l’archevêque Laud, 1603-1645.

I. Henri VIII sépare l’Eglise d’Angleterre de Rome (150g 1547). — i° Les premiers mouvements réformistes. — La révolution religieuse qui a été commencée par Henri VIII pour des motifs personnels peu avouables, complétée et organisée par ses successeurs ou avec leur assentiment, a éclaté à un moment où nul ne pouvait la prévoir. Il ne faudrait pas croire, pourtant, qu’elle fut un accident isolé et sans précédent dans l’histoire du peuple anglais. La révolution a eu ses précurseurs, hommes d’Etat et hommes d’Eglise, dont les idées exercèrent une influence considérable sur les principaux acteurs de ce long et douloureux drame, qni aboutit à la destruction de la vieille religion nationale, puisa l'élaboration du dogme et de la discipline de l’Eglise anglicane.

On sait combien les rapports entre l’Eglise et les puissances temporelles se tendirent vers la fin du Moyen -Age. Les conflits ne furent nulle part plus fréquents et plus graves qu’entre l’Angleterre et le Saint-Siège. A lalinde salongue luttecontre Alexandre III, Henri II, vaincu et abandonné de ses sujets, avait été contraint de s’agenouiller sur la tombe de l’héroïque Thomas Becket ; Jean sans Terre, déposé par Innocent III, avait reçu la couronne en fief de la main du pape. Bien qu’il fût un mauvais prince, la nation anglaise avait vu avec peine l’humiliation de son roi.

Ces conflits provoquaient dans toute l’Europe d’ardentes discussions. Les légistes, amis ou ministres des princes, trouvèrent, pour leur lutte contre la papauté, des alliés précieux dans les universités les plus célèbres de ce temps, parmi les docteurs et le clergé. Auxive siècle, un moine, Guillaume d’OcCAM, né dans le comté de Surrey, posait, dans un dialogue entre un soldat et un clerc, la question, singulièrement hardie à cette époque, de la primauté du SaintSiège. La « Vision de Pierre le laboureur » écrite probablement parun clerc, était très goûtée du’nienu peuple et des paysans. Or l’auteur, qui s’attaquait à toutes les classes de la société, s’acharnait particulièrement contre le pape et les prêtres.

Qnelques-unes des idées doctrinales essentielles de l’Eglise anglicane sont clairement exposées, dès le xiv' siècle, dans les écrits de John" Wyclïfi-, les prédications des « pauvres prêtres », ses disciples, et les théories communistes des Lollards. Wyclyff rejette l’autorité du pape et de l’Eglise et reconnaît l’Evangile pour l’unique loi du chrétien. Toute la doctrine sur les sacrements, exposée dans les xxxix articles de 1562, est un germe dans ses écrits authentiques. Les opinions de Wyclyff et de ses amis menaçant l’Etat autant que l’Eglise, le gouvernement s'émut ; les efforts combinés du roi et du pape réussirent à briser les forces des réformateurs. Leurs doctrines subirent une longue éclipse sur le sol de l’Angleterre. Mais Jean Huss les reprenait dans l’Europe centrale. Plus tard Jérôme de Prague, Luther, Calvin, Zwingle y feront de larges emprunts. Par leur intermédiaire et celui de leurs disciples, elles feront leur rentrée en Angleterre dans les dernières années de Henri VIII et surtout sous les règnes d’Edouard VI et d’Elisabeth. Les Anglicans appellent Wyclyff « l'étoile du matin de la Réforme ». Ils ont raison ; car c’est à lui que remonte ; par des voies tant directes qu’indirectes, la paternité première de l’anglicanisme.

Dans les premières années du règne de Henri VIII, trois humanistes éminents, unis par une étroite amitié, travaillèrent sans le vouloir au succès de la révolution religieuse. Ils sont connus sous le nom de

« Réformateurs d’Oxford ». Passionnés de justice, de

liberté, de tolérance, ils ont rêvé d’une Eglise purifiée, large, dégagée des querelles dogmatiques, réunissant les peuples chrétiens en une fraternelle communauté. L’aîné d’entre eux, John Colbt, doyen de Saint Paul, avait été, à Florence, le disciple du philosophe néo-platonicien Marsilc Ficin, et l’admirateur de Savonarole. Il 01, à l’Université d’Oxford, des leçons sur les Epitres de Saint Paul. Elles eurent un succès éclatant, le professeur protestait contre la théorie de l’inspiration verbale des saintes Ecritures et négligeait entièrement les commentaires des docleurs scolastiques. Erasmk, de Rotterdam, élève de l’université de Paris, se trouvait parmi ses auditeurs. C’est lui qui écrira, quelques années après, dans la maison de Thomas More, la satire mordante, souvent injuste, qu’est 1' « Eloge de la Folie », destinée à un immense retentissement. La Folie, coiffée du bonnet 649

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à grelots.se moque cruellement des moines, des prêtres, des papes et des docteurs scolastiques ; elle tourne en ridicule le culte des images, des coliques et des saints. Thomas Moub suivait, avec plus do reserve, la voie tracée par son ami. En |5©5, il s’amusait à tourner des épigrammes contre les moines et les prêtres ; en 15lê, il publia le premier livre de l’Utopie, qui contient, à oôté de nobles idées, des paradoxes étranges. Il demande que les prêtres, en très petit nombre, du royaume d’Utopie soient élus, au scrutin secret, parmi les hommes et les tommes Ces prêtresses et ces prêtres seront de simples professeurs de morale, dépourvus de tout caractère sacerdotal L’auteur souhaite que toutes les sectes religieuses célèbrent ensemble le même culte public, dans le même temple. C’étaient là jeux d’esprit, mais combien dangereux à une époque si troublée. Les réformateurs d’Oxford ne souhaitaient réellement pas un schisme : Colet, s’il avait vécu, l’aurait vigoureusement repoussé ; Erasme et More, dans le conflit entre Rome et Henri VIII, se rangèrent résolument du côté de l’orthodoxie. More, devenu chancelier, devait payer de sa vie son attitude courageuse.

L’avènement de Henri VIII, en 150q, avait comblé de joie les réformateurs d’Oxford ; le jeune prince était leur ami. Ses relations avec les papes qui se succédèrent à Rome avaient été cordiales jusqu’en l’j ;. Le roi se montrait très attaché à la religion catholique. La bulle papale condamnant Luther avait été solennellement promulguée en sa présence ; il écrivit même un traité sur les sept sacrements pour réfuter les opinions du réformateur allemand. Léon X l’en récompensa en lui conférant, par une bulle fort élogieuse, le titre de « Défenseur de la foi ». Comme, pour les hommes de ce temps, l’hérésie n’était pas seulement un ensemble d’opinions en désaccord avec les dogmes de l’Eglise, mais une négation criminelle, obstinée, des doctrines enseignées par l’autorité, négation de nature à ébranler l’Etat dans ses bases, Henri VIII et les chefs de l’Eglise d’Angleterre s’étaient prêté un mutuel appui dans leur lutte contre les partisans de Luther qui commençaient à s’agiter.

i’L’affaire du divorce. — Tout changea en 1627. Henri VIII avait épousé, en 150q, Catherine d’Aragon, tante de Charles-Quint. Celle-ci avait été mariée, dès 1501, au frère aine de Henri VIII, un enfant de 1’, ans et de constitution faible. Les épouxenfants avaient continué de vivre séparément et, quand le petit prince mourut, en avril 1502, Catherine n’avait été sa femme que de nom. Jules II (15031 5 1 3) accorda, avant la célébration du second mariage de Catherine, une dispense d’atlinité au 1 e1 degré.

Catherine avait donnéà son mari cinq enfants, trois garçons et deux filles ; tous étaient morts en bas âge, à l’exception de la princesse Marie, qui sera reine d’Angleterre. Dix ans après son mariage, Henri était publiquement inlidèle à sa femme au point de donner la préséance à son fils naturel, le duc de Richmo. id, sur sa tille légitime. D’autre part, il est certain que le roi désirait un (ils, que. Catherine ne pouvait plus lui donner. Il n’avait plus rien à attendre des parents de Catherine, puisque Charles-Quint avait déminé l’offre h lui faite d’épouser la princesse Marie et qu’il avoit relâché François Ie’après la bataille de Pavie, alors que le souverain anglais espérait profiter de la captivité du roi de France pour arrondir ses états. Enfin, le tempérament sensuel de Henri est connu. Or, il était violemmentépris d’une dame d’honneur de Catherine, Anne Boleyn, qu’un long séjour en France, en particulier auprès de Marguerite de Navarre, avoit préparée à briller au premier

rang parmi les dames de la Cour de Londres. Instruite par l’exemple de sa sœur Marie, que le roi avait aimée puis abandonnée, Anne lui résistait opiniâtrement et ne voulait lui appartenir qu’au titre d’épouse légitime. Le roi lui écrivait, dès 1037 : « Je ferai de vous la seule maîtresse démon cœur, j’éloignerai tous les autres de mes allée lions pour ne servir que vous seule. »

Un divorce était la seule issue possible. Henri y était résolu. Un de ses agents Knight, fut expédié à Rome, à l’insu du chancelier cardinal Wolsby. Il était porteur de trois documents. Dans le premier, le roi sollicitait la permission de se marier sans délai avant l’annulation de son mariage avec Catherine. Si Knight ne réussissait pas dans cette négociation, le deuxième document demandait l’autorisation de contracter un second mariage aussitôt après la dissolution du premier. Enfin Knight était chargé de prier Clkmknt VII (i. r >a3-1534) de signer une bulle qui déléguerait au cardinal Wolsey le pouvoirde prononcer une sentence définitive sur la validité du mariage des souverains anglais, sans être obligé d’en référer à Rome.

A son arrivée à Rome, l’envoyé anglais trouva le pontife assiégé dans le château Saint Ange par les troupes espagnoles. Il le suivit à Orvieto, où Clément VII avait réussi à se réfugier, et lui présenta les deux derniers documents, de nouvelles instructions lui ayant prescrit d’abandonner le premier. Le pape crut pouvoir signer les deux actes, mais auparavant un canoniste éminent, le Cardinal Pucci, les avait habilement modifiés afin de réserver au Saint-Siège le droit souverain de réformer la sentence à intervenir.

Henri VIII s’aperçut fort bien que cette restriction enlevait aux documents précisément la valeur qu’il voulait y trouver : il avoua la négociation secrète à Wolsey, et de concert avec lui, envoya un nouvel ambassadeur à Rome, Gregory Casale. Ce négociateur devait demander une commission spéciale qui autoriserait Wolsey à dissoudre, sans appel au Saint Siège, le mariage d’Henri et de Catherine, et une dispense qui lèverait tous les obstaclesà l’union du roi et d’Anne Boleyn. Le texte de la commission, rédigé en Angleterre, affirmait la non-validité de la dispense accordée par Jules II, et préjugeait ainsi la cause que Wolsey devait être autorisé à juger sans appel. Le Cardinal Pucci, indigné, fit subir au document des modifications analogues à cellesqu’il avait précédemment opérées dans le texte présenté par Knight. Clément VIII signa la bulle, les larmes aux yeux, le 3 décembre 1527. et quelques jours après, la dispense demandée.

Quand ces documents arrivèrent en Angleterre, le roi et son ministre envisageaient la question du divorce à un point de vue nouveau : ils voulaient qu’un légat du pape eût le premier rôle, afin de donner à la sentence une autorité qu’elle n’aurait pas si elle était prononcée par Wolsey seul. Deux envoyés anglais rejoignirent le pape à Orvieto ; ils avaient ordre de lui demander une bulle ou décrétale qui établirait la question de droit en faveur d’Henri VIII, et proclamerait que la dispense accordée par Jules II n’était pas valable ; le roi désirait que le Cardinal Campkggio, qui tirait de gros revenus de son évèché anglais d’Hère ford, fût désigné comme légat. Le pape nomma Campeggio ; abandonné de tous, il se laissa arracher la bulle réclamée avec menaces, en spécifiant que le document ne serait pas mentionné dans la procédure, que Campeggio en communiquerait la substance au roi, et qu’il le brûlerait aussitôt après. Le légat parti, Clément VII se laissa encore arracher par Casale la 651

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promesse écrite de ne pas révoquer les pouvoirs du légat et de Wolsey. Son espoir était de gagner du temps : Campeggio avait ordre de faire traîner le procès en longueur autant que possible. Arrivé à Londres, le 8 octobre 15a8, il acquit bientôt la certitude que tous les moyens dilatoires seraient inutiles. D’ailleurs, il voyait clairement son devoir : o Gomme il s’agit, écrivait-il le q janvier lôag à Salviati, nonce en France, d’une question concernant le mariage, dont l’inviolabilité à toujours été maintenue d’une manière si ferme selon l’Evangile, même quand il s’est agi de personnes appartenant aux dernières classes de la société, rien ne doit ou ne peut être fait contre la justice ».

Acculé au procès, Campeggio l’ouvrit le 31 mai 152C). Dès la première séance, Catherine qui, par son attitude, gagna tous les cœurs honnêtes, produisit une copie authentique du bref adressé par Jules II à sa mère et demanda que le procès fût jugé à Rome par le pape. Les légats se déclarèrent compétents. Campeggio montra à Henri VIII et à Wolsey la fameuse bulle de Clément VII, mais refusa de s’en dessaisir et d’en communiquer la substance au conseil royal. Un document destiné à rester secret n’avait pas grande valeur. Henri VIII en lit demander la remise par Casale. Le pape refusa : « Je donnerais, disait-il un doigt de ma main pour ne l’avoir pas signé ».

Le roi brusquait l’affaire ; le représentant du Saint Siège ne trouvait plus de prétexte légal pour arrêter la marche du procès. Il saisit l’occasion des vacances et, le 23 juillet 1.529, prorogea le tribunal. Le tribunal ne devait plus se réunir. La cause était perdue pour le roi depuis le jour où Catherine avait produit une copie authentique du bref de Jules II. Henri le sentit si bien qu’il essaya d’en nier l’authenticité, puis de s’en emparer, et eniin d’obtenir du pape une déclaration de non-authenticité. Le 13juillet 1029, Clément VII décida que le procès serait jugé à Rome.

3° La séparation de Home. — L’échec subi par le roi dans l’affaire du divorce entraîna la disgrâce de Wolsey, jalousé par un puissant parti dont Norfolk, oncle d’Anne Boleyn, était le chef. Un modeste répétiteur, Cranmer, et un ancien favori de Wolsey, Cromwbll, tous deux très serviles, devinrent les conseillers du roi, dont la politique se modifia profondément. Henri cherche désormais à retarder par tous les moyens la sentence du pape dans l’affaire du divorce, jusqu’au moment où, après avoir séparé en fait, par une série de mesures législatives, l’Eglise d’Angleterre du Saint Siège, il lui sera possible de renvoyer sa femme et d’épouser publiquement Anne, en se passant du pape et sans s’exposer à une guerre avec Charles Quint, neveu de Catherine.

Sur les conseils de Cranmer, Henriarracha, à prix d’argent, aux universités de Cambridge, d’Oxford, de Padoue et à quelques universités françaises des consultations favorables à son divorce. Il protégeait secrètement les hérétiques, afin de tourner l’opinion publique contre les évêques chargés par les lois de l’Etat de réprimer leurs hardiesses de langage. En même temps, la lutte contre l’Eglise catholique et le pape s’ouvrait au Parlement ; le principal agent était Cronawell. Plusieurs projets de loi pour « la réforme de l’Eglise » furent introduits aux Communes, âprement discutés, repoussés par la Chambre des Lords, mais finalement votés par le Parlement, à la suite de conférences, voulues par le roi, entre un petit nombre de députés et de lords. Dans les derniers jours de l’année 1530, on apprit brusquement que l’avocat général allait ouvrir, par ordre royal, une information contre tout le clergé anglais,

coupable d’avoir, contrairement à une vieille loi tombée en désuétude, accepté comme légitime l’autorité du légatdupape Wolsey. L’accusation entraînait la confiscation de tous les biens de l’Eglise d’Angleterre. Elle était d’un injustice monstrueuse : Henri, le premier, avait accepté l’autorité du légat et lui avait ordonné d’examiner, en cette qualité, la validité de son mariage. Le clergé terrifié, réuni en convocation, consentit une amende de cent mille livres pour un crime qu’il n’avait pas commis. Le

; i février 1531, les deux Chambres ecclésiastiques

votèrent cinq articles, imposés par le roi, en retour du pardon qu’il accordait. Le premier, que l’évêque Fisubr avait réussi à amender, disait : « Nous reconnaissons que Sa Majesté, est le protecteur particulier, le seul et suprême seigneur, et, autant que la loi du Christ le permet, le chef suprême de l’Eglise et du Clergé d’Angleterre. » — « Le soin des âmes sera confié à Sa Majesté », disait l’article 2. La Convocation du clergé de l’archevêché d’York, après une honorable résistance, suivit l’exemple donnépar la Convocation de Cantorbéry. En mars 153a, le roi intervint personnellement auprès des Communes et des Lords, pour assurer le vote d’un bill abolissant les annates. Le 10 mai de la même année, Henri somma les deux Chambres de la Convocation du clergé de Cantorbéry, d’accepter trois articles très précis :

i° A l’avenir, aucune loi ou constitution ne pourra être faite ou exécutée sans l’autorisation du roi ;

2’Toutes les constitutions existantes seront sujettes à révision au gré du roi ;

3° Les constitutions qui auront survécu à cet examen continueront d’être appliquées avec l’approbation du roi. L’assemblée du clergé supérieur, puis celle du clergé inférieur de l’archevêché de Can lorbéry, acceptèrent, après de vains essais de résistance, ces trois articles. L’acte est connu, dans l’histoire, sous le nom de « Soumission du clergé ». Ce même jour, 16 mai, Thomas More résigna ses fonctions de chancelier ; l’énergique Fishbr s’était retiré dans son diocèse ; l’archevêque Wabham, belle figure d’homme d’Eglise, devait mourir trois mois après. Son dernier acte fut une solennelle protestation contre les lois imposées au clergé en l’année 1532.

Il fallait pourtant un chef spirituel à l’Eglise d’Angleterre. Cranmer, malgré les efforts des envoyés de Charles Quint, fut préconisé archevêque de Cantorbéry par le pape Clément VIL Le 21 février [533, le jour de son sacre, fin mars, il prêta serment d’obéissance au pape, mais en déclarant par écrit que c’était làunesimple formalité qui nepouvaitreslreindreenrien sa liberté. Le 23 mai, il déclarait nul le mariage de Henri et de Catherine. Le 38 du même mois, il proclama la validité du mariage du roi et d’Anne Boleyn, célébré clandestinenientdèsle a"> janvier précédent. Henri s’était senti assez fort pour braver l’opinion publique de son peuple, favorable à Catherine, et la sentence du pape. Celui-ci annula, dans le consistoire du 1 1 juillet, la procédure de l’archevêque de Cantorbéry, ordonna à Henri, Anne et Cramner de défaire dans l’espace de trois semaines tout ce qui avait été accompli illégalement. A cause des fourberies de Henri, des hésitations de François I", qui finit par appuyer fortement le Saint Siège, le délai se prolongea pendant plusieurs mois. Enfin, le 23 mars 1 533, le pape déclarait solennellement que la dispense donnée par Jules II était valide, que, par suite, le mariage de Henri et de Catherine l’était aussi. Ilexcommuniait Henri, Anne Boleyn et Cranmer.

Cette sentence, qui soulageait toutes les consciences chrétiennes, n’a pas provoqué le schisme 653

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La séparation était chose accomplie avant que le courrier porteur de la nouvelle n’arrivât à Londres.

La Convocation de Gantorbéry avait déjà approuvé la sentence deCranmer annulant le mariage de Henri et de Catherine, ainsi que la loi abolissant tout appel à Rome. Trois grandes lois votées au début de 1534 par le Parlement consommèrent la siparalion. La première réglait la nomination des évêques : le roi présenterait un candidat au chapitre, qui avait douze jours pourapprouvercechoix ; passé ce délai, leroi nommerait directement. Le pape, officiellement nommé < l’évêque de Rome », n’avait aucune autorité d’aucune sorte sur le sol anglais, l’évêque nommé prêterait serment au roi seulement et se présenterait à l’archevêque de la province pour être sacré.

Une seconde loi abolissait le denier de Saint-Pierre et tous paiements faits à Rome. Toute la juridiction qui avait appartenu au Saint-Siège était transférée à l’archevêque deCantorbéry : les monastères relevant directement de Rome étaient placés désormais sous le contrôle direct et exclusif de la couronne. La troisième loi défendait aux évêques de faire ou de promulguer à l’avenir aucun canon sans l’assentimentroyal. Pratiquement, les évêques devaient demander au roi la permission d’exercer leurs fonctions.

4 8 Les premiers martyrs et la destruction dis monastères. — Un deB premiers soins du roi fut de lier ses sujets à sa destinée par un serment solennel. Cranmer faisait signer à tous lesecclésiastiques le serment de suprématie, qui était la négation formelle de l’autorité du pape, Cromwell imposait aux religieux un serment beaucoup plus explicite. Les ordres religieux cédèrent en masse, à part les franciscains de la stricte observance, les moines de l’abbaye angustine de Sion et ceux de Charterhouse, à Londres. Le serment de succession obligea tout Anglais et toute Anglaise, ayant atteint l’âge de raison, à reconnaître Elisabeth, fille d’Anne Boleyn, pour héritière du trône. Les « lois sur la trahison » complétèrent ces prescriptions et y ajoutèrent des sanctions terribles.

Etait déclaré coupable de haute trahison quiconque serait convaincu d’avoir « souhaité avec malice, voulu, désiré par paroles ou par écrits, imaginé par ruse ou inventé un dommage corporel quelconque sur la très royale personne du souverain, de la reine et de leurs héritiers apparents ; quiconque s’exercerait à ce dommage, essaierait de le causer, dépouillerait n’importe lequel d’entre eux de sa dignité ou titre, ou publierait ou proclamerait avec malice, par des paroles ou des écrits formels, que le roi est hérétique schismatique, etc. » Celte loi odieuse, qui sera appliquée surtout sous l’impulsion de Cromwell, nommé vicaire général en 1.535, inaugura la « Terreur anglaise ». Les martyrs furent condamnés sous l’inculpation légale de haute trahison, même quand ils n’avaient pas laissé échapper une parole contre le souverain.

Une servante deferme, Elisabeth Barton, fut exécutée en f 534 pour avoir parlé contre le divorce du roi Le 4 mai 1535, ce fut le tour de trois Chartreux, John Houghton, Robbrt Lawrence, et Augustin Vrbst.br, d’un Brigittin, Richard Rbynols, et d’un vieux curé, John Halk. Fisher, le plus grand évêque de son pays, More, qui en était le premier légiste, n’avaient accepté ni la séparation de Rome ni la validité du divorce. Traduits devant une commission spéciale, ils se défendirent avec une singulière noblesse et marchèrent à la mort avec un calme admirable. Le bienheureux Pisiibr, qui venait d’être

créé cardinal, fut décapité le 22 mai 1535, et le bienheureux More le 6 juillet.

Cette double exécution avait soulevé l’indignation de toute l’Europe. Paul III, qui avait succédé à Clément VII, et àqui les nobles victimes en avaient appelé, essaya vainement d’unir les princes de l’Europe contre le roi d’Angleterre. En 1 53^, le pape tenta un second effort, il chargea le cardinal Polb, cousin de Henri, d’une mission auprès de François l aT et de Charles-Quint. Il devait rechercher avec ces souverains les moyens de ramener l’Angleterre à l’unité catholique. L’attitude de Paul III avait ranimé le courage des catholiques anglais. La destruction de monastères dans les comtés de Lincoln et d’York provoqua une insurrection. Trente mille hommes, sous les ordres de R. Aske, avaient arboré une bannière décorée des cinq plaies, d’un calice et d’une hostie, et portaient sur la manche le nom de Jésus-Christ. C’est le « pèlerinage de grâce ». Les rebelles se laissèrent prendre aux promesses mensongères de Cromwell ; Norfolk exerça dans le Nord des représailles terribles. Henri (it mettre à mort la vieille mère et deux proches parents du Cardinal Polb, qui se réfugia dans les Pays-Bas.

Le « pèlerinage de grâce » fournit à Cromwell et à Henril’occasion d’achever la destruction des monastères. On en comptait environ 800, tant d’hommes que de femmes. Des visiteurs royaux se rendirent dans chaque maison ; deux d’entre eux, Legh et Layton, eurent un rôle particulièrement odieux. Ils se défendaient de vouloir confisquer les biens des monastères, mais s’efforçaient d’amener les abbés à abandonner leur maison au roi, soit en leur offrant de fortes sommes, soit en multipliant les menaces. Ils ne réussirent en général que trop bien.

Les abbés des trois grands monastères de Reading, Glastonbury et Colchester repoussèrent toutes les offres et dédaignèrent les menaces. Le roi les fit condamner et exécuter pour crime de haute trahison. Neuf autres supérieurs subirent le même sort, pour la même raison.

Le dernier monastère, JWaltham Abbey, fut remis au roi le 23 mars 1540. Une rente annuelle de 200.000 livres fut, par cette gigantesque destruction, enlevée aux 8081 religieux et religieuses de tout ordre et aux 80.000 personnes, infirmes, pauvres ou domestiques, qui vivaient avec eux.

Le roi ne retira de cette immense confiscation qu’un revenu annuel de 37.000 livres, auquel il faut ajouter le produit des ventes. Les commissaires vendaient tout : les terres, les bâtiments, les églises, qui devinrent souvent des granges, tout le mobilier du culte, toutes les richesses des bibliothèques. Le reste alla aux courtisans ; les grands seigneurs et la noblesse nouvelle se précipitèrent à la curée. Quelques-uns, le chancelier Audley, lord Clinton, Northumberland, Suffolk, Norfolk, Cromwell et plusieurs visiteurs firent un butin énorme. La situation des classes populaires s’aggrava du fait de cet immense transfert de propriétés. Le paupérisme, une des plaies les plus hideuses de l’Angleterre contemporaine, date de la destruction des monastères.

5° Le dogme, la discipline et le culte sous le gouvernement de Henri VIII. — Pendant les onze dernières années de son règne, Henri VIII, en maintenant à peu près intact l’ensemble de la doctrine catholique, régla le dogme, la discipline et le culte de son Eglise sur les variations de la politique européenne. Quand le pape semblait sur le point de coaliser leroi de France et l’empereur contre l’Angleterre, au nom de l’unité religieuse considérée comme la base nécessaire de la paix, Henri se montrait très catholique dans ses formulaires de foi, pourchassait impitoya655

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blement et envoyait au bûcher hérétiques et anabaptistes, aûn d’enlever aux princes catholiques le meilleur prétexte d’une intervention armée.

Le danger passé, il entrait en conversation avec les réformés allemands et laissait entrevoir la possibilité d’une alliance. Ses collaborateurs, dans l’épiscopat, se divisaient en deux groupes : les évêques Henriciens et les évoques à tendances luthériennes. Les premiers étaient Gardiner, Tunstall, Stokesley et Bonner.Ils avaient tous formellement rejeté l’autorité du pape, mais gardaient dans leur intégrité les doctrines romaines.

Le deuxième groupe favorisait le luthéranisme, en secret ou ouvertement, suivant les circonstances. Il comprenait plusieurs évêques à tendances très avancées comme Latimer, Shaxton, Barlow : ce dernier, ex-prieur des Augustins de Bisham, pensait que l’ordination n’est pas nécessaire pour remplir un ministère ecclésiastique. D’autres, Foxe, Hilsey, Goodrich, Rugg, Sampson, Vesey (ou Veysey), Salcot (ou Capon), étaient plus modérés. Presque tous étaient des religieux qui avaient livré leur monastère au roi. Cranmer appartenait à ce groupe ; mais son influence ne devint prépondérante que sous Edouard VI. Cromwell était le véritable chef du parti luthérien : il rêvait d’opposer une puissante Eglise protestante à l’Eglise catholique romaine.

Ses prescriptions disciplinaires et cultuelles, les trois formulaires dogmatiques, la profession de foide 1536, celle de 153^, les six articles de 153g, qui firent des victimes parmi les Luthériens, en particulier Barnes, Garret et Gerome, la troisième profession de foi, promulguée en 1543, ont souvent le caractère d’un compromis entre ces deux groupes de tendances opposées. En fin de compte, ils sont l’œuvre du roi, qui intervenait fréquemment dans les diseussions théologiques, et toujours victorieusement, parce que les évêques des deux camps ne manquaient jamais de soumettre les opinions qui leur tenaient le plus à cœur à l’ « excellent » jugement de Sa Majesté.

Cela fut surtout vrai quand, dans l’année qui suivit la chute de Cromwell (i.j/jo), l’épiscopat s’accrut de quelques évêques, diplomates de carrière et opportunistes par tempérament, tels que Heath, qui suivit Gardiner, Knight, Thirlby, Bird, Holgate, ex-provincial des gilbertins, qui devait être le premier archevêque marié d’York.

En résumé, quand Henri VIII mourut en iSJj, il avait brisé l’indépendance du clergé, supprimé tous les instituts monastiques, chassé d’Angleterre la papauté. Mais cet homme, qui pouvait imposer toutes ses fantaisies à un peuple terrifié, avait maintenu par des moyens violents lu foi catholique dans son intégrité, moins l’autorité du pape. C’est un des côtés les plus déconcertants de ce monarque qui, à bien des points de vue, reste éuigmalique.

II. Le protestantisme est introduit sous le pègne d’Edouard VI (1547-1553). — Les germes des doctrines luthériennes, déposés en Angleterre, par infiltration, sous le règne de Henri VIII, levèrent rapidement, dès L’avènement de son fils Edouard VI, un enfant de 10 ans, chétif, proie facile aux idées nouvelles. Son oncle maternel, le duc de Somliiski’, acquis depuis longtemps aux protestants allemands, exerça la régence, secondé par des hommes nouveaux enrichis des dépouilles des monastères. GARDINBR tomba en disgrâce et l’influence passa à GaANMBR. L’Angleterre allait être envahie même par les doctrines de Calvin et de Zwingle.

Le premier aete de Somerset fut de l’aire abroger

; outes les lois de Henri VIII contre l’hérésie, de ré

server au roi la nomination directe des évêques, et de confisquer, après leur suppression, tous les biens des corporations et fraternités ayant un but religieux. Pendant ce temps, le clergé inférieur de Cantorbéry acceptait la communion sous les deux espèces et votait, par 53 suffrages contre 13, l’abolition des lois et canons contre le mariage des prêtres. Le 31 juillet 15^7, au milieu de troubles religieux provoqués par les Luthériens avec l’appui du régent, parurent des ordonnances qui bouleversaient toute la liturgie et organisaient l<v destruction des images, des peintures et des vitraux des églises. L’ordre fut exécuté, au détriment irréparable de la piété et de l’art. Il fut interdit de parler de l’Eucharistie. En mars 1 548, fut publiée, par ordre royal, l’Instruction pour la communion des laïques. Elle était empruntée au rituel en usage dans les églises luthériennes d’Allemagne. La messe latine était maintenue, la confession auriculaire devenait facultative. L’Instruction avait soulevé de violentes discussions. Gardiner protesta contre elle et contre le Livre des liomcjies, édité par Cranmer et d’inspiration luthérienne ; il fut envoyé en prison. Bonner, non moins courageux, fut déposé.

Le 15 janvier 1540, , parut le «.Book of common prayer », qui fut accepté par la majorité des pairs et treize évêques, combattu par huit évêques henriciens et trois pairs laïques. Il est à la fois le bréviaire, le rituel, le missel et le pontifical de l’Eglise d’Angleterre ; plusieurs fois modifié, il reste pourtant la base de tout son culte. La présence réelle était conservée, mais la messe, fortement tronquée, n’était plus qu’un « mémorial perpétuel de la mort du Sauveur », Cranmer s’entourait de théologiens luthériens, allemands et suisses. Il fit nommer professeur à Oxfordle moine italien, défroqué et marié, Vbrmigli, alias Pibrrb Mahtyu ; son ami Ociiino, capucin défroqué, fut chanoine de Cantorbéry.FAGiNS et I3ucek, cedernier ex-moine, chassé de Strasbourg, vinrent en Angleterre. Bucer enseigna la théologie à Oxford. Les étrangers, chargés de « visiter » le clergé anglais, le terrorisèrent. Tant de changements lassèrent la patience des populations de l’Ouest, qui se soulevèrent pour défendre la religion d’Henri VIII La révolte fut cruellement écrasée par des bandes de mercenaires venus d’Italie, d’Espagne, de Flandre et d’Allemagne. Somerset avait triomphé ; mais sa politique alarmait les conservateurs ; son rival Wahwick l’envoya à la Tour et il sera décapité, pour crime de haute trahison, en 155a.

Warwick était chef de l’aristocratie terrienne ; les catholiques espérèrent une réaction en leur faveur. Ils se trompaient. Lenouveau régent, énergique, sans scrupule, fourbe, continua, avec plus de violence, la politique religieuse de Somerset. Les prêtres de campagne ne tenaient guère compte du « Book of common prayer ». En janvier 1550, une loi ordonna la destruction de tous les livres d’église, missels, bréviaires, antiphonaires, à l’exceptiondu Primer ou manuel de piété de Cranmer. Tout ce qui restait d’images, de peintures de sculptures dans les églises, devait disparaître. En mars de cette même année, parut l’Ordinal anglais, qui devait subir, en i.">5-.>, des modifications importantes. Le sous-diaconat et les quatre ordres mineurs disparaissaient entièrement. Disparaissait également, dans l’ordination des diacres et des prêtres, la présentation du calice et de la patène, laquelle est considérée par de notables théologiens comme essentielle. Cette réforme liturgique a donné naissance à la question de la validité des Ordinations anglicanks. [Voir cet article]. Ridley, évèquc de Ilochester, avait pris l’initiative 657

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de la destruction des autels qui, par ordre royal, furent partout remplacés par dos tables, placées, en gênerai, au bas des marches conduisant au sanctuaire.

Les croques licnriciens, à leur tête Gardiner et Bonner, avaient proteste contre ces destructions ; à la lin de l’année 1 55 1, cinq d’entre eux étaient déposés, deux autres contraints de démissionner. Les sièges vacants furent donnés à des hommes peu recommandables, franchement acquis aux idées luthériennes ou calvinistes. Le plus intéressant de ces nouveaux évoques est John Hoopku, qui a mérité le titre de père des non-conforiui- tes », en poussant à l’extrême l’austérité calviniste.

Le Iluok of common prayer lit des martyrs, comme les six articles d’Henri YIM, et servit à persécuter la princesse Marie. En ib’n, il était corrigé sous rinlluei.ee toute-puissante des théologiensallemands et suisses. On maintenait, malgré l’opposition violente de Knox, la coutume de recevoir la communion à genoux ; mais cette rubrique, la fameuse rubrique noire, était imprimée sans autorisation du Parlement. Edouard VI était très malade. Le conseil écarta du trône Marie, fille d’Henri VIII etde Catherine d’Aragon, parce qu’elle était catholique, et désigna lady Jaxk Gruv, petite nièce de Henri VIII, qui avait pour elle l’épiscopat et une partie de la noblesse. Edouard VI mourut le 6 juillet 1553, et lady Jane fut proclamée reine ; mais la nation en masse acclama la princesse Marie, qui entra à Londres le 3 août iô53.

III. Marie Tudor essaye de rétablir le catholicisme (1553-1558).

i » Les débuts du règne. — Les débuts furent heureux. Marie pratiqua une politique de tolérance. Elle pardonna aux rebelles qui avaient proclamé lady Jane, se bornant à livrer au bourreau trois de leurs chefs : Northumberland, JohnGates et Thomas Palmer. Elle refusa d’envoyer à la mort Jane Grey. Les évêques d’Edouard VI furent emprisonnes et les évéques henriciens rétablis sur leurs sièges. Gardiner devint chancelier de l’université de Cambridge, Cranmer fut simplement déposé ; on allait fixer sa pension, quand il protesta contre les « horribles sacrilèges de La messe ». Là-dessus, on le mit à la Tour. Le Parlement abrogea en bloc toutes les lois établies sous les deux règnes précédents et qui instituaient de nouveaux crimes de haute trahison, et même toute la législation religieuse d’Edouard VI. Malgré l’opposition de Gardiner, la reine épousa le 01s de Charles-Quint, le futur Puilippk IL Ce fut une lourde faute politique, car ce prince était suspect aux Anglais. Un jeune seigneur que Marie avait délivré de la Tour, Edouard Cochtbnay, en prit prétexte pour tramer des complots contre sa bienfaitrice ; le plus sérieux fut celui de Wyatt, qui faillit s’emparer du château royal et n’échoua que grâce à l’intrépidité de la reine. Soixante rebelles furent exécutés, dont Jane Grey et son père. L’exécution de cette jeune fille de dix-sept ans, qui n’avait joué qu’un rôle passif, fut certainement une nouvelle faute.

La révolte de Wyatt eut pour conséquence de pousser le gouvernement à des actes d’énergie pour i istaurer la religion romaine. La moitié de l’épiscopat fut renouvelée en moins d’une année, les prêuariés furent privés de leur emploi ; Cranmer, Latimer et Ridley jouissaient néanmoins d’une certaine liberté à la Tour ; tout un lot de prédicateurs luthériens et calvinistes, qui avaient été en grande faveur sous Edouard Vf, furent enfermés dans li : sprisons de Londres. Il restait à réconcilier le royaume avec le Saiut-Siège. Tache dillicile, parce

que, depuis trente ans, l’autorité du pape avait été oubliée et calomniée ; les possesseurs de biens ecclésiastiques craignaient d’être obligés de rendre gorge. Le pape et la reine ayant déclaré qu’ils ne seraient pas inquiétés, la Convocation du clergé et le Parlement acceptèrent l’autorité du pape. La réconciliation solennelle eut lieu le 30 novembre 15.Vj, à Westminster : le cardinal Pôle représentait le pape. Cet acte servit de prétexte à un petit groupe de luthériens ardents, pour calomnier Marie et commettre des attentats qui alarmèrent le gouvernement.

a* Retour à la politique de répression contre l’hérésie. — Marie régnait depuis une année et demie et personne n’avait été mis à mort pour ses opinions religieuses. Mais, pendant tout ce temps, hérétiques et traîtres avaient conspiré ensemble contre la reine. Le Conseil, inquiet, parvint à persuader la souveraine, qui détestait la persécution, de la nécessité de faire revivre les anciennes lois de Richard II, Henri IV et Henri V, sur l’hérésie, qu’elles punissaient du bûcher. Elles entrèrent en vigueur le 20 janvier i.j55. Dès le surlendemain, une commission composée d’évéques et de membres du conseil fit comparaître dix prédicateurs luthériens enfermés à Newgate. John Taylor et l’évêque Barlow se rétractèrent partiellement et furent renvoyés en prison. Hooper, Rogers furent dégradés et brûlés, ainsi que John Bradford, Roland Taylor et Laurent Saunders.On y joignit six hérétiques moins connus, du comté d’Essex. Les trois évêques Ridley, Latimer, et Cranmer étaient en prison depuis avril 1554 ; les deux premiers furent jugés le 28 septembre 1555 par trois de leurs collègues, et !e 16 octobre suivant montèrent sur le même bûcher. Le procès de Cranmer fut plus long. Convaincu d’hérésie, d’adultère et de haute trahison il fut brûlé à Oxford, le 21 mars 1556. Le malheureux, dans l’espoir de sauver sa vie, avait écrit jusqu’à sept rétractations d’où toute dignité était absente. Sur le bûcher il se ressaisit, revint sur ses rétractations et mourut avec courage.

La loi contre les hérétiques aboutissait à des actes qui répugnent particulièrement à notre époque. Le 6 février 1557, les corps des professeurs hérétiques Bucer et Fagins furent exhumés et brûlés sur la place du Marché, à Cambridge ; à Oxford, celui de la femme de Pierre Martyr, une ancienne religieuse morte depuis des années, fut jeté sur un tas de fumier. Pôle, ordonné prêtre le jour même de la mort de Cranmer, puis créé primat de Cantorbéry et légat du pape, avait hérité de l’influence de Gardiner, mort en 1555. Il essaya en vain d’arrêter la souveraine et son Conseil sur le chemin dangereux de la politique de sévère répression. Il en devint même suspect au pape Paul IV. Celui-ci avait, d’autre part, vu avec peine l’alliance de l’Espagne et de l’Angleterre, qui contrecarrait sa diplomatie, et il en marquait quelque froideur à Marie. La pauvre reine souffrait de l’absence de son mari, retourné en Espagne, de plus elle attendait un enfant ; ses espérances furent déçues. Sa santé déclina rapidement ; le 17 novembre 1558, elle s’éteignit doucement, soutenue jusqu’au dernier jour par les messages quotidiens de Pôle, qui mourut douze heures après sa souveraine. On l’a appelée Marie la sanglant ?. L’opinion publique a été émue par le supplice de 300 hérétiques, et les historiens protestants les plus connus l’ont accusée d’avoir été cruelle et vindicative. La publication des papiers d’Etat et des correspondances des ambassadeurs a été bonne pour sa mémoire. Marie avait un caractère élevé, beaucoup de droiture ; elle se résigna à regret, et après avoir 559

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épuisé tous les autres moyens, à une politique de rigueur envers les hérétiques. Si son règne aboutit à un échec, ce fut surtout la faute des hommes qui l’entouraient et des circonstances.

IV. L’affermissement de la Réforme sous la reine Elisabeth (1558-1603). — Elisabbtii, Aile d’Henri VIII et d’Anne Boleyn, montait sur le trône à a5 ans. Elle a été longtemps jugée très favorablement, à travers les exploits maritimes de Drake, les succès remportés sur l’Espagne, le bon renom que lui valait la prudente administration de Cecil et les flatteries des grands artistes, poètes ou savants, qui ont vécu à sa cour. Depuis un demi-siècle, les archives diplomatiques de l’Europe ont livré leurs secrets ; les petitesses, les vices de la « reine vierge », que ses ministres et ses ambassadeurs avaient cachés par patriotisme, ont apparu à tous les yeux. Les longues épreuves de sa triste enfance lui avaient façonné une âme fausse et tortueuse ; elle mentait eflrontément et se plaisait à mystifier ses propres ministres. Sa vanité était immense. En religion, elle était sceptique et païenne, et, dans un temps moins difficile, fut peut-être volontiers restée neutre. Mais elle entra violemment dans les voies de la réaction contre le règne de Marie : son princicipal conseiller fut Cecil, qui accepta sans effort de seconder la nouvelle reine dans sa politique religieuse, après avoir servi celle de sa sœur. Dès les premiers jours du règne, des incidents inquiétants pour les catholiques se multiplièrent. Le 27 novembre, l'évêque Christopherson, ayant réfuté dans la chaire de Saint Paul les doctrines hérétiques de Bill, chapelain de la reine, fut envoyé en prison. Pareille infortune atteignit l'évêque de Winchester, qui avait prononcé, le i^ décembre, le panégyrique de Marie. Le jour de Noël, Elisabeth envoya à Oglethorp, qui devait célébrer la messe en sa présence, l’ordre de ne pas élever l’hostie à la consécration. L'évêque refusa d’obéir ; la reine se retira après l’Evangile. Aux fêtes du couronnement, aucun évêque n’accepta de célébrer la messe sans élévation de l’hostie consacrée. Heath, archevêque d’York, et plusieurs de ses collègues avaient refusé de couronner la reine. Ce fut Oglethorp qui officia selon le rite catholique.

Les exilés luthériens et calvinistes, rassurés sur les tendances du nouveau règne, rentraient en masse. C'étaient Sampson. Sandys, Home, Jewel, Grindal, tous futurs évêques, réfugiés à Strasbourg, Cox, Whiltebread, Coverdale, Goodman et Fox, l’historien. Parmi ceux qui les accueillirent, se trouve Matiiiku Parkbr, privé de ses fonctions ecclésiastiques sous le règne de Marie et vivant obscurément, à Norwich, avec sa femme et ses deux enfants. Après avoir refusé plusieurs fois, il fut désigné, le i' r août 155g, pour le poste d’archevêque de Cantorbéry, qu’il devait occuper jusqu’en 1 ~> -j 5. Il fut sacré, le 17 décembre, par Barlow, qui ne croyait pas à l'épiscopat, et trois autres évêques ; le prélat consécrateur se servit de l’Ordinal d’Edouard VI. De lui procède tout l'épiscopat anglican. Léon XIII a déclaré toutes les ordinations anglicanes entachées de nullité depuis l’origine (Lettre Apostolicæ curae, 13 septembre 1896. Voir article Ordinations anglicanes). Parker, moins intelligent que Cranmer, est plus sympathique, parcequ’il sut garder unecerlaine modération. De plus, il avait du courage moral et essaya de maintenir l’Eglise d’Angleterre dans la

« via media », à mi-chemin de Rome et de Genève.

i° L’Acte de suprématie et l’Acte d’Uniformité. — La Convocation de Cantorbéry et le Parlement se réunirent au début de l’année 1553. Le clergé infé rieur s’honora en faisait présenter à la reine une pétition pour la prier de ne rien changer à la religion. Le quatrième article de cet acte disait : « A Pierre et ses successeurs légitimes sur le Siège Apostolique, comme au vicaire du Christ, est donné le pouvoir suprême de diriger et gouverner l’Eglise militante du Christ et de confirmer ses frères. » Cette pétition, que les évêques présentèrent au chancelier, fortifia l’opposition, dans la Chambre des Lords, contre le bill de suprématie, lequel fut repoussé en première lecture. Quand il revint légèrement amendé, les évêques firent de nouveau une opposition unanime, mais les lords catholiques, à l’exception de Shrewsbury et de Montague, votèrent pour le gouvernement et le bill passa définitivement après les vacances de Pâques, malgré les efforts de Heath.

La loi de suprématie faisait revivre les lois de Henri VIII contre Rome. La reine, constituée t suprême régulatrice » de l’Eglise devait remplir son rôle au moyen d’une Commission centrale ecclésiastique qui, à l’avenir déclarerait hérétique toute opinion contraire à l’Ecriture, aux quatre premiers conciles généraux et aux doctrines autorisées par le Parlement et l’Assemblée du clergé. Le fait de soutenir la suprématie du pape était assimilé, la troisième fois.au crime de haute trahison.

L’acte de suprématieporle la date du 29 avril 1550 ; l’acte d’uniformité celle du 28. Ce dernier devait ramener le culte public à ce qu’il était, la deuxième année du règne d’Edouard VI, alors que les clercs ne consentaient qu’avec peine à garder même le surplis. L’Ordinal n'était pas nommé ; la fameuse rubrique noire, sur la manière de recevoir l’Eucharistie, disparaissait.

Après une puissante critique de l'évêque Scott, la loi passa aux Lords, à trois voix de majorité ; neuf pairs laïques avaient joint leurs suffrages à ceux des pairs ecclésiastiques. Il n’y eut presque pas de débats aux Communes.

L’acte de suprématie devenait immédiatement exécutoire ; l’acte d’uniformité devait être appliqué le 2^ juin iô5q. Tout titulaire d’un bénéfice ecclésiastique, totit fonctionnaire de la cour était tenu de prêter serment au premier de ces actes.

Le refus entraînait pour tous la révocation immédiate. Les ecclésiastiques qui ne se conformeraient pas au rituel uniforme devaient être révoqués et emprisonnés ; les laïques qui le critiqueraient seraient punis de prison.

Quinze des évêques delà reine Marie refusèrent de prêter le serment de suprématie, furent successivement déposés, et moururent après des années de captivité plus ou moins rigoureuse. Un seul, Kitchin, se sépara de ses collègues. Des commissions royales parcoururent l’Angleterre pour assurer l’application des deux actes. Les résultats généraux de cette enquête officielle sont mal connus ; mais on sait qu’une honorable minorité du clergé préféra la révocation à la soumission. Pourtant les rapports des nouveaux évêques, tous luthériens ou calvinistes, des années 155g à 1563, montrent que le peuple et le clergé de la campagne restaient attachés au culte catholique.

Pendant ces années critiques, employées à imposer des réformes à une majorité qui n’en voulait pas, Elisabeth était protégée par Philippe 11, 1e champion du catholicisme, contre le pape et les princes catholiques. La France présentait Marie Stuart comme héritière légitime de la couronne d’Angleterre ; le roi d’Espagne, par haine et par crainte de la France, soutenait une reine protestante auprès du Saint-Siège.

Même après le vote des actes de suprématie et 161

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(l’uniformité, Philippe II continua de plaider, à Rome, Ki cause d’Elisabeth. Le terriblepAULlVmourutavant oir pris contre elle des mesures de rigueur. I’ie IV envoya successivement deux légats, Parpaglia et .NLirtinengo, inviter Elisabeth à envoyer des représentants au concile de Trente ; l’entrée de l’Angleterre fut interdite à l’un et à l’autre. Le concile fut vivement pressé de lancer l’excommunication contre la reine ; l’empereur Ferdinand empêcha la proposition d’aboutir.

>.° l.os.1.1.17.1" articles et l’excommunication d’Elisabeth. — La convocation du clergé de Cantorbéry, tint ses assise- ; du i 3 janvier au io avril 1 563. Composée en majorité de dignitaires ecclésiastiques qui avaient pris la place des prêtres révoqués, elle s’occupa de la révision des 4^ articles adoptés la dernière année d’Edouard VI. Elle les réduisit à 3ç). Ces articles fameux, sous la forme d’une exposition simple et lumineuse, restent encore le Credo officiel de l’Eglise anglicane. Ils sont un compromis entre les tendances calvinistes et luthériennes qui se faisaient jour parmi les réformés anglais. La transsubstantation est clairement rejetée, ainsi que la primauté du pape, le sacrifice de la inesse, la purgatoire, le culte des images et des saints, les indulgences. Elle ne conserve que deux sacrements : le Baptême et la Cène.

Les Calvinistes.qu’on prit l’habitude d’appeler Puritains, s’insurgèrent contre les XXXIX articles. Leurs chefs étaient, à ce moment, les évêques Grindal, Pilkington et Parkhurst. Ils menaient une guerre acharnée contre les vêtements sacerdotauxqui subsistaient encore, et voulaient introduire les offices tristes et mis qu’ils avaient admirés à Genève. Parker, appuyé par le gouvernement, menaça de révoquer les ministres qui ne consentiraient pas à porter la soutane et le bonnet carréhorsde l’église, le surplis et le camail à l’intérieur, et à communier à genoux. Au fond, la question était très grave : les Puritains attachaient peu d’importance au culte et beaucoup à la prédication ; ils concevaient d’une îuanière très différente de l’Eglise officielle les fonctions de ministres. Le germe des Eglises séparéesélait là. Pour le moment, le gouvernement les traquait ; parmi eux se trouvait un homme de talent, Thomas Cautwright.

A la date de 1562, la masse des catholiques anglais admettaient qu’il leur étaitimpossible de prendre part au service qui avait remplacé la messe latine, mais ils pensaient qu’une assistance matérielle à la lecture des leçons, au chant des psaumes, aux prédications pouvait être tolérée. Une élite énergique, conduite par Allen, ancien principal du collège de Sainte Marie d’Oxford, proclamait que toute participation au nouveau culte était interdite. Le pape consulté prononça l’interdiction, et délégua à l’ambassadeur espagnol, l’évêque Quadra, le pouvoir d’absoudre ceux qui, de ce chef, avaientencouru les censuresecclésiastiques. Le gouvernement lit alors établir une liste générale des catholiques, ou papiste, dont la situation devint très précaire. Dire ou entendre la messe était un crime puni de l’amende, de la prison ou de la mort. Sous cette dure oppression, la masse glissa peu à peu à l’hérésie ; seule une minorité ardente se lit à l’idée derésisterjusqu’au bout ; enlin un certain nombre de catholiques, riches ou aisés, se réfugièrent sur le continent. Louvain, Douai, Reims devinrentleurs principaux centres. Le collège de Douai, fondé par Allen, en i.JGS, devait être une pépinière de missionnaires et de martyrs. A la lin de l’année 1067, 1e comte de Xorthumberland appela aux armes, au nom delà foi catholique, les provinces du Nord ; le pape et Philippe II l’encourageaient. Les catholiques anglais ne se levèrent pas à la voix

de leur chef, le mouvement échoua et fut cruellement réprimé. Avant même d’avoir appris l’échec de la révolte du Nord, saint Pin V avait ouvert une information contre Elisabeth. Le la février 1070, il excommunia la reine, délia ses sujets du serment de lidelité, condamna le lïook of common prayer et le serment de suprématie.

Ainsi, l’Eglise anglicaneétait définitivement séparée des dissidents de droite, de ces catholiques qu’elle persécutera, pendant deux siècles et demi, avec une cruauté inouïe. D’autre part, armée de ses XXXIX articles, elle vase retourner, non sans peine, contre les dissidents de gauche, dont le centre est à Genève, et qui, avant de se séparer d’elle, réussiront parfois à la dominer momentanément.

La lutte contre les catholiques fut surtout menée par le Parlement. Quelques mois après la bulle d’excommunication, une loi déclara coupable de haute trahison quiconque nierait ou mettrait en doute les droits d’Elisabeth à la couronne d’Angleterre. Une deuxième loi condamnait à la peine des traîtres toute personne qui introduirait sur le sol anglais un acte du pape ; enfin, une troisième loi donnait à la couronne tous les biens des sujets de la reine qui quitteraient le pays sans sa permission. Etaient déclarés coupables de haute trahison les prêtres qui réconciliaient les fidèles avec Rome et ces fidèles eux-mêmes, les personnes qui portaient des objets bénits, croix, scapulaires, gravures, venus de Rome, ou qui les répandaient.

La lutte contre les puritains fut surtout poursuivie par les évoques, sous l’impulsion du Conseil de la reine. Pendant que le clergé revisait, dans ses assemblées, les XXXIX articles et préparait le Livre de la discipline ou les canons de 1071, qui conservaient toute l’ancienne organisation de l’autorité ecclésiastique, les évêques tâchaient de calmer l’ardeur réformatrice des Puritains par des concessions. Cependant, les ministres devaient accepter le Livre de la prière commune, les vêtements sacerdotaux prescrits et les articles de religion.

Il fallut sévir contre quelques-uns, tels que Robert Johnson, le doyen Whittingham, et les auteurs de

« L’avis au Parlement ». John Wbitgift, qui sera

archevêque deCantorbéry, se fit connaître en répondant à cette attaque. L’usage s’était répandu, parmi les Puritains, de tenir des réunions de prédications improvisées, entremêlées de prières ; quelques évêques les avaient encouragées. La reine ordonna à Parker de les supprimer. Ce fut un de ses derniers actes, il mourut en mai 1.575.

3° L’archevêque Grindal (1570-1583) ; martyrs catholiques. — Le puritain Edmond Grindal succéda à Parker ; il n’avait ni son intelligence ni sa souplesse. La reine lui avait demandé de supprimer les prédications improvisées ; Grindal répondit qu’il voulaitbien les régler, mais non les supprimer ; sa conscience s’y refusait. Elisabeth le mit aux arrêts pendant six mois et se passa désormais de lui, faisant tenir directement ses ordres aux évoques. Sous un archevêque sans autorité et de tendances calvinistes, les Puritains devinrent plus puissants, malgré les efforts du Conseil et de la reine. Robert Browne et son ami Harrison se mirent à prêcher la séparation de L’Eglise officielle et l’organisation d’une communauté chrétienne sans évêques ni prêtres, tandis que les puritains de Cartwright restaient dans l’Eglise pour la réformer. Deux de leurs disciples, Coppin et Thacker furent pendus.

Contre les dissidents catholiques, c’était une guerre atroce ; les prisons en étaient remplies ; il fallut leur affecter, en 1572, le château deWisbeach ; le conseil exerçait par lui-même ou par les évêques 663

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une surveillance constante sur cessuspects. En ij^'i, un premier groupe de missionnaires avaient gagné secrètement l’Angleterre. C'étaient des hommes cultivés, rompus à la controverse, animes d’un zèle ardent. La première victime fut Cuthubrt Maynb, ancien élève d’Oxford ; accusé d’avoir dit la messe papiste.il se vit condamné à mort en 1077, malgré sa loyauté envers la reine. Xblson et Siibrwoou eurent bientôt le même sort. L’année suivante, 1579, une expédition catholique en Irlande échoua ; elle servit de prétexte à de nouvelles rigueurs contre les dissidents papistes, qui furent écrasés d’amendes.

En juin 1530, deux jésuites, Pansons et Campion, avaient secrètement débarqué en Angleterre. Ils furent traqués par les autorités et cachés par les catholiques avec beaucoup de dévouement ; le premier réussit à repasser sur le continent : le second fut pris. On ne put pas prouver qu’il eût manqué de loyalisme envers la reine ; néanmoins il fut comdamné et exécuté le ie décembre 1581 sous l’inculpation de trahison légale, créée parles odieuses lois de 15^ 1. Campion était éloquent, sincère ; exclusivement préocupé du salut de ses compatriotes ; son exécution souleva des protestations passionnées. Sept de ses compagnons subirent le même sort.

4° L’Eglise anglicane sous l’archevêque John Whitgift (Iô83-L60'i). — A Grindal, réduit à l’impuissance par sa disgrâce et d’ailleurs peu désireux de lutter contre les puritains, succéda John Whitgift. C'était un homme énergique, plus fait pour gouverner que pour convaincre. Il avaitdéfendu avec fermeté les droits de l'épiscopat, dont il affirmait la nécessité et l’origine divine. Il admettait le dogme calviniste ; mais, pour la discipline, il se séparait nettement de Genève. Whitgift ouvrit les hostilités contre un groupe de pasteurs qui, depuis une douzaine d’années, avaient fondé l’Eglise presbytérienne, avec l’appui de Leickster, le favori de la reine, et de Knollys, son trésorier. Après de nombreux incidents, l’archevêque réussit à imposer ses vues au Conseil et à s’assurer le concours de la reine et des juges. La propagande calviniste fut contrecarrée pour quelque temps. Mais au début de l’année 1687, ^ es Puritains d’Angleterre, jaloux d’imiter leur coreligionnaires d’Ecosse qui avaient partiellement réussi à imposer leurs doctrines et leur méthodes, tentèrent de gagner la Chambre des communes. Us échouèrent par l’intervention de la reine. Les discussions publiques furent remplacées par une guerre de brochures, c’est la M.irprelale-war. Les séparatistes avaient pour chefs, non plus Browne, qui s'était soumis, mais Greenwod et Barrow ; de i.">86 à 15q3, ils furent constamment pouruivis par l’autorité et souvent emprisonnés. Condamnés pour avoir contrevenu à l’acte d’Uniformité sils furent exécutés en avril [5a3. La lutte entre les non-conformistes et les séparatistes continua jusqu'à la lin du règne, au Parlement et dans les assemblées du clergé. En somme, la reine, qui craignait pour l’autorité royale l’action dissolvante du puritanisme, appuya son archevêque.

La mort héroïque de Campion avait exalté le courage des missionnaires et des dissidents catholiques ; ils gagnaient beaucoup de terrain. Malheureusement pour eux, ils étaient les alliés naturels de Mahib Stuart, reine d’Ecosse, la rivale d’Elisabeth, et des réfugiés qui, en sûreté surle continent, machinaient à la légère des complots voués à l’insuccès. Le gouvernement anglais en prenait prétexte pour renforcer encore les lois pénales. Ainsi, en 1585, une loi déclara coupable de haute trahison tout praire condamné en bannissement, qui reviendrait en Angleterre. En 1086, le jésuite Ballaiid, son ami Bauington, et quelques autres périrent sur l'écha faud. Le 8 février 1. 587, Marie Stuart fut décapitée. Au milieu de la frayeur qui s’empara de l’Angleterre à l’approche de l’Armada, les prisons furent remplies de catholiques. Après l'échec de la grande expédition espagnole, on les remit en liberté, mais en exigeant des amendes qui ruinèrent bientôt ces familles de propriétaires terriens. L’accalmie ne dura pas. Dès 1.590, le conseil lit juger et exécuter deux prêtres et deux laïques ; les missionnaires furent traqués dans toute l'étendue du royaume ; quelques-uns cédèrent et furent admis dans l’Eglise anglicane, tels Bell, Tedder, Tyrrell. Ces apostats devinrent, naturellement, les plus énergiques des persécuteurs.

Après 1091, le nombre des exécutions diminua. Quelques-unes des victimes sont particulièrement sympathiques. Jacques Bird, qui avait 19 ans, les Jésuites Soutuwell et Henri Walpole, d’une sainteté reconnue, Marguerite Clitiiurob, qui mourut pour avoir donné asile à des prêtres. Les prisons étaient de nouveau remplies ; chacun des prisonniers pouvait, à tout instant, être appelé devant les juges et soumis à la torture. Que de souffrances ont été supportées par des hommes et des femmes dont le seul crime était d'être fidèles au Christ et à leur conscience ! Les catholiques restés en Angleterre désiraient en général vivre en sujets de la reine ; les exilés n’avaient pas ce souci. Ce fut le point de départ de tristes divisions. Les missionnaires, enfermés auchàteau de Wisbeach.y menaient une vie régulière sous la direction de l'évêque Watsonet de l’abbé Feckenham. Quand les Jésuites, au nombre d’une vingtaine, furent envoyés dans cette même prison, ils ne purent s’entendre avec les prêtres séculiers, dont Bluet avait pris la direction. En 1098, Home donna un archiprètre comme chef aux prêtres séculiers ; mais il avait ordre de consulter les Jésuites sur toutes les affaires importantes. En 1602, Bluet et ses confrères, accusés de schisme, en appelèrent à Rome, qui leur donna raison et défendit à l’archiprètre de consulter les Jésuites. Le gouvernement avait été mêlé à ces négociations. Une fraction des Catholiques avait espéré obtenir un peu de tolérance en faisant profession de loyauté à l'égard de la reine. Elle n’eut pas de succès. Quant Elisabeth mourut, le 2/4 mars 1603, 187 papistes, dont 1 a4 ecclésiastiques et 63 laïques, hommes ou femmes, avaient souffert la mort par son ordre.

V. L’Eglise anglicane sous les Stuarts

i « Jacques /"' (1603-1625). — Le fils de Mary Stuart, Jacques I er, déjà roi d’Ecosse, succéda sans opposition sérieuseà Elisabeth, mars iéo3. Elevé dans les principes du puritanisme, il proclama aussitôt son attachement aux lois de l’Eglise réformée. Il trouvait une situation religieuse compliquée. L’Ii^lise anglicane, qui comprenait la grande majorité de ses sujets, avait seule une existence légale ; elle s’appuyait sur le Prayer book et les xxxix Articles. Elle était combattue parles Puritains, moins nombreux, mais sectaires ardents, très attachés au Calvinisme de Genève et opposés à tout ce qui, dans l’Eglise anglicane, rappelait le catholicisme. Les Puritains restaient néanmoins dans l’Eglise officielle ; les Séparatistes ne voulaient plus d'évêques ni même de pasteurs puritains ; poussant à l’extrême la théorie du libre examen, ils rejetaient l’autorité de l’Eglise anglicane et revendiquaient pour chacun le droit d’interpréter la Bible à si manière. Les dissidents catholiques, fidèles à Rome, durement opprimés, demandaient la liberté de pratiquer leur religion, au moins d’une manière privée.

Jacques 1e ', qui voulait régner en souverain absolu, 665

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s’appuya résolument pendant tout son règne sur l’Eglise anglicane. Il avait les évêques sous sa dépendance, puisqu’il les nommait directement. Il était ainsi le chef spirituel, aussi bien que le chef temporel île la nation. Luttante Commission, sur laquelle’appuyaient les évêques, s’appuyait à son tour sur l’autorité royale. L’Eglise anglicane en vint ainsi à soutenir de toute son influence la monarchie absolue. Les meilleurs auxiliaires du roi furent les archevêques de Cantorbéry : l’énergique Wiiitgiit, jusqu’en iOo’i, puis son disciple Bancroft, morten 1610, i-iWin Ahbot, qui fut, plus que ses prédécesseurs, un instrument entre les mains de Jacques I er. Les Puritains, comme le souverain, portèrent bientôt la lutte sur le terrain politique ; ils firent cause commune avec les parlements successifs et la petite noblesse qui voulait un gouvernement constitutionnel. Tout le règne de Jacques I 1’1’est une longue luttecontreles Puritains et les dissidents catholiques.

2° Jacques I’contre les Puritains. — Les Puritains tout d’abord espérèrent beaucoup du nouveau roi. En avril iO >3, comme il se rendait d’Ecosse à Londres, il reçut d’eux ce qu’on a appelé « La pétiton des mille ministres », qui réclamait une conférence pour modifier le Pra ver book et certaines cérémonies. Malgré l’opposition des universités de Cambridge et d’Oxford, le roi réunit une conférence à Hampton Court.janvier i Go’,.Jacques s’aperçut bien vite que les Puritains poursuivaient en réalité l’abolition de l’épiscopat et l’établissement d’une Eglise presbytérienne. Il avait, en Ecosse, appris à détester les presbytériens, et commenta fortement à ses auditeurs désemparés sa maxime favorite : « Supprimer les évêques, c’est supprimer le roi. » Cependant, il permit et approuva quelques légères modification ; au Prayer book. La Conférence s’occupa aussi de la version anglicane de la Bible et du misérable état du clergé, dont les biens avaienl été largement pillés par les souverains successifs et les grands propriétaires terriens.

Le Parlement, réuni en mars 1604, essaya, à plusieurs reprises, déréglementer les affaires et la discipline ecclésiastiques ; le roi le lui interdit. La convocation du clergé, réunie en même temps, publiait, avec l’assentissement du roi, les canons de 1604, dont le but était d’affirmer l’autorité de l’Eglise anglicane et de promouvoir un peu de décence dans les cérémonies ; ainsi, les fidèles devaient s’agenouiller pour communier et le ministre revêtir le surplis et la chape. Les canons demandaient l’acceptation formelle de la Suprématie royale sur l’Eglise, du Prayer book et des xxxix Articles.

L’opposition à ce triple serment grandit très rapidement dans les grands centres puritains, en particulierdansles comtésdeLeicester.deLancasteretà Londres. Le conseil ordonna aux évêques de sévir. Malgré les efforts de Bancroft et de ses collègues pour les amener à se soumettre, un certain nombre de pasteurs refusèrent et furent privés de leurs fonctions. L’influence et le nombre des Puritains avaient grandi au point que les pasteurs privés de leurs fonctions présentèrent une protestation au Parlement de 1605. La Chambre des Communes leur fut favorable, mais les Lords se prononcèrent pour les évêques, qui se montrèrent tolérants, et l’afTaire en resta là pour le moment.

Les années qui suivirent furent remplies du bruit des controverses de Lancelot Andrewes, évêque de Chichester, contre Bellarmin et Haronius.de quelques députés puritains contre les cours ecclésiastiques et la Haute commission, qui furent défendues par’es évêques, puis par le roi. Le dernier grand acte de Bancroft fut le rétablissement de l’épiscopat en

Ecosse, vivement désiré par le roi. Il avait été aboli sous l’influence de Knox.

Le nouvel archevêque de Cantorbéry, Abbol, avait été le chef des Calvinistes à Oxford ; cependant les Puritains l’accueillirent mal, et les discussions relatives à la Hante Commission, aux cours ecclésiastiques recommencèrent aussitôt. Quelques hérétiques de peu d’influence furent brûlés, malgré l’avis contraire de la Haute Commission. Abbol n’était pas populaire ; leroi devenait suspecta toute une portion de ses sujets parce qu’il intervenait constamment dans les conflits entre ecclésiastiques et séculiers, et presque toujours en faveur de l’Eglise. Comme les puritains devenaient très forts à la Chambre des Communes, le conflit entre le roi et les députés s’exaspérait. Le nouveau Parlement, qui se réunit le 3 avril ibi^, était franchement hostile au souverain et à l’Eglise officielle, aussi bien qu’au papisme. Les députés décidèrent de recevoir en corps la commission et d’exclure du parlement ceux qui ne communieraient pas. Les querelles entre les deux chambres devinrent si scandaleuses qu’au mois de juin le Parlement fut dissous par le roi. Jacques attendit sept ans avant d’en réunir un nouveau. Le nouveau Parlement, moins acharné que les deux précédents contre la couronne, se montra, tout aussi violent contre l’Eglise officielle et les catholiques, et fut rapidement dissous.

Le Parlement de t6a4 ne fut pas différent des autres. Pendant ce temps, les Puritains essayaient de donnerau dimanche toute l’austérité que les Juifs avaient donnée au Sabbat. Mais ils étaient allés trop loin ; les fidèles commencèrent à protester contre leur haine des libertés innocentes, et contre leurs prédications déprimantes, où il n’était question que d’élection, de prédestination et de réprobation. Ce mouvement de rébellion contre le Calvinisme prit naissance à Cambridge et s’appela VArminianisme ; il devait ce nom au professeur de Leyde, Jacob Afimtnius, qui avait protesté contre les exagérations des disciples de Calvin. Au milieu de ces luttes, les âmes vraiment religieuses, sous l’impulsion et l’exemple de Lancblot, auteur du petit volume des a Prières privées », essayaient de ramener un peu de piété dans l’Eglise anglaise.

3° Jacques I er contre les dissidents catholiques. — En souvenir peut-être de sa mère catholique, l’infortunée Marie Stuart, Jacques montra d’abord une certaine bienveillance aux dissidents catholiques. Il avait répondu en termes courtois à la pétition que les laïques catholiques lui avait présentée à son arrivée en Angleterre, demandant la liberté du culte privé, et promit de ne pas lever la lourde amende de 20 livres par mois qui frappait tout catholique ne fréquentant pas l’église anglicane de sa paroisse.

Les dispositions royales changèrent après la découverte du complot d’un prêtre séculier, William Watson.qui fut dénoncé par l’arcbiprêtre Blackwell lui même et par le supérieur des Jésuites, Gérard, après surtout le complot avorté, mais plus sérieux, de lord Cobham, de lord Grey et de sir Walter Baleigh, qui furent envoyés à la Tour. Le roi fit des concessions aux laïques catholiques, mais se montra impitoyable à l’égard des prêtres, qui lui étaient suspects à cause de leur éducation étrangère et de leur prosélytisme. Une proclamation du 22 février 160^ ordonna à tous les prêtres séculiers ou Jésuites de sortir de l’Angleterre avant le 19 mars. Les bannis répondirent par une pétition pathétique. Ils demandaient à prouver, dans une discussion publique, qu’ils étaient de loyaux sujets. Ils ne reçurent pas de réponse. A la veille de l’ouverture du Parlement, une deuxième pétition eut le même sort. Cependant Jacgô :

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ques, sentant que les catholiques seraient un appui solide pour son trône, était porté à leur permettre l’exercice privé de leur culte, mais il céda à la forte opposition des puritains. Suivant que le roi négociait avec les princes protestants ou les rois chrétiens, il appliquait sévèrement les lois pénales aux dissidents catholiques ou les modérait. En 1604, un prêtre et trois laïques furent exécutés. Les comtés du Nord s’agitaient ; le roi était averti que les dissidents catholiques étaient poussés au désespoir ; le provincial des Jésuites et l’archiprètre Blackwell, sur l’ordre du pape, exhortèrent vainement les catholiques à rester en paix. Des isolés, Galesby, Percy, Fawkes, résolurent, dit-on, de faire sauter le palais du Parlement. Le « Complot des Poudres » fut découvert à la veille de son exécution et les conjurés exécutés. Le gouvernement lit tout pour impliquer les Jésuites dans le complot ; le provincial Garnet, qui n’avait connu que vaguement le projet et en confession, fut exécuté, ainsi que prêtre Oldcorne et deux serviteurs (Voir art. Conspikation dbs poudres).

Le Parlement profita de l’occasion pour aggraver les lois pénales d’Elisabeth. On obligea les Catholiques non seulement à fréquenter l'église anglicane, mais encore à y recevoir la communion ; on leur imposa de nouvelles amendes ; ils furent déclarés déchus de leurs droits civils, exclus de toutes les fonctions publiques, de toutes les professions libérales. Enlin ils se virent contraints à prêter un nouveau serment de fidélité, qui impliquait clairement la répudiation de toule autorité du pape sur l’Angleterre, en particulier en ce qui concernait la déposition et l’excommunication de ses souverains. A la suite de ces lois barbares, un certain flottement se produisit parmi les catholiques. Une proclamation du 10 juillet 1606rensuvela l’ordre à tous les prêtres de quitter le pays ; on organisa une chasse active ; une cinquantaine furent pris, en partie grâce aux indications fournies par des prêtres apostats.

Les catholiques discutaient s’ils pouvaient, en conscience, prêter serment. Les avis étaient partagés. On consulta Rome. Un bref de Paul V, du 22 septembre 1606, condamna le serment. En dépit de cette décision, l’archiprètre Blackwell, qui était en prison, le prêta et conseilla de le prêter. Un certain nombre de Catholiques, poussés à bout, passèrent peu à peu à l’Eglise anglicane.

Le 7 juillet 1O07, le pape renouvela sa condamnation ; en février 1608, un nouveau bref enlevait à Blackwell sa fonction d’arcliiprêtre et le remplaçait par Birkhead. Les souffrances des catholiques étaient terribles : les amendes ruinaient les familles les plus riches, plusieurs « papistes » de marque passèrent une grande partie de leur vie en prison. Il y eut un martyr en 1607, deux en 1608 ; c'étaient des prêtres bannis qui étaient rentrés en secret dans leur patrie. Il n’y eut pas de sang versé dans les deux années suivantes. En 1610, l’assassinat de Henri IV amena, dans le Parlement anglais, une recrudescence de haine. Il y eut de nouveaux bannissements et quatre prêtres furent exécutés. Laissé à lui-même, Jacques eût volontiers été tolérant ; mais, si les lois pénales étaient moins sévèrement appliquées, les courtisans, que les amendes enrichissaient, protestaient avec violence, et on revenait à une sévérité implacable. Ainsi, en 1612, trois prêtres et un laïque furent pendus ; les prisons se remplirent de nouveau et on fut obligé d’en bâtir de nouvelles. Les captifs y étaient à la merci dcl'évêquc du lieu et des geôliers. En 1616 et 1618, six nouvelles victimes vinrent allonger la liste des martyrs.

Cependant les discussions continuaient entre catholiques : les prêtres séculiers cherchaient avec

persévérance à se rendre indépendants des Jésuites, à qui Rome les avait subordonnés. Enfin, en iGa3 William Bishop fut sacré évêque de Chalcédoine, avecjuridiction sur tous les catholiques anglais. Il mourut en avril de l’année suivante.

Après avoir marié sa fille à l'électeur palatin et essayé d’un mariage espagnol pour son fils, le roi lui fit épouser la princesse française HenrietteMarie. Sous la pression du Parlement le souverain et son fils avaient promis qu’aucune concession ne serait faite aux catholiques à l’occasion de cette union. Quand le Parlement eut été dissous, Jacques désavoua les nouvelles mesures de rigueur prises par les députés contre les catholiques, et dans le contrat de mariage de son fils, promit de leur accorder la liberté religieuse.

Quand aux Séparatistes, leur histoire, sous ce règne, est courte. Un groupe s'était formé dans le comté de Nottingham. Menacés de poursuites, ils réussirent, en 1608, à se réfugier en Hollande. Ils décidèrent d'éniigrer en Amérique et ob-tinrent rassentiment et l’appui du gouvernement anglais. Le 6 septembre 16ao, 101 d’entre eux s’embarquèrent à Plymouth, sur le Mayflower, à destination du Massacliussetts. Personne ne soupçonna l’importance de cet événement.

4* Charles /" (1625-16W). — Jacques I' r était mort le 27 mars 16a5 ; le I er mai suivant, son fils, qui lui avait succédé à la joie générale, épousa par procuration, à Paris, Henriette Marie, fille de Henri IV. Les jeunes souverains furent couronnés le 2 février 1616. Charles I er, au dire de ses adversaires euxmêmes, était intelligent, sobre, chaste, sérieux ; il avait une âme naturellement religieuse, avec une tendance invincible à se mêler non seulement du côté politique des questionsreligiéuses, mais encore du dogme et delà morale, à la manière d’unévêque. On sait assez qu’il était partisan déterminé du droit divin des rois et qu’il poussa l’exercice du pouvoir absolu jusqu'à l’arbitraire. Il n’avait pas le don de plaire. Les d.flicultésqu’ilrencontra montrèrent la faiblesse de son caractère, et ses cruelles souffrances augmentèrent sa piété, qui était sincère. Son principal adversaire a pu dire de lui, en plein Parlement, qu’il était « le plus déterminé des menteurs ». Il haïssait les puritains, qui lui semblaient des gens dangereux et séditieux, tout prêts, sous dîs prétextes de conscience, à nier l’autorité du roi aussi bien que celle de l’Eglise officielle.

Charles Ie ' s’appuya sur deux conseillers qui partageaient ses opinions sur les questions religieuses et politiques ; ils lui furent très attachés et il les aima beaucoup. L’un était Georges Villiers, duc de BucKingham, déjà favori de Jacques I", et l’autre, William Laud, évêque de Saint-David. Au cours de sa carrière déjà longue, ce dernier, avait, comme Lancelot Andrewes, soutenu que l’Eglise d’Angleterre avait simplement voulu rejeter l’autoritédu papeet les « erreurs » de l’Eglise de Rome, c’est-à-dire le culte des images, la messe romaine, la communion sous une seule espèce et d’autres détails, mais qu’elle enten dait conserver tout ce qui appartenait aux origines du christianisme. Il avait, à Oxford, combattu l’enseignement calviniste et toujours aflirmé l’origine divine de 1 episcopat contre les puritains et 1rs séparatistes. Trois années avant la mort de Jacques I' r, il avait, à l’occasion delà conversion au catholicisme de la mère du duc de Buckingham, soutenu de longues et importantes discussions avec lejésuite Fisher, auteur de cette conversion. Un théologien qui partageait les idées de Laud, Montagur, avait pris part à la controverse en publiant sa brochure « Appello Cæsarem. » Le Parlement puritain trouva les idées 6C9

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qui y étaient énoncées trop rapprochées des doctrines de Rome, et, le 7 juillet 162"), sortant de la légalilë, il lit jeter l’auteur en prison. Charles I er répondit

i l’attaque en faisant du prisonnier un de ses chapelains et en prorogeant le Parlement. Les évêques

approuvèrent Monlague. La guerre des brochures continua. Le 15 juin 162C), le Parlement fut dissous par le roi, qui, le lendemain, interdit toute discussion religieuse publique, et cela, à la requête des i êques.

On gagna ainsi deux années d’une paix relative. Le i août 1628, Buckingham, qui était poursuivi par la haine du Parlement, fut assassiné. Le plus remarquable des évêques, John Williams, gardien du grand sceau, était tombé en disgrâce et avait dû résigner ses hautes fonctions ; l’archevêque de Cantorbery, le calviniste Abbot, refusa d’autoriser la publication d’un sermon du docteur Sibthrope, qui avait recommandé l’obéissance entière aux ordres du roi ; il reçut l’ordre de se retirer dans son diocèse, et sa juridiction fut transférée à un comité d'évêques. Laud n’avait plus de rivaux. Il prit la place de Buckingham dans la confiance et l’affection du roi. Depuis le 15 juillet 1628, il était évêque de Londres ; son ami Montague était, depuis la veille, malgré les clameurs des puritains, évêque de< 'liichester. Laud, avec une énergie qui ne se démentit pas, allait travailler à imposer à l’Eglise officielle le Prayer Book, l’Ordinal, un culte public décent. En septembre 1633, à la mort d Abbot, il devint primat d’Angleterre. Il se heurta à la double opposition des dissidents catholiques et des puritains.

5° Charles I er et les dissidents catholiques. — Le jeune roi, en épousant une princesse catholique, avait promis, par traité, de montrer une large bienveillance à ses sujets catholiques. Il ne tint pas sa promesse. Dès la première année de son règne, pour éviter les attaques du Parlement puritain, il ordonna à l’archevêque Abbot de rechercher le6 Jésuites, les prêtres séculiers, et en général les dissidents catholiques. Les magistrats reçurent l’ordre d’appliquer strictement les lois pénales ; des proclamations ordonnèrent aux parents de rappeler leurs enfants des séminaires continentaux ; tous les prêtres catholiques devaient quitter le royaume ; les laïques recevaient l’ordre de livrer leurs armes et la défense de s'éloigner de plus de huit kilomètres de leur domicile. Le roi de France chargea Bassompierre de protester contre la violation du traité et contre le renvoi des soixante Français et Françaises qui avaient accompagné la jeune reine. Le roi répondit que la promesse d’indulgence élait une clause de style qu’il avait acceptée pour faire plaisir au pape et aux Français, mais qu’il n’avait pas eu l’intention de l’exécuter. Il s’ensuivit une rupture avec la France.

Dans la suite, adoptant la tactique de son père, Charles, pour se faire pardonner son mariage avec une catholique et les soupçons auxquels il donnait naissance, ne cessa de poursuivre les Jésuites et les prêtres, dont quelques-uns moururent en prison ; mais il se montra plus tolérant à l'égard des laïques. Il h ur permit de remplacer l’amende de 20 livres par mois par un tribut annuel dont le montant était tixé |.ar une commission. A ce prix, ils achetaient, non la liberté de leur culte, mais la permission de ne pas paraître dans les églises officielles. Malgré ces rigueurs, quand la grande lutte contre le roi et le Parlement commença, les catholiques restèrent lidèles au souverain ; ce qui leur valut de nouvelles persécutions de la part des républicains vainqueurs.

Le fait le plus important pour les catholiques

anglais fut la négociation entre Rome et la cour de Saint James. Sur quelques suggestions venues de la reine, Urbain VIII envoya en Angleterre un moine bénédictin, Léandre, Anglais de naissance et ancien élève d’Oxford. Sa mission officielle consistait à se rendre un compte exact de l'état des catholiques et des relations toujours tendues entre prêtres séculiers et Jésuites. Mais il en prolila pour voir des personnages importants : le secrétaire d’Etat, Windebanke, Montague et Goodman, évêque de Gloucesler. Il rédigea un mémoire pour le pape, dans lequel il affirmait qu’il y avait des chances de retour de l’Eglise anglicane à l’unité catholique, si on pouvait convoquer une conférence mixte d’hommes modérés. Il recommandait des concessions : la communion sous les deux espèces, le mariage des prêtres, la validation en bloc des ordinations anglicanes. Le projet n’eut pas de suite. Les agents qui le remplacèrent à la cour, Panzani, Eon et Rossetli, ne connaissaient pas, comme Léandre, le milieu anglais, et ne furent pas aussi sympathiques. Montague et l'évêque Goodman restèrent en relations avec ces agents. Goodman devait refuser de souscrire aux canons de 16^0 et mourir en prison, réconcilié à l’Eglise de Rome. Laud aurait accepté la nomination d’un vicaire apostolique, comme chef des dissidents catholiques ; mais il s’opposa absolument à l'établissement d’une hiérarchie catholique. Il semble avoir reçu l’offre du chapeau de cardinal. Sous la dure pression des lois pénales, une élite de catholiques se montrait admirable ; les faibles glissaient vers l’Eglise officielle ; quelques apostats se faisaient un nom ; tel Chillingworth, l’auteur de la

« Religion des protestants » (1637).

6° Charles I" contre les Puritains. — La lutte de Charles I er et de Laud, du pouvoir absolu et de l’Eglise officielle étroitement unis, contre les Puritains, commença dès le début du règne et revêtit bientôt une grandeur tragique. Les Puritains réveillaient les traditions de Cartwright, de Hooker et des pamphets Marprelate. Ils voulaient détruire l'épiscopat anglais, comme Knox avait ruiné l'épiscopat écossais. Ils attaquaient avec non moins de vigueur le pouvoir absolu. Ils dominaient la Chambre des communes, sans l’assentiment de laquelle le roi ne pouvait pas légalement lever les impôts. Le conflit entre Charles I, r et les Puritains, conduits par la majorité parlementaire, fut religieux et politique. Le point de vue religieux appartient seul à la présente étude.

Un nouveau Parlement se réunit en janvier 1629. Tout aussitôt les chefs des Puritains, Eliot et Pyni, affirmèrent que les Communes avaient le droit d’imposer une interprétation des xxxix articles, non acceptée par l’Eglise anglicane. Cette interprétation était nettement calviniste. Il y eut des scènes de violences inouïes. Le 10 mars 1629, le Parlement fut dissous par le roi, qui déclara sa volonléde ne point permettre aux Communes de dominer l’Eglise et l’Etat. Pendant onze années, Charles I er et Laud allaient gouverner sans le contrôle du Parlement. Un député de l’opposition, énergique, intelligent, ambitieux, Vbntwohth, bientôt comte de Stiiaifohd, accepta de servir le roi et l’Eglise. Laud était secondé par les évêques Montague, Neile, Mannaring, archevêque d’York, et Juxon. Plusieurs enquêlesépiscopa les eurent lieu, de iG30à 1640 ; elles révélèrent l’activité religieuse des Puritains, les discussions concernant la place à donner à la table de communion et aussi la réorganisation du culte. L’Eglise était appelée à appliquer des sentences impopulaires en iG32, Prynne fut condamné au pilori et perdit les oreilles pour avoir mal parlé du 671

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roi et de la reine. Trois ans après, la même Chambre étoilée le condamna de nouveau, en compagnie de Burton et de John Bastwick, parce qu’ils avaient mal parlé des évoques, La Haute Commission ecclésiastique, les évêques, et particulièrement Laud, étaient très impopulaires. Le procès de llampdcn passionna toute l’Angleterre. Pendant ce temps, Charles I" échouait en Ecosse. Il fallut convoquer un nouveau Parlement pour en obtenir de l’argent. La Chambre des Communes, réunie en avril 1640. montra tout de suite une opposition ardente. Pym protesta contre les ordonnances de Laud et des évêques relatives au culte, et contre les punitions infligées à ceux qui ne s’y conformaient pas. La Chambre des Lords se mit à l’unisson. Elle blâma l’élévation à l’épiscopat de Mannaring et condamna l’évêque Hall, qui venait de publier un ouvrage sur l’origine divine de l’épiscopat, à faire des excuses pour avoir écrit que Lord Saye et Sele était presbytérien. Le Parlement se montrait intraitable ; il l’ut dissous dès le 5 mai, par ordonnance royale.

Mais la Convocation du clergé de Cantorbery continua ses travaux, après avoir accordé au roi, à l’unanimité, un très important subside. Elle décréta un certain nombre de canons, qui furent approuvés par la Convocation d’York. Le clergé affirmait qu’il n’était pas permis de se révolter contre le pouvoir royal ; puis, il renouvelait les mesures déjà prises contre les dissidents catholiques, les Séparatistes, les Brownistes et les Anabaptistes. Le canon 6 imposait à tous les clercs sans exception un long serment : ils devaient jurer de ne rien changer à la constitution, à la discipline, aux croyances, au culte de l’Eglise anglicane. Ce canon souleva une tempête telle que le roi fut obligé de surseoir à son application. On publiait en même temps une foule de brochures violentes contre Charles 1 er et Laud. Le roi, poussé par ses besoins d’argent, avait dû se résigner à convoquer un nouveau Parlement. Le Long parlement fut inauguré le 7 novembre 1640. Dès le ri, Strafford l’ami Adèle de Charles et de Laud, fut mis en accusation ; quelques jours après, Prynne, Burton et Bastwick, rappelés de l’exil, entraient en triomphateurs à Londres, pendant que le secrétaire d’Etat, Windebanke, se réfugiait sur le continent. Le 16 décembre, les nouveaux canons furent déclarés illégaux ; le 18, Laud fut mis en accusation et placé sous la surveillance de l’huissier de la Verge noire. Les troubles religieux agitaient Londres. Le 23 janvier 16/|i, le roi fit déclarer au Parlement qu’il consentait à diminuer la participation des évêques aux affaires de l’Etat, mais qu’il ne permettrait jamais qu’ils fussent chassés de la Chambre des Lords. A ce moment, Hall publia son

  • Humble apologie de la liturgie et de l’épiscopat » ;

elle souleva des tempêtes dans le camp puritain, mais rallia des hommes tels que Hyde, Falkand, Digby, qui prévoyaient la tyrannie prochaine du Covenant, à la manière des presbytériens écossais. Les Lords nommèrent, le 15 mars if>'|i, un comité des affaires religieuses, dont l’activité fut anéantie par la rapidité des événements révolutionnaires.

Le 3 mai, Strafford fut condamné à mort pour haute trahison : le iii, Charles signa l’arrêt de mort de l’ami qui lui avait consacré tout son talent.

Le même jour, il s’enleva le droit de dissoudre le Parlement. Les Lords refusèrent d’exclure les évêques de leur sein ; mais le 16 juin, les Communes abolirent les chapitres, les canonicat » et toutes les dignités ecclésiastiques. Le 5 juillet, le roi donna son assentiment à l’abolition delà Chambre étoilée et de la Haute Commission ecclésiastique, en même temps qu’il enlevait aux évêques le droit d’exiger

le serinent ex officia. Le Parlement protégeait un ministre calviniste de talent, Stephen Marshall ; treize évêques étaient mis en accusation, et les Communes votaient une loi les excluant de la Chambre des Lords. Charles nommait aux cinq évêchés vacants deux puritains et trois partisans de Laud, que les Communes avaient censurés. Le i er décembre, le roi reçut la « Grande remontrance » et refusa encore de chasser les évêques de la Chambre des Lords.

Mais les Puritains soulevaient lapojmlace de Londres ; le 4 janvier, Charles essaya vainement d’arrêter les cinq députés qui menaient le mouvement : il signa, enfin, la loi excluant les évêques du Parlement, au moment même où arrivaient des comtés de l’ouest de nombreuses pétitions en leur faveur.

Les signataires de ces pétitions furent traités en criminels par les Communes, qui s’étaient arrogé les droits de la Chambre étoilée et de la Haute Commission. Toute l’œuvre de restauration ecclésiastique entreprise par Laud était en péril.

La guerre civile, commencée depuis longtemps en fait, date officiellement du a-.i août i ! ùi. Ce jour-là, Charles I"’leva l’étendard royal à Noltingham et appela ses fidèles à la défense du roi et de la religion officielle contre le Parlement. Sur le passage des troupes parlementaires, les églises furent saccagées, les tables de communion détruites, les surplis et les prayer books brûlés. Un ordre des Communes, daté de 1643, ordonnait les dévastations les plus complètes, et partout la populace s’en chargeait.

Le Parlement avait besoin de l’aide des Ecossais ; pour leur être agréable, les deux Chambres votèrent, en janvier 1643, l’abolition de tous les évêchés, dont les revenus furent affectés à l’entretien des troupes. Puis, des ministres puritains furent envoyés en Ecosse pour conclure une alliance avec l’Eglise presbytérienne de ce pays. Après de nombreuses discussions, l’assemblée aboutit à une déclaration fortement presbytérienne et calviniste, que tout Anglais au-dessus de 18 ans devait accepter expressément.

Le Parlement vota cette déclaration le 2 février 1644- Elle était tellement destructive de toute organisation ecclésiastique, que près de 2.000 ministres refusèrent d’y souscrireet furentprivés de leurs fonctions, sous des prétextes divers.

Laud était en prison depuis trois ans. Son procès commença le 12 mars 1 644 - C’était un véritable homme d’Eglise, qui se défendit admirablement et protesta toujours de son entière loyautéà l’égard de l’Eglise officielle. La condamnation étaitrésolueàl’avanceparles Communes ; les Lords le condamnèrent à leurtourle 4 janvier 1640, le même jour, ils avaient accepté le « Directoire du Culte public », établi par la Convocation pour remplacer ie prayer book ; de sorte qn’on a pu dire que l’archevêque et le prayerbook étaient morts le même jour. Laud se prépara à la mort avec beaucoup de calme et de piété. Il fut exécuté le 10 janvier. Quelques jours après, les deux partis en présence essayèrent, àUxbridge, d’arriver à un accord. Mais Puritains et Ecossais étaient résolus à abolir entièrement l’épiscopat ; Charles, et ceci est à son honneur, refusa énergiquemeut malgré sa détresse, de le sacrifier. On ne put arriver à un compromis. Le 5 mai 1646, le roi seconda aux Ecossais : le 15 octobre, après avoir consulté les évêques Juxon et Duppa, il offrit d’accepter une organisation presbytérienne de l’Eglise, à condition qu’au bout de cinq années on reviendrait à un épiscopat organisé. Il refusa d’aller plus loin.

Charles renouvela cette proposition, à New port, en septembre iG.’|8, au cours de la deuxième guerre 673

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civile. Mais l’armée puritaine était devenue maîtresse de tout le pouvoir, le roi avait été livré par les Kcossais ; les Communes, épurées par Cromwell, le condamnèrent à mort comme tyran, traître, assassin, ennemi public de l’Etat. Il se prépara à la mort avec un calme et une piété égale à celles de Laud. Il fut décapité le 30 janvier 164g. L’Eglise anglicane, qui allait être, pendant onze ans, privée de ses évoques et subir les pires calamités, considère que Charles I"" est mort pour sa défense. Elle n’a pas tort.

Bibliographie I. — Bibliographie général » (1509-1647).

A. Documents diplomatiques, administratifs, papiers d’Etat, etc.

1. State papers, foreign, and domestic, Spanish, Venatian.

Cette immensecollection (elle esta notre Bibliothèque Nationale), permet de suivre, presque jour par jour, les événements ; les documents sont classés par ordre chronologique et portent un numéro d’ordre ; chaque volume est précédé d’une substantielle introduction.

2. Statute-Dook : c’est le recueil des lois anglaises.

3. Rymer : Fœdera.,. tables des matières par Hardy. C’est une très importante collection de documents.

4 Wilkins : Concilia magnæ Britanniæ et Hibcrniae CiiG-1717).

5. Journals of the House of Lords (à partir de 1500) : Journals of the House of Commons (à partir de 1 547) 6. Cardwell : Documentary Annals of the ReformedChurch of England. (1646-1716).

B. Histoires générales de l’Eglise d’Angleterre : Auteurs protestants : Fuller 1603-1661) : The

Çhurch history of great Britain qusqu’en 1648). 3 vol. 8° ; Collier, ministre dissident, (1660-1726). An ecclesiastical history (…à 1 685). 8 vol. 8°.

Dixon : History of the Church of England (150g à nos jours).

C. Auteurs catholiques :

Charles Dodd (1672-1743), Ed. Thierney (15001688), 6 vol. 8 #.

Lingard (1771-1841). A history of England… s’arrête en 1688) 14 vol. 8°.

J. Trésal : Les Origines du Schisme Anglican (1509-1571). 1 vol. 3’éd. 1923. — En appendice, la traduction des XXXIX articles.

Le Dictionary of national biography (se trouve à la Nationale), Londres 1892-1907, 60 vol., a des articles, souvent très remarquables, sur tous les personnages importants.

II. — Pour le règne de Henri Ylll :

Sir Nicolas Percy : Proceedings and ordinances of the Privy Council of England, (…à 1642), 7 vol. 8°, Gee and Hardy -.Documents illustrative of the History of the Englisch Church. Londres, 1896, 8° ; John Slrype (1643-1737). Ecclesiastical Jt/emori’a/s(1520-1657)3 vol. 8*. Th. Wright : Three chapters of letters relating to the suppression of monasteries, Londres 1843, 8°. On consultera avec fruit les Chroniques suivantes : The Camden miscellanv (1 485-1 547). Kahian (1485-1558) ; Chronicle of the grey Friars (1 199-1556) ; Charles Wviothesley (1’, 85 155g), Holinshed (à 1586) ; Hall (à î.Vp). James Gairdner : A history of the English Church from Henry VIII to Mary, f 004, 8 ?.

Monographies : Se -born : The Oxford Iîeformers, Londres, 1889, 8°. Gasquet : The Eve of Rc Tome IV.

formation, Londres 1900, 8° ; Henry VIII and the English monasteries, 1888, 23 vol. ; Chapelet : Lettres de Henri VI II à Anne Boleyn, Paris 1835, 8° "Wright : Letters relating to the suppression of monasteries ; Bridgett : Life of cardinal Fislier, Londres 1891, 8" ; Morris : Troubles of oui- catholic forefathers, t. I ; J. Trésal : Les responsabilités de la France dans le schisme anglican. Revue des quesliins historiques, avril 1906 ; Bridgett. Life of the blessed Thomas More, Londres, 1 891, 8° ; Bush, Cardinal Wolsey, Rome, 1886, 8 », Merriman : Life and letters of Thomas Cromwell, 189a, 2 vol. 80.

III. — Pour le règne d’Edouard VI : Elwes Corrie : The liturgies, primer and Catechism set forth in the reign of Edouard VI, Londres 1844, 80 ; The first prayer booh of Edward VI, Oxford, 1883, fo ; Odetde Selve : Correspondance, Paris 1888 ; Rev. Ed. Cox : Remains ofarchbishop Cranmer, miscellaneous uritings and letters. Londres, 1846, 2 vol. 8° ; Hastings Robinson : Original letters relating to the English Reformation (1541-1558), Cambridge 1846, 2 vol. 80 ; Gasquet and Bishop : Edward VI and the Book of the Common prayer, Londres, 1892, 80 ; Jacob : The Lutheran movement in England, Londres, 1892, 80 ; Pocock : Troubles connected withthe Prayer-book of 1649, Londres 1884, 4° ; R. Fred. Russe !  : Kett’s rébellion in Norfolk… Londres 185g, 4° ; Ed. Cox : Writings and disputations of Th. Cranmer relative to the sacra ment of the Lord’s supper, Londres 1844, 4° ; Rev. S. Carr. : Early writings ofJ. IIopper, Londres, 1843, 80.

IV. — Pour le règne de Marie :

Nichols, The Chronicle ofQueenJane, …Londres, 1850, 4° du même : Chronicle of the Grey Friars, Londres 1852, 4° ; Tytler, England under the reign of Edward VI and Queen Mary, Londres 1839, 2 vol. 80 ; Sidney, Jane the Queen, Londres 1900, 8 » ; R. Townsend, The Writings of John Bradford, Cambridge, 1 848-53, 80. Quirini : Reginaldi Poli cardmaliset aliorum ad ipsum epistolse, Brixiae, 5 vol. 4°. Zimmermann : Kardinal Pôle, Regenburg, 18g3, 80 ; "W. H. Frère : The Marian reaction… Londres 1896, 80.

V. — Pour le règne d’Elisabeth :

Kervyn deLettenhove : Relations politiques des Pays-Bas et de l’Angleterre (1656-1679) Il vol. ; R. W. Keating Clay : Private prayers put forth by authority in the reign of Elizabeth… Cambridge, 1861, 80 ; Gee : The Elizabeth prayer book and ornaments, Londres 1902, 80 ; du même : Elizabethan clergy and the seulement of religion (1558-64). Oxford, 1898, 80 ; du même : Elizabethan clergy ; R. G. G. Philipps : The extinction of the ancient Hierarchy, Londres igo5, 80 ; Bridgett : Thz true story of the catholic hierarchy deposed by Queen Elizabeth, Londres 188g ; 80, Henry N’orbert Birt : The Elizabethan religions seulement, Londres, igo7, 80 ; Akinson : The cardinal of Chatillnn in England 1568-71), Londres 1892, 80 ; Cardinal Allen : Letters and memorials… Londres 18g2, 4° 5 Collins : The canons of ib"), Londres 18gg, 80 ; Raine : Dépositions respecting the rébellion of 156g, Londres 1841, 4° Cauley : f.aws of Queen Elizabeth, King James, King Charles I concerning Jesuits, etc. Londres 1680 ; Colette : Queen Elizabeth and the pénal laws t Londres 1890, 80 ; Th. Chrishnline Anstey : The history of the pénal laws. Londres 1842 8° ; Simpson : Life of Campion. Londres, 1867, 80 ; R. W. H. Frère : A history of

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the English Chureh in the reigns of Elizabeth and Jamesl ; Walton : Life of Ilooker ; Law : Jesuit-i and Secularsel The archfriest controversy ; Hardvvick : History of the Articles.

VI — Bègues de Jacques l" et de Charles 1" : Les documents pour toute cette période sont très abondants dans les State papers, les collections de documents déjà cités, les histoires générales ; les vies des évêques, tels que Laud, Williams, Juxon, Wren, les œuvresde Laud, les State trials (pour le complot des poudres et Garnet) sont des sources très précieuses, ainsi que les Strafford papers. Trois livres récents seront très utiles pour guider les recherches sur cette période : Gardiner : History of England ; W. H. Hutton : A history of the English Chureh from the accession of Charles I"’to the deatk of Queen Anne ; Hackett : Scrinia reserata. On trouvera dans les notices du Dictwnary of National l/iography, consacrées aux personnages catholiques, l’indication des sources qui permettront d’étudier la situation morale et matérielle des catholiques anglais.

VII.

J. TrÉSAL.

— LE PROTESTANTISME ALLEMAND

MODERNE

Il ne s’agit point, clans les pages qui suivent, de retracer les évolutions du protestantisme allemand à travers le dix-neuvième siècle et le premier quart du vingtième. De ces évolutions, nous nous occuperons, mais seulement pour faire comprendre l’état actuel du protestantisme en Allemagne et pour éclairer le tableau que nous souhaitons d’en tracer.

I. Une solution du conflitentre « supranaturalistes » et rationalistes : le subjectivisme. L’étape de Schleiermacher. — Jusqu’à la lin du dix-huitième siècle, entre « supranaturalistes » et

« rationalistes », entre les adeptes de la foi au surnaturel

et les théologiens déistes qui dans l’enseignement chrétienne s’attachaient qu’au domainede la religion naturelle et qu’aux disciplines de la morale naturelle, quelque chose de commun subsistait : c’était la foi dans une vérité objective, la croyance en un être transcendant, extérieur et supérieur à l’homme, et qui s’était fait connaître à lui. Ils étaient tous d’accord qu’il s’était fait connaître par les lumières de la raison ; et les supranaturalistes ajoutaient : u et par les lumières de la révélation ». Les uns et les autres professaientqu’une véritéexistait, en dehors de l’homme, une vérité qui était son bien, qui était son privilège, une vérité pleinement indépendante de l’intelligence humaine, une vérité qui s’imposait du dehors et qui, pour être, n’avait pas besoin d’un esprit humain qui la conçût. Tous saluaient, comme source de cette vérité, la « lumière naturelle » dont parle le début de l’Evangile selon saint Jean, el qui éclaire tout homme venant en ce monde ; et les supranaturalistes glorifiaient, comme une autre source, ce Messie révélateur qui disait à ses auditeurs de Palestine : « Avant qu’Abraham ne fût, je sais ».

En définitive, les deux écoles discutaient entre elles sur le contenu du Credo religieux. El Lkssing, sentant que les disputes devenaient âpres, fit un Jour remarquer que « lors même qu’on ne serait pas en étal de réfuter toutes les objections contre la Bible, la religion demeurerait intangible dans le cii’iir de ceux des chrétiens qui ont acquis un sentiment intime dp ses vérités. » Ce fut là, a écrit M. Adolphe Harnack, « une phrase éinancipatrice », et dansces lignes, en effet, toute une révolution théo logique était en germe. Pourquoi continuer de discuter sur les prophéties, ou sur les miracles, ou sur l’inspiration biblique ? Ces discussions commençaient d’apparaître comme d’oiseuses chicanes d érudition, indifférentes à la vie religieuse. La religion, expliquait Schlbibrmachbr à la veille du dix-neuvième siècle, dans ses Discours sur la religion, est le sentiment personnel du contact avec Dieu. A la faveur de cette définition, il semblait que les variations des Eglises réformées pussent se voiler, que leurs déchirements pussent se cacher, puisque eniin, dans ces Eglises, tous s’accordaient sur la hauteur morale et religieuse du Christ ; on pouvait dire, dès lors, que c’est par son expérience séculaire de la personnalité du Christ que la communauté chrétienne s’était formée, maintenue, cimentée ; et que cette expérience, c’était la foi.

Mais dans cette phraséologie nouvelle, les antagonistes de la veille trouvaient occasion pour de nouveaux débats. Si l’expérience suffit, qu’est-il besoin de théologie ? disaient les anciensreprésentants de l’état d’esprit rationaliste. Les vieilles croyances traditionnelles, les vieilles formules dogmatiques, ne sont-elles pas partie intégrante de l’expérience de la communauté chrétienne ? ripostaient les anciens représentants de l’état d’esprit supranaturaliste. Et de rechef, entre orthodoxes et ceux qui commençaient à s’appeler les libéraux, les luttes s’exacerbaient.

Une théologie de conciliation, celle du Mittelpartei, cherchait à jouer un rôle pacificateur, en faisant observer, conformément aux doctrines de l’hégélianisme, que les dogmes n’étaient que des symboles forcément approximatifs (Vorstellungen), et qu’au delà et au-dessus, il fallait s’élever jusqu’à l’idée (liegriff), et qu’en saisissant cette idée, la certitude, de subjective qu’elle était, deviendrait objective. La théologie, ainsi conçue, comportait une infinie souplesse d’interprétation ; l’esprit avait le choix entre divers stades sur le chemin de la vérité ; tous les stationnements étaient licites ; licites aussi, tous les élans ; le mysticisme de Schleiermacher et la spéculation de Hegel, agilement combinés, préparaient l’avènement d’une ère Idéologique durant laquelle la religion, au lieu d’être tout d’abord le résultatd’une avance divine et la manifestation d’une grâce divine, serait tout simplement une élaboration, purement immanente, se déroulant au fond des consciences religieuses.

La même évolution subjeclivisle se produisit dans le domaine de l’histoire religieuse. On ne demandait plus : Que valent Les livres Saints ? dans quelle mesure l’inspiration de Dieu les anime-t elle ? On avait d’autres façons de poser la question. Puisque la religion devenait un fait de conscience, individuelle ou collective, on cherchait dans ces livres augustes un témoignage de la conscience religieuse des générations qui les avaient élaborés etqui s’y étaient complu, un document surla religiosité deces générations. Insensiblement, ainsi, on se mettait aux antipodes des positions théologiques autrefois prises par Luther. Dans les Livres Saints, Luther écoutait parler Dieu ; que les commentaires traditionnelsde l’Eglise essayassent de se mêler à cette parole, Luther les évinçait comme des intrusions. CequeDavid Strauss, au contraire, écoute et entend dans les Evangiles d’où il tire sa Vie de Jésus, c’est la conscience religieuse populaire de la génération contemporaine du Christ ; ce que Baur cherchedans les Actes des Apôtres et les F. pitres, ce qu’il se flatte d’y trouver, c est un document sur les divergences primitives de la communauté chrétienne. Je ne veux plus rien d’humain comme source de la foi.avaiten substance pro(377

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clamé Luther ; honneur à l’Ecriture, où Dieu parle ; silence à la tradition, où ce sont les hommes qui parlent ! Mais voilà que Strauss et Baur, interprétant cette Ecriture, la présentaient comme un produit des imaginations humaines ou même des passions humaines, comme une création de l’esprit de mythe ou comme une création de l’esprit de querelle. Et les nouvelles tendances philosophiques, où les théologiens se llattaient de trouver certains éléments d’union, dissolvaient ainsi, tout doucement, l’intégrité historique de la personne du Christ et l’authenticité divine du message contenu dans les Livres Saints.

II. L'étape de Ritschl : l’organisation de l'équivoque. — Ce fut l’originalité d’ALBBiiT Ritschl, de æ rendre compte qu’il était dillicile pour le commun des âmes, pour les âmes qui ne sont pas des âmes de sa van ts.de consul ter, dans leur propre conscience, les échos de la conscience religieuse de la communauté chrétienne, pour en tirer leur religion ; par une méthode nouvelle, qui tout en corrigeant l’esprit de Sehleiermacher, continuait d’ailleurs de s’en inspirer, Ritschl conviait chaque chrétienà se livrer à l’action qu’exercerait sur lui la lecture des Livres Saints, à y chercher et à y trouver une expérience du divin, et à faire de cette expérience, tout individuelle, l’arbitre de sa foi personnelle. Dès lors, arrière les querelles théologiques 1 Véritable chefd'œuvre d’accommodation, la théologie de Ritschl conserve les mots traditionnels, en permettant au Qdèle de verser dans chacun de ces mots le contenu religieux <le son expérience, un contenu singulièrement différent de celui qu’y avait déposé la vieille théologie. Par exemple, à la question : le Christ est-il ûls de Dieu ? Ritschl répondra : t Oui, Jésus, sans aucun doute, a ressenti un rapport religieux avec Dieu, d’un caractère tout nouveau ; il a inculqué cette nouveauté à ses disciples ; tous les membres de la communauté chrétienne doivent se tenir à l'égard de Dieu dans le même rapport que Christ à l'égard de Dieu ». Voilà qui est édifiant ; qui, pour des lecteurs superficiels, pourrait même évoquer le souvenir des nombreux textes catholiques où le Christ et les chrétiens apparaissent comme les fils d’un même Père ; mais quelle est, en définitive, la christologie de Ritschl ? La filiation du Christ à l’endroit de Dieu, ce ne fui rien autre chose et rien de plus qu’une expérience personnelle de Jésus, qu’une impression subjectivede Jésus ; cetteexpérience, cette impression, nous.loivent à nous-mêmes dicter une attitude intérieure. Et peut-être insisterez-vous indiscrètement : Mais enfin, le Christ est-il Dieu ? Ritschl alors de répondre : « Les deux qualités du Christ : révélateur accompli de Dieu et prototype public de la maîtrise spirituelle exercée sur le monde, sont contenues dans le prédicat de la divinité. » Cela vous satisfait peu ; abordant par une autreporte cettepenséepleine de méandres, vous demandez à Ritschl : « Le Christ, enlin, fut il quelque chose de plus qu’un homme ? » Sur ce, Ritschl vous explique : « Le Christ ne serait qu’un homme, un homme purement et simplement ? Ser. lit ce poss ible ? Je ne liens même pas mes ennemis pour de simules hommes, car ils ont une certaine éducation, un certain caractère moral. » Voilà donc le Christ élevé par Ritschl au-dessus du rang d’homme ; mais Ritschl accorde à tous les hommes qui ont « un certain caractère moral » le bénéfice de la même ascension, et voilà qui nous éclaire assez iii.il sur la divinité de Jésus. Essayant d’une autre Interrogation, vous dites peut-être à Ritschl : « Le christianisme vient-il d’une révélation divine ? » Sa réponse est toute prête : « En parlant de la révéla lion de Dieu, déclare-t-il, nous pensons à la source spéciale d’une conception générale du monde, qui devient la conviction d’une communauté religieuse, et d’où résulte dès lors, chez on grand nombre d’hommes, une même formation de la conscience, une même orientation de la spontanéité. »

Mais les interrogations mêmes que vous adressez à Ritschl attestent, peu à peu, que vous ne parlez pas la même langue que lui et que vous n’avez pas, si l’on os*e ainsi dire, la même mentalité que lui ; pourquoi voulez- vous savoir de lui ce qu’est leChrist en soi, et ce qu’est la révélation en soi, et ce qu’est le miracle en soi ? Ce sont là des jugements métaphysiques, vous dira Ritschl, des Seinsurteile, et de ces jugements-là, lame religieuse n’a que faire. Les seuls jugements qui doivent vous intéresser, ce sont ceux qui définissent ce que Dieu est pour vous, ce que leChrist est pour vous, ce sont lesjugementsde’valeur (Werturteile). — Vous supprimez ainsi tous les fondements du christianisme historique, objectait jadis, à Ritschl et à ses disciples, un professeur orthodoxe de l’université de Heidelberg, Lemme. A quoi les disciples de Ritschl répliquaient volonlieis que la préoccupation des fondements du christianisme historique n’est à leurs yeux qu’une préoccupation de savants, uu souci d'érudits, et que cette préoccupation, que ce souci, livre la théologie à toutes les disputes des hommes ; mais qu’au contraire, grâce à la complaisante phraséologie du ritschlianisme, grâce à la généreuse hospitalité que peut donner l'àme individuelle à tous les « jugements de valeur » élaborés par sa subjectivité, la société religieuse présentera l’aspect, divers mais harmonieux encore, d’une infinie diversité d’expériences religieuses, si satisfaites d’elles-mêmes, si tolérantes les unes pour les autres, que les disputes théologiques apparaîtront comme des archaïsmes. Ecoutons à ce sujet un disciple de Ritschl, Kattbnbitsch : « Quiconque use de la langue de la Bible et de la Réforme dans un sens loyal, même avec un malentendu ; quiconque emploie les mots de cette langue avec le ferme et vrai propos de leur être fidèle, les considérant comme les termes sacrés de la chrétienté, comme des expressions qu’il ne peut pas mettre de côté, lors même qu’elles signions nt pour lui autre chose que pour beaucoup d'âmes d’autrefois et d’aujourd’hui, même si elles signifient pour lui quelque chose d’inouï, que personne n’y aurait jamais découvert : celui-là ne mérite pas d'être méprisé, il mérite reconnaissance pour sa piété. Cette langue est un trait d’union, comme la langue populaire. Elle neutralise pour l'âme beaucoup de fausses opinions théo-logiques. Qu’on se réjouisse de ce que tous les théologiens se rassemblent autour des mêmes mots. »

Etrange occasion de se réjouir I On avait, au seizième siècle, arrogamment déclaré, en face de Rome, que la lettre tue et que l’Esprit vivifie : on se flattait d’avoir fondé la religion de l’Esprit. Et voilà qu’aujourd’hui on se réjouit, commed’un gage d’unité — gage bien précaire, pourtant, — de voir tous les théologiens se rassembler autour des mêmes mots, autour de la « lettre » ; et l’on reconnaît, avec une désinvolte allégresse, que sous ces mots ils mettent des sens différents Derrière cette « lettre qu’ils ont conscience d’interpi éler avec une diversité qui donne lieu à d’implicites malentendus, ne cherchons plus l’Esprit, nous ne trouverions que l'équivoque ; mais cette équivoque même ouvre la porte à d’opportuns accommodements, dont on se réjouit.

Plus d’une fois, dans le séjour que nous faisions en Allemagne de 18y3 à 18uf>, nous eûmes l’occasion d’entendre nos interlocuteurs orthodoxes s’indigner contre un pareil système, parler de « fausse 079

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monnaie », parler d' « hypocrisie ». Les faits de salut, proclamait par exemple M. Lemme, reposent sur des vérités fondamentales, et sans ce fondement, supprimé par le ritschlianisnie, le christianisme reste en l’air. Les disciples de Ritschl souriaient, et laissaient dire, et passaient outre : la foi, pour eux, n’est pas un acte d’adhésion à des vérités intellectuelles ; il n’y a pas, dans la foi, d'élément intellectualiste ; la foi est un phénomème de conscience, elle n’est rien de plus qu’un acte de confiance. Admettre une vérité (furwahrhalten) et se confier aux pressentiments suggérés par cette vérité (yertrauen) : telle était l’attitude de l’orthodoxie. Pour les nouvelles écoles, le premier stade disparait ; il n’est plus question d’un assentiment actif de l’esprit ; le fait religieux n’est qu’uneattitude de l'àme et la foi, venant d’une expérience intime, est considérée comme n’ayant nul besoin d'être confirmée par une preuve historique. Et les orthodoxes d’objecter : « Nous croyons quelque chose qui jadis, il y a dix-neuf cents ans, s’est passé en dehors de nous, mais pour nous. » A quoi les libéraux ripostent : « Nous croyons, nous, quelque chose qui se passe en nous ; nous avons notre foi, nous avons notre dogme, qui n’est pas une vérité exotique descendue d’une patrie surnaturelle, notre dogme que nous produisons, notre dogme que nous développons, etqui, aulieud'êlreune barrière pour la liberté de nos âmes, traduit au contraire cette liberté. » Croire en Jésus-Christ, pour les libéraux, cela n’implique pas qu’on professe une doctrine métaphysique sur la seconde personne de la sainte Trinité, ou sur la filiation divine de Jésus, ou sur sa fonction rédemptrice, cela signifie, pour reprendre les propres expressions de M. Eaftan : « Je suis allé à travers le monde, j’ai cherché Dieu, et je l’ai trouvé en Jésus Christ ». Question de préposition, après tout I Le libéral Lipsius remarquait dès 1890 que, si l’on dispute sur la signiûcation des mots divinité de Christ (Gottheit Christi), la divinité en Christ (Gottheit in Ckristo) est unanimement admise par les partis les plus divers de l’Eglise. Et l’on comprend, sans qu’il soit besoin d’insister, tout ce qui se cache d'équivoques dans ces mots : « La divinité en Christ. » Ce qui est caractéristique dans le. protestantisme allemand contemporain, c’est que la pratique d’un certain genre d'équivoques est recommandée comme une garantie de paix ; il y a là, si l’on ose dire, une sorte d’acte de courtoisie des pasteurs libéraux ou expressément incroyants à l’endroit des consciences qui, dans leur petit troupeau, sont demeurées orthodoxes ; cette courtoisie commande et suggère une phraséologie qui, sans démentir les négations auxquelles se complaît intérieurement la pensée du pasteur, produit sur l’auditoire des impressions édifiantes. Les surintendants de Hesse-Cassel, en 1893, dans une longue lettre pastorale, déclaraient avec une amertume attristée : « Que dirait Luther à des prédicateurs qui songeraient à remplir leur office avec une telle théorie d'équivoque ? D’admettre à une fonction pastorale un homme qui aurait de pareilles pensées, nous n’en prendrions pas la responsabilité, tant pour sa propre conscience que pour celledelacommunaute.il n'échapperait point à la tentation de jouer un double jeu et de professer de bouche des enseignements qu’il ne pourrait justifier aux yeux de sa conscience que par des réserves mentales La communauté aura toujours à craindre d'être trompée sur l’objet de sa foi. » — Mais non, répondaient à ces protestations hiérarchiques les subtils professeurs des Universités ; et ils dépensaient toute leur ingéniosité à montrer comment une certaine phraséologie pouvait satisfaire, tout à la fois,

les orthodoxes et les libéraux. Aprèstout, cet artifice était-il une si grande nouveauté? Déjà le théologien Srmlkr, au dix-huitième siècle, « pour accommoder aux besoins de la communauté chrétienne la religion toute subjective qu’il professait, consentait à s’adapter, sinon aux idées, du moins aux termes conventionnels, et à s’associer au culte de la communauté, alors même qu’il ne partageait plus les convictionsqu’ilétaitchargéd’exprimer. » EtSTuxuss, l’auteur de la Vie de Jésus, au milieu du dix -neuvième siècle, parlant des soins qu’il donnait.au fond de la Souabe, à son petit troupeau d'àmes rurales, expliquait déjà qu' f il faut avoir une pensée de derrière la tête et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple ».

En dépit de ces méthodes, plus propices à l’esprit de paix qu'à l’esprit de vérité, la lin du dix-neuvième siècle fut singulièrement troublée. Le Symbole traditionnel, adopté par les liturgies protestantes, apparaissait à un certain nombre de pasteurs libéraux comme un formulaire trop rigide, trop despotique, trop asservissant. Avec une certaine logique, ils demandaient pourquoi ils étaient tour à tour invités, comme candidats en théologie, à faite bon marché de ce symbole, qu’article par article les professeurs universitaires démolissaient, et puis, comme pasteurs d'àmes, à exhiber ce symbole, à l’enseigner, à paraître y croire. Ils s’indignaient, surtout, contre la prétention qu’avaient les autorités ecclésiastiques d’imposer aux étudiants d’hier la récitation de ce symbole, aucoursdes cérémonies de l’ordination. N'était-il pas plusconforme à la pensée protestante, de leur demander, ce jour là, une profession de foi subjective de leurs croyances ? Ces vieux symboles, alléguait l’autorité ecclésiastique, s’emploient dans les temples depuis les origines de la Réforme ; pourquoi les déchirer I Et les libéraux reprenaient : « La Formule de Concorde, document luthérien du seizième siècle, présente les symboles comme un témoignage et une énoncialion de foi, mais maintient que l’Ecriture est juge de la foi. » S’armant de ce texte, les libéraux se déclaraient prêts à adhérer aux Symboles, aulant qu’en leur for intime ils les jugeraient conformes à l’Ecriture. Si les autorités insistaient, si elles imposaient la récitation pure et simple de ces symboles comme l’observance d’une consigne liturgique, alors sur les lèvres libérales, se dessinait un sourire.

« Je ne professe pas ces articles du symbole, je les

lis », disait à Berlin le pasteur Sydow. — Mensonge jésuitique ! prolestaient les orthodoxes, et l’un d’eux déclarait que le langage systématiquement équivoque des prédicateurs est » une véritable misère de la vie ecclésiastique » !

III. Les « affaires » théologiques ; la question du symbole. — Une série d’affaires retentissantes mit en relief cette misère. Il y avait en Wurtemberg un pasteur d’une conscience scrupuleuse, Christophe ScnuKMi’i'. Lorsque, en 1 884, on l’avait pourvu d’une cure, il avait loyalement déclaré qu’il ne croyait ni à la Trinité, ni au péché originel, ni à la divinité du Christ. Il s’arrangeait avec ses ouailles, en leur prêchant ses expériences personnelles : par exemple, il leur disait, à Pâques, que sans la foi au Christ vivant on n’obtient pas la vraie joie ; il leur disait, à l’Ascension, que le Christ planait sur l’Eglise et sur le monde. Un jour vint où tous ces manèges lui parurent peu loyaux : il fit savoir à l’autorité supérieure, en 1891, que désormais il supprimerait le symbole dans la cérémonie du baptême. Il dut quitter sa cure, et ne la quitta point sans un mol de compassion pour un grand nombre d’ecclé681

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siastiques wurtembergeois, contraints, disait-il, à une réserve mentale.

L’exemple de M. Schrempf lit école : le pasteur Lisco en Prusse, le pasteur Stbudkl en Wurtemberg, refusèrent à leur tour l’usage du symbole, ils furent déposés. La déposition de M. Steudel donna lieu à un curieux incident. M. de Schtuid, prédicateur à la cour de Stuttgart, voulut le convaincre qu’on pouvait accepter toute la liturgie : pour l’en persuader, il prit un vieux rituel qui avait appartenu à l’ancien prédicateur Gbhok ; or, dans ce rituel, des coups de crayon, donnes par Gerok, marquaient les libertés que, sans le dire, celui-ci avait prises à l’endroit des Liturgies traditionnelles. D’où Steudel put conclure que Gerok et lui avaient eu le même état d’esprit ; mais que Gerok avait dissimulé, et que lui, Steudel, était puni « pour n’avoir pas voulu devenir menteur ».

On avait l’impression, dans les Eglises évangéliques allemandes, que les autorités hiérarchiques ne combattaient pas l’incroyance, mais ne commençaient à s'émouvoir que lorsque cette incroyance leur paraissait incorrecte ; or incorrecte elle paraissait, si elle s’affichait franchement, sans précautions, sans équivoques. La sincérité devenait un délit, susceptible de poursuites et de pénalités, mais ces poursuites, ces pénalités, ne protégeaient qu’une façade, elles n’avaient pas l’audace de vouloir protéger la substance même de la vérité, le sens authentique et traditionnel du vieux Credo. M. Schrempf, dans un irréfutable langage, disait de cette Eglise, dont il a /ait cessé d'être le pasteur : « Ou bien l’Eglise devrait expliquer sans équivoque que, chez ses serviteurs qui sont en même temps ses membres, elle présuppose une adhésion, sans conditions ni réserves, à son symbole et à son enseignement, et par là faire connaître sans équivoque aux théologiens hétérodoxes qu’ils ne conviennent point pour le service divin. Ou bien elle devrait flxer de telle sorte sa position à l'égard du symbole et réglementer de telle sorte le service divin, que l’ecclésiastique, en communiquant suivant sa conscience le symbole de l’Eglise devenu un document historique, pût exprimer comme il convient sa position personnelle à l’endroit de ce symbole, et ne fût jamaisobligé de laisser croire que sa foi à lui est sans réserve. Mais l’Eglise n’accepte ni l’une ni l’autre solution, ou, plus exactement, elle fait le contraire des deux. » C’est qu’en eiïet, en acceptant la première solution, les Eglises évangéliquesd’Allemagne auraient do abdiquer cette liberté d’examen qui était au point de départ delà Réforme ; en acceptant la seconde solution, elles auraient légalisé et sanctionné une façon d’anarchie d’où serait résultée la dissolution même des cadres d’Eglise ; elles ne pouvaient opter nettement pour aucun des deux partis.

Il y eut cependant un instant, vers 180, 3, où l’Eglise de Prusse parut sur le point d’opter pour le second parti. Une commission de vingt-quatre meml>r >, appartenant la plupartaux fraclionscroyantes, av lit été chargée de reviser le liturgie ; et la question qui se posait était celle-ci : quelle place donner an Symbole ? Il faut l'évincer, disaient les libéraux, et le remplacer par des chants d’Eglise. Il faut, protestaient les orthodoxes, lui donner, dans la cérémonie de l’ordination, une force juridiquement obligatoire. Il faut en maintenir la lecture comme une lecture documentaire, disaient les théologiens du « juste milieu », comme une façon de se renseiguer sur ce que crut jadis la communauté chrétienne. En août les étudiants en théologie de Berlin s’agitaient ; ils consultaient au sujet du Symbole leur illustre maitre M. Adolphe Harnack ; celui-ci critiquait le

verset : « né de la Vierge Marie », et leur disait en substance qu’on pouvait d’ailleurs entrer dans le ministère pastoral sans chercher un accommodement avec ce verset très-gènant, et patiemment attendre qu'à cet archaïque symbole un autre symbole succédât. M. Harnack « a souffleté l’Eglise du Christ », grondèrent certains luthériens ; « il est temps, et grand temps, que nos étudiants en théologie soient efficacement protégés contre le trouble où des professeurs de théologie, par un enseignement subversif, jeltentleurs consciences ». Et ces luthériens proclamaient que « l’article « conçu du Saint-Esprit, ne de la Vierge Marie », est la pierre angulaire contre laquelle se brisera toute la sagesse de ce inonde. — Mais dans une réunion tenue à Eisenach, un certain nombre d’universitaires s’insurgèrent : attacher à ce versetune pareille importance, c'était, à les entendre, faire dévier la foi et bouleverser les consciences.

Au milieu de ces disputes, émergea soudainement la voix du sumtnus episcopus de l’Eglise de Prusse, Guillaume II. Inaugurant à Wittenberg, le 31 octobre 180, 2, l'église du Château, il déclara : « Nous professons de cœur la foi en Jésus-Christ fils de Dieu devenu homme, crucifié et ressuscité, foi qui est un lien pour la chrétienté tout entière, et c’est par cette foi que nous espérons obtenir le salut, et par elle seule. » L’empereur déclarait « attendre de tous les serviteurs de l’Eglise évangélique qu’en tout temps ils s’appliquassent à gérer leur charge en prenant pour règle la parole de Dieu, dans le sens et dans l’esprit de la pure foi chrétienne, reconquise par la Réforme. »

Ainsi le césaropapisme du Hohenzollern jetait dans le débat le poids de son autorité, en faveur de l’incarnation du Christ. Alors, docilement, le conseil suprême de l’Eglise prussienne expliqua, dans une circulaire : « Eloigner le symbole du service divin, ou même seulement en sacrifier l’usage au caprice de chaque communauté, ce serait diminuer la conscience juridique de la communauté de l’Eglise prussienne, enlever au culte un précieux bijou, à la communauté un moyen suprême de recueillement et de prières. » Cependant, tout en qualifiant de « vérité fondamentale » la naissance miraculeuse de Jésus, le Conseil suprême déclarait qu’il ne voulait pas faire du symbole ou d’un détail de ce symbole « une rigoureuse loi d’enseignement (ein starres f.ehrgesetz) ». Or, malgré les cris de triomphe poussés par les orthodoxes, ce correctif suffisait aux libéraux : il y avait là des possibilités d'échappatoire, dont immédiatement ils se servirent. On continua de polémiquer sur la force obligatoire du symbole, et les libéraux maintinrent, avec M. Harnack, qu’il s’agit là de queslions historiques qui ne peuvent être résolues que d’une façon historique. Et tandis que travaillait la commission de revision de la liturgie, les polémiques se répercutaient dans les divers synodes provinciaux. Lorsqu’en 180, 4 le nouveau projet de liturgie fut définitivement libellé, le synode général chargé de l’approuver se montra à peu près unanime. Les orthodoxes se réjouissaient d’y retrouver le symbole, mais s’inquiétaient un peu lorsque un membre du synode déclarait superflu d’examiner si l’obligation qui pesait sur le pasteur était d’un caractère juridique ; les libéraux se rassuraient en observant que, sur la valeur objective du symbole et sur le degré de perfection avec lequel il traduisait les vérités religieuses, les opinions demeuraient libres.

Celte liberté d’opinion devait, de plus en plus, continuer de sedonner carrière dans l’enseignement des universités. L’Allemagne savante professait que les recherches théologiques et historiques des mai683

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très universitaires qui formaient les futurs pasteurs ne pouvaient pas être asservies à des symboles, non plus qu'à des autorités d’Eglise ; et dès que les autorités de l’une des Eglises évangéliques d’Allemagne faisaient des réserves sur l’enseignement théologique d’une université, on voyait se multiplier les protestations, au nom de la liberté de la science. Lorsque, en 18y3, les surintendants généraux de Uesse Cassel dénoncèrent l’influence trop libérale exercée par les professeurs Achelis et Hermann sur les futurs pasteurs qui étudiaient à Marbourg, il y eut une telle campagne d’opinion contre leur circulaire, qualitiée de « bloc erratique ullramontain », que les autorités directrices des autres Eglises lurent peu tentées d’imiter leur exemple ; et lorsque en 189, 4 les professeurs Meinhold et Grafe soutinrent à Bonn, dans des cours de vacances, des thèses inquiétantes pour l’orthodoxie, et ripostèrent à leurs dénonciateurs en déclarant que les communautés renfermaient un certain nombre de membres fatigués de « l’apparat des dogmes », le conseil suprême évangélique se lira d’embarras par une décision passablement alambiquée où, sans les les déposséder de leur chaire, il maintint tout à la fois les droits de la liberté scientifique et la nécessité de former les serviteurs de l’Eglise. Les orthodoxes, préoccupés de cette nécessité, se plaignaient bien haut que « la conscience des étudiants fût fourvoyée par de nombreux professeurs, etqueles doctrines qu’on leur faisait absorber les rendissent impropres au ministère ecclésiastique. » Alors, pour remédier à cette détresse et pour faire contrepoids à l’enseignement des professeurs libéraux auxquels il n’osait toucher, l’Etat créait à côté d’eux, dans les universités de Bonn et de Marbourg, deux chaires confiées à des professeurs orthodoxes ; les libéraux, ricanant, qualifient ces deux professeurs de Strafprofessoren (professeurs de châtiment), et leur enlevaient à l’avance tout ascendant.

Y a-t-il deux vérités ? questionnait l’orthodoxe Gazette de la Croix ; y a-t-il une vérité que l’Eglise enseigne ? une vérité que les professeurs enseignent ?

Et inversement, M. Harnack, observant que depuis cinquante ans l’Eglise évangélique laissait contester la naissance miraculeuse de Jésus, demandait : Pourquoi tant de tempêtes lorsqu’on conteste cette naissance à l’occasion d’un article du Symbole ? Doit-il y avoir une double vérité ? doit-on voiler dans l’Eglise évangélique la connaissance historique ?

Dans le libéralisme comme dans l’orthodoxie, la même question se posait ; et cette question montrait les tourments intérieurs du protestantisme allemand. La parole de l’empereur, la parole du Conseil suprême, étaient impuissantes à y mettre un terme. En 1899, le pasteur "Wiungaut, d’Osnabiuck, était officiellement privé de sa charge, parce que, dans un sermon pascal, il s'était mis en opposition avec le symbole de l’Eglise. Derechef l’Allemagne protestante s’agitait. Pourquoi ne pas distinguer, disait à Dresde le pasteur Sulzk, entre la « foi au salut » (Heilsglauben) dans laquelle l’Ame de chaque prédicateur doit être enracinée, et les formules doctrinales, instigatrices de débats tbcologiques auxquels la communauté chrétienne doit d ci n curer étrangère ? Et le pasteur Hadb, chef et représentant du groupe de théologiens de la Christliche ll’clt, qui incarnaient de plus en plus activement la tendance libérale, soutenait en substance que c’est aux pasteurs de s’excommunier eux-mêmes, s’ils se jugent, en conscience, trop éloignés de la foi de leur communauté, et que, si l’Eglise protestante persistait à vouloir frapper elle-même ses pasteurs pour infi délité à la « pure doctrine », il lui fallait posséder une autorité qui fixât cette doctrine.

Dans les premières années du vingtième siècle, les t affaires », les « cas » (facile), comme on dit outre-Rhin, allèrent se multipliant. Et le conseil supérieur évangélique de Berlin, le 8 février 1907, dans un rescrit d’une particulière àpreté, blâma ces agitations constantes comme un déshonneur pour le christianisme, et comme un péril pour l’Eglise territoriale, c’est-à-dire pour « le seul cadre qui permette de maintenir, dans l’ensemble delà vie populaire, l’ascendant du christianisme évangélique ». Deux ans plus tard, fatigué de ces bagarres doctrinales, le conseil supérieur évangélique cherchait à se libérer lui-même de toute responsabilité. Il profitait de la tenue d’un synode général en 1909 pour régler d’une façon nouvelle la procédure à laquelle donneraient lieu, désormais, les défaillances doctrinales des professeurs. De par le nouveau règlement, des doctrines erronées cessèrent de pouvoir être imputées à faute, et de pouvoir entraîner des pénalités. C’en étaitfait delà procédure disciplinaire à laquelle jusque là elles donnaient lieu ; désormais, lorsqu’un enseignement seraitsignalé comme incompatible avec la parole de Dieu, contenue dans l’Ecriture Sainte et répercutée dans les Symboles, un tribunal d’Eglise examinerait, en fait, si, oui ou non, la position prise par le pasteur à l’endroit de la confession de foi de l’Eglise demeurait compatible avec la continuation de son ministère. Si l’incompatibilité était reconnue par le tribunal, ce verdict n’avait nullement l’aspect d’un châtiment, car l’ecclésiastique qui serait l’objet d’un tel verdict devait toucher, sur les fonds de l’Eglise évangélique, une pension correspondante à son traitement denaguère.

Peu de mois s'écoulèrent avant qu’on eût à faire usage de cette procédure nouvelle, et toute l’Allemagne se mil aux écoutes, pour épier la façon dont seraient sauvegardés, tout à la fois, le principe de la liberté d’examen et l’intégrité des symboles. Après de multiples tentatives pour l’assagir, le Conseil supérieur évangélique avait prévenu le pasteur Karl Jatho, de Cologne, qu’il paraissait y avoir contradiction entre ses idées sur Dieu, sur le péché, sur l’immortalité, et la foi de sa communauté, et qu’un tribunal d’Eglise devait apprécier. M. Jatho s’expliqua sans difliculté. Ce pasteur déclara qu’il se refusait à admettre un Dieu extérieur au monde, qu’il se refusait à admettre, dans le temps, un acte créateur. La vie, pour lui, vie collective et vie individuelle, vie organique et vie inorganique, vie spirituelle etvie corporelle, c'était la plénitude de la divinité. Une idée de Dieu qui fût approuvée par son Eglise, M. Jatho considérait cela comme un accessoire ; l’essentiel, pour lui, c'était de s’assimiler Dieu par la prédication. Il n’attribuait à la personnalité du Christ qu’un rôle exclusivement pédagogique ; l’idée du péché, celle de la rédemption, lui paraissaient incompatibles avec la noblesse de la nature humaine. Quant aux fins dernières, quant à notre survie outre-tombe, M. Jatho avouait ne posséder, là-dessus, aucune certitude. D’un bout à l’autre de l’A lleniagne.leslibéraux avancés s’enflammèrent pour le pasteur Jatho, vantant ses extraordinaires dons oratoires et son anima candida ; certains aspects de sa personnalité religieuse désarmaient les orthodoxes eux-mêmes, qui cependant estimaient que dans une ville comme Cologne, où les catholiques observaient, il était profondément regrettable de donner l’exemple d’une pareille anarchie doctrinale. A l’avance, certains libéraux attaquaient, comme une sorte d’inquisition, le tribunal qui devait se prononcer sur M. Jatho. Ce trilmnal 685

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rendit son jugement le 2 4 juin 1 91 1 ; ce jugement constatait que le pasteur incriminé ne pouvait continuer son ministère dans l’Eglise évangélique.

Des ouragans de protestations s’élevèrent. Pour les apaiser, une voix se (it entendre, : ce fut celle de M. Harnack. Le libéralisme avait fait tant de progrès dans l’Eglise prussienne, que M. Harnack, peu à peu, avait acquis dans cette Eglise l’autorité d’un directeur d’opinion : il en profitait pour tenter d’apprivoiser les éléments libéraux les plus avancés et pour justifier de son mieux les décisions préservatrices par lesquelles les tribunaux d’Eglise défendaient, contre des pasteurs trop exubérants, ou trop sincères, les susceptibilités traditionnelles des croyants. Entre M. Harnack, qui approuvait la procédure suivie à l’égard de M. Jatho, et M. Jatlio lai-même, une correspondance des plus curieuses s’engagea.

Nous pensons de même sur le Christ, lui signifiait en substance M. Jatho ; nous estimons, l’un et l’autre, qu’il n’est rien de plus qu’un homme ; et vous êtes le premier à reconnaître que, d’âge en âge, la conception que se faisaient les fidèles du Christ historique a notablement varié. 11. Harnack alors de répondre : « Je considère et j’ai toujours considéré Jésus comme le Messie et le Maître. » Mais cette formule même — M. Jatho n’avait pas de peine à le prouver — était insuffisante aux jeux des orthodoxes ; et les théologiens qui réintégraient la personne du Christ et le fait chrétien dans l’histoire du

« développement religieux de l’humanité », trouvaient

qu’au contraire saluer le Christ comme le Messie et le Maître, c’était encore faire trop de concessions à l’orthodoxie.

Car de même que les vingt dernières années du dix-neuvième siècle avaient vu s’insurger, contre le vieux Credo, l’histoire des idées successives que la communauté chrétienne s’était, disait-on, faites du Christ, de même, dans les premières années du vingtième siècle, une autre mode intellectuelle s’était installée, contre laquelle M. Harnack avait inutilement protesté. L’un des points de départ de cette mode avait été le livre de l’assyriologue Frédéric Dklitzsch : Babel et la Bible. L’évolutionnisme religieux inspirait ces pages : la religion de l’Ancien Testament y était présentée comme issue de Babylone ; l’idée d’une révélation apportée aux hommes par Jehovah périclitait ; et dans le développement religieux de la conscience humaine, tel que le décrivait, à grands renforts d’arguments philosophiques, cette science nouvelle. Dieu révélateur, Dieu législateur ne jouait plus aucun rôle effectif, historique. Toute une série d’écrits sur l’histoire desreligions se publia, dans lesquels des plumes de philologues et de théologiens s’attachaient à détruire le caractère transcendant du christianisme, à supprimer ce prestige unique, exceptionnellement auguste, qui s’attachait à la personne du Christ dans l’histoire religieuse de l’humanité. M. Harnack, chagrin, assistait à ce travail, dans lequel le théologien berlinois Ernest Troeltsch allait bientôt s’illustrer* et M. Harnack déplorait que l’attention publique, à la faveur de ces nouvelles méthodes, s’égarât sur des phénomènes religieux d’ordre inférieur et perdit de vue la précellence du fait chrétien. Mais lorsque M Jatho criait à M. Harnack :

« Après tout, pour vous comme pour moi, le

Christ n’est rien de plus qu’un homme », M. Harnack était assez gêné.

Sur un « cas », un autre « cas » se greffait : tout de suite après l’affaire Jatho, on eut l’affaire Tuaiis. M. Traub, pasteur à Dorlmund, professait son incroyance à l’endroit du symbole ; il ne connaissait pas les « faits relatifs au salut » (ffeilsthat sache ») ; il repoussait l’idée de sacrement, l’idée de dogme. Et par surcroît, à l’occasion de l’affaire Jatho, il attaquait vigoureusement les autorités de l’Eglise. Pour éviter de donner une fois de plus à l’Allemagne religieuse le spectacle des divergences doctrinales, le consistoire de Munster affecta de ne s’occuper que des invectives de M. Traub, et de ce chef il le poursuivit disciplinairement. Les jugements rendus contre lui par le consistoire, puis par le conseil suprême évangélique, soulevèrent de violents mécontentements ; et l’on vit M. Harnack, à la veille de la Grande Guerre, se poser de nouveau en tribun de la liberté de l’enseignement et de la liberté des consciences à l’endroit des vieilles chaînes liturgiques. Un peu partout en Allemagne, une agitation se produisait pour le remaniement delà liturgie et pour une éviction, totale ou partielle, du vieux Symbole, lorsque la Guerre éclata.

IV. La réaction contre la théologie « moderne », le mouvement en faveur d’une « haute Eglise allemande ». — Quels seront, pour le protestantisme allemand et pour les diverses tendances théologiques qui y « ont en conflit, les résultats de la guerre ? Un plus grand recul serait nécessaire pour émettre à cet égard un jugement précis. Les bouleversements civils qui ont modifié la façade politique de l’Allemagne ont détruit, du même coup, les charpentes d’Etat dans lesquelles s’encadrait l’établissement religieux évangélique. Il n’y a plus d’autorités d’Etat pour maintenir, aux heures critiques, certaines apparences de cohésion, pour signifier aux orthodoxes que leurs protestations ne doivent pas dépasser certaines limites, pour signifier aux libéraux que leurs revendications doivent s’abstenir de certains excès.

Dans ces Eglises évangéliques où le principe de la l’berté d’examen s’insurge chaque fois que l’intérêt même de lacohésion de l’Eglise inspire aux autorités religieuses un acte législatif ou disciplinaire, le vieux césaropapisme, toujours exercé par le souverain territorial, était une force de conservation, et, dans une certaine mesure, un élément de cohésion ; mais désormais il a abdiqué, comme ont abdiqué les dynasties qui l’exerçaient ; les Eglises évangéliques sont devenues maîtresses de leurs destinées.

— pleinement maîtresses.

Il est curieux de constater que l’un des tout premiers résultats de cette liberté a été l’éclosion d’une € haute Eglise allemande », de ce qu’on a pu appeler

« un essai de luthéranisme catholique «.Depuis que

les Eglises elles-mêmes, représentées par leurs synodes, choisissent les pasteurs, les professeurs universitaires n’exercent plus la même influence qu’au temps où, dans ces nominations, l’Etat disait son mot. Le besoin d’une certaine objectivité doctrinale se fait sentir de plus en plus nettement. En 1917, en pleine guerre, ce besoin s’attesta par la publication que fit M. Hansen, pasteur à Altona, d’un certain nombre de « thèses », qui visaient « les erreurs et les abus de ce temps ». Il déclarait, entre autres choses, en ce quatrième centenaire des thèses de Luther, que le protestantisme n’avait aucune raison de fêler des jubiles, etqu’il devrait.bien plutôt, « faire pénitence dans un sac et dans la cendre », que « le mouvement de réforme qui eut lieu en 1 ô 1 7 donna lieu à quelques bons résultats, mais qu’il contribua beaucoup plus à empirer la situation, et que ce mouvement expulsa un diable, mais qu’il en introduisit sept, plus acharnés ». Au milieu des suprêmes convulsions de la guerre, ces thèses ne firent que peu de brait ; mais le 9 octobre 1918, à Berlin, le pasleur Hansen, trois de ses confrères et deux laïques, 687

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se réunirent, pour constater « le manque de vigueur spirituelle et la nostalgie de sécurité dont souffrait l’Eglise officielle », et pour décider la réorganisation de l’Eglise. Ilsrêvaient d’une Eglise épiscopale, d’une Eglise qui remit en honneur le caractère objectif des sacrements, qui rétablit la confession privée et facultative, qui conviât les iidèles à visiter les temples, à y faire des heures de prière, qui fit l’essai d’une institution monastique, qui composât, enfin, un bréviaire évangélique, semblable au bréviaire romain. Gedernier bréviaire estinsurpassable, déclarait dans la revue Die Hochkirche, organe du nouveau groupement, le pasteur Bronisch. « Nous devons redevenir, proclamait, le i' 1 ' novembre 1922, 1e pasteur WBSBNBEnG, une Eglise dispensatrice des sacrements. Un prêtre catholique, croyant et sérieux, est beaucoup plus près de moi qu’un protestant qui nie la divinité du Christ. » Le pasteur Bbttac, qui fut le premier président du groupement, avait osé écrire dès ig15 : « L’Eglise romain**, cette Eglise cléricale, comme on dit, est en réalité l’Eglise populaire ; la nôtre au contraire, celle du sacerdoce universel, est devenue une Eglise cléricale ; l’Eglise romaine est associe’e à la vie entière du fidèle ; bien plus, elle pénètre toute cette vie pour lui donner un sens et une orientation. Nous, nous sommes tolérés ici ou là ; mais sur la masse nous n’avons aucune prise. » Lorsque, le 31 octobre 1922, l’assemblée générale de cette Haute Egise s’ouvrit à Berlin par une cérémonie religieuse, la cérémonie fut calquée sur la messe romaine.

Et lorsque fut publié le bréviaire luthérien proposé par ce groupement, on eut la surprise d’y trouver, à l’office du mercredi de la troisième semaine de l’Avent, une oraison empruntée à l’auieur catholique Louis de Grenade, oraison où la Vierge Mère est célébrée comme une « merveille », pour laquelle la chrétienté doit louer et bénir Dieu. Nous voilà loin, on le voit, des articles de Smalkalde, qui considéraient l’invocation à Marie comme un abus idolâtrique et blasphématoire.

Quel est l’avenir de ces tendances ? Tout pronostic serait imprudent. Dans ces « Eglises du peuple » (Volkskirchen) qui se sont substituées aux droits des anciennes Eglises territoriales (I.andeskirchen), quelle audience trouveront les partisans de la haute Eglise ? Si, pour maintenir leur Credo, leurs aspirations, leurs rêves, ils sortent de ces « Eglises du peuple », garderont-ils une part dans les dépouilles de l’ancienne Eglise de l’Etat ? Il faut attendre que les institutions allemandes aient retrouvé quelque équilibre, avant de conjecturer ce qu’il adviendra de ce mouvement. Mais on peut dès maintenant en préciser la portée. Aucun des instigateursde cette haute Eglise ne songe à devenir catholique romain. Luthériens ils sont, luthériens ils veulent rester. Mais tout ce qu’il y a de négatif dans les conceptions de la Béforme, aussi bien dans les conceptions primitives que dans celles qui furent le fruit d’une évolution historique, les choqueet leur déplaît : ils ont soif d’un christianisme positif, d’une foi aux réalités surnaturelles ; et parmi eux le pasteur Konig, qui représente l’extrême droite, va jusqu'à souhaiter l’installation d’un évoque, que consacreraient « des évêques se trouvant dans la continuité de la succession apostolique ».

La manifestation la plus originale qui se soit produite dans le protestantisme allemand depuis que la chute du césaropapisme l’a rendu maître de ses destinées, témoigne, en définitive, de l’attrait qui porte un petit groupe d’orthodoxes, encore très restreint, vers certaines conceptions catholiques et certaines pratiques catholiques. Ils continuent de se

distinguer du romanisme, et même de s’y opposer ; mais leur hostilité durable contre lesprérogatives du magistère romain ne les empêche pas de rechercher et de ressaisir, dans le vieil établissement religieux catholique, des satisfactions auxquelles leurs âmes font accueil et dont ils veulent procurer à d’autres âmes le bienfaisant avantage.

V. Convergences qui se dessinent entre les conclusions historiques de M. Harnack et de son école et certaines positions traditionnelles de l’Eglise Romaine. — Sans vouloir donner à certaines coïncidences une importance excessive, nous devons constater que simultanément, dans les rangs des théologiens libéraux, un certain sens historique s’est éveillé, qui leur permet de mieux comprendre et de mieux juger le catholicisme médiéval et l’Eglise primitive que ne le faisaient les centuriateurs de Magdebourg ou les théologiens prolestants des seizième et dix-septième siècles.

Que l’on médite, par exemple, cette page éloquente, dans laquelle le protestantisme allemand contemporain regrette la disparition du vieux monachisme :

« Je ne doute pas un seul instant, que, dans la

détresse sociale et religieuse où nous sommes, nous ayons besoin de communautés, de groupements, animés de cet esprit que les moines honnêtes et purs ont possédé et possèdent encore. Nous avons besoin, au service de l’Evangile, d’hommes qui aient tout abandonné au profit de ceux dont personne ne s’occupe. Le parallèle avec les moines catholiques ne m’effraie pas ; les moines évangéliques ne s’occuperont pas d’accumuler des mérites et pourront ainsi, à n’importe quel moment, abandonner la partie, sans perdre leur honneur ou leur réputation.

« Les églises évangéliques deviendront encore plus

misérables qu’elles ne le sont, ou bien l’amour les rendra inventives, et elles susciteront entre elles ce qui n’existe encore aujourd’hui sous aucune forme précise, mais qui s’annonce déjà et qui lente de naître dans la nécessité pressante où nous sommes.

« Nous avons des maisons de correctionetdes maisons de travaux forcés, mais nous n’avons pas encore

d’asiles, où puissent se retirer ceux qui ont fait naufrage sous la tempête de la vieet ne parviennent plus à tenir la mer. Combien n’y en a-t-il pas, qui devraient et voudraient se retirer en silence dans un havre bienveillant pour refaire leurs forces et surtout se préparer à de nouvelles tâches 1 Combien pourraient être sauvés s’il leur était donné de s’appuyer à une communauté bien groupéeetbien ferme, où ils seraient conduits dans une sévère discipline pour l’utilité de tous et où ils se feraient du bien en servant les autres 1 Je sais que je ne suis pas le seul à entretenir ces pia desideria… Et je sais aussi que l’histoire de l’Eglise du Christ, telle qu’elle se manifeste dans le monachisme, n’est pas seulement l’histoire d’une grande erreur. »

Ces lignes sont de M. Harnack ; et il avait raison d’affirmer que certaines âmes partageaient ces pia desideria) : piisq’en ces dernières années on a vu se fonder, en Poméranie, un monastère de bénédictins luthériens. Il y a un demi-siècle, le théologien prolestant qui se fut permis de telles réflexions eût risqué dépasser pour un « crypto-catholique. »

Les positions théologiques et philosophiques de M. Harnack le mettent pleinement à l’abri d’une pareille accusation ; mais la conception qu’il se fait de l’Eglise primitive est beaucoup moins éloignée de la tradition catholique romaine qu- ; ne l'étaient les historiens et critiques protestants de la génération antérieure. « Nous rétrogradons vers la tradition », 68-)

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690

disailun jour M. Harnack, et Mgr BatifTol, commentant ce mot, a pu écrire : « Si la réalité, en histoire, n’est atteinte souvent que par des approximations successives, la critique étrangère à notre foi catholique a tendu peut-être, depuis cinquante ans, à se rapprocher d’une vue plus compréliensive, plus voisine de nos affirmations traditionnelles. » Par exemple, Baur estimait, en 1835, que les épltres qui nous sont parvenues sous le nom de saint Ignace avaient été fabriquées au milieu du second siècle, en faveur de l’épiscopat, par un faussaire romain. Elles sont du quatrième siècle, disait llitschl. Non, proclame aujourd’hui M. Harnack ; elles sont authentiques et sont bien effectivement du temps de ïrajan. Et de même que M. Harnack, par son verdict au sujet des épîtres ignatiennes, rend implicitement hommage à l’antiquité de L’institution de l’épiscopat, de même, sa conception des origines de la primauté romaine est intéressante à relever.

C’en est fait des vieux systèmesproteslants d’après lesquels le Christ aurait surtout voulu fonder une Eglise invisible, à laquelle Rome, lentement, aurait réussi à substituer et puis à superposer une Eglise visible dépendant de son hégémonie. Aux yeux de M. Harnack, il y avait bien effectivement, au début du troisième siècle, « de l’Euphrate à l’Espagne, une Eglise visible constituée, et formant un véritable organisme politique » ; aux yeux de M. Harnack, il y avait eu, dès le début, entre les communautés chrétiennes, ce qu’il appelle des « commencements de dispositions interecclésiastiques » ; et parmi les centres d’unité que posséda le christianisme primitif, Rome fut de bonne heure le plus important. Et sans nul doute, M. Harnack ne voit dans cette ascension du siège de Rome que l’adaptation du christianisme à la vie même de l’Empire et la réalisation d’une sorte d’impérialisme chrétien ; mais de ces théories historiques, ce que l’apologétique catholique peut retenir, c’est le témoignage qu’elles portent — témoignage assez neuf dans la science protestante — en faveur de l’antiquité de la primauté romaine.

VI. Double contraste entre le protestantisme allemand contemporain et le protestantisme du seizième siècle. — Combien seraient surpris les réformateurs du seizième siècle, s’il leur était donné de ressusciter et de jeter les yeux sur l’arbre qu’ils ont planté !

Toutes leurs polémiques, toutes leurs négations, étaient dirigées contre l’institution catholique. Et voici qu’aujourd’hui les thèses historiques de Harnack et de son école divergent singulièrement d’avec les allégations du protestantisme traditionnel au sujet de l’épiscopat, au sujet de la papauté, au sujet du monachisme ; et ces conclusions d’une école qui prétend ne relever que de la libre science convergent à certains égards avec le désir qui porte quelques âmes strictement croyantes à vouloir, à l’écart de Rome, introduire du catholicisme dans la vie des Eglises luthériennes.

Et d’autre part, tout ce qui restait de positif, tout ce qui subsistait d’aflirmations, dans le Credo de la primitive Réforme, la croyance à l’Incarnation, la croyance à la Rédemption, la notion de sacrement, tout cela périclite dans les systèmes de la théologie

« moderne » ; et du principe du libre examen ont découlé

peu à peu certaines théories sur l’élaboration de la vérité religieuse, qui ont complètement aboli le caractère transcendant et surnaturel de la révélation chrélienne et enlevé à la vérilé chrétienne son caractère et son aspect de « don divin ».

Ce qu’il v avait de commun entre la métaphysique du catholicisme et la métaphysique du protestan tisme primitif tend à s’effacer des croyances protestantes contemporaines : c’est là le résultat des progrès du suhjectivisme et de ses audacieuses négations. Et d’autre part, dans les sphères du libéralisme, les évolutions de la recherche érudite tendent à ébranler les positions historiques derrière lesquelles se retranchaient les réformes du seizième siècle et à l’abri desquelles ils croyaient pouvoir braver et dénoncer ce qu’ils appelaient les usurpations de l’Eglise romaine. L’histoire ecclésiastique, telle que la manient M. Harnack et son école, offre beaucoup plus de nuances et témoigne, à l’endroit de la catholicité primitive, beaucoup plus d’intelligence et d’équité.

Et les vieux orthodoxes, de plus en plus rares, il est vrai, qui joignaient à l’amour tenace de leur dogmatique une haine non moins’tenace contre l’Eglise romaine, assistent impuissants à ces deux phénomènes et sont doublement déçus.

Bibliographie. — Goyau, L’Allemagne religieuse : le protestantisme. Paris, 1898. — Rieder, Zir Innerkirchlichen Krisis des hcut’gen Proteslantismus ; eine Orientierung Hier moderne Evangeliumsverhiindigung. Fribourg, 1910. — JohannesB.Kissling, Der deutsche Protestantismus 1817-1917. 2 vol. Munster, 1918. — Pierre Charles S. J. La robe sans couture : un essai de luthéranisme catholique, la haite Eglise allemande. 1018-1973. Bruges, 1923.

— Pierre Baliffol, L’Eglise va usante et le catholicisme. Paris, 1909.

Georges Goyau.

VIII. — PROTESTANTISME FRANÇAIS MODERNE

1. Son cadre et ses œuvres. — A. Son cadre.

— Le Protestantisme français compte environ’un million d’adhérents, et mille pasteurs et évangélistes, appartenant à un nombre considérable de sectes ou « dénominations » :

1) Eglises réformées : — " a) Eglise réformée évangélique (22 circonscriptions synodales et près de /Joo églises) ; — b) Eglises réformées (10 synodes et environ 170 églises) ; — c) Eglises réformées indépendantes (12 centres) — d) Eglises réformées d’Alsace et de Lorraine - (50 paroisses groupées en 5 consistoires).

2) Eglises évangéliques luthériennes : — a) de Paris et du pays de Monlbéliard (7 consistoires et 76 associations cultuelles) ; — b) d’Alsace et de Lorraine (7 inspections ecclésiastiques réparties en 39 consistoires).

3) Société centraleévangéli<|iie, groupant iasociétés d’évangélisaiion intérieure et une section de Missions étrangères.

Il) Union des Eglises évangéliques libres de France (40 églises).

5) Eglise évangélique méthodiste de France (27 églises).

6) Eglise baptisle (28 églises).

t. Les effectifs protestants sont très difficiles à norobrer exactement. M. E. Doumergue le déploie et s’en inquiète dan » le « Petit Bulletin du Diaconat » (mars 1921).

— Mais la même revue 1919, r, ° 2) compte « 800 011 900 église », dont plusieurs tré » petites, et plusieurs dans lu même localité avec une population prolestante d’environ 500.000 âmes (je n’ose pas dire 60^.000),.. etc. Il En ajoutant à ce chiffre de 6"0.000 qu’on peut oser dire, peut-être, les 280.000 luthérien » d’Alsace et les autres protestants, <>n peut compter en chiffres ronds un million, bien que le cliilTre réel soit certainement inférieur.

2. L « s Eglise » réformée et luthérienne d’Alsace et de Lorraine sont unies à l’Etat. 691

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7) Eglise méthodiste épisi opale de France (ad stations).

8) Eglises indépendantes (6 églises du « littoral », etc.).

Les Facultés de théologie où se forment les Pasteurs sont :

1) Paris — ancienne faculté de Strasbourg, transférée en 1877. C’est une faculté mixte (luthérienne et réformée).

2) Montpellier. — ancienne faculté de Montauban, créée en 1808, complétée en 1844> et transférée en 1 919. La théologie est réformée.

3) Strasbourg. — faculté luthérienne, reprise depuis la guerre.

Les études sont de 4 ans > et un séminaire est annexé à chacune des facultés. Le nombre des étudiants est de plus en plus restreint ; ainsi, g, 5 et 3 candidats en théologie sont indiqués comme devant finir leurs études en 1924, soit 17 en tout pour les trois facultés de France.

B. Principales œuvres. — 1) Œuvres nationales. — a) L’organisation centrale de défense des intérêts protestants est la Fédération protestante de France, qui groupe l’énorme majorité des églises françaises. Elle n’agit pas dans le domaine religieux proprement dit, mais dans le domaine national, moral et social, car là au moins une entente est possible dans « l’unité de foi, indépendamment des croyances ».

b) Les œuvres de prosélytisme et d’évangélisation sont innombrables, et c’est là seulement qu’on doit aller chercher le vrai protestantisme français, dont il serait injuste et maladroit de mesurer l’influence au seul nombre de ses adeptes.

Nous suivrons dans cette nomenclature rapide l’ordre de l’excellent petit Annuaire protestant de M. le pasteur H. Gambier (Fischbacher, 192^).

I. Les œuvres de jeunesse, sérieusement organisées, en tête desquelles il faut placer les Unions chrétiennes déjeunes gens ei de jeunes filles, qui sont les branches des Y. M. C. A. et Y. W. G. A. ; le Mouvement des éclaireurs ; la Fédération des associations chrétiennes d’étudiants, lycéens et lycéennes, etc…

II. Les Sociétés bibliques, qui éditent des Bibles ou parties de Bible en tous formats, et les vendent, parfois à perte, pour en faciliter la distribution et l’achat.

III. Les œuvres de mission intérieure, parmi lesquelles il sied de citer l’Armée du Salut, dont on connaît l’action moralisatrice et sociale extrêmement vaste ; elle dispose en effet sur divers points de salles d’évangélisation d’hôtelleries populaires, de maisons de tempérance, de relèvement, etc., et de toute une intendance pour les ventes ou dons de vêtements, livres, etc.. ; — puis, l’Union des Chrétiens évangéliques, la Cause, la Mission intérieure évangélique, etc., etc., toutes destinées à stimuler et à maintenir le zèle des religionnaircs, comme à travailler les milieux catholiques ou indifférents.

IV. Hors de France, l’action protestante s’exerce surtout par la Société des missions évangéliques (1822), qui a ses stations principalement clans nos colonies d’Afrique. — Mais malgré leur zèle et leur dévoùment, les réformés français travaillent relativement peu chez les païens, faute d’hommes et faute d’argent 1.

V. Les œuvres pastorales, avec l’Association des Pasteurs de France, les Caisses de retraite, etc.

VI. Les sociétés d’instruction, à la lète desquelles

I. Cf. le Journal des Missions Evangéliques, — par exemple déc. l’.)2 : >, p. 3ïl etsuiy.

se trouve la Société pour l’histoire du protestantisme français (1862) qui a, rue des Saints-Pères, une grande bibliothèque, et publie tous les mois son Bulletin.

VII. Les œuvres sociales, dont la doctrine’est due en grande partie à MM. Gounelle, Wilfred Monod, Paul Passy, de Boyve, et surtout au Professeur Charles Gide, qui plaide inlassablement pour les idées coopératives. Il est du reste actuellement le président de la Fédération protestante du Christianisme social. — Dans le domaine pratique, une foule de comités, solidarités, fraternités, foyers, patronages, orphelinats, mutualités, sociétés de tempérance, de bienfaisance, de relèvement se donnaient cette doctrine dans un effort pour ramener au Christ tout ce qui travaille, tout ce qui souffre, tout ce qui peine de quelque manière que ce soit.

VIII. Outre quelques écoles primaires, 5 Ecoles supérieures, 1 Ecole professionnelle, les protestants ont 18 pensions ou institutions pour jeunes filles et 8 pour jeunes gens.

IX. Enfin, ils disposent de 2.3 1 journaux ou revues, parmi lesquels il faut citer les hebdomadaires : Le Christianisme au XXe siècle (1872), directeur ; M. Benjamin Couve, — organe conservateur ; — Evangile et Liberté (qui s’est adjoint La Vie Nouvelle, et le Protestant), dir. M. L. Lafon, — organe libéral ; — Le Témoignage (1865), dir. M. S. Lambert, — organe luthérien. L’Evangéliste, — organe évangélique méthodiste, dirigé depuis 1870 par M. Lelièvre. — Puis, les bimensuels : Christ et Fiance ; Foi et Vie ; V Eclaireur. — Enfin les mensuels : U espérance, — organes des Unions chrétiennes déjeunes gens ; la Revue Chrétienne, — dirigée par M. John Viénot ; le Christianisme social, — dirigé « au dessus des églises et des partis » par M. Elie Gounkllk. Puis, paraissant tous les deux mois, la Bévue d’Histoire et de Philosophie religieuses, — organe, très libéral, de la Faculté de Strasbourg. — Tous les deux ans, se tiennent des Congrès d’action sociale, dont le compte-rendu est régulièrement public. — Nous ne parlons pas des journaux locaux ou régionaux.

2) Il y aurait lieu, pour être juste, d’étudier aussi deux mouvements qu’il sullira d’avoir signalés. C’est d’abord l’Alliance Universelle, qui est une manière d’  « Internationale religieuse », où l’on voit l’Eglise grecque orthodoxe collaborer avec les Eglises évangéliques d’occident à la paix sur la terre, grâce à la puissance spirituelle des religions. — (est ensuite la Fédération internationale du Protestantisme, qui n’est, elle, qu’un espoir encore, et qui, groupant en une organisation centrale toutes les Eglise protestantes du monde, affirmerait l’unité spirituelle des Eglises issues de la Réforme et mettrait celle immense autorité morale « au service de l’humanité et du Dieu de Jésus Christ s ».

II. Sa situation légale et son organisation. —

A. Jusqu’à la Séparation des Eglises et de l’Etat. Nous n’aA’ons pas à conter en détail, l’effort séculaire dans lequel les protestants, chassés de France par la révocation de l’Edit de Nantes (17 oct. 1685), en sont

1 Voir un bon article de M. l’abbé Charles Cnlippe, dans In Revue du Clergé Franfais. (I’r janv. 1911) ; les chroniques du H. P. P. Dudon, dans les Etudes, v. g. t. CIV. p. 402 et suiv. ; ou la brochure de M. E. Gou-Niii. i.i, Pou/quoi sommes-nous chrétiens sociaux ? (Rou-Imix, 1009).

2. Voir par exemple. Evangile et Liberté, 1"’sept. 1920 et 22 juin 1921 : ou Etudes, 1920. t. CLXH, p. 488 et suiv. ; el Nouvelles Religieuses, 1920, p. 432-433. 693

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venus à se faire officiellement reconnaître de L’État, puisa jouir d’une parfaite autonomie. Qu’il suffise de rappeler 1 que le Concordat ne regardait que les catholiques. Le protestantisme, étranger à ces tractations, restait livré à lui même, sans organisation ni protection officielles. — Napoléon, saisi d’une demande d’organisation parallèle à celle des catholiques, était trop tin politique pour ne pas voir qu’il était de son intérêt de s’attacher la religion réformée, fût-ce aux frais de l’Etat. Aussi Portalis rédigea-t-il les Articles organiques de la loi du 18 germinal an X. Ils réglementaient la communion protestante, et spécialement l’Église réformée et celle de la confession d’Augsbourg ; — affirmaient la liberté du culte, et en dotaient, sur les budgets d’État, tous les ministres ou pasteurs. Ces mesures répondirent d’ailleurs assez mal au vœu du Comité Manon, qui les avait provoquées.

Le Second Empire compléta l’organisation existante, par décrets des 26 mars et 10 novembre 185a, en instituant un Conseil Central des églises réformées, rétablissant la paroisse et substituant le suffrage universel au suffrage censitaire. En créant le Conseil Central, organe purement consultatif, dont lui-même désignait les membres, le gouvernement entendait garder l’Église sous sa tutelle. Napoléon III le montra bien, par une suite de mesures administratives et judiciaires qui allèrent jusqu’à la fermeture des temples, et qui étaient destinées à réprimer les excès de prosélytisme et de propagande des Sociétés Bibliques. Aussi ce furent des protestations dans tout le pays ; et, lorsqu’en décembre 1 855, le pasteur Martin Pas-houd eut fondé son

« Alliance chrétie nne universelle » pour unifier les

résistances, Napoléon III obéissant à des considérations de politique générale, fit rapporter ses décrets de répression. Depuis lors, la liberté la plus absolue fut laissée au protestantisme français, qui bénéficia au contraire, en plus d’une occasion, des persécutions dont le catholicisme était victime. Les divisions et scissions qui se produisirent depuis, ne fnrent provoquées que par le mouvement des esprits au sein même de l’Église réformée, originellement divisée contre elle-même, éternellement émiettée par la force centrifuge du libre examen qui, lentement mais fatalement, rejette un à un ses adeptes vers la libre pensée, en ne respectant qu’un noyau, compact encore, de catholiques sans le vouloir. C’est toute l’histoire du 30e Synode général (Lyon, juin 1872), qui scinda l’Eglise, réformée en huguenots de gauche (ou libéraux) et huguenots de droite (ou conservateurs, orthodoxes), et du 10e Synode général officieux des Réformes de Fiance (Orléans, janvier 19, 06), qui, à la suite de la loi de Séparation, arracha encore aux forces vives de la droite quelques « libéralisants », qui constituèrent, au centre, un tiers parti autonome.

L’Eglise luthérienne (ou de la Confession d’Augsbourg), elle, répandue surtout en Alsace et dans la région de Montbéliard, eut à souffrir spécialement delà perte de l’Alsace-Lorraine, en 1871. En effet, réduite dans ses effectifs, groupés surtout en Haute-Saône, dans le Douhs et le territoire de Belfort.elle dut se reconstituer sur des bases nouvelles.

I>< fait, les grands principes qui régissaient les articles organiques du 18 germinal an X, et les décrets des 10 nov. 185a et aomai 18. r >3, 1 ! mars, 4 avril 1880 el 28 mars 1882, étaient semblables pour b s deux églises t éformée el luthérienne : — on n’admettait aucune hiérarchie entre les pasteurs,

1. Voir un article de M. Hostaoiii’, dans In Pei’ue catholique des lnitituliont et du Droit’avril’.W.)).

ni chef ayant réellement autorité ; — l’intervention civile dans les affaires religieuses était en somme imposée ; — aucune décision, proclamation ou transformation doctrinale nouvelle ne pouvait êlie faite sans autorisation préalable du gouvernement ; — les ministres étaient salai iés, et, pour chacune des Eglises, un séminaire et une Faculté de théologie étaient subventionnés.

Le régime intérieur est essentiellement démocratique. Depuis 1852, le suffrage universel s’est généralisé, de sorte que, danscesconstitulions presbytériennes synodales, toutes les fonctions sont électives. La paroisse est la cellule centrale, l’organisme principal. Elle estdirigée par un conseil presbytéral, dont les membres (le ou lespasteurs et t à 7 laïques) sont élus tous les 3 ans par l’assemblée des fidèles. Les paroisses d’une circonscription se groupent en consistoires, en déléguant un nombre donné de membres choisis par le Conseil presbytéral. Ces consistoires sont les vrais intermédiaires entre le gouvernement et les Conseils presbytéraux. — Enfin, au dessus des consistoires, la loi de l’an X a placé les Synodes, — et le décretde 185a a ajouté le Conseil central.

L’Eglise luthérienne, en perdant l’Alsace, perdait Strasbourg, son centre historique et légal, siège de son Consistoire général et de sa Faculté de théologie. Sur 44 consistoires, il ne lui en restait que G. Aussi dut-elle se refaire complètement, du point de vue administratif et religieux. Son ancienne constitution se rapprochait un peu du système épiscopalien. Un synode constituantadoptale régime presbytérien synodal. A la tête de chacune des deux circonscriptions, il y eut un Inspecteur ecclésiastique, ayant une certaine autorité liturgique etadministrative, et, correspondant à ces inspections, on nomma deux Synodes particuliers : Montbéliard et Paris. Ces deux synodes élisent les délégués au Synode général en qui réside l’autorité souveraine, et dont les décisions annuelles sont appliquées par une Commission executive permanente. La loi du i*’août 1879, complétée par le décret du 12 mars 1880, assura aux luthériens une existence juridique séparée, et qui sera encore modifiée à la Séparation. Le a5 mars 1872, règlement analogue pour l’Eglise réformée de Paris.

B) La Séparation. — Il serait difficile de rendre exactement l’attitude du protestantisme français devant la loi de Séparation, tant, là comme partout ailleurs, les avis furent divergents. Les luthériens surtout se firent les interprêtes de griefs assez amers, et très analogues à ceux de l’Eglise catholique. — Les calvinistes se partagèrent davantage, se passionnèrent pour et contre. Les uns saluaient l’aurore d’une époque nouvelle, « une aube qui annonce le grand jour, et non… un crépuscule où la lumière s’éteint ».. « Beaucoup, — écrit encore M. le pasteur Louis Lafon, — peut-être le plus grand nombre parmi nous, tremblent déjà à l’approche de la liberté et redoutent la poussée de démocratie qui se fait déjà sentir en plusieurs de nos paroisses et bientôt les remuera toutes. » (La Vie Nouvelle, 30 déc. 1Q05). Les autres pensent bien que la Séparation n’est pas une catastrophe imprévue mais l’aboutissement logique d’une « poussée de démocratie » victorieuse dans presque tous les domaines ; mais, plus réalistes, ils constatent cependant que, du point de vue financier, c’est une grave question, — et du point de vue religieux, c’est au moins équivoque. I.’éminent juriste qu’est M. Armand Lons n’a cessé, depuis 20 ans, de montrer les difficultés de ce que l’auteur même de la loi, M. Briand, appelait un « nid de vipères ». Mais, outre les évaluations compliquées des biens ecclésiastiques, il reste que les fidèles auront à trouver, à payer un e 69 ;

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somme de 3 millions pour l’entretien des pasteurs, les frais synodaux et les multiples dépenses du culte. — Du point de vue religieux, l’acceptation des Cultuelles fut vigoureusement stigmatisée, au cours d’une controverse, par un protestant hollandais, le D r Kuyprr, ancien président du Conseil des ministres des Pays-Bas, dans une lettre à M. le pasteur Lacheret (./oui -util des Débuts, i- févr. 1907). Il se base sur la notion même d’Eglise réformée, telle qu’il la trouve dans la Confession de Paris en 15.~m), confirmée un peu plus tard à l’Assemblée nationale de la Rochelle. Elle exclut, en effet, toute autre autorité que celle du Cbrist, et toute immixtion d’un pouvoir humain dérogeant à cette autorité exclusive du Christ. Or, les Cultuelles admettent une immixtion telle, que c’est la perte irrépable de votre caractère comme Eglise », écrit-il. Il fallait refuser comme les catholiques, malgré les pertes pécuniaires inévitables…

« Pour les canonistes de l’école moderne… je conçois

parfaitement, poursuit-il àprement, — que ces considérations ne pouvaient avoir aucun poids. Pour eux, il n’existe plus d’Eglise, au sens historique du mot. Tout ce qu’ils désirent, c’est de trouver une société quelconque pour satisfaire leurs besoins religieux. .. etc. »

En tous cas, au lendemain de la Séparation, les Eglises réformée et luthérienne se formèrent immédiatement en Associations’cultuelles, dont les statuts sont de principe absolument démocratique ; et elles acceptèrent les inventaires. M. Raoul Allier résume ainsi la situation (Le Siècle, 24 J um 1906) : L’assemblée générale des membres est souveraine. Directement ou par l’intermédiaire de son conseil élu, elle nomme ses pasteurs. Les ministres sont tous confirmés dans leurs fonctions par une Commission synodale (chez les luthérien s), par un Synode régional (chez les réformés unis), ou un Synode national (chez les réformés évangéliques). — L’électorat, qui était exclusivement masculin, est désormais étendu aux femmes, qui peuvent même être élues aux Conseils presbytéraux (au moins dans les Eglises libres et l’Eglise réformée). — Les associations sont groupées, selon leurs affinités dogmatiques, en Unions régionales, qui s’unissent elles-mêmes en Union nationale).

Ce que furent les résultats des Cultuelles, il est malaisé de le dire. D’abord, il faut constater que beaucoup de protestants ne s’y sont pas attachés, — pas plus qu’ilsne s’étaient rattachés antérieurement aux paroisses ; — à telles enseignes que le Général SxiiATTiEn pouvait dire, le 26 avril 1922, au Synode régional de Paris (Eglise réformée évangélique), que, si 11.000 hugenots en faisant partie, ">5.ooo ne s’y étaient pas affiliés, (cf. Nouvelles lieligieuses, 1922, p. 3a6).

Financièrement, ce|fut un désastre, malgré les nombreux privilèges qui récompensèrent dès le début la docilité protestante. M. Armand Lods terminait, en 190g, un aperçu de la situation en écrivant : En résumé, parmi toutes les Eglises de France dont les pasteurs louchaient un traitement de l’Etat, les deux tiers n’ont pu assumer les charges qui incombaient à l’ancien budget des Cultes. » (Revue de droit et de jurisprudence des Eglises séparées de l’Etat, déc. 1909). Depuis lors, la situation n’a pas changé. Le même juriste l’explique en 1920, dans le Journal des Débats : « La loi de Séparation des Eglises et de l’Etat, en rendant les Associations cultuelles in 1. On en trouvera les Statuts, dans la Revue d’Organisation et de défense religieuse (bonne Presse), t. I, p. 7678.

2. /Voue. Helig., 1920, p. 326.

capables de recevoir des donations ou des legs, et en limitant d’une manière trop étroite le fonds de réserve, paralyse le fonctionnement des Eglises protestantes. — Depuis la mise en pratique du régime nouveau, lesUnions d’Associations chargées de pourvoir au traitement des pasteurs n’ont pu équilibrer leurs budgets. » En effet, on a beau supprimer des postes de pasteurs, décréter des mises à la retraite hâtives, augmenter ou organiser les collectes, recevoir même parfois des secours de nations amies, le déficit persiste’.

Un organisme nouveau, rendu possible par la loi du ta mars 1920, est l’Association des pasteurs de France. Ce syndicat véritable, capable, lui, de dons et de legs sans frais ni droits par actes entre vif* ou testamentaires, remédiera, au moins un peu, à 1<gêne extrême » dont souffrent les Eglises [Evangile et Liberté, 14 février 1923). Mais il restera que cette crise financière est angoissante, et que, combinée avec la crise doctrinale, elle contribue à raréfier les vocations pastorales, à empêcher l’évangélisation, et à énerver les forces vives des Églises protestantes en France.

III. Quelques variations et tendances intérieures— a Le libre examen n’est pas le droit de décréter son opinion, de proclamer sa propre infaillibilité ; il est le devoir de douter où il faut, d’éviter la précipitation, de contenir ses passions et ses préjugés ; il est l’effort méritoire pour obéir à Dieu en retrouvant sa pensée. — Mais, en obéissant à Dieu, nous nous soumettons à notre propre raison, car notre raison est unie à la pensée divine, et ce n’est pas du dehors que la vérité nous est imposée, c’est en nous-mêmes que nous la découvrons comme notre loi, comme notre bien, comme ce qui nous réalise, nous achève, nous donne l’être véritable. » Ces paroles de M. G. Siîailles (Les affirmations de la conscience moderne, 190/1, p. 18">), encore que d’inspiration rationaliste et non spécifiquement protestante, nous semblent admirablement exprimer tout ce qu’il y a d’élevé dans le principe même d’où est né le protestantisme, comme aussi tout cequ’ily ade fallacieux etde fatal. Une brève esquisse 2 des tendances dogmatiques au sein de l’Eglise réformée nous le confirmera, en nous montrant, selon le mot de Paul Stwvkw (Page s libres, 2 nov.1907, p. 4- r, 2), que ce qui différencie et oppose les divers-partis, ce n’est pas « unedifférence réelleet profonde des croyances ; c’est une simple inégalité d’allure, plus lente chez les uns, plus vive chez les autres, dans la même marche en avant, vers le même terme certain » : d’un côté, le catholicisme toujours plus jeune et plus vivant -’, de l’autre un scepticisme, un théosophisme dissolvant et désespéré. Les premiers réformateurs firent des coupes sombres dans les doctrines traditionnelles ; leurs fils sapèrent sans pitié leurs doctrines à eux. Si leurs arrière-petits-neveux se divisent, les uns voulant déboiser encore, et les autres cherchant à sauver les derniers troncs, il faut-avouer que les plus logiques, les plus protestants, les seuls prolestants sont ceux qui refusent de se laisser imposer du dehors la vérité, se réfugient en eux-mêmes et affirment qu’une doctrine ne peut être que

1. cf. M. Vihwot dans le Témoignage, par ex. 19 juillet 18 octobre, 8 et 19 novembre 1922, etc.

2. Voir R. P. A. DossA’, dan » Hevue Augustinienne, 15 juin et 15 novembre 1908 ; 15 novembre 1909. On trouve ru ces articles dans le9 Questions actuelles, t. X ( V 1 1. XCIK elClY.

3. Il est clair que le ternie spécifié pnr SI. Stnpfer n’ett (pie le protestantisme libéral. C’est non » qui ajoutons le catholicisme comme but et aboutissement de la tendance orthodoxe. Les conversions sont la pour en témoigner. 697

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l’expression approchée, transitoire d’une expérience subjective préalable, donc essentiellement variable avec les temps et les gens. C’est du moins la logique même de leurs principes.

Nous voyons en ell’et, vers le milieu du siècle dernier, s’allirmer déplus en plus ces deux tendances. L’Eglise luthérienne, plus compacte, plusautoritaire, reste encore relativement unie. Mais chez les huguenots, les uns (orthodoxes, conservateurs, évangéliques. ..), lidèles à la doctrine de Calvin, au moins dans ses grandes lignes, sont « théopneustes ». Ils admettent l’inspiration des Livres Saints, et professent la divinité de Jésus Christ. Ils sont trinilaires, et sachant les périls du libre examen, ils yreniédient,

— en fait, en le supprimant, — par une organisation serrée, et la promulgation d’un credo olliciel auquel tous et chacun doivent adhérer. Les autres, les libéraux, se réfugient dansle lidéisme et l’expérience religieuse. Pour eux, le Vieux Testament comme le Nouveau, est un livre historique, soumis comme tel aux exigences et aux examens de la critique. A la suite de Renan, ils voient en Jésus un prophète immense, un être divin, c’est-à-dire en qui la grandeur etlabontcde Dieu se sont remarquablementétablies et révélées. Plusieurs pourtant sont encore trinilaires ; les autres sont unitaires. D’autres, enlin, refusent d’admettre un Dieu personnel et ne gardent du christianisme que la morale jointe à un théisme flou, à un philosophisme religieux aux contours indécis.

Bref, en juin 1872, après deux siècles d’intervalle, l’Eglise réformée réunit à Lyon son 30° Synode général (le 29’était de i(i">o, ), après avoir élaboré un plan complet de réorganisation. Au milieu des discussions les plus âpres, on en vint péniblement (par 61 voix sur 106) à adopter une Déclaration de foi niinima à laquelle tous les pasteurs calvinistes devaient adhérer personnellement. Ce fut le heurt décisifqui sépara définitivement les morceaux mal joints de l’Eglise réformée. En effet, déclarait M. Pkcaut :

« Il n’est pas admissible qu’une assemblée protestante

décrète, à coup de majorité, des dogmes obligatoires, comme le fait un Concile catholique. » Qu’est-il donc, cet inadmissible credo ? Le voici :

« … Avec ses pères et ses martyrs dans la Confession

de la Rochelle, avec toutes les Eglises de la information dans leurs divers symboles, elle proclame :

« L’autorité souveraine des Saintes Ecritures en

matière de foi, et le salut par la foi en Jésus Christ, Fils unique de Dieu, mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification… »

De vrai, il semble que l’on ait atteint l’extrême limite au delà de laquelle on cesserait d’élfè chrétien ; mais, strictement, au nom de qni imposer un formulaire dogmatique ? sur quoi le fonder ? — Du reste, M. E. Stapteu notait impitoyablement (Revue Chrétienne, déc. 1907 ; fév. 1908) que c’était une belle et pieuse équivoque : * Elle (cette formule) — ne parle ni de l’Inspiration verbale de l’Ecriture sainte, ni de la Trinité, ni de la préexistence de Jésus Christ, ni de la Prédestination, ni du Péché originel, ni de l’Eternité des peines. Sur la Rédemption elle-même, l’expression « mort pour nos offenses » autorise toules les définitions dogmatiques. Si on compare la déclaration de 1872 avec les Symboles des xvie et xvii’siècles, sonorlhodoxie est une abominable hétérodoxie. »

Toujours est-il que, dès cette époque, les relations furent tendues entre orthodoxes et libéraux. Ceux-ci refusèrent de prendre part aux discussions de 1873, et n’en continuèrent pas moins à siéger avec les orthodoxes dans les corps ofliciels de l’Eglise : conseils presbytéraux et consistoires.

La réunion des Synodes généraux en fut fatalement interrompue. Mais en 1879, à Paris, les orthodoxes en reprirent la tradition dans le Premier Synode général officieux de tous les réformés adhérant à la confession de foi de 1872. Cependant le mouvement des esprits, spécialement dans le corps pastoral, continuait à portera gauche toute une partie des Assemblées.

Pendant une quinzaine d’années, tout le monde rêvait d’un synode national, que le gouvernement s’obstinait à ne pas autoriser pour ne pas provoquer de schisme, disait-on, au sein d’une Eglise unie à l’Etat.

Du reste, l’influence d’Auguste Sabatibr se faisait de plus en plus sentir, grâce au succès et à la portée de son enseignement. On en trouvera la dernière expression dans son livre posthume : Les Religions d’autorité et la Religion de l’Esprit. Paris, ujo3). Les orthodoxes y voyaient un levain de rénovation spirituelle. Les libéraux comprenaient l’impossibilité, de se maintenir uniquement dans la critique négative et apprenaient à la vivifier par l’expérience religieuse. Bref, les divergences lentement s’amenuisaient. On en vint à se réunir en Conférences fraternelles (Lyon, 1896, 1899…). Mais le contact des deux fractions raviva les susceptibilités doctrinales. Toute une partie de la droite prenait une attitude de plus en plus indépendante et se décida bientôt à demander la révision de la Confession de foi de 1892. Les discussions furent vives, mais le Synode d’Anduze (1902) ne voulut rien céder’, On réclama au moins une décision officielle autorisant une interprétation large ; le Synode de Reims (190^) éluda la question et se contenta d’affirmer la liberté des consciences chrétiennes. Visiblement, la situation se tendait. A Reims, on avait décidé qu’aussitôt après la Séparation, on devrait réunir une assemblée générale de tout le protestantisme. Désireux de travailler à l’unité huguenote, les libéraux, à Montpellier (1905), décidèrent d’accepter la Déclaration de foi de 1872, malgré leur aversion pour les formules dogmatiques, à la seule condition qu’elle ne fût pas éliminatoire. Les orthodoxes, à ce moment, perdirent complètement leur sang-froid, et craignant l’influence croissante de la gauche, ils anathématisèrent, au Synode d’Orléans (1906), « l’indifférence doctrinale », — déclarèrent incompétente l’Assemblée générale pour toules les questions de foi et d’organisation ecclésiastiques, et élaborèrent des statuts-types pour les Associations cultuelles. — L’Assemblée générale se trouva donc ajournée sine die. Et au lieu de l’Eglise unique dont on avait rêvé, à la faveur de la Séparation, on avaitdeux Eglises désormais plus profondément séparées. Bien plus, trois membres de la Commission permanente du Synode Kvangélique donnèrent leur démission, et les pasteurs W. Monod et P. Gounelle se retirèrent. Bientôt, tout un Centre se dégagea, outré de l’intransigeance de la droite, de son obstination à imposer sa volonté dans l’organisation des Cultuelles et sa déclaration de foi éliminatoire. Il en résulta une réunion, de Rouen, qui lança un beau message aux Eglises, mais dont les termes calculés sont conciliables avec les principes de droilecomme avec ceux de gauche. L’autonomie définitive fut résolue dans les deux sessions de l’Assemblée de Jarnac ^iooG, 1907). Le tiers parti se trouva ainsi cons 1. On trouvera des détails dans un excellent uiticle de M. H. Momnieii (Revue chret’enne, oct. 190f>), et dans les chroniques perspicaces du K. P.P. DuliON, v. g. Eludes, 1903, t. XCVI

2. I I. t. C1X, n. 116 etsuiv.

: t. ld., t. CXIII, p. 144 et suiv. 

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titué, rallié d’enthousiasme à une déclaration de foi d’une très belle allure, mais * équivoque et vaine »… a parcequ’elle veut être religieuse sans être doctrinale. » Depuis lors, les deux partis de la gauche et du centre se cherchent, se rencontrent entre eux et se séparent de plus en plus de la droite orthodoxe, consternée de l’enseignement libéral des Facultés et du courant tidéiste ou symbolo-(idéiste dont M. Mé-NÉGOZ’fut le porte-parole militant. S’ils la joignent momentanément à Nîmes (10, 09), dans l’Assemblée générale du protestantisme français, c’est pour continuer la Fédération protestante de France"*, qui se borne à grouper les intérêts des diverses Eglises réformées, et qui sera renouvelée en Novembre 1919, à l’Assemblée générale de Lyon.

Fatalement, le centre doit céder à sa logique interne, et se laisser absorber par la gauche. Il le fait joyeusement, du reste ; car, dès avant Jarnac, on était d’accordsur la nécessité d’élargir la confession de foi de 187a ; c’est de là que provient le rapprochement de 1906, et l’union définitive votée au Synode de l’Oratoire, puis accomplie le 26 Juin 1912. L’Eglise réformée de France et les Eglises réformées unies devenaient simplement l’Union nationale des Eglises réformées. Leurs déclarations de principes ont été adoptées au Synode national constituant de Paris (Oratoire), en juin 1907 ; elles « proclament joyeusement et de tout leur cœur » 3 :

1° leur foi en Jésus-Christ, le « Fils du Dieu vivant », don suprême du Père à l’humanité souffrante et pécheresse, le Sauveur qui, par sa vie sainte, son enseignement, sa mort sur la croix, sa résurrection, et son action permanente sur les âmes et dans le monde, sauve parfaitement tous ceux qui, par lui, s’unissent à Dieu et leur impose le devoir de travailler à l’édification de la cité de justice et de fraternité ;

2 la valeur unique de la Bible, document des révélations progressives de Dieu ;

3° le droit et le devoir pour les croyants et pour les Eglises de pratiquer le libre examen en harmonie avec les règles de la méthode scientiûque… etc. » On voit combien large, combien minimisée, est cette déclaration qui permet de rejeter la Trinité, la Divinité de Jésus et tant d’autres dogmes, au nom du libre examen scientifiquement mené. C’est par un dernier scrupule sur ce point que l’Eglise du Centre, en se laissant absorber, fit voter un « Préambule », le 26 juin 1 9 1 2, dans lequel elle se dit 4 « résolue à poursuivre infatigablement le triomphe de la vérité, de la sainteté et de l’amour, et à unir toutes les volontés en vue d’une action commune » ; … et où, « décidée à ne jamais rechercher une uniformité dogmatique incompatible avec la foi personnelle, elle laisse à toutes les Eglises qui s’unissent à elle, la pleine liberté d’affirmer leurs croyances propres dans l’un des divers symboles en usage dans le protestantisme. .. », et m reste ouverte à tous les chrétiens qui veulent maintenir les deux colonnes séculaires de la religion protestante : La Foi et la Liberté, la Liberté et la Foi. »

Depuis ce geste fraternel du centre à la gauche, rien qui vaille la peine d’être signalé. La situation n’a pas changé. Les orthodoxes agressifs s’accrochent

1. v. g. Revue Chrétienne, janv. 1907 ; Vie Nouvelle, 23 juillet 11)10 etc.

2. Le Christianisme au xx’siècle, Le Prolestant, la Vie Nouvelle, 5 Nov 1909.

3. Citée » dons l’Annuaire Prolestant, 1924, p. 70-71.

4. lbi< !.. p. 71-73.

5. Il sulT’nait pour s’en rendre compte de feuilleter les Revues et Journaux de droite, notamment les articles de MM, Doumergue et B. Couve.

désespérément, d’instinct, à ce qu’ils considèrent comme le minimum de bagage dogmatique qu’un chrétien doit garder, à peine de perdre le droit de porter ce nom. Les libéraux attendent’  « sans découragement, que, sous la pression de l’esprit de Dieu, se réunisse l’Assemblée générale des réformés… ou… que d’autres Eglises viennent s’unir à (eux) dans la fraternité et pour l’action », c’est-à-dire que, surs de l’avenir, ils attendent que la droite, contrainte ou contrite, enfin fidèle à l’esprit vrai du protestantisme, vienne se joindre à eux, définitivement libérée de toute servitude doctrinale. Car, comme n’a cessé de le répéter le ProfesseurMiÎNKGoz : « Le protestantisme sera lidéisle, ou il ne sera plus I » — Que si, dans un dernier scrupule, dans un sursaut d’orthodoxie, les Evangéliques se disent : « Nous n’avons pas le même évangile, pour la double raison que, si on parle des textes, ce ne sont pas les mêmes pour les uns et pour les autres, — ou, les uns et les autres n’ont pas la même confiance en ces textes ; — ou si vous me parlez du contenu de l’Evangile, nous n’y trouvons pas le même Christ, ou, nous ne venons pas au Christ dans la même attitude. » (Benjamin Couvb, Christianisme au XXe siècle, i ! févr. 1908 ; voir aussi le a’i avril) ; les autres répondent : « S’il peut y avoir plusieurs interprétations dogmatiques delà personne du Christ, il n’y a qu’un Christ historique ; s’il peut y avoir plusieurs Christ pour l’intelligence, il n’y a qu’un Christ pour la conscience et la volonté ; s’il peut avoir plusieurs Christ pour la croyance, il n’y en a qu’un pour la foi. » (Cf. Vie Nouvelle, a mai 1908, p. 156). Et si l’on déclare avec M. le Doyen Emii.k Doumbrgue : « Le fidéisme ne diffère guère du nihilisme ! », ou encore, à la lecture de la Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses de la Faculté protestante de Strasbourg (Colani et Sciirrkr, qui la fondèrent en 1802, en firent un organe de démolition des dogmes chrétiens ; — elle est reprise depuis quelques années seulement) : « Le programme est, à mes yeux, subversif de tout ce que je considère comme la doctrine historique du christianisme et du protestantisme évangélique » (Christianisme au XX’siècle, ’) avril 1921) ; on se verra répondre : Dieu regarde le cœur, pardonne à la confiance et au repentir, quelles que soient les négations de la raison, ou les erreurs de l’intelligence, si bien que le salut en Jésus-Christ est assuré à tous ceux qui l’aiment et veulent l’imiter, quelles que soient leurs idées sur sa nature, voire même son existence historique ! — ou encore, avec M. Jeanmairr 2, qui pousse à l’extrême ses droits de libre examen : « Chose étrange 1 le peuple protestant considère la Vierge Marie, Jeanne d’Arc, tous les saints comme des fantômes dont l’adoration lui paraît un acte d’idolâtrie, et il s’obstine, en certains milieux, à prier Jésus Christ, comme s’il pouvait l’entendre et l’exaucer. La propagande protestante fera un grand pas le jour où la christolâtrie aura été rejoindre la mariolâtrie dans le catalogue des superstitions païennes, où l’on se contentera de parler de l’influence de Jésus et non de l’action surnaturelle de sa personne, où l’invocation de son nom n’aura que la valeur d une prosopopée, où l’on ne fera aucune différence de nature entre la vie et la mort de Jésus, et celle d’un Platon, d’un Marc Aurèle, d’un Jean Huss. » Evidemment, une telle position est relativement rare, mais elle valait d’être citée, pour montrer les deux pôles autour desquels oscille la pensée protestante actuelle, celle des pasteurs tendant plutôt à gauche sous l’influence des

1. Annuaire protestant, p. 73.

2. Cité et attaqué par M. Doimf.rguE (Chris’, au.VA » «., 13 mars 1910). 701

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Facultés de théologie, — celle des tidàles, plutôt équilibré© à droite.

Conclusion — En somme, nous voyons le protestantisme actuel garder du protestantisme de jadis les grands principes de « la foi qui sauve » et du libre examen ; mai » les uns tiennent à marquer les limites de cette liberté et à garder un minimum de croyances communes, quand les autres secouent les moindres parcelles d’autorité et se réfugient dans la critique ou l’expérience religieuse. Le peuple fidèle, lui, comprend mal ces subtilités ; il oscille au gré des enseignements divers de ses divers pasteurs, il en vient insensiblement à se dire ou à sentir qu’aucune Eglise n’est la vraie, puisque aucune n’a reçu du Christ le dépôt de la vérité, et lentement il se détache et tombe dans un indilTérentisme vague. Mais il se reprend parfois, a se réveille », et, las de courir après l’ombre toujours fuyante d’une certitude proprement religieuse, il tend à se grouper en une vaste famille humaine, en une grande fraternité et à se donner l’unité dans les œuvres, à défaut de l’unité dans la foi.

Pour nous, qui assistons attristés à ces inquiétudes et à ces douloureuses expériences solitaires, espérons qu’après avoir travaillé toute la nuit, après s'être écorchés aux buissons du désert, nos frères séparés verront bientôt venir à eux le Fils de la Promesse, le Pasteur miséricordieux qui les fera rentrer à son heure, dans le havre cherché, dans le bercail tranquille de son Eglise.

BiBLioGRAi’iiiB. — Outre les collections des Revues et Journaux protestants eux-mêmes, on trouvera d’intéressantes études dans les Questions Actuelles ; les Etudes (R. P. Dudon), par ex. t. CXI1I, CXVII, CXXI, CXXV, CXXXUI, CXXX1X, CXLVI, CLVIII, CLX1I, CLXVI, CLXX ; la Documentation Catholique ; les Nouvelles Religieuses. — Puis Krogh-Tonning et Baltus : Le Protestantisme co/i/em^orain (Paris, io, oi) ; Haag : LaFrance protestante ; G. de Fklice : Histoire des Protestants de France ; Goguel, du Journal of Religion, t. I. iQ21, p. 561 ; Eugène Bbrsier : Histoire du Synode général de l’Eglise réformée de France, Paris, 6 juin-io juillet 1872, a vol. in-8, (Paris, 1872) ; Armand Lons : La législation des cultes protestants, Paris, 1887 ; Traité de l’administration des cultes protestants (Paris, 1896).

Louis de Gbusbr.

IX. — ANGLICANISME MODERNE

Une section précédente de cet article a conduit l’examen de l’anglicanisme jusqu’au temps de l’archevêque Laud (-j- iG4">). Il reste à parler de sa condition présente. La réalité de la vie religieuse au sein de l’anglicanisme, aussi bien que sa diversité, justilient et appellent un traitement assez détaillé.

I. Evolution de l’Anglicanisme.

II. L' anglo-catholicisme.

III. Anglicanisme et Protestantisme.

IV. Anarchie doctrinale.

V. Vers l’unité.

VI. Les entretiens de Malines.

I Evolution de l’Anglicanisme. — Si nous interrogeons sur le passé de leur Eglise les meilleurs des anglicans, beaucoup d’entre eux ne feront pas difficulté d’avouer que le but constamment poursuivi par V Establishment toi d’accommoder la religion chrétienne au goût présent du peuple

anglais. Par ailleurs, le caractère anglais présente un assez heureux tempérament d’esprit traditionnel et d’illogisme pratique, pour que de précieux éléments de christianisme réel aient pu se conserver à travers toutes les révolutions. Mais le goût public subit la tyrannie de passions mobiles. Aussi l’anglicanisme a-t-il fatalement dû vivre d’expédients et aboutir a l’incohérence.

La révolution religieuse d’HENRY VIII avait conservé non seulement presque tout le dogme catholique, mais les formes extérieures de la hiérarchie, en la détachant de Rome. Elisabeth elle-même ne demandait qu'à s’en tenir là, mais elle fut constamment débordée par la marée montante des idées calvinistes. Encore sous les derniers Stuarts, l'épiscopat anglican formait un corps puissant et respecté pour sa science. La révolution de 1688 plongea décidément l’Angleterre dans le protestantisme, sans dissoudre les partis existants. La sécession des non jurors, dont le loyalisme avait refusé de se rallier au nouveau régime, avait décapité le clergé anglican. De cette période datent les noms de High Chut eh, désignant la fractionde l’anglicanisme plus ou moins pénétrée encore de traditions catholiques, et deLovv Church, désignant la fraction résolument protestante. L’appellation de Broad Church devait faire son apparition au xixe siècle seulement, pour désigner un ensemble mal défini, en rupture avec l’ancien dogmatisme.

Les progrès de l'éraslianisme au xvn « siècle et l’asservissement complet de l’Eglise, sous la dynastie d’Orange, amenèrent une profonde dépression de la vie religieuse pendant tout le xviii* siècle. La torpeur générale fut secouée par quelques initiatives généreuses, entre lesquelles il faut surtout mentionner celle de John Weslby (1703-1791), le père du Méthodisme. Après son éducation à Oxford et son agrégation au clergé anglican, John Wesley, de concert avec son frère Charles (1707-1788), inaugura une vie d’ascétisme et de prédication populaire, tendant à réveiller la piété individuelle. Sans rompre personnellement avec la hiérarchie anglicane, il lança un mouvement puissant qui, après sa mort, devaitse détacher de l’anglicanisme et s'éparpiller en sectes. Le mouvement évangélique, lancé quelques années plus tard, répondait à des besoins semblables et exerça une large influence durant la seconde moitié du xviii' siècle, surtout par sa lutte contre la traite des nègres.

L histoire religieuse de l’Angleterre au xixe siècle ne présente pas d'événement plus considérable que le mouvement d’Oxford, inauguré en 1833 par John Henry Newman (1801-1890).

Fils d’un banquier de Londres, élevé dans les principes évangéliques, étudiant à Oxford, fellow d’Oriel collège en 1822, puis ( « (or du même collège et vicar de Saint Mary’s (1828), il se lia, dans le milieu oxonien, avec déjeunes hommes qui s’appelaient Keble, Fronde, Pusey, et se détacha progressivement des idées libérales pour se rapprocher des principes autoritaires du High Church. Il trouvait néanmoins l’anglicanisme terre à terre, morne et seivile. Par ailleurs, il avait en horreur l’Eglise romaine. Un voyage qu’il lit, en compagnie de Fronde, dans le midi de l’Europe, durant l’hiver de 1833, n’atténua point ces dispositions. Une maladie qui l'éprouva en Sicile, au printemps, et le conduisit aux portes du tombeau, éveilla dans son âme un désir plus ardent de travailler à l'œuvre divine en Angleterre. Quand il revit Oxford, en juillet 1833, il trouva ses amis fort émus durécent hill qui supprimait une partie des évèchés anglicans en Irlande. Le i£ juillet, Keble, prêchant devant l’uni703

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versité. poussait un cri d’alarme, et un appel à la lutte contre l’apostasie nationale. Newman se jette aussitôt dans la mêlée. C’est l’origine du mouvement tractarien. Nous laisserons la parole à Paul Thurkau-Danuin, La Renaissance catholique en Angleterre au XIX" siècle. Première partie. Newman et le mouvement d’Oxford, p. 70 sqq. Paris, 1899.

« Dès le y septembre 1 833, avec la vive approbation

de Keble et de Froude, et sans avoir consulté ses autres a’.liés, il lance le premier des Tracts for the Times. C’est un écrit de trois pages, sans signature. Il débute ainsi : « A mes frères dans le sacré ministère, les prêtres et les diacres de l’Eglise du Christ en Angleterre, ordonnés pour cela par le Saint-Esprit et l’imposition des mains. — Compagnons de travail, je ne suis que l’un de vous, — un prêtre ; si je vous cache mon nom, c’est de peur de m’arroger trop d’importance, en parlant en mon propre nom. Mais je dois parler : caries temps sonttrès mauvais, et personne ne parle contre eux. N’en est-il pas ainsi ? Ne sommes-nous pas à nous regarder l’un l’autre sans rien faire ? Ne confessons-nous pas, tous, le péril dans lequel l’Eglise se trouve, et cependant chacun ne demeure-t-il pas tranquille dans son coin, comme si des montagnes et des mers séparaient le frère de son frère ?… » L’auteur continue sur ce ton, secouant ceux qu’il veut réveiller de leur léthargie. Mais suffit-il de leur faire bien sentir le péril ? Comment rendre courage à une Eglise désemparée, abattue à la pensée que la menace vient de cet Etat sur lequel elle avait l’habitude de s’appuyer ? Ici apparait l’idée maîtresse non seulement de ce tract, mais de toute cette première période du mouvement : c’est la doctrine de la Succession apostolique. Le tract rappelle en termes vifs, nets, pressants, à un clergé qui l’avait oublié, que son pouvoir ne dépend pas de l’Etat, qu’il doit y voir un don de Dieu, transmis sans interruption des apôtres aux évêques et des évêques aux prêtres qu’ils ont ordonnés. Et ainsi il s’efforce de lui hausser le cœur, de lui rendre la conscience, depuis trop longtemps perdue, de son autorité, de sa dignitéet desa grandeur, de lui faire entrevoir une conception plus surnaturelle de l’Eglise et de la religion.

« D’autres tracts suivirent, coup sur coup, en septembre

et dans les mois suivants. Le second s’attaque au bill irlandais et lui reproche d’avoir été pris sans l’avis de l’Eglise ; le troisième dénonce les altérations dans la liturgie et lesservices funèbres ; le quatrième revient sur la succession apostolique ; le cinquième expose la constitution de l’Eglise du Christ et celle de la branche de cette Eglise établie en Angleterre… Pas de signature : on a seulement soin de faire savoir que ces écrits émanent d’Oxford ; Newman attache beaucoup d’importance à cette origine… Pour la rédaction, quelques amis lui viennent en aide ; ainsi le quatrième tract est de Keble, et le cinquième d’un légiste, ancien camarade d’université de Newman, ami très fidèle et très cher de la première heure, John William Bowden… Le plus grand nombre des tracts (neuf sur les dix-sept premiers) et aussi les plus brillants, les plus saisissants, sont de Newman… »

L’émoi causé fut très grand. Pour éviter de donner de l’ombrage à la hiérarchie, on décida de présenter à l’archevêque de Canterbury une adresse, affirmant l’attachement des auteurs à l’Eglise anglicane et à ses droits. L’adresse recueillit les signatures de sept mille clergymen. Elle fut suivie d’une autre adresse, qui circula parmi les laïques et fut remise au primaten février 1 834 » portant les signatures de deux cent trente mille chefs de famille.

Les tracts continuaient de paraître à intervalles |

irréguliers, et avec le temps leur caractère se modifia. Vers la fin de 1 83^, Newman éprouve le besoin de préciser sa position à l’égard de lEglise de Rome. C’est lobjet des tracts 38 et 40, où il expose, telle qu’il la comprend, la fia média à suivre, par l’Eglise d Angleterre, entre les écueils opposés de Rome et du protestantisme. Lest/actsQi, 68, Go, dus à la plume de Pusey et parus d’août à octobre 1835, sont consacrés au baptême et font ensemble un juste volume.

Cependant l’épiscopat n’avait pas tardé à s’émouvoir. En août 1838, l’évêque d Oxford, Bagot, dans une allocution publique, donnait aux tractariansun avertissement discret et paternel. Newman se montra disposé à cesser la publication, sur un désir de l’évêque ; le désir ne fut pas exprimé. Mais les études sur les Pères, que poursuivait Newman, l’amenèrent, durant l’été 1839, à concevoir un doute sur la sécurité de sa via média. La situation de l’Eglise anglicane, devant l’Eglise de Rome, lui apparait semblable à celle des anciens nionophysites. Ce rapprochement le trouble ; pourla première fois.il commence à regarder vers Rome.

Suivent des années d’angoisse. Le tract go, paru le 27 février 18/|i, et intitulé : Remarques sur certains passages des trente-neuf Articles, marque l’effort suprême de Newman pour concilier le formulaire officiel de la croyance anglicane avec ce qui lui paraît être l’exigence impérieuse du christianisme catholique. C’est, comme il s’en explique dans une lettre à Keble, « l’épreuve du canon » : il s’agit de voir quelle charge de vérité catholique le canon anglican peut porter sans éclatement. Un ami clairvoyant, M. G. Ward, avait prévenu Newman que ce tract mettrait le feu aux poudres.

De fait, au cours de l’année 184 1, tout l’épiscopat anglican censura l’audacieux interprète, comme traître à l’Eglise d’Angleterre. Newman met fin à la publication des tracts, et, sans se démettre encore de sa cure de Saint Mary’s, se retire dans son ermitage de Liltlemore, à deux milles d Oxford, où il mène une vie de recueillement, d’ascétisme, d’étude et de prière, entouré de quelques jeunes gens (février 184a). Des mesures disciplinaires atteignent ses amis : en juin 18/ ( 3, à la suite d’un sermon sur l’Eucharistie, Pusey se voit interdire pour deux ans le ministère de la prédication dans l’enceinte de l’université. Newman sent de plus en plus l’inconsistance de sa position dans l’anglicanisme. Le a£ septembre 18/|3, il monte, pourla dernière fois, dans sa chaire de Saint Mary s, et le lendemain, à Liltlemore, adresse à ses amis anglicans un adieu ému.

Deux années encore se passèrent, durant lesquelles le maître incomparable d Oxford acheva de mûrir sa conversion, en écrivant son Essai sur le développement de la doctrine chrétienne. La censure et la dégradation universitaire, prononcées le 13 février 18/ t 5 par la Convocation d’Oxford contre Ward, qui avait pris trop bruyamment position aux côtés de Newman, la suspense perpétuelle infligée en juin 1 S’, 5 par la Cour des Arches à Oakeley, autre disciple trop ardent, ne furent que des incidents sans portée. A la fin de l’année 1845, s’ouvre la période des accessions définitives au catholicisme. En septembre, Wahd prend les devants, puis Dalgairns ; le 2 octobre, Saint John. Le y octobre, à Liltlemore, Newman lui-même est reçu dans l’Eglise catholique par le P. Dominique, passioniste, avec deux de ses jeunes disciples, Slanton etBowles. Aussitôt, « c’est comme une traînée de conversions. Oakeley s’en va l’un des premiers, puis Faber, depuis longtemps catholique de cœur, de conviction et de pratique, et beaucoup d’autres, dont de nombreux 705

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clergjrmen et gradés d’université. On a évalué à plus de trois cents les conversions, suite immédiate de celle de Newman, et le mouvement devait se continuer les années suivantes ; à vrai dire, depuis lors, il ne s’est plus arrêté. Rien de pareil ne s’était vu depuis la Réforme. » Tiiurkau-Dangin, op. cit., p. 32a.

La conversion de Newman ne fut consommée qu’en iS45. Néanmoins on peut la tenir pour déterminée en principe dès 184 1 par l’expérience du tract go : l’Kglise d’Angleterre s’était montrée décidément réfractaire à la somme de vérités imposée par l’héritage chrétien. Quelques années plus tard, de nouvelles expériences déterminèrent la conversion de Manning (i 807- 18ga) r archidiacre de Chichester depuis iS/|0. Ce furent très particulièrement Va/faire Hampden (18/17) et l’affaire Gorham (iS^-jllampden, professeur de théologie à Oxford, fut, malgré des opinions notoirement hérétiques, désigné pour l’évèché d’IIereford.Gorham, qui ne croyait pas à la régénération baptismale, fut présenté par la couronne pour une cure du diocèse d’Exeter. L’évêque Phillpotts lui refusa l’investiture. L’affaire fut portée d’abord devant le Conseil des Arches, puis devant le Conseil privé de la reine. Gorham triompha. Dès lors, la conscience très droite de Manning ne put se dissimuler que l’Eglise anglicane, communiant à l’hérésie, ne pouvait être la vraie Eglise du Christ. Il abjura le G avril 1851. Vers le même temps, entraient dans l’Eglise catholique d’autres anglicans de marque : Henry et Robert Wilberforce, tous deux beaux-frères de Manning et frères de l’évêque anglican d’Oxford ; Hope, Maskell, Allies, Dodsworth, Bellasis ; parmi eux, plusieurs membres du clergé de l’église S. Saviour’s, fondée par Pusey à Leeds et par lui énergiquement maintenue dans la via média entre anglicanisme et romanisme.

L’afflux de convertis distingués, dont plusieurs, après une courte épreuve, apportaient dans les rangs du clergé catholique une formation principalement anglicane, ne laissait pas de poser certains problèmes délicats devant l’Eglise catholique d’Angleterre et particulièrement devant son clergé, peu nombreux, rendu ombrageux par un long effacement, et généralement inférieur, par sa culture générale, aux nouveau-venus. L’homme providentiel fut alors Nicolas Wishman (1802- 1865), né à Séville, d’une famille anglaise et irlandaise ; élevé au collège catholique d’Ushaw à Londres, puis, de 1818 à 1820, au collège anglais de Rome, où il fut ordonné prêtre. Après dix années d’études et de ministère à Rome, il était venu à Londres, où il donna durant l’hiver 1836, avec un très grand succès, des conférences sur l’Eglise catholique. L’étendue de son esprit, une formation à la fois anglaise et romaine, le préparaient à dénouer des situations difficiles. Rentré définitivement en Angleterre en 18^0, il devint en 1850, lors du rétablissement de la hiérarchie romaine, cardinal archevêque de Westminster. Manning lui succéda en 1865. La sécession des grands convertis devait provoquer la stupeur et parfois la colère dans les milieux anglicans. Le rétablissement delà hiérarchie romaine par Pie IX donna le signal d’une extrême effervescence ; le premier ministre John Russell ne se fit pas faute d’attiser la flamme en dénonçant une agression italienne dans le domaine de la couronne d’Angleterre. Il fallut tout le savoir-faire de Wiseman pour calmer les esprits et les amener peu à peu à une vue plus exacte des choses. L’arricre-garde des tractariens, demeurée anglicane, se ralliait autour de V. B I’uskv, noble caractère, mais intelligence fermée à la conception catholiquede l’Eglise. En 1865, il publia :

Tome IV.

L’Eglise d’Angleterre, partie de V Eglise une, sainte, catholique du Christ, et un moyen de rétablir l’unité visible. In Eirenicon, dans une lettre à l’auteur de

« Christian Year » ; écrit très agressif, malgré son

titre, où l’auteur, sous forme de lettre à son ami Keble, ressasse les vieux griefs anglicans, notamment contre la dévotion à la sainte Vierge, et se montre disposé à traiter, avec l’Eglise romaine, de puissance à puissance.

Le Concile du Vatican et la définition de l’infaillibilité papale déchaînèrent une autre tempête. Signalons les violences de Gladstone : Rome and the newest fashions in Religion. Three Tracts. The Vatican decrees. Vaticanism. Speeches of the Pope. London, 1875.

Le mouvement ritualiste, qui devait confluer avec le mouvement tractarien versune restauration catholique, naquit un peu plus tard, non plus à Oxford, mais surtout à Cambridge, où fut fondée en 183q la Cambridge Camden Society ; destinée à promouvoir l’étudede l’art chrétien et desantiquitéschrétiennes, spécialement en ce qui concerne l’architecture, l’arrangement et la décoration des églises. Dans les années qui suivirent, on vit apparaître çà et là des autels de pierre, l’usage des cierges pour le service divin, du surplis pour la prédication, et d’autres pratiques liturgiques familières à l’Eglise romaine. Les protestations.nemanquèrentpas. ALondres, en 1850, le Rev. Bennbtt se voyait admonesté sévèrement par l’évêque Blomfield pour le ritualisme prononcé de son église S. Barnabas, et contraint de démissionner. Mais son successeur persévérait dans la même voie, plaidait devant le nouvel évêque de Londres, Tait, et l’archevêque de Canlorbéry, et obtenait gain de cause. En 1855 se fondent la Société de la Sainte Croix et la Confrérie du Saint Sacrement, pour le développement du culte eucharistique. A partir de 185t), le mouvement ritualiste trouve un appui très ferme dans l’English C hure h Union, qui rallie beaucoup d’éléments High Ckurch. Vers 1866 apparaissent dans les églises la chasuble et les autres ornements du culte eucharistique, avec tout le cérémonial delà messe. Les ritualistes prétendent bien ne pas contrevenir au Prayer Boolc, dont la « rubrique des Ornements » autorise les ornements usités en Angleterre la deuxième année du roi Edouard VI. La confession auriculaire et d’autres pratiques romaines sont d’usage courant dans les églises ritualistes. Telle croyance reniée par l’anglicanisme primitif, comme l’efficacité de la prière pour les morts et les droits de la sainte Vierge à nos hommages, reparaît dans la liturgie. Le culte, célébré avec une grande splendeur, qui contraste avec la froideur du rituel anglican, attire un public nombreux et manifestement vient au devant d’un besoin. Les ritualistes se lancent dans l’apostolat populaire ; très particulièrement dans les quartiers déshérités de YEast End londonien, ils éveillent des âmes que jamais aucune influence religieuse n’avaient touchées. Les noms de quelques-uns de ces apôtres populaires, tels que le Rev. Mackonociiib (1825-1887), parviennent à une grande notoriété. Durant le choléra de 1866, les religieuses ritualistes se dévouent généreusement à soulager toutes les misères. Les anciens tractariens sont touchés par cette intensité de vie chrétienne et par des aspirations manifestes vers leur propre idéal. En 186G, Pusey adhère à l’English Church Union, et lui apporte le renfort de sa doctrine. Il la soutiendra énergiquement dans tou’es ses épreuves. Sous l’impulsion de Lord Halifax, qui la présidera pendant un demi siècle, l’English Church Union ne cessera de poursuivre une œuvre de restauration chrétienne et d’union.

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Cependant l’esprit puritain ne pouvait se résigner à une telle renaissance de pratiques abhorrées : Lui aussi l’ait appel à des textes du Prayer Book. Il s’organise puissamment dans les milieux Lon Church ; Lord Slîaftesbury en est le chef ; la Church Association, l’ondée en 1865, en forme l'état-major. On entrave le culte ritualisle par toutes sortes de manifestations tumultueuses, puis par des poursuites légales. Après diverses escarmouches, qui font éclater le courage des ritualistes et l’impuissance des juridictions ordinaires à les abattre, on se décide à forger contre eux une arm.e spéciale. C’est le Public Worship Régulation Act, adopte le 7 août 1 87^. sur l’initiative du primat anglican Tait. Il s’ensuit une recrudescence de mesures vexatoires : amendes, suspenses prononcées contre les ministres réfractaires, parfois emprisonnements. On n’arrive point à lasser la résolution des ritualistes, qui bientôt passent devant l’opinion publique pour des victimes. Une sorte d’auréole s’attache aux persécutés. Avant de mourir (fin 1882), Tait a le temps de constater l’inutilité de la campagne entreprise et de regretter l’odieux qui en rejaillit sur l’Etablissement anglican. Son successeur Benson essaie d’une autre politique. Comprenant qu’on l’ait fausse roule en traduisant les rebelles devant des juridictions séculières qu’ils reconnaissent de moins en moins, il accepte de faire personnellement acte d’autorité dans {'affaire de l’evéqæ de Lincoln, dénoncé pour pratiques romanisantes. Après avoir l’ait reconnaître (26 juin 1888) son autorité par le Conseil privé de la reine, il prononce (21 nov. 1890) une sentence très étudiée, très nuancée, qui consacre une partie des revendications ritualistes, en écartant l’autre. Cette sentence, que le Conseil privé ratifie (2 août 18(j2), clôt l'ère des poursuites judiciaires pour cause de délits liturgiques. Voir, sur le Lincoln case, Tnureau-Dangin, t. III, p. 4y4-506.

La question des Ordinations anglicanes, occasion pour de nombreux anglicans et quelques catholiques d’illusions généreuses et d’une amère déception, au cours des années 1895-96, 8 été ci-dessus l’objet d’un article spécial, où l’on a mis en lumière le vice originel de la Hiérarchie, instituée au temps d’Edouard VI avec le dessein formé d’exclure ce qui constitue l’essence du sacerdoce chrétien.

Un coup diversement ressenti fut le désétablissement des diocèses de Galles, accompli en 1920 sous l’influence de M. Lloyd George ; préface d’autres changements.

Deux événements récents feront époque dans l’histoire de l’anglicanisme : la mise en vigueur de VEnabling Act et la Sixième Assemblée de Lambeth.

VEnabling Act, devenu loi du royaume le 29 décembre 1919, répond au vœu, depuis longtemps formulé, de donner à l'élément laïque une part dans la direction de la vie religieuse. D’une part, il consacre une certaine indépendance de la société religieuse au regard du Parlement et du pouvoir civil ; d’autre part, il reconnaît aux laïques le droit d’intervenir dans les affaires de l’Eglise, par la constitution de conseils de de paroisse, de doyenné, de diocèse, enûn d’une Assemblée nationale. Est électeur, pour la constitution de ces assemblées, toute personne (sans distinction de sexe) baptisée, âgée de dix-huit ans, et déclarant adhérer à l’Eglise d’Angleterre. — Ce bill devait trouver un accueil particulièrement froid dans les sphères de la Haute Eglise. Si tel membre marquant de la Basse Eglise lui a fait une opposition acharnée, c’est de peur d’une réaction qui pourrait jeter dans les bras de l’Eglise romaine les lidèles désabusés de l’anglicanisme. - Voir F. Datin, Le régime démocratique dans l’Eglise anglicane. Etudes, t. CLX1V, p. 156-16g, 20 juillet 1920.

La Sixième Assemblée de Lambeth quillet-août 1920) a voulu être une réunion plcnière de Pépiscopat anglican. Plus de trois cent soixante prélats avaient été invités ;-ib-x y prirent part effectivement, huit commissions y furent établies : la 1™, la 1" et la G* étudièrent les problèmes politiques, économiques et sociaux du temps présent : Société des nations, capital et travail, prostitution, mariage, divorce. Les 3e, 4*. &', 7e s attachèrent aux questions religieuses : développement des provinces, ministère féminin dans l’Eglise, spiritisme, etc. La 8' donna une attention spéciale au problème de la réunion des Eglises. Voiries Actes officiels, Conférence of Bishops of ihe Anglican Communion : Encyclical Letter from the Bishops, with the Resolutions and Heporls. Londnn, Society for Promoting Christian Knowledge. 192c — F. Datin, L’Anglicanisme et les problèmes du temps présent, Etudes, t. CLX.VII, p. 280-29.5 ; (a5-438 ; 5 et 20 mai 19a 1.

Sur le protestantisme irlandais, tout entier d’importation anglaise et résolument low Church, lire L. Paul-Dubois, L’Irlande contemporaine et la question irlandaise, III" partie, eh. iv, p. /j4*j-4<>o, Paris, 1907.

La province ecclésiastique de l’Inde (Cey lan et Birmanie comprise)compteun siège métropolitain, Calcutta, fondé en 184 1, et douze évêchés. En vertu de VEnabling Act, elle vient de réclamer son autonomie, quant au dogme et à la discipline. Cette demande, qui est une manifestation, entre beaucoup d’autres, de l’esprit séparatiste — « l’Inde aux Indiens », — ne laisse pas de créer de graves soucis à l’Etat anglais, accoutumé à voir les évêques de l’Inde désignés par lettres patentes de la couronne, et à l’Eglise anglicane, menacée de voir un primat autonome se dresser en face du primat de Cantorbéry. Voir Nouvelles religieuses, 15 août et i, r sept. 1924. p. 38 1-383 ; 404-405.

IL Anglocatholicisme. — Ce nom désigne couramment la fraction de l’anglicanisme qui, soit par son organisation hiérarchique, soit par ses tendances doctrinales, se rapproche de l’Eglise romaine, mais trouve dans l’héritage du xvie siècle un obstacle invincible au bienfait de l’union. Aile droite du Iligh Church, disposant d’organes puissants, tels que le Church Times, en regard du Guardian, organe semi-officiel de l’Eglise établie. Nous entendrons d’abord un représentant éniinent de l’anglicanisme biblique exposer ses vues sur l’Eglise.

The Holy Catholic Church ; The Communion oj Saints. A study in the Apostles’Creed. By Henry Barclay Swbtb, D. D., London, 191(1.

L’auteur est un des plus distingués Scholars qui aient illustré l’université de Cambridge et l’Eglise d’Angleterre. A plus de quatre-vingts ans, il se recueille, et dédie son volume : Ecclesiæ anglicanae matri carissimae. Nous l'écouterons d’abord sur lesnotes de l’Eglise ; puis sur la vie de l’Eglise.

A. Les notes de l’Eglise. — L’auteur assigne quatre notes qui nous sont familières : unité, sainteté, catholicité, apostolicité ; et par surcroit deux autu s qui ne gâtent rien : visibilité, indéfectibilité.

L’Eglise est une ; son unité a pour principe l’Esprit ; aussi est-elle compatible avec une grande diversité. De même que les individus peuvent différer par le caractère et les dons naturels ou surnaturels, sans détriment de leur commune vie dans le Christ, ainsi les Eglises individuelles peuvent-elles présenter des traits différents, sans préjudice de leur essentielle unité. Les différences très notables qui séparent aujourd’hui les Eglises historiques de la chrétienté — différences de doctrine, de discipline, de culte, y 709

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compris l’absence de communion entre Eglises, — n’atteignent point j l’unité fondamentale. La rupture

«.le la fraternité chrétienne entre l’Orient et l’Occident, et à l’Occident entre les Eglises romaine et anglicane, est angoissante et déplorable ; pourtant elle

ne détruit pas la cohésion intime résultant de la possession des mêmes Credo, des mêmes grands sacrements, du même ministère à trois degrés, de la même vie surnaturelle. Mais que penser des sociétés qui, depuis l’origine de la Réforme, ont rompu avec l’unité — entendez l’unité anglicane, — en persistant à se dire chrétiennes et en conservant la substance delà foi primitive, les sacrements deRaptême et d’Eucharistie, le Baptême au nom de la Trinité, le canon de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais en rejetant l'épiscopat, sinon toute hiérarchie, et le principe de la succession apostolique : sociétés presbytériennes ou autres ? L’auteur sent toute la difficulté du problème, du point de vue de l’anglicanisme ; il le résout par une distinction. Ce qu il admet pour les membres de telles sociétés, il ne l’admettra pas pour les sociétés elles-mêmes. Individuellement, tous les baptisés appartiennent au corps du Christ ; socialement, les groupements de fidèles baptisés n’appartiennent pas au corps du Christ, à moins d’y être rattachés par la hiérarchie régulière, par l'épiscopat Que, par raison de convenance ou de courtoisie, le nom d’Eglises leur soit quelquefois donné, la chose peut paraître tolérable ; en soi, ce n’en est pas moins un abus, car les sociétés connues en Angleterre comme « Eglises libres » n’ont que peu de traits communs avec les Eglises locales de l'âge apostolique.

Et l’Eglise romaine ? — Entre les Eglises historiques de la chrétienté, l’Eglise romaine se distingue par une exigence qui lui est propre. Tandis que les autres croient sauvegarder efficacement l’unité en sauvegardant la continuité de la foi et de l’ordre ecclésiastique avec la société fondée par le Christ et implantée dans le monde par ses Apôtres, l’Eglise romaine affirme, dans l'épiscopat et dans l’Eglise même, l’unité de chef visible. Le chef visible est le pape, successeur de Pierre et légitime vicaire du Christ. Hardie prétention, qui aux anglicans parait procéder d’une fausse exégèse, doublée d’une fiction historique. Tout le monde accordera que, dès l’origine des temps postérieurs aux Apôtres, l’Eglise romaine jouissait d’une primauté d’honneur entre les Eglises de l’empire, et plus spécialement en Occident, tant comme Eglise de la ville capitale, qu'à raison de la tradition qui rattachait sa fondation aux deux grands Apôtres Pierre et Paul. Encore faut-il reconnaître que, durant les premiers siècles, l’hommage de la chrétienté allait à l’Eglise de Rome, plutôt qu'à la personne de son évêque. Ce ne fut pas avant les jours d’Hildebrand et d’Innocent III que la suprématie papale prit les proportions d’une autocratie, qui provoqua une réaction destinée à atteindre son plus haut période lors de la grande révolte du seizième siècle. Dans cette révolte, non seulement la suprématie de Rome s'évanouit pour une grande partie de l’Europe occidentale, mais, par un juste retour, Rome perdit même la primauté qui lui était généralement reconnue dans les temps anciens. Elle se consola en déclarant que toute Eglise qui renoncerait à l’obédience romaine serait retranchée de l’unité de l’Eglise universelle. Mais la sentence n’est point pour effrayer ceux qui, comme les anglicans, ont conservé l'épiscopat historique et la foi des anciens Crp/lo.

L’Eglise est. «  « / » />, par l’opération de l’Esprit divin, qui anime les fidèles, membres du Christ mystique. Promouvoir l’assimilation de l’homme à Dieu, est la

I vocation présente de l’Eglise. La souillure du péché s’y oppose. Mais il est dans la destinée de l’Eglise visible, qu’en ce monde le mal y soit toujours mêlé au bien. Quand viendra la moisson du Seigneur et le triage du froment et de l’ivraie, quand le filet du pêcheur sera tiré sur le rivage de l'éternité, alors la sainteté de l’Eglise resplendira. Cette doctrine evangélique est encore une doctrine anglicane.

L’Eglise est catholique ; mais ce nom recouvre pour l’anglicanisme autre chose que pour le catholicisme romain ; il signifie : adhésion à la révélation intégrale du Christ et à la hiérarchie traditionnelle. Cette définition semble avoir été faite sur mesure, pour embrasser dans une même dénomination les grandes Eglises historiques — très particulièrement Eglise romaine, Eglise anglicane, Eglise russe, — et laisser échapper les sectes de moindre envergure.

L’Eglise Catholique est apostolique à trois titres : comme implantée dans le monde par les Apôtres, comme adhérant à l’enseignement des Apôtres, comme perpétuant la succession du ministère des Apôtres : la note d’apostolité, servirait, au besoin, à corriger une erreur issue d’une insistance trop exclusive sur la note de catholicité. La catbolicilé, mettant l’accent sur la force compréhensive de l’Eglise, pourrait représenter à l’esprit moderne un programme de large tolérance, hospitalier à l’erreur et au laxisme. L’Eglise exige de ses fidèles qu’ils adhèrent à la doctrine des Apôtres, qu’ils se soumettent à la discipline des Apôtres.

La visibilité de l’Eglise est admise par l’anglicanisme. La chimère d’une Eglise totalement invisible remonte proprement à Zwingle, qui en cela rompit avec le sentiment commun de la Réforme, ainsi qu’avec la lettre du Nouveau Testament.

Vindéfectibilité de l’Eglise est affirmée par le Rev. Swete, qui l’appuie sur la promesse du Seigneur à Pierre (Mat., xvi, 18) et sur la parole de l’Apôtre (I 77m., iii, 15). Mais c’est une indéfectibilité sans garantie présente contre l’erreur. LeChrist a dit : « L’Esprit-Saint vous guidera vers la vérité intégrale. » (Joan., xvi, 13). La vérité intégrale est au terme seulement. Si l’Eglise universelle a des promesses de vérité, c’est pour tout le cours de sa longue existence. La conduite de l’Esprit n’exclut ni les régressions ni les écarts. Finalement, la vérité triomphera.

B. La vie de l’Eglise. — L’Eglise est décrite, dans le Nouveau Testament, comme un organisme vivant. Encore qu’elle puisse renfermer des parties morbides ou mortes, la vie est son attribut essentiel.

Vie communiquée par la tête qu’est le Christ. Vie distribuée normalement par le canal visible des sacrements : 1e Baptême, sacrement de l’incorporation au Christ ; l’Eucharistie, sacrement de la confraternité dans le Christ. L'économie de la vie chrétienne repose sur cette double institution.

Une grande société comme l’Eglise appelle une organisation hiérarchique. Le Christ y a pourvu en créant l’apostolat, le dotant de son Esprit, lui confiant l'évangélisation du monde. Ce mandat renfermait le pouvoir d’organiser l’Eglise à raison des besoinsjet l’histoire montrâtes Douze à l'œuvre. On sait déjà que le théologien anglican voit dans la monarchie pontificale une déviation de l’institution du Christ. Il impute à la papauté la responsabilité du schisme qui sépara l’Eglise orthodoxe de la communion occidentale, et de la révolution qui, au seizième siècle, brisa l’unité de l’Occident même. Il tient pour certain que l’unité ne sera jamais restaurée sur la base delà suprématie papale, et estime que l’expérience déconseille de créer ailleurs un autre centre d’unité. L’ancien système de groupement m

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des Eglises en provinces, sous des sièges métropolitains ou patriarcaux, ne s’est point révélé incompatible avec la liberté de l’épiscopat diocésain ; mais une tête de la chrétienté universelleserait également subversive de la paix et de la liberté, que cette tête soit à Gonslantinopleou à Cantorbéry, à Moscou ou à Rome,

Présentement la base de la plus large unité possible a clé posée par l’épiscopat anglican qui dans le fameux quadrilatéral de Lambeth, en [888, îixa le minimum à proposer à l’acceptation des corps non épiscopaux, le jour où ils demanderaient à se fédérer avec l’Eglise historique d’Angleterre. Voici les quatre articles do ce quadrilatéral.

I. Les Saintes Ecritures de l’Ancien et du Nouveau Testament, comme contenant toutes les choses nécessaires au salut et constituant la règle et le type immuable de lu foi.

II. Le Credo des Apôtres, comme symbole baptismal ; et le Crr.do’de Nicée, comme exposition suffisante de la foi chrétienne.

III. Les deux sacrements institués par le Christ : — Baptême et Cène du Seigneur, — administrés rigoureusement au moyen des paroles de l’institution pur le Christ et des éléments par lui ordonnés.

IV. L’épiscopat historique, adapté localement, quant aux procédés de son administration, aux besoins divers des nations et des peuples appelés par Dieu à l’unité de son Eglise.

Telles sont, d’après l’auteur anglican, les conditions essentielles de la vie chrétienne dans l’unique Eglise du Christ.

L’examen détaillé de ces positions nous entraînerait fortloin. Notons seulement un ou deux malentendus, parmi les plus énormes.

Quant à l’unité, celle que suggère le Nouveau Testament est celle d’un organisme vivant. Une telle unité se rencontre dans l’Eglise romaine ; elle ne se rencontre pas ailleurs. Moins que partout ailleurs, se rencontre t-elle dans l’assemblage monstrueux des trois grandes « Eglises historiques ».

Quanta l’apostolicité, il n’y a aucune continuité entre la hiérarchie anglicane, institution d’Etat, et l’ancienne hiérarchie catholique, représentant légitimement la succession apostolique. La succession apostolique fut renouée au cours du xixe siècle par l’acte de Pie IX, rétablissant officiellement la hiérarchie catholique en Angleterre. Affecter de considérer cet acte comme une agression étrangère, et la position des évoques unis à Rome comme schismatique, fut longtemps un lieu commun de la polémimique anglicane. Ce lieu commun ne résiste pas à un examen objectif des faits. Pour en faire saillir le vice logique, il suffit d’appliquer les mêmes principes à la condition présente de l’épiscopat catholique en France.

Lors du Concordat de 1801, qui liquida pour l’Eglise de France un passé douloureux, le pape Pie VII, résolu à faire table rase de ce passé, créa, par un geste sans exemple, tout un corps épiscopal nouveau, pour l’imposer à la France, et invita les anciens titulaires des sièges épiscopaux à démissionner. Beaucoup de ces anciens titulaires représentaient, aux yeux de Rome même, la légitime succession de l’épiscopat, plusieurs étaientillustrrs par leurs vertus et les services rendus à l’Eglise, par la confession éclatante de leur fol. Ils n’en furent pas moins déracinés, pour faire place à un épiscopat nouveau, dont les litres, au regard de l’Eglise de France, pouvaient paraître beaucoup moins incontestables que ceux de la hiérarchie donnée par Rome aux catholiques d’Angleterre par Pie ÏX, le ag septembre 18Î0. Ils n’en disparurent pas moins, et au jourd’hui l’épiscopat de France représente la succession de ces nouveaux titulaires, et non pas des autres. D’où il suit que, selon les principes anglicans, la France, considérée comme la lerre classique du catholicisme romain, serait dépourvued’épiscopat historique. C’est une conclusion devant laquelle reculera la logique anglicane elle-même. Reste à juger les institutions selon les principes qui leur sont propres. L’épiscopat uni à Rome, — qui, avant la Réforme, était seul tenu pour légitime non seulement en Italie, en France, ou en Espagne, mais en Angleterre, ou en Allemagne, ou en tout pays où vivaient des catholiques romains, — disparut, par son extinction consécutive au schisme anglican, beaucoupplus évidemment que ne disparut, lors du Concordai de 1801, l’ancien épiscopat français, par le fait de sa libre obéissance. On doit dire qu’il disparut, puisque, selon les principes alors reçus dans l’Eglise universelle, il ne fut pas pourvu à sa succession. La place était donc beaucoup plus évidemment vacante, et l’acte pontificalqui, au xixe siècle, restaura la hiérarchie catholique en Angleterre, n’a pas organisé un schisme, mais pourvu aune vacance datant de trois siècles.

Le document de Lambeth, cité plus haut, répond à une préoccupation plusque jamais actuelle : préoccupation d’un accord et d’une fusion éventuelle entre l’Eglise établie et les sectes dissidentes. De la môme préoccupation, procède une publication plus récente, dont le soin fut confié au même D r Swete, et qui vit le jour après sa mort (arrivée le 10 mai 1917). L’importance singulière de cette publication nous engage à l’analyser aussi.

Essays on the early History of the Churck and tke Ministry. By variouswriters. Edited by H. B. Swetb, D. D. London, 1918.

Au cours des années qui suivirent 1910, la Haute Eglise anglicane procédait à un examen de conscience. La question, toujours actuelle, des sectes non-conformistes, maintenues jusqu’alors par l’Etablissement anglican dans une position irrégulière et dans un état d’infériorité, venait d’être soulevée à nouveau avec un certain éclat. Le primat de Canterbury exprima le désir de voir discuter, par des historiens compétents, la position traditionnelle de son Eglise. De là le livre que nous venons de citer, dû à d’éminents spécialistes.

Remontant par de la la période patristique étudiée avec prédilection par les chefs du mouvement tractarien, les auteurs s’attachent aux tout premiers siècles de l’Eglise, pour éprouver la solidité du premier chaînon qui relie le christianisme moderne aux temps apostoliques. Nous n’examinerons pas dans quelle mesure fut atteint le but poursuivi, par la composition de celivre, à l’égard des sectes non conformistes. Un résultat nullement cherché, mais effectivement atteint, fut de rendre plus que jamais sensible à tous les yeux l’audacieuse fiction par laquelle l’anglicanisme, à ses origines, prétendit se rattacher au christianisme primitif. Que l’on compare aux principales conclusions de cette sérieuse enquête historique les articles de 1562, et l’on constatera d’énormes différences. C’est ce que nous ferons, en parcourant les six enquêtes renfermées dans le volume.

1) Conceptions primitives de l’Eglise, par A. J. Mason, D. D. — L’enquête a tourné contre la conception d’une Eglise invisible sur terre, distincte de la société visible des baptisés ; contre l’aspiration de congrégations autonomes à se gouverner en dehors de l’autorité qui régit tout le corps du Christ ; contre la prétention de trouver l’influence normale du Saint-Esprit hors de la communion catholique. — 713

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Qu’on relise l’art, ig de l56a, sur « la société visible îles lulèles » où est prêchée la pure parole de Dieu, et les sacrements dûment administrés selon les exigences essentielles de l’institution du Christ.

a) Le ministère chrétien dans le » périodes apostolique et subapostolique, parj. A. Robinson.D. D. — L’enquête a tourné contre la chimère d’un ministère parement « charismatique », exercé en dehors de la hiérarchie, chimère mise à la mode par la découverte delà Didackè, d’ailleurs nullement autorisée par les épltres de Saint-Paul. — Qu’on relise les art. 20 et 23, sur la mission de l’Eglise et contre les prédicateurs ou ministres sans mission. Rien de plus clairement motivé que les reproches adressés par l’Eglise établie aux sectes non-conformistes ; resterait à justitier la mission de la hiérarchie anglicane ellemême.

3) La succession apostolique, par C. H. Turner, M. A — L’enquête a rappelé, louchant la validité des sacrements, le conflit séculaire de deux doctrines : l’une, qui se rattache au nom de saint Cyprien et qui attribue tout à l’Eglise ; l’autre qui, se rattache au nom de saint Augustin et voit dans la personne duChnstle ministre indéfectible dusacrement ; l’enquête a montré dans l’action de saint Cyprien le fait d’une théologie trop courte ; dans l’action de saint Augxi^tin, l'épanouissement d’une pensée traditionnelle, qui après bien des luttes, achèvera de triompher au moyen âge. — Qu’on relise les articles 26 et3/|, et l’on constatera d’une part que l’Eglise anglicane a retenu la doctrine d’Augustin ; mais d’autre part, qu’elle s’attribue un droit sans contrôle de tailler et de couper dans l’institution du Christ, reconnue telle par la tradition autorisée de l’Eglise universelle.

4) La doctrine cjprianique du ministère, par John Henry Bernard, D. D., D. C. L., archevêque de Dublin. — L’enquête a montré l'épiscopat monarchique tenant en mains les destinées de l’Eglise, et rendu sensible l’illusion de saint Cyprien, appuyant tout l’espoir de l’Eglise sur la concorde spontanée de l'épiscopat. Néanmoins on a cru pouvoir dire, en s’autorisant de saint Cyprien, qu'être catholique ne signilie pas nécessairement être romain. — Qu’on relise l’article ai, subordonnant à la volonté des princes la réunion des conciles généraux, et l’article 37, attribuant à la majesté royale le gouvernement suprême en toute sorte de causes, dans les possessions de la couronne d’Angleterre ; et l’on verra quel pouvoir est laissé à 1 épiscopat monarchique, pour régir l’Eglise de Dieu. Par ailleurs, il est trop vrai que, faute d’avoir été romain jusqu’au bout, saint Cyprien faillit cesser d'être catholique, et ne demeura tel qu’au prix d’une inconséquence.

5) Les formes primitives de l Ordination, par W. H. Fubrk, D. D. — L’enquête a montré que l'évêque, investi de la plénitude du sacerdoce, avait le privilège incommunicable de conférer les ordres ; que les fonctions propres du prêtre se détachèrent peu à peu du ministère épiscopal ; queles confesseurs de la foi furent, en certains cas, associés aux honneurs du sacerdoce, mais que le temps vit décliner le prestige des confesseurs et plus encore celui des prophètes ; que, dans la pensée de l’Eglise, les seuls ministres légitimes sont les élus du peuple chrétien,

icrés par la main épiscopale. — Qu’on relise l’article 36, déclarant légitimement consacrés et ordonnés ceux qui auront reçu les ordres selon l’Ordinal d’Edouard VI, confirmé par autorité du Parlemen t ; et qu’on se demande si la pensée de l’Eglise est sauve, dans ce rite, délibérément expurgé du Bens traditionnel relatif au charisme de l’ordination.

6) Termes de communion et administrai on des Sacrements à l'époque primitive, par F. F. Bbightm.vn, Al. A. — L’enquête a montré avec quel soin scrupuleux l’Eglise recrutait les catéchumènes, veillait sur les chrétiens, éprouvait les pénitents ; comment l’administration du Baptême, de la Conlirmation, de l’Eucharistie, de la Pénitence, de 1 Ordre, ressortissait ordinairement à l'évêque, et, s’il s’agit de la Confirmation et de l’Ordre, à l'évêque exclusivement. — Qu’on relise l’article 2Û, et on verra qu’il y a deux sacrements, pas plus, institués par le Christ ; que les cinq autres sacrements, vulgairement nommés tels, ne doivent pas être tenus pour sacrements évangéliques.

Le fait que de telles affirmations ont pu se produire dans un livre signé par des anglicans de marque, livre dont le primat anglican a provoqué la composition et accepté la dédicace, mérite certainement d'être remarqué.

On estimera sans doute légitime de conclure que les auteurs de ce savant livre ont, depuis longtemps, franchi la plupart des étapes qui ramènent de l’anglicanisme primitif au christianisme intégral. Et l’on ne manquera pas de noter ce fait paradoxal : ils paraissent s'être mis en marche, non attirés par une lumière partie de Rome, mais poussés par un souffle qui s'élève des sectes dissidentes. De doctes anglicans délibèrent pour savoir s’ils ouvriront aux dissidents des bras fraternels. Cependant les dissidents leur crient : A quoi bon délibérer ? Nous vous apportons la vie. — Pour l’observateur du dehors, l’Angleterre religieuse présente aujourd’hui ce constraste assez poignant : d’une part, un grand corps qui se prend quelquefois à douter s’il a une âme ; d’autre part, une àme confuse et frémissante, qui fait effort pour s’incarner. Que l’avenir doive nous montrer l’embrassement de ce corps et de cette àme, c’est notre chrétienne espérance. Encore fautil que cet embrassement se produise dans la vie et dans l’unité du Christ.

On trouvera des idées plus ou moins semblables diffuses dans le. Church Times et autres organes de la Haute Eglise anglicane. Pour une exposition détaillée de l’anglocatholicisme, voir N. P. Williams, Our case against Rome, London, 1918, qui d’ailleurs n’a pas bien compris la doctrine catholique romaine ; Ch. Gore, ci-devant évêque d’Oxford, Lux mundi, 1909 ; Catholicism and Roman catholicism, London, 1923 ; ViscountHALiFAX, l’infatigable promoteur de l’union des Eglises, Acall to Reunion, arising of discussion with Cardinal Mercier, London, 1922 ; Further Considérations on behalf of Reunion, ib., iga3 ; plein d’idées vagues et d’admirables intentions. — Nous aurons à revenir sur les « entretiens de Malines », auxquels Lord Halifax prit une grande part.

Le groupe anglocatholique proprement dit, actif et nombreux, est relativement peu représenté dans l'épiscopat. Un seul évêque en Angleterre, le R. R. W. H. Frère, évêque de Truro ; en pays de mission, une vingtaine.

Voir Al. Janssbns, Anglo-catholicism and catholic Unity, dans Iiphemerides theologicæ Lovanienses, 1934, p. 66-70.

HI. Anglicanisme et Protestantisme. — A l’extrême opposé de l’anglo-catliulicisme, voici cette fraction de l’anglicanisme qui, voyant dansleromanisme une perversion du christianisme primitif, garde jalousement l’héritage de la Réforme, et s’attache moins à voiler les conflits avec Rome qu'à les exaspérer. C’est l’aile gauche de l’anglicanisme, avec la vieille devise : Ko Popen ! Nous entendrons l’un 71 : >

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de ses porte-paroles les plus qualifiés, le D r Hknson, évêque de Durham*.

Anglicanism. Lectures on the Olaus Pétri Foundation, delivered in Upsala during september 1920, by Herbert IIbnslby Hhnson, bisbop of Durliam. London, 1921.

Issu de conférences prononcées en septembre 1930 devant l’Université d’Upsal, pour répondre à l’appel du métropolitain Sôderblom, ce livre est à la fois une revue historique dupasse anglican, un tableau de la situation présente, et un effort pour resserrer les liens qui, depuis l’origine, unissent l’Eglise anglicane aux autres Eglises issues de la Réforme.

L’introduction se nuance d’amertume. Elle rappelle qu’en 19 1 y YEnabling act, sous couleur de préparer l’union de tous les ebrétiens, a porté un coup fatal au caractère national de l’Eglise anglicane, et virtuellement consommé le désétablissement de cette Eglise. En remettant aux mains d’un conseil électif, nullement qualifié pour représenter la nation religieuse, la direction des paroisses, cet acte a ouvert la porte aux entreprises du parti anglocatbolique : parti entbousiaste, admirablement organisé, conduit avec intelligence et résolution, en progrès dans le clergé. Maître de VEnglish Church Union, il compte des cbefs énergiques, courageux, populaires. Il peut s’appuyer sur le socialisme. Il a des adeptes militants dans les universités et collèges théologiques ; on peut pronostiquer le jour où il possédera la majorité dans les Chambres basses des Convocations et au Parlement. C’est un danger à regarder en face. Ce qu’il prépare, c’est une nouvelle édition du mouvement tractarien d’Oxford, sans le contrepoids de la tradition anglicane du xvne siècle. On invite l’Eglise anglicane à se purger de son protestantisme, aiin d’être quelque jour apte à se fondre dans le romanisme.

L’auteur est résolument protestant. A ses 3 r eux, la banqueroute religieuse de l’Eglise romaine est patente. Apte à conduire des races inférieures et arriérées — Irlandais, Franco-Canadiens, Italiens du Sud, — elle n’est pas à la bauteur des peuples libres et civilisés. La messe et le confessionnal caractérisent un type inférieur de christianisme, un type jugé définitivement par les réformateurs du xvi « siècle, pour qui les prêtres sacrificateurs et les formules magiques ont fait leur temps. C’est conformément au plus pur esprit du protestantisme, que l’auteur abordera, devant les étudiants d’Upsal, sept questions :

1) Qu’est-ce que l’Anglicanisme ? — Une institution essentiellement politique. Au xi* siècle, Guillaume le Conquérant avait assujetti l’Eglise d’Angleterre à l’influence romaine, qui rayonnait .de Cluny. A commencement du XIII*, sous le roi Jean, à qui fut arrachée la Magna Charta, les libertés anglicanes furent affirmées contre le roi, en attendant de l’être contre le pape. Au xiv’, Wycleff lança le mouvement Lollard, comportant déjà le culte exclusif de l’Ecriture, la haine des moines, le mépris des dévotions populaires, surtout de la messe, la suprématie de l’élément laïque. C’était l’aube de la Réforme. Le coup décisif fut donné par Henry VIII, produit authentique de la Renaissance, réalisant assez bien le « prince » de Machiavel. Mais Henry VIII ne fit que précipiter une évolution irrésistible. N’eût été son conflit avec le pape, au sujet de Catherine d’Aragon, il s’en fût volontiers tenu personnellement au rôle d’un Charles Quint ou d’un

1. Voir Fr. Daiin, Le désarroi doctrinal chez les Anglicans, elle cas du U< llcnson. Eludes, t. CUV, p. 71 !)-738. 10 mars 1918.

François I er ; et à la Réforme qu’il décida, il sut donner un tour constitutionnel et conservateur, qui la distingue des poussées anarchiques déchaînées sur le continent. Aussi la Réforme anglicane s’accomplit par autorité royale. La propriété monastique, institution internationale centrée à Rome, disparut d’abord : le produit servit à remplir le trésor royal et à gagner les seigneurs. A l’origine de cette Réforme, on ne trouve ni un Luther, ni un Calvin, ni un Zwingle, pas même un Jean Knox. Pourtant on trouve Cranmer, un scholar apprécié d’Henri VIII ; Cranmer a composé le Rook of common Prayer, fixé les 3g articles, approuvé tous les excès des despotes Tudor. Cranmer est le Mélanchthon de l’anglicanisme. Pour justifier 1, ’absolutisme royal, les biblisles anglicans ne furent pas à court de textes. Mais la théorie du droit divin de la couronne devait porter sous les Stuarts des fruits amers. L’Eglise et la monarchie succombèrent ensemble, avec Laud et Charles I"". Ni l’une ni l’autre ne devait être pleinement restaurée ; néanmoins l’Eglise demeura de plus en plus inféodée à la monarchie.

a) L’histoire de Y Eglise établie ne présente pas de date plus importante que celle de V Acte d’uniformité (1662) : terme d’une longue évolution, synthèse des éléments les plus conservateurs de l’anglicanisme. Constater la gravité de cet acte est facile ; s’agit-il d’en justifier les dispositions, le théoricien de la Réforme se trouve aux prises avec des difficultés insolubles. Il doit avouer que l’Acte d’uniformité assume l’accord du Prayer /look, codifiant la liturgie anglicane, et des trente-neuf articles, enseignement officiel de l’Eglise anglicane. Or, s’il est un fait avéré par quatre siècles de discussion, c’est qu’un tel accord n’existe pas. Il doit avouer que cette Eglise a, en matière de doctrine, deux poids et deux mesures : une mesure pour les elergymen, astreintsà l’enseignement officiel, une autre pour les laïques. Il doit avouer que la distinction entre articles de communion (tenus pratiquement par tous) et articles de foi stricte, est plus politique et complaisante que morale et fondée. L’histoire souligne cruellement ces aveux. En 1626, Charles P r et Laud crurent couper court aux discussions par une déclaration autoritaire de la couronne, qu’on lit encore en tête du Prayer Book. Vain effort, dont le résultat le plus clair fut de conduire l’archevêque et le roi à l’échafaud. En iGgg, Gilbert Burnef, évêque de Salisbury, publiait une Exposition des trente-neuf articles, où il s’efforçait de prouver que l’Eglise (l’Angleterre use, malgré tout, d’un réel libéralisme envers ses elergymen, dans les questions de doctrine. Ce prodige d’équilibre fut admis, à titre de commentaire officiel, pendant cent cinquante ans ; l’Exposition due à Rarold Browne, qui le remplaça en 18.">o, insiste à nouveau sur la condition différente faite aux elergymen, tenus de professer toute la doctrine, et aux laïques, lesquels peuvent s’en tenir au symbole des Apôtres. Aujourd’hui encore, le Prayer Rook fait loi dans l’Eglise anglicane, et tout ( lergyman promet de le respecter. Mais chacun sait qu’il est violé tous les jours dans des milliers de p iroisses. Pour se mettre en règle avec ses stipulations les plus claires, il suffit de s’abriter derrière YOrnaments Rubrick, imprimée à la suite de la prière du matin : c’est à la faveur de cette rubrique innocente, que toutes les pratiques romaines les plus énergiquement réprouvées par le Prayer Roui ; ont reparu dans les services anglicans.

3) L’esprit puritain, qui, sous bien des formes et bien des noms, dissenters, méthodistes, non-conformistes et autres, s’efforça d’entraîner le protestantisme anglais hors des voies de l’Etablissement 717

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national, ne trouve pas grâce aux yeux du rigoureux étaliste qu’est le D r llenson.

, 'i) Beaucoup moins encore la Papauté, qu’il rond volontiers responsable des disgrâces de l’anglicanisme. Les auteurs de cette Réforme n'étaient pas entrés sans répugnance dans les voies du schisme. En-ore sous Elisabeth, la porte resta longtemps ouverte à une réconciliation. Mais décidément le concile de Trente avait creusé, entre le moyen âge et les temps modernes, un fossé trop profond. Le jour où Pie V excommunia Elisabeth, le stigmate de mauvais Anglais s’attacha pour jamais à tout fidèle de Rome. Cependant L'épiscopat, maintenu par Elisabeth pour des raisons politiques, opposait un violent contraste à l’anarchie des Eglises continentales de la Réforme. La concorde de l'épiscopat et de la monarchie lit de l’Angleterre la citadelle de la Réforme ; aucune autre Eglise ne donna plus d’ombrage à Rome.

Sous les Stuarts, la fortune de l’Etablissement décline. Jacques I" avait ambitionné pour son (ils la main d’une princesse catholique ; à la suite d’Henriette de France, les prêtres romains reprirent pied sur le sol anglais. Charles II et Jacques II, parleurs compromissions papistes, précipitèrent la crise qui, en 1688, emporta leur dynastie. L’avènement du prince d’Orange, chef du protestantisme européen, engagea irrévocablement l’Angleterre dans la voie de la Réforme. Le serment du couronnement stipula que l’héritier du trône « maintiendrait la religion protestante, établie par la loi ». L’Acte de tolérance qui, en 1689. récompensa le loyalisme politique des non conformistes, exclut formellement les catholiques romains. Ils ne devaient relever latête qu’après l’Acte l'émancipation (18 >(j)etrvctederéforme(1832), deux coups très graves portés à la religion nationale. C’est alors qu'éclata le mouvement tractarien. Les initiateurs de ce mouvement étaient, aussi énergiquement que possible, antipapistes. Mais la logique de leur position devait les entraîner à des démarches qu’ils n’avaient pas prévues. Le terrain gagné parle catholicisme romain doit se mesurer, non pas au nombre des conversions individuelles, d’ailleurs considérable, mais au changement d’attitude chez les héritiers des anciens tractariens. Désormais, la Papauté n’est plus pour eux la ligne de frontde l’offensive romaine : c’est une puissance, dont on ne parle qu’avec un infini respect.On affecte un dédain croissant pour l’anglicanisme, une indépendance provocante à l'égard de ses autorités. Beaucoup de services anglicans ne présentent aucune différence extérieure avec les services romains. Pourtant, cette bonne volonté fut mise à une rude épreuve par la fin de nonrecevoir opposée à une campagne pour la reconnaissance officielle des ordres anglicans, et par l'échec des espérances fondées sur le libéralisme de Léon XIII. La lettre papale Ad Anglos, suivie de près par l’encyclique Salis cognitum et la bulle Apostolicæ ctirac (septembre 1890), dissipâtes illusions. En s’adressant à la nation anglaise, le pape ne voulait pas connaître l'épiscopat qu’elle s'était donné. Avaitil donc si grand tort ? La réponse des évêquesangli ans, parue en février 1897. et la conférence de Lambelh, en juillet de la même année, se plaçaient sur un terrain condamné par toute l’histoire de la Réforme anglicane, en plaidant l’identité du ministère chrétien dans l’anglicanisme et dans la conlession romaine. La négation du sacrifice offert par le prêtre était un point fondamental de la Réforme : en l’abandonnant, les archevêques de Canterbury et d’York donnaient un démenti éclatante Cranmer, à Parker, à Cosin, à Sheldon, et autres grands hommes de l’anglicanisme, qui tous ont tenu la messe

pour idolâtrique : la messe, c’est-à-dire l’acte du prêtre sacrificateur. Si l’intention ressort de l’attitude officielle, ilest clair que les Réformés anglicans ont manifesté leur intention d'éliminer toute phrase ou tout rite impliquant les conceptions médiévales du sacerdoce et du sacrifice. Et donc, d’un point de vue protestant, la sentence papale est substantiellement vraie. Le fait qu’aujourd’hui beaucoup d’ecclésiastiques anglicans restaurent, dans leurs formulaires officiels, les doctrines dont les rédacteurs deces formulaires les ont purgés, ne change rien au fait accompli : devant la logique et l’histoire, c’est Léon XIII qui a raison.

5) L'épiscopat, institution du christianisme primitif, a disparu de toutes les Eglises réformées, sauf précisément l’Eglise d’Angleterre et celle de Suède. Dans l’une comme dans l’autre, la Réforme fut un acte national, accompli par autorité nationale, consacrant les cadres de l’Eglise du moyen-àge et rehaussant le pouvoir royal. Avec cette différence, qu’en Suède l'évolution s’est accomplie selon le type luthérien ; en Angleterre, malgré des contacts réitérés avec le calvinisme, l'évolution a été, somme toute, autonome. Deux faits lui impriment un caractère spécial : d’une pari, les épreuves de l'épiscopat sous Marie Tudor, épreuves qui l’investirent d’une auréole ; d’autre part, l’agitation antiépiscopalienne des presbytériens et autres dissidents, qui amena l’Eglise d’Angleterre à affirmer d’autant plus énergiquement, au nom de la tradition, la prérogative de l'épiscopat.

Cette prérogative n’en est pas moins discutée au jourd’hui, au sein même de l’anglicanisme, d’une manière qui intéresse le fond même de la Réforme anglicane. En 1 9 1 4 * le docteur Mason, chanoine de Canterbury, publiait une étude historique exhaustive sur l’Eglise d’Angleterre et l'épiscopat. Il concluait que cette Eglise est, depuis l’origine jusqu'à nos jours, nettement, résolument épiscopalienne. Le D r llenson n’accepte pas simplement ce verdict. Il estime que la question est dominée par les conditions d’une ambiance mobile et par la nécessité supérieure de l’unité religieuse, nécessité toujours proclamée par les théologiens anglicans. D’autre part, l’institution divine de l'épiscopat a été mise en question par Lightfoot, dans son commentaire célèbre de l'épître aux Philippiens (1868). Défendue, d’un point de vue dogmatique par Gore, elle a paru discutable à des exégètes lelsqueTurner et Headlam. Le D' llenson incline à abandonner le dogme de l'épiscopat. Il voit dans les évoques anglicans, non pas les successeurs des Apôtres, mais les successeurs des évêques du moyen âge, prélats mondains, trop mêlés au siècle pour faire figure depasteurs, instruments derègne pour la monarchie. De là naquirent, dans le passé, beaucoup de scandales : l’avènement de la démocratie a mis fin à ces scandales, mais le souvenir demeure et l’influence de l'épiscopat en pâtit. Liertoute la religion au sort d’une institution si compromise, est-ce bien sage ?

6) La question de l’Etablissement anglican et de son avenir ne pouvait être éludée. L’auteur l’aborde résolument. Il constate que la disqualification de l’Eglise d’Etal et la suppression des dotations (disestablishment, disendowmcnt) sont inscrites au programmede grandspartispolitiques : Libérais, Labour. L’Eglise d’Irlande fut désétablie en 1870 ; en 1920, quatre diocèses de pays de Galles furent distraits de la province de Canterbury. La fin du désétablissement ne peut être qu’une question de temps. Reste à savoir dans quelles conditions il s’accomplira. Une perturbation économique s’en suivra, dont l’Etat souffrira moins, sans doute, que l’Eglise, déjà si di719

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minuée. Mais on peut s’attendre à voir s’ouvrir le conflit, dont la France donne aujourd’hui le spectacle chronique, entre le cléricalisme étroit de l’Eglise et l’anticléricalisme exaspéré de l’Etat. Dans une page brillante et attristée, l’auteur évoque la vision de Westminster, parlement et abbaye, centre national de la vie politique et religieuse.

7) Les Conférences de Lambeth, assises décennales de î'épiscopat anglican, inaugurées en 1867, font l’objet du dernier chapitre. On se réunissait dans un but de consultation et d’encouragemont ; il avait été stipulé qu’on n'émettrait aucune déclaration de foi ; que les questions brûlantes, touchant les conflits entre les cours ecclésiastiques et les conseils de la couronne, seraient écartées du programme. Elles ne purent être éludées. Du moins la Conférence affirma-telle expressément ne prétendre aucunement faire œuvre doctrinale.

Il est piquant d’entendre un membre distingué de I'épiscopat anglican reprocher aux conférences de La-mbeth leur tendance à magnifier I'épiscopat. D’ailleurs, le D 1 ' Henson constate que, dans une assemblée où la majorité représente des Eglises non établies ou désétablies, la position des évêques de l’Etablissement est irrémédiablement fausse. Un exemple typique de cette confusion est fourni par la récente conférence, rendant facultatif l’emploi du Prayer Book. Des trente-neuf articles on n’ose plus parler, chacun sentant qu’ils ont fait leur temps, et nul ne voulant prendre sur lui de liquider quatre siècles d’anglicanisme dogmatique.

La même conférence, mue par un généreux désir de restaurer l’unité visible de l’Eglise, a lancé un éloquent appel à tous les chrétiens, digne de trouver un écho profond dans le monde entier. Elle répudie toutes les distinctions historiques, montrant dans le schisme, quel qu’il soit, une disgrâce qui afflige le corps entier. Elle rappelle, comme programme d’union, les quatre articles fondamentaux de Lambeth (1888), en faisant grâce du quatrième, sur I'épiscopat historique : au lieu de I'épiscopat, le ministère est mis en avant comme principe d’unité, sans préjudice de cette assertion, appuyée sur l’histoire et l’expérience présente, que tout ministère procède de I'épiscopat. — Mais cela même paraît excessif au D r Ilenson : n’est-ce pas une abdication pure et simple qu’on demande aux dissidents ? La sommation est dure, et quel espoir d’union y peut-on fonder ?

Nous ajouterons de brèves réflexions.

De ce document, il paraît résulter d’abord qu’il existe un anglicanisme radical, plus protestant que jamais, pour qui la Réforme n’est pas un accident fatal, survenu il y a quatre siècles et brisant l’unité de la chrétienté, mais bien l'émancipation d’un long servage et une étape bienfaisante dans la marche de l’Eglise vers ses éternelles destinées.

Il résulte encore que le terrain où s’organise cet anglicanisme radical, contre les tendances catholiques, est celui d’une identité pure et simple entre l’Etat et l’Eglise. On part de ce postulat, que toute unité nationale doit vivre, religieusement, d’une vie propre. Pour autoriser ce postulat, on invoquait, il y a trois siècles, le précédent biblique du peuple de Dieu. On invoque aujourd’hui plutôt l’expérience présente et les exigences de la vie moderne.

Il résulte encore que cet anglicanisme radical réprouve énergiquement tous les efforts d’un autre anglicanisme pour se croire catholique : il les réprouve au nom des origines anglicanes, et fait siennes toutes les dé larations de la papauté, louchant l’impossibilité de retrouver dans la succession anglicane le sacerdoce tel que l’entend l’Eglise romaine.

Il résulte encore, que cet anglicanisme radical re proche à l’anglicanisme traditionnel son attachement au principe de I'épiscopat, comme à un reste d’institution médiévale, conservé par raison politique et désormais sans objet bien défini ; sorte d’anachronisme dans le protestantisme du vingtième siècle.

Il résulte enfin que cet anglicanisme radical demande, non aux traditions du christianisme, mais aux conditions changeantes de la vie politique et sociale du peuple anglais, la règle de son attitude chrétienne. Et ceci donne la mesure de sa valeur religieuse.

Un autre livre, diversement représentatif, a paru sous ce titre : Anglican Essars. A collective Review of the principles and spécial opportunilies of the anglican communion ascatholic and reformed. London, 1933. Les distingués auteurs paraissent avoir poursuivi de concert un but de rééducation anglicane. Ils sont sept (The Archbishop of Armagh ; Rev. R. H. Murray ; G. G. Goulton ; The Archdeacon of Chester (éditeur) ; The Archdeacon of Macclesûeld ; Rev. Cli. E. Raven ; Archbishop Lovvther Clarke : — feu Bishop Jayne). Dès la préface, on apprend que l’anglicanisme occupe dans le monde une position centrale ; et le développement répond à ce programme insulaire. Il s’agit deressaisir l’esprit public, en passe d'échapper à l’influence anglicane ; et l’effort se porte sur le point où la menace paraît plus sérieuse : face à Rome et au moderne anglo-catholicisme. Aussi voyons-nous reparaître tous les vieux clichés de la Réforme ; tous les griefs anglicans contre l’Eglise romaine, jusqu’auxaccusatious d’idoIàtrie visant le saint sacrifice de la Messe, le culte de la Sainte Vierge et des saints. Dans ce livre, où coule à pleins bords l’esprit de libre examen, avec un parti-pris odieux de dénigrement, on a parfois la consolation de rencontrer un hommage ému et sincère au Seigneur Jésus, seul nom en qui tout homme puisse être sauvé.

IV. Anarchie doctrinale- — L’opposition des deux tendances qui viennent d'être décrites, sous les noms généraux d’anglo-catholicisme et de protestantisme, suffit à marquer l’absence d’autorité doctrinale au sein de l’anglicanisme. C’est d’ailleurs un fait évident, et dont beaucoup d’anglicansconviennent, non seulement avec une parfaite bonne grâce, mais sans aucun embarras, leur éducation ne les ayant pas habitués à sentir ce qu’une telle position a d’anormal aux yeux du catholique romain.

Ce fait est rendu particulièrement sensible par les enquêtes théologiques auxquelles seprète volontiers l’anglicanisme, et dont les comptes rendus étalent avec une entière candeur, sous les yeux du public, les divergences les plus extrêmes delà pensée anglicane. Citons un exemple de cette franchise, qui honore grandement le caractère anglais. Au mois d’octobre 1900, quinze notables, ecclésiastiques ou laïques, appartenant aux nuances les plus diverses de l’anglicanisme, se rencontraient à Fulham palace pour conférer, sous le haut patronage de l'évêque de Londres, sur la doctrine delà sainte communion. La conférence dura trois jours. On possède les procès-verbaux : ils manifestent une extrême diversité de vues, depuis la croyance romaine au sacrifice et à la présence réelle, jusqu'à un rationalisme qui volatilise presque toute donnée traditionnelle. The Doctrine of Boly Communion. Report of a Conférence held at Fulliain palace in october 1900 ; edited by Henry Wace, chairman. London, 1900. — Une autre conférence, en 190a, sur la confession, aboutit à des résultats semblables.

On sait que le mouvement ritualiste, ainsi que le 721

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mouvement Irælarien, se distingue par des tendances romanisantes et par un esprit conservateur en matière de dogme. Mais cet esprit, qui distingue les rituatistes entre les anglicans, m- doit pas donner le change sur l’individualisme ontrancierejai est au fond de leur christianisme. Affranchis de toute autorité, ils se font à eux-mêmes leur credo et leur liturgie ; leur religion, en tant qu’ils n’adhèrent pas à l’Eglise romaine, est précisément le dernier fruit du libre examen.

L’inspiration des Ecritures, fondement primitif de la Réforme anglicane, n’a pas résisté aux dernières eommotions. Au coursdu xixe siècle, on l’a vue mise en doute en des occasions mémorables. L’affaire des Essajs and MviV<i’s(i 860-1 864 puis Va/faire de Colenso, évêque de Natal (1 863-1 865), manifestèrent la répugnance de l'épiscopat anglican à faire acte d’autorité sur le terrain scripturaire et, après l’acte d’autorité posé, son impuissance à le maintenir contre les désaveux infligés parle Conseil privé de la reine. Cf Thdrbau-Dangin, la Renaissance catholique en Angleterre au dix-neuvième siècle, t. II, eh. ni, Paris, 190a.

L’inconsistance dogmatique dont l’Eglise d’Angleterre, en son ensemble, donne le spectacle, se retrouve dans beaucoup d'âmes particulières, dont la croyance la plus ferme est qu’elles ne sauraient rien défendre fermement A cet égard, les annales du Hroad Church abondent en exemples variés à l’infini, malgré les protestations souvent élevées à la fois par le High Church et le Low Church. Qu’il sufflsede nommer Whately, Thomas Arnold, Stanley, Jowbtt, J. R. Grebn, Tait, Tkmplb, ces deux derniers successivement évêques de Londres et archevêques de Canlerbury.

Un épisode symptomatique est la lutte pour le Symbole dit d’Athanase, quidurantplusieurs années, il y a un demi-siècle, tint en suspens l’anglicanisme. Cette vieille formule du cinquième ou du sixième siècle, chargée d’anathèmes contre les anciennes hérésies antitrinitaires ou christologiques, détonne dans la liturgie anglicane, et plusieurs fois sa suppression avait été demandée. Une forte minorité dans l'épiscopat était prête à la consentir ; le primai Tait n’y répugnait point. La proposition échoua devant l’oppositionirréductibledequelques théologiens comme Pusey et Liddon, qui s’honorèrent en déclarant que, si l’Eglise anglicane se suicidait en désavouant le symbole d’Athanase, ils croiraient n’avoir plus qu'à en sortir. La réunion des évêques adopta en mai 18~3 une déclaration synodale qui, en maintenant le texte du symbole dans la liturgie, énerve lesanathèmes. Voir Thurbau-Dangin, op. cit., t. III, p. 389-399.

La foi à la naissance virginale, à la résurrection du Christ ne peuvent plus être considérées comme conditions s : ne qua non de l’exercice du ministère anglican. Voir, sur la promotion du D. Henson à l'épiscopat, l’article déjà cité de F. Datin, relatant les protestationsde DarwbllStone, Sanoay, Gorb… — Le Rev. E. W. Barnbs, récemment promu à l'évêché de Birmingham, partisan déclaré d’un transformisme intégral, ne croit ni au péché original ni à la Rédemption. Voir sur cette élection, les pronostics du Month, oct. 1924 : The portent tf Bètnop Barnes ; article signé J(ohn) K(ealing).

Même indécision dans le domaine moral. Après avoir affirmé, d’après l’enseignement de Notre Seigneur, l’indissolubilité du mariage, la Conférence de Lambelh, en 1920, revendique pour une Eglise nationale ou régionale le droit d’admettre le divorce en cas d’adultère. D’une part, on déclare que l’Eglise doit maintenir ses propres lois ; d’autre part, on

laisse l’Etat légiférer à son gré, sans oser faire au clergé un devoir d’une attitude intransigeante. Précisément en juillet it| » o, par ! -j voix de majorité, la Chambre des Lords votait une loi qui, étendant les libertésdéjà reconnues, accordaitle divorce dans trois nouveaux cas : abandon du domicile conjugal pendant trois ans, sévices, ivrognerie habituelle. — Sujet de graves réflexions pour les prélats anglais. Le modernisme, qu’on peut tenir pour bien mort dans l’Eglise romaine, devait trouver dans l’Eglise anglicane un meilleur terrain deculture. Nous résumerons quelques pages consacrées par le R. P. Pierre Charles, S, J., dans la Nouvelle Revue Théologique, 1924, p- 1 -2 /|, au Modernisme anglican.

Solidement établi dans le groupe Modem Churchman, le modernisme doctrinal gagne constamment du terrain, selon la constatation mélancolique de l'évêque Ch. Gorb, Calholicism and Roman Catholicism, London, 1922. Il s'étale dans VExploratio evangelica de Percy Gardnbr (un laïque), 1899, ae éd. 1907, à base d’agnosticisme Kantien. Appuyé par la Churchmen’s Union for the advan.cem.ent <>/ libéral religions thought, fondée en 1898, il a pour organe, depuis 1912, The Modem Churchman. Plus Hibbert Journal. Après Percy Gardner, président, nommons les vice-présidents Rasbdall, doyen de Carlisle ; KirsoppLake… ; lesconseillersGlazebrook, Fawkes, Inge, doyen de Saint Paul…

Doctrine très négative, mais non inconsistante. Ni Credo obligatoire, ni Bible s’imposant au nom de Dieu, ni articles de foi. Inge garderait volontiers le Te Deuni, mais laisserait volontiers tomber les trois Credo (1921). Pour Bethune Baker, professeur de théologie à Cambridge, les Credo ne sont que des cantiques ou des souvenirs. L’idée même de Credenda est étrangère à la religion du Christ, selon le Rev. F. E. Hutchinson. LeRev. Mayor, éditeurdu Modern Churchman, revendique pour tout membre de l’Eglise d’Angleterre le droit de réinterprcter ou même de rejeter toute donnée du Credo. Cf. Charles Harhis, Creeds or no Creeds ? A critical organisation ofthebasis of Modernism, London, 1922. Il faut procéder à un

«. nettoyage » — cleansing —.selon le Rev. Alf. Fawkes, Studi.es in Modernism, London, 19 1 3. Pour cette

école, le miracle n’a plus de sens. Modem Churchman, janv. 1921, p.510. — On ne se gêne pas pour appliquer aux trente-neuf articles anglicans le traitement rappelé II Cor., xi, 24 (A Iudæis quinquies quadragenas una minus accepi).

Dès lors, il n’existe plus aucun frein. La conférence de Girton collège, à Cambridge, sept. 1921, avait mis au programme : I.e Christet les Credo. Kirsopp Lake et Jackson déclarèrent — non sans soulever les protestations de la majorité — que le Christ esta very common place and uninspiring prophet. Rasbdall proposa comme plausible le vieil adoptianisme, en invoquant Athanase et Irénée ( !) Glazebrook confia au public que la formule de Chalcédoine est simplement an acknoivledgment of fa Hure. D’autres opinèrent que le grand danger du jour est l’apollinarisme, et qu’il faut « humaniser complètement » le Christ. — On comprend queGore ait pu déclarer au Church Congress de Birmingham, 10 oct, 1921, qu’un groupe important d’ecclésiastiques professe des opinions religieuses directement subversives du Credo. A la suite de la Girton conférence, Rashdall éprouva le besoin de se justifier, en publiant : Jésus human and divine. London, 192a. Il ne réussit qu'à établir le bien-fondé de la plainte.

Le primat de Canlerbury, R. T. Davidson, essaya de calmer l’opinion, et la Chambre haute de sa province publia une déclaration platonique d’adhésion à certains articles du Credo, mais n’osa rien imposer. 723

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La Chambre haute d’York, plus nette, désapprouva L’idée de conférences publiques sur des sujets scabreux, sans d’ailleurs infliger au Modem Church un blâme direct. L’archevêque d’York, C. G. Lang, signa au nom de ses collègues une profession de foi à la divinité de Jésus ChrisUL’Eglise épiscopale d’Ecosse protesta contre la Girton conférence par une lettre vigoureuse, etrevendiqua la foideNicée comme un minimum intangible.

Typique est le casdeGLAzemiooK, chanoine d’Ely. Il avait donné à la Modem Churchman’s Library un petit volume, The Faith of a Modem Churchman, London, i gi 8, où il renversait tout le christianisme traditionnel. Son évêque, F. H. Chasr. le blâma dans une lettre au Times. Glazebrook répliqua avec désinvolture que l’Eglise anglicane ne reconnaît pas L’infaillibilité des évêques, ni même des conciles (art. ai). L'évêque insista, par un petit volume, courtois et érudit. G. ne se tint pas pour battu et publia The Letter and the Spirit. A reply to the Rishop of Ely’s criticismon the Failli ofa Modem Churchman, London, 1920. Nouvelle réponse de l'évêque, en vain. Il est aujourd’hui démissionnaire, et G. enseigne ce qu’il veut.

Sur la situation présente de l’Eglise anglicane, il existe un recueil de documents officiels, publié sous ce titre : Reports of the Archbishop’s Committees of Iii’i uiry, published for the National Mission by the Society for Promoting Christian Knowledge, London, 1918. Il comprend cinq parties : L’Enseignement de L’Eglise ; le Culte ; l'Œuvre d'évangélisation ; la Réforme administrative de l’Eglise ; Christianisme et problèmes industriels. M. F. Datin l’a présenté dans les Etudes, t. CLXII, 5 et 20 janvier 1920, sous ce titre : Un examen de conscience de l’Eglise anglicane.

On trouvera nombre d’autres documents cités dans trois articles signés Critias, L’avenir de l’Anglicanisme, Revue Apologétique, 1" nov.. i*r déc, 1928 ; 1" janv. iya4 V. Vers l’unité- — H n’est pas un cœur chrétien où ne retentisse douloureusement l'écho de la prière faite par le Seigneur pour les siens : « Mon Père, qu’ils soient un, ainsi que nous » (foan., xvii, 11). Le besoin d’unité religieuse, qui travaille toutes les confessions chrétiennes, se manifeste de nos jours sous diverses formes. Signalons, comme particulièrement dignes d’intérêt, les efforts poursuivis en vue d’une conférence mondiale sur la Foi et l’Ordre (World Conférence on Faith and Order. Secrétaire général, Robert H. Gardiner, 174 Water Street, Gardiner, Maine, Etats Unis d' Amérique). Beaucoup d’autres efforts isolés, tels que la publication de The Conslructive Quarterly, par Silas Me Beb, jusqu’en 1931. New York.

Les Anglicans, qui aiment et lisent l’Evangile, sont depuis longtemps travaillés de ce besoin. Nous en avons montré ci-dessous le témoignage, dans le programme minimum de communion chrétienne, en quatre articles, arrêté par la troisième assemblée décennale de Lambeth, en 1888. Plus près de nous, la sixième assemblée de Lambeth, 1920, adressait, avant de se dissoudre, un « Appel à tout peuple chrétien », qui fut lu avec émotion sous tous les cieux. Sans sortir du domaine anglican, nous signalerons quelques indices particuliers d’un état d’esprit si général. Il se manifeste en divers domaines et par divers actes : négociations avec les Eglises séparées ; activité dans le champ des missions en pays infidèle ; effort de concentration dans le domaine anglican ; par les avances faites aux sectes non conformistes et par la refonte de la liturgie.

Contrepartie aux multiples divisions dont nous avons tracé ci-dessus l’affligeant tableau.

1) Relations avec le monde gréeoslave. — Comme le monde anglican, le monde byzantin aspire à l’unité religieuse ; et ces deux mondes voudraient se rejoindre. L’Angleterre trouva longtemps en Orient un obstacle à l’union ; les dernières convulsions de l’Orient ont fait tomber l’obstacle. Histoire excellemment racontée par le R. P. M. d’Hkkbigny, S. J., L’Anglicanisme et l’Orthodoxie gréeoslave, Paris, 1923.

On verra dans ce livre comment des tentatives individuelles, au cours du dix-neuvième siècle, n’eurent aucun succès. Après le Concile du Vatican, l’anglicanisme crut pouvoir fonder l’espoir d’une médiation efficace près des Eglises orientales, sur les chefs des vieux-catholiques, demeurés en marge de l’Eglise 'romaine. Les avances ne leur furent pas ménagées, soit par les deux Wordsworth, père et Uls, évêques l’un de Lincoln, l’autre bientôt de Salisbury, soit par Sandford, évêque de Gibraltar. En 1881, les évêques vieux-catholiques Reinkens et Herzog avaient reçu l’hospitalité au palais épiscopal de Lincoln. En 1888. on les accueillit à la Conférence de Lambeth. De son côté, l'évêque de Salisbury assistait au congrès vieux-catholique de Cologne en 1890 ; en 1891, il célébrait dans le temple protestant de Lucerne un service solennel d’intercommunion ; en 1892, à Lucerne encore, il conférait avec Nicéphore Kalogéras, archevêque orthodoxe de Patras. Avant sa mort, arrivée le 16 août 1911, il allait assister à l’effondrement de ces espérances. Le glissement des vieux-catholiques vers le protestantisme radical, leur acharnement dans le sens du mouvement Los von Rom ! ruinait toute chance de médiation efficace. Constatation douloureuse, qui devait s’imposer, avec une évidence croissante, aux quatrième, cinquième et sixième assemblées de Lambeth (1897. 1908. 1920).

Entre Anglicans et Orthodoxes, se dressait un obstacle insurmontable. L’anglicanisme demandait avant tout la reconnaissance de ses ordinations. Il ne put jamais l’obtenir.

Le refus permanent des Orientaux s’appuyait sur deux raisons d’inégale valeur : l’une commune à tous les Orientaux, l’autre écartée par les Russes, mais maintenue inflexiblement par les Grecs.

La raison commune à tous les Orientaux était celle même qui devait motiver, en 1896, le rejet des ordres anglicans par Léon XIII (lettre Apostolicae curae) : l’interruption de la série des consécrateurs, au début de l’institution anglicane, par le défaut officiel d’intention efficace.

La raison particulière aux Grecs était la nullité de tous les sacrements occidentaux, y compris le baptême. Raison étrange, au regard de la théologie et de l’histoire, mais alors irréductible. En 1840, Macaire, métropolite de Diarbékir, passant au schisme, dut se soumettre à un nouveau baptême.

Pour les Anglicans, si ombrageux quant au fait de leurs ordinations, rien ne pouvait être plus mortifiant que l’attitude particulière des Russes, disposés à admettre tous les sacrements administres par les Occidentaux, mais réservant toutes leurs sévérités pour les ordinations anglicanes, où ils ne découvraient pas ombre de sacrement.

Ce désaccord devait assombrir toutes les conversations entre Anglicans et Russes, au cours du xix c siècle. En 1888, lors des fêtes qui se déroulaient à Kiev pour le centenaire de saint Vladimir, Bbnson, primat de Canterbury, s'était fait représenter par deux laïques : l’un d’eux, Bikkhrck, allait se vouer tout entier à la cause des Eglises et remplir RÉFORME

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pendant un quart île siècle, à la cour de Russie, le rôle d’un ambasseur officieux de la hiérarchie anglicane. A la lettre qui lui fut remise, Platon, métropolite de Kiev, répondit avec un empressement inattendu, en demandant à quelles conditions les prélats anglais estimeraient une rencontre possible ; le rigide Pobiédonostsef, procureur du Saint-Synode, s’exprima dans le même sens. Benson, surpris et reconnaissant de cette ouverture, fut assez mal inspiré pour envoyer à Kiev quatre volumes traitant de la validité des ordinations anglicanes. On en conclut que la question île foi passait, aux yeux des Anglicans, pour secondaire, et les pourparlers furent rompus.

Parallèlement à ces démarches en Russie, un effort anglican se poursuivait à Constantinople. En 18y8, une lettre chaleureuse de Tb.mplk, nouveau primat de Canterbury, provoquait une réponse bienveillante du patriarche Constantin V, ancien étudiant à Halki, à Athènes, à Strasbourg et à Heidelberg. Une visite de l'évêque de Salisbury obtenait l'établissement d’une commission permanente de quatre membres, trois grecs et un anglican, pour examiner la question du rapprochement des Eglises. En 18yo, , <.ht ns l’intention officielle d’honorer la mémoire du saint archevêque de Canterbury, Théodore de Tarse G90), une presse anglaise était créée au Phanar. Le patriarche Joachim III (déposé en 188*4, rétabli en 1901, mort en 1912) montra plus qu’aueun de ses prédécesseurs l’intelligence et le désir de l’union. Il ne craignit pas de proposer, à cet effet, la convocation d’un Concile et l’adoption du calendrier grégorien. La réponse du Saint Synode de Russie (a3 fév. 1903) fut signilicalive. Tout en marquant pour la Haute Eglise d’Angleterre une spéciale bienveillance, on sommait l’anglicanisme d’avoir préalablement à vomir de son sein le virus calviniste, qui corrompait la notion d’Eglise. Tel était le dernier mot de l’orthodoxie russe.

La guerre européenne vint tout bouleverser. Déjà, au cours des années précédentes, divers courants favorables à l’union des Eglises s'étaient développés en divers lieux. L’Angleterre avait vu naître en 1906, par l’initiative fervente du Rev. Fynes-Clinton, l’Union des Eglises anglicanes et orthodoxes orientales, devenue bientôt Association anglicane et orientale puissante société, patronnée par des hommes d’Etat anglais et russes, présidée successivement parCollins, évêque de Gibraltar, par Blyth. évêque de Jérusalem (191 1), par "Winnington Ingram, évêque de Londres (1 y 1 4). La présidence générale avait été dévolue à l’archevêque russe de Yaroslav et Rostov. La Russie avait ellemême créé, sous la dépendance immédiate du Saint Synode, mais en liaison avec la précédente, une société purement russe, qui tint sa première séance (février 1912) dans la résidence officielle de Sabler, pi 'cureur général du Saint Synode, et se donna pour président Euloge, éveque de Khelm, ardent ennemi de Rome. Cette société prit l’initiative d’invitations à des clergymen anglais, qui vinrent donner en Russie des conférences sur l’histoire ecclésiastique. Enfin les milieux épiscopaliens d’Amérique avaient accueilli la propagande du Rev. R. H. Gardiner, en faveur d’une conférence mondiale des Eglises sur la foi et l’ordre : propagande appuyée par les prélats de l’Eglise russe : Platon, archevêque des Russesd’Amérique, et Antoine, alors archevêque de Kliarkov, depuis métropolite de Volhynie ; par la Tserkovny Vestnik, de Saint-Pétersbourg ; par les professeurs Gloubokovsky et Serge Troïtzky.

Vint la guerre. Le 9 juin 1916, le dévoué Birkbeck était mort, plein de sombres pressentiments.

Le l5 mars 1917, Nicolas II signait son abdication, et le |5 avril de la même année le primat de Canterbury, jugeant l’heure venue d’une action directe, adressait un salut pascal au Saint Synode, qui n’accusa point réception. Cependant le grand Sobor (Concile de toutes les Russies) réclamé depuis quinze ans, promis par Nicolas II et toujours différé, s’ouvrit en août 1917. Le Il septembre 1917, le primat de Canterbury télégraphiait au nom de l’Eglise anglicane. La réponse se fit attendre trois mois, mais elle dépassa les espérances. Le patriarche Tykhon, intronisé le 4 décembre à Moscou, faisait voter, dès le 14, la résolution de resserrer les liens avec les Eglises épiscopaliennes d’Angleterre et d’Amérique, et donnait au message du primat de Canterbury une réponse autographe. Mais des jours sombres s’annonçaient pour l’Eglise russe, et la carrière du patriarche Tykhon allait s’enfoncer dans le mystère bolchevique.

Cependant une jeune Eglise slave grandit, dont on ne peut méconnaître l’importance dans les perspectives d’union — ou de désunion. C’est l’Eglise serbe. Vu de Belgrade, le programme anglican présente une particulière netteté de contours. Non seulement l’intercommunion, admise en principe dès iy15 par la hiérarchie serbe, peutêtie tenue pour acquise ; niais une partie du clergé serbe se forme à Oxford. L’orthodoxie serbe ne s'étonne plus de rien. Le patriarche Dimitri, amené en Angleterre par la guerre européenne, a depuis accueilli à Belgrade le secréiaire du primat de Canterbury (sept. 1920). Le Rev. Fynes Clinton a siégé au congrès épiscopal

« le Karlovki dans les rangs des évêques serbes

(sept. 1921) ; il y a reçu en séance plénière les insignes d’archiprêtre orthodoxe et clos la réunion par une « messe anglicane », célébrée à l’autel patriarcal.

Avec moins d'éclat que l’Eglise serbe, mais dans un esprit peu différent, l’Eglise grecque orthodoxe poursuit, de son côté, une évolution semblable, sous l'œil bienveillant de l’Angleterre.

La conférence de Lambeth, en juillet-août 1920, fut marquée par la présence officielle de représentants du Phanar. Jamais, depuis le Concile de Florence (143y), l’Orient n’avait fait un tel pas vers l’Occident. L’importance en fut encore soulignée par la déférence avec laquelle les délégués orientaux laissèrent discuter à Lambeth l’avenir de leur Eglise, et d’abord la désignation de leur patriarche. La même conférence entendit le professeur Comnenos, théologien laïque à l'école patriarcale d’IIalki et délégué officiel du Phanar, se prononcer en faveur des ordinations anglicanes, et invoquer le suffrage émis antérieurement dans le même sens par un autre théologien grec, le D 1 Petrakakos. Constantinople, d’ailleurs, songe de moins en moins à rebaptiser tous les Occidentaux : or, pour bearcoup d’esprits, la reconnaissance du baptême occidental entraîne tout le reste. Quant à la sentence de Léon XIII touchant les ordres anglicans, le même théologien grec l'écarté en affirmant que, si le calvinisme a pu affecter des opinions privées, l’Eglise d’Angleterre, comme institution officielle, a tenu tête à l’hérésie. Même l’Ordinal d’Edouard VI témoigne, à ses yeux, d’une foi correcte. Les trente-neuf articles peuvent bien être tenus pour articles de religion, mais non de foi.

La discussion n’est pas close ; mais jamais les parties n’y ont apporté tant de complaisance. Dans son discours d’intronisation (en 1922), le patriarche Meletios sourit à la Communion anglicane. D’autre part, les Syriens jacobites (mono pbysites) ont demandé l’intercommunion. L’Eglise anglicane montrera-t727

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elle beaucoup d’inlransigeance ? On lui a demandé de rejeter le concile de Chalcédoine. Déjà le Kev. Bethune-Baker ofïre aux Nestoriens d’Asie le concile d’Bphès », léger sacrilice. De son côlé, le bishop Gore a, dans une messe solennelle de Requiem, supprimé le Ftlioque, qui sonne mal aux oreilles grecques.

Des formules d’inlercomniunion pratique, sans unité doctrinale, ont été mises en circulation : la Vérité ecclésiastique de Gonstanlinople, le Phare ecclésiastique d’Alexandrie, le Messager ecclésiastique de New- York, les ont reproduites, après {’Orient chrétien de Londres. Déjà les démonstrations effectives d’intercommunion ne se comptent plus, soit entre Anglicans et Slaves, soit entre Anglicans et Grecs. Non contente d’ouvrir ses bras aux représentants delà hiérarchie anglicane, la Grèce orthodoxe a, depuis juillet 1922, son représentant oiliciel — sorte de nonce — à Londres.

Lefait qui domine l’évolution religieusede l’Orient chrétien, au cours des dernières années, c’est l’émiettement progressif de l’unité au proût d’Eglises autocéphales, entre lesquelles l’anglicanisme s’infiltre comme un ciment.

2) Missions en pa)s infidèles. — La prédication de l’Evangile en pays infidèles, jamais négligée par lu Low Church, a reçu en ces derniers temps des encouragements nouveaux et fait face à de nouvelles dillicultés.

A l’issue de la « Mission nationale » de 1916, les archevêques anglicans de Canterbury et d’York, dans un document public, rappelèrent au Central Board of Missions, organe central des missions prolestantes en pays inûdèles, le devoir qui lui incombe de veiller à ce que l’obligation supérieure de promouvoir le travail d’évangélisation au dehors tienne, dans la vie sociale de l’Eglise établie, la place qui lui est due. Et une conférence spéciale fut réunie pour préparer, de concert avec les représentants des Eglises libres d’Angleterre, les bases d’un apostolat commun. De la part de l’Eglise anglicane, si distante en son splendide isolement, ce geste marque une date importante.

Le aG juillet 1918, un pacte d’alliance fut signé à Kikuyu dans l’Est africain anglais, par les représentants de plusieurs sociétésde missionnaires : Church missionary Society, Church of Scotland Mission, Afcicu intand Mission, United Methodist Church Mission, sur lesbases suivantes : i » respect des sphères d’influence attribuées à chacune des sociétés alliées, d’après unecarte dressée d’un commun accord, sans préjudice du droit, pour tout missionnaire, de visiter ses ouailles sur le terrain d’une société voisine, en acceptant la juridiction de la dite société ; 2 respect de l’autonomie de chacune des sociétés alliées, dans sa sphère propre ; 3" efforts pour promouvoir l’union et pour disposer, par tous les moyens, les âmes des chrétiens à l’accepter dans un prochain avenir ; /^développement des organisations ecclésiastiques locales selon un plan uniforme, en conseil » de districts et de paroisses ; 5" reconnaissance du statut ecclésiastique assigné à chaque chrétien parla branche de l’Eglise du Christ à laquelle il appartient ; 6’désaveu du prosélytisme ; j » respect des décisions prises, en matière de discipline, par une quelconque des sociétés alliées, à l’égard de ses membres.

Sur cette question, voir Sir Arthur Hiutzbl, The Church, the Empire and the World. London, 1919.

3) Effort de concentration anglicane. — Cet efTort ne date pas d’hier : l’institution des Conférences de f.ambeth, dont la première se tint en 1867, témoigne d’une préoccupation dès lors présente à l’épiscopat anglican. Pour la deuxième réunion, en 1878, lepri mat Tait put réunir 100 évoques, sur i~3 convoqués. Lors de la sixième, en 1920, le nombre des prélats convoqués s’éleva à 360 ; a80 avaient promis leur présence ; zSi répondirent effectivement à l’appel du primat Davidson. — Voir F. Datin, Etudes, 5 et 20 mai 1921.

L’ascension de ces chiffres répond à un mouvement d’expansion de la hiérarchie anglicane : il y a un siècle, elle ne comptait hors de l’Angleterre que m évêques : 4 dans l’Amérique du Nord, 3 dans l’Inde, 2 dans les Indes occidentales, 1 en Australie. Elle compte aujourd’hui 300 évéques, dont 18 métropolitains. Elle entend bien que sa catholicité ne soit pas un vain mot.

Sous l’influence de la guerre mondiale, la pensée anglo-saxonne s’est orientée plus nettement que jamais vers l’unité, très particulièrement vers l’unité religieuse. De ce fait, les témoignages abondent. Ouvrons un recueil de huit conférences données à l’Université de Cambridge pendant l’été 1918 par des orateurs venus des points les plus opposés de l’horizon intellectuel. The War and i’nily. Cambridge, 19.8.

Quatre conférences, visent l’unité entre Eglises ; deux, l’unité entre classes sociales ; une, l’unité dans l’empire britannique : une, l’unité internationale. Nous ne retiendrons que le premier groupe. Les quatre conférenciers s’accordent à exclure de leur programme l’unité à faire soit avec Rome, soit avec

I Orient chrétien. Ce n’est pas qu’une telle unité ne hante leur pensée, comme un rêve souverainement beau ; mais ils se rendent parfaitement compte que, tout au moins avec Rome, il n’y a aucun espoir immédiat de le réaliser, si l’on maintien : tout ce qu’ils sont résolus à maintenir. Ils se bornentdonc délibérément au monde religieux anglo-saxon.

M. V. H. Stanton est un théologien de l’anglicanisme. De toute son âme il aspire à l’unité, dont il exalte éloquemment le bienfait. Or deux obstacles principaux s’opposent à l’union entre anglicans et dissidents : d’une part, le privilège de l’Eglise établie, d’autre part, son attachement au principe de l’épiscopat historique. Ni l’un ni l’autre de ces obstacles ne parait, à l’heure présente, insurmontable.

II est vrai que le privilège de l’Eglise établie crée une servitude ; mais le poids de cette servitude commence à se faire sentir lourdement aux dignitaires de cette Eglise, qui aspirent à son émancipation. Quant à l’épiscopat historique, si le principe demeure intangible, il peut comporter plus d’une interprétation ; et l’idée d’un assouplissement des vieux cadres pénètre de plus en plus les milieux anglicans eux-mêmes.

M. C. Milnbr-Whitk n’a rien d’un théoricien. Il arrive de France, où il a servi comme chapelain des forces britanniques et où il a touché du doigt les effets lamentables de l’émiettement religieux. Heureusement, sous la pression de nécessités impérieuses, cet émiettement cessa, dans une large mesure, devant l’ennemi. On a vu des ministres de toute dénomination — la communion romaine exceptée — travailler, non seulement de concert, mais les uns avec les autres et parfois les uns pour les autres. Dans tel camp, huit chapelains se partageaient le service devant un même auditoire. L’épiscopalien américain prenait l’action de grâces, le presbytérien la confession, le wesleyen l’intercession ; chacun des autres choisissait, dans un même chapitre de saint Marc, quelque verset substantiel, qu’il développait durant quatre minutes. Et tout le monde était content. M. M. W. estime que ces leçons ne doivent pas être perdues. Il fait appel au règne universel de l’amour. 729

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M. W. B. Sblbib représente les non-conformistes d’Angleterre. Il rappelle qu'à l’origine de la Réforme. certains chrétiens, mal satisfaits du formalisme anglican, se groupèrent pour inaugurer une vie religieuse de leur choix, selon les lignes du N.T. C'étaient des puritains ; ce n'étaient pas des schismatiques. Nul ne fut moins schismatique que Jean W’esley. Les héritiers de son esprit, attachés avec quelque pharisaisme à leur christianisme libre, ne peuvent se défendre d’un certain dédain pour les anglicans d’Etat. Pourtant, eux aussi estiment le bien de l’unité. Déjà ils ont éprouvé le besoin de se fédérer entre eux. Après la fédération des Eglises évangéliques libres, verra-t-on un rapprochement avec l’anglicanisme ? Les difficultés sont beaucoup plus grandes. Pourtant, il y a des raisons de ne pas désespérer. Sur le terrain de la foi, on peut dire que l’accord est fait. Reste la question de l’Ordre. Ici même, on entrevoit la possibilitéde concessions mutuelles. Les non-conformistes ne répugnent plus à soumettre leurs Eglises à des inspecteurs, assimilables, de par leur nom même et leurs fonctions, aux évêques. L’Eglise anglicane, de son côté, cesse de répugner aussi absolument à un remaniemer.tde ses cadres, qui assouplirait quelque peu le rôle traditionnel de Pépiscopat.On a vu plus d’une fois ministres anglicans et dissidents, échangeant leurs auditoires, prêcher les uns chez les autres. Manifestement, M. Selbie estime ces initiatives prématurées, et voit plutôt de mauvais œil cette confusion des chaires. Mais il veut bien y reconnaître un signe et un facteur d’entente cordiale.

M. James Coopbr représente l’Eglise presbytérienne d’Ecosse. Il se montre intimement convaincu qu’avant de regarder vers l’Orient ou vers Rome, la Grande Bretagne religieuse doit donner l’exemple de l’unité chez elle. Et il note les pas faits en Ecosse vers l’unité. — L’union des Eglises d’Ecosse et d’Angleterre ne saurait s’accomplir que sur le pied d’une égalité parfaite, car l’Eglise d’Ecosse a conscience d'être une Eglise nationale, an sens plénier. Mais l’union doit se faire, pour le Christ.

Sans vouloir exagérer la valeur représentative de ces quatre dépositions, on a le droit d’y voir l’indice d’un état d’esprit très répandu dans les diverses sphères de l’Angleterre protestante. L’ancien antagonisme entre l’Eglise établie et les sectes dissidentes est, pour une large part, brisé. La question du ministère ecclésiastique constitue, à l’heure présente, le seul obstacle grave à une fusion pure et simple, et cet obstacle paraît décroître de jour en jour, car de part et d’autre on fait effort pour arriver à un modus vivendi. L’Eglise établie relâcherait quelque chose de son intransigeance quant aux prérogatives de l'épiscopat historique ; les sectes dissidentes se laisseraient plus ou moins encadrer par une hiérarchie faite à l’image de la hiérarchie anglicane et procédant, à quelque titre, de cette hiérarchie. Ainsi les diversités anciennes se fondraient dans les lignes llottantes d’un catholicisme anglican, qui a l’ambition de s’opposer au catholicisme romain.

Sur le Renouveau catholique dans l'Église anglicane, au temps de la récente guerre, signalons les précieux articles — malheureusement non réunis au volume — de M. François Datin, dans les Etudes, t. CXLVI1I et CL, 20 août et 15 sept. 1916 ; 20 fév.et 20 mars 1917. En voici le sommaire : I. L’appel à la prière ; II. La faillite de l’Eglise officielle ; III. Les asp rations des suffragettes à la prédication et à la prêtrise ; IV. Les critiques faites à la prédication officielle ; V. La mission nationale de pénitence et d’espérance ; VI. Le retour aux croyances et aux pratiques catholiques.

Un symptôme déjà ancien de tendance vers l’unité est l’effort tenté par l’anglicanisme pour rendre sa liturgie acceptable à tous. Le 10 novembre 1906, les ileux Chambres de convocation — haute et basse — des deux provinces ecclésiastiques de Canterbury et d’York étaient invitées par lettres royales à examiner l’opportunité, la forme possible, la matière d’une nouvelle rubrique réglant les ornements des ministres de l’Eglise' au cours du service divin, ainsi que les modifications à introduire dans la loi en vigueur, quant à la conduite du service divin, aux ornements et au mobilier des églises ». L’examen se poursuit depuis lors, et ne semble pas à la veille d’aboutir. Mais déjà beaucoupde vues ont étééehangées.La luxueuse édition du Jiook 0/ Common Prajer publiée parle Rev. John Nkalk Dalton, chanoine de Windsor (Cambridge, University Press, 1920, in- 8 carré), ne prétend à aucun caractère officiel, mais enregistre des propositions et suggestions, qui marquent l’aspect général du travail en cours. L'éditeur en souligne la pensée directrice : réaliser l’accord sur les bases de la charité chrétienne commune et de la foi catholique, en laissant pleine liberté de divergence dans toutes les questions non essentielles 1.

La nostalgie de l’unité religieuse a conduit à l’Eglise romaine, depuis cent ans, bien des milliers d’anglicans, dont plusieurs ont écrit l’histoire de leurs conversions. L’immortelle Apologia pro vita sua de Nbwman, provoquée par les attaques du Rev. Kingsley, écrite en moins de deux mois (avrilmai 1 864) est le chef-d'œuvre de cette littérature, chef-d'œuvre qui ne pâlit point même à côté des Confessions de saint Augustin. Dans le même ordre d’idées, signalons l’autobiographie d’un éveque anglican d’Amérique, récemment gagné au catholicisme. Salve Muter, by Frédéric Joseph Kinsman, New-York, and London, 1920. Présenté dans les Etudes, t. CLXV, p. 279-293, par Joseph Huby.

Sur le mouvement de conversion un catholicisme et sur le leakage (déperdition) résultant de diverses causes, notamment des mariages mixtes, voir J. Wadoux, dans la Documentation Catholique, t. XII, col. 673, 18 oct. 1924.

VI. Les entretiens de Malines. — A l'égard de l’Eglise catholique romaine, le désir d’union qu'éprouve une grande partie de l’Eglise anglicane, est, non pas certes moins ardent ni moins sincère, mais plus timide qu'à l'égard de toute autre Eglise, parce qu’il se heurleà une intransigeance absolue, en ce qui touche l’essentiel de l’héritage chrétien. Les perspectives de réunion en corps — ce qu’on appelle corporate reunion — apparaissent ici fort lointaines.

Néanmoins, depuis bientôt deux ans, le monde religieux recueille avec émotion lècho des entretiens qui, sous les auspices du Cardinal Mercier, se poursuivent entre théologiens anglicans et romains. Encore qu’ils n’aient aucun caractère officiel, ces entretiens témoignent d’un mutuel bon vouloir, dont on aime à prendre acte, et qui peut fonder pour l’avenir d’heureuses espérances.

Le mérite de cette rencontre appartient surtout à l’initiative de Lord Halifax qui, le premier, se présenta au Cardinal Mercier. Depuis lors, trois réunions ont eu Heu en novembre 1922, mais 1923, nov. 1923. Le D r Davidson, primat de Canterbury, s’y est intéressé très directement, et Rome ne les a

1. Notons un seul détail, relatif ou symbole ditde saint Athanase, p. '223 : Upon Trinity Sunday moy bc sung or taid at Morning or Evening Prayer.insteiul oftba Apostles Creed, this Confection of our Christian foith, commonly calied the Crred cf saint Athanasius. » 731

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certes pas ignorées. Nous possédons, sur ce qui s’est dit à Malines, deux documents : l’un anglican, c’est la lettre du D’Davidson aux archevêques et métropolitains de la communion anglicane, Noël ioa3 ; l’autre catliolique, c’est la lettre du Gard. Mkkcibr à son clergé, 18 janvier i < j 2’t. Nous détacherons quelques pages de l’une et de l’autre. (Texte de la Documentation Catliolique, 19 janvier et 23 lévrier 192^).

I. Extrait de la lettre du Primat de Canterbury,

… Jo ne suis pas fondé à dire que les déclarations de la Couférenco de Lainbeth aient influencé l’opinion catholique romaine ; mais ce dont je suis sur. c’est qu’elles ont engagé plus avant nos propres responsabilités sur ce point. Je fus donc heureux d apprendre, il y a deux ans. qu’une conférence ou conversation privée allait se tenir à Malines. entre le cardinal Mercier, le vénérable archevêque de cette ville, et quelques Anglicans ; on devait se rencontrer sous le toit du cardinal, dans le but de discuter les difficultés pendantes et bien connues qui dressent une barrière enlro l’Eglise d’Angleterre et l’Eglise de Rome. Uien que jo ne fusse pour rien dans cette conférence, et que je n’en fusse même pas officiellement informé, on m’annonça par courtoisie 1 entrevue projetée et on me donna les noms de ceux qui devaient prendre part à cette discussion officieuse : c’étaient, du côté anglican, le D r Armitage Robinson, doyen de Wells, le D 1’Walter l’rere et Lord Halifax ; du côté catholique romain, S. Em. le cardinal, Mgr Van Roey, vicaire général et l’abbé Portai.

La substance de ce qui ce dit dans ces conversations me fut communiquée à la fois par le cardinal et par mes amis anglicans. La discussion porta forcément en grande partie sur la position et les revendications du Siège romain ou, en d’autres termes, sur la primauté du Pape. On discuta un mémoire, préparé au nom du groupe anglican, sur ce sujet et les sujets connexes ; comme je l’ai appris, l’a Appel à tout peuple chrétien » de la Conférence de Lainbeth fut étudié paragraphe par paragraphe. On émit le vœu qu’en vue d’une seconde entrevue les deux archevêques anglais eussent à nommer officieusement des délégués et à proposer les grandes lignes d’un ordre du j)ur de discussion. Je n’ai pas cru devoir le faire ; mais, dans la correspondance qui s’échangea par la suite, je ma déclarai prêt à avoir officiellement connaissance des dispositions prises, à condition que le Vatican eut semblable connaissance. Ayant, après correspondance, obtenu satisfaction sur ce point, j’accordai ce qu’on a pu appeler « une connaissance amicale » du projet d’une seconde visite du groupe anglican à Malines en mars 1993. Te groupe fut de nouveau l’objet d’une aimable hospitalité, offerte d une part avec courtoisie et reçue de l’autre avec gratitude. Cette fois, les conversations roulèrent en partie sur certains grands problèmes d’ordre administratif qui pourraient se poser dans l’hypothèse et au moment où on aboutirait à un accord sur les grandes questions doctrinales et historiques qui séparent les deux Eglises.

Il fut convenu que l’on tiendrait une troisième conférence De part ot d’autre on exprima le désir d’augmenter le nombre des membres qui devraient y participer, et je pris sur moi d’inviter nommément à se joindre au groupe anglican le D 1’Charles Gore, ancien évêque d’Oxford, et le D 1’Kidd. régent de Keble Collège d Oxford (tous deux avaient spécialement étudié la question catholique romaine). Cette démarche engagea plus à fond ma responsabilité dans les tractations en cours : et je me trouvai en plein accord avec S. Em le Cardinal, ainsi qu’avec les membres du groupe primitif, en insistant pour que, avant toute discussion sur les questions administratives qui pourraient éventuellement être soulevées, on concentrât son attention sur les grands problèmes doctrinaux et historiques débattus entiv les deux Eglises. Des mémoires fuient rédiges et distribués ; j’eus moi-même l’avantage do m’enlretenir personnellement à I.ambeth avec les cinq Anglicans qui devaient prendre part à la troisième conférence ; j’étais accompagné de quelques amis ou conseillers de mon entourage que j’avais invités à ce rendez-vous. Il m’a toujours paru important que nos représentants aux différentes conférences — avec des membres des Eglises libres, des orlhodoxesou des catholiques romains — ne perdent pas de vue le point suivant : chacun, comme particulier, reste libre d’exprimer ses opinions personnelles ; ce qui est en question toutefois, ce n’est pas ce que pense tel individu isolé, mais ce que le

corps anglican, pris en son ensemble, a défendu dans le passé et, selon toute apparence, entend défendre dans l’avenir.

Comme je m’y attendais, je constatai que nos visiteurs de.Malines n’avaient nulle intention d’oublier quelles avaient été dans le passé la position historique et les revendications de l’anglicanisme, telles, par exemple, que les ont présentées les grands théologiens des xvi* et xvn* siècles

position qno nous ne songeons aujourd hui ni à modifier ni à atténuer. Pour être franc et juste envers les membres catholiques romains de la Cou lérence de Malines, augmentée maintenant de Mgr Liatilïbl et de l’abbé llemmer, il me semblait convenable d’exposer avec une netteté exempte de toute équivoque la solidité et la cohérence — indiscutées pour nous — de notre doctrine et de notre système anelican.

Ainsi préparée, la troisième conférence s’est tenue à Malines, il y a quelques semaines, dans le même cadre d’amicale hospitalité. On n’a pas eu le temps d’apprécier exactement le relevé d> s conversations tenues, moins encore les diiergences restées pendantes quelles révèlent, je puis du moins déclarer di.s maintenant que, comme il fallait s’y attendre, les pourparlers en sont toujours ; ’. une phase absolument initiale et qu’autant que j’en puis juger on ne peut encore se prononcer sur leurs résultats définitifs. Cela va sans dire, on ne s’est point préoccupé d’amorcer ce qu’on appellerait des « négociations », de quelque espèce que ce soit. Les Anglicans qui, avec ma pleine approbation, ont pris part à la conférence, ne sont à aucun titre les délégués ou les représentants de 1 Eglise on tant que corps. De mon coté, je n avais ni 1 intention ni le droit de leur donner ce caractère. On le sait parfaitement de part et d’autre. On a cherché simplement à réaliser une mise au point nouvelle des questions controversées et à dissiper les équivoques.

A mon avis, on ne peut douter qu’avec l’aide de la Providence de Dieu le bien ne finisse par résulter du seul fait que des hommes si particulièrement qualifiés pour ce rôle aient pu, dans une atmosphère de cordialité réciproque, discuter dans le calme et tout à loisir avec un groupe de théologiens catholiques romains également autorisés.

De nouveaux projets n’ont pas encoro été préparés, mais il me paraît indubitable que des conversations ultérieures feront suite aux entretiens qui ontétéjusqu’icijudicieusoinent ménagés. Au moins nous sommes-nous efforcé, sur ce point commo sur les autres, à donner suite au vœu formel de la Conférence de I.ambeth nous demandant « d’inviter les autorités des autres Eglises a étudier avec [nous] la possibilité de prendre des mesures positives pour collaborer dans un effort commun… à restaurer l’unité de l’Eglise du Christ »…

II. Extrait de la Lettre du Cardinal Mercier

… Nos réunions, de la première à la dernière, furent privées : c’étaient des conversations dans un salon privé.

Ce n’était donc pas la rencontre d’autorités ecclésiastiques envoyant l’une vers l’autre leurs délégués officiels.

Cette déclaration que nous émettons ici, l’archevêque de C ?nterbury l’a formulée nettement dans son message à ses Métropolitains ; 0Il semble n’avoir pas voulu le remarquer. Il savait, certes, ses amis en relation à Malines avec des membres du clergé catholique ; il suivait avec un sympathique intérêt le développement de nos entretiens ; mais, dès l’abord, il avait tenu à affirmer, comme nous-même d ailleurs, que nous n’engagions d’aucune façon ni les communautés auxquelles nous appartenons ni l’autorité que, dans une certaine mesure, nous représentions.

Nos échanges d’idées ne furent donc pas des négociations ». P iu r négocier, il faut être porteur d’un mandat, et ni de part ni d’autre nous n’avions de mandat. Aussi bien, en ce qui nous concerne, n’en avions-nous pas sollicité : il nous suffisait de savoir que nous marchions d’accord avec l’Autorité suprême, bénis et encouragés par Elle.

Nous nous mîmes à l’œuvre, animés d un même désir de mutuelle compréhension et d’aide fraternelle.

Evidemment, sur plusieurs questions fondamentales, le désaccord des deux groupes était notoire ; de part et d’autre, on en avait conscience. Mais nous nous disions que, si la vérité a ses droits, la charité a ses devoirs ; nous pensions que peut-être, en parlant à cœur ouvert et avec l’a persuasion intime que, dans un vaste conflit historique, qui a duré des siècles, tous les torts ne sont pas d’un seul coté ; en précisant les termes de certaines questions en 733

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litige, nous ferions tomber des préventions, des méfiances, dissiperions des équivoques, aplanirions les voies au bout desquelles une àme loyale, aidée do la grâce, découvrirait, s’il pouvait plaire à Dieu, ou retrouverait la vérité.

Le fait est que, a l’heure de clôtura de chacune de nos trois réunions, les membres se sentaient plus étroitement liés, plus confiants les uns dans les autres, qu’a leur prise de contact. Nos hôtes nous l’ont dit, nous l’ont écrit : nous leur avons tenu le même langage : je suis heureux de le répéter ici.

Cependant l’on pense bien que, lorsque surgirent des questions essentielles — la primauté du lape définie par le Concile du Vatican, et qui fut la première à l’ordre du jour,

— ni mes amis ni moi n’eûmes, un instant, la pensée de sacrifier à un désir insensé d’union a tout prix un seul article du credo catholique, apostolique et romain.

Nos rencontres furent donc des conversations privées ; elles n’engageaient que notro responsabilité personnelle ; elles eurent un caractère amical ; j’ajoute qu’elles furent édifiantes.

… Nos compas x ns, à leur départ, avaient l’âme dilatée.

C’est peut être 1-. lemière fois, depuis quatre cents an », disait l’un d’eux, que es hommes d’études, protestants et catholiques, aient pu s’entretenir, avec une franchise entière, pendant des heures et dos heures, sur les sujets les plus graves qui, intellectuellement, les divisent, sans qu’un instant la cordialité de leurs nippons en ait été troublée, ni leur confiance dans 1 avenir déconcertée…

La corporale réunion n’est pas entrée dans la voie des réalisations pratiques. Mais la division n’est plus un obstacle à la charité chrétienne ni à la courtoisie. Et de cela il faut bénir Dieu.

Au moment où s’impriment ces pages, a commencé de paraître, dans la Documentation Catholique, une étude très fouillée sur l’Eglise anglicane et sa crise actuelle, par l’abbé J. Wadoux. (t. XII, col. 6~’i sqq., 19 oct. i(j ?4). Nous sommes heureux d’y renvoyer pour une foule de données bibliographiques et autres, qui ne sauraient trouver place ici.

A. d’Alès.

X. — LA RÉFORME EN SUISSE

La Suisse qui, depuis plus de deux siècles, travaillait à s’émanciper de l’empire d’Allemagne, avait réussi, au début du xvi* siècle, à s’organiser en une Confédération de treize cantons libres avec pays alliés et pays sujets, et à grouper politiquement la plupart des petits peuples qui composent aujourd’hui la Confédération des vingt-deux cantons. On comprend ainsi que, tout encouragée qu’elle ait été par la Réforme allemande, la Réforme suisse se soit développée d’un mouvement propre, autonome, quasispontané. Et si, de nos jours, le protestantisme suisse est profondément imprégné des influences venues d’Allemagne soit immédiatement, soit parla France, il porte néanmoins, dans son ensemble, des inarques qui le distinguent du luthéranisme allemand ou Scandinave, par exemple, et qui le conforment au génie de Zwingli.

I. Zwingli et les origines du protestantisme Suisse. — Le grand Suisse, en effet, fut Zwingli qui. grâce à son énergie, à sa décision, à ses initiatives à la fois prudentes et hardies, grâce aussi aux avantages que lui offrit sa situation de curé de Zurich, la première et la plus impérieuse des villes confédérées, réussit à séduire une grande portion de la Suisse et à lui imposer son protestantisme.

Zwingli naquit le i’r janvier 1 484 à YVildliaus, village montagnard du Toggen bourg Ses parente étaient des paysans aisés. Il avait un oncle paterne ! et on oncle maternel dans les ordres On pensa le préparer à un avenir ecclésiastique. Son oncle paternel Barthélémy, doyen deWesen.lui expliqua les rudiments, puis l’envoya à Bàle. Zwingli s’en fut ensuite à

Berne, puis jusqu’en iSoa à Vienne (Autriche) où il étudia la philosophie. On a retrouvé la mention exclusus apposée à son nom dans les registres du semestre d’hiver 14y8-14g<j. U esta Bàle entre ilioæt [506| occupé à lire les écrits de Pic de la Mirandole qui s’éditaient à Strasbourg. En 1506 il est ordonné prêtre et nommé curé de Glaris par l’évoque de Constance. Sa paroisse couvrait le tiers du carton actuel deGlaris. Cependant il trouve le temps d’apprendre par cœur les Histoires de Valère Maxime, de ne pas négliger la lecture de la Bible, de se faire des disciples. Il vit si non caste, sultan caute, expliquera son ami Myconius. Déjà il est mêlé à la politique. Il identifie la cause de Jules II et celle de Dieu, il se déclare ardent ennemi des Français. Il paraît à Marignan comme aumônier des Glaronnais et reçoit, grâce au cardinal Schinner sans doute, une pension papale de cinquante guinées « pour ses livres ». Le 1 4 avril 1516, Zwingli est curé d’Einsiedeln. II correspond avec Erasme lixé à Bàle, et avec les principaux humanistes du temps, continue ses études bibliques et sa vie, sinon plus « chaste », pourtant moins « prudente ». Néanmoins il réussit le I er janvier iokj à entrer en charge, comme curéduGrossmiinsler, à Zurich. C’est de là qu’il va entreprendre de dominer la Suisse.

Vers cette époque, se place un événement dont la signification a été beaucoup exagérée. Il s’agit d’une intervention de Zwingli contre la prédication des indulgences. On a fortement réduit, aujourd’hui, l’importance de la dispute des indulgences dans la révolte de Luther. Son importance est moindre encore dans la révolte de Zwingli. Voici les faits. Pendant l’été de 1Ô18, le Franciscain Bernardin Sanson, gardien du couvent de l’Observance à Milan, passa le Gotliard pour prêcher en Suisse l’indulgence papale accordée par Léon X. L’évêque de Constance, Hugues de Landenberg, se déclara hostile à Sanson, qui n’avait pas pris la peine de lui produire ses titres, et qui était l’objet de plaintes multiples. Il commanda à son clergé de le tenir en échec. A Bremgarten, le doyen Henri Bullinger interdit à Sanson l’entrée de l’église ; à Zurich, Zwingli prévint les esprits contre lui, et le Conseil résolut de lui fermer les portes delà ville. Sanson, qui en appela à Rome, reçut de Jules II la confirmation de ses pleins pouvoirs. Mais l’évêque de Constance obtint son rappel. Il repassa les Alpes avec plus de 120.000 écus, et Zwingli fut félicité de son attitude.

Quel fut Sanson ? On trouve dans les archives plusieurs lettres d’indulgence marquées de son sceau et de sa signature. Elles ne contiennent rien qu’ait à désavouer une exacte théologie. Elles précisent quatre conditions de l’indulgence : confession et communion, prières déterminées et visites d’églises, les péchés ne doivent pas avoir été commis ou décrétés dans l’espoir et sous couverture de la présente indulgence, la satisfaction revient à qui de droit. Sans doute Sanson, qui était un prédicateur populaire, a-t-il donné dans ces procédés de théâtre et dans ces fautes de goût auxquels n’échappent pas ceux qui savent galvaniser les masses. Mais il est difficile de préciser beaucoup sur ce point, et il reste souverainement injuste déjuger Sanson, comme Telzel, sur les contes et les satires qu’on fit à leur propos.

On voit que Zwingli n’avait point encore rompu avec l’Eglise. En septembre i">i<j, lorsqu’il faillit mourir de la peste, le légat lui manda son propre médecin. Il recevait toujours la pension que lui servait le pape ; il ne la refusa que le 29 avril 15ai, jour où il vit s’accroître ses bénéfices. Dès lors il alla ; t être à l’aise pour s’élever contre le service mercenaire, fût-ce sous les drapeaux du pape, cl pour protester contre les pensions de Rome. Les cardinaux ont

raison, disait-il en visant Schinner, « de porter des chapeaux et des manteaux rouges ; car lorsqu’on les secoue il en tombe dos ducats et des couronnes ; mais quand on les tord, il en découle le sang de ton (ils, de ton frère, de ton père et de ton ami ». Le Conseil de Zurich se composait alors d’une majorité droite de nobles et de hauts bourgeois pensionnés, et d’une gauche nationaliste qui cherchait vaguement à ré’.ablir les mœurs du « bon vieux temps ». Le parti nationaliste manquait de chef ; Zwingli allait s’imposer. En même temps qu’il prenait une conscience plus nette des périls dans lesquels le service mercenaire pouvait jeter la patrie suisse, et que se dessinait dans son esprit le plan d’une restauration nationale, Zwingli, par influence de l’humanisme, perdait de plus en plus gravement l’intelligence de l’œuvre du Christ, l’Eglise. Dès lors, les prétextes qu’il lui était facile de tirer des abus et des péchés, — il y avait hélas ! des abus et des péchés, autour de lui et… en lui, — avaient de plus en plus, à ses yeux, figure de raisons valables, et il en venait rapidement à s’attribuer la mission de faire progresser l’humanité en substituant à l’ordre de l’Eglise, dont il avait détaché son cœur, l’ordre de l’Etat où il en avait mis la meilleure part. Dire les attaques de Zwingli contre l’Eglise, ce serait presque refaire l’histoire des erreurs de Luther. Mais où Luther restait en chemin, Zwingli, dont Bossuet a écrit qu’ « aucun des prétendus Réformateurs n’a expliqué ses pensées d’une manière plus précise, plus uniforme et plus suivie », s’efforçait d’aller jusqu’au bout. Il eut cependant toujours de la difficulté à convenir de ce qu’il devait à Luther.

Il s’offusqua du culte des saints et des images, des processions, des pèlerinages, des jours fériés et, en général, des sacramentaux. Il alla jusqu’à bannir le chant des églises, jusqu’à n’utiliser pour la Cène que des coupes et des plats de bois. La logique de ce mouvement le portait à méconnaître les sacrements eux-mêmes. La Confirmation, l’Extrême-Onction, le Baptême ne lui parurent plus que de pieux usages. L’Ordre fut supprimé. Dans la dispute sur la Présence réelle il devait prendre, contre Luther, le parti de Ivarlstadt, et devenir rapidement le chef des sacramentaires, qui s’appelèrent zwingliens. On sait que le landgrave Philippe de Hesse ménagea à Marbourg, le I er octobre 1522, une rencontre de Luther avec Zwingli, du protestantisme allemand avec le protestantisme suisse. Quand la discussion en vint à l’Eucharistie, Luther écrivit à la craie sur la table les mots : a Ceci est mon Corps ». Zwingli lui opposa ceux de saint Jean : « La chair ne sert de rien », en

  • tfcutant : « Voilà un texte qui vous rompt la nuque ». Luther s’emporta et Zwingli, qui n’était pas en

Suisse, dut adoucir la voix. Mais il refusa jusqu’au bout de transiger. On ne s’était point encore avisé que les « formules » importent peu et que la « sincérité » suffit.

Le pouvoir de magistère de l’Eglise ne fut pas renié moins énergiquement par Zwingli que par les autres humanistes réformateurs. Sous couleur de retourner aux Pères et à la Bible, on se libérait avec entrain de l’enseignement dogmatique contemporain. Il en résulta qu’on de sut bientôt plus distinguer entre Platon et les prophètes, entre la philosophie spiritualiste et la Révélation évangelique. D’où le zèle de Zwingli à mettre pêle-mêle dans la vie éternelle, comme on sait, Jésus-Christ, Adam, la Vierge-Mère, Hercule, Socrate…

Mais ce fut au sujet du pouvoir de juridiction que Zwingli commença à rompre publiquement avec l’Eglise. Pendant le carême de 1522, un imprimeur zurichois, avec plusieurs de ses compagnons, avait

enfreint ouvertement les ordonnances ecclésiastiques sur. l’abstinence. Zwingli prit parti pour les coupables dans un sermon sur le choir et la liberté des aliments, qu’il fit ensuite imprimer. Malgré les exhortations de l’évêque de Constance, le Conseil de la ville se rangea du côté de Zwingli et ordonna de ne prêcher « que ce qu’on pouvait fonder sur l’Evangile ». En juillet de la même année, Zwingli adressait, avec une dizaine de prêtres, une supplique à l’évêque de Constance pour demander l’abolition du célibat. Elle fut repoussée. Mais en cet été, Zwingli épousa secrètement la veuve Anna Reinhard ; elle demeurait alors près du presbytère, où deux ans plus tard elle devait entrer publiquement.

Enfin, le 29 janvier 1023, Zwingli, qui se sentait assez fort, exposa en 67 articles un programme de réforme selon l’Ecriture, qui fut ollieiellement accepté et imposé par le Conseil de Zurich. « Aucune autorité civile, ni en Suisse ni en Allemagne, écrit Dierauer, n’a introduit de si bonne heure le principe scripturaire ». Et, en effet, si la Réforme de Zwingli ressemble à celle de Luther, il est un point cependant où elle se montre originale. Luther, comme Zwingli, opposait le Christ à l’Eglise romaine et prêchait un christianisme qui, religieusement, était inorganique. Mais tandis que Luther, trop occupé de révolutionner la religion, laissait aux princes allemands la charge de régir les nouveaux fidèles, Zwingli, qui avait le goût des choses de la politique, fut, dès le début, soucieux d’organiser politiquement la Réforme. Le désarroi du gouvernement ecclésiastique avait d’ailleurs, en bien des cantons, fourni à l’autorité civile un prétexte de s’ingérer dans l’administration des choses religieuses. L’Eglise avait dû consentir à l’abandon de certains de ses droits. A Zurich par exemple, l’Etat avait obtenu de Sixte IV, en 1/179, le privilège de nommer aux charges des trois principaux couvents. La Suisse s’était accommodée d’un faux nationalisme, dont Zwingli sut flatter les insubordinations. Il prêchait un christianisme inconsistant, dépouillé de toute structure propre ; il lui donna comme soutien la structure même de l’Etat.

« Dans les thèses qu’il avait rédigées pour la première

dispute de Zurich avec l’assentiment du Conseil, Zwingli avait fixé avec une précision tranchante les nouvelles normes religieuses. L’Evangile a force de loi, sans avoir besoin d’être accrédité par l’Eglise. Le souverain pontife, le guide, le chef est le Christ. Il est le seul intermédiaire entre Dieu et les hommes ; le salut ne réside que dans la foi en lui. Toutes les institutions romaines : papauté, messe, intercession des saints ; les prétendues bonnes œuvres : jeûnes, fêtes religieuses, pèlerinages, les habits ecclésiastiques, la tonsure, le vœu de célibat, doivent disparaître. La puissance ecclésiastique n’a aucun fondement dans la doctrine du Christ ; mais la puissance civile, au contraire, tire de cette doctrine sa force et sa légitimité ; tous les chrétiens lui doivent obéissance, pour autant qu’elle n’ordonne rien qui soit contraire à Dieu. » (Dieraubu, Histoire de la Confédération Suisse, III, p. 48). Le même auteur ajoute :

« Une Eglise nouvelle, dirigée par l’Etat, une théocratie

chrétienne, était instituée, qui tirait sa légitimité de la décision souveraine du peuple. Comme un prophète de l’Ancien Testament, Zwingli se tenait aux côtés des magistrats pour les exhorter et les avertir. »

La force de l’Etat allait permettre à Zwingli de réprimer initinlement les doctrines anarchiques que les anabaptistes ou les paysans tentaient de propager au nom de la Bible et de la liberté évangelique. Elle allait lui permettre encore, puisque les premiers I cantons, demeurés catholiques, s’opposaient vigou » 737

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censément à la Réforme, de jeter la Suisse dans la guerre civile. C’est le il octobre 1531 que furent écrasées à Cappel, par des forces catholiques quatre fois supérieures, les armées zurichoises. Zwingli était dans leurs rangs, armé d’un casque et d’un sabre, résolu à combattre. Il fut « d’abord blessé à la cuisse, puis, à ce qu’il semble, abattu d’un coup violent à la tête. Des ennemis en train de piller le trouvèrent le soir, à la lueur des torches, encore vivant. Ils lui demandèrent s’il désirait un prêtre pour se confesser, et connue il faisait signe que non, le capitaine de mercenaires Voekinger, d’I’nterwald, s’approcha de lui et lui perça la gorge de son sabre. Il mourut du coup… Le joui" suivant, en vertu de la sentence du tribunal de guerre, son cadavre fut écartelé par le bourreau, puis, à teneur dudroit impérial auquel on se référait, brûlé comme celui d’un hérésiarque » (DlKllvl’EH, 1. C., III, p. 207).

Mais grâce à Zwingli et à Zurich, la Réforme était implantée déjà dans une grande partie de la Suisse orientale et centrale. Par Berne, qui l’utilisait comme un moyen de domination politique, elle passa à l’occident, couvrit le pays de Vaud et gagna Genève. Le 21 mai 1536, le peuple de Genève assemblé en Conseil Général résolut de vivre dorénavant selon la loi évangélique, de délaisser messes, cérémonies et « abusions papales ». Quelques mois plus tard, Calvin entrait dans la ville, qu’il allait façonner en « Rome protestante ». Nous n’avons pas à dire quel y fut son succès. Ce travail a été fait par M. Georgks Goyau, dans son livre sur Genève Ville-Eglise, avec une maîtrise d’historien qui n’a laissé aux adversaires qu’une issue, celle de protester contre le point de vue catholique de l’auteur.

II. Le protestantisme suisse contemporain. — Le recensement de 1910 donne pour la Suisse : population 3.753.293, protestants a. 107.814. catholiques i.5y3.538. Celui de 1920 (quelques totaux sont approximatifs ) : population 3.880.320, protestants 2.229.147, catholiques 1.585.463. Il est bien difficile de caractériser le protestantisme suisse : les églises d’Etat ont pris des nuances propres dans chaque canton, les sectes les plus diverses se sont beaucoup multipliées, l’indifférence religieuse a envahi inégalement les populations. On pourrait dire cependant que, dans l’ensemble, le protestantisme suisse est, depuis Zwingli et Calvin, resté presque confondu avec la vie politique de la cité, avec le patriotisme, et qu’il se distingue du luthéranisme, par exemple, ou de l’anglicanisme, par son horreur séculaire de la hiérarchie, la sévérité rigide de ses cultes liturgiques. Essayons de donner un aperçu des tendances plutôt que des doctrines, usages ou états, d’un protestantisme qui met de plus en plus sa gloire à chercher toujours sans jamais trouver.

F La vérité révélée. — Le symbole des Apôtres, si longuement commenté par Calvin, est encore récité dans plusieurs églises — on y a remplacé le mot Eglise catholique par celui d’Eglise universelle, — mais il s’effrite de plus en plus dans le cœur des gens d’étude, et même des masses. Dans l’Eglise nationale vaudoise, sa lecture n’est plu-^ M> ! ’gatoire, même pendant les cultes nationaux. L’Eglise nationale protestante de Genève « place à la base de son enseignement la Bible librementétudiée à la lumière de la conscience chrétienne et de la science. Elle fait un devoir à chacun de ses membres de se former des convictions personnelles et réfléchies ». De plus en p lus ou vertement, sous l’influence de Schleiermacher, on explique que les articles de foi doivent être considérés comme dépourvus de. toute valeur objective de signification, et comme la simple nota-Tome IV.

tion provisoireet utilitaire del’expérience religieuse. Tout ce qui surnage dans ce naufrage est, en effet, la doctrine d’une expérience religieuse, d’une religion sans intermédiaire, d’un sentiment d’absolue dépendance de la conscience individuelle vis-à-vis de Dieu ou de l’Absolu. Et l’on n’essaie même plus de déterminer ce qu’il faut penser de Dieu.

La doctrine des Réformateurs sur l’inspiration subjective a conduit rapidement à la théorie de la Révélation purement subjective. A la question de savoir si, au cours de l’histoire, Dieu s’est révélé non seulement du dedans, au cœur de l’homme, mais du dehors et de manière à frapper les sens, de plus en plus on répond négativement. Le dogme de la théopneustie, si longtemps conservé, est en train de se fondre dans la notion d’une inspiration prise au sens large et comparable àcelles des poètes. Dans l’Eglise nationale de Genève, on ne « voit pas aujourd’hui, dit un pasteur, un seul pasteur croyant à l’inspiration littérale des Ecritures ». — H est des pasteurs pour qui Noël reste Noël, c’est-à-dire la naissance de l’Enfant-Dieu, consubstantiel à son Père. Mais pour beaucoup, Jésus n’est plus qu’un prophète que suscita l’Eternel. Ils ne croient plus à sa préexistence. Rien ne leur permet d’affirmer qu’en temps voulu Dieu ne fera pas naître un personnage comparable à Jésus-Christ. Ils continuent néanmoins à parler de la divinité du Messie qui, pensent-ils, s’élevant progressivement à la sainteté, serait devenu véritablement le Fils de Dieu par la pureté de sa vie, par la sublimité de son caractère, par son abnégation, par l’amour qu’il a porté à tous les hommes.

— L’effondrement de la croyance en une Révélation venue du dehors a pour conséquence l’efifondrement de la croyance aux miracles. Ils n’ont désormais plus rien à faire dans l’économie chrétienne, ils n’apparaissent plus que comme des actes « magiques », qui relèvent de la fable et du merveilleux. — Toute la doctrine des Réformateurs sur Jésus, sa divinité, est donc abolie. « Si les formules des grands conciles œcuméniques, dit un pasteur, nous sont deveuues étrangères, il en est de même de plus d’une représentation religieuse de nos Réformateurs. » Cependant beaucoup d’expressions chrétiennes sont conservées. On parle de l’Incarnation, de ladivinité de Jésus, de la Rédemption, de la résurrection de Jésus, du salut, de la grâce. On affectionne même ces mots, qu’on a rendus équivoques et qui sont devenus aptes à satisfaire en même temps la conscience libérale des théologiens et la foi conservatrice de plusieurs auditeurs. — L’abandon de la révélation évangélique entraîne de profondes perturbations dans la doctrine de Dieu. Non seulement beaucoup ne croient plus à la Sainte Trinité, mais ils n’acceptent les notions de création etde providence que dans la mesure où elles s’accommodent d’un évolutionisme panthéistique ou agnostique. La croyance en la vie future est presque partout reçue, mais celle en la résurrection des corps s’évanouit peu à peu. En outre, de la négation d’un purgatoire, incompossible, disait Calvin, avec la miséricorde de Dieu, on a passé, pour le même motif, à la négation de l’enfer. Peut-être la mort anéantira-t-elle les mauvais ? peut-être d’autres existences leur seront-elles offertes jusqu’à leur amendement plénier ?

Le protestantisme est cependant demeuré fidèle sinon à la lettre, du moins à l’esprit de la Réforme. L’esprit de révolution contre la vérité révélée est, en effet, la seule continuité doctrinale qu’il puisse légitimement revendiquer. Près du lieu où fut brûlé à Genève Michel Servet, un bloc de granit porte cette inscription qui renferme tout le Credo protestant, — ce n’est pas long :

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FILS

rhsi’iiciubux bt reconnaissants

de Calvin

notre grand réformateur

mais condamnant unb erreur

oui fut celle db son siècle

et fermement attachés

a la liberté db conscience

selon les vrais principes

db la réformation et de l’évangile

nous avons élevé

ce monument expiatoire

lb xxvii octobhe mcmiii

Pour résumer, l’on pourrait dire que la distinction que l’on faisait jusqu’ici entre les formules qui n’importent pas, et la vie qui est tout, tend de plus en plus à céder la place à une distinction entre la vérité, qui est le l’ait de la science, et la sincérité, qui est le fait de la religion.

V Exégèse — L’exégèse orthodoxe semble s’èlre éteinte en Suisse romande, lorsque mourut à Neuchàlel Frédéric Godet. On s’est mis dans les universités à l’école de l’Allemagne, dont l’influence a été reçue soit directement, soit indirectement par Renan, Aug. Sabatier, Lois}’. Beaucoup de pasteurs demeurent encore aujourd’hui sur les positions du Harnack de l’Jîssence du Christianisme. Jésus est pour eux le prophète de la religion sans prêtres, le sage divin auquel on ne peut reprocher aucun miracle, et dont l’œuvre, comme celle de saint François d’Assise, fut défigurée par la tradition ecclésiastique. D’autres se sont rangés, à l’instar du Loisy de l’Evangile et l’Eglise, à l’opinion du messianisme eschatologique ; le matérialisme de cet exégète leur déplaît, mais ils estiment avec lui que tout le Nouveau Testament et l’Eglise originelle furent dans l’erreur en annonçant la proximité de la fin du monde, et que la foi des disciples dut peu à peu se reconstituer autour d’axes nouveaux. Les théories de l’histoire des religions (et les dernières constructions de Loisy), qui certifient que les épîtres de saint Paul et les Evangiles sont les produits du mélange de la religion juive et des mystères païens, commencent à devenir en faveur. Elles obligeront les prédicateurs à abandonner tout à fait aux catholiques l’apôtre Paul, sur qui Luther pensait pourtant avoir fondé son christianisme.

Philosophie. — Le protestantisme a toujours eu de la peine à distinguer correctement la philosophie et la théologie. Il mélange de notions bibliques ses analyses philosophiques de la personne humaine, du problème du mal, etc. Un point est commun à tous ceux qui, directement ou indirectement, se réclament de la pensée protestante, dit l’un d’entre eux. « Ce point commun, c’est la liberté de tout examiner, au risque de ne pas toujours retenir ce qui est bon. »

Le protestantisme suisse en est donc encore à chercher savoie. Le kantisme l’a fortement influencé par les séparations absolues qu’il a mises entre la foi et la science, entre le inonde nouménal de la liberté et le monde phénoménal du déterminisme. Lesdoctrines du panthéisme intellectualiste de Spinoza, Hegel, sont moins en faveur que les doctrines volontaristes et les philosopliies de la liberté. Les uns voudraient tout concilier par Leibniz, qu’il leur arrive de confondre un peu avec Arislole. D’autres se vouent à l’évolutionisme bergsonien ou au psychologisme prigmatiste de W. James. D’une façon général’tendances sont au spiritualisme imuianentiste et agnostique.

Les sacrements. — Le Baptême, la Confirmation, le Mariage ne sont plus reçus que comme des céré- I

monies, que les uns considèrent comme pieuses et vénérables, et que les autres voudraient exténuer encore, afin de ne plus prêcher que la religion intérieure. Pour ce qui est du Mariage, l’on s’insurge avec énergie contre les mariages mixtes, et l’on a raison ; mais on parle beaucoup moins de l’indissolubilité du mariage et de l’interdiction du divorce. La Cène n’est plus qu’un < ; souvenir amical », laisse par Jésus : Zwingli a triomphé, et pourtant la liturgie selon laquelle on la distribue aux fidèles est « saturée d’allusions à une présence matérielle » du Christ. « Que diraitJésus, dit un pasteur de Zurich, en apprenant que les hommes ont attaché à un mot prononcé dans une heure solennelle, à une parabole, tant de paroles acerbes, tant d’actes d’étroitesse et de jugements pharisaïques ? »

Cette vague de spiritualisme emporte, avec la foi aux sacrements, ce qui reste de la foi au Verbe fait chair, dont on peut dire analogiquement qu’il est le Sacrement de la divinité. Ce qui surprend un peu, c’est que l’Evangile désincarné du protestantisme, après une répugnance de quatre siècles pour les

« images et idoles », essaie aujourd’hui de peuplez

ses temples de peintures et de sculptures.

Ecclésiologie. — Les Eglises les plus importantes sont en Suisse les Eglises d’Etat, les Eglises nationales. La tradition protestante et la tradition patriotique y sont confondues, mais ces Eglises ont autorisé un affadissement de l’Evangile, une indifférence religieuse, un certain paganisme de la vie, auxquels porte fatalement la confusion des choses de Dieu et de celles de César. Les Eglises libres et les sectes essaient de réagir. Si nombreuses qu’elles soient, elles ne réunissent cependant qu’un petit nombre d’adhérents. Certains théologiens affectent de ne pas s’alarmer de leur multiplicité : « Ces diversités, il ne faut pas seulement les supporter, il faut en profiter. Ce qui fait l’énergie vitale de différentes sectes, c’est précisément la portion de vérité que chacune d’elles a remise en lumière. Recueillons avec soin ces rayons épars de la vérité, afin d’en enrichir notre foi ». D’autres leur découvrent quelques inconvénients : « Au lieu des vieux temples produisant d’eux-mêmes le recueillement, une salle quelconque, une chambre trop petite, une grange à l’occasion. Quant aux cantiques et à leurs mélodies, ils trahissent fréquemment un mauvais goût sans remède. L’exégèse biblique est cultivée avec un grand zèle, et comme la science nécessaire manque aux directeurs, ils commettent souvent de plaisantes bévues. On commente avec un souverain mépris du sens historique. Les mots isolés, ceux parfois qui ne figurent pas dans le texte primitif, sont retournes en tous sens et servent de prétexte à un exposé d’idées bizarres, fait d’un air si important que l’existence du Royaume de Dieu paraît en dépendre. Il y aurait un chapitre instructif à écrire si on voulait collectionner les explications personnelles et arbitraires proclamées par les fondateurs de communauté, acceptées par leurs adeptes, et dont on a tiré fréquemment les conséquences les plus graves ». N’est-il pas préférable de grouper tous les esprits sensés dans les Eglises nationales qui atténueraient leurs professions de foi et réduiraient le nombre de leurs prescriptions, de façon à ne choquer aucune liberté ? Beaucoup l’estiment. Une démocratie religieuse, qui laisserait à tous les groupements leur autonomie particulière elles nouerait ensemble dans un lien de charité, serait alors la forme que prendrait la vie religieuse tmiver>clle, la nouvelle « catholicité proteslanle ». Et l’on semblerait favorable en Suisse à l’idée de fonder cette confédération universelle des EglUes sur le principe)]’oi /. and Labour, plutôt que 741

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sur le principe rival Faith and Order. Le protestantisme, qui a tant annoncé le salut par la foi seule, quelles que soient les œuvres, en est, en effet, venu à prêcher ardemment le salut par les œuvres seules, quelle que soit la foi. — La séparation des Eglises et de l’État, qui menacecertains cantons, n’apportera pas de changements immédiatement sensibles dansla situation du protestantisme. Elle fut votée à Genève le Sojuia 1907, Le nom d’  « Eglise nationale protestante » fut conservé. Jésus-Christ, « en quelque manière qu’on le comprenne », est chef de cette Eglise, qui ouvre ses portes à tous les protestants du canton de Genève, sans leur imposer aucune confession de foi ». C’est l’avènement du « multitudinisiue », le commencement d’une « évolution vivante vers la liberté ».

Enfin, disons que le protestantisme, qui proclame eu théorie un individualisme assez dédaigneux des formes sociales proprement religieuses, provoque en pratique, par une secrètecompensalion, une quantité d’oeuvres sociales et une confiance en l’organisation politique, qui va même — c’est le cas surtout en Suisse alémanique — jusqu’à identilier le Royaume de Dieu avec la victoire prochaine du socialisme.

Apologétique protestante. — Certain protestantisme s’estime menacé autant par le progrès d’une a pensée moderne plus ou moins déchristianisée » que par * la victoire d’une pensée chrétienne complètement catholicisée ». A la déchristianisation de la pensée moderne, il oppose la « tradition » du protestantisme suisse, la liberté de conscience « entendue selon les vrais principes de l’Evangile et de la Réforme », l’expérience du Christ » en quelque sens qu’on le comprenne », la Bible librement étudiés à la lumière de la conscience chrétienne et de la science ». Au catholicisme, il reproche les dogmes, qui lui semblent une entrave intolérable à la liberté de la recherche, un obstacle au progrès de la vérité ; la foi aux sacrements, à l’Incarnation, auxmiracles, à l’infaillibilité pontificale, à l’inspiration littérale de l’Ecriture.., choses dans lesquelles il voit autantde u matérialisations » de la vraie piété, laquelle est purement intérieure et spirituelle ; la hiérarchie visible, les pouvoirs de magistère et dejuridiction, qui lui apparaissent comme des cadres bons pour retenir les âmes faibles, mais indignes des esprits hardis, des individualités fortes ou amoureuses du « risque ». Sans entreprendre ici l’examen, même sommaire, de cette apologétique, notons simplement qu’elle formule les « protestations » du naturalisme contre le surnaturalisme. Dogmes, sacrements, Eglise sont, en eiret, aux yeux des protestants, des produits naturels de l’activité humaine, et il est bien odieux, dans ce cas, de leur conférer, avec l’Eglise romaine, une valeur divine ou simplement immuable.

Conclusion. — Le protestantisme suisse présente un intérêt bien différent de celui qu’offre le protestantisme des Etats-Unis. Celui-ci est une religion sans passé, et qui s’essaie à édilier un univers nouveau .^>lui-là est, au contraire, l’œuvre d’une longue évolution — disons dissolution, — qui se poursuit tous les jours, avec des accélérations très variabien selon les temps et les lieux. Ce processus de dissolution n’est pas près de prendre fin, car, d’une part, les traditions religieuses et patriotiques, tout entremêlées sont vivaces dans le cœur d’un peuple le son histoire, et, d’autre part, le naturalisme, mis en présence de la Personne du Verbe fait chair et du fait évangétique, peut s’insurger en bien des manières — toutes ne sont pas épuisées, — et recommeneer inlassablement, mais en les adaptant, les tentatives du passé. L’avenir du protestantisme

suisse sera exactement ce qu’eût été, en Occident, l’avenir du catholicisme s’il eût pu devenir moderniste.

Charles Jocrnet.

XI. — LA RÉFORME DANS LES PAYS-BAS

Anabaplisme, Luthéranisme et Calvinisme voilà les trois confessions principales protestantes dans les Pays-Bas.

Les premières et plus anciennes traces de la soidisant Réforme se trouvent dans la secte fanatique des Anabaptistes. Sous le poids des persécutions ils quittèrent l’Allemagne et se dispersèrent çà et là. En Hollande, ils fixèrent leur demeure premièrement à Amsterdam. Leurs bandes y causèrent beaucoup de désordres et parcouraient les rues dans une nudité scandaleuse. En peu de temps, malgré la réprobation dont ils étaient l’objet, ces hérétiques étaient devenus très nombreux. De telle sorte que l’anabaptiste Melchior Hoffmann, voulant fonder à Strasbourg un « Royaume de Dieu », demanda secours aux Frères d’Amsterdam, qu’il avait visités en 1532. Donc il envoya une lettre aux Anabaptistes en Hollande, disant : « Saints et bien-aimésde Dieu et membres dévoués du Christ, relevez vos têtes, vos cœurs, vos yeux et vos oreilles, car la délivrance est proche… Quand le royaume de Babylone et de Sodome aura pris fin, alors Joseph et Salomon régneront de nouveau dans la puissance de Dieu ».

La fondation du royaume de Sion, qui venait d’échouer à Strasbourg, allait mieuxréussir à Munster. En 1533 un grand nombre de partisans de Melchior Hoffmann, excités par sa lettre, s’étaient empressés de quitter la Hollande et la Frise et de venir à Munster. Parmi les Hollandais se distinguait surtout le tailleur Jban de Leydb, qui trouva beaucoup d’adhérents. En janvier 1534, le prophète d’Amsterdam, Jean Mathys, fut appelé à la ville de Munster. Après lui, Jean de Leyde devint un prophète plus grand encore. Il envoya dans toutes les directions des apôtres, qui partout trouvèrent des frères prêts à la révolte, spécialement dans les Pays-Bas. En Hollande, dans la Frise occidentale, dans l’Overyssel et le Brabant, etmême dansle Limbourg, les villes devinrent des foyersd’hérésie. C’est surtout l’idée de la communauté des biens, qui attirait la foule. Après Munster, Amsterdam devint leur capitale, et peu s’en fallut que la ville ne fût conquise par les Anabaptistes. A la suite d’un écrit de Rothmann (1.534), des complots révolutionnaires s’ourdirent à Amsterdam, qui d’un coup envoya trente navires armés dans la direction de Munster. De même on agit à Deventer, à Leyde, dans le pays de Groningue et dans le Limbourg. Quatre armées devaient partir pour Munster. Ce fut un grand bonheur pour les Pays-Bas, parce que ainsi la plupart des anabaptistes quittèrent le pays et allèrent périr à Munster.

Ceux qui restèrent dans les Pays-Bas, reçurent dansla suite du temps la liberté de se réunir dans la secte des Mennonites, appelés ainsi d’après leur chef Mbnno Simons (1536). Ils se distinguent encore aujourd’hui des autres protestants, en ce qu’ils rejettent la doctrine de la foi sans les œuvres, le baptême des enfants, la prédestination absolue, le serment, la guerre et le divorce^tc. Jusqn’à nos jours, le siège principal des Mennonites est dans les Pays-Bus, bien qu’ils soient également répandus ailleurs.

Quoique au commencement le Luthéranisme l’ait emporté en nombre et qu’il ait été favorisé par Guil ; 43

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lauræ d’Orange, pourtant peu après il dut céder devant le Calvinisme, qui était à la mort du dit prince(1584) la secte hérétique prédominante dans les Pays-Bas. Etabli comme Eglise réformée quelques années déjà avant 1566, le Calvinisme s’accrut bien vite. En voici les causes.

Les Calvinistes, qui arrivaient de Genève ou de France, se virent bientôt entourés parun grand nombre de disciples. Le sol des Pays-Bas était depuis déjà longtemps préparé par la corruption et l’indifférence en matière de religion. Surtout la vie sensuelle, qu’on menait à la cour des ducs de Bourgogue, exerça une influence funeste sur la noblesse, qui passait son temps en réunions, fêtes, jeux et autres plaisirs, de telle sorte qu’elle se trouvaitpeu à peu profondément endettée. Les riches bourgeois des grandes villes ne le cédaient guère à la noblesse pour la dépense et le luxe. La littérature du temps n’était pas sans contribuer largement au dévergondage des mœurs. La situation ecclésiastique n’était pas non plus très brillante dans la première moitié du xvie siècle. Une grande partie du clergé manquait de la formation nécessaire ; l’oisivité et l’immoralité en étaient souvent la suite. L’instruction religieuse était négligée, le dimanche n’était plus sanctilié. Quatre évêques seulement avaient la surveillance de dix-sept provinces.

Pour la plupart, de maisons nobles et princières, ils cherchaient leur puissance et leur considération personnelle, plus que le salut de leurs ouailles. Aussi le peuple vivait-il dans l’irréligion et l’immoralité ; à ce point que Marie de Hongrie, qui avait gouverné comme régente ces contrées pendant trente-cinqans, écrivait à Charles-Quint qu’elle ne voulait pas vivre plus longtemps chez un peuple qui n’avait plus de respect ni pour Dieu ni pour les hommes.

L’hérésie trouvait ainsi la voie ouverte. Les édits sévères, publiés par Charles-Quint avec l’assentiment des Etals-Généraux, eurent peu de résultat.Ici, un mot sur le nombre des soi-disant martyrs protestants (anabaptistes et calvinistes surtout). » Après un examen consciencieux de tout ce qui a été écrit sur la matière, notre conviction est que le nombre des véritables martyrs néerlandais, c’est-à-dire de ceux qui moururent uniquement pour leur foi, a été énormément exagéré… Le nombre total des martyrs protestants, dans les Pays-Bas, ne dépasse pas, d’après nos calculs, le chiffre de 2000 » (Van dbr Hakgiikn, Bibliographie, I, p. lvi). Et cela est calculé pour le nord et pour le sud des Pays-Bas, pour tout le xvi’siècle, pour toutes les Confessions : Anabaptistes, Calvinistes, Luthériens et Zwingliens. Il n’y a pas lieu d’insister, parce que les chiffres sont clairs et sûrs.

Le calvinisme trouvait ainsi peu de difficultés sur sa route. Les nobles donnaient l’exemple à la foule et favorisaient la nouvelle doctrine. Leur but, en amenant ces désordres, était de s’emparer des biens ecclésiastiques, pour couvrir leurs dettes et rétablir leur antique fortune. La haute noblesse avait déplus l’intention de chasser les Espagnols et de prendre en ses propres mains le gouvernement du pays. Le chef de ce mouvement était Guillaume de Nassau, prince d’Orange. Il vivait dans la dissipation, était accablé de dettes et indifférent en religion. Il avait eu une éducation luthérienne ; néanmoins il vivait à Bruxelles en catholique, et appelait encore en 156l les prédiennts des séducteurs du peuple et des bandits. En la même année il promit à Anne de Saxe qu’elle pourrait rester luthérienne, alors qu’il écrivit à Philippe II que son épouse pratiquerait le catholicisme, Un peu plus tard Guillaume était derechef luthérien, puis devint calviniste, en vue de con quérir la Hollande. La religion lui servait uniquement de prétexte pour réaliser ses ambitieux desseins.

En 1 555, Charles- Quint remit le gouvernement des Pays-Bas à son fils Philippe II. Celui-ci, bien que prince sage et prudent, était trop Espagnol de sang et d’éducation, pour que ses sentiments pussent cadrer avec ceux de ses nouveaux sujets ; ne se sentant pas chez lui en Hollande, il retourna bientôt en Espagne (1 559). Marguerite de Parme eut la régence ; Guillaume d’Orange avait espéré l’obtenir, et de dépit il commença une opposition systématique contre le gouvernement.

Il faut décrire ici brièvement la révolution et la perte de la Hollande pour l’Espagne, événemenlssans lesquels jamais le Protestantisme n’eût englouti ce malheureux pays. En [55g eut lieu l’érection de nouveaux évêchés. Le mécontentement qui en fut la suite était injuste au plus haut degré ; Guillaume cependant et ceux de son parti l’entretinrent à dessein. Le séjour de soldats espagnols dans le pays était un second grief : Philippe II les retira. Les nobles haïssaient le cardinal de Granvelle et surtout sa politique : le roi le démit de son poste de ministre. Dès lors ils eurent les mains libres : Philippe laissa faire. Cette conduite faible ethésilante inspira de l’audace aussi bien aux nobles qu’aux hérétiques. Ceux-ci augmentèrent de jour en jour. A beaucoup de conférences qui se tenaient hors les murs, les assistants étaient armés. Des agents anglais et huguenots excitaient à la révolte et s’alliaient avec Orange. A Genève, Bèze déclara que le jour de la révolution était arrivé(156’i).

Les édits sévères portés contre les hérétiques n’étaient plus exécutés depuis la démission de Granvelle et servaient uniquement à fournir un prétexte aux révolutionnaires pour soulever le peuple. Dans le même but, on annonçait constamment que l’Inquisition espagnoleallait prochainementètre introduite, ce qui ne fut certainement jamais la pensée de Philippe II. Cependant, comme le nombre des hérétiques, et par suite l’inquiétude et les troubles, augmentaient toujours, Philippe ordonna vers la fin de 1565 l’exécution sévère des édits. Les conseillers bien intentionnés du roi voulurent l’avertir des funestes conséquences que pourrait entraîner une telle sévérité ; mais Orange conseillait de proclamer aussitôt les ordres royaux, disant à un de ses confidents qu’on verrait bientôt un magnifique spectacle. Le plan réussit. De toutes parts les protestations éclatèrent contre l’Inquisition. L’agitation profonde du peuple fut encore excitée par des libelles violents. On put craindre que l’Inquisition espagnole ne vint réellement faire son ccuvre. La révolution était prochaine.

En 1565 une vingtaine de nobles se liguèrent ensemble à Bruxelles. Ce pacte porta bientôt trois cents signatures. Le 5 avril 1566, quatre cents nobles présentèrent une requête à la régente. Pacte et requête ne visaient pas à la tranquillité, comme on l’assurait, mois à la révolution. On raconte que le^ conseiller Barlaymont aurait tranquillisé la régente par ces mot s : c Comment, Madame, peur de ces gueux ? » Les nobles, qui s’appelèrent désormais « ^uciix », ne se contentèrent pas d’une promesse de modération dans l’exécution des édits. Tout le pays fut en émoi, surtout la Flandre, l’Artois et la Hollande. Parfois 20.000 ou 30. 000 hommes affluaient aux prêches, qui se tenaient même sous les portes des villes.

Les prédicants Guy de Bray, Pérégrin de la Grange, Jean TafTin, François du Jon, Pierre Dathenus, Gaspard van der Heyden, Herman Modcd excitaient le peuple. 745

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Le : i juillet, il y eut à Saint-Trond une grande réunion de nobles, tous alliés entre eux, qui proclama provisoirement la liberté religieuse et décida de défendre cette liberté contre le gouvernement. Immédiatement après, le synode d’Anvers conçut le dessein de présenter à son tour une requête à la régente.

Soudainement, mais non sans préparation, éclata la fureur iconoclaste, au même temps dans presque toutes les province- ; des Pays-Bas. Les prédicants fanatiques, assurés de la protection des seigneurs, enflammèrent la rage des calvinistes. Dans le mois de juillet, le peuple armé se jeta sur les églises. Il y a seulement quelques mois on a trouvé dans les archives de l'état de Bruxelles de nouveaux documents très intéressants sur la vraie étendue de la fureur iconoclaste. Celle-ci est devenue évidente par les interrogations, jusqu’ici inconnues, des coupables à Arnliein, Gulembourg, Mæslricht, Rurmonde, Deventer. Harlingen, Groningue, Leeuwarden, Alkmar, Harderwyk, Nimègue, Zaltbommel, Helvoirt, Oosterhout, Zundert, Etten, Zevenbergen, etc. Il en résulte que les violences s'étendirent dans toute la Flandre occidentale, aussi bien que dans les provinces du Nord. Le comte de Bréderode ordonna d’enlever toutes les images et tous les autels des églises de Vianen. Le comte de Gulembourg assista en personne à la dévastation de l'église. A Leyde.les iconoclastes étaient conduits par deux nobles, qui portaient le signe distinctif des gueux. A Utrecht et à Oudenaarde, on en appelait également aux nobles. A Bruxelles même, d’après des informations communiquées à la régente par le conseil, Louis de Nassau et deux autres seigneurs de la suite d’Orange excitaient le peuple à la violence.

La dévastation d’Anvers fut la scènela plus triste. A Notre-Dame on brisa les autels, les images, l’orgue et les vitraux ; les tableaux furent troués, les ornements sacrés déchirés, les ostensoirs et autresobjets précieux enlevés. Ces horreurs se continuèrent pendant trois jours entiers ; les prêtres, les religieuses et les moines furent maltraités. Dans la seule province des Flandres, quatre cents églises tombèrent sous les coups des dévastateurs. Les œuvres d’art du moyen âge furent détruites pour la plupart. Presque nulle part l’autorité ne s’opposa à cette fureur.

A la triste nouvelle, Phlippe II fut accablé de douleur et pris de violente colère. Voulant infliger une punition exemplaire aux insurgés, il prêta l’oreille à des conseils moins sages, et envoya le duc d’Albe dans les Pays-Bas. Bien que cet homme célèbre fût un soldat excellent, il n’a pas laissé le souvenir d’un homme d’Etat. Arrivé à Bruxelles au mois d’août 1067, il établit le 5 septembre le Conseil des troubles. Tout le pays fut frappé de terreur. Conscients de leur faute, des milliers s’exilèrent volontairement, beaucoup furent condamnés à l’exil et à la confiscation de leurs biens, plusieurs à mort. Parmi les derniers étaient les comtes d’Egmont et de Ho mes (5 juin 1568). Albe ne procéda pas avec modération, même après la victoire et la dispersion de ses ennemis. Le roi avait attendu pour une amnistie générale jusqu’en novembre 156ç). Albe la recula encore jusqu’en juin 1570. C'était trop tard. Là-dessus survinrent des taxes fort impopulaires du loo », du 20e et du 10e. Non seulement les hérétiques, mais aussi les vrais croyants et les fidèles sujets opposèrent de la résistance et devinrent hostiles aux Espagnols. Ce ne fut point le penchant à l’hérésie et à la révolte qui mit les armes entre les mains des Néerlandais, ce furent les durs traitements des Espagnols (Granvelle). Les calvinistes en vinrent à une exaspération extrême. Leur haine contre la foi

que confessait leur ennemi mortel grandissait sans cesse. Terribles furent les excès auxquels se livrèrent les gueux après la prise de Brielle (1 e1 ' avril i"> ; a) ; ils maltraitèrent et mirent à mort les dix-neuf martyrs de Gorcum. Dans la même année, le prince d’Orange s’empara de lluremonde.où ses soldats s’adonnèrent au pillage et au meurtre, dévastèrent les églises et les couvents et égorgèrent les douze moines de la Chartreuse.

La sévérité du duc d’Albe était impuissante à rétablir l’ordre. Le nouveau gouverneur, don Louis de Ilequesens, donna en juin 1574 une amnistie générale, dont les effets furent insignifiants. Orange ne désarmait pas. Le courageux don Juan d’Autriche n'était pas à sa placedans un désarroi continuel d’oppositions et d’intrigues. Alexandre Fsrnèse lui succéda. Grand général et grand homme d’Etat, il sut gagner en 1079 à son parti les provinces du sud, qui par là furent conservées à la vraie foi. De son côté, Orange groupa les provinces du nord dans l’Union d’Utrecht. Dès lors il ne fut plus question de tolérance. L’hérésie, bien qu’elle n’eût encore conquis qu’une très faible minorité de la population, s’empara dans les provinces du nord de presque toutes les églises. Une oppression constante, la violation de la paix religieuse, de nouvelles scènes iconoclastes et le pillage sous la conduite des généraux Hohenlohe, Sonoy et Jean de Nassau, poussèrent le peuple catholique à une résistance désespérée. Mais aussi le parti des Désespérés fut vaincu. Overyssel passa en iôqo aux Provinces-Unies ; Groningue suivit plus tard. En décembre 1581, l’exercice public de la religion catholique fut interdit. Orange, dont Philippe II avait mis la tête à prix, fut assassiné à Delft par Balthasar Gérard, en 1584 A la mort d’Orange, le Calvinisme était la religion prédominante dans les provinces du nord, par la seule force du gouvernement. Car le nombre des catholiques était encore de plus de 2/3 dans les familles nobles, beaucoup plus de 4/5 dans la bourgeoisie, et de 7/8 dans les villages. Bon (l, fol. 18) et Chokn (Handb., I, n. 121) vontplus loin et parlent de 1/100 de protestants, ou de calvinistes. En 1671 ceux-ci n’osèrent pas tenir leur synode dans le pays, mais se retirèrent pour cela à Embden. L’année suivante, un syz : ode se réunit déjà à Hoorn. Peu à peu se formèrent en Hollande et en Zélande des communautés réformées. Les prédicants étaient rétribués au moyen des riches propriétés et des biens de l’ancienne Eglise, que l’Etat avait accaparés au printemps 1073. En 1674 fut fondée l’Université de Leyde, surtout dans le but de « former de savants et de dignes pasteurs ».

Le second synode national, tenu à Dordrecht, témoigna des grands progrès qu’avait faits le calvinisme ; il s’occupa de la traduction de la Bible, de la mise en vers des Psaumes, inculqua le maintien de la Confession néerlandaise et du catéchisme de Heidelberg, et fut témoin de la séparation des communautés wallonnes et néerlandaises.

Depuis longtemps il est hors de doute, que, dans les premiers temps de son existence, l’Eglise réformée des Pays-Bas n’admettait pas la doctrine de Calvin sur la prédestination. Au contraire, elle confessait les doctrines des futurs remontrants : la prédestination conditionnelle, Puniversalitédes mérites de la mort de Jésus-Christ, la libre coopération de l’homme et lapossibité de perdre la foi. Tout ceci se prouve par les livres dogmatiques de la communauté néerlandaise de Londres, qui furent en usage dans les Pays-Bas jusque vers 1566.

Vers iB68, la Confession néerlandaise et le Catéchisme de Heidelberg furent introduits parmi les -, kl

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Calvinistes néerlandais. Ces écrits enseignaient la prédestination absolue des infralapsariens, l’ellicacité irrésistible de la grâce et l’impossibilité pour les élus de perdre la foi.

Avant le synode national de Dordrecbt en 1619, ces deux opinions sur la prédestination étaient libres dans l’Eglise réformée néerlandaise. Aux premiers synodes, ces deux tendances s’accusèrent nettement, Oldenbarneveld voulut faire un compromis et proposa en 1Ô90 d’organiser l’Eglise réformée, de concert avec les prédicants modérés des deux partis. Cependant, quoi qu’on parvint à s’entendre sur plusieurs points, la doctrine sévère de la prédestination ne fut point acceptée par les modérés. Parmi leurs chefs se distingua depuis 1588 le célèbre Arminius. En 160a il fut nommé professeur de théologie à l’université de Leyde, où le sévère Gomarus occupait déjà la même charge.

Avec beaucoup d’autres, comme Gellius’Snecanus, lluibert Duifhuis, Gérard Blokhaven, Caspar Coolhaas, Herman Herberls, Cornélius Wiggertz et Dirk Coornhert défendirent la prédestination conditionnelle selon Arminius, qui disait : « Tantum aulem interest inter conseqnentem et antecedentem voiuntatenv, ut quibus singularibus personis vitam vult antécédente voluntate. Mis ipsis mortem velit conséquente et delecletur in perdilione illorum ; vero non codent modo antecedenti et consequenli voluntauti objiciunlur, Mi ut peccatores, huic ut contumaciter in peccato contra sapientiæ invitationem persévérantes… Est enim prædestinatio singutaris personæ ad salulem tt ad mortem voluntatis Dei consequentis, quæ objectum considérât cum omnibus suis conditionibus et circumstantiis, quæ secundum præcedens aliud decretum ordinatæ surit, ut salutem et mortem præcedant ». Quoique cette doctrine convint à la 20e et à la 54e question du catéchisme de Heidelberg, elle était contre l’article 16 de la confession néerlandaise (Confessio Belgica).

De son côté, Gomarus, avec beaucoup d’autres, défendit la prédestination absolue, en disant : a Causa eleclionis propria extrema prima, sive efficiens impulsiva, est Dei gratia, hoc est mère gratuita dilectio… Causa impulsiva antecedens reprobationis a gratia et gloria ad j ::stam damnationcm, est solum liberum Dei placilum ». On retenait pourtant que le Christ est mort pour tout l’univers, comme le déclare le catéchisme de Heidelberg, question 3 ;. Mais « tout l’univers » s’entendait des hommes de chaque pays, de chaque race, de tout état et de tout temps, non de tout le genre humain.

Le parti sévère ne voyait qu’avec regret, qu' Arminius attaquât le système de Calvin et de Bèze et attirai l’attention sur ce qu’il trouvait de bon dans Saint Thomas et même chez Suarez et Bellarmin. Cette liberté d' Arminius provoqua ailleurs encore des colères, vu que le parti extrême formait de beaucoup la majorité parmi les prédicants des sept provinces.

Les synodes du nord et du sud de la Hollande adressèrent donc aux Etals généraux une requête pour tenir un synode national. Le gouvernement nomma une Commission d’enquête, suivie d’une lutte si ardente que les Etals généraux se montrèrent peu disposés à convoquer un synode national. La conférence du 2 août 1609 à la Haye, où Gomarus et Arminius défendirentehacun leurs idées, n’apporta pas la paix. La lutte continua même après la mort d' Arminius (octobre 1609). Il y eut une avalanche de livres et de pamphlets. En 1610, les Arminiens se réunirent à Utrecbt, et conçurent, sous la conduite d’Uytenbogært, le dessein de soumettre aux Etats de Hollande une « Remontrance » rédigée par leur

chef, de concert avec Oldenbarneveld. Cette pièce, d’après laquelle ils reçurent le nom de Remontrants, s’attaquait à la doctrine de la prédestination de Calvin et exposait celle des Arminiens quin 1610).

L’année suivante, les Gomaristes présentèrent une

« Contre-remontrance », par laquelle ils réfutaient

avec vigueur la doctrine des Arminiens, ce qui leur valut le nom de Contre -remontrants. La lutte entre les deux partis n’en devint que plus ardente, bientôt le pays tout entier en fut ébranlé. Les Contreremontrants avaient pour eux le plus grand nombre des prédicants, mais les Remontrants avaient l’appui de la majorité des Etals de Hollande, d’Utrecht et dOveryssel, outre celui des gouvernements de la plupart des villes situées dans ces trois provinces et en Gueldre. Oldenbarneveld était pour le parti des Remontrants. Maurice d’Orange, resté longtemps indifférent, commença à incliner vers l’opinion des Contre-remontrants, d’autant plus qu’il n’avait plus confiance en Oldenbarneveld, dont il était devenu l’adversaire politique. En 1 G 1 7, il se rangea publiquement du côté des Contre-remontrants, tandis que Oldenbarneveld lit exécuter la même année la « Vive résolution », par laquelle il interdisait un synode, et menaçait de recourir à la force pour maintenir la tranquillité. Maurice obtint cependant ce qu’il désirait ; les Etats généraux décidèrent de tenir un synode national en 1618.

Le 13 novembre, se réunit le Synode de Dortrecht (1618-1619). Bogerman présida les cent quatrevingts séances, auxquelles assistèrent plus de six cents membres. Après de vaines disputes, le synode obtint des Etats généraux, le i er janvier 1619, le droit de juger les Remontrants. Le i/j suivant, Bogerman expulsa tous ceux-ci de la salle, et le synode prononça leur condamnation. Près de deux cents furent destitués, quatre-vingts furent exilés. Environ quarante se rallièrent aux Gomaristes, quelques-uns aux catholiques. La doctrine de Dortrecht servirait désormais de direction aux esprits envahis par le doute. Le synode était à peine dissous, qu’Oldenbarneveld, déjà en prison depuis le mois d’août 1618, entendit prononcer contre lui, le 12 mai 1619, la sentence de mort, qui fut exécutée le jour suivant. Hugues de Groot, jeté également en prison, put s'évader.

Peu après, une nouvelle controverse, entre Voetius et Coccejus, jeta le trouble dans l’Eglise réformée néerlandaise. L’expérience ayant démontré que le Bible interprétée selon l’arbitraire d’un chacun ne pouvait devenir règle de foi, on en était arrivé peu à peu à une doctrine officielle délinie. Juan KocH, de son nom latinisé Coccbjus, de Brème, professeur à Franeker (1 636) puis à Leyde, s’insurgea avec véhémence contre cet état de choses. Partant de ce que la Bible est la parole de Dieu, il concluait que ce principe perdrait toute signification, &i la Bible était soumise à une doctrine oilicielle. Il s’en tint à la Bible seule, et, vint par l'étude qu’il en fit, à établir sa théologie d’alliance. Coccejus distingua une alliance de nature et une alliance de grâce. La première, qu’il appela aussi l’alliance des œuvres, existait avant la chute d’Adam ; la dernière, qui a suivi cette chute, avait, selon lui, une triple existence : avant, sous, et après la Loi. Contre une telle théologie s’opposa le célèbre Vobtius appuyé par Essenius, Maresius etc. La guerre dura plus de dix-huit ans.

Comme il est dit, le synode de Dortrecht rejeta la

prédestination conditionnelle et établit, comme seule

doctrine orthodoxe, la prédestination absolue au

sens des infralapsariens (consequenter ad peccatum

noie). Cette doctrine, libre d’abord, fut désor749

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mais obligatoire. Le fatalisme avait triomphé, mais en même temps avait-il pélrilié la théologie protestante dans les Pays-Bas. Celte situation persista jusqu’en 1795, date où l’Eglise d’état de Hollande fut renversée.

Par un arrêté du 6 janvier 18 1 G, le roi Guillaume I régla les rapporta de l’Eglise réformée avec le nouveau royaume. Alors s’ouvrit largement la porte pour la liberté de doctrine. Bientôt se forma l’école de Groningue, ayant pour chef Hofstbdb db GROOt, et un journal, nomme Vérité dans la charité (1830[840). En rejetant plusieurs dogmes, elle devint bientôt une Eglise sans confession de foi. Les orthodoxes songèrent à se séparer et formèrent une nouvelle Eglise : « Eglise des séparés ». Le gouvernement s’opposa à une telle division ; mais malgré tout, les « séparés » tinrent bon, et en 1870 ils furent mis sur une même ligne que les autres. Nous trouvons encore le parti chrétien historique, qui avait pour chef Grokn van Prinstbker.

En face de cette Eglise, se plaça la direction moderne qui puisa principalement dans les doctrines de l’école de ïubingue ; elle rejeta la théologie orthodoxe et se contenta d’une morale philosophique et d’un humanisme moral. Aussi, dans la deuxième moitié du xix « siècle, le Dr. Abraham Kuypbr, voulant réagir contre cette incrédulité, se mit à la tète des « Doleanti », qui formèrent dans la suite avec quelques autres fractions ce qu’on appelle les Eglises réformées néerlandaises.

Aujourd’hui le nombre des Protestants, toutes diversités comprises, est de 60/100 environ. Entendez protestants de nom. Les pratiquants et les croyants diminuent rapidement. En njao, environ 7-9/100 des populations se sont inscrits sans aucune confession. Et quoique beaucoupd’autresneveuillent pas encore onfesser leur incrédulité en public, pourtant le socialisme, le libéralisme et le communisme a chez eux ruiné entièrement la foi. On doit encore ajouter que le nombre absolu du peuple protestant diminue rapidement, à cause de la diminution des naissances, spécialement dans la Frise, Groninque. la Hollande septentrionale et méridionale. Les pasteurs se plaignent que, dans quelques années, on ne pourra plus parler d’une majorité protestante dans les Pays-Bas.

Bibliographie. — Gachard, Correspondance de Philippe Il sur les affaires des Pays-Bas, Bruxelles, 1848 ss. Le même, Papiers d’Etat du Cardinal de Granvclle, Paris, 1 84 1 s. — Groen van Prinsterer, Archives ou Correspondance inédite de la maison d’Orange Nassau, Bruxelles, 1835 ss. — Pirenne, Histoire de Belgique, Tom. III, Bruxelles, 1907. — A. Havensius. De erectione novorum. in Belgio episcopatuum, etc., Cologne, 1609. — Nuyens, De Xederlandsche Bcroerten, Amsterdam 1904 (2* éd.). — R. Vrxxin, Verspreide Geschri/ten, ’s Gravenhage, 1900 ss. — Hubert Meuffels, Les martyrs de Gorcum (a c éd.), Paris, 1908. — Th. van Oppenraaij, f.a doctrine de la prédestination dans V Eglise réformée des Pays-Bas, Louvain, 1906. — Gro n van Prinsterer, Maurice et Bamcelt, Utrecht, 1870. Le même, Archives, VI, Introduction, xxix.

P. Albbrs, S. J.

XII. — PAYS SCANDINAVES

I. Le Protestantisme suédois.

II. Le Protestantisme danois.

1Il Norvège,

IX. Islande.

I Le Protestantisme suédois. — Cequidistingue

surtout le protestantisme suédois, c’est le lien intime qui l’attache à l’Etat moderne suédois, dont le véritable fondateur est Gustave I Vasa. C’est lui qui a arraché la Suède à l’Union Scandinave, qui auparavant la liait au Danemark et à la Norvège, ce même homme qui au Riksdag de 1 527 força l’Eglise suédoise de se séparer de Rome et de se livrer à l’influence protestante.

Plus tard, en i.j<j3, en acceptant la Confession d’Augsbourg, l’Assemblée d’Upsal déclara définitivement l’adhésion des prolestants suédois à l’hérésie de Luther ; ceci pour s’opposer aux essais répétés de Sigismond, roi de Suède et de Pologne, en vue de restaurer l’influence catholique.

Pendant les luttes des années suivantes contre Sigismond et la catholique Pologne, ce sentiment d’union complète entre patriotisme suédois et Eglise luthérienne se renforça encore, et cet état d’esprit devint plus fort encore lorsque Gustave II Adolphe prit partà la guerre de trente ans, laquelle pouvait facilement être considérée comme une guerre de religion, guerre de défense du côté des puissances protestantes, contre la maison catholique de Habsbourg. C’est aussi par cette croisade luthériennequela Suède s’est imposée comme grande puissance. Cette période de l’histoire, pendant laquelle elle se maintint, remplit la deuxième moitié du xviie siècle et fut aussi une époque de grandeur pour l’Eglise luthérienne et l’Etat. Par un édit religieux de 1 663, « Le livre de Concorde » régla délinitivement l’Eglise suédoise. On comprend facilement par ces faits historiques pourquoi le protestantisme dans aucun autre pays d’Europe ne parait être aussi intimement lié qu’en Suède à la vie d’Etat toujours grandissante.

Encore aujourd’hui, ce lien entre l’Etat suédois et le Corps de l’Eglise luthérienne continue à se manifester surtout par la situation de celle-ci comme Eglise d’Etat. Le roi en est le Summus episcopus. Dans chaque nouveau ministère, on nomme depuis 1840 un ministre spécial du culte, pour diriger l’Eglise et l’Ecole. Dans le concile qui se réunit tous les cinq ans, l’Etat accorde à l’Eglise luthérienne, depuis 1868, un organe reconnu par lui. On enseigne dans toutes les écoles de l’Etat le catéchisme protestant. La grande majorité de la population de la Suède appartient aussi à l’Eglise d’Etat.

Pour la plupart, très indifférents aux questions religieuses, les Suédois modernes, sont pourtant très attachés aux anciens usages de l’Eglise. Les mariages et les enterrements civils ne se voient que rarement.

L’esprit de l’Eglise d’Etat a jeté de fortes racines dans l’àme suédoise. Selon un des théologiens les plus écoutés du pays, « l’Eglise n’est que l’Etat en fonction religieuse ».

Dans le domaine de la théologie, le protestantisme suédois n’a réussi à produire rien de remarquable ou d’indépendant. Son premiermaltre, Olaus Pbtri ({- 1552), n’est guère plus qu’un traducteur suédois des pensées de Luther. La théologie suédoise n’a fait que suivre les différents enseignements du protestantisme allemand. On observe pendant la dernière moitié du xvie siècle des efforts crypto-calvinistes ; pendant le xvn* siècle, l’orthodoxie luthérienne domine complètement ; avec le xvme siècle, on voit naître des mouvements piétistes et rationalistes, lesquels pendant le xix’siècle cèdent la place aux nouvelles impulsions venant de l’Allemagne luthérienne. C’est vers ce dernier pays que la Suède reste uniquement orientée, grâce à l’introduction de la doctrine de Luther. Le roi Jean III (1568-i">92), incliné vers le catholicisme, et 751

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le mystique fameux Emmanuel Swedenborg ( « j- 1772) ont préparé des systèmes d’enseignement protestants, d’un caractère plus suédois, qui n’ont pourtant pas beaucoup influencé la vie de l’Eglise suédoise.

De nos jours, c’est le modernisme libéral et radical protestant qui règne en Suède. Tous les professeurs des deux facultés théologiques du pays (Lund et Upsal) se rattachent à cette négation théologique, ainsi que plusieurs des évêques et pasteurs luthériens prépondérants. Il n’y a peut-être aucun autre pays en Europe, en ce moment, ayant une direction d’Eglise aussi destructive pour la théologie que la Suède.

Dans le domaine du culte et de la constitution, le protestantisme suédois s’est pourtant montré plus conservateur. Il se flatte d’avoir conservé la succession apostolique, quoiqu’il ne lui accorde pas d’importance. Il a gardé aussi, de l’Eglise du moyen âge, le titre d’évêque et l’institution de l’archiprèlre, ainsi que quelques termes complètement catholiques : prêtre, grand’messe, autel, etc. L’office ressemble, sur certains points, à l’office catholique par le service d’autel, ornements de Messe, habits de l’évêque, etc. Un mouvement liturgique s’est manifesté au début du xx « siècle, en partie sous l’influence de l’Angleterre. On voudrait plus de pompe et de magnificence dans les services divins. C’est le docteur Nathan Sôdbrblom, le théologien radical, depuis 1 9 1 4 archevêque d’Upsal, qui en est l’apôtre passionné. D’autres hommes dirigeants d’Eglise suédoise, essaient, plus ou moins consciemment, de trouver remède à la misère où se trouve l’Eglise dans le pays, en s’approchant des formes et des doctrines catholiques et anglicanes. C’est surtout dans le diocèse de Lund que ces derniers ont été actifs.

Pendant le xixe siècle, l’Eglise d’Etat luthérienne a perdu peu à peu toute autorité sur le peuple. De nombreux groupes sesontdétachés d’elle(à peuprès 10% de la population) et ont formé des sectes et sociétés nouvelles, à commencer par « l’Union suédoise des Missions » (100.000 membres), les Baptistes (60.000) et les Méthodistes (15.ooo).

D’autres sociétés religieuses se tiennent sur les confins entre l’Eglise d’Etat et les sectes : « La fondation de la patrie évangélitjue » ; les « Amis fidèles de la Bible », etc. La démocratie sociale suédoise, très répandue, a éloigné des milliers et des milliers de l’Eglise d’Etat.

L’Eglise d’Etat ne garde encore une véritable influence que sur la côte ouest, dans les deux provinces : Halland et Bohuslân. Tous les efforts faits pendant les dernières années pour donner une vie nouvelle à cette institution luthérienne n’ont porté que peu ou pas de fruit jusqu’ici.

Le protestantisme suédois se trouve en complètedésagrégation, occasionnée par des querelles intérieures et de théologie négative. La séparation de l’Etat et de l’Eglise luthérienne suivra sûrement, petitêtre à brève échéance.

A qui appartiendra l’avenir ecclésiastique en Suède ? Nul ne le sait. Mais il n’y a certainement aucune raison pour le protestantisme suédois d’en espérer du bien pour lui-même,

Stockholm.

B. D. Assarsson.

i. Sur a situation du Catholicisme en Suède, voir une lettre de M. l’abbé Assarsson aux Missions catholiques, publiée par les Nouvelles Religieuses, 15 fév. 192’i, p. 8788. (N. D. L. D.).

II. Le protestantisme danois. — Plus que dans la plupart des autres pays, l’introduction de la Réforme fut en Danemark un simple coup de force de la part du roi. On invoqua comme prétexte les abus ecclésiastiques ; mais le motif réel fut la convoitise du roi à l’égard de la propriété ecclésiastique. Si l’Eglise eût été pauvre, elle n’eût point subi de Réforme.

Tout le mouvement partit de Germanie, et signifia une bien triste germanisation du Danemark pour de longues années. L’impulsion fut donnée sous Christian II et Frédéric I ; l’exécution fut accomplie en 1 536 par Christian III, qui ne parlait jamais danois, mais toujours allemand, et par les seigneurs, aussi avides que le roi lui-même.

Les évêques danois laissaient alors à désirer. Là comme en d’autres pays, la coutume régnait de recruter l’épiscopat presque uniquement dans les rangs de la noblesse ; beaucoup de sujets étaient dépourvus de tonte qualité pour ces hautes fonctions. Les prêtres et les moines étaient fort bons et exerçaient sur le peuple une bonne influence. L’homme le pluséminent parmi les catholiques fut le Carme Paul Hhlgbsbn, qui voulait la réforme dans l’Eglise. Beaucoup de ses écrits existent encore et sont admirés pour la perfection de la langue et l’excellence du fond. Parmi les protestants, il faut nommer Pikkrb Pladb et Jban Tausen, eux aussi bons écrivains, qui tous deux devinrent évêques luthériens.

Quand Christan III, après deux ans de luttes intestines, fut élu roi et eut soumis le pays par l’épée du général holsténien Rantzau, il emprisonna les huit évêques, dont quelques-uns n’étaient pas codsacrés, d’autres n’étaient pas reconnus par le pape, quelques-uns n’étaient ni l’un ni l’autre. Alors Christian III convoqua en 1536 une diète, d’où les prélats furent exclus, mais où les nobles, les citoyens et paysans adoptèrent, sur l’injonction royale, l’introduction de la Réforme. Un prêtre allemand apostat fut appelé à « consacrer » les nouveaux surintendants, qui bientôt reçurent du peuple l’ancien nom d’évêques. En somme, beaucoup de titres et d’usages anciens furent conservés, peut-être à dessein d’empêcher que le peuple remarquât la suppression de son vieux Credo.

En très peu d’années, tout catholicisme fut détruit en Danemark ; le protestantisme y régna sans trouble durant trois siècles. Défenseabsolue était faited’embrasserle Credo catholique ; seul le pur luthéranisme était toléré. Le roi, comme chef de l’Eglise, déterminait la croyance. Ce n’est qu’en 18/19 °. ue ^ a liberté politique et religieuse fut accordée, et que l’Eglise catholique put commencer à croître lentement ; aujourd’hui (19 » 3), on compte un peu plus de 20.000 catholiques en Danemark.

Durant les trois premiers siècles qui suivirent la Réforme, le développement du protestantismedanois fut également calqué sur celui du protestantisme allemand. Il y eut une période orthodoxe, suivie d’une période piétiste, puis d’unepériode rationaliste, tout comme en Allemagne. Au xix° siècle seulement, un changement commença. Alors le rationalisme danois s’éveilla de son long sommeil ; deux hommes éminents surgirent, dont l’activité produisit de grands efforts. Ils s’appelaient Kierkegaard etGrundtvig.

Kierkegaard, mort en iS.V ;., âgé seulement de /Ja ans, doit toute sa réputation à ses écrits. Peu d’hommes au monde furent doués comme lui, d’un point de vue psychologique. Dans une série d’ouvrages pleins de pensées géniales et de paradoxes hardis, il établit le droit du christianisme sur la conduitede l’individu : tout homme a une responsabilité personnelle devant Dieu. Ses derniers écrits furent 753

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75’.

un assaut gigantesque donné à l’Eglise d’Etat et à ses ministres, qu’il flagelle comme hypocrites et aux bergers. Ses livres oui été traduits en beaucoup de langues et se lisent encore avec le plus grand intérêt.

Gau W DT Vio, ministre luthérien, auteur et poète (1783*1872), eut un r Aie capital dans l’histoire du protestantisme danois ; on peut dire avec vérité que par lui l’Eglise danoise luthérienne fut affranchie de l’influence germanique et devint elle-même. Sans aucune sympathie directe pour l’Eglise catholique, il a contribué largementà minerlesidées luthériennes et à répandre les pensées romaines. De bonne heure, il vit « pie l’Eglise est plus ancienne que la Bible, et donc qu’il est absurde de dire que la Bible est le fondement de l’Eglise ; que l’Eglise et ses sacrements sont les maîtresses colonnes pour tous les chrétiens. Il insista beaucoup sur le symbole des Apôtres, dont il pensait que tous les mots ont été enseignés aux Apôtres par le Seigneur en personne. Il recruta de nombreux disciples, surtout dans la campagne, où beaucoup de pensions (dites : hautes écoles) avaient été établies pour la jeunesse. Là, des hommes et des femmes enthousiastes convoquent volontiers les jeunes paysans, surtout durant l’été, et les jeunes paysannes pendant l’hiver, et leur enseignent, par voie de conférences et de conversations, les pensées de Grundtvig sur le Christianisme et l’histoire. Des milliers et des milliers de jeunes gens ont retiré de là une influence bienfaisante pour toute leur vie. Dans ses hymnes et chants bibliques presqueinnombrables, dont beaucoup figurent parmi les trésors littéraires du peuple danois, Grundtvig émetsouvent des idées entièrement catholiques, notamment sur l’Eglise et le Saint Esprit.

De nos jours, les élèves de Grundtvig d’un côté, et l’influence méthodiste de l’autre, sont des facteurs de première importance dans le protestantisme danois. Dans le service divin, on rencontre beaucoup de réminiscences des jours du catholicisme ; on voit le prêtre (toujours appelé de ce nom, jamais ministre ) devant l’autel, avec les anciens vêtements liturgiques, aube et chasuble (de couleur rouge ; dans quelques églises, le violet et le blanc sont aussi en usage). L’évêque, à l’Ordination, porte la cappa magna et chante parfois telle ancienne prière ou hymne latine, par exemple Veni Creator Spiritus. Sur l’autel, on voit deux cierges ou un plus grand nombre ; les expressions Messe et Chant du soir sont d’usage courant dans le peuple. Beaucoup d’églises et de salles paroissiales ont été construites ces années dernières ; le mouvement chrétien a été en grand progrès parmi la jeunesse.

Au cours des mêmes années, le rationalisme et le libéralisme ont largement pénétré, sous des influences étrangères ; même les élèves de Grundtvig, en dépit de leurs idées ecclésiastiques, en ont été puissamment infectés. Le protestantisme, ici comme partout, porte en lui-même le germe de sa propre destruction, et le grand processus de dissolution est en pleine activité. Néanmoins il faut reconnaître que l’Eglise luthérienne danoise a le vrai baptême catholique ; lorsqu’ils se convertissent au catholicisme ses fidèles ne sont jamais rebaptisés sub conditione, comme en d’autres pays où la dissolution est la plus avancée.

Bibliographie. — L. N. Helveg, Den danske Kirkes Historié, — Koch et Iloerdam, Fortællinger of fJanmarks Kirkehistorie, 1 5 1 ^- 1 848 (1889). — G. Joergensen, Den danske Kirkes Historié (i<)i’1).

— On trouvera dans les Nouvelles Religieuses. 1"" juin 192/I, p- 258-25cj, une statistique des Egli ses au Danemark ; 1 5 sept., p. 4a5, des données sur la situation du Catholicisme au Danemark. Niels Hanshn, M. A.

III. Norvège. — Quand la Réforme de 1536 fut introduite au Danemark, la Norvège était, depuis plus de 15y ans, une province danoise, et le roi de Danemark pouvait là, comme il avait fait en Danemark même, introduire la nouveauté luthérienne venue d’Allemagne ; il procéda même, sans doute, avec plus de brutalité que dans son royaume, où la population, au moins en quelques villes, ne se désintéressait pas de la Réforme. Donc la succession apostolique fut là aussi brisée, et aucun personnage de quelque importance ne s’en émut le moins du monde. Les habitants de la Norvège, au fond de leurs nombreuses vallées isolées, gardèrent longtemps une forte prédilection pour la vieille foi catholique. Beaucoup d’observances et de dénominations catholiques furent conservées aussi, afin de tromper le peuple sur le changement accompli, comme dans le Danemark, dont le développement ecclésiastique avait depuis plusieurs siècles mis son empreinte sur celui de la Norvège.

Il y a donc fort peu à dire de ce pays. En 1721, un courageux prédicateur norvégien, Jean Egeoe, avec femme et enfants, s’en alla porter l’Evangile au Groenland ; pendant quinze ans ilendura les souffrances et les fatigues du travail parmi lesEskimaux.

Plus tard, vers 1800, nous rencontrons le célèbre paysan Jean Niblsen Hauge, qui, avec beaucoup de zèle, prêcha à ses compatriotes sur le péché et la grâce. Les ministres de l’Eglise d’Etat le persécutèrent sans pitié ; il fut maintenu en prison durant dix ans ; là, on essaya des moyens les plus indignes pour le faire tomber, mais en vain. Ainsi en advint-il souvent dans ce pays et en d’autres, où la Réforme avait fait triompher la « liberté de conscience » !

Un grand changement se produisit en 18^5, par la loi des non- conformistes, qui accorda la liberté des cultes. L’Eglise catholique put dès lors commencer à agir sans entraves en Norvège (cependant la loi interdit encore le séjour aux jésuites et autres religieux). Elle y recruta plusieurs convertis. Toutefois, nienNorvège nienSuède, l’Eglise catholique n’a fait autant de progrès qu’au Danemark.

Au cours des trente dernières années, une lutte acharnée a sévi à l’intérieur du protestantisme norvégien, et toute la population s’y est passionnément associée. C’est que la théologie libérale d’Allemagne, après l’année 1890, a commencé à se répandre parmi les théologiens et ministres luthériens de Norvège. Elle se heurta à l’opposition énergique de l’ancien parti croyant ; de vastes meetings se tinrent en divers lieux. En 1906, un homme d’un libéralisme prononcé fut désigné pour la chaire de théologie à l’Université de Christiania. Immédiatement, le professeur orthodoxe Odland envoya sa démission ; les cercles fidèles établirent, au prix de grands sacrifices personnels, une faculté privée de théologie, où ce dernier professeur prit la tête de l’enseignement. L’argent et les étudiants affluèrent à la Faculté nouvelle ; en 191 1, le Gouvernement donna l’estampille légale au diplôme d’examen théologique. Ultérieurement, la faction libérale a regagné du terrain, surtout grâce à des compromis avec les milliers positifs (conservateurs). Ainsi un évêque positif en 1923 — après quelques vaines protestations — a consacré évêque un ministre libéral : les arguments d’Etat ont trop de force 1

Les Nouvelles Religieuses ont publié le I er novembre 192^, p. 496-9, la traduction française d’un article de M. Sigur Rosseland. pasteur protestant à 755

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756

Skien(S. O.de Christiania), sur La Norvège et le Catholicisme. — Voirdansle même recueil, i « r oct. 192^, p..’( $5, un souvenir du Neuvième Centenaire de Saint Olaf (ioa’1-1924).

Niels Hansbn, M. A.

IV. Islande. — En Islande, la Réforme (luthéranisme danois) fut introduite à force armée par le Danemark au milieu du x ie siècle.

Il y avait deux évcchés dans l’île : celui de Skàlholt dans le Sud et celui de Ilôlar dans le nord. Le dernier évêque de Skâlholt, Ogmunduk Palsson, fut pris par les Danois et conduit au Danemark où il mourut en prison en 10^2. — L’évêque de Hôlar, Jôn Auason, un homme remarquable, résista énergiquement aux envahisseurs. En 15/|S, le Pape Paul III lui écrivit une lettre d’encouragement. Il jura alors publiquement devant les fidèles de son diocèse qu’il combattrait jusqu’à la mort contre l’introduction de la nouvelle foi. Il réunit autour de lui une petite troupe armée de goo hommes, attaqua les Danois et parvint aies chasser de l’île. Peu après, ces derniers revinrent plus nombreux et la lutte se termina cette fois à leur avantage : ils firent l’évêque prisonnier et le décapitèrent, en 1550. Ce fut la un du catholicisme en Islande.

La succession apostolique fut rompue — et les vestiges de l’ancienne foi furent effacés autant que possible. On brûla de très grands trésors littéraires conservés surtout dans les bibliothèques des couvents, perle irréparable, que le peuple islandais n’a jamais pu pardonner aux réformateurs.

Le peuple conserva beaucoup de croyances et d’usages de l’ancienne foi, notamment prières et invocations aux anges et aux saints. Les rites de la messe catholique furent aussi conservés, ainsi que le titre d’évêque pour les successeurs protestants des évêques catholiques. Un des évêques protestants, Brynjôlfcr Svbinsson, homme fort remarquable par sa science, osa même ouvertement professer une grande dévotion à la Sainte Vierge. Il composa de nombreuses hymnes en latin, en son honneur. Ce recueil est conservé manuscrit dans la

« grande bibliothèque royale » de Copenhague.

La période protestante de l’Islande a été à tous points de vue un temps de décadence et de malheurs pour l’île — « une nuit de trois siècles », comme l’appellent les Islandais eux-mêmes.

Dans les vingtdernières années, l’opinion publique en Islande est devenue de plus en plus sympathique au catholicisme. On a même célébré, dans toute l’Ile, il y peu d’années, le dernier évêque catholique, Jôn Arason. comme martyr pour sa foi. L’évêque, le clergé protestant et les intellectuels de l’île prirent part à cette démonstration quasi-catholique. La position actuelle du protestantisme en Islande s’est fort affaiblie, surtout par l’effet des idées modernistesqui se sont de plus en plus introduites dans le clergé.

Au mois de juillet IQ23, sonEminence le cardinal VanRossum, préfet de la Propagande, visita l’Islande. Il fut reçu olliciellemenl par le gouvernement et le peuple, avec les plus grands honneurs et la plus grande sympathie. A son arrivée à Reykjavik, toute la capitale était pavoisée. Les autorités donnèrent à la douane l’ordre de ne pas visiter ses bagages. Le Cardinal fit au premier ministre une visite officielle, que ce dernier lui rendit dans l’après-midi du même jour. Le gouvernement l’invita à unh.inquet, auquel prirent part tous les personnages officiels de la capitale. — Le Souverain Pontife Pie XI envoya à cette occasion aux Islandais un calice d’or qui portail l’inscription suivante : « Filiis suis in Islandia Puis

.17 S. P. ». JON SvENSSON.

XIII. — EUROPE CENTRALE

I. Le Protestantisme hongrois.

II. Le Protestantisme dans la République Tchécoslovaque.

HI. La Réforme en Pologne.

I. Le Protestantisme hongrois. — I. Aperçu de l’histoire du protestantisme hongrois. — La Hongrie, confinant à l’Allemagne par l’est, connut de bonne heure l’hérésie excitée pat- Luther. La doctrine nouvelle y fut introduite et répandue soit par des jeunes gens qui avaient étudié dans les universités allemandes, soitpardes marehandsenrelationsd’affaires avec des Allemands, soit par la suite de Marie de Habsbourg, épouse du roi Louis II, roi de Hongrie. Le commerce hongrois — qui de nos jours est aux mains des Juifs, — était alors aux mains des Saxons, introduits au cours des siècles précédents par les rois hongrois en Hongrie, surtout en Transylvanie(à l’est du royaume ; hongr. Erdély, allem. Siebenbû et en Szepesség (au nord). Admis à titre de colons, ils ont pu, grâce à la bienveillance des Hongrois pour les nationalités étrangères, conserver jusqu’à nos jours leur langue et leur race. Le récent traité de Trianon a annexé à la Roumanie les Saxons de Transylvanie, à la Bohême ceux de Szepesség.

Le luthéranisme s’établit d’abord dans ces deux provinces de langue allemande ; aujourd’hui encore, les Saxons de Transylvanie (environ y5/ioo) et de Szepesség (environ 72/100) sont luthériens Leur nombre d’ailleurs (environ 220.000 pour la Transylvanie, 50.ooo pour le Szepesség) a depuis longtemps cessé de croître, ces familles étant attachées au système des deux enfants.

Les Hongrois Grent mauvais accueil à la Réforme. Cette antipathie avait, entre autres causes, des causes politiques. L’hérésie venait d’Allemagne, et les Hongrois furent toujours opposés aux Allemands, ennemis par excellence de leur race. Un proverbe dit : « Hongrois, défie toi de l’Allemand ! » Les troubles suscités en Allemagne par la Réforme luthérienne eurent pour la Hongrie un fâcheux contrecoup : notamment par l’impuissance où se trouva l’empereur d’Allemagne de lui prêter secours contre les Turcs. Aussi l’assemblée des nobles à Ràkos en 1525 édicta une loi sévère : on brûlerait les Luthériens. — La loi ne fut pas appliquée.

Peu d’années après Poriginede la Réforme, en 15a6. les Turcs infligèrent à la Hongrie la défaite de Mondes, la plus cruelle de son histoire millénaire — si l’on excepte la paix de Trianon. Toute la jeunesse tomba sur le champ de bataille ; avec elle, six évêqueset le roi Louis II, à peine âgé de 20 ans. Dès lors, rien n’arrêtait plus les Tores. Sur leur passage, ils détruisirent et brûlèrent tout, emmenèrent la population captive, s’emparèrent de la capitale Buda, qu’ils devaient tenir en leur pouvoir plus d’un siècle et demi qusqu’en’687), avec un tiers du royaume.

Après le désastre de Mohâcs, les Hongrois durent donner un successeur à Louis II, mort sans postérité. Mais ils se divisèrent en deux partis. L’un élut Ferdinand de Habsbourg, frère de l’empereur d’Allemagne, pours’assurer l’appui dece dernier contre les Turcs. L’autre ne put accepter un souverain allemand, qui d’ailleurs ne donnait aucun gage de cet appui, et se donna pour roi le seigneur le plus puissant et le plus riche du royaume, Jean Zapolya ou Szapolyai. Ainsi la Hongrie était-elle divisée en trois tronçons (l’un demeurant aux mains des Turcs).

Les deux rois, Ferdinand et Jean, étaient bons catholiques, mais jugeaient prudent de ménager les hérétiques, pour ne pas les rejeter dans les bras de leur compétiteur. Après quelques années, le règne de

Jean Zàpolya prit fin et Ferdinand demeura ^eul roi (depuis lors, lctiône de Hongrie fut toujours occupé par les Habsbourg). Mais en réalité, Le Nord et l’Ouest seulement lui obéissaient, le Sud restant au pouvoir des Turcs avec le cœur du royaume, y compris la capitale ; l’Est étant soumis aux princes de Transylvanie, vassaux plus ou moins dépendants des Habsbourg. Cet état de choses dura environ 150 ans.

On comprend que la Réforme trouvait là une ocoasion favorable pour s’implanter et pousser de profondes racines. Les sièges des éveques tués à Mi.hàes demeurèrent longtemps vacants ; nul ne s’occupait de former des pasteurs et de les envoyer au peuple. Le clergé catholique disparaissant par extinction, les préilieants hérétiques avaient toute facilité pour s’imposer aux populations ; d’autant que plusieurs parlaient la langue hongroise avec éloquence. En territoire turc, le pouvoir appuyait la propagande hérétique, les Turcs redoutant moins les protestants que les catholiques et trouvant avantage à diviser les chrétiens. Durant plus de 150 ans, sous la domination turque, la hiérarchie disparut totalement. Les évêques avaient transféré leur siège en pays soumis aux Habsbourg, et ce vaste territoire n’était cultivé que par quelques Pères franciscains. Aussi, encore aujourd’hui, les provinces d’ancienne domination turque sont-elles les plus protestantes. Dans le comté de Fejér, où environ 70/100 de la population est catholique, pendant les deux siècles qui suivirent la bataille de Mohàcs on ne trouve pas une cure catholique. Trois villes seules possèdent des résidences franciscaines.

Devant l’antipathie qu’inspirait aux Hongrois l’Allemagne et l’hérésie allemande, les Réformateurs exécutèrent un changement de front, prêchant non le luthéranisme, mais le calvinisme, qu’ils présentaient comme la religion française. La Hongrie n’eut jamais que sympathie pour la France 1.

C’est pourquoi aujourd’hui presque tous les protestants hongrois sont calvinistes. Les luthériens en général parlent allemand ou slovaque. Quant aux eulvini-tes hongrois, ils parlent avec orgueil de leur religion, qu’ils appellent la « religion hongroise ».

Au temps de la Réforme, en Hongrie comme dans presque toute l’Europe, le pouvoir royal n’était pas absolu, mais tempéré d’aristocratie. La noblesse se montrait violente et attachée à ses biens. Les seigneuis embrassèrent la Réforme et en furent les ardents propagateurs. Au cours des troubles qui suivirent le désastre de Mohàcs, ils occupèrent les terres et châteaux des éveques, et pour justifier cette usurpation, se déclarèrent adeptes de la foi nouvelle. Un riche seigneur — dont le roi Ferdinand lui-même était débiteur, ainsi qu’il ressort de son testament,

— Jean Pelhô de Gerse, dans son testament daté du 22 janvier 15hj, appelle ce temps « le temps du grand pillage ». En qualité de patrons des églises, les usurpateurchassèrent les pasteurs catholiques et installèrent à leur place des prédicants hérétiques.

La foule ignorante ne remarqua point tout d’abord le changementde religion ; d’autant queles réformés ne se hâtaient pas de rompre avec les usages et rites anciens. Un document établit que les calvinistes à Debreczen, leur ville principale, célébraientencorela messe en l’année i-Vi^. Avant la fin du xvi c siècle, presque toute la noblesse de Hongrie et avec elle

1. Au commencement du xviiie siècle, François II Ràkôczi, héros fie la lihi rté hongroise contre les Habsbourg, se rendit h Pari ». En 1870, le parlement hongrois protestait solennellement contre la si oiiation et I humiliation infligées : i 1° France pari Allemagne. Aujourd’hui le traité de Trianon nous blesse d’autant plus profondément que c’est blessure d’::.

une bonne parlie du peuple avait passé à l’hérésie.

Durant les dernières années du xvie siècle et la première moitié du xvn’, la réaction catholique s’affirma énergiqnement. Les trois astres de la Contre-Réforme hongroise sont : le roi Ferdinand II (T’^^T)" Pierre cardinal Pazmany, archevêque et primat du royaume ({la même année, 1 G3y), et le comte Nicolas Estkhiiazy, palatin de Hongrie (ritidor : nom du premier officier de la couronne). Il est notable que le cardinal l’àzinàny et le palatin Esterhâzy étaient des convertis, nés le premier de parents calvinistes, le second de parents luthériens.

Pâzmâny appartenait à la Compagnie de Jésus. Sa parole et ses écrits rendirent à l’Eglise d’éminents services. Personnellement, il ramena à la vraie foi environ trente familles nobles et des milliers de personnes du peuple. Le palatin Esterhâzy, dans ses immenses domaines (la famille Esterhâzy est encore une famille princière, et son chef possesseur d’une grande fortune), rétablit partout la foi catholique. Son exemple fut suivi par les autres seigneurs rentrés dans l’Eglise. Il expulsa les prédicants liéréliques . Souvent il recevait à sa table les seigneurs encore protestants, amenait l’entretien sur les questions débattues entre catholiques et protestants, et avec le concours decontroversistes jésuites, préparade nombreuses conversions. Après l’expulsion des Turcs, on introduisit des colons catholiques dans les terTes par eux reconquises. On s’explique ainsi que de nos jours, en Hongrie, la noblesse et le petit peuple sont plutôt catholiques ; la classe moyenne et agricole, héritière de l’ancienne noblesse terrienne, ainsi que les esprits cultivés, sont plutôt protestants. Les lettrés, poètes, hommes politiques, écrivains, appartiennent en grande majorité au protestantisme.

Les princes de Transylvaniementionnés ci-dessus, gouvernant la partie orientale du royaume, étaient calvinistes, et s’élevaient, parfois avec succès, contre les Habsbourg.opposés non seulement au protestantisme, mais au nationalisme hongrois. Par là, en même temps qu’ils consolidaient leur trône, ils acquéraient des droits à la nouvelle religion. Toutefois le dernier et le plus glorieux héros national François II Râkôczi, nommé ci-dessus, était catholique. Les protestants obtinrent pleine liberté religieuse en 1790. A cette date, l’Eglise grecque non unie, la secte calviniste (appelée en Hongrie simplement : Réforme), la secte luthérienne (appelée officiellement confession évangélique d’Augsbourg), et la secte unitarienne (antitrinitaire) furent adm ses en Hongrie sur le pied de religions reconnues. Erlin en 1848, toutes ces religions — auxquelles fut adjointe postérieurement la religion isiaélite — furent admises à l’égalité des droits. Depuis lors, le catholicisme n’est plus en Hongrie « religion d’Etat ». Une certaine prérogative lui demeurait encore, par le fait de la constante fidélité de la djnastie des Habsbourg à la religion catholique, et de la loi prescrivant le couronnement du roi par l’archevêque d’Esztergom dans un temple catholique, selon le rite de l’Eglise romaine. Maintenant, depuis la déchéance des Habsbourg provoquée par l’Entente, cela même appartient au passé. A l’heure présente, le chef de l’Etat, Nicolas Hortby et le président du conseil, comte Etienne Bethlen (originaire de Transylvanie), sont deux calvinistes.

II. Etat prisent. — Le territoire du royaume de Hongrie, au temps de son intégrité qusqu’à l’année 1918), comprenait 71 comtés, dont 8 formaient la Croatie et laSlavonie autonoue Son étendue étaitde 325-4>1 km.q., sa population en kjio de 20.888.457 an es, ainsi réparties quam à la langue ou à la rationalité : 759

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760

Hongrois 1 1 >. o50. ~>-~>

Allemands 2. 037.’|0.">

Slovaques 1.967. « 170

Roumains 2.949.03 ?

Croates 1.833. 162

Serbes 1. 106.471

Ruthènes 4 7 a - "’, s 7

Autres 469.255 (Polonais, Slovènes,

Bulgares, Bohémiens, Tsiganes, etc.)

Au point de vue religieux, on comptait :

Catholiques romains 12.913.647 p. 10061, 8

(dont pour le rite grec…. a.oa5.508) — (9.7)

Calvinistes 2.621.329 — l’2 ^’Luthériens 1.370.17a — 6, 4

Grecs non unis a. 987.163 — i, 34

Unitariens (antitrinitaires) 74.296 — o, 3

Israélites 93a. 458 — 41">

Religion inconnue ounulle 17.451 — 1, 0

Parmi les Hongrois, la proportion est, pour 100, de 62 catholiques (dont 3 de rite grec), 26 Calvinistes, 4 Luthériens, 7 Israélites, 0, 7 Unitaires.

Parmi les Allemands, 68 catholiques, i, 3 Calvinistes, 21 Luthériens, 10 Israélites.

Parmi les Slovaques, 75 catholiques, (4 de rite grec), o, 5 Calvinistes, 2.3 Luthériens.

Parmi les Roumains, 38 Grecs unis, 62 Grecs non unis.

Ruthènes, Grecs unis ; Croates, catholiques, Serbes, Grecs, non unis.

Par le traité de Trianon, la Hongrie a vu réduire son territoire à 92. 833 km. q. ; elle a donc perdu a32.578 km. q., soit 71, 5/100 de son étendus territoriale. De sa population, elle s’est vu enlever 13.279. 576 âmes — dont 3.320.792 Hongrois. Elle en a conservé 7.606.971 (en se référant au recensement de 1910), soit 36, 7/100.

Des 71 comtés, 10 seulement demeurent intacts.

Selon le recensement de 1920, la Hongrie mutilée compte aujourd’hui 7.980.173 habitants. Donc, depuis 1910, malgré la guerre, elle a gagné 373.172 âmes, soit 4, 9/100. Dans ce gain, il faut sans doute faire assez large la part des Hongrois immigrants, chassés par l’invasion desautres parties du royaume. Néanmoins la part principale est due à l’accroissement naturel de la population.

Sur l’ensemble de la population, 90/100 sont de langue hongroise, 6, 9/100 de langue allemande, 1, 8/100 de langue slave. Les autres nationalités n’atteignent pas chacune o, 5/ioo. La langue hongroise est comprise par 96, 8/100. La proportion des habitants, au-dessus de 6 ans, sachant lire et écrire, est de 84, 8/100.

Au point de vue confessionnel, on compte :

Catholiques romains… 5.27.1.976 soit 66, 1/100

— latins 5.o<)(’).’72(j — 63, 9

— grecs 175.247 — 2, 2

Calvinistes 1.670.144 — 21, 0

Luthériens 497.012 — 6, 2

Grecs non unis 50.990 — 0, 6

Israélites’17^.310 — 5, g

Autres 16.711 — 0, 2

Depuis 1910, le gain principal est (comme dans les dizaines d’années précédentes) pour les catholiques, dont les familles l’emportent par la fécondité. Ce fait a d’ailleurs pour corollaire la pauvreté relative des catholiques, moins nombreux dans la classe moyenne et cultivée. Entre 1910 et 1920, Leur nom bre s’est accru de 6, 7/100 pour lerite latin ; de6, i/ioo pour le rite grec. Celui des Luthériens s’est accru de 2, 5 ; celui des Calvinistes, de 2, 3 ; celui des Israélites de o, 4- Les Unitariens, originaires de Transylvanie, viennent en tête du mouvement de population, avec 22, 1/100 d’accroissement. Ce fait s’explique surtout par l’alllux d’immigrants transylvains, les adeptes de la secte étant presque tous Hongrois. Les sectes dissidentes ont aussi gagné beaucoup, soit 29, 8. Mais, eu égard à leur faible effectif, ce gais reste encore impondérable. Le nombre des Grecs nonunis a diminué de 17, 0/100, surtout du fait des émigrants serbes ou roumains. D’ailleurs leur accroissement était faible, dès avant 1910. Les Israélites, durant la période antérieure, se multipliaient avec une extrême rapidité ; maintenant il en va tout autrement : ce changement s’explique tant par la diminution de fécondité des familles, que par les nombreux baptêmes survenus après le mouvement communiste. Après 1910, toutes les confessions étaient en décroissance, sauf le catholicisme, dont le pourcentage s’éleva, en dix ans, de 62, 8 à (rite latin ; le pourcentage du rite grec est resté ce qu’il était : 2, 2).

Les Prolestants (calvinistes) habitent surtout à l’Est ; au delà de la Theiss, ils forment la majorité absolue.

La capitale Buda-Pest comptait, en 1920, 928.996 habitants, dont 83-. 858 Hongrois. Environ 60, 2/100 sont Catholiques romains (Latins, 59, 1 ; Grecs, 1, 1) ; 10, 9 Calvinistes ; 4>8 Luthériens ; o, 5 Grecs nonunis ; Unitariens, o, 3 ; Israélites, 23, 2 ; autres, 0, 1. La moitié des Juifs de Hongrie est usée dans la capitale.

Touchant la hiérarchie, le ministère sacré, le culte, dans la Hongrie mutilée, il n’existe pas encore de statistiques ollicielles ; les données suivantes, pour la période postérieure à 191 3, reposent sur des conjectures personnelles.

En 1913, la Hongrie possédait 4 archevêchés de rite latin, 1 de rite grec, 21 évêchés latins, 8 grecs. Il reste aujourd’hui 3 archevêchés, 10 évèchés de rite latin ; 1 évèché de rite grec. On comptait 3878 paroisses de rite latin, 2147derite grec (aujourd’hui, respectivement, 1500et 180) ; 6820 prêtres de rite latin, 2/1 19 de rite grec (aujourd’hui, respectivement, peut-être 2700 et 150). Il existait 14 congrégations d’hommes, 19 de femmes ; 235 monastères d’hommes, avec 2296 religieux ; 507 monastères de femmes, avec 7 176 religieuses (aujourd’hui 16 congrégationsd’homir. es, avec 150 monastères et r500 religieux ; 19 congrégations de femmes avec 3/ t o monastères et iooo religieuses).

La secte calviniste comptait 5 consistoires (aujourd’hui 4). avec 2069 paroisses (aujourd’hui 1300) et 2453 pasteurs (aujourd’hui 2000),

Les Luthériens avaient 908 paroisses, 1279 pas teurs (aujourd’hui peut-être 350 paroisses et450 pasteurs).

Il y avait 7706 écoles élémentairesinterconfessionnelles ; 5. 215 écoles catholiques derite latin, 1730 de rite grec ; 1822 écoles calvinistes, 1301 écoles luthériennes ; 14 18 écoles grecques non unies ; 32 unitariennes, 4Il israélites. (Aujourd’hui environ 1700 écoles interconfessionnelles, 3. 000 catholiques, 1300 calvinistes, 500 luthériennes, a.")o israélites).

Des écoles secondaires : interconfessionnelles, io5 ; catholiques romaines, 77 ; calvinistes, 31j luthériennes, 25 ; union protestante, 1 ; unitariennes, 2 ; grecques non-unies, 41 israélites,. 1 (aujourd’hui, catholiques, 35 ; calvinisl s, ’, ; luthériennes, 8).

La Hongrie a compté et compte encore (grâce au rapatriement des universités fondées dans les pays 761

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qui lui ont été arrachés), 4 universités, avec 600 professeurs et i i.ooo étudiants ; une école professionnelle, avec 90 professeurs et 3.2^7 étudiants. Autrefois, les Israélites formaient un tiers des auditoires ; les protestants aussi y figuraient pour un chiffre supérieur à celui qui eût répondu à leur nombre, eu égard à l’ensemble de la population. Depuis la loi dite du mimeras dansas (1919), les Israélites ne peuvent figurer dans les auditoires pour un chiffre supérieur à leur pourcentage (6/100). Les protestants ont conservé leur avantage proportionnel.

Entre 18g6etig13, l’Eglise catholique de rite latin avait gagne, par des conversions, ai. 807 fidèles — déduction faite de ceux qu’elle avait perdus par 1 apostasie. L’Eglise grecque unie en avait gagné a. 446. L’Eglise grecque en avait perdu 6.65g (déduction faite de ceux qu’elle a pu gagner) ; les Calvinistes ^), u’|3, les Luthériens’1.703, les Israélites 6. 199, ies Unitariens en avaient gagné 219, les Baptistes Les sectes dissidentes en avaient perdu 280. Los petites sectes protestantes (qui mènent aujourd’hui, avec l’argent venu d’Amérique, une propagande intense, surtout Baptistes, Nazaréens, Méthodistes) se recrutent dans les rangs du Calvinisme et du Luthéranisme, plus que dans ceux de l’Eglise catholique.

Les mariages mixtesen Hongrie sont très fréquents. En 1913, on en compta 24.068, soit une proportion de ia, 6/ 100. Durant le troisième tiers de l’année Ki » 3quillet-septembre), la proportion fut de 16, 6/100 pour les mariages catholiques, de 45.9 pour les calvinistes, de 08, 0 pour lesluthériens. Parmi les Israélites, elle fut de 13, 3.

Selon la loi, les Gis doivent suivre la religion du père, les iilles celle delà mère. Cependant la loi autorise les époux à conclure, avant le mariage, une convention assurant l’éducation de tous les enfants dans la religion soit du père, soit de la mère. En vertu de cette convention dite « réversive », tous les enfants doivent suivre la religion désignée, nonobstant l’opposition éventuelle du père ou de la mère. Le changement de religion avant, l’âge de 18 ans est interdit.

En nj13, sur 17.739 mariages mixtes de catholiques, 11.681 furent contractés sans la clause réversive. La clause réversive était à l’avantage de l’Eglise dans 3.708 cas, à l’avantage du calvinisme dans 1.710 cas, du luthéranismedans543, duschisme grec dans <j3, de l’Unitarianisme dans 9, du judaïsme dans 27, du baptisme dans 1. Entre 1896 et ig13, le nombre de clauses réversives présentait un excédent de 10. 883 au bénéfice du catholicisme, de 3.640 au détriment du calvinisme, de 4-’64 au détriment du luthéranisme ; de 2.271 au détriment du schisme grec, de a43 au détriment de l’unitarianisme, de 808 au détriment du judaïsme ; de 19 au détriment d’autres sectes. En somme, l’Eglise catholique est seule à bénéficier de cette clause, toutes les sectes y perdent.

Le mariage civil a été introduit en Hongrie en Il est obligatoire et doit précéder la célébration du mariage religieux. Les prêtres qui osent passer outre à cette loi sont passibles d’une forte amende ; aussi le cas ne se présente-t-il plus. Le divorce (ainsi que le suicide et le néomalthusianisme ) est beaucoup plus fréquent parmi les noncatholiques que parmi les catholiques. En nj13, la

proportion des divorces fut — pour les mariages

  • >7

catholiques, — entre Luthériens, —. entre Grecs non18 10

unis, — entre Juifs, — entre Calvinistes, - entre Uni-’1 11 <J

tariens. Dans le Comté de Bèkés, il existe deux villes contiguës, qui pour ainsi dire n’en fontqu’une, Endrod et Gyoma. La première est catholique (94, 7/100) ; la seconde non-catholique (82, 1/100). En 1920, à Endrod sur 13.8">0 habitants, 7 vivaient en divorce civil ; Gyoma, sur 11.942 habitants, g5.

Pour l’homicide, citons un exemple. Le Comté de Varasd, catholique entre tous (99/100), aujourd’hui annexé au royaume Yougoslave, présenta, entre 1900 et 1910, 93 cas d’homicide, pour 2y3.612 habiants qu’il comptait en 1910. Dans la ville de Turkeve, calviniste (90/100), il y eut, dans la même période, io3 cas d’homicide pour une population de 13.097 ûa " bilants.

En Hongrie, dans toutes les écoles primaires et secondaires, on enseigne le catéchisme à raison de deux heures par semaine. Les catéchistes des diverses confessions sont rétribués par l’Etat dans les écoles officielles. Tous les enfants doivent assister au catéchisme, même contre le gré des parents, et accomplir leurs devoirs religieux : par exemple, dans les écoles secondaires, la confession est de règle quatre fois par an : au début et à la fin de l’année scolaire, à Noël et en Carême. La municipalité de Budapest, exerçant le droit de patronat, construit et répare les églises et presbytères, sur les fonds municipaux. Aussi les curés sont-ils à la nomination du conseil municipal, où figurent beaucoup de Juifs. En 1919, les membres non-catholiques du Conseil abdiquèrent ce droit, mais le devoir de la ville à l’égard des églises et presbytères fut maintenu. 1

A. Pbzbnhoffer.

II. — Le Protestantisme dans la république tchécoslovaque. — I. Situation avant la Réforme.

— IL Néoutraquistes et Frères Bohémiens jusqu’à la bataille de la Montagne Blanche. — III. Contre-Réforme. — IV. De l’acte de Tolérance jusqu’à la fondation de la TSR (république tchécoslovaque). — V. Le présent. — VI. l’Eglise tchécoslovaque. — VII. Statistique.

I. Situation avant la Réforme. — A la couronne de Bohème appartenaient, depuis Charles IV, la Bohême, la Moravie, la.Silésie et la Lusace. Trois partis religieux vivaient sur le territoire au commencement du xvi* siècle : Catholiques, Utraquistes, frères Bohémiens.

1. Catholiques. — La Silésie et la Lusace, de population polonaise, allemande et wende, étaient restées indemnes de Hussitisme ; mais en Bohême et en Moravie, les catholiques formaient la minorité, à laquelle appartenait aussi la population allemande des villes fortement germanisées. La vie religieuse avait subi le contrecoup des guerres ; on souffrait du manque de clergé ; la chaire archiépiscopale de Prague, disputée par les Catholiques et les Utraquistes, demeura vacante de 1421 à 1561, et confiée par intérim à des administrateurs qui, en général, n’étaient pas même évêques ; l’université de Prague était aux mains des Utraquistes.

2. Utraquistes (partisans irréductibles de la communion sous les deux espèces). — Une iutte d’un siècle avec Borne avait miné, dans le clergé et dans le peuple, l’amour de l’Eglise et la foi. Les Taborites radicaux étaient anéantis depuis 1434 f

1. Un article des Nourelles Religieuses, 15 juin 1924, p. JT7-279, appuyé sur Ips statistique ! de M. l’abbé PezenliofTer, permettra de comparer plus complètement la situation du catholicisme et des différents sectes en Hongrie (N.D.L.D.) 763

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mais les Utraquistes, même modérés, demeuraient irréconciliables avec l’Eglise. Les clercs utraquistes trouvaient difficilement un évêque pour les ordonner ; le consistoire (utraquisle) avait peine à maintenir dans son clergé la discipline ecclésiastique ; l’université de Prague cultivait la tradition bussite. 3. Frères Bohémiens. — La secte prit naissance vers i'|3'i, recrutée surtout parmi les débris du parti taborite, sous l’influence indéniable des Vaudois qui, au xive siècle, avaient pris pied en Bobême. Son premier écrivain fut Pierre Chelcicky ("T '454X I' proscrivit le service militaire et la force armée, et, d’accord avec les Taborites, rejeta le Purgatoire, les Indulgences et la Messe. Sa doctrine eucharistique tenait à peu près le milieu entre les futurs enseignements de Luther et de Calvin. Les frères Bohémiens, tenant le serment pour illicite, ne pouvaient exercer aucune fonction publique. Cependant le vrai fondateur de la Jednola Bratrskd (Union fraternelle) fut un certain Grégoire, neveu de Rokycana (prononcez Rokytsana), chef du mouvement antiromain parmi les Utraquistes. Les écrits de Chelcicky et les prédications de Kokycana convainquirent Grégoire de la nécessité de rompre avec l’Eglise corrompue. A Kunvald près Litice (N. O. de la Bohême), il fonda en 1 45^-58 une ligue de fraternités qui, en 1467, se sépara des Utraquistes et se donna une constitution indépendante (synode de Lhotku). Les premiers chefs reçurent l’ordination sacerdotale d’un prêtre vaudois ; l’un d’eux, Matthias de Kunvald, fut consacré évêque par l'évêque vaudois Etienne. Dans la littérature contemporaine, les Frères s’appellent communément Pickards (corruption de Beghards) ou Vaudois. Ne reconnaissant pas les sacrements conférés aux enfants par les prêtres « pécheurs », ils rebaptisaient ceux qui venaient à eux. Jusqu'à la mort de Grégoire (1/173), l’enseignement de Chelcicky régna dans la Jednota. Selon les conventions de Bàle, qui avaient force de loi, il n’y avait dans le royaume que deux confessions reconnues, les Catholiques et les Utraquistes. AussileroiGeorgesde Podebrady procéda-t-il énergiquement contre la secte. Cependant, après 1471, elle connut une longue période de paix et se répandit assez vite. Au commencement du xvi' siècle, elle comptait de 300 à lOo communautés. Dès lors, elle ne pouvait plus décliner tous les emplois publics et condamner la « puissance du monde ». Les synodes de 14'J0 et 1 494 autorisèrent l’acceptation des fonctions publiques et la guerre défensive pour une juste cause. Là-dessus, un petit parti intransigeant (mensi strdnka) lit schisme, sous un certain Amos. Mais le parti d’Araos ne survécut que cinquante ans. Cependant la majorité se séparait de plus en plus de Chelcicky et revenait à Hus. Au commencement de la Réforme, la personnalité la plus influente chez les Frères était celle de l'évêque de Mlada Boleslav, Luc de Prague (f 1528). En 1508, sous le roi Vladislas, la proscription des « Pickards » fut renouvelée et même inscrite dans le Code. Dès lors jusqu'à la Lettre de Majesté (1609), ils se virent hors la loi. Cependant ils comptaient dans l’Etat de puissants protecteurs. La persécution (1508-if>iG) amena seulement à ses débuts quelques arrestations et, par exception, des sentences capitales.

H. — Néoutraquisme et Frères Bohémiens jusqu'àla bataille de la Montagne Manche. — La nouvelle de l’entrée en scène de Luther arriva vite aux conlins de la Bohême. Le clergé utraquiste, ennemi de Rome, l’accueillit avec joie. Dès l5lQ, un message fut envoyé de Prague à Luther, pour attirer son attention sur les écrits de Hus, et Luther s’empressa de se déclarer « bon Hussite ». Mais la Réforme se

répandit aussi parmi les catholiques, surtout de race allemande. Ils commencèrent à communier sous les deux espèces. De grossières offenses au rite et au clergé catholiques furent à l’ordre du jour. En 15a4, les Néoutraquistes, c’est-à-dire les Protestants, se sentirent assez forts pour accueillir dans la Réforme le parti utraquiste en bloc. Les miliciens Utraquistes, hostiles à la Réforme, se rapprochèrent dès lors des catholiques. Comme la direction du consistoire utraquiste de Prague échappait de plus en plus aux réformateurs, malgré des nominations luthériennes faites d’autorité (15a4, Cahera ; 1542, Mystopol), ils se préoccupèrent d’obtenir une constitution ecclésiastique autonome. Ferdinand I ne la leur accorda point ; mais on ne put empêcher la noblesse et les villes de continuer à chasser les prêtres fidèles et à les remplacer par des prédicants luthériens La guerre de Smalkalde(1547) ayant mis Ferdinand I et Maurice de Saxe en mauvaise posture, les chefs protestants en profitèrent pour une conjuration. Une armée fut réunie pour arracher au roi la liberté religieuse, la ratification du pillage des églises et des bénéfices, le droit de libre confédération pour la défense d’intérêts particularistes. La bataille de Muhlheim mit vite lin à la conjuration. Cependant 1 effort de Ferdinand pour ramener les Utraquistes aux conventions de Bàle échoua en Bohême comme en Moravie (1540, -50). Après la paix d’Augsbourg(1555), les Luthériens furent maîtres du con- sistoire utraquiste. Mais la réforme religieuse chez les catholiques avait commencé. En 1556, Ferdinand introduisait les Jésuites en Bohême. En 156i, l’archevêché catholique de Prague fut rétabli.

Sous Maximilien II (1 564-76), la situation s’améliora aussitôt pour les Protestants. En 1667, les Conventions de Bàle furent déclarées abolies, ce qui permit aux Luthériens de se séparer des anciens Utraquistes et de fonder une Eglise autonome. En 1070 ils obtinrent encore, contre la promesse de laisser en paix les catholiques, une promesse orale du roi, garantissant la tolérance pour les adeptes de la Confession de Bohême, à laquelle allaient se rallier les Frères Bohémiens.

Les Frères Bohémiens avaient témoigné, dès l’origine, s’intéressera la Réforme allemande. Mais Luc de Prague maintint l’indépendance de la Jednota. En dehors des divergences doctrinales, il voyait avec déplaisir l’absence de toute discipline ecclésiastique chez les Luthériens d’Allemagne. Pourtant, sous l'évêque Jean Augusta ({ 1372), l’influence de Luther sur l’enseignement et la constitution de l’Eglise apparut de plus en plus nette. On renonça à la rebaptisation des convertis et au célibat des prêtres. Des relations furent nouées aussi avec Calvin, dont la doctrine et la pratique trouvaient parmi les Frères bien plus de sympathie que celles de Luther. Lors de l’insurrection contre Ferdinand I en iô47, c'étaient des nobles, membres de la Jednota, qui avaient propagé le mouvement parmi la noblesse. Ils furent rigoureusement châtiés. Augusta subit la torture, et une captivité de seize ans ; les Frères furent bannis des possessions de la Couronne. Beaucoup émigrèrent en Pologne et en Prusse ( 1 548). Jean Blahoslav(~- 1571), successeur d’Augusta, inclina davantage vers le calvinisme et travailla avec zèle à procurer l’autonomie de l’organisation des Frères. Aussi les Frères se gardèrent-ils, même en 1775, d’adhérer à la Confession de Bohème, malgré les efforts de cette confession pour tenir le milieu entre la Confession d’Angsbourg <-t celle des Frères, et bien qu’il en coûtât à la Jednola la perte de la tolérance officielle. Cependant on la laissa pratiquement en paix. Des cercles de la Jednota, est issue 705

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une assez riche littérature religieuse et apologétique. Eu i>'/i| 93, parut la version de la Bible îles Frères (Bible Kraliekd), qui. pour le développement de la Langue (choque, a un sens comparable à celui île la Bible île Luther pour la langue allemande.

Le roi Rodolphe (1Ô76-161 1) ne changea rien au stalu ijuo. Les catholiques, qui pouvaient former encore un cinquième de la population, se fortifiai* ni à vue d’oeil, intérieurement et extérieurement. Chez les Néoutraquistes (près des trois quarts de la population), en dépit de la tolérance on put observer un déclin manifeste. Les prédieants importèrent d’Allemagne les divisions religieuses des protestants allemands. Faute de sentir au-dessus d’eux aucune autorité, ils étaient sans discipline, sans formation, sans influence morale. Les pasteurs se faisaient les scr iteurs des patrons, qui retenaient pour eux-mêmes les biens d’Eglise et fondations, nommaient et déposaient à leur gré les prédieants. L’émoi l’ut grand chez les protestants quand Rodolphe, en 1O02, publia contre les « Pickards » un édit, dont les termes pouvaient aisément être tournés contre les Luthériens (restitution des églises, etc.). Les seigneurs formèrent une nouvelle ligue, et comme Rodolphe était embarrassé par son eonllit avec son frère Matthias, ils réussirent à lui extorquer la « lettre de Majesté » (1609) : les adeptes de la Confession de Bohème, à laquelle se rallièrent encore ies Frères conduits par YVenceslas Budovec de Budov, obtinrent la liberté religieuse. Les Protestants tinrent un consistoire à part, où les Frères eux-mêmes furent représentés. Mais ceux-ci maintinrent au sein du protestantisme leur organisation propre et reconnue. L’Université fut adjugée aux Prolestants. Quinze défenseurs furent désignés pour veiller à l’exécution de la loi. Des violences contre les catholiques suivirent le triomphe des protestants : à Prague, des églises et des cloîtres furent livrés au vandalisme et détruits, des prêtres massacrés (dont i ! franciscains en 1611).

Les conflits s’aggravèrent sous le roi Matthias (1611-29), à l’occasion de l’interprétation de l’acte d’union (porovnanï) annexé à la lettre de Majesté. Chaque parti devait avoir le droitde bàtirdes églises sur les terres seigneuriales et dans les villes royales. Les Protestants prétendirent en conclure qu’ils pouvaient construire des temples même sur les terres d’Eglise, celles-ci étant propriété du roi. Là-dessus, l’abbé bénédictin de Broumov (Braunau) dans la ville de Broumov, et l’archevêque de Prague dans sa ville de Uroby (Klostergrab), firent opposition aux constructions protestantes. Les protestants recoururent au roi, qui donna gain de cause aux possesseurs catholiques. De là naquit l’insurrection protestante de il’) 1 s, origine de la guerre de trente ans. Le roi fut déclaré déchu, et un calviniste, Frédéric von der Pfa’z, élu à sa place. Aussitôt éclate une persécution contre les catholiques, les jésuites sont expulsés, avec eux les chefs du mouvement catholique. La Moravie et la Silésie adhérèrent à la conjuration (martyredu B. Jean Sarkander à Olmutz, 1620). Pour le couronnement de Frédéric, l’église de saint Guy à Prague l’ut, par une barbare destruction d’images, r -diiie à la « simplicité » calviniste. Le8 novembre 1620. le règne du « roi d’hiver » et l’insurrection de Bohème trouvèrent une fin sanglante à la bataille de la Montagne Blanche (Bila llora). Le protestantisme était frappé à mort ; les chefs de la conjuration furent exécutes (à titre de rebelles, non à titre de protestants), la noblesse coupable et les villes furenl frappées d’amendes, d’une confiscation d’une partie île leurs bien*, et de restriction de leurs libertés anciennes.

III. Réforme catholique, jusqu’à Védil de tolérance. — La Lusace fut, eu 16a3, séparée delà couronne de Bohême et entièrement protestanlisée par les Saxons. Mais en Bohème, en Moravie, en Silésie, la contre-Réforme catholique débuta en 162^. Les prédieants évangéliques furent expulsés du pays, les églises rendues aux catholiques, l’université de Prague et l’inspection des écoles dans tout le paya contiées aux Jésuites. Par une application du principe mis en avant parla Réforme protestante : cuius regio. illius religio ( 1 555), les possesseurs des terres furent mis en demeure de revenir à la foi catholique ou de s’exiler. L’exécution n’alla pas partout sans peine. Environ 158 nobles, et en tout 36. 000 familles vendirent leurs propriétés et partirent. Au nombre des partants se trouva le célèbre écrivain des Frères, Jean Amos Komensky 15g2-16^3), évêque de l’Union (Jednota). Les propriétés confisquées et abandonnées passèrent souvent à des mains étrangères, surtout allemandes. Aussi les Tchèques considèrent-ils la bataille de la Montagne Blanche comme un désastre national, d’autant que les catholiques demeurés sur place, la noblesse en particulier, perdirent de plus en plus le sentiment national. Cependant il est à remarquer que dès avant 1620 la noblesse subissait de plus en plus l’emprise allemande ; l’introduction massive de prédieants protestants dans le pays ne put que la fortifier. Le vrai sentiment national semble ne s’être conservé que dans la Jednota Bratrska. Mais cette « Union fraternelle » reformait qu’une partie inlime de la population. Frédéric von der Pfalz, qui, au dépit de la noblesse locale, s’était entouré de purs Allemands, n’était sûrement pas plus qualifié pour le maintien du caractère national de la Bohême que les Habsbourg. C’est bien plutôt le déclin de l’Eglise comme telle, cette source fatale de luttes et de dévastations séculaires jusqu’au terrible dénouement de la Montagne Blanche, que le peuple tchèque doit tenir pour la cause profonde de la perte de sa liberté et de son antique splendeur.

Il faut encore observer que la conversion du peuple à la foi catholique ne fut pas principalement une œuvre de violence, mais avant tout l’œuvre de l’abnégation et du zèle éclairé des évêques.du clergé, notamment desjésuites. Celteactivitéavait d’ailleurs commencé bien avant 1620 ; mais à partir de cette date, elle put s’exercer librement. La conversion fut intime et profonde.

En Silésie et en Slovaquie, les Protestants réussirent mieux. En Silésie, ils furent soutenus par les ducs (Liegnitz, Brieg, Wohlau), ou tolérés (Teschen ) ; plus tard, CharlesXII de Suède, lors de la Convention d’Altranstædt (1707) obtint pour eux de Joseph 1 la liberté religieuse. D’ailleurs, en 1742, la plus grande part échut à laPrusse. Néanmoins, des blocs importants furent conservés au catholicisme.

La Slovaquie appartenait politiquement à la Hongrie, où les Protestants obtinrent la liberté en 1606. Elle avait échappé au Hussitisme ; mais le Luthéranisme s’implanta fortement parmi la noblesse et dans les villes, tandis que l’élément magyar inclinait au Calvinisme. La Réforme catholique n’y obtint jamais plein succès.

Sur les terres proprement tchèques, le Protestantisme ne survécut qu’à l’état occulte, là où le ministère des âmes s’exerçait insuffisamment, dans des villages reculés de la Bohêmeseptentrionale et de la Valachie. Il était alimenté par les réserves de littérature protestante transmises en héritage dans les familles, par des retours accidentels d’émigrés, par les émissaires du roi de Prusse qui, dans la conservation de l’esprit protestant parmi les populations 767

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voisines de sa frontière, poursuivait un dessein politique contre les Habsbourg. Le manque de prédicateurs instruits amena un développement prodigieux de la superstition, qui éclata au grand jour dans les sectes des Abraliamites (Israélites), ou Adamites, et des Marocains.

IV. Après Ledit de tolérance, jusqu’à la fondalion de la République Tchécoslovaque. — Le 17 octobre 1 -81, Joseph II publia l’Acte de tolérance, accordant la liberté religieuse à tous les sujetsde la Confession d’Augsbourg et de la Confession Helvétique. Les restes de l’ancien protestantisme sortirent alors de l’ombre. Les Allemands se réclamaient en général de la Confession luthérienne ; les Tchèques, pour la plupart provenant des communautés de Frères, s’attachèrent, après quelques hésitations, à la confession helvétique, qui répondait mieux à leur tradition.

La religion catholique demeura toujours religion d’Etat. Les Protestants étaient tolérés ; leurs églises ne pouvaient avoir ni tours ni cloches, les registres étaient tenus par les prêtres catholiques.

La révolution politique de 1848 amena là aussi un changement. Par la loi du 4 mars 1849 et la « patente » impériale du 8 avril 1861, les Protestants obtinrent pleine autonomie et égalité de droits.

A la tête des deux Confessions protestantes, se trouvaient les deux Conseils ecclésiastiques évangéliques nommés par le gouvernement à Vienne, puis le Comité synodal et les Synodes généraux, dont les résolutions devaient être ratifiées par l’empereur, comme chef suprême territorial de l’Eglise.

En 1871, les membres de la Confession Helvétique en Bohème et en Moravie cherchèrent à fonder une Eglise autonome bohémo-morave. Cependant la résolution synodale ne fut point ratiliée. Les Luthériens réglaient leur foi sur la Confession d’Augsbourg, les Calvinistes sur la seconde Confession helvétique (de 1066), et sur le Catéchisme d’Heidelberg, de 1 563. De nouveaux efforts des deux Confessions vers l’union se produisirent, en connexion avec la pénétration des idées libérales venues d’Allemagne. Cependant la majorité tenait pour les Confessions de foi séparées et pour l’Orthodoxie protestante.

En 18(j9 qusque vers 1910), se développa parmi les Allemands d’Autriche le mouvement dit Los von Rom. Un des centres principaux du mouvement était le pays Sudète. Cependant la population slave ne se laissa guère entamer, parce que les meneurs ne poursuivaient pas seulement la séparation de Rome, mais encore le rattachement aux Hohenzollern.Leseptième Synode général autrichien de la Confession helvétique, où les Tchèques disposèrent constamment d’une majorité écrasante, mit expressément en garde contre le caractère politique de ce mouvement. Néanmoins, même dans le peuple tchèque, un mouvement Los von Rom se dessinait, qui devait prendre des formes encore bien plus sérieuses ; et là encordes mots d’ordre avec lesquels on provoqua des apostasies furent principalement les mots d’ordre du nationalisme politique. Cependant les passions qui aboutirent à la fondation d’une Eglise tchécoslovaque, ne devaient faire explosion qu’en 1918. Ce fut un malheur, pour la nation tchèque, de perdre son indépendance en pleine crise religieuse et de voir la transformation successive du libre Etat de Bohème en trois provinces autrichiennes coïncider avec la contre-réforme catholique ; peut être aussi faut-il déplorer que le restaurateur du sentiment national, qui rapprit aux Tchèques à connaître et à aimer leur passé, le père de la patrie — ote r vlasti —. François Palacky, fut un protestant. Son Histoire, lu peuple tchèque, en dépit de sa (idéliléaux sources et

de ses prétentions à l’objectivité, allait conclure à la glorilication du mouvement hussite : le réveil de la nation contre la menace du germanisme envahisseur, commence avec Hus ; la liberté succombe à l’écroulement de l’utraquisme protestantisé. Cette pensée a peu à peu passé à l’état de dogme dans l’hisloriographie tchèque ; les professeurs libéraux à l’Université, le personnel libre-penseur de l’enseignement secondaire et l’école élémentaire elle-même l’ont imprimée dans l’intelligence du peuple : la période hussite fut la période héroïque du peuple tchèque, elle brisa jadis la prépondérance de l’Allemagne, elle créa la littérature et la langue nationale ; les désastres des luttes religieuses auraient pu être évités si l’Eglise avait négligé de défendre ses droits — si elle s’était montrée tolérante. La germanisation de la noblesse et des villes, depuis la Montagne Blanche, est un fruit du Catholicisme. — En vain les apologistes catholiques ont signalé la fausseté de ces déductions, et particulièrement fait ressortir que ce fut la lutte contre l’Eglise qui introduisit dans la nation la scission qui la paralyse ; que les soulèvements protestants eurent pour effet de pousser les Habsbourg, de Prague, où Rodolphe résidait encore, dans l’allemande Vienne ; que les tendances germanisantes dataient du temps de Joseph II, que précisément aux heures les plus sombres, le clergé catholique fut le porteur de la pensée nationale. Le culte de Jean Hus n’a point laissé de se répandre, en Bohême surtout, comme le culte d’un héros national, et du même coup une certaine aigreur contre l’Eglise, accusée parfois, même chez les catholiques, d’hostilité à l’égard de la nation. Par là s’explique en partie l’attrait des mots d’ordre nationaux à l’heure de la chute vers « l’Eglise tchécoslovaque », et aussi le fait que, lors de cette chute, les Protestants recueillirent quelques épaves.

V. Le présent. — Le 18 octobre 1918, prit naissance la République Tchécoslovaque. Un prodigieux enthousiasme national s’empara des âmes. Sous son influence, fut réalisée la fusion nationale des deux principales confessions protestantes parmi les Tchèques.

i° Une assemblée ecclésiastique générale, réunie extraordinairementà Prague, décida dès 1918 la réunion des deux glises évangéliques, et donna au nouveau corps ecclésiastique le nom de Ceskohratrskd cirkev evangelickd : Eglise fraternelle évangélique tchèque. La résolution synodale déclare expressément que cette réunion signifie un retour aux traditions de la Réforme hussite, de l’Eglise utraquiste et de la Jede nota hratrskd. Elle désigne, comme fondements de la nouvelle Eglise : l’Evangile, la Confession de Bohème de l’année b~h, la lettre de Majesté de 1609, et la dernière Confession de foi de l’Eglise fraternelle tchèque, la Confession de 1662. Au synode général du 21 février 192 1, la nouvelle Eglise fut dotée d’une Constitution définitive, dite presbytérosynodale.

La formation cléricale ressortit à la faculté théologique Hus, fondée récemment et annexée à l’Université de Prague. En 1923, l’Eglise comptait 12 séniorats (8en Bohême, 4 en Moravie-Silésie), avec 136 pasteurs, 25 filiales, 190 centres de prédication. Etaient affectés au ministère des âmes : ia3 pasteurs, 7 vicaires, G prédicateurs et diacres. — Le nombre des entrées, pour 1922, s’élevait à 7527 venant de l’Eglise catholique, 2799 ne venant d’aucune confession, 28C) de l’Eglise tchécoslovaque, 10 de la Jednota tchécohratrskd, 7 de la Jednota hratrskd. Nombre des sorties pour la mèmeannée 1922 : / » a /J n’allant à aucune confession, 55g à l’Eglise catholique, 11 à la Jednota tchécohratrskd, 11 à l’Eglise tchécoslovaque, Il aux Baptistes, 7 aux Adventistcs. Les périodiques sont : 769

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Kalich (Revue scientillque, trimestrielle) ; Uns : Kostnické Jiskrt ( « Etincelles de Constance », hebdomadaire ) ; /Ittstiv Oilkuz (Testament d’Hus, mensuel) ; etc. — Principales associations : Kostniekd Jednola (Education populaire, Littérature, Conférences) ; Jeronymovà Jednota (succédant à la Société Gustave Adolphe), recueille des fonds pour le ministère des âmes.

2" Les Protestants Slovaques s’en tiennent à leur Confession d’Augsbourg. Rattachés, jusqu’à la révolution de [g18, aux Eglisea évangéliques de Hongrie, ils sont maintenant autonomes. Leur constitution est également dénommée presbytérosynodale L’Eglise comprend deux diocèses, chacun ayant à sa tête un évêque ; elle compte 17 séniorats avec 3Il communauté- : . La proportion des éléments y est la suivante : slovaque S- » ; allemand 10 ; magyar 3. L’académie slovaque de thcologie, à Presbourg, doit être incessamrænt transformée en faculté d’Etat.

3° L’Eglise réformée en Slovaquie est douée d’une organisation tout à fait indépendante, et presque exclusivement magyare. Elle aussi compte deux diocèses.

Les Protestants slovaques considèrent l’Eglise fraternelle évangélique tchèque comme une Eglise 1 nouvelle », avec laquelle ils ne veulentavoir aucune communauté de chaire ni d’autel. Cependant il y a tels luthériens slovaques qui, pour des raisons nationales, tiennent une confédération avec l’Eglise fraternelle pour possible et désirable. Mais ils restent jusqu’ici en minorité,

Outre les susdites Eglises protestantes, il y a, dans la République tchécoslovaque, encore les groupements suivants, tout à fait indépendants :

4° Eglise évangélique allemande, en Bohème, Moravie, Silésie (6 cercles ecclésiastiques, dont 4 en Bohême, 1 en Moravie, 1 en Silésie ; 76 communautés,

! 10.000 âmes).

5° L’Eglise évangélique d’Augsbourg, en Silésie orientale, 6 communautés polonaises.

0° L’Eglise réformée de la Confession Helvétique, en Bohème, Moravie. Silésie.

7 L’Union fraternelle tchèque (Jednota ceskobratrskd). C’est la Y.M.C.A.

8° La Fraternité baptiste.

90 Enûn diverses sectes : Ochranovsti, Méthodistes, etc.

VI — Une mention spéciale est due encore à l’Eglise tchécoslovaque, née en 1920-21, et qui, proprement schismatique, paraît évoluer vers une communauté de libres-penseurs protestants.

Les causes de sa naissance furent : 1) Le nationalisme et la pénétration — signalée plus haut — du monde intellectuel tchèque par les liers souvenirs de la période hussite, tandis que le catholicisme apparaissait comme un instrument des Habsbourg ; 2) La diffusion de la libre pensée dans les plus vastes milieux intellectuels (Université, écoles normales, ’Sokol, sociétés de presse). Grande fut, entre autres, l’influence personnelle de Fr. Masaryk, qui affirme toujours la nécessité d’une religion, mais ne connaît le christianisme positif que pour le critiquer, sans rien mettre à la place ; 3) Dans les couches inférieures de la population, le travail dissolvant de la démocratie sociale ; 4) Dans le clergé, à qui souvent l’esprit de libre examen fut inoculé dès le gymnase, le progrès des idées modernistes et ré formi -te. Kenucoupide promotions épiscopales (archevêque Kohn à Olmutz) ont exercé une influence délétère sur la discipline : on s’occupa surtout de démoraliser l’Eglise. Même de bons prêtres souhaitaient une part plus grande faite à la langue vulgaire la liturgie — sans parler de l’atténuation de la

Tome IV.

loi du célibat. — De tels appels à la réforme retentirent maintes foisdansla/ « a « o<a Katoliekého duchovenstva — Union du clergé catholique, — fondée en 190a ; quand cette union, à cause de ses usurpations de compétence, fut supprimée par les évoques, les cris s’élevèrent d’autant plus haut dans le journal Prdvo Nâroda.

L’année 1 y 1 8 amena pour les catholiques une vive surexcitation Les archevêques de Prague (Huyn) et d’Olmutz (Skrbensky) durent, comme Allemands et amis « les Habsbourg, quitter le pays. Le nouveau gouvernement décréta la séparation de l’Eglise et de l’Etal. Aussitôt reparut la Jednota du clergé. Zahrtulnih-fïrodsky formula ses requêtes : érection d’un patriarcat pour la république, participation du clergé au choix des évêques, suppression du droit de patronat, réforme des études ttiéologiques selon les besoins modernes, emploi de la langue vulgaire pour le service divin, liberté du célibat, démocratisation des consistoires, séparation de la politique et de la religion (de l’Etat et de l’Eglise).

— Rome et les évêques ne pouvaient agréer un si vaste programme. Dans l’attente d’un refus et pour exercer une pression sur l’autorité ecclésiastique, quelques-uns des membres radicaux du clergé inaugurèrent la propagande par le fait, sur les points les plus brûlants : ils commencèrent par célébrer la messe en langue, vulgaire et par se marier. La gran.de majorité du clergé obtempéra aux injonctions épiscopales, d’ailleurs la Jednota fut supprimée en 1920 et démembrée en associations diocésaines. Mais les radicaux, sous la conduite de Farsky, passèrent outre. Le 8 janvier 1920, fut décidée à Prague la fondation d’une Eglise tchécoslovaque autonome ; la nouvelle en fut communiquée au peuple le Il janvier. Dans plusieurs paroisses, les églises et presbytères furent soustraits aux catholiques par la force ; le gouvernement accueillait avec faveur le mouvement. Comme fondements de la doctrine, on désigna (1921)les sept premiers Conciles, le Symbole de Nicée, les traditions des apôtres slaves Cyrille et Méthode, avec celles de Jean Hus. Eu matière dogmatique, on proclamait : la liberté des sciences et de leurs méthodes, la reconnaissance de la loi de l’évolution, appliquée à la pensée religieuse et à la donnéechrétienne (modernisme). On organisait 3 diocèses, (depuis, 4). avec 126 communautés. L’Eglise est régie par un conseil d’anciens, sous la présidence du patriarche, le diocèse par un conseil diocésain sous la présidence de l’évêque. Le conseil des anciens et le conseil diocésain sont élus par les ûdèles adultes, dans les rangs du clergé et des laïques. La suprême juridiction, dans toutes les affaires ecclésiastiques, est l’assemblée de l’Eglise. Pour obtenir la consécration épiscopale, on recourut à la Serbie. Les Serbes demandèrent certaines garanties, et dès lors on s’appela non seulement catholique, mais « orthodoxe >>.

L’évêque Dosithëe de Nisch (Serbie) s’attribua un certain rôle d’inspection sur la nouvelle Eglise, et Mathias Gorazd Pavlik fut consacré évoque à Belgrade (a5 sept. 1921). Les Serbes ne tardèrent pas à revenir de leur illusion. En 1922, le chef de l’aile radicale de la nouvelle Eglise, administrateur diocésain de la Bohême occidentale, Dr Karl Farsky, publia le nouveau catéchisme. Alors apparut, à la stupeur de beaucoup des premiers adhérents, surtout des évêques Dosilhée et Gorazd, combien profondément on avait glissé, depuis trois ans, sur la pente. Le catéchisme définit Dieu « la loi vivante du monde ». — Jésus est un pur homme. —

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s’unira Dieu. L’inspiration divine de l’homme s’appelle l’Esprit saint ». — « Jésus est le Rédempteur, en ce sens qu’il a montré que l’homme peut vaincre la faiblesse et le mal » — « La vie humaine sans la loi divine est l’enfer ». — « Les prophètes révèlent aux hommes la loi de Dieu. Nous reconnaissons Jésus-Christ comme notre plus grand prophète… D’autres célèbres prophètes de l’humanité sont Moïse, Socrate, Mahomet, Zarathustra, Bouddha, Confucius, etc. Les prophètes nationaux des Tchécoslovaques sont Cyrille et Méthode, Jean Hus, Jean AmosKomensky, et encore nos excitateurs et libérateurs nationaux. » — « L’humanité a besoin d’un nouveau prophète, parce que les prophètes passés n’ont pas révélé toute la vérité de Dieu. » — Monisme, modernisme, naturalisme I Une scission commença dans les esprits. L'évêque Gorazd Pavlik tint bon pour l’orthodoxie ; au contraire, la majorité des sectes se prononça pour Farsky. Une assemblée générale ecclésiastique, à Pâques 1924, doit décider. Elle amènera sûrement une majorité pour Farsky, et donc un partage de l’Eglise tchécoslovaque en deux tronçons.

La propagande de l’Eglise tchécoslovaque a pour caractère, dès l’origine, une démagogie sans frein. Bien de positif en dehors de la phrase, et de vagues attaques contre l’Eglise catholique. D’après la loi d’Etat, les églises dérobées doivent encore faire retour aux catholiques.

Vil. — Le tableau ci-joint donne l'état de la population en l’année 1921, avec, entre parenthèses, celui de l’année 1910 pour le même territoire. En 1910. les sectes non reconnues par l’Etat ne figuraient pas dans les statistiques. Leurs adhérents se rattachaient à l’une des confessions reconnues, ou à l’absence de toute confession. Les chiffres répondant à cette dernière catégorie progressent d’une manière effrayante. Dans les Carpathes russes, l’administration propage ouvertement l’orthodoxie russe, les Uniates disparaissent.

Bibliographie. — Krystufek (Frant.), Protestuntstvi v Cecltach (Le Protestantisme en Bohême), Prague, 190O. — Denis(A.), Fin de l’indépendance bohème. (Traduction tchèque sur la 2" édition, 1909). — Gindely(Ant.), Geschichte der Bôhmischen Brcider, 1861-63 ; Rudolf II und seine Zeit, 1863-f>5. — Palacky(Fr.), Dejiny narodu ceského (Histoire du peuple tchèque). Prague. S’arrête à 152Ô. — ïoiuek (V.V.), Dejiny Kralovslvi' ceského (Histoire du royaume de Bohême, Prague, 1891. — Miiller (.T.), art. Bdhmische Bruder, dans REPTK 3., III, 445 sq). — Frind (Al.), Geschichte der Bischbfe und Erzbischofe von Prag, 1873. — Borovy, Dejiny diecese Prazské, 1874. v — Vavra (Jos.), Pocatky reformace Katolické v. Cechach (Commencement de la reforme catholique en Bohême), 1894. — Svoboda (Jos., S.J.), Katolicka reformace a Marianska druzina v Kral Ceském (Réforme Catholique et Congrégation mariale dans le royaume de Bohême), Brno, 1888. — Bretholz (B.), Neuere Geschichte Bôhmens, Gotha, 1920. — Neumann (Ed.), Dejiny Krestanstvi, Prague, 1923. — Renseignements complets chez Zirbt, Bibliogr. ceské histor., 190a.

D r. L. Wbzul.

III. — La Réforme en Pologne. — I. Sa genèse. — II..Ses signes caractéristiques. — III. Son développement et sa décadence. — IV. Etat actuel du protestantisme. — V. Propagande des sectes américaines.

I. Genèse de la Reforme en Pologne.

La Ré forme en Pologne, tant au point de vue de sa genèse, qu'à celui de son développement, a des signes caractéristiques qui la distinguent des formes que le mouvement réformateur a affectées dans les pays occidentaux. La Réforme, venant de 1 Occident, trouva en Pologne un terrain tout prépnré. A côté des facteurs communs à toute l’Europe, certains autres, tout à fait spéciaux, facilitèrent son développement. Parmi les premiers, il faut citer tout d’abord l’humanisme qui, dans les sphères plus élevées, surtout parmi le clergé, contribua à refroidir l’ancienne piété. Les évêques polonais étaient fervents humanistes et prolecteurs des arts et des sciences ; ils cessèrent d'être théologiens. De plus, la moralité et la discipline ecclésiastique du clergé déclinaient. Dès le xv' siècle, les plus importants et les plus riches bénéfices ecclésiastiques étaient le partage des laïques ; et les évêques, en possédant plusieurs à la fois, ne résidaient pas dans leurs diocèses, mais à la cour, où ils occupaient les plus hautes positions de l’Etat. La reine Bona Sforza, Italienne d’origine, femme de Sigismond le Viuux, augmentait encore le mal en pratiquant la simonie sur une grande échelle.

Parmi les facteurs secondaires, particuliers à la Pologne, il faut compter : i° le souvenir de l’hussitisme qui, au xv' siècle, etsurtoutaprès l’année 1420, se répandit assez vivement en Pologne et eut une grande influence sur la politique. — 2 Le xve siècle et le début du xvi c fut l'époque d’une période dt changement de l’organisme intérieur delà Pologne. La noblesse, classe privilégiée de la société, commence à gagner une importance de plus en plus grande dans la vie politique, au détriment de l’autorité royale. Elleprolile du régime parlementaire pour conquérirde grandes libertés, jusqu'à empiéter sur les droits de l’Eglise et même de la religion. — 3" Or, il existait, depuis longtemps, des querelles entre le clergé et la noblesse, au sujet de la dîme payée parcelle-ci aux évêques et aux curés, ainsi qu’au sujet de la juridiction ecclésiastique. Dès le début de la Réforme, la noblesse saisit l’occasion de se soustraire à la juridiction épiscopale et de se libérer des charges dues à l’Eglise. — 4° Le dernier facteur qui facilita le développement de la Réforme fut l’influence de la riche bourgeoisie allemande, restes non polonisés des anciens colons.

Outre ces facteurs, plutôt intérieurs, nous en rencontrons d’extérieurs, qui favorisèrent le développement de l’hérésie. i° Au xvi' siècle commencent de fréquents et nombreux départs pour les universités italiennes, suisses, françaises et allemandes. Les grands seigneurs envoient leurs fils à l'étranger pour leur instruction ; les évêques agissent de même avec leurs parents et leurs protégés, la simple noblesse même cherche les moyens de se répandre au dehors. Ceci provoque un mouvement intellectuel en Pologne, mais en même temps s’introduisent les erreurs des réformateurs, ce qu’on nommait

« les nouveautés ». — 2 L’autre facteur extérieur

était la pénétration d’influences par les frontières, notamment la proximité de la Bohême, de "Wittenberg et du duché de Prusse. En Bohème, l’huas ! tisme subsistait encore sous la forme des Frères Tchèques. Chassés en 1548de leur pays, ils trouvent un asile hospitalier en Pologne, où ils propagent un protestantisme outré qui, plus tard, sous l’influence d’autres facteurs, se transforme en néoarianisme. Wittenberg, résidence de Luther et de Melanchlhon, attirait, en raison de sa proximité, les jeunes Polonais, qui revenaient ensuite infectés de l’hérésie. Enfin, la Pologne avait sur ses frontières, et même en partie à l’intérieur du pays, un 775

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grand foyer d’hérésie, le Juche de Prusse. L’ordre Teutonique, appelé en vue de la conversion des peuplades païennes installées au Nord des frontières de la Pologne, au bord de la mer Baltique, se transforma rapidement en une association de chevaliers brigands, luttant avec tous ses voisins par le fer et le feu. La Pologne vainquit à diverses reprises l’ordre Teutonique et occupa ses terres, mais elle ne put l’anéantir, à cause du grand crédit dont il jouissait auprès des princes allemands, de l’empereur et même à Rome. En 15ao, les armées polonaises occupèrent le duché de Prusse pour la dernière fois, mais cette fois encore, le roi Sigismond le Vieux céda à l’intervention des princes allemands et consentit à un armistice de 4 ans. Le dernier Grand-Maître de l’Ordre, Albert de Brandebourg Hohenzollern, profita de la Réforme, et sur le conseil de Luther, se sécularisa. Malheureusement, le roi Sigismond donna son consentement, et en (525, par le traité de Gracovie, Albert fut reconnu prince héréditaire de Prusse, sous la suprématie de la Pologne. Cette principauté fut le germe de la future Prusse, et au xvi* siècle elle devint le foyer de l’hérésie.

IL Caractéristiques de la Réforme polonaise. — i°Ce fut un mouvement plutôt économique et politique ; pour la plupart des protestants polonais, la question de religion n’était que secondaire. La noblesse en général voyait en la Réforme un moyen facile et commode de se soustraire à la juridiction ecclésiastique et de se libérer des contributions au proût du clergé. Le renoncement au catholicisme et la lutte contre l’Eglise ne fut qu’un épisode de la lutte générale pour les libertés et les privilèges nobiliaires. Dès que ce but fut atteint, l’ardeur réformatrice commença soudain à faiblir. Les grands seigneurs polonais considéraient également la Réforme comme une bonne affaire. A l’exemple des princes allemands, ils s’emparèrent des biens ecclésiastiques qui se trouvaient dans leurs domaines, ou qui avaient été abandonnés par les prêtres catholiques passés au protestantisme. C’est pourquoi, dès le début, la Réforme polonaise manquait de ressource ?. Les mêmes magnats qui, avant et après, dotaient généreusement le clergé catholique, cessaient de se soucier de leurs ministres dès qu’ils les voyaient passer au protestantisme. Ces ministres étaient donc misérablement dotés et peu respectés ; leurs puissants protecteurs ne leur garantissaient que l’impunité devant les jugements épiscopaux et ceux de l’Etat, mais ils ne leur assuraient pas l’existence matérielle. — 2° D’où le deuxième caractère de la Réforme polonaise : sa superficialité. Elle faisait plus de bruit qu’elle n’éprouvait de réel souci pour la réforme de l’Eglise. Durant de longues années, le programme de réforme se borna, pour la majorité, à deux questions : le mariage des prêtres et la communion sous les deux espèces. Les questions dogmatiques étaient indifférentes à la généralité de la noblesse protestante ; les disputes ne s’animèrent un peu qu’au moment de l’éveil du mouvement arien (anti-trinitarisme) et à l’arrivée dos Jésuites en Pologne (i 565). Les protestants qui prirent au sérieux la Réforme étaient très peu nombreux. Le plus remarquable d’entre eux fut Jran Laski, neveu de l’archevêque Laski, personnage d’un caractère noble, très intelligent et original, qui peut figurer à côté des grands pseudo-réformateurs, Calvin, Zwingle et Luther, surpassant ce dernier surtout, par sa haute culture intellectuelle. Durant son long séjour à l’étranger, il organisa, suivant ses propres principes et ceux des calvinistes, des Eglises en Frise, en Angleterre, en Danemark et à Francfort-sur-le-Mein ; il travailla ensuite au déve loppement et surtout à l’approfondissement et à la cohésion du mouvement réformateur en Pologne. C’est pourquoi il fut nommé « le père » du protestantisme polonais. Après sa mort, l’hérésie commence à se décomposer de plus en plus en sectes (1560). — 3° Troisième trait caractéristique de la Réforme polonaise : son cours très bénin. La tolérance religieuse, l’aversion pour les guerres de religion et de conquêtes étaient dans les anciennes traditions polonaises. Même les guerres de conquêtes de Boleslas le Grand (983-1035) n’avaient pas le caractère de guerres de religion, visant la conversion des peuplades païennes ; le travail de mission était indépendant de l’action politique. Pour amener à la foi chrétienne les Prussiens, peuplade slave germanisée par l’Ordre Teutonique, le prince de Pologne Leszek le Blanc (1202-1237) désira fonder, dans le pays prussien, une ville commerciale, où les païens pourraient sans difficulté se pourvoir des denrées nécessaires et en même temps entendre des missionnaires, prêchant la religion du Christ. Des tendances libérales s’étaient déclarées énergiquement au Concile de Constance (141’1). où Paul Wlodkowie, recteur de l’académie de Cracovie, parlant au nom du roi, de l’université et des évêques, exposa, sous la forme d’un système accompli, les idées universellement répandues aujourd’hui, mais alors en avance de plusieurs siècles, de tolérance religieuse et du droit des peuples à un libre développement. Ces mêmes idées commencèrent à revivre dans les premiers temps de la Réforme. Non seulement il n’y eut en Pologne aucune guerre de religion, mais même la peine de mort pour hérésie n’existait pas. Les cas de décapitation et de supplice du feu peuvent y être comptés sur les doigts d’une main. La conviction générale était que la peinede mort n’était pas compatibleavec l’idée de religion. Les démarches très énergiques du légat apostolique Lippoman (arrivé en Pologne en 155s), non seulement rencontrèrent une énorme opposition de la part des protestants, mais ne trouvèrent aucun crédit auprès du roi, ainsi qu’auprès des catholiques et des évêques polonais. Quand les lois les plus sévères (exil et confiscation des biens) furent décrétées plus tard contre les ariens, ce furent les luthériens et les calvinistes qui les réclamèrent le plus passionnément ; d’ailleurs cette rigueur s’explique par les tendances des ariens, nuisibles à la société et à l’Etat. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux hérétiques d’Occident, chassés de leurs pays, soient venus chercher un asile en Pologne. Outre les Frères Tchèques, exilés de Bohême, les deux Socin (Lelio et Faustin), Bernard Œhin, Stancaro, Alciat, Wergerius, évèquc apostat de Capo d’Istria, et beaucoup d’antres, séjournèrent en Pologne. — 4° Contrairement à ce qui se passa en Occident, la Réforme prit racine et se propagea en Pologne presque exclusivement parmi ta noblesse, classe privilégiée et gouvernante. Sauf dans le duché de Prusse, et la bourgeoisie allemande exceptée, le peuple polonaisresta catholique. Le protestantisme, froid, sans vie, privé de cérémonies religieuses, ne convenait nullement au caractère slave.

III. Cours et développement de la Réforme en Pologne. — L’histoire de la Réforme en Pologne peut être divisée en deux périodes : 1a première, jusqu’à la mort de Sigismond Auguste (1 5^8 — 15^3) et l’élection de Henri de Valois ; la seconde, jusqu’à la chute de l’Etat polonais. Pendant la première période, d’une cinquantaine d’années, le protestantisme croit rapidement et atteint ion apogée ; pendant la seconde, il décline de plus en plus, par l’effet de sa propre impuissance et de la réaction catholique. Dans les preREFORMK

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inieis temps, le mouvement réformateur trouve des partisans parmi la bourgeoisie et les colons allemands, ainsi qu’à la cour et dans les sphères humanistes. Dans le duché de Prusse, à Gdansk (Dantzig), Torun (Thorn), Elblag [Elbing), la doctrine de Luther eut tout de suite un grand retentissement, lui loi y, à Gdansk, Jacques Knade est le premier ecclésiastique qui prend femme, les églises sont transformées en temples ; en l5aô éclate une véritable révolte, bientôt étouffée par le roi Sigismond le Vieux. A la brillante cour de ce roi, où, auprès des évêques, des grands dignitaires de l’Etal et des magnats, se réunissaient en grand nombre des humanistes, poètes et artistes, le mouvement réforniiteur éveillait de grandes sympathies, tout en se cachant sous l’apparence de libre pensée jointe à l’humanisme. A côté de la cour royale, les cours des magnats polonais, surpassant parfois en richesse et en puissance les plus grands princes allemands, furent les premiers foyers de la Réforme ; parmi ces magnats, nous nommerons les Boner à Gravovie, les Stadnicki et les Olesnicki en Petite Pologne, les Leszczynski et les Gorka en GrandePologne, les Radziwill en Lituuanie. Au début de la Réforme, un grand rôle fut joué par le « cercle » de Jean Trzecieski, élève d’Erasme, le savant humaniste, et père du poète André ; il devient dans la suite un ardent promoteur de l’hérésie. Il réunissait chez lui les premiers partisans du protestantisme : Jacques Przyluski, Frycz Modrzewski, éminent écrivain et homme politique, auteur de l’œuvre monumentale « De tmendanda liepublica », "Wojewôdka, célèbre imprimeur, élève d’Erasme, l’Italien Lismanino, provincial des Franciscains, confesseur de la reine Bona, depuis apostat, Rej de Naglowice, le premier poète écrivant uniquement en polonais, fervent apôtre du calvinisme. Ces assemblées étaient également fréquentées par deux chanoines de Cracovie, Jacques Ûchanski devenu dans la suite primat, et Adam Drzewiecki, ainsi que par André Zebrzydowski, plus tard évèqne de Cracovie.

Parmi les premières manifestations du protestantisme, il y a lieu de citer les discours publics à Poznan, en 1520, de deux hérétiques : André Samuel, exdominicain, et bientôt après Jean Seklucjan ; tous deux trouvèrent un appui chez le puis>ant Gorka et célébraient leur office dans son palais.

De cette manière il se forma en Pologne 5 grands foyers de la Réforme : en Petite Pologne dans les environs de Cracovie, en Grande Pologne à Poznan et dans les domaines des Gorka et des Leszczynski, en Prusse dans le duché de Prusse, et eu Lithuanie à Wilno et surtout à Nieswiez, résidence des Radziwill.

A mesure de l’accroissement du mouvement réformateur, 1 audace des apostats augmentait aussi. La noblesse commence de plus en plus hardiment à se permettre des violences contre le clergé ; elle s’empare de6 biens ecclésiastiques et expulse les curés qui ne veulent pas se convertira l’hérésie. Le premier accident dece genre eut lieuàPinczôw.aux environs de Cracovie, chez Nicolas Olesnicki. Ce gentilhomme luthérien avait donné asile à sa cour à Stancaro, professeur d’hébreu à l’université de Cracovie, chassé de cette ville par l’évêque Maciejowski, à cause de sa propagande hérétique. A l’instigation de Stancaro, Olesnicki embrasse le calvinisme, expulse les Pnuliris du couvent qu’ils possédaient à Pinczôw, s’empare de leurs biens et transforme l’église en temple protestant. Depuis lors. Pinczôw devint un grand foyer d’hérésie ; on y ouvritla première grande école calviniste, on y fonda une imprimerie, on y travailla à la traduction de la Bible et on y composa des

cantiques polonais pour le peuple. Ce fut à Pinczôw que se rassemblaient, pour leurs conciliabules, les nombreux protestants venus de toute la Pologne et de l’étranger, persuadés qu’ils étaient d’être en sûreté sous la protection du puissant Olesnicki. L’acte de violence de ce dernier donna le signal d’autres faits analogues. C’est à peu près à cette époque (1546-1550) qu’eurent lieu les premières apostasies publiques d’ecclésiastiques. Vers io/(G, Félix Cruciger, curé de Niedzviedz(près de Cracovie), embrasse publiquement la Réforme ; d’autres, nombreux, suivent son exemple. Les plus remarquables furent : Jacques Sylvius, Martin d’Opoczno, Martin Krowicki et le célèbre Stanislas Orzechowski, le plus grand excitateur qui existât alors en Pologne ; ce dernier, quoiqu’il n’ait jamais rompu définitivement avec l’Eglise, et qu’il soit même devenu parla suite lutteur fanatique contre l’hérésie, cependant, par son mariage et par ses écrits, porta un grand préjudice à la cause catholique et mina les restes de l’autorité ecclésiastique en Pologne.

L’attitude du clergé vis-à-vis de la Réforme fut longtemps confuse, indécise et uniquement défensive. Nous avons déjà signalé son bas niveau intellectuel et moral. Les évêques étaient pour la plupart des créatures de la reine Bona, indignes des dignités ecclésiastiques qu’ils portaient. La Réforme les trouva nullement préparés à cette rude épreuve. Au début, plusieurs d’entre eux sympathisèrent avec les réformateurs ; mais quand ils virent que le mouvement menaçait leurs revenus et leurs privilèges, il semirent à le combattre, pour des causes tout à fait temporelles. La seule exception fut Stanislas Hozjusz, évêque de Warmie (Ermland), puis cardinal, l’un des présidents du Concile de Trente, grand défenseur du catholicisme en Pologne. A peu près jusqu’à 1564, il fut seul à soutenir la cause catholique. Un changement ne s’opéra qu’à l’arrivée des Jésuites, qui, appelés par Hozjusz, jouèrent un rôle décisif dans la réaction catholique, et après la mort des vieux évêques chancelants dans la foi. Leur place fut occupée par d’énergiques et remarquables pasteurs, tels que Karnkowski, archevêque de Poznan, Solikowski de Lwôw, Myszkowski de Cracovie, Rozdrazewski de Wloclawc-k, Kromer de Warmie, Konarski de Poznan, et d’autres. Il fallait des hommes tout à fait nouveaux pour opérer un changement à l’intérieur de l’Eglise.

Un dernier et très important facteur de l’extension de la Réforme en Pologne, fut l’action personnelle des rois Sigismond lu Vibux et Sigismond Auguste. Le premier, bien que sincèrement attaché à la foi catholique, voyant d’une part la grande violence de la noblesse, d’autre part la ruine morale du clergé, agit conformément aux traditions de tolérance et choisit la voie d’intervention et de compromis. D’un côté, sous l’influence des évoques, il publiait une série de décrets contre l’hérésie : interdiction de faire venir les écrits de Luther (15ao), interdiction de voyages à l’étranger dans les pays infectés d’hérésie, punition des rebelles par retrait d’emplois, etc. ; d’un autre côté, sousla pression de la noblesse pendant les diètes, et à cause du manque de zèle des évêques, il tolérait les infractions à ces décrets, et quelques années plus tard il les annula. Par suite, le protestantisme se répandit tout à fait impunément. Les hérétiques, cités devant les tribunaux des évêques, n’y comparaissaient pas, et les starostes se refusaient à exécuter les sentences des jugements épiscopaux. Cette méthode fut appliquée sur une plus grande échelle encore par le (ils de Sigismond le Vieux, Sigismond Auqustb, dernier roi héréditaire de la maison des Jagbllons. L’éducation 779

REFORME

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molle qu’il avait reçue de sa mère, la reine Bona, l’atmosphère morale assez légère de sa cour, la société d’humanistes et de partisans de la Réforme, ne contribuèrent pas à éveiller dans l’àme du monarque de ferventesconvictions catholiques ; c’est pourquoi les hérétiques polonais attendaient la mort du vieux roi, dans l’espoir que le nouveau romprait ouvertement avec Rome. Ils s’efforçaient donc de le disposer le plus favorablement pour la Réforme ; Luther, Calvin, Melanchthon, Laski, Modrzewski (sans parler des hérétiques moins remarquables) lui dédiaient leurs œuvres et l’accablaient de lettres. Dès l’avènement au trône de Sigismond Auguste, en 15/|8, commença une lutte passionnée pour la personne du roi et pour la reconnaissance de l’égalité de droits à l’hérésie en Pologne. Il est impossible d’entrer ici dans les détails de cette lutte, dont le résultat déCnitif fut un compromis ; le protestantisme en sortit vainqueur. Les hérétiques obtinrent l’égalité de droits avec les catholiques et la suspension de la juridiction des tribunaux ecclésiastiques ; quant aux catholiques, ils surent empêcher la rupture avec Rome, la convocation d’nn concile national, la création d’une Eglise nationale et le divorce du roi avec la reine Catherine, malgré l’infécondité de leur mariage. Le roi ne suivit pas l’exemple de Henri VIII, il resta catholique jusqu’à sa mort, et même, vers la lin de sa vie, se rangea ouvertement du côté de l’Eglise, acceptant, en 1564, le » décisions du concile de Trente. Les hérétiques polonais perdirent l’espoir d’attirer le roi de leur côté, mais gagnèrent presque tout ce qu’ils avaient voulu. Les successeurs de Sigismond Auguste conservèrent, il est vrai, la liberté de conscience, cependant ils appuyaient la réaction catholique.

Cette réaction, coïncidant avec une décadence de l’hérésie en Pologne, remplit l’histoire de la seconde période. Nous avons vu que la Réforme polonaise était intérieurement faible, manquait surtout d’unité. Le luthéranisme, comme allemand, ne trouvait pas de sympathies en Pologne, les hérétiques y étaient en majeure partie calvinistes ; plus tard s’en détachèrent les ariens, complètement rationalistes au point de vue religieux, et quasi-communistes au point de vue social. Les différentes secles se combattaient passionnément, et même, à l’intérieur d’un même groupe, les querelles étaient continuelles. Tous les efforts pour former une religion polonaise unique n’aboutirent à rien. Il va sans dire que la discorde intérieure et la faiblesse de l’hrrésie facilitèrent la réaction catholique, qui savait parfaitement mettre ces circonstances à prolit. Le résultat fut tel, que sous Sigismond III (158, ; -1632) les catholiques reconquirent la prépondérance dans l’Etat.

Il est impossible d’exposer numériquement les conquêtes de la Réforme en Pologne. La preuve qu’elles étaient grandes, c’est qu’en 1550-1555, dans les deux ohambres de la Diète polonaise.il n’y avait presque que des protestants. Lors delà plus grande extension en Lithuanie, il paraît qu’il n’yavait plus que 7 prêtres ; au temps de l’évêque Drohojowski, partisan de la Réforme, presque toute la noblesse de son diocèse passa au calvinisme. On peut affirmer que, sauf rares exceptions, les plus importantes familles de la noblesse et des sénateurs abju rèrent le catholicisme. D’après le calcul de l’abbé J. Bukowski (Histoire de la lié/orme en Pologne), environ le quart des églises échut aux protestants. Aux xvii* et au xviii* siècles, la question des hérétiques n’avait plus grande importance, ce ne fut qu’après la chute de la Pologne, que la Russie et la Prusse profitèrent de leur existence sur le territoire

polonais, pour s’ingérer dans le gouvernement intérieur du pays. Il va sans dire que la Prusse appuyait de toute façon le protestantisme, dans la partie de la Pologne qu’elle avait usurpée pendant les démembrements.

IV. F.tat actuel du protestantisme en Pologne.

— Il existe actuellement deux confessions protestantes en Pologne : le calvinisme et le luthéranisme. Les calvinistes, peu nombreux, presque exclusivement Polonais, se groupent autour de deux consistoires à Varsovie et à Wilno. lis possèdent une organisation synodale. Les luthériens se décomposent en trois confessions : i° Il existe à Varsovie un consistoire évangélique d’Augsbourg, auquel appartient l’ancienne annexe russe ; il s’y est joint quelqnes paroisses polonaises de la Grande Pologne, ainsi que les pasteurs polonais de la Silésie de Cieszyn. Cette confession compte 450.ooo adeptes, dont les 2/3 sont Allemands, a’L’Eglise unie, avec consistoire à Poznan, comprend presque toute la Grande Pologne. Elle compte 600.000 adeptes, presque exclusivement Allemands ; il y a des Polonais dans les districts d’Odolonow, d’Ostrzesow et de Kempin. 3° L’Eglise confédérée helvétique et d’Augsbourg, dont le consistoire est à Biala, comprend la Petile Pologne et une partie de la Silésie de Cieszyn ; elle compte ^o.ooo adeptes, presque exclusivement Allemands. Les membres des consistoires luthériens sont nommes par le gouvernement. Cependant il a été présenté à la Diète un projet d’organisation synodale pour les Eglises luthériennes. Quant à la situation intérieuredecesEglises, d’après leurs propres publications, elle n’est rien moins qu’édifiante. Elles se querellent entre elles, et toutes les tentatives d’unification et d’introduction d’une concorde au moins apparente échouent complètement. Tant au point de vue religieux qu’au point de vue politique, deux tendances se manifestent, l’une rationaliste, l’autre orthodoxe, l’une germanophile, hostile à l’Etat polonais, l’autre loyale et même en partie sincèrement polonaise. En iyai.sur l’autorisation du gouvernement polonais, a été créée à Varsovie une faculté de théologie évangélique avec 5 chaires.

V. Propagande protestante en Pologne après la guerre mondiale. — Après la restauration de l’Etat polonais, de nombreuses sectes américaines se jetèrent sur la Pologne, dans un but de propagande. La misère occasionnée par la guerre leur fournit un prétexte pour commencer, et le haut cours du dollar, qui augmentait de jour en jour, leur frayait le chemin. Elles commencèrent par une action philanthropique dans l’armée, parmi les jeunes gens, et dans les sphères nécessiteuses des grandes villes. Tout d’abord elles ne montraient aucun but religieux, au contraire, elles semblaient respecter les traditions religieuses et nationales, elles invitaient volontiers les prêtres catholiques à bénir leurs maisons. La plus grande activité fut montrée par les méthodistes, les anabaptistes, et les adventistes ; enfin par les célèbres Y.M.C. A. et Y.W.C. A. (associations de la jeunesse chrétienne). Pendant que les premières sectes n’étendaient leur action que dans les sphères inférieures, où elles commencèrent à trouver un petit nombre de partisans, l’Y.M.C.. a su gagner la sympathie et l’appui des sphères intellectuelles. Elle masqua son protestantisme en étendant le culte de la philosophie polonaise et de la poésie messianique de la première moitié du xixe siècle, qui n’est pas tout à fait conforme à l’enseignement de l’Eglise, et sous le voile de la charité chrétienne, elle commença à propager l’indifférentisme religieux. Les Jésuites polonais s’orientèrent 781

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immédiatement et se mirent à combattre ces sectes dans les journaux populaires et l’Y.M.C. A. dans la très importante « Revue universelle » (Pvzeglad Potiszechni). Ceci provoqua une opposition passionnée delà part d’une grande partie de la société ; cttteopposition échoua linalement : aujourd’hui, les plus fervents partisans de l’Y.M.C. A. condamnent son action comme préjudiciable au point de vue national et religieux. Jusqu’à présent, les résultats de la propagande des sectes sont médiocres : dès que les dollars commencèrent à manquer, leur activité s’affaiblit. Actuellement (commencement de 1923), lies ont évacué beaucoup de postes à l’intérieur du pays et se sont transportées sur les contins, où elles ont des chances de plus nombreuses conversions parmi les Ruthènes et les orthodoxes.

Outre les sectes étrangères, deux sectes indigènes existent en Pologne : i° les Mariantes, qui apparaissent au commencement du xxe siècle, autour d’un petit nombre de prêtres révoltés, trompés par une certaine Kozlowska. Dans l’annexe russe, ils jouissaient de l’appui du gouvernement du tsar ; au point de vue dogmatique, leur « Credo » représente un assemblage d’idées les plus stupides.Us faisaient sacrer leurs évêques par les Vieux-catholiques ; — 2 les Indépendants, qui se nomment pompeusement

« Eglise nationale ». Cette seconde secte apparut il

y a 25 ans en Amérique parmi les émigréspolonais, elle y gagna environ 30.ooo adhérents, et au moment de la restauration de la Pologne, elle se mit en campagne pour la conversion de la patrie et sa séparation de Rome. Mais jusqu’à présent elle n’a pas fait grand chose, malgré l’appui des partisradicaux et socialistes ; elle n’a même pas pu obtenir la reconnaissance légale.

Un groupe d’historiens et de publicistes polonais s’efforce de ranimer les études sur l’ancienne Réforme polonaise. Il existe même une « Société pour l’étude de l’histoire de la Réforme en Pologne », qui possède un journal « La Réforme en Pologne », au caractère strictement scientifique et historique. Ces efforts sont accueillis par le parti catholique avec déliance, parce que plusieurs de ces historiens montrent une vraie tendance à représenter le mouvement réformateur, quia causé tant de dommage à la Pologne au point de vue religieux et politique, comme un magnifique élan du génie national, opprimé par la réaction catholique.

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) od wejtcia jej do Polski az do jej upadku.

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S. Bkdnarski, S. J.

XIV. — LE PROTESTANTISME AUX ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

Le Protestantisme aux Etats-Unis d’Amérique est le même que dans les autres pays, en ce sens que ses adhérents acceptent la Bible comme seule règle de foi, croient à la justification par la foi seule, et au sacerdoce universel des croyants, et prétendent faire appel à leur jugement individuel pour l’interprétation de la Bible sans contrainte et sans avoir besoin de direction. Il est le même également dans son attitude vis-à-vis de tous les cultes, de toutes les confessions, ou de tous les formulaires officiels, que ses membres acceptent en général selon leur interprétation personnelle ou avec indifférence ; d’autres chefs se partagent en conservateurs et en libéraux, ou, pour se servir des termes plus usités en controverse aujourd’hui : fondamentalistes et modernistes.

Les églises de toutes les dénominations exigent une l’orme quelconque de culte, qui n’a aucunement un caractère sacriïicatoire. La réunion dans une église, un sermon, de la musique vocale et instrumentale, voilà en quoi le culte consiste d’habitude. La Cène, ou la Communion, est un des offices ordinaires de tous les cultes importants. Le Baptême est la règle, bien qu’il ne soit pas toujours tenu pour essentiel. Le mariage et la mort donnent lieu également à des cérémonies, souvent accomplies dans une église, bien que n’ayant pas le caractère d’un sacrement. Par suite du grand nombre d’étrangers qui assistent aux offices dans les différentes églises, surtout chez les Presbytériens, les Méthodistes et les Baptistes, on emploie jusqu’à vingt-huit langues. Petit à petit, l’austérité des rites diminue, et la musique, les fleurs et les lumières sont admises.

C’est au protestantisme que le pays est en grande partie redevable de la coutume de faire entendre des prières d’invocation et de bénédiction aux réunions civiques et aux sessions de nos corps législatifs nationaux et des différents Etats ; ainsi que de la célébration religieuse de fêtes comme celles de Thanksgiving et du Jour de Jeune.

Les différences qui existent entre le Protestantisme de l’Europe et celui des Etats-Unis ne sont ni marquées ni nombreuses. Ici l’Eglise ne dépend pas de l’Etat ; il n’y a point d’Eglise Etablie. L’appui qu’accorde l’Etat à certaines écoles et institutions protestantes n’est pas considérable, et il est généra783

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lement accordé pour reconnaître des services rendus. Théoriquement, les Eglises Protestantes doivent se tenir à l’écart de la politique du pays ; mais en pratique, dans le but d’effectuer des réformes morales ou sociales, elles exercent une influence prononcée. En règle générale, elles conservent les croyances ou les confessions que leurs pionniers apportèrent ici, surtout les Luthériens, les Arminiens et les Calvinistes, avec des altérations et des adaptations légères. Deux corps protestants, les Unitaires et les Universalistes, professent ne pas croire en la divinité du Christ. Moins de six pour cent d’entre eux, les Episcopaliensprotestants, suivent une forme de gouvernement hiérarchique, avec des évêques qui exercent une juridiction véritablement diocésaine. Les quatre cinquièmes au moins de leurs cultes sont congrégationalistes ; le dixième quireste, constitue descorpslocaux et indépendants, n’ayant aucun lien avec d’autres congrégations, sauf ceux de la courtoisie et delà collaboration fortuite.

L’origine du protestantisme aux Etats-Unis a eu pour cause principale le mécontentement engendré par la situation politique dans divers pays d’Europe, qui porta certains corps protestants : Puritains, Shakers, Huguenots, Baptistes, Presbytériens, Mennonites, Luthériens et Moraviens, à chercher asile aux colonies américaines ; leurs migrations commencèrent en 1620, et se continuèrent jusqu’à la fin du siècle dernier. Cette origine particulière du protestantisme américain explique son esprit puritain. Les Anglicans, ou Episcopaliens protestants, comme on les appelle en Amérique, arrivèrent dès 1607, mais non pas à cause de griefs politiques. L’immigration continue à apporter son contingent aux diverses sectes, non plus, toutefois, comme réfugiés d’une cause religieuse. Sauf l’exception notable des Shakers, les protestants venus aux dix-septième et dix-huitième siècles formèrent des communautés séparées et exclusives, divisées par des ligues sectaires, et qui craignaient toutes d’entrer en relations amicales avec les autres. Ce ne fut qu’après la Guerre de l’Indépendance, vers 1784, qu’elles commencèrent petit à petit à admettre le principe de la tolérance en matière de religion. L’habitude de l’intolérance, ancrée pendant près de deux siècles, explique leur tendance à se diviser et à se constituer en autant de corps dissidents, la difficulté qu’elles éprouvent à effectuer la réunion que toutes croient nécessaire, et, soit dit en passant, les préjugés contre l’EgliseCatholique, que l’on retrouve encore chez certaines d’entre elles, surtout parmi les moins instruites.

D’après le dernier recensement de l’Etat en 1916, seule source de statistiques authentiques sur les religions du pays, il existe aux Etats-Unis cent quatre-vingt-trois cultes que l’on peut classer comme Protestants, et qui comptent 25.552 io5 membres, dont 4-500 000 nègres et 3.760.000 d’origine étrangère relativement récente. Cent trois de ces cultes sont des divisions d’Eglises plus anciennes et plus grandes, venues primitivement d’Europe. Lesquatrevingts autres sont originaires du pays ; peu d’entre eux comptent beaucoup de membres. Il y a, en outre, de nombreux petits groupes, souvent excentriques, mais ils ne changent pas sensiblement le total. Voici ceux dont les membres dépassent 50.OOO :

Méthodistes

Baptistes

Luthériens

Presbytériens

Disciples

Episcopaliens

Congrégationalistes.

7.166.451 7. 153.313 a, J6a 4 16 "1.626 1. 226.028 1, 099.821 791.854

Réformés y, )-. 822

Saints du Dernier Jour’f T, -^. 3 2 1 ^

Frères Unis 367.934

Synode Évangélique Allemand… 32y.853

Eglises du Christ 317. q’A~

Dunkers 1 33. 626

Association Evangélique 1 20. 756

Chrétiens 1 18. 7 ;  !  ;

Adventistes 1 l’i.<i<5

Eglise Evangélique Unie 8(1.774

Unitairiens 82."u. r >

Mennonites <jq. 363

Universalistes 58.566

Les Méthodistes se divisent en dix-sept corps, dont s : pt d’origine nègre. Les Baptistes ont vingt-trois divisions, six d’origine allemande, deux pour les nègres. Les Luthériens comprennent vingt-deux organisations, la plupart basées sur des différences de race ou de territoire. Les Presbytériens comptent neuf divisions pour les blancs, une pour les nègres. Il y a quatre églises Réformées ; six de Frères de Plymouth ; quinze de Protestants Evangéliques, quatre d’Amis, seize de Mennonites. On verra jusqu’à quel point va l’excentricité de certains de ces corps protestants originaires du pays, à nom souvent bizarre, lorsque nous citerons des désignations telles que celles-ci : Baptistes du Plongeon dans la Rivière ; Baptistes Prédestinataires deux-grainesdans-l’esprit ; Bande de l’Eglise de Daniel ; Bandes Pentecostaires du Monde ; Pilier de Feu ; Mennonites sans défense.

En général, chez les Protestants des Etats-Unis, les scissions proviennent non pas tant de différences de doctrine, que de dissensions relatives aux formes de gouvernement et de direction des églises, et à des questions d’intérêt personnel et local. Les cultes tels que ceux des Méthodistes, des Presbytériens et des Baptistes, ontcommencé leurexistence aux Etats-Unis avec certaines différences qu’ils apportèrent de leurs pays d’origine. Ils ne les avaicut pas surmontées lorsque l’agitation relative à l’esclavage, suivie de la Guerre civile, les partagea en d’autres sections encore, restées séparées pendant soixante ans Ce sont les Méthodistes du Nord qui se sont le » premiers déclarés en faveur de la réunion avec ceux du Sud, lorsde laConférenceGénérale de 1924. D’autres sectes, comme celles des Luthériens, avec de nombreux membresd’origineétrangère recrutés parmi les immigrants du siècle dernier, constatent combien il est difficile de réunir des groupes ainsi divisés par des questions de race ou de nationalité. De nombreuses Eglises dissidentes d’origine indigène se composent de membres qui, impatients des formalités du culte et de l’organisation ecclésiastique, étaient décidés à relâcher ces liens de contrainte, pour se consacrer .plus librement à la recherche de la sanctification personnelle. En général, comme les Disciples du Christ ou les Eglises de Dieu, elles ont été formées par un ou plusieurs chefs convaincus, bien que parfois elles soient nées d’une imposture, comme celle des Sionistes de Dowie. ou d’un mélange de fanatisme et d’hystérie, comme les Saints Rouleurs, que l’on appelle ainsi à cause de leur coutume de se rouler à terre pêle-mêle, au cours de leurs cultes, où il y a souvent foule. Plusieurs Eglises recommandent, ou tout au moins sanctionnent, la guérison par la foi. Sur les quatre-vingts sectes ayant pris origine dans ce pays, cinq groupes Insignifiants seulement se servent du mot « Catholique », à savoir : la Vieille Eglise Catholique romaine, qui compte !.-/<o membres : Polonais, Russes, Portugais et Lithuaniens pour la plupart ; l’Eglise Catholique américaine, 785

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786’, -". membres ; l’Eglise Catholique de l’Amérique du Nord, Q.oa5 memhres : Slaves, Polonais et Italiens ; l’Eglise (Catholique Nationale Polonaise, >S..>’, 8 membres, et les Lithuaniens, 6.">, 700 membres. Il u’y a i ; ii, ’deux cultes protestants importants qui portent le nom protestant ; l’Eglise Episcopalienne Protestante et l’Eglise Episcopalienne Méthodiste, toutes deux d’origine anglicane.

L’Eglise Episcopalienne Protestante fut ainsi nommée pour la distinguer des autres Eglises Protestantes, qui. à de rares exceptions près, sont du type congrégationaliste, même les Episcopaliens Méthodistes, et qui mettent les évêquessur le même pied que les pasteurs ou ministres, sauf en ce qui concerne l’étendue de leurs devoirs. Théoriquement, toute Eglise ou toute paroisse congrégationaliste est une unité à elle seule, qui ne reconnaît pas d’autre autorité. En pratique, les congrégations dont la foi et li politique s’accordent, sont réunies sous différentes organisations générales, que l’on nomme Assemblées, Conférences ou Synodes. Elles servent à réunir les différentes unités du même culte religieux, et cela permet aux divers cultes de travailler en commun à de nombreuses entreprises civiques et religieuses. Telle a été l’harmonie qui a régné entre les cultes nombreux et divers qui ont collaboré pendant la Grande Guerre, que les Méthodistes ont conçu un projet de Mouvement mondial entre Eglises ; mais, chose étrange, ce mouvement a avorté, non pas à cause de différence portant sur des questions purement religieuses, mais surtout par suite de désaccord au sujet des directives à suivre en matière économique et industrielle.

Les nombreuses divisions qui existent chez les Protestants et leur tendance à se diviser encore, telle est la raison pour laquelle les Eglises protestantes, après trois siècles dans le pays, avec toutes leurs recrues venues de l’étranger, et d’autres avantages, sociaux, politiques et économiques, comptent encore comme membres moins d’un quart de la population et sont à présent stationnaires : elles diminuent même dans les régions urbaines. Les chefs et les pasteurs d’église s’accordent à dire que le besoin suprëmedu Protestantismeest l’unité, et beaucoup d’entre eux y travaillent avec ardeur. Ils ont réussi à établir l’unité coopérative dans un grand nombre d’endroits ; l’unité administrative est plus difficile, vule grand nombrede ceux qui ont étéélevés dans la croyance que l’organisation de l’église dont ils font partie est une institution divine ou tout au moins évangélique. Là où les églises de campagne disparaissent parée qu’elles manquent de pasteur, et, en conséquence, de membres, les efforts tentés pour fusionner trois ou quatre congrégations en une église de la communauté ne réussissent que dans fort peu de cas. L’obstacle le plus sérieux de tous, qui s’oppose à toute unité, est la dissension actuelle parmi les pasteurs de tous lescultes importants, au sujet des enseignements fondamentaux du christianisme : la Création, la Divinité du Christ, sa Naissance d’une Vierge, sa Doctrine, son Expiation et sa Résurrection. Ces articles sont rejetés ouvertement ou expliqués du haut de la chaire ou dans la presse par des hommes qui y renoncent en faveur d’une science rationaliste. Malheureusement, étant donné le peu d’érudition des séminaires protestants et des écoles de théologie, il n’est guère probable qu’un corps de pasteurs se forme qui soit suffisamment rersé en théologie ou en science pour satisfaire l’esprit des adhérents. En conséquence, la perspective, sous le rapport de l’unité chez les Protestants, est loin d’être encourageante. Leur recherche de l’union, ou réunion, comme on l’appelle, avec l’Eglise

Catholique, ne peut être que futile, puisqu’ils se divisent de plus en plus. Bien des agences travaillent à ce problème de l’unité parmi les Protestants, entre autres, la Christian Unity Foundation et la World Conférence on Failli and Order. Nommons encore le Conseil Fédéral des Eglises du Christ en Amérique. Organisé en 1908, il a pour but entre autres n de faire entrer les corps chrétiens de l’Amérique au service unifie* du Christ et du Monde ». Il n’est pas autorisé « à rédiger une foi ou une forme de gouvernement ou un culte commun ». Il cherche à obtenir une influence prépondérante combinée pour les églises en ce qui concerne toutes les questions qui touchent à la situation morale et sociale du peuple. Ses éléments constitutifs sont des Eglises, dont les membres réunis s’élèventà20. 727. 319, et s’étendent à tous les cultes principaux : Baptistes, Presbytériens, Congrégationalistes, Disciples du Christ, Méthodistes, Réformés, et dans une certaine mesure les Luthériens et les Episcopaliens. Ses onze Comités étudient les moyens d’encourager l’Evangélisme, le Service Social et d’Eglise, l’Eglise dans la vie à la campagne, l’éducation chrétienne, la tempérance, la justice et la bonne volonté internationales, les fédérations entre églises, les relations avec la France et la Belgique, avec les corps religieux de l’Europe et avec diverses races. Ce Conseil est déjà devenu une source d’information pour tous les intérêts communs des églises, bien que ses statistiques ne soient pas aussi sûres que celles du Gouvernement ; c’est un moyen de coordonner les agences des différentes Eglises en matière d’éducation, de service social, d’évangélisme ; c’est un bureau pour faire face à de nouveaux besoins, que les Eglises ne sont pas encore prêtes à satisfaire. Il a été le facteur principal de l’organisation delà Commission Générale des Eglises en temps de Guerre, du Comité de la Guerre et de la Perspective Religieuse. Outre ce Conseil, les divers Bureaux des Missions domestiques et étrangères, et les Conseils d’Education, font leur possible pour permettre aux corps protestants de travailler en commun et de cultiver des relations amicales.

On remarquera que, bien qu’il n’y ait pas d’union de l’Eglise et de l’Etat aux Etats Unis, et que théoriquement les Protestants soient en général opposés à une union de ce genre — les Baptistes allant jusqu’à s’y déclarer nettement opposés, — les Eglises Protestantes se sentent en général une certaine responsabilité en ce qui concerne la situation morale et sociale du peuple. Leurs pasteurs et autres chefs prennent une part active aux affaires publiques. Les sermons sur les questions d’ordre public, et même sur la politique, abondent dans leurs églises. Les pasteurs sont souvent élus ou nommés à une fonction publique. Beaucoup d’entre eux s’agitent en faveur de mesures telles que la Prohibition, la Société des Nations, le Désarmement, la Paix mondiale. A Washington, la capitale du pays, et dans les capitales de nombreux Etats, il existe des bureaux qui se proposent d’influencer les corps législatifs et autres services du gouvernement. Il est même très caractéristique, de la part de ceux qui prêchent le protestantisme américain, d’appuyer modérément sur les points de doctrine, sauf lorsqu’il s’agit de controverse, et d’insister davantage sur la moralité, surtout au point de vue dé l’intérêt social et national. Comme il devient de plus en plus difficile d’attirer les membres de nombreuses congrégations, non seulement dans les régions rurales, mais aussi dans les villes, le pasteur doit souvent s’écarter de son chemin pour essayer d’intéresser ses ouailles par des discours sur les questions du jour, par de la musique qui n’est plus net’.ement ecclésiastique, par le

cinéma, et même par des attaques sensationnelles dirigées contre les fonctionnaires publics, leur moralité ou leur politique.

Comme, chez les Protestants, l’Eglise est l’école religieuse du peuple et le pasteur son maître, il est essentiel pour la vitalité d’un culte que les membres d’une congrégation assistent aux offices. Sous ce rapport, il y a un déclin marqué depuis cinquante ans. Le Dr. C. J. Galpin, du Ministère de l’Agriculture, estime que le cinquième seulement de la population rurale va à l’église. Cette estimation est fondée suides investigations soigneusement faites, telles que celle de Gill et Pinchot en 1908, confirmée par la nouvelle enquête de 1924 et par des éludes d’ensemble faites par les divers Conseils de Missions domestiques. Aller à l’église, chez les Protestants, ne veut pas dire s’y rendre tous les dimanches, mais en moyenne une fois par mois. Dans les localités urbaines, l’absence est moins marquée. Les églises sont plus commodément situées, et presque toutes ont leur pasteur attitré ; certains d’entre eux sont des hommes en vue, des érudits, ou des sensationnels. Parfois l’assistance dépasse en nombre celui de ses membres inscrits, car le public en général su sent attiré par la religion ; il croit au culte et il observe le Sabbat. En règle générale, les églises font tout au monde pour répondre an goût du public en matière de sermon et même de liturgie. L’échange de chaires entre pasteurs de cultes divers se voit souvent ; l’admission à la table de Communion, sans qu’on se préoccupe de l’affiliation religieuse, est devenue une simple question de courtoisie entre églises, même chez les Baptistes qui sont tenus à la

« communion close », et chez les Episcopaliens Protestants,

en ce qui concerne les Congrégationalistes. A en juger d’après les testes des sermons, ceux qui vont les entendre sont attirés non pas tant par l’instruction évangélique que par l’instruction morale, sociale ou politique. Il est reconnu, toutefois, que l’assistance diminue dans les églises. Des enquêtes soigneusement faites font ressortir une diminution de trente pour cent dans des endroits largement dotés d’églises et de pasteurs. Dans certains endroits, cette diminution va jusqu’à cinquante pour cent.

Le besoin le plus impérieux des Eglises Protestantes, c’est uncorps de pasteurs sullisamment instruits pour savoir répondre au scepticisme du jour, dressés à prendre la part qu’il convient aux activités sociales qui constituent une pa<tie si considérable de leurs devoirs, et su(Iis’<mment bien rémunérés pour leur permettre de soutenir leur famille et de consacrer tout leur temps à leurs ouailles. Leur nombre, d’après le recensement du gouvernement en 1916, s’élevait à 159.108. L’Annuairedes Eglises de igî3 porte ce chiffre à 190.000 ; en moyenne, un pasteur par 15/j membres d’église. Depuis une dizaine d’années, le nombre de candidats diminue. Un grand nombre de ceux qui se présentent, non seulement dans les églises Méthodistes et Baptistes, mais aussi dans les églises Presbytérienne

  • et Congrégationalistes, ne sont ni des universitaires

ni des séminaristes. Les appointements sont presque toujours insuffisants pour un soutien de famille ; les perspectives d’avancement ou d’occupation à vie manquent de certitude ; les hommes ayant les capacités et le caractère voulus préfèrent d’autres professions. Beaucoup même abandonnent les ordres pour profiter d’occasions meilleures dans d’autres carrières. Un grand nombre d’entre eux sont obligés de se mettre dans les affaires pour pouvoir vivre. Des enquêtes très détaillées faites dans beaucoup d’Etats révèlent une situation désolante. Dans l’Etat d’Ohio, par exemple, il y a 6.642 églises de campa gne. Plus de 4.400 d’entre elles sont sans pasteur à demeure, et 1.1^2 seulement ont un pasteur à poste fixe, d’après les investigations de Gill et Pinchot. Des enquêtes semblables, donnant les mêmes résultats, ont été faites dans d’autres Etats, notamment en Arkansas, Californie, Maryland. Missouri, Oregon, Tennessee, Vermont. Les pasteorsqui manquent d’instruction sont nombreux. « Sur certaines grandes étendues de territoire », est-il dit dans le rapport pour l’Ohio, « l’église de campagne semble avoir échoué. Dans les régions où elle est active depuis un siècle, elle n’a pas réussi et ne réussit vas maintenant à dissiper l’ignorance et la superstition, à empêcher le vice et la maladie de se propager, ou à diminuer le nombre croissant des individus non développésou anormaux… Une situation s’est développée qui est une menace pour le bien-être de l’Etat tout entier. » La situation est décrite en détail au moyen du pourcentage, trop élevé, de la tuberculose, des naissances illégitimes, de l’ignorance et de lasuperstitiongrossière, de la syphilis, du crétinisme de l’intempérance, dans des comtés où la population indigène s’élève à quatre-vingt-dix-sept pour cent au moins.

Malgré les divisions qui séparent les Protestants, leur manque de pasteurs, leur diminution, ils accomplissent encore et soutiennent, chez eux comme à l’étranger, de nombreuses œuvres fort utiles. On peutclassere.es œuvres sous les rubriques suivantes : littérature, éducation, bienfaisance, missions. Dès le début elles ont tiré tout le parti possible de la presse, en faisant imprimer et distribuer la Bible, des opuscules, des périodiques, des brochures et des livres de toutes sortes. Les American Hible and Tract Sociétés sont soutenues avec générosité ; elles distribuent des Bibles et des opuscules partout. Diverses Eglises publient plus de cinq cent quatre-vingt-quinze périodiques ; beaucoup d’entre eux paraissent à de nombreux exemplaires. Le chiffre d’affaires de la Methodist Book Concern, partie Nord, s’élève en moyenne à S 3.000.000 ; celui de la partie Sud à S 2.000.000 par an. Cette littérature religieuse est abondante, mais elle n’est pas d’un ordre élevé.

Jusqu’au début de ce siècle, la vitalité des Eglises protestantes était attribuable surtout aux collèges et aux écoles académiques, que divers pionniers avaient fondés partout. D’ailleurs, à quelques exceptions prés, les principales universités classées aujourd’hui comme étant séculières furent fondées principalement dans le but d’enseigner la religion, entre autres celles de Harvard, Brown, Yale, Columbia, Princeton. Petit à petit, elles se développèrent en écoles d’instruction générale, tout en conservant leurs sections théologiques, qui forment aujourd’hui despasteurs, non pas pour n’importe quel culte, mais pour plusieurs. Le petit collège de campagne est essentiellement protestant, mais peu à peu ces écoles cessent d’être soumises à une surveillance cléricale. La caisse de retraite Carnegie, à laquelle seuls ont droit les professeurs des collèges laïques, a été l’aiguillon qui a poussé les administrateurs de plusieurs d’entre eux à laïciser leur administration, et jusqu’à un certain point leurs facultés. Les séminaires continuent toujours, mais d’après l’enquête récente de l’Institut des Hecherches Sociales et Religieuses, el les ne forment pas un corps de pasteurs convenablement outillé pour les besoins des églises. Les écoles du dimanche sont le terrain de recrutement de cultes tels que celui des Méthodistes, qui leur doivent les deux tiers de leurs membres.

D’autres activités des Eglises Protestantes consistent en œuvres de bienfaisance, telles que les hôpitaux, les asiles, les maisons de retraite pour les Sommaires des statistiques prinoipales, par dénominations (rapport dk 1916)

Dénomination

Total

Adventist bodies

American Rescue Workers

Arnienian Ghurch

Assemblics of God, Genl. Go

Baptist bodies

Brethren, German Baptist

Brethren, Plymouth

Brethren, River

Catliolic Apostolic Church

Christadelphians

Christian et Missionary Alliance.. Christian Church (Amer. Christian

Convention)

Christian Union

Church of God and Saints of Christ Church of the Universal Messianic

Message

Churclies of Christ

Churches of God, Genl. Assem

Churches of God in N. A. (Generul

Eldership of the).,

Churches of the Living God

Churches of New Jérusalem

Communistic Societies

Congregational Churches

Disciples of Christ.

Evangelican Ass’n

Evangelican Protestant Church ol

N. A

Evangelistic Ass’ns

Free Christian Zion Church

Friends

Gerinan EvangelicalSynod of Nortli

America

Iloliness Church

Independenl Cliurches

International Apostolic Holiness

Church

Jacobite Church

Lalter Day Saints

Lithuanian National Catliolic Church

Lutheran bodies

Mennonite bodies

Melliodist bodies

Moravian bodies

New Apostolic Church

Nonsectarian Churches ofBibleFaith Old Catliolic Churches in America. Pentecostal Church of the Nazarene

Penlecostal Holiness Church

Polish National Catholic Church of

North America

Presbyterian bodies

Protestant Episcopal Ch

Reformed bodies

Reforræd Episcopal Ch

Salvatiou Army

Scandinavian Evangelical bodies…

Schwenkfelders

Social Brethren

Temple Society in the U. S (Friends

of the Temple)

t.'nitarians

United Brethren bodies …

United Evangelical Church

Universalisls

Volunteers of America

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792

vieillards et les indigents, auxquels on accorde un appui généreux. Les Missions, elles aussi, domestiques et étrangères, sont soutenues avec zèle par des cotisations d’argent versées sans lésiner, qui ajoutent à ces activités un labeur incessant pour diverses réformes sociales, pour l’amélioration de la moralité publique, pour l’observation du dimanche, pour la suppression du trafic des liqueurs, pour la paix parmi les nations ; et l’on peut imaginer l’immensité et la permanence des résultats que pourraient obtenir les Protestants aux Etats-Unis, si seulement ils étaient unis. Malheureusement ils n’ont pas encore adopté une altitude progressiste en ce qui concerne le fléau du divorce et les méthodes immorales d’empêcher les naissances, deux maux qui diminuent rapidement leurs rangs. On pourra se faire quelque idée de l’œuvre accomplie par les divers corps protestants, en étudiant les chiffres suivants, représentant les sommes déboursées pour l’instruction, la philanthropie et les missions : éducation, 1.500 écoles, 300.ooo élèves, S 17.750.000 ; philanthropie, plus de 1.200 établissements, 280.000 pensionnaires, $7.400. 000 ; missions domestiques, 27.989 missionnaires, 29.283 églises, S 18.000.000 ; missions étrangères, 62. 000 missionnaires et aides, 13.y 1 1 églises, 1.681 82^ membres, 13. 653 écoles, 375.916élcves, S 16.o33.8 9 8.

Le recensement des Eglises Protestantes auxEtats-Unis n’est pas sans présenter certaines dillicultés. Elles ne sont pas d’accord sur la signification de termes usuels tels que « membres » et « pasteurs ». Elles emploient le même mot pour indiquer des Eglises tout à fait distinctes. Peut-être la plus grosse difficulté consiste-t-elle à trouver une base commune pour évaluer le nombre des membres. Certains cultes ne comptent pas les enfants, même baptisés. D’autres exigent qu’ils aient atteint l’âge de treize ans. Un corps important indique sur la liste de ses membres tous ceux qui ont été invités à le devenir, ifs n’exigent pas tous un acte d’admission formel, tel que le baptême, ou le fait de souscrire à une foi ou à un formulaire quelconque. Quelques statisticiens, dans le désir évident de gonfler le total, ont introduit le terme « constituants », pour indiquera tous ceux qui, par leur naissance, leur affiliation ou leurs sympathies. .. souscrivent à une forme quelconque de la foi religieuse du culte en question ». De cette façon, ils considéreraient comme étant Protestants tous ceux qui n’ont pas ouvertement rejeté le protestantisme ou qui ne sont pas libres penseurs progressistes, Catholiques, Juifs, ou Théosophes, Spiritualistes ou Bahaistes. Le directeur du Recensement des Corps Religieux aux Etats-Unis indique ces dillicultés dans son rapport pour 1916, ainsi que ses solutions, toutes fort raisonnables ; il en résulte que les membres protestants de ce rapport s’élèvent à un peu moins du tiers du nombre que trouvent ces statisticiens extravagants.

Rini.ior.iiA.ruiK. — Heligious Bodies Census 1916, Washington 1919, Parts I, IL — Yecr liook of the Churches, 1923, Watson, New York ; — American Church History, Racon, Vol. XIII, New York, 1923 ; — The Church in America, Rrown, New York, 1922 ; — 6000 Country Churches, Gill ami Pincliot, New York, 1919 ; — The Country Church, Gill and Pinchot, New York, 1919 ; — Survers, varions, lioard of Home Missions, J’iw Presbyterian Church in the U. S., ig15, 1916, New York ; — The Town and Country Churches in the U. S. Morse and Brunner, igaS, New York ; — Christian Uni/y, ils l’rinciples and Possibilités, New York, 1921 ; — Theological Education in America, Kelly, New York,

l’j’i ; — The Catholic Encyelopedia and Supplément, 17 volumes, New York, 1907-1922 ; — Year Books, Baptist, Lutherun, Melhodist, Presbyterian, Protestant, Episcopalian.

John J. Wynnb, S. J.

XV. — PRINCIPES ET ESSENCE DU PROTESTANTISME

A. Les principes fondamentaux.

I. La justification sans tes œuvres.

a) Exposé de la théorie.

b) Examen de la théorie.

IL /.autorité exclusive de la Bible comme règle de foi.

u) Exposé de la théorie. b) Examen de la théorie.

III. Le libre examen et la libre conscience.

a) Exposé de la théorie.

b) Examen de la théorie.

IV. L’absence d’intermédiaires entre Dieu et le croyant :

a) Exposé de la théorie.

b) Examen de la théorie.

B. L’essence du protestantisme.

a) Formules anciennes.

b) Formules plus récentes.

On peut étudier, d’un point de vue apologétique, les causes générales, les fondateurs et les chefs, la diffusion, l’évolution doctrinale, la fortune historique, la situation actuelle du protestantisme. Mais aucune de ces études ne saurait dispenser : i° de le considérer dans la variété de ses éléments originels et de ses principes fondamentaux, 2 d’en dégager autant que possible l’essence ou le principe prédominant.

On conçoit que la première partie de ce travail doive logiquement prendre le protestantisme à son point de départ historique. La conclusion pourra négliger la suite indéOnie de ses métamorphoses. En effet, s’il y a entre les diverses fractions dont il se compose un terrain où elles essaient de se rejoindre, de se « reconnaître », de compter ce qu’elles ont gardé des idées primitives, s’il est possible d’apercevoir ce terrain de rencontre et de le déterminer, nous pourrons juger à cet accord, fût-il précaire, superficiel, négatif dans sa donnée, qu’il est la conséquence d’une idée considérée pratiquLMiientcomme essentielle au sein même de la Réforme. D’où la division générale de cet article.

A. Principes fondamentaux. — Si le protestantisme, tout d’abord, s’est présenté comme une protestation, comme une révolte, et non sous les apparences d’un « système » religieux.il n’en a pas moins servi à dégager peu à peu, et dès ses débuts, un certain nombre de principes assez mêlés aux courants doctrinaux antérieurs, ou tout au moins virtuellement contenus dans les expériences religieuses des premiers propagandistes. Même l’idée d’une émancipation en face de l’Autorité religieuse ne se manifeste pas la première, encore qu’elle couve dans les faits avant d’éclore. Il semble que le protestantisme naissant ait plutôt offert le spectacle d’une anarchie tantôt spontanée, tantôt artificielle, suivant que la politique ambiante le combattait ou l’encourageait.

L’ambition de former, à sa façon, un corps, surtout celle de posséder une consistance doctrinale, ne lui est venue que du jour où il a senti plus nettement (et ce fut sans doute avec Calvin, Brunetikre, Hist. de la litt. franc, classique, I, 206), la nécessité de remplacer ce qu’il supprimait. Encore cette dogma793

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tique fragile et éparse vit-elle la « variation » s’installer à sa base, et dut-elle se plier le plus souvent aux circonstances. « L’hérésie, faible production de l’esprit humain, ne peut se faire que de pièces mal assorties, observe BossuBTdans la Préface de VHistoire des i’tiriations… On s’engage sans bien pénétrer toutes les suites de ce qu’on avance ; ce qu’une fausse lueur avait fait hasarder au commencement se trouve avoir des inconvénients qui obligent les réformateurs à se réformer tous les jours : de sorte qu’ils ne peuvent dire quand uniront les innovations ni jamais se contenter eux-mêmes ». Ceci, déjà vrai de Luther, est vrai des réformateurs qui l’ont suivi. Aussi, dès que Bossuet leur tend le miroir et les force à prendre conscience de leurs variations, ils canonisent jusqu’à la variation elle-même, l’opportunité aidant chez eux l’instinct. Les protestants d’aujourd’hui n’éprouvent aucune honte d’avoir varié, évolué, absolument comme les catholiques se font gloire du développement et de la vie de leur doctrine : mais variation, évolution — et développement — ne sont pas seulement des mots, mais des choses très différentes ; et l’histoire du protestantisme, comparée à celle du catholicisme, est tout à fait révélatrice à cet égard.

Il n’en est que plus nécessaire d’examiner les principes du protestantisme à l’heure où ils sont posés, allirmés pour la première fois, où ils n’ont donc pas déroulé les conséquences ou subi les transformations qui pourraient les rendre méconnaissables à leurs propres auteurs. Si c’est, jusqu’à un certain point, une fiction littéraire que de les prendre ainsi à l’état statique, les protestants ne sauraient nous le reprocher : ils ont souvent employé celle méthode ; par exemple, Licutenbbrgbr dans son Encyclopédie des Sciences religieuses et Kattbnbusch dans la Realencrclopædie fur protestantische Théologie de Hauck.

Nous examinerons successivement les divers points sur lesquels le protestantisme a inuové.

1. La justification sans les œuvres. — a) Exposé de la théorie. — L’insurrection religieuse du xvi* siècle ne s’attarda pas aux questions secondaires qui pouvaient entrer et, de fait, entrèrent dans son programme, mais, suivant une remarque préliminaire de Mobhlbr dans sa Symbolique, elle dressa sa tente au centre même du christianisme, posant dès le début, avant de diriger l’attaque vers la périphérie (purgatoire, sacrements, observances, jeûnes, culte des.Saints, etc.), la question vitale de la justification : — Comment l’homme pécheur, après la dégradation primitive, est-il restauré dans le fond de son être et reconvre-t-il la justice et la sainteté ?

Genèse de la théorie. — Serait-ce par les bonnes œuvres, inspirées par la prière, la pénitence ou l’amour ? — Non, déclare Luther, à rencontre même de l’humanisme chrétien qui sauvait la nécessité des œuvres avec Erasme, Gian Francesco, Lefcvre d’Etaples, etc.

On s’accorde à peu près sur les motifs de cette première négation. Ayant eu conscience, dans le cloître, d’avoir perdu la grâce par le péché mortel, il éprouva le besoin d’être « justifié ». Après de longues années de macérations et de pénitence (qu’il faudrait réduire de beaucoup, d’après Drniklb, Luther und f.uthertum, I, 355, etc.), il se persuada que la justification ne pouvait pas reposer sur de telles pratiques, ni sur rien d’extérieur, somme, par exemple, le rite de l’absolution. Il gardait, en elfel, ses terreurs et ses troubles (et il les garda, plus ou moins, du reste, toute sa vie). Mais il eut un jour le sentiment d’être éclairé, dans son angoisse, par la lecture de saint Paul, particulièrement de l’Epltre aux

Romains. — Les historiens prolestants ajoutent qu’il prit, à cette occasion, une idée nouvelle de Dieu. Tandis que le catholicisme l’agenouillait en vain devant la puissance d’un Maître et d’un Juge, il se représenta Dieu comme principalement bon et miséricordieux, comme incliné au pardon, pourvu qu’on ait confiance, c’esl-à-dire foi. Par là, déclare catégoriquement Kattbnbusch (dans la 7t. /s’. 3, XVI, 1/49) »

« toutes les routes sont coupées entre le catholicisme

et le protestantisme. »

Luther prétendra ensuite avoir trouvé le fondement de sa doctrine dans les écrits de* augustiniens, des mystiques à la façon de maître Eckart, des nominalisles de l’école d’Occam : la vérité est qu’il y choisit ce qui correspond le mieux à ses idées ou expériences.

L’article essentiel de la religion est désormais fixé dans son esprit, « article dont on ne devra rien céder, écrira-t-il plus tard, dussent s’écrouler ciel et terre ». Et, sauf quelques protestations isolées, celles de Georges Major, de Pfeflïnger, par exemple, la première théologie protestante, de Luther à Calvin, l’entend bien ainsi : elle a son centre dans la doctrine de la justification sans les œuvres.

Grandes lignes de la théorie. — Partout et chez tous, malgré des divergences ou des atténuations de détail que l’érudition signale presque comme des curiosités, on met l’accent sur l’inefficacité des œuvres : la foi, dégagée d’ordinaire de la charité, de la prière, de la pénitence, importe et agit seule dans la justification. Que la charité naisse de la foi justifiante, comme la pomme naît du pommier ou le feu de la chaleur et de la fumée, Luther l’accordera ensuite, au risque de se contredire (et non sans quelque souci de résoudre la contradiction) ; qu’un sentiment de pénitence accompagne et suive la foi justifiante, sans être conditionné par elle, Calvin l’accordera aussi. La foi n’en reste pas moins pour eux l’exclusive condition de la justice. Quiconque adhère à cette vérité que Dieu, avant tout Miséricorde, a remis les péchés à cause du Christ et par lui, est déclaré juste par Dieu : c’est-à-dire, selon Luther, que Dieu ne le voit plus qu’à travers le Christ et orné des mérites du Christ ; c’est-à-dire, selon Calvin, qu’il appréhende par sa foi même la justice de Jésus-Christ, qu’il en est revêtu, qu’il apparaît ainsi devant Dieu, non comme pécheur, mais comme juste.

Quelle est donc la nature de la foi qui opère une telle merveille ? Question difficile à élucider. Pour Luther et Mélanchthon, c’est plutôt une « confiance ». Pour Calvin, à la confiance se joint une « connaissance ferme et certaine de la bonne volonté de Dieu », connaissance qui a pour fondement la promesse gratuite donnée en Jésus-Christ, révélée à notre entendement par le Saint-Esprit, exprimée par la parole de Dieu contenue dans l’Ecriture.

Corollaires de la théorie. — Ce phénomène religieux de la justification a, pour le croyant, un premier corollaire infiniment précieux : il acquiert la certitude du salut, fondée sur Pinamissibilité de la justice, indépendamment de toute collaboration de sa liberté avec la faveur soudaine qui lui aéié faite. La grâce ne saurait être un remède, puisque le péché est sans remède ; elle reste une simple faveur (Mélanchthon), dont le concept n’implique pas nécessairement une coopération. Quelle coopération attendre, au surplus, « l’une créature dont le mal profond n’a pas été guéri, mais simplement couvert et comme dissimulé par l’indicible Bonté ? Ici, la doctrine catholique montrait, après la tache originelle, une créature privée des dons surnaturels, blessée seulement dans les qualités naturelles. La’théorie protestante veut que cette créature, incapable de rien 795

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qui vaille pour le salut, devenue péché dans son esprit et dans son corps, soit comme tuée et anéantie, au point de n’être plus, dans sa déchéance, qu’un instrument inerte aux mains de Dieu, comme la scie aux mains du charpentier (c’est la thèse du serfarbitrt

  • de Luther). Le péché, sous cet aspect, est vraiment

devenu une seconde nature. Mélanchthoii expliquait : comme une force naturelle. Calvin ajoute : Notre nature n’est pas seulement vide et destituée de tous biens, mais elle est tellement fertile en toute espèce de mal qu’elle n’en peut être oisive ». Nature et concupiscence se confondent. Institution de la Religion chrètwnne, II, v.

Du reste, l’homme avait-il même reçu la liberté en partage, dans son état primitif ? — Calvin dit : oui, mais Luther disait : non. Toujours est-il que Calvin sacrifiait finalement le libre-arbitre devant la prédestination divine la plus absolue. Et c’a été pour la Réforme une façon de donner à la créature un peu d’humilité et de paix, que de la prosterner aux pieds d’un Dieu qui impose la réprobation comme il ordonne le salut, et dirige jusqu’aux assauts du mal. De là à faire de ce Dieu la cause et l’auteur du péché, il n’y avait qu’un pas.

/ ;) Examen de la théorie. — Ainsi ramenée à ses grandes lignes, rapprochée de ses origines et de ses conséquences, la théorie protestante de la justification apparaît ruineuse, surtout si, après en avoir vérifié les appuis psychologiques et historiques, on la compare simplement à la doctrine catholique.

Les appuis psychologiques. — Comment « l’expérience » d’une àme troublée, hors de sa norme, pour sincère qu’elle ait été (malgré la diversité contradictoire des récits de Luther, il faut admettre sur ce point sa sincérité), a-t-elle pu régler « l’expérience » de tant d’autres hommes, surtout si l’on sait par la vie de Luther qu’il n’obtint jamais pour lui-même la paix qu’il cherchait, et que les meilleurs de nos frères séparés sont loin d’avoir atteint la sécurité promise en face des pardons divins ? Estce à un tel résultat que devait aboutir cette mise en présence, si jalousement exclusive, de la miséricorde de Dieu et du péché de l’homme ? A faire abstraction du pécheur ? A ruiner chez lui toute espèce de coopération et de mérite ? A nier avec frénésie le libre-arbitre ? A exalter la volonté le Dieu jusqu’à faire de lui un tyran aveugle et cruel ?

Au surplus, si les idées religieuses individuelles ont un retentissement sur la vie politique et sociale, il est bien permis dépenser que le sombre christianisme de Calvin en particulier fut pour quelque chose dans le régime de terreur qu’il établit à Genève. Peut-être, en fondant une religion et une politique sur la doctrine de la corruption et de la perversion foncière de l’humanité, essayait-il de rompre avec l’indifférence d’Erasme, ou l’épicurisme de Rabelais, qui construisait alors son abbaye de Thélème sur le fondement illusoire de la bonté de la nature ? Toujours est-il que Calvin dépassa le but, que sa pensée radicale n’aboutit pas seulement à la défiance ou à la crainte, mais à la haine et à la suppression de la nature. Sous prétexte de christianisme épuré, il supprima du christianisme toutes les sources d’allégresse profonde et vivifiante qui y sont contenues, donna une religion sans joie à des individus et à un peuple sans joie. Il est pour beaucoup dans la psychologie populaire qui s’est créée peu à peu du protestant, à qui l’on attribue, jusque parfois dans les écrits protestants, une dignité sans charme, une vertu défiante, apeurée et hautaine.

Moins dure, mais aussi déconcertante dans la pra tique, la doctrine de Luther eut en Allemagne de si tristes conséquences morales qu’il dut les déplorer

et louer, comme malgré lui, dans un accès de sincérité, l’activité religieuse du catholicisme (Cf. Dobllingbr, La Réforme etc. trad. Pbhrot, 1848-49, I, 396). Regretta-t-il le pecco foruter sed fortins credo de la fameuse lettre à Mélanchlhon (i er août 15ai), parole que le contexte aggravait encore (uk’Wbttb, Luthers Briefe II, 37) ? C’est fort possible, puisqu’il avoua — tardivement, il est vrai — que la foi elle-même peut se perdre par l’habitude du désordre. En tout cas, « La foule du vulgaire, constate Ha.rnack (L’essence du christianisme, nouv. trad. fr., Paris, 1907, p. 341), ne fut pas fâchée d’apprendre que les

« bonnes œuvres » étaient inutiles, voire dangereuses

pour l’âme. Luther n’est pas responsable de la commode confusion à laquelle donna lieu cette formule ; mais, dès le début, on fut obligé, dans les Eglises de la Réforme allemande, de se plaindre du relâchement moral et du manque de sérieux dans la sanctification. La parole : a Si vous m’aimez, gardez mes commandements » ne conserve pas la place qui lui était due. »

Les appuis historiques. — Luther a prétendu que sa pensée avait rencontré celle de Saint Paul. Mais cette rencontre repose sur des analogies plus verbales que réelles, et qui témoignent seulement des emprunts intéressés de Luther, de la façon dont il élargit ou rétrécit le sens des textes, si cela lui parait nécessaire. — Par exemple, ce que l’Apôtre dit des œuvres de la Loi sous leur double aspect cérémoniel et moral, Luther l’accapare en faveur de son enseignement sur l’inutilité de toute œuvre bonne. — Et, de même, si S. Paul insiste sur l’aspect forensique, juridique, donné à la justification, Luther en prend prétexte pour légitimer sa théorie de la justice imputée, quoiqu’il n’y ait pas de lien nécessaire et absolu entre les deux idées (cf. Tobac, Le problème de la justification dans S. Paul, Louvain, 1908). Luther oublie, pour la seule épilre aux Romains, les autres écrits de S. Paul, ou du moins néglige de comparer cette épître avec les autres, d’en confronter la doctrine particulière avec la pensée générale du grand Apôtre, avec celle des Evangiles. On a pu l’accuser d’avoir altéré le texte de Rom. dans les traductions. Ce qui est plus évident, c’est qu’il ne tient pas compte du c. vi de Rom. et des compléments qu’il apporte à la doctrine paulinienne de la justification. Le moins qu’on puisse dire, enfin, c’est que, détournant habilement cette doctrine de son vrai sens, il en l’ait dériver une « scolastique » de sa façon (Cf. A. Sabatibr, L’Apôtre Paul, 3e éd., pp. 310-321). — Quant à l’épître de S. Jacques, elle le gêne : il en nie, on le sait, l’autheiiticité.

Saint Augustin, par l’ensemble de ses théories sotériologiques, surtout par ses doctrines sur la grâce, la prédestination, le péché original dans son rapport avec la concupiscence — doctrines qu’on ne peut s’empêcher de considérer en fonction des problèmes connexes de la justification et du libre arbitre, — S. Augustin a semblé, plus que S. Paul, offrir quelque abri à la pensée des fondateurs du protestantisme. Calvin fait souvent appel, dans son lnst. chrét., à l’autorité de S. Augustin (notamment à propos de la prédestination)… La Confession d’Augsbotwg (a. 20) lui a même attribué la justification sans les œuvres. — Mais Luther n’avait pas osé faire la même attribution : il s’en consolait en alléguant que S. Augustin se trompe souvent, qu’on ne peut se fier à lui. Aujourd’hui, du reste, on ne songe plus à faire de S. Augustin le père du protestantisme évangélique. Harnaok émimère même (dans sa Dogmengeschichte III, 231-a36) un certain nombre de points doctrinaux par lesquels il lui sem797

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ble que le grand Docteur appartient à ce qu’il appelle le catholicisme vulgaire : par exemple, le pardon des péchés dars et par l’Eglise, les mérites de la vie éternelle, la méconnaissance de la thèse protestante du salut par la foi. Il est vrai qu’à d’autres égards l’augustinisme lui paraît s’être retiré de l’Eglise, avoir été dissimulé et mis à l’arrière-plan par le Concile de Trente : rupture que Richard Simon estimait fort sage, lui qui croyait que la grâce et la prédestination augustiniennes détruisaient absolument le libre-arbitre. Et il est exact, en effet, que L’Eglise a abandonné certaines formules obscures de S. Augustin, dont la pensée ne peut être considérée comme statique, puisque lui-même a progressé et invité à progresser. Mais en même temps l’Eglise a maintenu les grandes lignes de sa théorie de la grâce, dont elle a seulement dégagé ou mis en relief les aspects consolants, laissés dans l’ombre à cause de la controverse pélagienne. Cf. art. Prédestination.

En résumé, le principe de la justification sans les œuvres n’a pour lui ni l’Ecriture ni les Pères. Ou, plus précisément, il ne tire et ne retient de l’Ecriture et de la tradition qu’un élément : la rémission des péchés par les mérites de Jésus-Christ : élément fécond, essentiel même. Qu’on le compare à ce qui subsistera un jour de la théorie prolestante primitive dans la pensée de Kant, où la foi justifiante sera simplement réduite à la foi dans l’idéal, Dieu jugeaDt et sanctifiant d’après 1 idéal auquel on s’est conformé.

Comparaison avec la doctrine catholique. — La théologie catholique proclame fortement, elle aussi, l’efficacité justifiante de la foi, et adore le dessein de la Miséricorde infinie pardonnant par Jésus Sauveur. Mais elle a toujours tenu grand compte, en les précisant, de deux points de vue : de celui qui frappait plus tard Sehleiermacher, lorsqu’il observait que justification et rénovation vont ensemble, et qu’un changement dansnosrelalions avec Dieu comporte une nouvelle forme de vie ; — et de celui qu’une exégèse indulgente attribue parfois au protestantisme originel, lorsque, rappelant le mot de Mélanchthon : ideo justificamur ut bona opéra facere possimus, on montre les bonnes œuvres jaillissant, en vertu d’une nécessité psychologique, de la certitude même que le croyant obtient de son pardon.

Ce n est pas pour la forme, que le catholicisme ne sépare pas la justification de la rénovation de l’homme, non seulement réputé, mais devenu juste au fond de lui-même. La Réforme affirmait que l’iniquité profonde et inéluctable du croyant était couverte, dérobée aux yeux de Dieu par Jésus-Christ ; l’Eglise affirme que Jésus-Christ, uni au fidèle, vit en lui par la grâce et l’élève à une vie nouvelle, à laquelle il doit s’adapter. Comme elle ne considère pas que l’homme ail, par sa chute, perdu toutes ses facultés spirituelles et toute sa liberté, elle peut le rendre aeiif dans l’œuvre de sa régénération S’il éprouve encore les troubles de la concupiscence, triste rejeton du péché, pour cela appelé péché par l’Ecriture, l’activité divine trouve du moins un écho dans son être : aussi la concupiscence n’est plus en lui qu’une occasion de combat, — de confusion ou de gloire, — un motif de veiller et de prier, de se tenir dans l’humilité. Car la justification, suivant le mot de Bossuet, pour être véritable, n’est pas parfaite. Elle est progressive : quoique régénérés, nous avons toujours à éviter le péché — qui ne consiste pas en la seule « infidélité » — : toujours à demander plus de grâce, plus de justice. Si la foi justifie, >uvres sanctifient (Ilorn., VI, 1-23). Il n’est pas vrai, du reste, que la grâce ainsi sollicitée soit payée

par les ouvres de l’homme ; que celui-ci puisse forcer Dieu d’agir dans son cœur. Mais il devient actif, travaille avec Dieu, quand il reçoit humblement l’action divine et se l’approprie par une foi pénétrée d’amour. C’est afides charitate formata.

Une pareille foi se concilie aisément avec les dispositions du cœur et les « bonnes œuvres ». Rien ne peut empêcher le croyant d’espérer qu’il lui sera tenu compte de ses « réactions », des efforts qu’il fait pour se plier à la loi de Dieu ; qu’il peut quelque chose pour son propre salut. Ce n’est point là orgueil ou présomption. « Puisque Jésus-Christ, explique le concile de Trente (sess. vi, c. iG), comme la tête dans les membres, la vigne dans les pampres, verse sans cesse dans ceux qui sont justifiés une vertu qui procède, accompagne et suit toujours leurs bonnes œuvres, et sans laquelle elles ne pourraient être ni méritoires ni agréables à Dieu, il faut croire qu’il ne manque plus rien à ceux qui sont justifiés pour être estimés avoir, par ce* bonnes œuvres faites en Dieu, pleinement satisfait à la loi divine… et.. mérité la vie éternelle »…

Ainsi le Christ n’a pas seulement annoncé, dans une première et unique promesse, le pardon des péchés. Il a apporté encore aux croyants des préceptes et des conseils, il les a fortifiés pour accomplir sa loi. Qui nierait ce second point de vue, nierait l’Evangile. Pour le concilier avec le premier, il n’est que de recourir à la doctrine de la justification, telle que l’Eglise l’a définie : doctrine où la foi et la loi, la religiosité et la moralité sont unies par des liens si étroits que l’on ne conçoit pas comment la connaissance et l’assentiment religieux de la foi pourraient devenir plus profonds dans le cœur, sans que la loi divine s’y grave aussi davantage.

Concluons. — Si le protestantisme a contribué pour sa part à faire préciser, en matière de justification, le dogme catholique, il faut reconnaître que rien n’égale ce dogme en richesse et enprofondeur ; que rien ne le vaut, sous ses aspects mystérieux, pouraffirmer la bonté souveraine et gratuite de Dieu, mais aussi « pour maintenir la liberté humaine, assurer la dignité de la loi morale, affermir la vraie notion du mérite et du démérite et ne pas laisser tourner la Rédemption en folie ». (Cf. Moehlkr, Symbolik etc., Mayence, 183a, ou plus simplement les Extraits de Moehler publiés par Goyau dans la Coll. delà Pensée chrétienne, pp. 195-258). Les protestants s’en sont rendu compte peu à peu. Quand ils ont eu à parler de l’action de Dieu dans l’âme et du salut, sans aucun souci de controverse ou de propagande anticatholique, il leur est arrivé souvent, dès l’origine, et il leur arrive de plus en plus, au moins chez les conservateurs, de tenir sur cette matière un langage qui confine à celui de l’orthodoxie catholique.

IL L’autorité exclusive de la Bible, comme règle de foi. — a) Exposé de la théorie. — En même temps que le protestantisme primitif présentait comme exclusive l’efficacité de la foi pour le salut, et qu’il appuyait la foi sur les promesses divines faites par Jésus-Christ, il s’habituait à ne chercherces promesses, comme d’ailleurs toutevirité religieuse, que dans les symboles œcuméniques et dans les écrits des Pères des quatre premiers siècles.

C’est pourquoi Luther gardait intactes les croyances traditionnelles sur la sainte Trinité et les deux natures. Les historiens actuels du protestantisme estiment qu’il offrait en cela, étant donné l’insuffisance du travail critique accompli de son temps, une preuve de « sûreté de tact religieux » (Heal.Encycl., 709

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XVI, 1 48). Mais quand il songeait à la Bible, il se disait déjà que, u si l’Esprit a parlé dans les Pères, à plus forte raison a-t-il parlé dans l’Ecriture ». Et encore qu’il n’y eût pas pour lui d’autorité, même dans l’Ecriture, là où il ne croyait pas retrouver l’Esprit du Christ, il faisait néanmoins de l’Ecriture la norme de la foi.

Plus nettement encore, Zwingli et Calvin font de la Bible la seule autorité. Ils y ont intérêt, puisqu’ils confondent avec l’enseignement de la Bible leur propre enseignement. « Premièrement, dit Calvin, en ce qu’ils l’appellent nouvelle [sa doctrine], nos adversaires font moult grande injure à Dieu duquel la sacrée parole ne méritait point d'être notée de nouvelleté. Certes je ne doute point que touchant d’eux elle ne leur soit nouvelle, vu que le Christ même et son Evangile leur sont nouveaux. » Si L’Eglise a pu nous transmettre l’Ecriture, elle ne saurait nous en garantir l’autorité, car l’Ecriture est à elle-même sa preuve. Elle a, dit Calvin, « de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible, comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur, et les choses rances et amères de montrer leur saveur ». (Instit. chrét., 1, vii, §2)- Du reste, si l’Ecriture se présente à nous comme une sorte d’axiome, le SaintEsprit ne laisse pas d’apporter intérieurement un témoignage à la Divine Parole, de nous incliner à lui donner foi, de nous aider à la sentir et à l’entendre (loc. cit., §4). en sorte que c’est le Saint-Esprit, plus que le croyant, qui la lit. — Bien plus, l’unique source de la révélation, ainsi fixée, se trouvant dans la Bible, chacun aie droit de n’en croire que les Saints Livres, de ne prendre d’eux que ce qu’il comprend, c’est-à-dire ce qu’il interprète à l’aide de la parole intérieure. — C’est déjà le germe du libre-examen, de la libre conscience se frayant à elle-même sa voie à travers les vérités et les devoirs. Nous y revenons plu-, loin*

b) Examen de la théorie. —Observons tout d’abord que le protestantisme n’a pas le monopole du respect et du culte delà sainte Ecriture. Pour se borner au sièclequi précéda l’apparition de Luther, dès que la découverte de l’imprimerie a rendu possible la diffusion de la Bible, on la voit se répandre en Allemagne sous forme de traductions complètes ou partielles. L’Eglise se souvient toujours, il est vrai, qu’elle contient des passages obscurs, di/ficilia inlellectu (II Pet., iii, 16), et n’en propose pas indistinctement la lecture à tout le monde sans préparation ni étude ; mais le sentiment qui prévaut, c’est que, sous une forme ou sous une autre, fût-ce à l’aide d’explications (édition de la Bible de Liïbeck, 14g4)> tout chrétien doit parvenir à la lire (cf. Jansskn, La Réformi-, 1, l. 1, c. 2 de la trad. fr.).

Luther n’admet ni ces limitations ni ces précautions que le bon sens indique. Aussi, dans sa controverse avec Eck, son plus redoutable adversaire, après avoir rejeté les conciles et définitivement < tiré sa révérence aux Pères » en les sacrifiant à la seule Ecriture, il a porté à l’Ecriture les plus rudes coups. Non seulement, dans ses divers écrits, il la complète, lacorrige ou la travestit à l’aide des révélations de l’Esprit, non seulement ses amis et luimême en tirent les interprétationsles plus fâcheuses (comme dans l’approbation donnée à la bigamie du landgrave de Hesse), mais il n’hésite jamais à arracher à sa façon les pages qui lui déplaisent ou sont en contradiction avec les thèses qu’il avance. — C’est ainsiqu’ildéclare apocryphes ou sans valeur les livres deuté.rocanoniques, décrie l’Kcclésiaste, le Cantique des Cantiques, surtout le livre d’Est lier, il rejette du canon l'épître aux Hébreux, les épltres

de Jude, de Jacques et l’Apocalypse, établit enlin des catégories de valeur entre les écrits du Nouveau Testament.

Surtout Luther, et aussi Calvin, qui a tant plaidé pour l'évidencede l’autorité de la Bible, lui enlèvent son fondement en négligeant d’en légitimer la valeur pour la foi, sous prétexte que cette valeur ne saurait dépendre de l’Eglise. On voit le sophisme. < Calvin, observait là-dessus Brunetière (Hist. de la liit. franc., 1, 209), pourrait aussi bien dire que les vérités de la physique ou de la chimie dépendent d’Archimède ou d’Euclide ! » Si c’est l’Eglise, en effet, qui garantit l’authenticité et la vérité des Ecritures, ce n’est cependant pas elle qui crée cette authenticité ni qui fait cette vérité. — Calvin s’obstinnit, en même temps, è confondre le sentiment commun de l’Eglise en matière d’Ecriture avec les

« fantaisies » deshommes. Lui quis’atlachaitsiétroitement aux avis individuels des croyants, aurait

dû se préserver d’une pareille contradiction. Le sens commun de l’Eglise a constitué, sur le canon des Ecritures, une première tradition autorisée.

L’Eglise, qui recueille aussi la tradition, et l’anime, parole vivante, supplément de la parole écrite, l’Eglise a précédé l’Evangile : elle a été, elle est encore l’Evangile vivant, par quoi l’autre continue d'être annoncé, expliqué, et de produire des fruits. De cela, même au sein du protestantisme primitif, on eut le sentiment très net. Il n’est pas jusqu'à Michel Servet, ce fils égaré de la Béforme, qui n’ait un jour opposé à l’Ecriture « morte -> l’autorité de l’Eglise et de « sa voix vivante » (Christ. Restit., 627). C’est qu’il faut absolument entendre cette voix pour connaître intégralement le Sauveur Jésus et le message qu’il apporte (cf. Mobuler-Goyau, p. 85 ; — et la l 'héologie de Bellarmin du P. delà Sbrvièrb, pp. 34 à 36, où se trouve résumée la fameuse question du Juge des Controverses).

Enfin, au point de vue pratique, le recours exclusif à la Bible a d’autres inconvénients, que Mœhler a très finement analysés. Il en montre successivement la vanité et l’illusion, soit que le fidèle fonde sa foi sur ses propres recherches, soit qu’il s’adresse aux prédicateurs évangéliques pour se soumettre à leur interprétation. S’il lit, en effet, la Sainte Ecriture sans l’aide de l’Eglise, « ne doit-il pasêtre toujours prêt à modifier sa croyance ? Ne doit-il pas admettre que, par une élude plus approfondie des saintes Lettres, il arriverait peut-être à de tout autres conséquences ? et, dès lors, nous le demandons, peut-il naître dans son àme une conviction profonde, inébranlable, ferme comme le roc ? et voit à pourtant la seule disposition qui mérite le nom de foi. Quiconque dit : « Ceci est en ce moment ma foi », n’a pas de foi. »

— Aussi, qu’arrive-t-il d’ordinaire ? C’est que le fidèle, en f.iit de contact personnel avec l’Ecriture, renonce facilement à son privilège théorique. D’aventure, il y renoncera d’autant plus fâcheusement que, continuant de lire la Bible, mais vivant d’elle seule, il sentira grandir le sentiment obscur qu’il vit du passé seulement, tandis que le catholique, en écoutant l’Eglise et son commentaire, aie sentiment lumineux de vivre aussi du présent. « La bonne nouvelle du protestantisme est un récit des faits passés : quel soulagement pouvons-nous trouver dans ce récit ? A îles maux actuels, ne faut-il pas un remède acluel ? -t-on pu me guérir vingt siècles avant ma naissance ? » (Cf. Lettre d’un protestant détaché à un catholique anxieux, dans la Rev, hehdom., 9 avr’l 1910). La Bible présente aussi des miracles. Mais ces miracles « ont eu lieu une fois pour toutes », tandis que ; < le surnaturel de l’Eglise 801

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catholique constitue un ordre permanent… Autant l’Incarnation et la Résurrection me paraissent impossibles quand on n’a que ces miracles passés à m’offrir, autant je les jugerais aisés à croire, s’ils faisaient partie d’une série ininterrompue de faits semblables, c’est-à-dire si j’adorais aujourd’hui même la présence réelle dans l’Eucharistie » (loc. cit.)

Quoiqu’il faille penser d’un tel état d’âme vis-àvis de l’objet de la foi présenté par la Bible, et à supposer qu’il ne soit pas très commun parce qu’il est assez subtil ; il reste, en pratique, que la masse de nos frères séparés suit, en fait de commentaires du texte sacré, la direction de ceux qui l’instruisent. Mais ceux-là même « possèderonl-ilsune autorité qu’ils refusent eux-mêmes à leur propre Eglise ? Offrent-ils une autre garantie en faveur de l’inspiration divine de leurs exégèses ?… Quelle contradiction d’attribuer en /ait à une communauté une autorité qu’on lui dénie en principe ?… Ce n’est pas tout : la plupart des prédicateurs ne tirent pas immédiatement leur enseignement delaBible… (Ils ne reçoivent eux-mêmes cette doctrine que par divers canaux ; et c’est une des plus étonnantes illusions de notre temps, de croire que le protestantisme n’a recours qu’aux Ecritures pour établir ses rapports avec Dieu et avec son Christ. » ^Moehler-Goyau, 326-318).

III. Le libre examen et la libre conscience.

— Chose curieuse, c’est surtout du principe qui confère à la Bible une autorité exclusive, que sortit celui du libre examen. Quoiqu’il n’ait pas apparu très nettement comme un corollaire des doctrines nouvelles, qu’il n’ait pas trouvé de longtemps sa formule, qu’il ait eu à lutter contre des tendances autoritaires, et même parfois, comme au xvn » siècle, contre une sorte de retour à la conception catholique de l’Eglise, ce n’est pas à tort qu’on le considère, soit chez les catholiques, soit chez les protestants, comme un des éléments implicites contenus dans le protestantisme initial.

a) Exposé de la théorie. — En elTet, dans la pensée de Luther, si le christianisme est pour l’individu un lien, c’est aussi un affranchissement ; or, cet affranchissement, il le considère, ainsi que le faisaient les esprits directeurs de la Renaissance, comme une attitude nouvelle de la conscience, émancipée et pénétrée de ses droits, envers l’autorité. De plus, si la conscience individuelle peut appliquer son effort à la Bible pour l’interpréter en dernier ressort, c’est bien qu’elle se crée à elle-même sa foi. C’est, du reste, une concession indispensable à se faire entre croyants, tous capables d’entendre différemment la Parole de Dieu, que de reconnaître défait la valeur religieuse de ces interprétations individuelles, sans trop regarder à leurs conséquences.

— Telle est, sinon à la lettre, du moins dans son esprit, la conception qu’on se fa t du libre examen : une conception d’ordre pratique plutôt que théorique.

« Le protestant est un homme qui examine

avant de se soumettre ». Ce motde Vinkt, rapproché soigneusement de son contexte : « Ce que je repousse absolument, c’est l’autorité », peut assez bien servir d’illustration à la pensée un peu confuse des premiers Réformateurs, à la condition qu’on entende ici l’autorité, non pas de toute autorité religieuse, quelle qu’elle soit — (la Bible est une autorité qu’ils aceptent), — mais de toute autorité o/ficirtleoulégale. C’est du moins ce qu’ils proclament, en attendant de recourir au prince — comme lit Luther, — ou de le remplacer — comme lit Calvin, — pour l’adminis Tome IV.

trationde la vérité religieuse et le maintien du nouvel Evangile.

b) Examen de la théorie. — Nous n’avons pas ici à déterminer ou à discuter quels sont les droits de la raison et de la conscience en face de la vérité religieuse. Cet exposé, du seul point de vue philosophique, comporterait une vaste étude, et c’est un tout autre débat. Contentons-nous d’observer simplement

— c’est une remarque de Moehler (cf. Moehlbk-Goyau, 0.7), que le libre examen maintient perpétuellement le fidèle à son point de départ, puisque

« l’hérésie, parvenue à son développement, devra

toujours professer laliberté de penser, si ellevent… ne pas être en contradiction avec elle même ; elle ne peut se débarrasser de son néant, sans s’anéantir elle-même ». Cela correspond à l’aveu de Vinet : « Le protestantisme n’est pour moi qu’un point de départ ». Ainsi en fut-il dès les premiers temps de la Réforme. Mais de ce « point de départ », on alla tout de suite aux pires excès : aux révoltes de la démagogie sur le terrain politique, et, sur le terrain proprement religieux, aux contradictions les plus hardies et les plus violentes. Bornons-nous à constater que ce furent là — historiquement — les fruits immédiats du libre-examen.

i° L’autorité civile devait être la première à souffrir du discrédit qui atteignait l’autorité religieuse. C’est pour la « défense du saint Evangile 1 », librement interprété par les prédicants, qu’on s’insurge en Allemagne et en Bohème : ou plutôt, c’est ici le prétexte dont on couvre confusément, et de justes revendications sociales, et d’inavouables convoitises, c’est ici le premier service qu’on demande à la « parole de Dieu ». L’Ancien Testament a établi les dîmes, mais le Nouveau en affranchit. La taxe sur le bétail ne peut être conservée, puisque les animaux ont été donnés en propriété à l’homme ; et cela autorise aussi tout le monde à chasser : donc, pas de gibier, pas de pèche réservée. Plus de serfs, puisque le sang de Jésus-Christ a coulé pour tous : d’où l’abolition des classes, l’égalité sociale la plus absolue. C’est ainsi qu’on raisonne en Souabe ou en Franconie. Tout le monde ne saurait avoir la haute raison des gens instruits et des sages, qui tirent de la Bible des conclusions plus désintéressées. Car on tire tout de la Bible. Et par ce que Moïse a inspiré la révolte contre Pharaon, on s’élève contre le seigneur et le prêtre, qui personnifient Pharaon et tous les tyrans nommés ou flétris par l’Ecriture 1 — L’horrible guerre des paysans a telle d’autres origines ? Assurément ; mais elle a aussi celle-là. Luther, qui l’avait attisée, se vit obligé de reculer devant son œuvre et de se retourner contre les paysans, quand leur cause fut perdue : il le fit encore au nom d’une inspiration divine, d’un ordre du Seigneur à sa concience.

2* L’insurrection démagogique n’est rien à côté de l’anarchie doctrinale produite par le libre-examen. Celle-ci se prolonge davantage, et l’on dirait que tous les tenants de la Réforme ont à cœur d’y collaborer. — Carlosladt soutient, dès 1520, dans son De canonicis Scrij/turis, que l’interprétation de la parole de Dieu s’inspire, non delà foi, mais du sens littéral. Et il en déduit : que l’idéal politique doit être calqué sur l’idéal mosaïque, se résoudre en une théocratie égalitaire qui supprimera science, hiérarchie, rangs sociaux ; que l’on doit brûler ou briser les images, les tableaux, les statues, suivant les prescriptions du Deutéronome (I)eut., xxvii, 15) ; que la polygamie, simplement tolérée par Luther, dans un cas particulier, est licite. — Un ami de Carlostadt. Sehwenkfelt, ne voit, lui, dans l’Ecriture, qu’un simple témoignage historique : il n’y a

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d’Evangile que la parole intérieure communiquée à l’âme par Dieu. Il applique aussitôt cette idée à l’institution de l’Eucharistie, — et ses conclusions contrarient celles de Luther, quiconlrariaientcelles de Zwingli sur la présence figurative du corps de Jésus-Christ — Les anabaptistes poussent à ses dernières conséquences le système de Garlostadt : rien en dehors de la Bible, rien que par la Bible prise à la rigueur extrême de la lettre ; il ne faut pas laisser s’affadir la parole de Dieu. Au moment même où ils exaltent ainsi la Bible, au point qu’ils rejettent le baptême des enfants (tfatheum caninitm), parce que la Bible n’en parle pas, et qu’ils prétendent aux visions, à l’exemple de Daniel et de l’Apocalypse, voici — autre inconséquence — qu’avec Mùnzer ils prennent leurs propres rêveries pour des révélations et les placent, comme une Bible vivante, communiquée d’en haut, au-dessus de la Bible écrite, décidément inintelligible au plus grand nombre. — Denk, mort en 15a8, appuie davantage encore sur ce principe : au nom des contradictions de l’Ecriture — dont il fait le sujet de l’un de ses livres, — il confie à la raison du croyant le soin exclusif de les résoudre, car si la Bible est le plus précieux des trésors, il faut néanmoins qu’on l’entende avec des « oreilles humaines ». L’Ecriture n’est pas la parole de Dieu, mais la parole de Dieu y est seulement enfermée. Et tout en continuant de la lire, on nie, en effet, la divinité de Jésus-Christ, l’Incarnation, la Trinité… On ne s’arrête même pas au déisme, avec les deux frères Behaim de Nuremberg, on va jusqu’au naturalisme de S. Franck, jusqu’au panthéisme mystique de Servet. — A mesure que se déroulent, sous ses yeux, les conséquences du principe posé, Luther s’épouvante et s’irrite. C’est vainement et trop tard qu’il traite Servet de Maure : celui-ciadéjà montré à la Réforme

— (cf. Harnack, Dogmengeschichte 1’, III, 775) — le pas décisif à faire vers le rationalisme pur. — Du reste, dès 1530-">, le mal est à son comble : « il y a autant de credo que de têtes », constate douloureusement Luther ; et les propres lilsde la Réforme retournent contre lui le mot qu’il a le premier jeté aux papistes : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. »

Pour m brider » l’anarchie doctrinale, Luther invite les princes à contraindre leurs sujets à accepter la révolution religieuse dont il a été l’artisan. On peut, en effet, remonter jusqu’à lui pour trouver l’origine — sinon encore la formule — du cu/us regio, ejus religio, qui deviendra plus, tard un dogme politique (cf. Dobllinger, loc. cit., III, 221). A sa naissance, la religion du libre-examen a pour conséquence immédiate le recours à l’Etat, qu’on a tant reproché aux religions dites d’autorité, recours qui était du moins conciliable avec certains de leurs principes sur les droits de la vérité à être soutenue et l’union des deux pouvoirs spirituel et temporel, tandis qu’on ne voit pas exactement sur quoi, clans le protestantisme, un tel recours peut être fondé — On s’adresse, d’ailleurs, non seulement au pouvoir prolecteur de l’Etat, mais à son pouvoir de coaction. En 15ao, Luther avait pourtant déclaré qu’il est contre la volonté du Saint-Esprit de brûler les hérétiques. Mais bientôt il estime qu’on doit les punir à titre de révolutionnaires, et aussi de blasphémateurs. En 1531, après l’écrasement des Zwingliens à Cappel, les cantons suisses catholiques avaient usé envers eux d’indulgence, sur le conseil de Clément VII : Luther désapprouve cette modération.

Vers le même temps, Mélanchthon avait regretté sa douceur première envers les Anabaptistes. Quelques années plus tard, il suffit de rappeler la

Genève de Calvin, et la violence perfide et tenace avec laquelle celui-ci mena le procès de Michel Servet, obtint sa condamnation et son supplice ( 1553) Au lendemain du bûcher de ChampeL, Calvin défendit le droit du glaive dans sa Defensio orthodoia’fidei (1 ").">’4) La même année, dans son écrit De Hæreticis an tint puniendi, Théodore de Bèze voulut étendre le châtiment jusqu’à ceux qui réclament l’impunité pour l’hérésie.

IV. L’absence d’intermédiaires entre Dieu et le’croyant : l’Eglise, assemblée de la foi. — a) Exposé de la théorie. — Le protestantisme considère moins la grâce elle-même, sur la définition de laquelle il ne s’explique guère, que l’assimilation subjective de la grâce par la foi, en tant qu’on l’oppose à la notion d’un trésor objectif à r.diuinislrer et à distribuer, au moyen de rites, de pratiques ou d’intercessions spéciales, par l’Eglise. Entre L’homme justifié par la foi et le Dieu-Miséricorde, pas d’autre Médiateur que Jésus Rédempteur et Sauveur, pas d’autre Docteur que l’Esprit divin parlant dans l’Ecriture.

Ces formules synthétiques, et la conception générale qu’elles supposent, ont déjà leur expression dans les faits primitifs. Dèsles débuts delà Réforme, on se fait une idée inexacte non-seulement du rôle des bonnes œuvres pour le salut, mais aussi du culte extérieur et de tous les rites ou actes qui s’y rattachent. De là découle le mépris des indulgences ; l’abandon du culte à rendre aux Saints — qui sont nos modèles sans doute, mais dont on ne saurait invoquer les suffrages (Luther, Calvin, Chemnitz). quoi qu’ils prient peut-être pour l’Eglise en général (Luther et ses premiers disciples) ; le rejet des cérémonies extérieures, de la Messe, considérée comme une « abomination » par Luther ; enfin la diminution et presque la ruine de l’idée de sacrement et d’Eglise.

En ce qui concerne, par exemple, les sacrements, on en réduit plus ou moins le nombre : Calvin n’er. admet plus que deux, le Baptême et la Cène. Marques sensibles de la véracité de la promesse divine ou gages qui nous l’annoncent etnous la rappellent, ils excitent et soutiennent notre foi ; mais ils n’ont aucune vertu intrinsèque, ni physique, ni morale. Leur action sanctifiante est du dehors. Leurs formules exhortent et ne consacrent pas. La grâce est reçue sans qu’il soit nécessaire d’y recourir : on peut n’en pas user. — Calvin, il est vrai, en vante la dignité, en recommande quelquefois l’usage. Mais sous ses paroles ambiguës se cache une pensée radicale, qu’explique assez sa doctrine sur la prédestination : la grâce ne peut être donnée qu’aux élus, et ne saurait donc en aucune façon être attachée à un signe sensible. — Luther, lui, en est revenu finalement à l’idée que le baptême donnait la sainteté, mais il croyait en même temps qu’il ne la donnait que par la foi, « Non sacramcniitm, sed fida in sacrament" justi/icat », disait-il à Cajetan. — Mais c’est dans la doctrine de Zwingli que l’on voit s’effacer et disparaître davantage, et l’idée, et le rôle du sacrement — qui ne sert plus que de profession de foi, de signe de ralliement, d’union entre les hommes. En les recevant, le fidèle donne plutôt à l’Eglise une preuve de sa foi, qu’il n’en reçoit lui-même le sceau et la confirmation. Quelle que soit donc la forme revêtue par la notion prolestante de sacrement, on voit avec quel soin en est élimine tout élément qui servirait à les présenter comme convoyant ou même comme certifiant l’action directe de Dieu sur l’individu.

L’individualisme religieux n’est pas moins marqué 805

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dans la conception que les Réformateurs se fout de l’Eglise. — Avant d’en rejeter la notion traditionnelle, Luther hésite longtemps : il professe que tout est venu par elle, Ecriture, sacrements, prédication ; qu’on ne peut parler avec autorité sans u mission » régulièrement reçue des supérieurs ; qu’on retrouve l’Eglise dans la papauté (Doellingbr, 111, 1 96.. Mais dès 1 5 16 il tourne déjà l’Eglise en dérision à propos de l’affaire des Indulgences ; en 1518, dans une lettre à Spalatin, il fait ti de l’excommunication ; la même année, il affirme que le Pape est l’Antéchrist et, dans un sermon, il professe que

« l’Eglise en tant que société, n’est pas un corps

visible, mais une communauté invisible » ; que le péché seul empêche d’en faire partie. — Voilà posé le fameux prinoipe de l’Eglise invisible. Mais alors, à quoi la reconnaître ? — Ce sont aussitôt des contradictions. On la reconnaît, répond il, au Baptême, au pain de la Cène, surtout à l’Evangile ; et dès lors, l’Eglise redevient pour lui visible en quelque façon. Mais elle est sujette, en tant que visible, à des disparitions soudaines ; (et les continuateurs ou les émules de Luther — même Servet — ne manqueront pas d’expliquer que l’Eglise visible a péri dès qu’elle a été sujette à la corruption et n’a plus représenté la société fondée par le Christ, ce qui est arrive précisément vers le iv « ou le Ve siècle, surtout après Constantin, au moment où la Papauté a grandi). Mais l’Eglise invisible n’a jamais cessé d exister ; elle est seule indéfectible ; il y a entre elle et l'Église visible primitive une continuité que ne supprime pas 1 interruption de visibilité. Elle se compose de toutes les âmes justes et droites unies au Christ par l’acceptation de l’Evangile nouveau : notamment de celles qui ont rejeté l’idolâtrie et la corruption romaines. On n’y entre, on n’y est lié aux autres croyants, que par la foi. A cette société théoriquement invisible, indivisible et universelle — coetus vocatorum, — correspond dureste, suivant les temps et les lieux, une société qui, pour n'être pas aussi tangible que « le royaume de France ou la République de Venise », suivant la comparaison célèbre de Bellarmin, n’en sera pas moins empirique dans une certaine mesure, — soit par l’administration des sacrements, la prédication de l’Evangile, la réception du Baptëiue (luthéranisme) — soit par la naissance de parents chrétiens ou la foi jurée (calvinisme).

Qui gouvernera, enseignera cette famille d'élus ? Pour Luther, comme pour Mélanchthon et Calvin, comme pour les enfants perdus de la Réforme, ce ne sera ni le Pape, ni une hiérarchie quelconque. Le grand principe posé par les initiateurs de la Réforme, que tout fidèle est prêtre (Luther), sacrificateur et roi dans l’Eglise (Calvin), qu’il n’y a pas besoin, entre l’Evangile et l'àme, d’intermédiaires humains, trouve ici de nouveau son application. Plus de différences entre la vie laïque et la vie religieuse, — plus de vœux, — plus de célibat ecclésiastique, — plus de distinction entre la moralité séculière et la moralité ascétique, entre les préceptes et les conseils, — comme il n’y en a déjà plus entre les diverses sortes de péchés. Plus de distinction entre les pasteurs, plus d’ordination : Luther la compare à une tonderie, à un graissage, à une supercherie qui ne fait que des charlatans et des prêtres de S.tan.

On se sépare cependant sur la question de la mission et de la vocation. Les uns supposent qu’elle a été accordée directement par le S. Esprit aux partisans du nouvel Evangile, pour réédiûer l’Eglise défaillante ; les autres qu’elle a été comme dérobée par le » prédicateurs aux indignes successeurs des Apô tres, et que l’Eglise, reconnaissable au moins dans sa parole et dans ses actes, a le droit de juger les doctrines, d’interpréter l’Ecriture et de régler la foi. Par quels moyens ce magistère s’exercera-t-il ? On ne le définit guère. Toujours est-il qu’avec Mélanchthon et Calvin, lorsqu’apparait clairement la nécessité de limiter l’arbitraire des individus et des Etats, c’est la tendance autoritaire qui prévaut. Les Philippins ou partisans de Mélanchthon essaient même de restaurer la notion d’Eglise, tentent un compromis. Rome ne peut que repousser une entreprise uniquement inspirée par une nécessité passagère de politique religieuse. On s’efforce néanmoins, au sein du protestantisme, de retrouver quelque chose de l’ancienne cohésion catholique cl de la forte organisation de l’Eglise romaine. Luther, tout en conservant son idée du sacerdoce universel, admet un certain pouvoir épiscopal, indépendant du Pape. Calvin, qui rejette ce pouvoir, remet l’autorité aux mains d’un consistoire indépendant de l’Etat ; mais à Genève il est lui-même l’Etal. Et il ne faut pas l’oublier, c est à l’organisation d’Eglises d’Etat que, dans son ensemble, aboutit la première propagande de la Réforme. — De ces schismes politiques, nés de l’hérésie ou conduisant à l’hérésie, l’exemple le plus frappant, mais aussi le plus singulier, est celui que donna l’Angleterre d’Henri VIII et d’Elisabeth. S’il se place à part dans l’histoire religieuse de la Réforme elle-même, s’il a été déterminé par un ensemble de circonstances locales plus que par des causes théologiques et semble par là échapper partiellement à l’influence des principes du protestantisme primitif, ce schisme s’y rattache néanmoins par ses conséquences. C’est avant tout par la constitution d’une Eglise d’Etat, que la confession anglicane est entrée parmi les « protestantisme ! » et demeure un protestantisme. Dans la mesure où elle a tendu à s’affranchir de toute tutelle politique, à rejoindre les sources historiques de sa vie religieuse, elle s’est rapprochée quelquefois du catholicisme.

b) Examen de la théorie. — Telles sont, dans leurs grandes lignes et à quelques nuances près, les idées que les initiateurs de la Réforme ont répanduesdans le monde contre le culte, l’intercession et la communion des saints, l'état religieux, le sacerdoce et la hiérarchie, les sacrements, l’Eglise. Avec leurs affirmations sur tous ces points, il suffirait souvent de confronter la doctrine catholique. Nous nous contenterons de renvoyer aux divers articles de ce Dictionnaire où ces questions ont pu être abordées. Après avoir lu l’article Eglisb, on verra, en particulier, ce qu’il faut penser de la société acéphale, inorganique, adogmatique, individualiste quenous a présentée le protestantisme.

Est-ce vraiment celle qu’il rêvait de former, et dont il pensait trouver un premier exemplaire aux premiers siècles de l’Eglise ? Mais on sait qu’il a dû reculer constamment 1 âge de la grande « corruption », et que, pour se donner des ancêtres, il a dû remonter peu à peu, par-delà Constantin, jusqu’aux temps de saint Irénée et de saint Ignace, de saint Clément de Rome, et jusqu'à l'âge apostolique. — Or, il s’est trouvé que l'âge des charismes, où il comptai ! établir les origines de l’individualisme religieux, a été aussi celui du développement interne de la plupart des éléments capitaux du christianisme, considéré non pas seulement comme une fraternité d’amour ou une sagesse, mais commeune grande solidarité, une confédération de communautés organisées, hiérarchisées sous la primauté de Rome, et possédant autorité pour assurer la garde, la transmission et la préservation du dépôt de la foi.

Au lendemain de l’apparition du livre de Mgr ]ixb07

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TIFPOL, L’Eglise naissante, M. Hahnack confessait qu’il est « possible d'établir avec d’impressionnantes preuves que la conception catholique de l’Eglise naissante est historiquement la vraie, c’est-à-dire que christianisme, catholicisme et romanisme forment une identité historique parfaite ». (Theolog. Literaturzeitung, 16 janvier 1909). — Il est vrai que, reculant les positions du protestantisme jusqu'à l’extrême limite, il ajoute que « le fossé qui sépare Jésus et les Apôtres n’a jamais été franchi ». Mais il sort ici du domaine de l’histoire, puisque Jésus, historiquement, ne peut être connu que par la tradition des Apôtres, et que nous savons d’eux comment Jésus a fondé son Eglise sur Pierre (Cf. Batikfol, op. cit., Excursus A., pp. 99-1 la).

La thèse prolestante n’a pas pour elle le passé. At-elle du moins pour elle sa propre histoire ? — On sait à quel endettement doctrinal, à quelle « dispersion » elle a conduit ses tidèles. L’individualisme religieux, par sa conception rigide des rapports de Dieu et de l’homme, a pu former çà et là des consciences d'élite. Mais il les a trop isolées, — trop exaltées ou trop déprimées. — Si, d’aventure, il est parvenu à les grouper d’une façon durable, c’a été sous l’influence soit d’une autorité extérieure à celle de la religion (l’Etat), soit d’une formation inconsciemment catholique, ou qui gardait quelques-uns des ferments les meilleurs de la vie catholique : il en a été ainsi, par exemple, lorsque le pastorat, servant à nouveau d’intermédiaire entre Dieu et la conscience, a voulu assumer efficacement le rôle du sacerdoce aboli. Les individus — à plus forte raison les foules — sont loin de repousser ces « intermédiaires », ces médiations, que le protestantisme de tous les âges a si fort dédaignes, au moins théoriquement. Ils sentent, pour aller à Dieu, le besoin de direction, d’aide mutuelle et organisée. C’est un phénomène de conscience aussi, que celui-là. — Et c’est en méconnaissant cet aspect social du christianisme, que le protestantisme est demeuré et demeure malgré lui une religion qui, dans la ligne ordinaire de son action, n’est pas destinée à opérer le salut des foules, et donc ne garde qu’un reflet lointain de l’Evangile.

B. L’Essencr du Protestantisme. — Entre tous les principes que nous venons d'énumérer et d’examiner, peul-on en désigner un dont on allirmera pu’il constitue aujourd’hui, comme il la constituait hier, l’essence du protestantisme ? Et cela, non seulement parce que ce principe est demeuré semblable à lui-même à travers les vicissitudes doctrinales de la Réforme, mais parce qu’il relie et contient tous les autres, parce qu’il est la vie même des protestanlismes ? Le problème n’est pas purement spéculatif. Il compte parmi ceux auxquels les théologiens orthodoxes ou libéraux attachent une grande importance, lorsqu’ils cherchent avec angoisse à se donner l’illusion de l’unité confessionnelle. Les solutions qu’ils proposent sont assez obscures et surtout manquent assez de fermeté, pour qu’il soit vain de recueillir dans leurs propres écrits un témoignage à peu près unanime. — On en déduit assez vite que l’essence du protestantisme, pas plus au début qu’au temps de Bossuet, pas plus au temps de Bossuet que de nos jours, ne saurait consister dans une doctrine, que la formule en soit ancienne ou récente.

a) Formules anciennes. — 1 ° On ne saurait faire du libre-examen, — avec lequel, assez communément, on a identilié le protestantisme — un élément essentiel de sa vitalité.

Outre que le libre-examen n’est qu’implicitement contenu dans les symboles ouconfessions primitives, et bien loin qu’on en puisse faire un « lien » ou un

« ferment » religieux, il a plutôt seivi de dissolvant

doctrinal. — C’est au libre-examen que sont dues les divergences actuelles, comme les variations passées, qui mettent entre les divers protestanlismes tant d’infranchissables barrières. Avec W. James, on en vient à déclarer qu’il faut autant de types de religions qu’il y a d’idioyncrasies de races, de civilisations, de cultures. — De plus, le libre-examen a poussé le protestantisme à cette fureur de simplification » qui l’a empêché de saisir la a complexité du réel », de croire « à l’harmonie cachée des réalités dont les concepts se heurtent dans l’esprit humain ». Là où le catholicisme cherche 1 harmonie dans le mystère et s’efforce delà réaliser, le protestantisme sépare, morcelle, pulvérise : ainsi, Ecriture et tradition, gratuité du salut et nécessité des œuvres, personnalité de la vie religieuse et autorité, foi-croyance et foi-conliance, sont des notions dont le catholique perçoit et goûte la solidarité, tandis que le protestant la critique et la nie (Cf. Annales de phil. chr>t., nov. 1908, art. de D. Sabatier, sur (Expérience relig. et le Prolest, contemp, ). Un dissolvant aussi énergique mord jusqu’au principe de toute vie spirituelle.

2 L’essence du protestantisme est-elle davantage à chercher dans le principe de la justification par la foi et dans celui de l’autorité exclusive de la Bible ?

Mais, tout d’abord, nous avons vu plus haut ce qui se cache de significations diverses sous la similitude des formules, même primitives. Que serait-ce, si nous les avions suivies jusqu'à nos jours dans leur évolution ? — Entre ces deux sens : infaillibilité exclusive et verbale de l’Ecriture — et autorité du seul enseignement de Jésus, réduit aujourd’hui pour le grand nombre à une quintessence sur laquelle on discute encore, — il n’est pas possible de mesurer la distance : c’est un abîme. Entre* ces deux autres sens : justification par la foi sans les œuvres — et justification par les œuvres, signes delafoi-confiai’ce,

— il y a, pour ainsi dire, contradiction absolue. Ces deux sens marquent, ici et là, deux étapes infiniment distantes, qui séparent le point de départ du point d’arrivée.

Aussi bien n’accepte-t-on guère aujourd’hui de présenter ces divers principes comme l’essence de la Réforme (Cf. Liciitrnbbrgbr, Encyclop. des Se. relig. art. Protestantisme, col. 780).

b) Formules plus récentes. — Les protestants observent, du reste, qu’il serait étrange, en face du caractère et de l’importance absolument prépondérante que revêt, dans le catholicisme, la doctrine de l’Eglise et de son autorité, de ne rien retrouver, dans l’expression du principe de la Réforme, qui répondit à ce fait (Cf. Lichtknbbhobr, loc. cit.).

i° Le principe de Baur, c’est-à-dire la revendication des droits du sujet croyant en /ace de l’objet de la foi, est rejeté à ce litre, car il ne tient pas compte des droits de Dieu sur l’individu ; et il ne fait aucune place à la notion d’autorité, si réduite qu’on la suppose.

2 La formule de Sciileibrmacheh : — le droit de (individu en face de It communauté, sans écarter celle-ci ni son expérience religieuse ; — et celle de Lichtknbkrger : — la souveraineté de Dieu, réalisée par Jésus-Christ dans l’individu pour le réta 'il s sèment de l’humanité dans la communion divine, — n’ont de valeur, sous leurs couleurs conservatrices ou libérales, que par l’effort qu’elles tentent pour replacer le sentiment individuel en face d’un appui quelconque, proche ou lointain, visible ou invisible, humain ou divin.

3* De son côté, Ritsciil, ") par sa définition du royaume de Dieu : — l’ensemble de ceux qui croient 80’J

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au Christ, en tant qu’ils agissent conformément an principe de l’amour ; — /’) surtout par son retour à l’Ecriture, qu’il établit aupoinl de départ de la théologie ; — c) et par le double fondement de la « justiticalion » et de la « rédemption », qu’il assigne à son système, Ritschl avait paru un instant réhabiliter une sorte de tradition au sein du protestantisme. — En réalité, au nom de ces divers principes, il n’avait fait qu’accentuer l’individualisme feux, en couvrant une pensée extrêmement subjectiviste d’un formalisme verbal. En soi, les notions religieuses, les jugements qu’on en porte (Scinsurteile) n’ont pour lui aucune utilité : il n’y a d’essentiel que les jugements devaleur( M’erthurteile) sur ces notions, c’est-à-dire la valeur subjective que que ces notions ont pour tel ou tel, lorsqu’il les retrouve et les saisit dans les Livres Saints.

4° La pensée de Ritschl a informé plus ou moins la « religion » actuelle des libéraux, revêtant bien des formes qui pourraient assez bien être représentées par celle où se comptait, précisément, un disciple de Ritschl, Kattbnbusch (Von Schleiermacher zu Ritschl, etc. Giessen, 18y3, p. 38). Celui-ci se réjouit des perspectives ouvertes au protestantisme par la théorie ritschlienne, et qui aboutissent à une sorte de communion spirituelle autour de la langue de la Bible et de la Réforme : * Celte langue est un trait d’union comme la langue populaire… Qu’on se réjouisse de ce que tous les théologiens se rassemblent autour des mêmes mots I » De cela, il résulte que le ritschlianismeet ses dérivés ne pourront pré tendre à vivitier le protestantisme, à en devenir l’essence, que si celui-ci renonce à l’espoir de grouper en une Eglise les pensées libres de ses lidèles. Bot’TROux l’a bien jugé lorsqu’il a noté que l’écueil dece système, « c’est un subjectivisme sans contenu ». (Science et Religion, 1908, p. 3a3). Un autre écueil, dont il faut parler hardiment, sera de se réduire en pratique, si le ritschlianisme sort jamais d’une aristocratie intellectuelle et descend jusqu’à la masse des lidèles, à un psittacisme religieux.

5° Du Ritschliani-me à la Religion de l’Esprit de A. Sabatikr, il n’y a plus un long chemin à parcourir. Aux formules sans contenu, répond bien l’idée d’une religion sans dogmes autres que des dogmes dont la valeur serait purement pédagogique et non obligatoire.

Si l’essence du protestantisme ne saurait se rencontrer dans une doctrine, il reste qu’on la cherche t ; ut simplement dans un esprit ou, comme on dit aujourd’hui, dans une mentalité spéciale.

i" M. Harnack voit dans l’Evangile l’aliment de cet esprit. « Le protestantisme, dit-il, compte sur la nature de l’Evangile, qui est chose assez simple, assez diverse, et par conséquent assez vraiment humaine pour se faire connaître, sûrement, si on lui laisse la liberté, et pour faire naître aussi dans toutes les âmes des expériences et des convictions identiques. » (L’Essence du christianisme, trad. nuuv., Pari=, 1907, p. Zi")). — La communauté spirituelle qui résulterait, entre protestants, de cette entente sur l’Evangile, serait chose in Uniment plus importante et plus précieuse que « tout ce qui les divise », car elle répondrait à leur volonté de constituer un « royaume spirituel », et elle les préserverait ainsi, croit M. Harnack, du reproche d’émietteinent

En effet ! — Mais en se résignant, sans le dire, à l’émiettement, en subordonnant toujours l’expérience collective à l’expérience individuelle, par en renonçant implicitement à la notion d’Eglise ! -- » Que celui qui use d’une Eglise semblable, ise comme n’en usant pas ! i> dit encore M. Har nack. Le conseil est sage, car, aux frontières indélinies de cette Eglise, peuvent fréquenter tous ceux qui, ne cherchant pas dans l’Evangile une direction normative et ne reconnaissant pas non plus son autorité divine, se contentent d’y puiser un idéal attachant de beauté morale. — Or, il n’y a pas besoin d’être protestant pour cela. Sous cet aspect, le protestantisme ne se distingue plus du rationalisme pur et de la libre-pensée, à moins que ce ne soit la libre-pensée qui l’enveloppe et l’absorbe, au point qu’il devienne, suivant la parole de M. Mknbooz, une o collection des formes religieuses de la libre-pensée ». Mais alors, c’est d’une autre question qu’il s’agit : celle de savoir jusqu’à quel point la libre-pensée peut se couvrir de formes religieuses, ou les remplacer, jusqu’à quel point elle peut être un élément de cohésion entre ses adeptes.

Ainsi, pour que l’Evangile fut un lien véritable, à lui seul, entre les diverses fractions de la Réforme, il faudrait qu’elles s’entendissent sur « on autorité et son contenu. El c’est ce qui n’est pas, ce qui ne peut pas être, une Eglise étant autre chose qu’une

« agglomération de personnes réunies pour étudier

les questions de théologie » dans leur rapport avec l’Ecriture et la conscience. — Le catholicisme l’a bien compris : pas plus qu’il ne repousse la religion intérieure, les développements^e la piété individuelle, il ne ne refuse à personne l’Evangile de Jésus Sauveur. Mais, convaincu de sa mission sociale, il explique d’autorité cet Evangile, afin qu’il ne demeure pas le privilège d’une petite élite intellectuelle, vaguement religieuse, mais soit un principe actif d’unité.

2 Pour conclure, il faut donc recourir à cette observation de fait, que ce qui unit in concreto les diverses confessions protestantes, c’est plutôt une idée contie qu’une idée pour.

Ce n’est guère, en effet, qu’en face de l’Eglise romaine qu’ils trouvent toujours un terrain de ralliement et font preuve d’un peu de cohésion et d’unité. A cet égard, le qualificatif de protestants, que nous leur donnons et dont ils se réclament, garde toute sa plénitude de sens et demeure historiquement exact.

Le Los von Rom est une simple négation, et n’offre pas une base positive à un édiûce solide. Il n’est pas défendu d’y voir « l’essence » des protestantismes d’autrefois et d’aujourd’hui. Mais, pour la bien connaître et pour l’appréciera sa valeur, c’est au traité de l’Eglise qu’il faut recourir. La Réforme a été impuissante à le construire pour elle ; elle a aidé le catholicisme à l’achever pour lui. — C’est à ce traité que nous renvoyons une dernière fois le lecteur de cet article.

Claude Bouvier