Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Prière

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 141-157).

PRIÈRE. — Le mot Prière présente diverses acceptions plus ou moins étendues : prière orale et prière mentale : prière liturgique ou officielle et prière privée, etc. Selon une acception restreinte, il désigne la demande faite par l’homme à la divinité, d’un certain bien. Selon une acception plus large, il désigne toute sorte d’entretien de la créature raisonnable avec Dieu. Ce que nous avons à dire de la prière, concerne surtout l’acception restreinte.

La prière juive a trouvé une expression incomparable dans les Psaumes (voir ce mot). Plus encore que la religion juive, dont elle a recueilli l’héritage, la religion chrétienne mérite d’être appelée la religion de la prière. En raison des relations très spéciales qu’elle voit entre Dieu et l’humanité, elle a développé la vie de famille surnaturelle, la prière confiante et filiale, l’entretien cœur à cœur avec Dieu. La piété chrétienne ne s’exprime pas seulement dans la liturgie de l’Eglise, — voir art. Culte chrétien ; elle se traduit par un approfondissement de la vie intérieure qui est, dans l’histoire des âmes, un phénomène sans parallèle et sans précédent. Cette histoire admirable a été écrite ; nous renverrons au beau livre de M. P. Pourrat, La spiritualité chrétienne. Tome I, Des origines de l’Eglise au Moyen Age (ig18) ; Tome II, Le Moyen Age (1921) ; Tome III, en préparation. Paris, Gabalda.

Il ne s’agit ici que de rappeler quelques principes et de résoudre quelques objections.

I. Enseignement du Nouveau Testament sur la Prière. — II. Enseignement des Pères. — III. Enseignement de saint Thomas d’Aquin. — IV. Ascétisme et Mystique au xvi" siècle. — V. Questions actuelles. — VI. Moralité de la Prière ; son efficacité. — VII. Histoire et psychologie de la Prière. — VIII. Une enquête moderne sur la Prière. — IX. Conclusion. — X. Appendice : L’Apostolat de la Prière.

I. Enseignement du Nouveau Testament. — La prière, dont Jésus-Christ enseigna le devoir par sa parole et par son exemple, demeure une nécessité vitale pour les fidèlesqui gardent sa doctrine et aspirent à vivre de sa vie. Prière qui unit l’homme à Dieu dans un commerce filial ; très particulièrement, prière qui expose à Dieu les besoins de l’homme et en implore assistance. A la requête de ses disciples, le Maître leur enseigne la formule delà prière parfaite, renfermant deux sériesde demandes : les premières pour l’accomplissement de la volonté de Dieu en terre ; les autres pour le bien temporel et spirituel de l’homme (Mat., vi, g- 13 ; Luc, xi, i-4). Il promettait bon accueil à la prière, pourvu qu’elle vint d’un cœur charitable, en paix avec le prochain (Mat., v, 23. i’a). Non seulement il recommandait la 271

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prière instante et persévérante, promettant de l’exaucer {Mat., vii, 7-IIJ Lue., xi, 5-13 ; Ioan., xiv, 13-14 ; xvi, 23-34) ; mais il encourageaitla prière importune, en lui accordant ce qu’il avait refusé à une première demande (Ghananéenne, Mat., xv, 21-38) ; il présentait la prière comme un devoir de tous les instants (Luc., xvm, 1 sqq.). Lui-même avait prélude à son ministère public par quarante jours de jeûne et deprière ; on levoyait passer des nuits en prière (Marc, 1, 35 ; Luc, vi, 13) ; il priait dans les actions les plus solennelles, telles que le miracle de la multiplication des pains (Mat., xiv, 19 ; xv, 36), certain que son Père l’exauçait toujours (Ioan., xi, 4a, avant la résurrection de Lazare) ; il pria tout particulièrement pour les siens avant d’aller à la mort, pour qu’ils fussent un comme son Père et lui sont un (Ioan., xvn) ; il pria surtout dans son agonie, voulant inculquer la nécessité spéciale de la prière en face de la tentation (Mat., xxvi, 3g-44) ; il pria jusque sur la croix (Luc, xxiii, 34, Mat., xxvii, 46 ; Luc, xxiii, 46), pour ses bourreaux et pour lui-même.

L’Eglise n’a jamais désappris cette leçon. La prière avait été l’occupation des Douze, attendant la venue du Saint-Esprit (Act., 1, 14). Saint Paul s’est à peine relevé sur le chemin de Damas, que le Saint-Esprit le montre priant (Act., ix, 11). Il concevra la vie chrétienne comme une incorporation permanente au Christ (I Cor., xii, 37 ; II Cor., v, 17 ; Eph., ii, 10- 15 ; v, 30, etc.) ; il lui assigne comme loi, une lutte sans trêve, défensive et offensive, contre les ennemis du salut (II Cor., xi, 3 ; Eph., vi, 11-17). La condition de l’union permanente au Christ et de la victoire sur le démon, c’est la prière incessante : il la recommande expressément (I T/iess., v, 17). Ses épîtres s’ouvrent par un vœu offert à Dieu pour ses correspondants, elles se concluent par un vœu ou une action de grâces ; la trame du développement montre que l’Apôtre vit dans une atmosphère de prière et y entretient les fidèles.

La prière liturgique, offerte à Dieu dès les premiers siècles dans l’assemblée chrétienne, exprime le souci constant d’élever vers Dieu une supplication perpétuelle pour obtenir les biens du corps et surtout de l’âme. L’oraison dominicale inspire le pape saint Clbmbnt écrivant aux Corinthiens (lix lxi). La Didaché des Apôtres (vm-x) recommande la récitation de cette prière trois fois le jour et trace le cadre de la prière eucharistique. — Indications abondantes dansDomCABROL, Le livrede la prière antique, Paris, 1900 ; P. Martinkz, L’ascétisme chrétien pendant les trois premiers siècles de l’Eglise, Paris, 1913.

Le sacrifice eucharistique, confié par Jésus-Christ aux prêtres du NT. (voir art. Eucharistie), fait monter vers le ciel, non plus seulement la prière de l’homme, mais la propre prière du Verbe incarné, éternellement vivant et intercédant pour nous. Le prêtre réédite à l’autel le geste sacerdotal du Christ à la Cène, il commémore l’immolation sanglante du Christ à la Croix. Par l’oblation de la Victime sans tache, immolée pour notre salut, il réédite le sacrifice rédempteur, toujours plein de la même vertu infinie, et représente à Dieu la même intercession toute-puissante que le Christ glorifié prolonge éternellement dans le ciel. Il n’y a qu’un Rédempteur, mais il y a des milliers de prèlres et des millions de fidèles qui chaque jour entrent à nouveau en possession de la prière du Christ, soulignée par sa Passion. En s incorporant le sacrement de l’Eucharistie, symbole de l’unité, lien de la charité chrétienne, le fidèle s’associe à la prière de l’Eglise, qui est la prière même du Christ. On trouvera ces idées largement développées p ; ir M. db La Taille, S. I., Mysterium Fidei. De augustissimo corporis et san guinis Christi sacrificio atque sacramento Elucidationes L. Paris, 1631, in-4.

II. Enseignement des Pèrea. — Les anciens Pères ont souvent traité de la prière, et tout naturellement se sont vus amenés à expliquer l’oraison dominicale. Ainsi Tbrtullien, au début du traité De Oratione, c. 11. îx, parcourt les demandes de cette prière, qu’il appelle hreviarium totius Evangelii. En Unissant, il se résume dans une page pleine de poésie et de grâce, c. xxix. Hostie spirituelle du NT., la prière chrétienne a remplacé les anciens sacrifices ; les adorateurs en esprit et en vérité porteront à l’autel cette prière, que Dieu exige. Déjà la prière imparfaite de l’AT. opérait des merveilles : elle arrêtait les ravages du feu, des bêtes, de la faim, dissipait les armées ennemies, commandait aux éléments. Que ne fera donc pas la prière enseignée par Jésus-Christ ? Celte prière, inspirée par la justice, accomplit des miracles de patience, elle détourne la colère du ciel, veille pour le salut des ennemis, crie grâce pour les persécuteurs. Seule, la prière triomphede Dieu même. Essentiellement bienfaisante, elle ne sait que rappeler des portes de la mort les âmes des défunts, restaurer les membres infirmes, guérir les malades, délivrer les possédés, ouvrir les portes des prisons, briser les fers des innocents. Elle efface les péchés, repousse les tentations, éteint l’ardeur des persécutions, secourt tous les besoins spirituels. La prière est le mur de la foi ; elle est une arme défensive et offensive contre l’ennemi qui nous assiège de toutes parts. Ne marchons jamais sans cette arme. Soyons fidèles, le jour aux stations, la nuit aux veilles. Sous les armes de la prière, gardons l’étendard de notre chef, attendons la trompette de l’ange. Les anges eux-mêmes prient ; toute créature prie ; les animaux des champs, ceux des bois fléchissent les genoux, au sortir de leurs étables ou de leurs tanières, ils regardent le eiel, et chacun à sa façon tire de sa bouche une musique expressive. Les oiseaux, à leur lever matinal, s’élèvent dans l’air, étendent leurs ailes en croix, et disent quelque chose comme une prière. Bien mieux : le Christa prié. Gloire au Christ clans les siècles des siècles ! — Voir/ 1. /.., 1, 1149-1196 ; A. d’Alès, Théologie de Tertullien, p. 30a-307 ; Paris, igo5.

On doit à saint Cyphibn un traité distinct De dominica oratione, P. /.., IV, 51g-544, CSELV., 111, 267-394, largement inspiré de Tertullien, d’ailleurs plus complet, plus ample, d’une onction plus soutenue. Voir A. d’Alks, Théologie de saint Cyprien, pp. 34-39 ; 337 ; Paris, 1933.

Entre les plus anciens traités de la prière, celui d’ORiGÈNB, Il’joi ùxf.i, se distingue par la richesse et la vigueur de la pensée. A ce titre, nous le croyons digne d’une analyse rapide. On le trouvera, P. G., XL 416-571 ; ou éd. Koetschau, Leipzig, 1899, p. 397-403. Origène est invité à écrire sur la prière. Sans illusion sur les difficultés de l’entreprise, il se rend aux sollicitations d’Ambroise et de sa femme Tatiana. Ce qui surpasse les forces de l’homme, peut devenir possible par la grâce de Dieu ; l’écrivain met son espoir dans l’assistance de l’Esprit divin, qui seul peut enseigner à quelles fins on prie et comment (1. 11).

Le nom grec de la prière — ùx<i — présente une double acception : l’acception commune de prière, et celle de vœu (ni. iv). S’attachant à l’acception commune, Origène examinera d’abord, selon le désir qu’on lui a exprimé, les objections de principe contre la prière.

Laissant de côté l’erreur grossière qui rejette la prière en rejetant sommairement la Providence 273

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divine, il s’attache à une erreur plus subile. Certaine secte (gnostique), d’un spiritualisme outré, en veut à tout l’ordre sensible, condamne en particulier les sacrements, y compris le baptême et l’eucharistie, nie le témoignage des Ecritures en faveur delà prière. Elle raisonne ainsi. Dieu connaît par avance toute chose et tous les besoins de l’homme ; à quoi bon les lui exprimer ? Par là, on fait injure à sa science ou à sa bonté. Par ailleurs, Dieu a, d’avance, réj ; lc toute chose. Il serait absurde de prier pour le lever du soleil : qu’on fasse ou non cette prière, le soleil ne s’en lèvera pas moins. De même, il serait absurde de prier pour n'éprouver pas, en été, les ardeurs de la canicule ; elles ne se feront ni plus ni moins sentir. Ainsi en est-il de toute prière. En particulier, il est absurde de prier pour demander la vertu. Car Dieu a fixé, dès l’origine du monde, la carrière de ses élus et la carrière des réprouvés. Aucune prière n’y changera rien. La prière est donc condamnée au nom de la prescience divine et de la toute-puissance divine (v).

A ce raisonnement fataliste, Origène oppose le fait indéniable du libre arbitre humain, démontré par toute la vie de l’humanité. Assurément Dieu a prévu toutes les libres démarches de l’homme et tout disposé en conséquence ; mais sa prescience n’en est pas la cause. L’homme prie : Dieu, en sa Providence, a décidé d’exaucer celui-ci, de ne pas exaucer celui-là, soit parce qu’il ne mérite pas d'être exaucé, soit parce qu’il demande ce qui ne lui est pas avantageux ; de coopérerau salut de celui-ci, d’abandonner cet autre à ses mauvais penchants (vi). Quant aux révolutions du soleil et des astres en général, elles n'échappent pas simplement au libre arbitre de l’homme, car il dépend de l’homme de donner au soleil et aux astres une voix pour louer Dieu (vu). Tout comme il dépend de nous, quand nous implorons l’assistance divine, de nous rendre dociles à Dieu par la direction de notre cœur (vm). C’est à quoi nous invitent maintes pages de l’Ecriture, qui recommandent le pardon des injures (ix), l’abandon à la Providence (x). Une telle prière réjouit Dieu et les anges (xi). Et comment ne serait-elle pas puissante, cette prière des saints qui monte d’un cœur possédé par Jésus, accompagnée d'œuvres saintes, réalisant le programme de cette invocation perpétuelle que demande l’Apôtre ? (xu) Tout nous y invite : l’exemple de Jésus, priant pour être exaucé ; les témoignages de l’Ecriture ; notre propre expérience. Des chrétiens, qui apprécient comme il faut les biens du salut, ne s’arrêtent pas aux biens inférieurs, mais élèvent plus haut l’ambition de leur prière (xni). Demandons les biens célestes, et les autres nous seront donnés par surcroît. Demandons, implorons, supplions ; sachons aussi rendre grâces (xiv). Que notre prière monte à Dieu le Père par l’intercession de son Fils, notre Grand Prêtre. Telle est la leçon du Christ (xv). Enfants du Père céleste, soyons unis dans la prière au Dieu vivant, dans lademandedes grandsbiens, des biens célestes. Pour les biens terrestres, sachons les abandonner à Dieu (xvi. xvu).

Après avoir expliqué les bienfaits de la prière, Origène aborde le commentaire de la prière par excellence, enseignée parle Seigneur à ses disciples. Elle se lit en saint Matthieu et en saint Luc, avec des variantes de texte et de circonstances qui portent Origène à croire que les deux évangélistes font écho à deux leçons distinctes, données en divers temps par le Seigneur (xvin). Avant tout, on observera comment le Seigneur recommande de fuir la vaine gloire : c’est là une disposition morale requise pour toute prière (xix). Il ne s’agit pas de poser devant 'es

hommes : la prière n’est pas un rôle qu’on joue sur un théâtre (xx) ; c’est une sainte réalité qui nous unit À Dieu(xxi).

Notre Père qui êtes aux deux. — Cette invocation est propre au NT. Ce n’est pas qu’on ne trouve dans l’AT. le nom de Père appliqué à Dieu et le nom d’enfants de Dieu appliqué aux Israélites. Mais le sentiment filial, qu’autorise et recommande la prière enseignée par le Christ, est une vraie nouveauté chrétienne. Gardons-nous de profaner ce nom d’enfants de Dieu, qui nous condamnerait si nous approchions de Dieu sans reproduire en nous les traits de son Fils (xxn). En invoquant le Père qui est aux cieux, nous écarterons toute imagination puérile : Dieu n’est pas renfermé dans le lieu. Mais nous adorons sa bonté, qui a daigné condescendre à notre faiblesse, et nous attendons pour une autre vie la révélation de sa gloire (xxm).

Que votre nom soit sanctifié. — Sanctifier Dieu en nous, cesera concevoir une juste idée de sa sainteté, de sa justice, et y conformer nos vies (xxiv).

Que votrerègne arrive. — Le règne de Dieu ennous est inauguré quand nous commençons d’obéir aux lois de l’Esprit ; nous demanderons qu’il croisse, par une élimination de plus en plus complète du péché, en attendant de se consommer par la résurrection glorieuse (xxv).

Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. — Nous réaliserons cette demande en accomplissant la volonté divine. Par « le ciel », on peut entendre la personne du Christ ; on peut aussi entendre les citoyens du ciel, en qui la volonté divine est pleinement réalisée. On souhaite aux hommes vivants de tendre vers cet idéal (xxvi).

Donnez-nous aujourd’hui notre pain substantiel. — Origène se refuse à entendre cette demande du pain du corps. Le sens est sûrement plus élevé : il s’agit de ce pain del'àme qu’est le Verbe de Dieu, Sagesse substantielle, nourriture de nos âmes. Le mot 'imoùiioi (qu’il dérive de ovtïo) désigne la vertu vivifiante de ce pain qui rassasie les anges et affermit les cœurs des enfants de Dieu. Qui mange de ce pain, est par lui transformé en Dieu ; qui s’en nourrit chaque jour, y puise le germe d’une vie éternelle (xxvn).

Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs. — Tout homme a des dettes envers Dieu ; des dettes aussi envers les hommes et les anges. Malheur à qui ne les acquitte pas en cette vie ! D’autre part, nous avons aussi des débiteurs. Le moyen de trouver en Dieu un créancier indulgent, c’est de ne pas nous montrer créanciers intraitables envers autrui. Les prêtres, à qui Dieu a confié le redoutable pouvoir de remettre les dettes en son nom, ne doivent pas se faire illusion sur l'étenduede ce pouvoir. La rémission est subordonnée à la nature de la dette et au repentir du pécheur (xxvin).

Et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mauvais, — Demande paradoxale, si l’on réfléchit que mainte page de l’Ecriture montre dans la tentation une loi de. notre existence présente. Comment Dieu nous soustrairait-il à cette loi ? Mais il ne s’agit pas de nous y soustraire ; il s’agit de nous rendre vainqueurs dans la lutte. Dieu ne rend pas toujours vainqueurs ceux dont la présomption ne peut être guérie que par les dures leçons de la tentation et de la chute. Il les livre pour un temps au péché, afin qu’ils en connaissent l’horreur. Cet abandon est parfois un trait miséricordieux de la Providence, qui conduit l’homme comme un être libre. A l’homme de comprendre et de se préparer à la tentation (xxix). Dieu nous délivre du mauvais, c’est-àdire du démon, en nous faisant triompher de ses perfides attaques (xxx). 275

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Ayant achevé de commenter l’oraison dominicale, Origène traite brièvement des dispositions requises pour la prière, de l’attitude et du lieu.

Il convient de se recueillir avant la prière, afin de s’y adonner pleinement. On priera, autant que possible, à genoux, marquant par cette attitude sa soumission à Dieu. Tout lieu peut convenir à la prière ; mais particulièrement le lieu le plus retiré de la maison ; et aussi le lieu où s’assemblent les fidèles pour la prière commune (xxxi). Il n’est pas indifférent de se tourner vers l’Orient, pour honorer la lumière de Dieu qui s’est levée sur le monde (xxxn). Une bonne prière renfermera quatre actes : la doxologie — gloire à Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, — par laquelle il convient de commencer et de tinir ; l’action de grâces ; l’aveu des fautes ; la demande (xxxm).

Origène est loin de croire avoir épuisé le sujet, et ne fe refuse pas à y revenir quelque jour. Présentement, il a fait son possible, avec l’aide de Dieu (xxxn).

L’Orient et l’Occident connurent, dès le iv* siècle, des vies d’hommes et de femmes entièrement consacrées à la prière. Le moine bénédictin verra dans la prière commune, dans l’Office divin, l’œuvre de Dieu par excellence, selon la belle expression de saint Benoît (Règle, xliii) : Nihil Operi Dei præponatur.

— (Voir ait. Monachismr.) — Mais pour tout chrétien, proportion gardée, la prière tient le premier rang entre les devoirs d’état. Il n’est pas de leçon plus fréquemment rappelée par les Pères.

Saint Augustin est revenu maintes fois à ce grand sujet, et l’on pourrait compilera travers son œuvre un vaste (raité de la Prière. La seule Epltre cxxx, à la veuve Proba, P. L., XXXIIL ^-$07, constitue une véritable « Introduction à la vie dévote ». On y trouve, parmi d’autres développements, un bref commentaire de l’oraison dominicale, 11, 21-13, 23, 502-3. D’ailleurs Augustin a commenté le Pater en d’autres ouvrages encore ; ainsi De Sermone Domini in monte, 1. II, iv, 15-xi, 3g, P. /.., XXXIV, 1275-7 ; Sermo lvi, Ad Compétente*, P. L., XXXVIII, 377-386 ; Enchiridion, cxv-cxvi, 30, P. L., XL, a85.6. Parmi les considérations apologétiques sur la prière, il en est deux que saint Augustin ramène avec plus de complaisance, en repoussant 1) l’objection tirée des prières non exaucées ; a) l’objection pélagienne contre la nécessité de la prière.

1) Objection tirée des prières non exaucées. — Le Seigneur a recommandé la prière et promis de l’exaucer (Mat., vii, 7 ; Ioan., xiv, 13.14 etc.). En fait, il arrive qu’on prie et qu’on n’est pas exaucé. Augustin ne conteste pas le fait, mais s’empresse de rectifier une erreur. Le Seigneur n’a nullement promis d’exaucer toutes les fantaisies, même pieuses, qui pourraient passer par la tête de ses fidèles en prières. Ce qu’il a promis, c’est de lesassisler dans leurs besoins, d’accorder à leur prière les biens nécessaires au salut. En exauçant des prières que lui-même inspire, il montre qu’il aime vraiment ses fidèles. Ce ne serait pas les aimer vraiment que d’exaucer des requêtes indiscrètes et dangereuses, comme celles que suggère l’amour-propre. C’est au contraire aimer vraiment que de résister à des prières qui vont à rencontre du plan divin. Et saint Augustin confirme cette doctrine par des exemples. La prière de Paul, qui demande à être délivré de l’aiguillon de la chair, n’est pas exaucée, parce que l’épreuve doit lui procurer de plus grands biens (II Cor., xii, 7, 9). La prière même du Sauveur, qui voudrait voir s’éloigner le calice de la Passion, n’est pas exaucée, parce que la passion importe au salut du monde (Mat., xxvr, 39). Par contre, le démon, qui demande à éprouver

Job, est exaucé pour son dam (lob, 1, 9-12 ; ii, 4-6). Les démons deGérasa, qui demandent à entrer dans un troupeau de porcs, y sont autorisés par le Seigneur (Mat., viii, 31). Les impies, séduits par de honteuses passions, sont livrés par la rigueur de Dieu à ces passions mêmes (Rom., 1, 24). Tant il est vrai que Dieu montre souvent plus de miséricorde en résistant à l’attrait de la créature. La réponse à l’objection tirée des prières non exaucées ramène souvent les mêmes développements et les mêmes textes de l’Ecriture. In Ps., xxi, 3-5, n. 4-6, /’. /.., XXXVI, 1 73 ; In Ps., xxvi, 4, n. 7, ib., 202 ; In Ps., cxi.iv, 15, n. 19, P. L., XXXVII, 1881-2. En promettantd’exaucer les prières faites en son nom (Ioan., xvi, 23), le Christ donne assez à entendre que la prière ne doit rien se proposer que de conforme au salut. Si parfois Dieu tarde à l’exaucer, on doit lui faire crédit, car il se réserve de le faire en son temps. In Ioan., Tr., eu, 1, P. L., XXXV, 1896.

2) Objection contre l’utilité de la prière. — Cette objection revenait souvent sur des lèvres pélag ?ennes ou semipélagiennes ; Augustin la réfute souvent, en répondant aux hérétiquesqui prétendaient se sauver par eux-mêmes. Par exemple, De correptione et gratia, 11, 4-ni, 5, P. I.., XLIV, 918.919, il montre le rôle nécessaire de la prière dans l’économie de la Providence : l’homme, qui par lui-même ne peut rien, doit suivre le bon mouvement delà grâce, qui l’attire à la prière et de la prière fait naître la grâce. De dono perseverantiae, v, 8-vi, 10, P. L., XLV, 999-1000, il montre la grâce de la persévérance finale liée à la constance dans la prière. Les mêmes enseignements se retrouvent encore ailleurs. Ainsi In Ps., cxviii, Serm., xxvii, 4, P- I-., XXXVII, 1581, sur ce texte : Os meum… aperui et attra.ri spiritum, quia mandata tua desiderabam, Augustin explique le mécanisme salutaire de la grâce, liée à la prière : Non erat undt f’acerel infirmas forlia, parvulus magna : aperuit os, confitens quod per se ipse non facerel, et attraxit unde faceret ; aperuit os petendo, quærendo, pulsando ; et sitiens hausit Spiritum bonum, unde faceret quod per se ipsum non poterat… Sienim nos, cum simus mali, novimus bona data dare filiis nostris, quanto magis Pater noster de cælo dat Spiritum bonum petentibus se ? Non enim qui spiritu suo agurit, sed quotquot Spiritu Dei aguntur, hi filii sunt Dei : non quia ipsi nihil agant, sed ne nihil boni agant, a bono aguntur ht agant. Nam tanto magis efficitur quisque filins bonus, quanto largins ei datur a Pâtre Spiritus bonus.

Mais saint Augustin ne borna point son enseignement à ce qu’on pourrait appeler la prière intéressée. Il est encore le docteur de l’amour pur et le théoricien de la contemplation mystique.

Très éloigné des chimères quiétistes, il se gardera d’inviter l’homme à se désintéresser de la récompense céleste ; mais il le presse de renoncer aux biens présents et de fonder sur les ruines d’un amour égoïste le rè^ne de la divine charité. Rnchiridio’i, cxvii cxxi, 31-3a, P. I.., XL, 1286-288. Dans le De Civitate Dei, il résume l’histoire du monde dans le conflit de deux amours : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu a fait la cité terrestre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi a fait la cité céleste, XIV, xxviii, P. L., XLI, 436. Dans le De perfectione iustitiæ hominis, contre la sèche hérésie de Pélnge (415), il définit le but de toute vie humaine, qui est Dieu cherché par un effort constant vers la perfection, et décrit lesascensions bienheureuses, possibles seulement à l’âme qui prie sans cesse, viii, 18, P. I.., XLIV, 299 sqq.

Il paraît avoir acquis dès les premiers temps de sa vie chrétienne une connaissance expérimentale 277

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des voies mystiques. Sa formation néoplatonicienne le prédisposait à les analyser et à les décrire. On en trouvera l’esquisse dans le De quantiiaie animae (années 38^/8), où il distingue sept degrés dans la préparation à l’union divine, insistant principalement sur la nécessité d’une préparation ascétique pour purifier le regard de l’esprit. P. I., XXXII, u>35 1080. Un regard plus profond sur sa propre vie intérieure nous estouvert par les Suliloquia (387), ?*’> XXXII, 869-904, et par certaines pages des Confessions, notamment par la page célèbre où il rapporte un entretien extatique avec sa mère, à Ostie. l’onf., IX, x, /’. /.., XXXII, 774.

Un peu après saint Augustin, un autre néoplatonicien, l’auteur mystérieux qai se cache sous le nom de Dknys, initiait l’Eglise grecque à la vie mystique. Par delà les démarches de la raison raisonnante, qui affirme des perfections créées (Sso’/oyïa. xarttfanvaf) ou nie les limites de ces perfections (Qew.yix êcnofa-Tu <j), il existe vers Dieu une voie plus directe, ouverte à la seule prière, De dii’ini » nominibus, iii, 1, P. G., 111, 680. Cette voie exige la purification de l’âme, De mvstira theologia, 1, 3, ib., 1000. Dieu attire qui lui plaît dans cette voie de mystère, Pp., ix, 1, no4-8.

Les grandes expériences spirituelles de saint Paul, ravi — dans son corps ou hors de son corps, il ne sait, — jusqu’au troisième ciel, et entendant ces paroles ineffables que l’homme ne saurait redire (II Cor., xii, 2-4), sont le point de départ de toute mystique chrétienne. Animé par Jésus-Christ qui vit en lui, devenu avec Jésus-Christ un même Esprit (Gal., 11, 20 ; 1 Cor., vi, 17), l’Apôtre peut convier les fidèles au respect de cet Esprit dont ils sont les temples (l Cor., vi, 19), à la vie cachée en Dieu (Col., iii, 3). Il peut montrer dans la charité du Christ le gage d’une union plus forte que la vie et la mort et toutes les puissances créées (Rom., viii, 35). Les héritiers de son apostolat ont maintes fois repris sa trace, et Denys se réclame de son enseignement, De div. nom., ni, a, C81 A.

L’alliance d’une haute oraison avec de grandes œuvres accomplies pour Dieu est un fait qu’on retrouve à tous les siècles de l’Eglise, particulièrement chez les grands moines : saint Benoit et saint Bernard, saint François d’Assise et saint Bonaventure furent à la fois des hommes d’action et de grands contemplatifs. Pareillement chez de saints évêques et docteurs : saint Basile, saint Grégoire le Grand, saint Anselme, saint François de Sales, saint Alphonse de Liguori ; ou de saints prêtres, comme saint Philippe Neri, fondateur de l’Oratoire, et saint Jean-Baptiste Vianney, curé d’Ars. Mais les femmes ne le cèdent en rien aux hommes, si même elles ne les devancent dans les voies de la vie contemplative. — Voir, sur ce point, le témoignage de saint Pii’.hrr d’Alcantara, recueilli par sainte Tkrèsk, Vie, ch. xl ; trad. des Carmélites de Paris, t. II, p. 147, Paris, 1907.

III. Enseignement de saint Thomas d’Aquin.

— La doctrine de saint Thomas sur la prière est résumée notamment Il a ll æ, q. 83.

Avec saint Jean Damascène, le Docteur angélique définit la prière : « demande faite à Dieud’une chose bonne » (art. 1). Il indique trois objections faites à la prière (art. 2) : objection de l’athéisme pratique, qui nie la Providence et conclut qu’il est vain de prier ; objection du fatalisme et du déterminisme, qui expliquent tout soit par l’influence irrésistible de la Cause première, soit par l’enchaînement inéluctable des causes secondes ; objection de l’anthropomorphisme puéril, qui représente Dieu changeant

de résolution ainsi qu’un homme. A rencontre de ces erreurs grossières, il revendique la vraie notion de la Providence, qui s’étend non seulement aux elï’ets mais aux causes et à l’ordre entre les causes et les effets. Les actes humains sonteux-mêmesdes causes : en agissant, l’homme ne peut prétendre modifier les dispositions de la Providence divine, mais bien poser la cause à laquelle la Providence a voulu attacher certains elfets. Toute la métaphysique de la prière est là : l’homme prie pour obtenir les biens que Dieu a décidé d’accorder à sa prière.

Acte de religion, la prière est essentiellement un hommage rendu à Dieu (art. 3). Si l’homme recourt à l’intercession d’un saint, l’hommage à Dieu n’en demeure pas moinsentier (art. 4).

On peut demander absolument les biens du saint ; on peutdemander conditionnellement d’autres biens, tels qu’une longue vie ou la richesse.qui ne tournent pas toujours à l’avantage du salut (art. 5). En principe, il n’y a pas de faute à demander ce qu’on peut désirer sans faute (art. 6). Comme on prie pour soi, la charité fraternelle veut qu’on prie également pour autrui (art. 7). Les ennemis ne doivent pas être exceptés de cette prière, encore que le précepte de piier pour les ennemis u’urge pas toujours positivement (art. 8). L’oraison dominicale, qui demande d’abord la gloire de Dieu, puis le bien de l’homme, résume toute bonne prière (art. 9).

Prier est le fait d’un inférieur ; aussi les personnes divines, comme telles, ne sauraient prier. C’est d’ailleurs l’acte d’une faculté raisonnable, aussi les êtres dépourvus de raison ne prient pas (art. 10). Mais la prière n’est pas restreinte à cette vie : les saints, dans le ciel, prient d’autant mieux et plus efficacement qu’ils sont plus unis à Dieu par la charité (art. 1 1).

La prière est vocale ou mentale seulement. La prière commune de l’Eglise, offerte à Dieu officiellement par ses ministres, est nécessairement vocale ; la prière privée ne l’estpas nécessairement ; on usera de ce moyen extérieur dans la mesure où l’on y trouvera un’ecours pour s’élever à Dieu (art. 12). L’attention, indispensable pour atteindre le but de la prière, qui est d’unir à Dieu, importe à ses divers effets : au mérite, à la vertu impétratoire.mais principalement à la réfection spirituelle de l’àme. Dieu, qui sait notre faiblesse, a surtout égard à l’intention première, quand même quelque divagation survient. Parfois l’attention est telle que l’âme t’ut entière se perd en Dieu (art. 13). La prière, procédant de la charité, tend à durer toujours, comme la charité même ; en fait, elle est bornée, comme les forces de la nature (art. 14). Son mérite dépend surtout de la charité ; mais aussi de la foi, de l’humilité, de la dévotion ; sa vertu impétratoire dépend de la grâce divine, qui nous excite à prier (art. 15). La prière du pécheur est de nul mérite devant Dieu, maisnon pasde nul effet : car où la justice n’agit pas, la miséricorde peut agir, et convertir le pécheur qui prie pour lui-même en vue du salut, avec piété, avec persévérance (art. 16). Saint Thomas énumère en finissant les parties de la prière (art. 17).

Cette sèche analyse d’un article de la Somme théologique permet d’entrevoir la richesse des développements consacrés par saint Thomas à la prière. Héritier de l’esprit de saint Augustin et de l’esprit de Denys, il coordonne et approfondit leur doctrine sur l’oraison sublime, soit dans le Commentaire du De divinis nominibus, toit dans l’opuscule De perfectible vitrie spiritualis, soit enfin dans la Somme théologique, où il rappelle les expériences spirituelles de Hiérothée, non solum discens, sed et patiens divinn, H* II**, q. 4^, " 5. el traite ex professo Débita contemplatiia, ibid., q. 180. 279

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Nul ne sait mieux que saint Thomas que la dévotion, c’est-à-dire l’empressement de la volonté au service de Dieu, est essentiellement un don divin. Par ailleurs, il veut que l’homme se soumette à l’action divine par le travail de la méditation ou de la contemplation. II a II » « , q. 82, art. 3 : Causa devolionis e.rli inseca et principales Deus est ; … causa autem intrinseca ex parte nostra oportet quod sit meditatio seu contemplalio. Dictum est enim (art. 1) quod de^olio est quidam voluntatis actus ad hoc quod homo prompte se tradat ad divinum obsequium. Omnis autem actus voluntatis ex aliqua consideratione procedit, eo quod bonum inlellectum est obiectum voluntatis… Et ideo necesse est quod meditatio sit devotionis causa, in quantum se. homo per meditationem concipil quod se tradat divino obsequio. — Deux sortes de considérations serviront à nourrir la dévotion : considération de la bonté divine qui excite l’amour, selon Ps., lxxii, 28 : Mihi adhærere Deo bonum est et ponere in Domino Deo spem meam ; considération de la misère humaine, qui exclut la présomption, selon Ps., cxx, 1.2 : Levavi oculos ineos in montes, unde veniet auxilium mihi : au.rilium meum a Domino, qui fecit cælum et terrain.

IV. Ascétisme et mystique au XVIe siècle. — Le seizième siècle espagnol vit une admirable effusion de l’esprit de prière, dont les deux grands témoins, au regard de la postérité, demeurent saint Ignace de Loyola ( 1 49 i-1556) et sainte Térèse (15151682) ; le premier, d’abord ascète ; la seconde, excellemment mystique. Les œuvres de ces deux saints, très dissemblables à tous égards, ne se superposent nullement ; encore moins s’opposenl-elles ; mais elles s’harmonisent et se complètent l’une l’autre.

Saint Ignace — un converti — a tracé dans les Exercices spirituels le manuel de la conversion à Dieu ; et d’abord de la conversion du mal au bien ; mais sans exclure la conversion du bien au mieux. Œuvre d’un soldat illettré, qu’une grâce puissante avait transformé en ascète et en apôtre, ce livre procède surtout des expériencesspirituellestrès profondes, très variées, très lumineuses, qui avaient marqué la conversion d’Ignace. L’esprit de l’Evangile s’y trouve réduit en système, ramassé sous diverses formes en apologues pleins de sens. Le but de l’auteur est très exactement défini par ce titre : Exercices spirituels, pour se vaincre soi-même et régler sa vie en sorte qu’on ne se détermine par aucune affection désordonnée. Il s’agit de connaître et d’extirper, avec l’aide de Dieu, toutes les affections déréglées qui empêchent l’homme d’aller à lui. A cela tendent toutes les méditations dont Ignace trace le cadre, et les autres démarches qu’il suggère. Il ne s’occupe pas directement de guider l’âme dans les voies mystiques ; mais, en fait, la purification active, dont il trace le programme, constitue, pour l’àme appelée de Dieu à une oraison passive, la préparation la plus efficace ; et les « règles dudiscernementdes esprits », par lesquelles il complète son œuvre, sont d’une application universelle. Nul doute que les expériences spirituelles de saint Ignace n’aient été, pour une part, très élevées ; mais, — abstraction faite de quelques notes personnelles échappées à la destruction, et qui, soulevant un coin du voile, font entrevoir un mysticisme en pleine floraison (Ct.Constilutiones Societatis.lesu latinæ et hispanieae, append. xviii, p. 349-363, Matriti, 1892 fol.), — il a emporté dans la tombe le secret de sa vie intérieure. Son livre a servi à des millions d’âmes, qui ont repris la trace du converti de Manrèse et dont beaucoup ont été amenées par lui jusqu’au seuil de la vie mystique. Ignace les y introduit en leur apprenant à cultiver

en elles-mêmes la foi, l’espérance et la charité. Là dessus, il les abandonne à la conduite de l’Esprit saint, non sans les avoir munies de quelques principes lumineux qui leur permettront d’éventer les pièges de l’ennemi, jusque sur les hauts sommets delà vie contemplative. Le livre des Exercices, souvent loué par les Souverains Pontifes, a reçu de nos jours la consécration la plus précieusepar l’acte dePiBXl, proclamant saint Ignace céleste patron de toutes les retraites spirituelles.

Tout autre est l’œuvre de sainte Tkrkse. Plus particulièrement adaptée aux âmes déjà initiées à la vie d’oraison, elle en décrit les voies les plus hautes. Sainte Térèse, non seulement les a parcourues, mais a reçu, pour les dépeindre, un don insigne de clarté. Le livre de sa Vie, composéde 1562 à 1565, parl’ordre de ses directeurs spirituels, retrace les débuts de sa carrière ; le livre des Fondations, de dix ans postérieur, et des relations adressées, en divers temps, à ses confesseurs, y apportent d’utiles compléments. Le Chemin de la Perfection, destiné à l’éducation spirituelle des Carmélites déchaussées, et le Château intérieur, écrit en 1377, présentent la même doctrine sous une forme plus synthétique. Sainte Térèse a peiné vingt ans dans les voies de l’oraison commune, avant de prendre un essor définitif, à l’appel de la grâce ; elle se fonde sur son expérience personnelle pour promeltre à ses filles que, si elles persévèrent dans le travail de l’oraison malgré les dégoûts et les aridités, si de plus elles sont humbles et fidèles à se renoncer, elles seront invitées par Dieu à monter plus haut. L’oraison de quiétude, le sommeil des puissances, l’union divine sont les états proprement mystiques où le travail de l’àme cesse plus ou moins complètement devant l’emprise de l’Esprit divin. Parfois accompagnés de ces effets extraordinaires qu’on appelle extase, ravissement, vol de l’àme, ils l’emportent, de loin, sur l’oraison commune, par leur puissance sanctifiante. Mais en général, l’àme ne parvient au mariage spirituel, cime des états mystiques, qu’après avoir traversé des épreuves et des transports douloureux qui lui font endurer ici-bas un véritable purgatoire. Tels sont, à grands traits, les développements familiers à sainte Térèse. L’oraison qu’elle fait désirer, comme la voie rapide et sûre de la perfection et de la sainteté, est une oraison passive, que l’homme ne peut nullement atteindre par ses propres efforts, mais que Dieu seul donne, au temps et dans la mesure qui lui plait.

Les maîtres de la vie spirituelle ont tracé, pour l’àme qui veuts’entretenir avec Dieu, des règles plus ou moins précises ; telles, dans les Exercices spirituels de saint Ignace, les méthodes dites de Méditation ; de Contemplation ; d’application des sens ; et encore les trois manières de prier. Le but propre de ces cadres, d’aspect quelque peu rigide, est de soutenir l’àme aux heures de sécheresse et de la maintenir dans une tendance acth-e vers Dieu, même dan s le cas où l’Esprit saint ne fait pas tous les frais de l’oraison. Ce n’est pas de l’emprisonner dans un réseau d’actes prévus. Saint Ignace est, sur ce point, on ne peut plus formel. 11e Annotation : « Ce n’est pas l’abondance de la science qui rassasie Tàrne et la satisfait ; mais c’est le sentiment et le goût intérieur des vérités qu’elle médite. » (Dès lors), ive Addition : « Si j’éprouve (dans une seule considération ) les sentiments que je voulais exciter en moi, je m’y arrêterai et je m’y reposerai, jusqu’à ce que mon àme soit pleinement satisfaite. » Il’manière de prier : « S’il arrive qu’une ou deux paroles fournissent, même pendant l’heure entière, une matière suffisante à la réflexion et que l’on trouveàles médi ter du goût et de la consolation spirituelle, on ne 281

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se mettra point en peine de passer outre. » Voir le H. P. H. ds Maumigny, S. J., Méthodes d’oraison des Exercices de saint Ignace ; Paris, Beauchesne,’9'7 L’observation précédente a son importance, la

préoccupation dominante de certains spirituels paraissant être de mettre les âmes en garde contre toute méthode d’oraison, comme si une discipline élémentaire avait pour effet de tuer la liberté de la prière et de paralyser les initiatives divines de l’Esprit. Heureusement la réalité reprend ses droits : l’expérience montre, dans l’inertie et la divagation, des écueils plus communément redoutables que l’ordre, et fait apprécier le bieirfait d’une éducation sommaire, sans préjudice des leçons profondes que l’Esprit saint donne à qui et quand il lui plaît. On réintègre donc, sous un nom quelconque, les méthodes d’oraison. Le danger est alors de s’arrêter à des expédients, qui peuvent être bons et pieux, mais qui, faute d’avoir la richesse et la souplesse des simples méthodes fondées sur la nature, servent moins et s’usent plus vite.

Marguerite Marie Alacoque, novice de la Visitation, ne sait pas faire oraison, et la maîtresse des novices lui dit : « Allez vous mettre devant Notre-Seigneur, comme une toile d’attente devant un peintre. » Elle obéit, et Notre-Seigneur accomplit, dans l’amante de son Sacré Cœur, les merveilles que l’on sait. La leçon est toujours actuelle ; mais elle ne dispense pas de se préparer avant la prière, si l’on ne veut tenter Dieu (Eccli., xviii, a3). Et puis, toutes les âmes ne sont pas Marguerite Marie.

Parmi les enseignements de sainte Térèse, il n’en est pas de plus appuyé que les avantages singuliers de l’oraison mentale pour toute sorte de personnes. Vie écrite par elle-même ; traduction nouvelle par les Carmélites du premier monastère de Paris, c. viii, t. I, p. 120-iai. Paris, 1907.

Quant à ceux qui n’ont pas encore abordé l’oraison, je leur demande, pour l’amour de Dieu, de ne pas se priver d un si grand bien. Ici. rien à craindre et tout à espérer. En elFet, quand bien même on ne ferait ni ces progrés ni ces efforts vers la perfection qui méritent les consolations et les délices accordéesauxparfaits, on apprendra du moins à connaître le chemin du ciel ; et si l’on persévère, j’attends tout de la miséricorde de Dieu. Personne, après lavoir choisi pour ami, n’a été abandonné par lui Selon moi, en effet, l’oraison moniale n’est autre cho^e qu’une amitié intime, un entretien fréquent, seul à seul, avec celui dont nous nous savons aimés. Mais je suppose que vous ne l’aimez pas encore, car seule la ressemblance d inclination rend l’affection vraie, l’amitié durable, et Notre Soigneur, nous le savons, n’a aucun défaut, tandis que nous sommes par nature vicieux, sensuels, ingrats ; or, vous vous jugez incapable déporter tant d’amour à celui qui a des inclinations si éloignées des vôtres. Eh bien ! que la perspective des précieux avantages dont son amitié sera nour vous la source, que la pensée du grand amour qu’ils vous porte, vous fassent surmonter la difficulté que vous éprouvez à rester longtemps en la compagnie de celui qui est si différent de vous.

Un autre enseignement capital, selon la réformatrice du Carmel, c’est que lésâmes même les plus favorisées de Dieu peuvent, la grâce divine s’éclipsant pour un temps, avoir besoin de revenir aux éléments de la vie spirituelle et particulièrement à la méditation de la passion duChrist, source de toute vraie piété. Ibid., c. xiii, p. 172-174.

Nous nous mettons à mé liter un point de la passion, par exemple Notre Seigneurs la colonne. L’esprit recherche la cause des cruelles douleurs, de l’extrême affliction que sa majesté endura dans un tel abandon ; il se livre à bien d’autres réflexions qu’un entendement actif déduit facilement, surtout s il est exercé par l’étude. C’est le mode d’oraison ar lequel doivent commencer, poursuivre et finir toutes

les âmes quo Dieu n’a pas encore élevées aux étals surnaturels ; ce chemin est excellent et très sur. J’ai dit toutes lésâmes. Il on est cependant un grand nombre qui trouvent plus de profita méditer des sujets autres que la passion. De même qu’il y a bien des demeures dans le ciel, il y a, pour y arriver, bien des chemins. A certaines personnes il est avantageux de se considérer en enfer, à d’autres, que cette seule pensée afflige, il est meilleur de se voir dans le ciel. D’aulros encore se trouvent bien de songer à la mort. Enfin il y en a dont le corur est si tendre que la méditation continuelle de la passion leur serait pénible ; pour celles-là, il y a consolation et profit a contempler la puissance et la grandeur de Dieu dans les créatures, et cet amour pour l’homme qui brille dans tous sesouvrages. C’est, du reste, une admirable manière de procéder, pourvu qu’on revienne souvent à la passion et à la vio de Jésus-Christ, sources permanentes de tout bien…

Sans doute, on ne doit jamais négliger la connaissance de soi-même, et il n’est pas d âme, lut-elle un géant dans la vie spirituelle, qui n’ait souvent besoin de retourner à l’enfance et à la mamelle. Il ne faut jamais l’oublier… Non, il n’y a pas d état d’oraison, pour élevé qu il puisse être, où il ne soit nécessaire de revenir souvent aux premiers principes. Dansle chemin de l’oraison, le souvenir de ses péchés et la connaissance de soi-même sont le pain avec lequel il faut manger tous les aliments, si délicats, et sans ce pain, on ne serait point nourri. Mais encore faut-il le prendre avec mesure… Notre Seigneur sait bien mieux que nous la nourriture qui nous convient.

V. Questionsactuelles — Le renouveau d’études mystiques auquel nous assistons a produit une floraison littéraire abondante et des échanges de vues plus ou moins fructueux touchant les voies supérieures de la prière. Le répertoire descriptif du R. P. Aug. Poulain, S. J., sur les Grâces d’oraison(i r’édition, 190 1 ; ioe, 19u3) avait éveillé ou satisfait beaucoup de curiosités. Le manuel du R. P. R. de Maumigny, S. J., sur la Pratique de l’oraison mentale (t. I, Oraison ordinaire ; t. II, Oraison extraordinaire, i ie éd., 1905 ; 10’, 1 916 et 1 9 18) fut pour beaucoup d’âmes l’instrument d’un progrès dans la vie intérieure. D’un point de vue plus spéculatif, divers auteurs ont écrit sur la contemplation mystique. M. le chanoine Saudreau, L’état mystique et les faits extraordinaires de la vie spirituelle, ae éd., Angers, iyai ; La vie d’union à Dieu d’après les grands maîtres, 3* éd., Angers, 1921 ; le R. P. J. G. Arinthro, O.P., Cuestiones misticas, Salamanca.igao ; leR. P. R. Garrigou-Lagrangb, O. P., nombreux articles dans La Vie spirituelle, années 1920 et suivantes ; Mgr A. Fargus, Les phénomènes mystiques distingués de leurs contrefaçons humaines et diaboliques, Paris, 1920 ; Autour de noire livre c Les phénomènes mystiques » ; réponses aux controverses de la Presse, Paris, 1922. A côté de ces travaux de portée doctrinale, il faudrait citer tel ouvrage proprement historique, comme celui de M. l’abbé H. Bubmokd, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, Paris, 1918-1922, 6 vol. ; ou psychologique, comme celui de M. M. de Montmorand, Psychologie des mystiques catholiques orthodoxes, Paris, 1920 ; ou immédiatement pratique, comme celui de Dom S. Louismet, O. S. B., ia Vie mystique, Paris, 1922 ; de nombreux articles de revues, soit consignés dans deux revues spéciales écloses à la lin de 1919 : La Vie spirituelle et la Revue d’Ascétique et de Mystique, soit ailleurs. Du R. P. L. de Ghandmaison, S. J., L’élan mystique, Etudes, t. CXXXV, p. 30g-335 (ig13) ; R. P. J. Maréchal, S. J., Sur quelques traits distinctif’s de la mystique chrétienne. Revue de Philosophie, t. II, p. /, 16-488 (1912) ; R. P. E. Hugubny, O. P., La docthinr mystique dk Tauler, Lievue des Sciences philosophiques et théologiques, t. X, p. 19^221 (1921) ; M. A. Tanquerey, S. S., L’oraison de 283

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2.S4

simplicité dans ses rapports avec la contemplation, Vit spirituelle, 1921, p. 181-174 ; Un plan de théologie ascétique et mystique, liev. d’Asc. et de Mi st., 1911, p. 23-35 ; II. P. M. de la Taille, S. J., L’oraison contemplative, dans Recherches de Science religieuse, t. X, p. 273-292 (1919), aussi en brochure chez Beauchesne.

Les pages consacrées dans ce Dictionnaire soit à I’Ascktismh, soit au Mysticisme, soit à tel phénomène extraordinaire tel que I’Extase, sont loin d’épuiser ou même de poser toutes les questions actuelles. Nous ne pouvons songer à remplir un si vaste programme, sur lequel le R. P. J. V. Bainvbl, vient de fournir des indications très précieuses dans l’Introduction substantielle qu’il a donnée à la 10e édition ( 1 9^3) dulivre de P. Poulain sur les Grâces d’oraison. Néanmoins il ne semble pas hors de propos de marquer quelques directions dans cette mêlée un peu confuse, où l’on combat tantôt pour des doctrines et tantôt pour des mots. C’est ce qu’a déjà fait, avec beaucoup plus d’autorité, le R. P. J. dk Guibkrt, S. J., dans plusieurs articles de la Revue d Ascétique et de Mystique.

Un des points les plus vivement disputés concerne les relations entre l’ascétique et la mystique : notion précise de l’une et de l’autre, questions de frontières, nature et degrés delà contemplation mystique, son rôle dans le développement de la vie spirituelle.

On s’accorde universellement à reconnaître que l’oraison est d’autant plus élevée que Dieu y opère davantage à l’exclusion de l’homme. Sans doute, l’Esprit saint est le maître de toute oraison ; mais il se communique diversementaux âmes, dividens singulis prout vult, I Cor. f x, 11. Dans les débuts de la vie spirituelle, l’effort de l’homme pour se convertir à Dieu est d’ordinaire plus apparent ; l’ascétique, élu liant cet effort de l’homme mû par la grâce, verra dans la vie spirituelle surtout le travail humain. A un degré plus élevé, l’initiative de la grâce pourra se manifester par des effets transcendants, que l’homme subit, sans qu’il soit aucunement en son pouvoir de les provoquer. Cette passivité de l’âme sous l’action divine caractérise la contemplation mystique : « regard simple et amoureux à Dieu, où l’âme, suspendue par l’admiration et l’amour, le connaît expérimentalement, et, dans une paix profonde, goûte un commencement de la béatitude éternelle ». (Maumigny)

Il ne semble guère contesté non plus que, selon les vues de la Providence, les grâces mystiques doivent suppléer à la défaillance de l’âme et la porter à un degré supérieur de vie spirituelle ; que par ce moyen Dieu opère quelquefois en un instant ce qui, à défaut d’un tel secours, exigerait de longs efforts. L’oraison dite « de quiétude » marque le seuil de ce monde nouveau ; elle introduit à l’union mystique, dont sainte Térèse a décrit les ascensions, avec la lumière et le charme que l’on sait.

Où l’on cesse de s’entendre, c’est quand il s’agit de définir le lien qui, dans l’économie divine de la grâce, rattache la mystique à l’ascétique. Y a-t-il de l’une à l’autre continuité réelle et en quelque sorte unité, de manière que la vie de la grâce, cultivée par l’ascète, doive normalement, s’il est fidèle, s’épanouir en contemplation mystique ? — Ou bien la différence spécifique enire grâces communes et grâces mystiques est-elle, en fait et en droit, si tranchée que, pour passer des unes aux autres, il faille un appel spécial, appel qui, en fait, n’est pas donné ni même destiné à tous ?

En faveur delà première opinion se prononcent, avec une extrême énergie, des auteurs profondément divisés entre eux sur d’autres points : M. le Cha noine Sauorbau ; le P. Lamballb, Eudiste ; ies PP. Arintiîro et Gahhujou-Lagrangr, Dominicains. Elle n’est pas inédite. Parmi ceux qui l’ont soutenue anciennement, nous nommerons plusieurs Jésuites du xvne et du xvm* siècle ; le P. L. Lallbmant (f 1635) ; le P. J. J. Suiun (f 1665) ; le P. Caus SAOB ("f I75l).

La seconde opinion est notamment celle de Bbnoît XIV, dans son ouvrage classique De Servorum Dei beatificati’ineet Beatorum canonizitione, l. III, c. xxv. xxvi ; ouvrage antérieur à son pontificat, mais nullementdésavoué par IeSouverain Pontife. Elle compte parmi ses représentants modernes les PP. Poulain et db Maumigny, Jésuites ; Mgr Farous ; leP. Marib-Josei’h, Carme, qui la revendique au nom de la tradition de son ordre. Etudes Carmélitaines, janv. 1920 ; le P. Antoine Marie, autre Carme et Définiteur général de son Ordre, dans son Etude sur le Château intérieur de sainte Térèse, p. 10. 5g 80.84. 134- Paris, 1922.

Mais, avant toute discussion, il est bon de noter que, sur la divergence théorique, se greffe une différence de terminologie. Les auteurs du premier groupe, pour qui les grâces mystiques sont dans le prolongement normal des grâces communes, rattachent les unes et les autres à l’oraison ordinaire, réservant le nom d’oraison extraordinaire à des phénomènes qui n’interviennent qu’accidentellement dans le développement de la rie mystique : extases, visions, paroles intérieures, prophéties, ce que la terminologie de l’Ecole désigne comme gratiæ gratis datae. Au contraire, les auteurs du second groupe, qui insistent davantage sur la privauté divine inhérente aux grâces mystiques, ne mettent pas de différence entre oraison ordinaire et oraison commune, et font commencer l’oraison extraordinaire avec les grâces mystiques.

Ces opinions ont, avant tout, l’autorité des auteurs qui les défendent. Quant à les rattacher à une tradition ferme, c’est là sûrement une entreprise délicate.

On aura facilement l’impression que les arguments, apportés quelquefois comme décisifs, ne prouvent pas ce qu’on leur demande. Par exemple, demander aux paroles adressées par Notre Seigneur à la Samaritaine : Si scires donum Dei, et quis est qui dicit tibi : Damihi bibere, tu forsitan pelisses ab eo, et dedisset tibi aquam vivam(/oan., iv, 10), la preuve d’un appel, au moins lointain, de tous à la contemplation mystique, c’est assurément doubler les paroles du Seigneur d’un commentaire qui ne s’impose pas. Car la grâce offerte par Notre Seigneur à cette femme est avant tout la grâce du salut, avec tout ce qu’elle comporte ici-bas d’efficacité réelle et là-haut d’éternelles délices ; grâce, comme telle, offerte à tous. i Mais il ne suit pas de là que les modalités présentes de cette grâce soient pareillement offertes à tous. La grâce du salut est un don ; son épanouissement mystique dans la gloire en est le juste corolla-re, pareillement offert à tous. Quant à son épanouissement mystique ici-bas, c’est une tout autre question. Que l’on consulte la tradition exégétique sur cette eau qui jaillit pour la vie éternelle ; il est bien douteux qu’on en tire une réponse ferme sur l’appel de tous aux grâces proprement mystiques.

On peut en dire autant de la tradition littéraire des mystiques. De sainte Térèse et de saint François de Sales à Benoît XIV et à saint Alphonse de Liguori, on a recueilli une ample moisson de textes qui ne permettent pas d’affirmer sans réserve que la privation de grâces mystiques soit une preuve certaine d’infidélité à Dieu, ni qu’on puisse tenir ces grâces pour le thermomètre normal de la perfection. 285

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Qu’il suffise de citer sainte Térùsb, Château intérieur, V « demeure, eh. iii, trad. des Carmélites de Pans, t. VI, p. ii>3’  « Pour l’union dont il est ici question (union de pure conformité à la volonté divine), est-il nécessaire qu’il y ail suspension des puissances ? Non, le Seigneur a le pouvoir d’enrichir les aines par diverses voies, et de les l’aire arriver à ces Demeures sans passer par le sentier de traverse que j’ai indiqué (les voies mystiques). Mais remarquez bien ceci, mes tilles : il est nécessaire que le ver Meure, et ici il vous en coûtera davantage. Par cette autre voie, la vie si nouvelle où l’on se trouve introduit aide beaucoup le ver à mourir. Ici, il faut que ce soit nous-mêmes qui, sans être affranchis de la vie ordinaire, lui donnions la mort. J’avoue que c’est beaucoup plus pénible, mais cette souffrance a son prix, et si l’on remporte la victoire, la récompense sera plus grande. Que l’on y puisse arriver, cela est indubitable, pourvu que l’union à la volonté de Dieu soit réelle. »

Ce qui ressort avec vraisemblance de la tradition, c’est que Dieu a coutume de départir, plus ou moins libéralement, des touches mystiques aux âmes qu’il veut spécialement s’unir. Aussi les auteurs spiriluels les plus défiants à l’égard des visions et autres grat æ gratis datae, ne le sont-ils pas à l’égard de ces grâces toutes purifiantes et élevantes ; ils permettent de les désirer humblement et prescrivent de les recevoir avec reconnaissance. Mais une règle générale n’est pas nécessairement une règle sans exception, et c’est le cas de rappeler le mot de sainte Térèse : « Comme il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père céleste, il y a aussi bien des voies pour y tendre. » Dieu dispenserait sans doute plus libéralement les gràcesmystiquessiplus d’âmes y correspondaient. Ce principe général est sûr : les applications restent discutables.

Mais c’est peut-être trop s’appesantir sur une question controversée. Il importe beaucoup plus de constater que nous retrouvons les auteurs spirituels unanimes à aflinner que, même pour l’âme introduite à la vie mystique, l’ascétique ne perd jamais ses droits ; tous font écho à la parole du Maître : « Si quelqu’un veut venir sur mes pas, qu’il se renonce, porte sa croix et me suive. » (Mat., xvi, 24) C’est là, sans illusion possible et pour tous, la voie de ta divine charité, de ces « meilleurs charismes » recommandés par l’Apôtre (I Cor., xii, 31). Inutile d’accumuler les témoignages ; nous en choisirons deux :

De Imiiatione Christi, 1. II, c. xii, fin : Omnibus ergo perlectis et scrutatis, sit ista conclusio finalis : ijuoniam per multas tribulationes oportel nos intrare in régna m Dei.

Saint Ig.nacb, Exercices spirituels, II* semaine, fin : Il faut que chacun sache qu’il avancera dans les choses spirituelles à proportion qu’il se dépouillera le son amour-propre, de sa volonté propre et de jn propre intérêt. »

VI. Moralité de la Prière. Son efficacité. — suflil de croire à un Dieu bon, juste et puissant, )our n’avoir contre la prière aucune objection de principe. Un tel Dieu ne saurait se désintéresser des êtres raisonnables que nous sommes, et il est tout iturel — pour ne rien dire de plus — qu’il leur ait lénagé le moyen de lui faire parvenir, avec leurs liommages, l’expression de leurs besoins et de leurs lésirs. Ces besoins et ces désirs, sans nul doute, il es connaît ; le voeu de la nature ne peut l’offenser, pourvu qu’il soit respectueux de la loi divine et humle dans son expression. L’homme, qui a tout reçu le Dieu, ne doit ni oublier ses bienfaits ni lui re procher de l’avoir fait besogneux et dépendant. Assez de raisons lui persuadent qu’il nedéroge point à sa propre dignité en se faisant mendiant devant Dieu, et qu’il ne l’outrage point en lui exposant le fond de son cœur. Le chrétien a de plus les invitations positives à la prière, maintes fois réitérées dans l’Evangile et soulignées par des assurances où Dieu a engagé sa parole.

Mais la réponse divine tarde souvent ; parfois même elle semble faire complètement défaut, et l’homme, qui implore le ciel, est tenté de croire que le ciel est vide. De cette expérience incontestable et parfois angoissante, naissent toute sorte de doutes et d’objections contrela prière. Est-il bien sûr que Dieu l’entend ? S’il l’entend, comment peut-il être infidèle à sa promesse ? Serait-ce dureté ? Serait-ce impuissance ? Objections aussi vieilles que le christianisme. On a vu qu’Origène s’essayait à y répondre, et sa réponse n’est pas sans valeur. Nous devons à saint Augustin et à saint Thomas, entre autres, de nouvelles mises au point. Avant tout, il importe d’observer que, pour avoir un sens, la réponse doit être encadrée dans tout le dessein de la Providence (voir ce mot).

Il n’y a pas lieu de reprendre ici des développements amorcés à maintes pages de cet article ; mais l nous dégagerons l’idée centrale. Dieu conduit souverainement tous les événements de ce monde, sans être lié par aucune cause ni aveugle ni libre ; mais le suave gouvernement de sa Providence met en œuvre ces diverses causes selon leur nature propre, sans multiplier les coups d’Etat. Des coups d’Etat, il y en a, quand Dieu, pour des raisons dont il est juge, veut alarmer son souverain domaine par le Miracle (voir ce mol). Ce cas excepté, Dieu met en œuvre, dans le gouvernement de ce monde, les ressources propres de la créature, et la prière est l’une de ces ressources. Elle est même, dans l’ordre du salut, le grand ressort humain du gouvernement providentiel, et l’intelligence de ce fait renferme la solution de tous les doutes soulevés contre la prière.

Ce que Dieu veut, d’une volonté non pas toujours absolue mais toujours réelle encore que conditionnée, c’est attirer la créature raisonnable à sa fin dernière. Le moyen de tendre efficacement à la fin dernière, ce sera, pour la créature raisonnable, de se faire docile sous la main de Dieu parla remise de toutes ses énergies ; et cette remise n’est possible normalement qu’à l’homme qui prie. La prière que Dieu a promis d’exaucer est justement celle-là, qui tend droit à l.ii selon la ligne du salut. Elle obtient toujours la grâce, qui sera efficace pourvu que la libre coopération de l’homme ne vienne pas à se dérober. La prière qui poursuit d’autres fins, qui s’égare vers des fins prochaines, vers des biens terrestres, n’est pas la prière que Dieu a promis d’exaucer. Ce n’est pas qu’une telle prière ne puisse être agréable à Dieu et qu’il ne l’exauce souvent. Mais il l’exauce dans la mesure convenable aux fins supérieures de la Providence. Il n’a point de compte à nous rendre ; et parfois les fins supérieures de sa Providence s’accommoderont mieux d’un délai ou d’un refus. En présence d’une requête indiscrète, ou simplement trop humaine. Dieu seracommen’entendant point. Il montrera plus de miséricorde en refusant à l’homme les biens dont celui-ci pourrait mésuser. En ce cas, il agira comme un père qui refuserait à son enfant une arme à feu ou tout autre objet d’un désir peu convenable à son âge. Dieu pourra encore montrer plus de miséricorde en différant la réponse et obligeant la prière à se prolonger, en vue du profit immédiat de celui qui prie. Ainsi provoquera-t-il un approfondissement dans la connaissance expérimentale de sa dépen287

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dance et de sa misère : c’est là uneleçon dont l’homme a toujours besoin. L'épreuve ne dût-elle produire d’autre fruit que cette persévérance dans la prière, ce serait déjà un gain positif, gain peut-être beaucoup plus appréciable que la réalisation du désir qu’elle exprime. Le grand bien, pour l’homme, consiste à se détacher de la terre et à regarder le Ciel. Rien que ce regard, tourné vers le Ciel, porte en lui-même sa récompense, et l’homme doit se tenir pour grandement favorisé de Dieu, qui reçoit la grâce d’y persévérer. Car c’est une grâce ; et celui-là n’est point un déshérité d’en haut, qui persévère toute sa vie dans la prière. C’est un héros de la persévérance chrétienne ; un de ces héros à qui est promis le salut (Mat., x, aa). En regard des déceptions et des murmures qui reprochent à la prière de ne pas tenir ses promesses, il convient de remettre l’exemple des vies héroïques qui, pour n’avoir jamais demandé à la prière rien que d’excellent, ne l’ont jamais trouvée en défaut, mais n’ont cessé d’y recourir comme à la source vive de cette eau qui jaillit pour la vie éternelle (/o., iv, 14).

VII. Histoire et Psychologie. — On doit à M. J. Sbgond une thèse universitaire sur La Prière. Essai de psychologie religieuse. Paris, Alcan, 191 1. Mosaïque de citations et de réflexions, assemblées par un lien trop souvent artificiel.

Très différent est le livre de M. Friedrich Hkileh, publié en Allemagne et parvenu en deux ans à sa troisième édition. Œuvre d’histoire et de psychologie. Bas Gebet. Eine religionsgeschichtliche und religionspsychologische Untersuchung. Von Friedrich Heiler. 3 Auflage Miinchen, Reinhardt, 1921, gr. in-8, xx-576 pages.

Comme tout autre fait religieux, la prière peut être étudiée par les procédés familiers à la science des religions. Ecrire l’histoire de la prière, sera retracer l’effort de l’homme pour entrer en relations avec Dieu ; — c’est-à-dire, en somme, la vie supérieure de l’humanité.

Telle est précisément l’ambition de M. Friedrich Heiler. Il est, parait-il, catholique, ou, plus exactement, il l'était quand parut ce livre. Nous ne l’aurions pas deviné, tant il fait soigneuse abstraction de sa croyance. Personnellement instruit de ce qui touche au catholicisme, il met d’ailleurs sa coquetterie à dominer, avec une sereine impartialité, toutes les différences confessionnelles, à tenir la balance égale entre saint Augustin et Luther, entre Calvin et saint Ignace de Loyola, à citer Auguste Sabatier et l’archevêque d’Upsal, Nathan Soederblom, à côté de sainteMechthilde et de sainte Térèse. Ajoutons qu’il parle, çà et là, en franc luthérien. Il a dû prévoir que les protestants lui donneraient plus d'éloges que les catholiques ; et sans doute est-ce là ce qu’il a voulu. Les premiers pourront exalter sa largeur d’esprit ; les seconds se sentiront çà et là blessés dans leur foi. Surtout ils ne sauraient pardonner l’inconvenancede certains rapprochements. La place de Jésus, le Maître divin de la prière, n’est pas dans un même groupe avec Luther et Mahomet.

Ces réserves faites — et elles s’imposent, — on peut trouver dans le livre à s’instruire, et même à louer. Il contient une somme énorme de faits précis, maîtrisés par une pensée vigoureuse. Nous indiquerons rapidement la suite des idées.

L’estime commune des hommes voit dans la prière le fait central de toute religion. Or — l’observation peut surprendre, — l'étude de cefaitcentral ne semble pas avoir été poussée très loin. Ce n’est pas que les documents fassent défaut : effusions des âmes pieuses, liturgies de toutes provenances, confidences

et témoignages des ascètes, des missionnaires, des ethnographes, sur le fond, sur la forme, sur les altitudes et les gestes de la prière, encombrent nos bibliothèques. Mais la prière a sa pudeur, et il n’est pas donné au premier venu de saisir et de rendre ce qu’il y a de plus intime dans les paroles dites par l’homme à Dieu. Cela peut expliquer une certaine pauvreté relative de la littérature théorique consacrée à la prière.

L’auteur entreprend de combler cette lacune, dans un esprit étranger à toute croyance positive. Il interrogera d’une part la psychologie des peuples, surtout des peuples enfants, espérant retrouver sur les lèvres des primitifs l’accent naïf de la première prière qui jaillit spontanément du cœur de l’homme ; d’autre part, les personnalités transcendantes, surtout dans l’ordre religieux, comme des interprètes éminents de l'âme universelle. Réservant à une étude ultérieure la métaphysique de la prière, il se borne présentement à une tâche descriptive.

Les primitifs — par là il entend d’abord les peuples sans traditions écrites, — le retiennent longtemps. La prière du primitif reflète immédiatement ses impressions personnelles : expression spontanée d’un besoin, ou reconnaissance pour un besoin satisfait, elle manifeste l’ardent désir de vivre qui est au fond de la nature. Le présent seul et les biens tangibles existent pour le primitif ; mais il sent trop les limites de sa nature et son essentielle dépendance, pour ne pas implorer un appui au dehors. Le cri profond de sa détresse manifeste l’intensité de sa vie affective, son élan vers le bonheur, son réalisme naïf. Etranger à toute métaphysique, il prie, sans raffiner sur l’objet de sa croyance ; l’Etre supérieur à qui va sa prière, qu’il cherche à gagner par des offrandes, vers lequel il crie dans l’angoisse, est facilement pour lui un Maître ou un Père. Les travaux récents de l’anthropologie, dépuis Andrew Lang jusqu’au R. P. W. Schmidt, tendent à révéler de plus en plus le monothéisme instinctif qui constitue le fonds primitif des religions, et illustrent la valeur largement humaine des formules consacrées par la prière juive et par la prière chrétienne.

Mais la prière primitive évolue au cours des âges, et l’on nous invite à en suivre les métamorphoses.

Tout d’abord, elle se fixe et en quelque sorte se pétrifie en des formules impersonnelles, consacrées par la tradition, parfois consignées dans un rituel minutieux, confiées à la garde des prêtres. Formules primitivement très simples. L’antique religion de Rome et celle de l’Egypte offrent des exemples remarquables de cette transformation. Au libre cri sorti du cœur, a succédé le respect superstitieux de la lettre, le règne du protocole. L’attention des prêtres est concentrée sur l’observation exacte du rite, les fidèles y demeurent plus ou moins étrangers. Toute une jurisprudence du culte s'élabore ; et quand le rite est régulièrement accompli, on attend de la divinité qu’elle s’exécute. La supplication primitive a dégénéré en instrument de contrainte ; on est en pleine magie. D’ailleurs, la prière spontanée peut toujours s'évader de ce formalisme, et jaillir sous l’empire d’une nécessité pressante ou d’un sentiment profond.

Un jour vient où la civilisation met son empreinte sur le culte et assouplit la raideur hiératique des anciennes formules. La prière se répand en hymnes : hymnes rituelles, sorties du sanctuaire ; hymnes littéraires, dues à de libres poètes. Non seulement la Grèce et Rome, mais tous les pays à grandes religions sacerdotales : Egypte, Mésopotamie, Inde, Amérique centrale, virent une poésie littéraire naître des chants rituels. L’auteur s’arrête avec com289

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plaisance à la religion grecque, fruit spontané du culte de la famille et de la cité. Dès l’époque homérique, la jeune Ionie manifeste, à travers son rêve héroïque, les aspirations de la race vers un idéal fait d’ordre et de beauté. Au cinquième siècle, avec Pindare, avec les grands tragiques et Socrate, l’idée morale s’approfondit et s’affirme ; toute la vie publique est pénétrée de prière. Mais, à la différence du llomain, le Grec ne s’enchaîne pas au rituel. Il prie, selon le mot de Marc Aurèle, simplement et librement.

Cependant la naïve confiance de la prière primitive provoque les négations de la philosophie. Après Pythagore et Platon, les stoïciens ont discuté la prière. Au deuxième siècle de l’ère chrétienne, le philosophe néoplatonicien Maxime de Tyr a écrit un petit traité sous ce titre : Faut-il prier ? D’accord avec les stoinens, il laisse tout juste à l’homme le droit de demander au ciel la vertu ; encore cette demande est-elle vaine ; car, selon le même philosophe, il dépend simplement de l’homme de pratiquer la vertu. La prière philosophique se résume en trois points : i u demande du bien moral ; a résignation au destin ; 3° invocation de la majesté divine. On a parfois rapproché ce programme du programme des mystiques chrétiens, qui s’abandonnent à la Providence, par exemple, du programme qui inspire à saint Ignace de Loyola la prière : Suscipe, Domine. En réalité, une rencontre verbale partielle couvre ici une totale diversité de dispositions intérieures. Malgré le fracas de paroles, la prière stoïcienne est froide et impersonnelle. La résignation stoïcienne est l’acte d*une volonté forte, qui consent à plier sous une nécessité inéluctable. L’abandon du mystique chrétien procède du don total et amoureux de soi-même au Dieu personnel. Il y a donc entre deux un abîme. En fait, toute prière naïve suppose la croyance à l’existence d’un Dieu personnel ; à sa réelle présence ; au commerce de l’homme avec Dieu. Une philosophie qui rejette ces postulats devrait logiquement s’interdire toute prière. En fait, la conséquence est rarementtirée, sinon par le matérialisme et le naturalisme irréductible : la masse des philosophes respecte quand même l’instinct profond de la nature. Le dieu immanent du panthéisme devrait décourager tout commerce filial ; en fait, quelques-uns le prient. Auguste Comte lui-même ne recommande-t-il pas la prière quotidienne I Cependant rien ne montre mieux l’inanité d’une religion purement naturelle, que son impuissance à justiûer et à conserver la prière. La prière philosophique, sans valeur de vie pour les niasses et pratiquement dissolvante, marque une simple étape sur la voie de l’irréligion.

Parvenu à ce point de son travail, l’auteur se lance en des développements très vastes — très mêlés aussi

— sur la prière dans la piété individuelle des grands génies religieux. Il les ramène à deux types : le type mystique, caractérisé par l’oubli de soi-même en Dieu, attitude résignée, passive, plutôt féminine ; le type prophétique, caractérisé par une attitude plutôt virile, active, conquérante : la lutte pour établir hors de soi le règne de Dieu. Il ne se dissimule pas que, dans la réalité, les deux types ne sont pas tranchés si nettement. Nous ajouterons que la distinction nons paraît largement artificielle, et les conclusions utiles horsde proportion avec l’effort dépensé.

Plus discutable encore, et plus étranger à un réel approfondissement du sujet, nous paraît le chapitre suivant, sur la prière des grands hommes — poètes et artistes surtout, — qui ne sont pas des génies de l’ordre religieux. Que le poète ou l’artiste tourne vers la prière ses intuitions personnelles et sa puis-Tome IV.

sance d’expression, il en résultera une production remarquable dans l’ordre intellectuel ou esthétique non un progrès dans la ligne propre de la prière. Le poète ou l’artiste, comme tel, ne prie pas nécessairement. Autre chose est le vêtement de la prière, autre la prière même.

Nous goûtons mieux le chapitre consacré à la prière liturgique. Expression d’un sentiment collectif, la prière liturgique du peuple chrétien est un acte vital, nécessaire au corps mystique du Christ. Extrêmement libre à l’origine, la prière liturgique, dans le christianisme comme dans toute autre religion, s’est, avec le temps, disciplinée, fixée, stéréotypée. Le retour fréquent des mêmes motifs de prière devait préparer l’avènement du rituel ; par contrecoup, il favorise la routine. La verdeur du sentiment religieux s’est alfaiblie ; du moins est-ce bien positif que l’acquisition d’une formule durable, véhicule de la tradition. La liturgie chrétienne invoque Dieu, présent au milieu du peuple ; elle lui porte l’hommage spirituel de la communauté.

Au reste, la prière liturgique ne supprime pas, mais plutôt encadre, la prière individuelle, trait commun de toutes les religions appuyées sur un Livre et régies par une Loi. L’histoire montre quatre fois réalisé ce type de religion, dans le mazdéisme parsiste, dans le judaïsme postexilien, dans le christianisme catholique, dans l’Islam. Toutes ces religions demandent à leurs adeptes la prière individuelle, à la fois objet de précepte et matière de mérite. D’ailleurs elles diffèrent absolument. Seul, le christianisme catholique a gardé une piété mystique d’une profondeur incomparable ; les cadres, même rétrécis, de l’Eglise ont retenu la vie primitive sans l’étouffer.

De là ressort l’essence propre de la prière : entretien avec Dieu présent. On voit que la croyance à la personnalité de Dieu est la condition sine tjua non de toute vraie prière ; une autre condition est la croyance à la présence immédiate de Dieu. Dès lors apparaît la frontière entre la prière proprement dite et d’autres phénomènes voisins, avec lesquels on l’a souvent confondue : l’adoration panthéistique, vague communion à la nature universelle, et le simple recueillement, présupposé de la prière ou de l’adoration, ne sont pas la prière même.

Toute prière suppose le commerce vital d’un esprit Qni avec l’Esprit infini. Cette vérité, qui fut une pierre d’achoppement pour le rationalisme grec, en est une encore pour le rationalisme moderne, issu de Kant. Le déisme philosophique ne daigne pas converser avec Dieu. Mais l’homme religieux sait trouver Dieu dans son cœur. La rencontre affectueuse de Dieu avec l’homme est un miracle de tous les jours, et c’est le fond de la religion.

Pour présenter une analyse quelconque de ce livre extrêmement riche et touffu, nous avons dû élaguer beaucoup. M. F. Heiler a fait preuve d’une vaste érudition dans les domaines les plus divers. Christianisme etjudaïsme, Egypte et Mésopotamie. Inde védique, Extrême-Orient, Amérique, il a tout exploré. Il a compulsé les annales du taoïsme et du bouddhisme, il cite les Incas et les Aztèques, les Bantus et les Polynésiens. Parmi les ouvrages de quelque valeur sur lesdiverses parties du sujet, bien peu lui ont échappé. On ne peut guère souhaiter information plus complète. Mais nous avons déjà signalé certaines indécences. Il reste à dire pourquoi la méthode nous paraît quelque peu décevante. C’est qu’elle associe trop de contraires.

Une synthèse correcte ne doit grouper que des grandeurs réellement comparables. Beaucoup des grandeurs groupées dans ce volume ne le sont pas. 291

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Avant tout, il faudrait s’entendre sur la définition de la piété. Car la piété n’est pas une chose malléable, que l’homme plie et tord à son gré. C’est une attitude d’âme, bien délinie par sa direction vers Dieu.

Interroger la conscience naïve de l’humanité sur ses tendances profondes, est fort bien. Il y a dix-sept siècles, Tertullien s’adressaitainsi à l’âme populaire de son temps et l’invitait à déposer en faveur du vrai Dieu. Nous possédons la réponse ; Tertullien a créé pour elle un nom, demeuré célèbre : c’est le

« témoignage de l’âme naturellement chrétienne ».

M. Heiler ne procède pas autrement, dans une partie de son livre ; il réédite la réponse, avec un luxe d’informa’ion jusqu’à nous inconnu. Interroger les grands génies religieux est encore très bien. A condition de s’entendre sur la désignation des grands génies religieux. Faute de cette précaution, d’aventure on confondrait, avec les génies qui tendent vers Dieu, ceux qui effectivement lui tournent le dos.

M. Heiler paraît avoir eu çà et là l’intuition de cette vérité. Il écrit, par exemple p. a44 : « L’antipode de la mystique térésienne, c’est la robuste et joviale piété de Luther ; elle marque la coupure la plus profonde dans l’histoire de la prière chrétienne. » Sans doute. Mais écoutons la suite : « Après Jérémie, Jésus et Paul, le Réformateur allemand est bien le plus puissant des grands génies de la prière. » Et voici à quel titre. Rompant avec la mystique néo-platonicienne du Moyen Age et s orientant exclusivement vers la Bible, Luther accomplit une révolution créatrice, d’après le type du prophétisme chrétien originel. Sa prière n’est pas contemplation éperdue de l’Etre divin, mais expression affectueuse d’un profond besoin de cœur et d’àme, qui se résout en confiance, en abandon et en joie. Il reprend le mot d’ordre du christianisme primitif :

« Le règne de Dieu est proche ! » sur le mode

puissant des temps évangéliques. Ilréédite les paraboles de Jésus avec un accent inimitable de foi naïve et réaliste en la vertu de la prière constante pour contraindre Dieu. Par delà Augustin et Bernard, il rejoint les prophètes bibliques : sa prière est l’écho de la prière qui tombait des lèvres de Jérémie et des Psalmistes, de Jésus et de Paul ; son idéal est pris de l’Ancien Testament. Cet idéal agit non seulement sur les pères de la Réforme, sur Mélanchthon, Zwingle etCalvin, mais, par delà ces ancêtres, sur toute la littérature d’édification des premiers temps de la Réforme. Seulement Calvin y met moins de simplicité enfantine et de cordialité, plus de sérieux et d’austérité…

Assurément, nous voici bien loin de sainte Térèse. Il faut choisir. Si l’esprit de sainte Térèse et sa prière mènent à Dieu, l’esprit de Luther en éloigne. Si le véritable esprit des prophètes continue de vivre dans l’Eglise catholique, Luther n’en a que le masque. Peu importe que, entre les pères de la Réforme, Luther fasse figure de prophète plutôtque de mystique : du point de vue d’un christianisme réel, il n’est assurément ni l’un ni l’autre, et de superficielles analogies littéraires ne sauraient permettre de réduire à une même catégorie des phénomènes aussi disparates. Retenons que la jovialitéde Luther est aux antipodes de la mystique térésienne. Et concluons que la piété de Luther est d’autre essence que celle de sainte Térèse.

Est ce à dire qu’il existe des contrefaçons de la prière ? Sans nul doute. L’homme peut s’y tromper, mais non pas Dieu. L’Evangile nous montre (Luc, xviir, 10) deux hommes montant au temple pour prier. Le publicain touche le coeur deDieu et est justifié pnr sa prière ; In prière du pharisien est rejetée

comme un vain simulacre. Une autre fois, devant le spectacle de l’hypocrisie pharisienne, le Seigneur reprend l’oracle d’Isaïe : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi. » (Malt., xv, 8) Ces leçons évangéliques suggèrent que les variétés de la prière ne se laissent pas classer simplement comme les plantes d’un herbier ; les descriptions formelles demandent à être complétées par des jugements de valeur. On en trouve quelques-uns dans le livre que nous venons de parcourir ; ainsi, l’auteur dénonce l’illusion de la prière philosophique et l’impossibilité d’une prière panthéiste. Mais le triage n’est pas poussé assez loin. A l’or pur de la prière, reste mêlé beaucoup de clinquant.

J’entends bien que l’auteur déclare réserver pour un ouvrage ultérieur la métaphysique de la prière. Malheureusement, il sera trop tard pour déduire de justes conclusions métaphysiques si, en préjugeant des questions d’espèces, il engage dès maintenant la suite du développement.

D’où la nécessité de ne pas laisser prescrire, par un dangereux abus de mots, la vraie notion des choses. Il y a des prières qui montent du fond primitif de l’humanité : cela est très bien dit. Il y a d’autres prières dont le moteurn’estpasen l’homme ; elles viennent de Dieu, et tendent aux biens du salut. Enfin, il peut y avoir de pseudo-prières, qui reproduisent le mécanisme de la prière et en usurpent le nom. Le discernement apparlientà Dieu, qui seul voit le fond des coeurs. Mais écarter le principe de ce discernement, c’est tout confondre a priori et crever les yeux à la science des religions. Une introspection impassible, qui s’interdirait déjuger, ne serait ni morale ni humaine.

L’histoire des religions n’est pas nécessairement une Babel. Mais, sous peine de le devenir, elle ne doit pas abdiquer le droit de recourir à certains principes absolus, y compris ceux du dogme catholique. Ajoutons qu’une étude réellement objective de la prière ne saurait être réalisée par les seules ressources de l’observation psychologique. Naguère, tel auteur s’avisait d’entreprendre, par les mêmes procédés, une étude sur la grâce. On imaginerait difficilement plus lourde erreur ; car la grâce ne tombe pas sous l’observation psychologique, j’entends la grâce proprement dite, la grâce sanctifiante. Tout ce que l’observation psychologique peut atteindre, ce sont quelques symptômes extérieurs, accidentellement révélateurs de la grâce. Moins profonde assurément serait l’erreur de qui poursuivrait, par l’observation psychologique, l’étude de la prière chrétienne ; car la prière est chose observable. Néanmoins, sous peine de laisser échapper le meilleur de la prière même, on doit s’attacher d’abord à la description qu’en donnent nos Livres saints. Les paroles formées par l’Esprit saint dans le cœur des fidèles, ces gémissements inénarrables par lesquels il prie en eux, selon saint Paul (/loin., viii, 26), voilà le fonds le plus authentique delà prièrechrétienne. L’histoire qui veut faire œuvre objective, doit s’y appuyer. Hors de là, il n’y a matière qu’à descriptions de surface, et ce qu’on ferait entrer ainsi dans les cadres de l’histoire comparée des religions, ne serait que l’ombre de la prière chrétienne.

A plus forte raison n’atteindra-t-on jamais par une telle voie les formes supérieures de la prière, ces opérations proprement divines où la nature humaine n’agit point, mais subit, et qui constituent l’expérience propre des mystiques chrétiens. Certaines analogies de contours avec des phénomènes d’ordre naturel ne doivent pas faire illusion sur la transcendance des effets de l’Esprit divin. Les rap293

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prochements que l’on esquisserait n’irontpasau fond des choses : l’extase du saint ne se laisse pas classer avec le sommeil du bonze bouddhique ni avec l’ivresse du sùti musulman.

M. Heiler connaît, et parfois marque d’un trait fort, la jalousie nécessaire du point de vue chrétien. Rencontrant la prière de l’Homme-Dieu, il en parle avec émotion :

« Mou Père, non p >s ma volonté, mais la votre ! -Cette

prière Uu Christ sur le mont des Oliviers est le plus haut sommet dans I histoire de la prière, la parole la plus profondément religieuse qui fut jamais dite… A cette courte exclamation et à d’autres « emblables, conservées fidèlement par ses disciples ; à ses brèves recommandations de prière intérieure et conliante ; à sa prière modèle, le l’altr, la vie de prière des grandes personnalités chrétiennes s’est toujours ranimée : Apôtres et Pores, Moines et Mystiques, Réformateurs et Théologiens. 1 a prière de Jésus à Gethsémani a été redite par des millions d’enfants des hommes ; son Pater a élevé d’innombrables âmes sur les hauteurs de sa propre vie de prière ; aes paraboles touchant la prière persévérante, qui emporte le ciel, ont excité une confiance inflexible dans le cœur des grands chrétiens. L’assertion du quatrième évangile : « Nous avons tout reçu de sa plénitude, et grâce pourgràce » (loan., i, i(i) ne se vérifie nulle part mieux que dans la prière des fidèles. Le rayonnement infini de la vie de prière de Jésus prouve, mieux quo tout, la puissance créatrice unique de sa personnalité. Une telle prière ne pouvait jaillir que des profondeurs de

I Homme-Dieu.

On ne saurait mieux dire. Malheureusement ces paroles ne commandent pas tout le développement.

II suffirait de leur restituer leur pleine valeur, pour y trouver le principe d’un groupement meilleur el des éliminations nécessaires.

VIII. Une enquête moderne sur la prière. — Au mois de mai 1916, l’Université Saint-Andrews (Ecosse) mettait au concours le sujet suivant :

« La prière. Sens, réalité, puissancede la prière. Sa

place et sa va leur au regard de l’individu, de l’Eglise, de l’Etat, des affaires courantes de la vie, de la guérison delà maladie et de la souffrance, des temps de détresse et de danger national ; dans ses relations avec l’idéal national et le progrès du monde. »

L’appel ne retentit pas en vain, car le nombre des mémoires présentés s’éleva à 1667, écrits en dix-neuf langues différentes.

Pour dépouiller une si vaste littérature, on dut faire appel à plusieurs équipes de lecteurs. Des filtrages successifs réduisirent progressivement le nombre des candidats en présence, et après de multiples expertises, le prix lut décerdé au Rev. Samuel UcComb, 1). D., chanoine de la cathédrale (anglicane ) de Baltimore, Maryland (Etats-Unis).

Un volume, sorti des presses de Macmillan, réunit le texte du mémoire couronné et celui de dix-huit autres mémoires, dont plusieurs furent l’objet de distinctions spéciales. Un large éclectisme a présidé au choix Le toutest encadré entre une introduction, due au Right Itev. V. P. Paterson, professeur de théologie à l’Université d’Edimbourg, et un épilogue, du à M. David Russell, de Saint-Andrew-, Malgré des redites inévitables, le recueil est hautement représentatif et riche de points de vue originaux. {The Power of Prayer. Reing a sélection of Walker Trust Essays, with a study of the Essays as a religions and theological document. Edited by the EUght Rev. W. P. Paterson, D. D., Professor of Divinity in the University of Edinburgh, and David Russell, of the Walker Trust. Macmillan, London, 1930, in-8, xvi-6^3 pages)

Presque tous (exactement 1604 sur 1667) écrits en anglais, ces mémoires reflètent en général des édi tions plus ou moins revues du christianisme anglican. Une proportion notable (environ 50) appartient à ces mouvements nouveaux communément désignés par les noms de Christian Science et de New Thougkt, Il s’en trouve quatorze de non chrétiens, dont douze pour les religions de l’Inde. Les éditeurs du volumeont voulu faire placeauxcouranls d’idées les plus extrêmes. Dans l’ensemble, le recueil est, au sens large, ang ican ; qu’il nous suffise de le considérer comme te 1.

Huit tableaux synoptiques, dressés avec une admirable conscience par le Right Rev. Paterson, indiquent la répartition des 1667 mémoires selon les pays d’origine ; selon le sexe et la vocation des auteurs ; selon leur confession religieuse ; selon leur type dépensée ; selon les relations mutuelles de ces divers éléments. Nous renverrons à cette statistique le lecteur curieux. Notons seulement ce qui surprendra peut-être : le nombre des concurrents féminins dépasse notablement celui des concurrents masculins (870 contre 780). Plusieurs de ces concurrents féminins ont fait preuve d’un très réel mérite. Mais, somme toute, le féminisme n’enregistre pas une victoire : les dix-neuf mémoires publiés appartiennent au sexe fort.

On nous dit que le concours porte, dans son ensemble, un cachet très moderne. La donnée chrétienne y apparaît triturée par une pensée active et par l’expérience de la vie ; beaucoup plus rarement commentée, soit par les anciens maîtres catholiques, soit par les ancêtres de le Réforme. Les auteurs sont principalement nourris de littérature courante.

La leçon que tous répètent avec un ensemble émouvant, c’est leur confiance personnelle dans la prière ; confianeequi s’exprimeparfoiséloquemment. Presque tous témoignent de leur foi en un Dieu personnel, infini en pouvoir, en sagesse, en bonté, Père du Christ. Quelques esprits philosophiques s’arrêtent à défendre, contre les objectionspanthéistes, la personnalité de Dieu. Un petit nombre, au contraire, abandonne ce dogme ; mais leur panthéisme n’exclut pas toute religiosité ; il se teinte même parfois d’une dévotion intense. D’autres insistent sur l’immanence divine etdéveloppent un thème évolutionniste. Quelques-uns, prosternés devant le Dieu personnel, e feraient scrupule de l’invoquer : n’est-il pas au-dessus de notre prière ? et l’appellation de « Père Céleste » est-elle autre chose qu’un puéril anthropomorphisme ? Mais le grand nombre

— et surtout les penseurs — n’éprouve aucuife difficulté à accorder l idée de l’Etre infini avec les attributs du Père céleste, Providence attentive aux moindres détails de la Création.

Sur l’objet de la prière, nos auteurs manifestent certaines hésitations. Quelques-uns voudraient s’en tenir à l’adoration — prièredésintéressée, — comme seule digne de la majesté divine. D’autres s’étonnent que l’homme prétende intervenir par la prière en faveur de ses semblables. Mais ceux-là font exception. La plupart voient au contraire dans l’intercession pour autrui une forme excellente de prière. Des théosophes vont plus loin et affirment la vertu directement efficace delà prière, sans spécialeinlervention de Dieu. Beaucoup se montrent favorables à la prière pour les morts : manifestement, le dogme catholique du purgatoire gagne du terrain dans les milieux anglicans.

La prière intéressée, la prière qui demande, demeure suspecte à de3 esprits d’ailleurs pénétrants. Surtout ils distinguent entre les biens spirituels et les temporels. S’ils approuvent — et comment ne l’approuveraient-ils pas ? — la prière qui demande un bien spirituel, par exemple une grâce de conver295

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sion, ils sont portes à flétrir la prière qui demande un bien temporel ; soit comme une superstition grossière, héritée de religions inférieures, soit comme une pure chimère, tenue en échec a priori par la lixilédes lois delanature. Cependant legrand nom' re ne fait pas dilïïculté de reconnaître que Dieu est roi partout dans sa création, et fait partout ce qu’il veut. Et ici, des influences très diverses se coalisent pour battre en brèche l’objection soulevée contre la prière. D’unepari, l’influence de l’ambiance catholique romaine, appuyée par les récits de Lourdes et autres semblables, pénètre des milieux rebelles et incline les esprits à croire que les lois même de la nature cèdent à la toute-puissance divine ; d’autre part, les adeptes de la Christian Science propagent l’idée d’une sorte de vertu magique et infaillible, inhérente à la foi éclairée.

Le té-noignage de l’expérience vient s’ajouter aux enseignements de l’Ecriture pour fonder la confiance dans la prière. Mais la fixité des lois de la nature embarrasse beaucoup d’esprits. S’agit-il du monde spirituel ? On conçoit sans trop de peine que Dieu y intervienne, comme en son domaine propre ; d’autant que, le libre arbitre élantun attributde l’homme, on ne peut logiquement le refuser à Dieu. Mais le monde matériel est régi par un déterminisme inéluctable. Coin nent donc l’action divine pourra-t-elle s’y insérer ? Plusieurs solutions se fontjour. Les uns mettent positivement en doute la Cxité de ce qu’on appelle communément « les lois de la nature » ; ils estiment que ces formules, où l’on a cru étreindre la réalité, produits de généralisations hâtives, ne représentent que des approximations provisoires, et appellent un travail de revision et de correction. D’autres admettent franchement la ûxitédes lois de la nature, mais pensent qu’on a tort de s’en mettre en peine : ils trouvent dans le recours à la prescience divine, un moyende tout accorder, Dieu ayant, de toute éternité, prévu nos prières et réglé en conséquence le jeu, manifeste ou caché, des forces cosmiques. D’autres encore, admettant la fixité des lois de la nature, réclament une place pour cette force d’un genre spécial, qu’est la prière : il appartiendrait à la prière de déclencher certaines actions non comprises dans le déterminisme cosmique. Dans ce mélange de mysticisme et de matérialisme, on reconnaît l’influence de la Christian Science.

Le problème le plus délicat, que soulève la doctrine de la prière, est assurément celui des prières non exaucées. On ne peut raisonnablement contester le fait. Comment donc l’accorder avec la fidélité des promesses divines ? La réponse est variée à l’infini. En somme, avec des lacunes et des nuances qui reflètent la diversité des esprits, elle se ramène à la distinction entre les vues de Dieu, infiniment hautes et saintes, et nos courtes vues, trop souvent rivées à la terre, lesquelles ont le malheur de trop peu se modeler sur les vues de Dieu. L’Esprit de Dieu travaille les âmes par des désirs inquiets et inspire la prière. Mais l’ingrate matière humaine oppose, à l’initiative bienfaisante de l’Esprit, des résistances qui trop souvent la frustrent et la paralysent. Dans cette lutte entre Dieu et l’homme, se trouve la raison de nos impuissances et de nos déceptions. La prière que Dieu exauce toujours est celle où l’homme, sans nulle réserve, s’abandonne à Dieu.

Le Révérend Samuel Me CoMB.de Baltimore, auteur du mémoire couronné, constate ce fait remarquable de l’histoire moderne : l’humanité a redécouvert la prière, à la lumière de la nature et de la vie. Dès avant la Grande Guerre, la réaction contre le matérialisme de l'âge précédent s’allirmait dans le régime

de l'école (américaine) ; elle s’affirmait devant le public, grâce à une élite de penseurs. Il nomme Tennyson, William James, Cecil Rhodes, entre autres. La guerre est venue donner aux préoccupations générales, concernant la destinée humaine, une actualité poignante ; et tel homme sincère a cru pouvoir conclure à la banqueroute de la prière. Non 1 la vertu de la prière continuera de s’affirmer dans la vie.

Et d’abord qu’est-ce que la prière ? Multiples sont les définitions, comme les points de vue. Les hommes de foi s’accordent à y reconnaître une manifestation de l’Esprit divin, qui couve ce monde pour y faire éclore les élus de Dieu. On a défini la prière : un commerce affectueux de l’homme avec Dieu. Et sans doute elle est souvent cela. Mais le sentiment affectueux peut faire actuellement défaut à L’homme qui prie. On l’a définie encore : une demande de l’homme à Dieu. Et ceci encore renferme une part de vérité. Pourtant il y a telle prière, qui, actuellement, ne demande rien. Il reste que la prière, à sa plus haute expression, formule un désir. Telle, la prière désolée du Christ au jardin. La prière fait monter vers Dieu an désir de l’homme, explicitement ou implicitement conditionné par la conformité à sa volonté sainte.

La prière est l’appel d’une personne à une personne. Et donc le panthéiste, qui ne connaît pas de Dieu personnel, ne saurait réellement prier. La prière n’est pas un cri à travers l’immensité de l’espace vide : c’est un acte de religion, qui influe sur l’attitude personnelle et qui trouve un écho en Dieu. Expression d’un besoin intime, parfois cri spontané de la nature : l’homme qui prie est un être normal ; l’homme qui ne prie pas est un être atrophié, déséquilibré.

La prière n’exclut pas la croyance aux lois propres du monde physique ; mais elle la dépasse par la foi à une puissance supérieure, douée, comme l’homme, de libre arbitre. Dieu est une force au-dessus de la nature et de la loi. La prière aussi est une force, comprise dans les lois générales du monde. Son domaine est le « passible à Dieu ». Le commentde son action demeure un mystère ; sa réalité n’en rentre pas moins dans le cadre de l’ordre divin.

De fait, la prière nous met-elle en communication avec une puissance supérieure ? Des esprits timides, qu’une idée si haute déconcerte et qui ne peuventnier l’efficacité de la prière, parlent volontiers d’autosuggestion. Ce n’est là qu’un mot qui déguise mal notre ignorance. Et la question se pose inéluctable : oui ou non, la prière est-elle une force ?/* prayer tfynomie ? Noua sommes au cœur du problème Or, les personnes ijdonnées à la prière ri ; p>ndcnt par oui, et les psychologues contresignent laffirmation. Ils constatent que l’homme, né être moral, puise dans la prière un surcroît de force pour l’action. Us constatent que l’homme, né être inoral, puise dans la prière des ressources pour l’achèvement de sa personnalité. Toute l’histoire du christianisme dépose en ce sens, depuis saint Paul et saint Augustin. Dieu est toute réalité ; il est encore toute sainteté. Delà le pouvoir abondant de régénération, que convoie la prière ; pouvoir dont témoignent tous les missionnaires, tous les directeurs d'àmes. La valeur vraie de la prière consiste, non pas dans les joies mystiques, que d’aventure elle peut procurer, mais dans les transformations morales qu’elle opère. Elle refait des personnalités, en simplifiant, unifiant, pacifiant. Ce travail de restauration ne s’achève pas tout d’un coup. La prière doit accompagner l’homme à toutes les époques de sa vie. En lui procurant des réalités spirituelles et morales, une intelligence plus 297

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profonde, un goût plus senti, clic le mettra sur la voie du progrès. C’est que la prière fait entrer Dieu dans la vie humaine. Et il n’y a pas d’idée plus chargée d'énergie, plus réellement <t dynamique » que l’idée de Dieu.

Dès lors, on ne s'étonnera pas de trouver la prière efficace, non seulement pour l’homme qui prie, mais pour son prochain, qu’il veut faire bénéficier de son intercession. Ceci ne peut faire dilliculté pour qui admet d’une part la solidarité de toutes les âmes humaines, fondée en nature et attestée partout l’ordre social, d’autre part la bonté paternelle de Dieu, attentive à faire des élus. Pour expliquer ce rayonnement de la prière, la pensée contemporaine recourt volontiers aux faits de télépathie, et sans doute elle en exagère l’importance. De l’aveu des spécialistes les plus qualifiés, le mot n’explique rien. Quand même l’expérience découvrirait quelquejour l’agent mystérieux qui met en communication les âmes, et qui jusqu’ici se dérobe à nos prises, Dieu ne serait pas, pour autant, rendu inutile. Car la prière d’intercession vise plus haut que nos semblables. C’est du ciel qu’elle espère faire descendre sur eux une vertu. L’homme qui prie a conscience d'être un instrument aux mains d’une puissance bienfaisante ; et c’est à titre fraternel qu’il mendie pour des êtres nécessiteux. Il mendie, non pas seulement une bienveillance générale, mais parfois tels dons très particuliers, pour tels individus. Ceci rentre dans le plan divin. Une prière cordiale, comportant une réelle dépense de force spirituelle, un réel don de soi, est la condition mise par Dieu à l’effusion de ses libéralités ; il daigne se servir de nous pour parfaire son œuvre. Il ne faut qu’entrer dans ce dessein pour comprendre comment, dans tel cas particulier, notre prière pourra être frustrée ; comment, par exemple, la protection que nous implorions pour tel combattant, sur le champ debataille.n’a pas détourné de lui le coup fatal. Dieu a des pensées plus vastes que les nôtres, et dont le détail nous échappe. Mais la vraie prière, pénitente et soumise, qui s’unit à sa volonté paternelle, demeure une force aux mains de Dieu pour une œuvre de salut.

Le même auteur, dont nous recueillons volontiers les assertions maîtresses en laissant tomber certains traits, se demande si l’on est fondé à voir dans la prière un agent de guérison corporelle, et il n’hésite pas à répondre aflirinativement. Assurément la prière n’est pas une panacée. Mais elle est, au jugement des hommes de science, un facteur de relèvement très réel, même en des cas où la médecine se reconnaît Impuissante.

Dans l’unité du composé humain, il y a action et réaction du physique sur le moral. Cela suffit pour que la prière, force d’ordre spirituel et moral, intervienne efficacement dans le domaine organique. Elle intervient par le réconfort que le patient éprouve, du fait de son propre recours à Dieu ou du fait du recours d’autrui pour lui-même à Dieu. Aujourd’hui, beaucoup de médecins sont des idéalistes convaincus, qui apprécient la force thérapeutique des convictions religieuses et le ressort moral de la prière. Toute maladie — ou presque toute — leur paraît un désordre à la fois organique et mental, en proportions diverses ; et ils croiraient aussi imprudent de négliger la thérapeutique mentale que la thérapeutique o-ganique. L’une et l’autre ne ren'.rent-elles pas, à un titre semblable, dans l’unité du plan divin ? Voilà donc la porte ouverte à l’action de la prière ; car — il faut en revenir là, — c’est la prière qui met l’Ame en communication avec Dieu et déclenche, sur elle-même ou sur autrui, ces éneigies spirituelles, profondément salutaires, dont Dieudétienl la source

inépuisable. Ceci est particulièrement vrai des maladies dites « de la personnalité », appelant une reconstruction du caractère. La prière personnelle, qui aide à vouloir, y contribue sûrement. Pourquoi pas aussi la prière d’autrui ? Le comment nous échappe, mais le fait est constant. Une prière désintéressée, « altruiste », ne retombe pas à vide sur elle-même ; elle est un bien, et doit opérer pour le bien. Les témoignages abondent dans l’histoire du christianisme.

Seulement il ne faut pas poursuivre absolument nos vues particulières, comme des lins en soi. Le recouvrement de la santé est en soi, un bien ; relativement à l’ordre universel, ce peut être un mal. Tout doit concourir au dessein de Dieu. S’il y a te ! cas particulier où la prière défaille, impuissante s. obtenir le relèvement d’un organisme malade, lai puissance divine y trouvera l’occasion d’un meilleur triomphe. C’est le cas de saint Paul, criant vers Dieu dans son angoisse, et entendant cette réponse : « Ma. grâce te suffit ; car ma force triomphe dans ta faiblesse. » Enfin, l’efficacité de la prière expire aux bornes de la vie humaine : le dessein universel de l’Auteur de la nature prévaut sur toutes les lins particulières. Mais la prière dispose à faire bon visage à l'éventualité suprême de la mort ; elle élève l'âme sur les plus hauts sommets ; elle lui découvre les perspectives radieuses de l’espérance chrétienne.

L’effet total de la prière doit être d’assujettir pleinement l’individu à Dieu, pour réaliser, à travers les conflits de ce inonde, ce qui est la. fin commune de l’Eglise et de l'État : le règne de Dieu en terre, préparant l’avènement d’un monde nouveau, dans les splendeurs d’une paix éternelle.

Ce mémoire fortement pensé, remarquablement écrit, est loin d'épuiser le sujet de la prière, mais trace un cadre où certains développements supplémentaires pourraient trouver place. Il accorde beaucoup d’importance à l’automatisme psychologique de la prière, et relativement peu à sa puissance d’impétration. Il ignore la vie sacramentelle de l’Eglise et la prière liturgique. Il laisse en dehors de son horizon les états proprement mystiques et, en fait, abandonne la question du miracle. Ces aspects devaient tenter d’autres plumes. Un prêtre catholique américain énumère, d’un point de vue surtout extérieur, les pratiques de piété en usage dans l’Eglise romaine. Divers auteurs touchent — d’une main combien profane, hélas ! — aux grandes expériences des saints. Plusieurs rencontrent le miracle, mais ne savent guère que le rs mener, par une voie prsgmatiste, aux douteuses théories d’autosuggestion ou de faith-healing. A cet égard, les paroles les plus sages ont été dites par un pasteur suisse du canton de Vaud, M. C. A.Bourquin, dont le mémoire, rédigé en français, nous est livré dans une traduction anglaise. Il écrit, p. 219-222 :

Il n’est pas plus scientifique de rejeter tous les miracles que de les accepter tous. Dieu ne fait pas toute » le » merveilles qu’on lui attribue, mais il en fait plus qu’on ne pense… Les miracles doivent diminuer, avec la marche du progrès. Tandis que pour l’ignoiunt tout est miracle, beaucoup de prodiges ont disparu, grâce à l’avance de la civilisation, et n’ont plus de sens. Le miracle, néanmoins, ne disparaîtra point tout à fait… La guérison des maladies organiques parla prière se poursuit de nos jours. On va à Lourdes et à Notre-Dame de Fourvière ; de* malades en reviennent souvent guéris, après avoir invoque la Vierge Marie…

Il y a très loin de ces paroles à une pleine intelligence de la lf çon du miracle, que Dieu n’a pas refusée à l’incrédulité de notre âge. Mais, somme toute, 203

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cela vaut mieux que rien, et l’on aime à en prendre acte.

Plus qu’aux variations théoriques sur le thème de la prière, nous nous arrêtons volontiers aux pages vécues, qui ne manquent pas dans ce livre. Voici un clergyman anglican, le Rev. Albxandkh Foiibbs Phillips, devenu en temps de guerre chapelain d’une grande hase navale. Cet homme de coeur, qui est mort, a écouté on lui-même et autour de lui les leçons de l'épreuve, et s’est pris à philosopher sur sa croyance. Il écrit (A Chaplain’s Thoughts on Prarer), p. 161-162 :

L'échange de pensées entre personnes différentes et létude de son processus a toujours pu place dans la philosophie, surtout dans celle de l’Orient. Considérez un instunt la transmission de pensée par gestes, écriture ou parole. Chacun de ces moyens est par lui-même vide de sens ; néanmoins les symboles permettent à une personne de lire le travail intérieur d’une autre âme. Ils mettent à nu les secrets intimes du cœur et du cerveau. Pareil fait serait inconcevable si nous n’avions l’expérience de sa réalité. Il en va de même de la prière, elle aussi serait inconcevable si nous n’avions l’expérience de sa réalité. L’impossibilité apparente de la prière est un argument en sa faveur, car l’homme, de luimême, n’aurait jamais conçu l’idée d’une conversalion intime avec son Créateur. Un officier d’artillerie me disait : « Dès mon enfance, toujours la prière m’a frappé comme un trait d’effronterie impudente, au regard de l’infinie Sagesse. Un jour q ie terre et ciel me semblaient confondus dans la tempête sur nous déchaînée par les canons allemands, je sentis un moment mes sens chanceler. Je me mis à répéter : « Mon Dieu, gardezmoi ma tête pour mes hommes ! » Cette prière fut exaucée ; l’effet tangible est la décoration que je porte maintenant et qui, je le sens, doit être déposée dans quelque église. Chaque fois que je regarde ce bout de ruban, il me rappelle ma prière. »

La machine cosmique est si délicatement ajustée et emboîtée, que le moindre déplacement, fût-ce d’une partie, se fait sentir à travers toute la masse. L’univers vibre à chaque mouvement. Si j’agite la main, il y a une différence dans le cosmos, encore que je ne la sente pas. Dans l’univers spirituel, serait-il contraire à la science d’affirmer le même délicat ajustement spirituel, grâce auquel chaque idée que nous concevons, chaque résolution, chaque mouvement de la volonté lance une onde h travers l’ensemble ? Qu’est-ce qui empêche d’admettre que, quand le soldat gisant sur le champ de bataille, ou le saint dans le cloître, ou l’humble adorateur à son foyer fuit monter le cri de son âme vers Dieu, ce cri non seulement atteint l’Esprit central, mais retentit dans toute la masse spirituelle ? On nous parle beaucoup de la loi de nature ou de nécessité ; mais que dire de la loi de grâce ?…

Cette page n’est pas, tant s’en faut, la seule où l’on nous parle de ces commotions violentes où l'àme a retrouvé la croyance en Dieu et l’instinct de la prière. A son tour, un ministre wesleyen, le Rev. Ahthdr Cornaby, missionnaire à Hankow (Chine), rapporte (The Failh of a Missionary), p. 336-337, ces exclamations versleciel qu’il a recueillies même sur des lèvres païennes : elles coïncident, parfois d’une manière frappante, avec celles où Terlullien reconnaissait, il y a dix-sept siècles, le « témoignage de l'àme naturellement chrétienne ». Le même auteur cite (Ibid., p. 337, n °te)> » te propos, l’histoire de tel mineur du pays de Galles, qui volontiers posait pour l’esprit fort. Un jour, des blocs de charbon, détachés de la voùle, commencent à pleuvoir autour de lui. « Seigneur, sauvez-moi I » s'écrie-t-il. — « Ah ! ah 1 dit un camarade, il n’y a rien comme les blocs de charbon pour chasser l’incrédulité d’un homme ! »

Le même missionnaire méthodiste en Chine fait encore un récit (fbid., p. 344). que nous nous reprocherions de ne pas rapporter.

Ceci remonte aux jours de mon enfance ; les détails ne sont aussi présents que n’importe quel fait de l’année dernière. Une pieuse mère de douze enfants fut frappée d’une grave crise de paralysie, avec complications. Le docteur craignait une issue fatale et le dit à la famille, une après midi. Il [ici. sait que la malade n’atteindrait pas le jour suivant. Or, dans l’après-midi, eut lieu une grande réunion de prière, à laquelle prirent part les fidèles de plusieurs églises. Le président de la réunion était un homme de Dieu, qui avait apprise prier sur la côte occidentale d’Afrique. Il lut la parabole de la veuve importune (Luc, xvm), et après le verset 7* s’interrompit : U Je n’ai pas ouï dire que les élus de Dieu, aient aujourd’hui coutume de crier vers lui-nuit et jour. S’ils le font, quelque chose de grand se produira. » Puis, après diverses prières offertes avec instance pour les besoins de toutes les églises, le président reprit : « Une sainte de Dieu, connue de vous tous, est à l’article de la mort. Sa famille ne peut se passer d’elle ; nous ne pouvons nous passer d’elle. Prions le Seigneur delà guérir. » Au milieu d’une émotion intense, la prire fut offerte. Je retournai, angoissé, à la maison (car c’est pour ma mère qu’on avait prié), et trouvai le docteur dans la salle a manger, appuyé à la cheminée et disant : « Je n’y comprends rien. Quelque chose lui est arrivé. Un changement merreillrux s’est produit. Vous pouvez compter la voir debout et circulant sous peu de jours. » Il en fut ainsi. Sa vie se prolongea jusqu'à ce que sa tache fût accomplie.

Le récit qu’on vient de lire, garanti par un homme qui, il y a plus de trente ans, a porté l’Evangile en Chine, et dont les paroles ont un accent profond de sincérité, commande le respect ; nous ne nous permettrons pas de le discuter. On pourra s'étonner de ce fait, d’apparence miraculeuse. Mais qui dira ce que peut la foi des simples ? La question des revivuls n’est pas de celles qui s’accommodent d’un jugement hâtif et sommaire. Il n’y a là rien qui passe évidemment la vertu de la prière offerte à Dieu dans une assemblée de croyants.

L’Eglise catholique enseigne que la grâce n’est pas restreinte à ses seuls fidèles. Le miracle est une grâce que Dieu dispense plus parcimonieusement, parce qu’elle est un signe, et ordinairement un signe du chrislianismecomplet.Maisnousignorons la mesure. A maintes pages et sous maintes formes, le livre que nous venons de parcourir rend témoignage, non seulement de l’inquiétude religieuse qui, sous tous les cieux, travaille des âmes sincères, mais encore des avances que Dieu multiplie envers ceux mêmes qui ne prient pas, et beaucoup plus envers ceux qui prient. Ne renfermât-il rien d’autre, le recueil du Walker Trust nous paraîtrait fort digne d’attention

IX. Conclusion. — Nous nous sommes arrêtes bien longuement — trop longuement peut-être, — aux manifestations diverses de la prière, non seulement hors de l’Eglise catholique, mais en dehors même du christianisme. C’est qu’il y a là un fait universellement humain qui frappe même les yeux des incrédules, fait par lui-même révélateur des relations mystérieuses qui unissent l’homme à la divinité et qui, à travers tous les travestissements imputables à une hérédité superstitieuse ou à la perversion individuelle, s’aflirment, aux heures tragiques et décisives, comme renfermant le vrai sens de la vie. Ce fait universellement humain ne semble pas dénué de valeur apologétique.

Revenant de cette longue excursion, nous constaterons que pour les chrétiens, habitués à invoquer Dieu comme un Père, la prière prend une signification plus précise et plus touchante. Elle est pour tous le ressort essentiel de la vie chrétienne ; et l’exemple des saints montre qu’une vertu héroïqueprocédé assez communément d’une oraison sublime, œuvre proprement divine, qui manifeste par des effets merveilleux l’amour de Dieu pour sa créature. 301

PROBABILISME

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X. Appendice : L’Apostolat de la Prière. — L’Apostolat de la Prière est une ligue de fidèles qui, épanouissant leur vie intérieure en un zèle universel, visent à hâter l’avènement du règne de Dieu et mettent en commun dans ce but leurs prières et leurs mérites. Ils cherchent dans le cœur de Jésus le modèle et le stimulant de leur zèle ; dans l’Union à ce Cœur divin la source de leur sanctification personnelle et de toute fécondité pour leurs œuvres.

L’A. de la P. fut fondé à Vais près le Puy, par le P. Xavier Gautrelet, S. J., le 3 décembre 1844 « Destiné d’abord aux scolastiques de la Compagnie de Jésus, il ne tarda pas à s'étendre, grâce au petit livre que lui consacra son fondateur (1846). Mais il doit surtout son développement et son organisation aux écrits et aux efforts duP #. Henri Ramure. Celuici fonda, en 1 86 1, le Messager du Cœur de Jésus, revue mensuelle qui sert d’organe principal à l'œuvre et qui compte aujourd’hui 5a éditions en 35 langues. L’A. de la P. a reçu constamment de Rome approbations et encouragements ; ses associés participent à d’innombrables indulgences. Les Statuts, approuvés d’abord le 37 juillet 1866, retouchés et confirmés le a4 mai 1879, furent définitivement fixés par l’autorité pontificale le Il juillet 1896. Ils établissent trois degrés ou pratiques, dont la première, seule essentielle, est une offrande quotidienne des prières, œuvres et souffrances de l’associé, en union avec le Cœur de Jésus. Une intention générale, soumise à l’approbation préalable du Souverain Pontife, fixe chaque mois un but à cette offrande, pour les ligueurs du monde entier. Les deux autres degrés ou pratiques sont la récitation d’une dizaine de chapelet, et la communion réparatrice plus ou moins fréquente. Le caractère eucharistique de l’A. de la P. s’est fortement accentué, depuis qu’il s’est adjoint la Croisade eucharistique des enfants, fondée par le P. Albert Bessières. Le siège canonique et la direction générale de l'œuvre sont à Toulouse (rue Montplaisir, 9).

Par son but comme par ses moyens (dont nous n’avons pu indiquer ici que les principaux), l’A. de la P. constitue un très efficace instrument de sanctification, tant individuelle que collective. Cette ligue, qui compte aujourd’hui 37 millions d’associés dans le monde entier, a pris depuis soixante ans une large part à l’expansion de la dévotion au Sacré Cœur, au grand mouvement des congrès catholi’ques nationaux et internationaux, enfin à l'élan qui pousse les âmes vers l’Eucharistie et l’apostolat. Aussi le Souverain Pontife BenoitXV pouvait-il dire, dans son encyclique Maximum illud, du 30 novembre 1919 :

« Nous recommandons vivement l’Apostolat de la

Prière à tous les fidèles sans exception, souhaitant que personne n’omette de s’y affilier. »

Les indications bibliographiques répandues dans cet article permettront de résoudre beaucoup de questions et d'étendre le cercle des recherches. On nous dispensera d’y rien ajouter.

A. d’Alès.