Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Prédestination (I.Historique)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 104-134).

PRÉDESTINATION. — Aucun homme pensant ne peut se dérober à la préoccupation du sort éternel des âmes. Le Matérialisme prétend l’écarter a priori par la négation de l’au-delà ; on a discuté ci-dessus sa réponse, dont peu d’esprits demeureront satisfaits. A parler en général, la croyance à l’immortalité de I’Ame (voir ce mol) s’impose à l’homme qui réfléchit. Sentant bien qu’il n’est pas sans maître ici-bas, il s’inquiète de l’arrêt qui fixe son éternité. La foi catholique parle du royaume préparé par Dieu à ses élus dès la création du inonde (Mat., xxv,’dti). Elle parle de nomsécrils dans le ciel (Luc, x, 20). Elle enseigne que Dieu veut, d’une volonté réelle, le salut de tous les hommes, selon le mot de saint Paul (I 77m., 11, 4). Elle enseigne, d’autre part, que Dieu conduit, avec une sagesse et une puissance souveraines, tous les événements de ce monde. Et cependant elle enseigne que Dieu livre au feu éternel une part relativement grande du genre humain (Mat., xxii, 1 ! > : Multi enim sunt vocati, pauci ver » electi. — xxv, / ( 1 : Discedile a me maledicti in ignem aeternum).

Comment accorder ce dénouement avec les attributs divins ? Si Dieu sait le moyen d’y soustraire la créature, d’où vient qu’il ne l’y soustrait pas, soit en s’abstenant de l’appeler à l’existence, soit en prévenant La faute ? Si réellement il l’aime, comment la laisse-t il déchoir à tout jamais de sa lin ? Quelle estau juste la part de l’homme dans la préparation de sa destinée ? Comment maintenir la souveraineté du gouvernement divin sans tomber dans le fatalisme ? La réponse complétée ces questions soulève tout le problème de la Providence (voir ce mot). Ici nous nous enfermons dans la considération, plus restreinte et au fond seule délicate, île la Providence surnaturelle qui, de toute éternité, destine certains hommes au salut éternel, d’autres à la ruine.

On réserve d’ordinaire le nom de Prédestination au décret divin absolu qui prépare et consomme le salut éternel. Le décret divin absolu qui consomme la ruine du pécheur s’appelle Réprobation. Les deux

sujets, quoique distincts, sont connexes ; nous les réunissons sous un même titre.

Le dogme chrétien de la Prédestination aune histoire, aussi ancienne que le christianisme, et d’ailleurs amorcée dans l’Ancien Testament. Nous ne pouvons nous dispenser de rappeler cette histoire, soit pour établir les fondements du dogme, soit pour en décrire les multiples aspects, soit enfin pour en signaler les travestissements, car peu de dogmes sont plus outrageusement travestis dans les livres de référence courante. Pour ne citer qu’un exemple, le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, par Pikrrh Larousse, dit sommairement, t. XIII, p. 4g (187 ">) : « (Dans ce système), la liberté de l’homme est complètement supprimée, l’individu n’est plus rien, c’est Dieu qui est tout et fait tout. » — Il va sans.lire que ce raccourci ne représente pas fidèlement la doctrine traditionnelle de la Prédestination.

Nous aurons à rappeler cette doctrine dans son développement historique, en ayant égard à un double but apologétique : 1’apologie de la Providence ; a* apologie de l’Eglise catholique.

i° Apologie de la Providence qui, . malgré la profondeur insondable du mystère, ne saurait être convaincue d’injustice.

2° Apologie de l’Eglise catholique, dont l’attitude, en face du mystère, allie à la fermeté la réserve. Fermeté à maintenir les données essentielles du dogme ; réserve à l’égard des interprétations systématiques. Notre aperçu historique ne saurait être complet ; du moins il signale quelques larges courants d’idées. Le lecteur en quête d’un réponse directe aux objections les plus directes saura passer tout de suite à la deuxième partie.

Ire Partie. — Aperçu historique.

I. — Le Nouveau Testament,

II. — Les premiers Pères.

III. — Saint Augustin.

IV. — La tradition occidentale, du’au vin’siècle.

V. — La tradition orientale du’au ixe siècle. VI. — Saint Thomas d’Aquin.

VII. — De saint Thomas d’Aquin au Concile de Trente

VIII. — Réforme. — Baïanisme et Jansénisme.

IX. — Théologiens catholiques depuis le Concile de Trente

IIe Partie. — Conclusions apologétiques.

A. — Apologie de la sagesse divine.

B. — Apologie de la justice divine.

C. — Apologie de la bonté divine.

Ire Partie
APERÇU HISTORIQUE

I. Le Nouveau Testament. — Le problème de la prédestination a été posé pour la première fois en termes exprès par saint Paul dans l’Epltre aux Romains. Du texte élastique, Rom., viii, 28-30, il faut nécessairement rapprocher Eph., 1, 5, 1 i, q ni présente avec ce texte d’étroites affinités d’idées et d’expressions.

Hum., viii, 28-30 : Qiacr.fi.tv Sk "oti tîîî cr/v.r.Citiv -’:  : 0ïjt Trava auvîpyet ei’ç or/xSov, toîç xarà Trpoôeaiv x’/r, roîi Vjivj. On BÛ( nootyJU, y.v.’i TtpcùpiTtv ajp.fiôp< r v*ii Tifo ei’xiVsç tîû Xi ; .

JCÇ TO £1VK( 7T^OiTC’T5XÇV 't> T.ïJ/CÎi « Ôî/J-of ;’o"j% Si TpOOip 17ÎV,

toùtovç xv.’t « w.hîï xai eût £x « /e<r£v f roûroi/ç xai iSixv.iuitv o’ji Si’cSixKiotatJ, ToOroUi xy.i ïû : %’/.<iiv.

Eph., 1, 5. Il : Tipcpitv.i r.pvi £< ; ulo@t7t’av Oiv. Yr.ztà X/îiîtcù £15 v.iiriv, xarà T/ ; v tùhoxiv.v TS’J 9îÀ/ ;’// « to : « Ctou 197

PREDESTINATION

198’tv ôi xai’txjLr, oio9r, fuv Trpoopiu$ivrti xxtU npiBtvtt toù toc Travra bcsyoDyrej xxrà. ro » jSe&qvui toû 9sA » ; u.aTî$ aÙTai

A la base de toutes les divergences qui se sont produites sur la que>tion de la prédestination, soit entre catholiques et hérétiques, soit au sein du catholicisme, on trouve des divergences dans l’interprétation de la doctrine enseignée par l’Apôtre.

Rom., vin. a8-30 : Nous savons qu’il fait tout concourir « u bien de ceux qui aiment Dieu, qui sont appelés selon le propos.

Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestines à être conformes a 1 image de son Fils, afin que celui-ci soit le premier-né de beaucoup de frères ;

Mais ceux qu’ils a prédestinés, il les a aussi appelés ;

et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ;

et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.

(Trad. P. Phat, Théologie de saint Paul, l. V, p. 287 Paris, 1 930).

Eph., 1, 3-14 : Béni soit Dieu, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ,

qui nous a bénis en toute bénédiction spirituelle, aux cieux, dans le Christ,

comme il nous a choisis on lui avant la fondation du monde,

pour être saints et sans tache devant lui, dans la charité,

nous prédestinant a l’adoption pour ses fils en Jésus-Christ,

selon le gré de sa volonté,

a la louange de la gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés dans le Uien-aimé,

en qui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés,

selon la richesse de sa grâce qu’il a épanchée sur nous en toute sagesse et en nous notifiant le mystère de sa volonté,

selon le dessein qu’il s’est plu à former en lui,

pour être accompli dans la plénitude des temps,

afin de récapituler toutes choses dans le Christ, au ciel et sur terre :

en lui en qui nous eûmes part à l’héritage,

selon le desein de celui qui accomplit tout selon le gré de sa volonté,

afin que nous procurions la louange de sa gloire,

nous qui fumes les premiers à espérer en le Christ ;

en qui vous aussi, ayant entendu la parole de vérité, l’évangile de votre salut, et y ayant cru,

avez été marqués du sceau de l’Esprit saint promis, arrlie de notre héritage,

pour la rédemption de l’acquisition divine,

à la louange de sa gloire.

Dans ces deux textes, l’objet immédiat de la prédestination est le don de la grâce sanctifiante, qui rend l’homme lils de Dieu en le conformant à Jésus-Christ (irpacipcrev mppdpfWi ~r, ; slxâvoç roù l’isO « Otoj — npoopfoKt hpâi *h vlofosimi) ; la gloire n’est en vue que comme la consommation de ce don initial ; le décret divin antécédent (npà&citi) tombe immédiatement sur

l’appel (toi" ; xocrà T.p’Atii : / x).r, roTi ol/at-j — bcXïjpeiïfypt » (VHT. bchfiqpn, Vlllg. vocatisumus) 1tpO » pia9tvTCi x’/.tk rtpôSmv),

A ceux qu’il a favorisés de cet appel, Dieu donne en tout son assistance (ndivra. jwepyti tlf Se/aBiv — xv.tx ~.ç, c61-u tîj T2 7IGQT0E beeyeCvroj xy.zx Tr, v jizj’/rpui toO Qùf, f-’j-’.i zvtîj — ce dernier texte suggère que, dans le précédent, le sujet de iwepytii, est Dieu, selon l’interprétation des Pères grecs, plutôt que tkvtk, selon l’interprétation de la vulgate).

Dans le texte de Rom., on remarquera la progression de l’idée sous une forme antithétique, et l’on distinguera 5 termes, dont les 2 premiers se rapportent à l’ordre de l’intention, les 3 derniers à l’ordre de l’exécution :

er< o> ; Kpoé/vo, x’A Itpotipias » ^.

oCiSi TtpoOipilïJ, TOISTOVS s.’/.l hflUfOTVi /y gûf’./’À'/ 1- tv, tovtoj ; xv.’t’cSixtxfaat ». M ixy.itodJ, tî’Jtoj ; xai ÏÙ.cv.zïj.

npor/vu, -npoùptiev, voilà pour l’ordre de l’intention ; ixoc/c9cv, iôcxar&jT-i », £<50fa7£v, voilà pour l’ordre de l’exécution. Dans ce dernier ordre, la gloire (&<>W) est encore à venir, puisqu’il s’agit de fidèles vivants ; mais ces lidèles en possèdent un double gage dans l’appel (x/r-i ;) et dans la justification (Sixv.iwnc) qui sont les prémices de l’esprit (ômv.pya.1 toù n » wjttaro$, Rom., viii, a3), les arrhes de l’héritage (àppv.Qùv Tfj ?

x/y^svouiaç, Eph., I, l4).

Sous peine de prendre entièrement le change sur la portée du discours, il importe de remarquer la parfaite coïndence de ces deux désignations : , toTï

« yaTrûjcv tÔv Qeiv — tttf xa.rU TTpoBtnv x/v ; tî<4 0U7u. Le tour

grammatical de cette exacte apposition suflil à montrer que l’Apôtre n’a pas ici en vue deux catégories, mais une seule, la catégorie des lidèles qui aiment Dieu, grâce à l’appel dont ils ont été privilégiés. Quel est cet appel ? Avant tout, l’appel efficace delà foi, qui les a mis en possession d’aimer Dieu. Mais, encore ? N’y a-t-il pas lieu d’introduire, dans cette deuxième désignation, quelque précision ultérieure et quelque restriction ? Nous l’examinerons plus loin. Présentement, rien ne suggère une telle restriction. En effet, c’est à tous les lidèles, supposés amis de Dieu, que l’Apôtre propose l’espérance du salut. Aucune catégorie, parmi les hommes debonne volonté, n’est exclue de ses exhortations ni de ses encouragements.

Prat, Théologie de saint Paul, t. I 7, 289. « Il parle à tous les chrétiens, car tous sont tenus à l’espérance. Son raisonnement revient à dire que Dieu achèvera son œuvre, que la grâce est un germe de gloire, que les dispositions des personnes divines à notre égard sont certaines et que l’obstacle au salut peut venir. seulement de nous. Dieu le Père « fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment, de ceux qu’il a appelés de son propos » bienveillant ; car, en les appelant, il leur donne un gage précieux et sûr de sesfutursbienfaits. Si les mots « appelés selon le propos » restreignaient le sens des « amis de Dieu », au lieu de l’expliquer, l’Apôtre raisonnerait ainsi : Tous doivent espérer, parce que quelques-uns sont protégés par Dieu contre toute éventualité ; l’espérance de tous les chrétiens est certaine, parce que les prédestinés en obtiendront infailliblement l’effet. Impossible d’argumenter avec moins de logique. Est-il étonnant que les Pères n’aient pas compris de la sorte le Docteur des nations ? »

L’appel efficace de Dieu est le gage des secours ultérieurs qu’il ne refusera pas à ses fidèles. Mais pour achever d’éclaircir la pensée de l’Apôtre, il faut expliquer en détail certaines expressions.

Ce mot 7r/o’.Ô£fftç, que l’on arencontrédeux fois (Rom., vm, *& ; Epk., i, 11), se retrouve dans quatre passages de saint Paul (Rom., ix, u ; Eph., iii, 11 ; II Tînt., 1, 9 ; iii, 10). De ces quatre passages, les trois premiers se réfèrent manifestement au dessein éternel de la Rédemption (Eph., iii, 11 : npod-aiv f tfh » a&Swwv f, v tnoi-ffjiv’tv tû XpiffTâ) ou au dessein spécial de l’élection des lidèles (Rom., ix, n : h xv.r’bûtryipi np-ldiuc. roù 0eîJ) ou enfin à l’appel spécial qui suit cette élection (II Tim., 1, 9 : xodéjoarrot lûyjvai v./iy., où xy.tù. rù "ty/o. rip-Giv, iùiit xarà iSi’av ttpiQteiv xa< yùpiv). Seul le quatrième passage vise un dessein formé par l’homme. On retrouve ailleurs dans le NT. le mot -nptJOizii appliqué au dessein de l’homme (Act., xi, 23 ; xxvii, 13). Ecartons, comme étrangers à la question, des textes où il s’agit des pains de proposition (Ml., xii, l Me., 11, a6 ; I.c, vi, l). Le verbe vpo-ziQiiQv.i est appliqué au dessein de la rédemption, Eph., 1, 9 : t>, v cxjooxlacj « ùtîO, y ; j Txp’jiSiT’j k> v.ùrÇt : — ailleurs au dessein de l’homme, Ram., 1, 3 ; écartons Rom., iii, 25, 199

PREDESTINATION

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où il signilie : donner en spectacle. En somme, l’usage de saint Paul est, tant pour le verbe npoTiOciSai que pour le substantif -npiOivu, nettement orienté vers l’acception idéologique de dessein formé par Dieu. C’est l’acception que nous avons reconnue dans Rom., vm, 28, Eph., , 11, et il n’est pas surprenant que des Pères grecs l’y aient aussi reconnue, soit exclusivement, soit concurremment avec l’acception de dessein formé par l’homme. Acception tbéologique chez Origène, 1. c, P.C.XIV, 8/Ja D ; acception théologique associée à l’acception humaine chez saint Cyrille d’Alexandrie, In Rom., P. G., LXX1V, 8a3 B : E* /£ tivtîi ; vjx & » ti ; àjxapzoï tsû 7rjos’7rwro ; ie’ywv gj ; xjbjroi -/c/osaixt Tivt ; xarà Tipôûnvj, t/, v t£ toù x£x/>îzoto ; xai tv ; v

Cependant la hantise du péril gnostique ou manichéen détourna la plupart des Pères grecs de reconnaître dans Rom., viii, 28 le dessein formé par Dieu. Pour couper court à toute interprétation fataliste, ils entendirent npidniv du libre choix de l’homme. Ainsi Saint Cyrille db Jérusalem, Procatech., P. G., XXXIII, 333 ; Diodorb de Tarse, cod. Vatic. gr. 762. f. 1 18 (manque dans Cramer) ; Tiiûodohb de Mopsuestb, P. G., LXXVI, 83a ; saint Jean Curysostomb, In Rom., II., xv, 1. 2, P. G., LX, 540-542, et après lui Thiîodoret, /’. G., LXXXI1, 14 - 43 ; saint Isidorb db Péluse, Ep., IV.xmet li, P. G., LXXVIII, 1061. 1101 ; Gennadb, d’après la Catena de Cramer et le Vatic. gr, 762 ; Thbodorb le Moins ; etc. Exégèse très prudente ; mais qui, à des yeux non prévenus, apparaît non conforme à la lettre de saint Paul. On trouvera ces textes chez Prat, t. 1", p. 521-524.

D’autre part, sous l’empire d’une préoccupation contraire, alin de revendiquer contre le naturalisme pélagien l’indépendance souveraine de la grâce divine, les Pères latins, à la suite de saint Augustin, inclinèrent en sens opposé. Ils entendireut -npiOziiç, (propositum) du dessein divin efficace, non plus seulement pour la vocation à la foi, mais pour la glorilication des élus. En d’autres termes, ils substituèrent, au point de vue de la vocation efficace à la foi, le point de vue de la prédestination totale. C’était mettre en sûreté le souverain domaine de Dieu, mais changer l’orientation de la pensée paulinienne. Il suffira d’avoir indiqué ici ce changement de front, sur lequel nous reviendrons plus loin. On trouvera les textes chez Prat, t. I 7, p. 525-531.

La pensée de l’Apôtre, étrangère aux préoccupalions opposées qui ont entraîné à droite et à gauche ces deux écoles d’exégèse, ne poursuit directement qu’un but : exalter l’espérance chrétienne chez tous les fidèles sans exception. Tel est incontestablement le sens du développement qui commence avec Rom., vm, 24 : « Nous sommes sauvés en espérance », Tfiyàp i/ziôi « a-etfqpev, et qui finit, avec 38-3g. « J’ai l’assurance que ni la mort ni la vie ni les anges ni les principautés, ni les choses présentes, ni les futures, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni quelque autre créature ne pourra nous séparer de la charité de Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur. » Les y.y.zà itp-’.Quij xXvftot, à qui s’adresse ce langage, sont tous les fidèles. Le propos divin, npoôntç, s’estaffirmé dans leur vocation efficace à la foi, et ne demande qu’à se consommer par leur avènement définitif à la gloire ; de cette -npoOcut, divine, nul n’est excepté.

Ce n’est pas que le propos divin ne comporte un choix. Tout à l’heure, l’Apôtre entreprendra de justifier la conduite de Dieu, réprouvant Israël et appelant les Gentils ; et à cette occasion, il parlera de choix divin privilégié, Rom., îx, 11 : ^ wcr’kùerfh » npiStutreO &zoù. La raison de ce choix est tout entière dans la volonté de Dieu, non dans quelque mérite acquis par l’homme. Pour le justifier, l’Apôtre s’élè vera à une considération universelle : l’homme n’a point à demander compte du choix divin, mais à l’adorer. Et il invoquera des exemples pris de l’A. T. Rébecca porte en son seindeux jumeaux. Tous deux sont égaux, car leur mérite est néant. Cependant il plaît à Dieu, avant leur naissance, de les désigner pour être les pères de deux peuples, et de soumettre la postérité d’Esaii à celle de Jacob. — Pharaon résiste à Dieu ; et Dieu, qui pourrait briser aussitôt ce rebelle, multiplie les miracles, lui donnant par là occasion de s’endurcir. — Il plaît à Dieu d’agir ainsi. Et qui donc oserait contester son droit sur l’œuvre de ses mains ? Ce principe, d’une portée universelle, a été quelquefois appliqué avec trop peu de discernement à la vocation surnaturelle. Pour mesurer exactement ses relations avec la -npodiiii divine, il faut relire attentivement le texte de saint Paul, Rom., ix, io-23 :

Rébecca avait conçu [deux fils] d’un même époux, Isaac notre père, Avant qu’ils fussont nés, avant qu’ils eussent rien fait de bien ou de mal, pour affirmer le dessein de Dieu en son choix, dessein qui ne procode pas des œuvres mais de Dieu qui appelle, il lui fut ait que laine servirait le plus jeune (Gen., xxv, 23), ainsi qu’il est écrit ; J’ai aimé Jacob et haï l’sail [Mal., 1, 2. 3). Que dirons-nous donc ? Qu’il y a de l’injustice en Dieu ? Jamais ! Dieu dit à Moïse : Je ferai miséricorde à qui je voudrai faire miséricorde, j’aurai pitié de qui je voudrai avoir pitié tEx., xxxiii, 19). Donc il ne s’agit pas de vouloir ni de courir : tout dépend du Dieu de miséricorde. Car l’Ecriture dit à Pharaon : Je l’ai suscité à cette fin, de manifester en toi ma puissance et de faire annoncer mon nom par toute la terre (AV., ix, 16). Ainsi Dieu fait miséricorde à qui il veut et endurcit qui il veut. Vous me direz : De quoi se plaint-il encore ? Qui donc résiste à sa volonté ? — homme ! en vérité, qui es-tu pour discuter avec Dieu ? Est-ce que le vase d’argile dira à celui qui l’a façonné : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire, avec la même masse, un vase d’honneur et un vase d’ignominie ? Et s’il plaîtà Dieu de manifester sa colère et de révéler sa puissance en supportant avec grande longanimité des vases de colère prêts à la destruction, et de révéler la richesse de sa gloire, sur les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la gloire, comme nous qu’il a appelés non seulement d entre les Juifs, mais aussi J’entre les Gentils ?…

Les analogies invoquées par l’Apôtre ont pu être faussées par une exégèse maladroite ; il importe d’en rétablir le sens exact. Ni Jacob ne fait ici figure d’élu, ni Esaii figure de réprouvé ; donc le discernement fait par Dieu entre les deux jumeaux n’est pas un exemple de prédestination. L’endurcissement de Pharaon n’est pas présenté comme un acte arbitraire de bon plaisir divin, mais comme un châtiment mérité. Enfin Dieu ne travaille pas sur la matière humaine avec la même indifférence que le potier sur l’argile, et ne fabrique pas des vases de colère comme celui-ci des vases d’ignominie. Toute celle page tend à revendiquer la souveraine indépendance de Dieu dans la dispensation de ses dons naturels ou surnaturels, mais non à le présenter comme un tyran capricieux. « Tout dépend du Dieu de miséricorde » ; on sait par ailleurs que la miséricorde de Dieu aspire à se répandre sur les œuvres de ses mains.

— C’est assez parler de la npôOcati divine.

Reprenons la série des cinq verbes par lesquels saint Paul dislingue cinq actes divins relatifs aux élus.

Trpoé-/vu — prescience.

TrpccjpHJtv — prédestination.

ixoi).s7ev — appel.

kSixcu’uw — justification.

lS6Ça.71> — glorification.

Nous avons dit que les deux premiers se rapportent à l’ordre de l’intention, les trois derniers à l’ordre201

PREDESTINATION

202

Je l’exécution. Arrêlons-nous d’abord à l’ordre de l’intenlion. Pas plus que dans l’ordre de l’exécution, les ternies n’y sont formellement identiques. Logiquement, la prescience précède la prédestination, comme l’opération de l’intelligence précède et rend possible celle de la volonté. Distinction admirablement marquée par saint Thomas, In Rom., viii, lect. 6 : Differt (prædestinatio) a præscientia secundum rationem, quoniam præscientia importât solam notitiam futurarum, sed prædestinatio importât causalitatem quandam respecta eorum. Avant le décret formel de prédestination, nous devons concevoir un regard divin sur la carrière des prédestinés, regard accompagné de complaisance sans doute, mais qui précède logiquement le décret et suppose un objet formé. C’est ce que l’Apôtre a voulu marquer. Ainsi l’entendent expressément les interprètes grecs, parmi lesquels il suffira de nommer Origène et saint Jean Cbrysolome.

Origknb, In Rom., i, dans Philocalia, xxv, P. G., XIV, 84 1 D :

Yip63y’j>fj.u où » zf, Tcil-ct tûv /r/OjUévwv * ôixKioî Sk 6 0eo ; McltVecg Ttp/rspo », OÙx Su ôixcucJTà ; cC : jxr, buiXwt, xv./et Sk Ttpè t ? ; xXrfotWi r.r.copiiy. ; , c’js. av xa/éiaç ci ; ixr, Ttpoojpiïs’xai é’oriv KVTfiy otoyr, Tf, i x’/r^ioi^ xai t ?, : Sixv.tdjæoti c’jy è Ttpoopuptôi :

  • t’.c, y « p e< c r.’Jpxh t&v lç^4, xai tz160.voitw.tu. kxpâTow oi

KttpttoctyOvTes tc’j veoi f.07£w ; ktî7Tîv Xiym’caïUTtpu Se èrn t ; û —y.’, pnpuîi r ; vpôyvugii.

J’emprunte la traduction de F. Prat, Origène, p. 14a » Paris, 1907 :

Observons attentivement l’ordre du discours. Dieujustifie ceux qu’il Il d abord appelés, el il ne les justifierait pat s’il ne les avait appelés. Il appelle ceux qu’il a déjà prédestinés, et il ne les appellerait pas s’il ne les avait prédestinés. Pourtant, ce n’est pas la prédestination qui est le terme premier de la vocation et de la justification. Si elle était le premier terme de la série, les fatalistes auraient gain de cause ; mais avant la prédestination il y a la prescience. (Voirie contexte)

Saint Jean Chrysostomb, In Eph., 1, Hom., ii, 1, P. G..LXII, 17 :

AtTÎ Tf.i T.p^’J.ipizi’jii TpCCpilSé-JTV. : , TOUrétTttl kv.>TQ

(//t ;’s< ( u ! n ; iftipin » ihv f’-zotcci. c/jiv.i vpiv  ?, ytvioSott xexirf

Dans la Revue des Sciences philosophiques et théologiques, année 1 9 1 3, p. 263-274, le R. P. Allô, étudiant Rom., viii, 28-20, a soumis le mot Ttpovpu à un « examen philologique » d’où ressort une conclusion différente. Voici les grandes lignes de l’argumentation. Le vrai sens de ce mot doit être éclairé par l’usage du X. T., quant au verbe npr/ivùixoi et au substantif Ttp6-/vo>711. Or le X.T. présente 4 exemples du verbe et 2 du substantif.

Pour le verbe Ttpr/tvoiTxu :

Act., xxvi, 5. Etranger à la question.

2 Rom., xi, 2. Prescience divine relative à Israël.

3° I Pet., 1, 20. Prescience divine relative au Christ.

4° II Pet., iii, 17. Etranger à la question.

Pour le substantif Ttpé-/vuaif :

Act., 11, 23. Prescience divine relative à la passion du Christ.

2 I Pet., 1, 1.2. Prescience divine relative au alut.

En écartant les 2 exemplesdu verbequisontétrangers à la question, il reste 2 exemples du verbe et a du substantif. Sur chacun de ces 4 exemples, l’auteur prononce le même jugement, p. 269 : « Partout, sans que le sens en subit la moindre modification, lùvxu eût pu être remplacé par npcopiÇutt itpéyvùnti par np’.Btin ou npiopiepôç. »

D’où cette conséquence logique, p. 272 :

« Mais, alors, prescience n’est-il pas, chez saint

Paul, synonyme de prédestination’} N’est-ce pas une tautologie : Ceux qu’il a prédestinés, il les a prédestinés ? »

L’objection ne saurait être mieux formulée. Nous ne la croyons pas résolue. Voici la réponse qu’on lui oppose : « Non ; car il y a une distinction au moins de raison. Upoytvùaxttv précède, non réellement en Dieu, mais dans l’ordre logique, l’acte appelé TtpoopiÇnv, l’intelligence précédantla volonté : A’ilvolitum nisicognitum vel præconceptum. Dieu a distingué ceux qui recevraient la faveur de l’appel efficace, de la justification et delà glorification, les a choisis, avant de décréter le moyen par lequel il les sauverait (et qui consistera à les rendre, de fait, conformes à l’image de son Fils), ou, afortiori, l’ordre des moyens partiels et successifs par lesquels il les acheminerait vers la gloire. Tout cela, bien entendu, selon notre manière de connaître… »

Accordons tout cela. Mais si nous voulons faire pleine justice à la pensée de saint Paul, nous nous garderons d’y introduire une distinction, qui lui est complètement étrangère, entre le but et les moyens. Le but, c’est ici le salut des prédestinés ; les moyens, c’est tout l’ordre de la prédestination. L’un et l’autre tombent, à un même titre, sous la nécessité d’une connaissance préalable, et intègrent l’objet de cette prescience dont parle saint Paul. Affirmer cela, ce n’est pas enrôler l’Apôtre sous une bannière théologique : nous ne songeons pas à retrouver chez lui aucune théorie née au xvi’siècle. Mais nier cela, n’est-ce pas mutiler arbitrairement son analyse de l’acte divin ? n’est-ce pas déplacer l’objectif, contrairement à ses indications très claires ? Nous croyons préférable de lire saint Paul tel qu’il est, sans aucune manipulation.

Saint Paul ne dit pas que Dieu a d’abord connu le but, puis prédestiné les moyens. Ce qu’il a d’abord connu et ensuite prédestiné, ce sont les élus, ou si l’on veut cette carrière des élus qui s’ébauche par la grâce et se consomme dans la gloire. Tpoé-/voi et Trpoùpiucv ne répondent pas précisément à la distinction du but et des moyens, mais à la distinction d’une connaissance spéculative et d’une connaissance pratique, du simple regard et du décret. Nous nous tenons dans la plus exacte propriété des termes.

Le verbe -npoop i’Çw, en dehors de Rom., via, 2g.30et Eph., 1, 5. 11, se rencontre 2 fois dans le N. T. ; savoir :

1*1 Cor., II, 7 :’AX), x).cr.).ov/j.ev 0ïoC eofu’Kv v p.v7Tr, pïo>, tàv ù.TOxixpjp.p.ivrfj, fa irpciùptre-j è &tii Ttpi tCiv « c’wïw » sîç 50fav hpGyj. — Décret relatif au mystère de la Rédemption, ordonné, de par la divine Sagesse, au salut des hommes.

Act., IV, 28 : ÏIoiIgMci sVa h yiip 70u xai ri fio’/j.’n Trpcoipi <riv ytvérSxi. — Décret relatif à la passion et à la mort du Christ.

On peut rapprocher, de ces exemples de npooptÇu, les 7 exemples de ipiÇoique présente le N.T. :

Lue., xxii, 22 ; Act., ii, 23. Décret divin relatif à la passion du Christ.

Act., x, 4 2 ; xvii, 31. Décret divin relatif à l’investiture du Christ, comme juge des vivants et des morts.

Act., xi, 29. A écarter, comme désignant une résolution humaine.

Act., xvii, 26. Décret de la Providence dans l’ordre naturel.

Rom., 1, 4. Décret relatif à la glorification du Christ ressuscité. La vulgate a rendu : èpuOivTOi par : qui prædeslinatus est.

//et., iv, 7. Décret particulier de la Providence dans l’ordre surnaturel.

En résumé, tous les exemples deitpoopiÇu que pré203

PRÉDESTINATION

204

6ente le N.T. (et dont 5 sur 6 appartiennent à saint Paul) visent un décret divin, qui intéresse directement l’œuvre de la Rédemption. Des 5 exemples pauliniens, l’un(I Cor., 11, 7) se rapporte à la Rédemption considérée dans son ensemble ; les 4 autres se rapportent à sa mise en œuvre particulière, au bénéiice de tel ou tel Adèle. Aucun ne vise directement la prédestination de tel ou tel fidèle à la gloire. Quant aux 7 exemples de ip’~o>, 6 visent également un décret divin, et 5 d’entre eux un décret de la Providence surnaturelle. Dans 4 (et en particulier dans l’unique exemple de saint Paul), la Rédemption est intéressée. Pas plus que dans les exemples de npoopéÇu, on ne rencontre d’allusion directe à la prédestination de tel ûdèle, à la gloire.

Passons aux trois actes divins compris dans l’ordre de l’exécution.

L’appel dont parle l’Apôtre — tattcnv — est ici, comme toujours, l’appel efficace à la foi, le seul que connaisse saint Paul. Ce point ne doit faire aucune difficulté ; il nous procure le plaisir de trouver le R. P. Allô d’accord avec le R. P. Prat.

Prat, t. I 7, p. 289 : « On sait que, pour l’Apôtre, la vocation est toujours l’appel ellicace à la foi. Les appelés (*brro{) sont ceux qui ont répondu de fait à l’appel de Dieu. C’est donc à peu près synonyme de chrétiens, mais avec une allusion aux prévenances divines. La distinction de deux classes d’appelés, dont les uns viennent et les autres ne viennent pas

— distinction qui peut s’autoriser de la parabole évangélique des invités dans saint Matthieu, — est tout à fait étrangère à l’usage de Paul. Pour lui, tous les appelés le sont nécessairement selon le propos, c’est-à-dire selon le dessein bienveillant de Dieu, parce que le propos (npiScets), tel qu’il l’entend, a pour objet la collation de la grâce sanctifiante et non pas, au moins directement, celle de la gloire céleste. Il s’ensuit qu’en ajoutant : « ceux qui sont appelés selon le propos », il n’entend ni limiter ni restreindre son assertion précédente, mais qu’il exprime seulement le motif de la bienveillance divine envers tous ceux qui aiment Dieu : ce motif est l’appel à la foi dont ils ont été favorisés. » — Cf. Rom., 1, 6.7 ; I Cor., 1, 2.a4 ; R Pet., 1, 10 ; lai., , 1 ; Apoc., xvii, 14.

Le P. Allô commente 1 l’et., 1, 1.2 : Uézpoi « ttotts/ ;  ;’Ir^vj X/9<stoù èx’/txTOîi… x.a.t’v. npéyvuaw 0sçv ria-r^-Jç, et il écrit, l.c, p. 268 : « Le mot’sxXtxroi, -… à part une distinction de raison, est absolument identique à*Wrc/, appelés. Saint Paul, saint Jean, emploient ces deux termes dans le même sens (Rom., viii, 33 ; II Tint., n, 10 ; Tit., 1, 1 ; I Pet., 11, 9 ; II r*., ! , 13), et l’Apocalypse, dans son style redondant et plein de synonymes, appellera les fidèles x’/r-oi zai èx)-xTol xv.i mororf. (Ap., xvii, 14)… »

A merveille. Aussi bien retrouvons-nous ici la conclusion déjà acquise par une autre voie ; lesxvvjToi xv.iv. r.y’.Oiai- ; dont parle l’Apôtre sont tous les élusde la foi, niais non pas tous, nécessairement et sans déchéance possible, les prédestinés de la gloire.

Par iStxatonv, saint Paul désigne le travail de la grâce sanctifiante, acquise au baptême et opérant par degrés la conformité du fidèle avec le Christ. Rom., iii, 24 ; xii, a ; II Cor., iii, 18 ; Gal., iv, ig. — Saint Jean Chrysoslome, In Rom., flom., xv, P. G., LX, 5n.

Par JJc’faw, il désigne le don de la gloire, considéré soit dans son terme auciel, soit dans son principe, la grâce sanctifiante. Les deux points de vue ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, et l’on peut trouver chez l’Apôtre la justification de l’un et de l’autre. C’est la gloire consommée au ciel qu’il avait en vue, Rom., viii, 18.21, etc., mais ailleurs il a en vue la gloire en germe dans la grâce, II Cor., iii,

8. g. 10. 11. 18, etc. Du premier point de vue, l’aoriste se justifie par une légitime anticipation fondée sur les dons de Dieu et ses promesses. Du second point de vue, il se justifie immédiatement comme pour tous les termes de la série : irpti/vu, -npoùpiiiv,

txy.JfSCVf ÉilXKl’wTSV.

En résumé, saint Paul s’adresse aux fidèles, et, en leur proposant l’espérance de la gloire céleste, les invite à remonter au principe des œuvres divines :

de la gloire promise à la grâce, germe de la gloire ; de la grâce à l’appel eflicace de Dieu qui la leur

procura ;

de l’appel efficace à la prédestination qui prépara

cet appel ;

de la prédestination à la prescience qui la dirigea.

Le contexte immédiat montre que cela s’adresse à tous, Rom., viii, 32.33.

Il n’est en effet aucun chrétien qui ne puisse s’appliquer à lui-même la série complète de ces pensées. Car l’héritage du salut est offert à tous. L’espérance qui, selon saint Paul (Rom., v, 5), ne confond pas, leur montre la gloire comme un bien à prendre, et dont ils possèdent déjà les prémices par la grâce de l’adoption. La grâce de l’adoption, avec tout ce qu’elle renferme de promesses, est l’objet propre de la prédestination dont parle saint Paul. Cette prédestination se présente donc comme absolue quant à son terme immédiat, qui est la grâce ; quant à son terme ultérieur, qui est la gloire, le mystère ne sera dissipé qu’au jour des suprêmes révélations.

Ces explications un peu longues, sur la doctrine de la prédestination dans le N. T., nous ont paru nécessaires pour déblayer le terrain et appuyer tout ce qui suit.

Ajoutons que l’épître aux Philippiens (îv, 3) mentionne le Livre de vie ; cette expression.donl l’Evangile offre l’équivalent (Luc, x, 20), revient dans l’Apocalypse (ni, 5 ; xiii, 8 ; xvii, 8 ; xx, 12. 15 ; xxi, 27), avec une différence. Saint Paul a en vue des fidèles encore vivants ; saint Jean a aussi en vue des morts, en qui le mystère de la prédestination s’est consommé.

IL Les premiers Pères. — Dès le N. T., est apparue l’antithèse entre l’assertion dogmatique de la Prédestination et l’exhortation pratique à s’en assurer le bienfait par de bonnes œuvres. On a entendu chez saint Paul l’assertiondogmatique ; voici l’exhortation pratique, chez saint Pierre. II Pet., 1, 10 : « Efforcez-vous, mes frères, d’assurer votre appel et votre élection… »

Tout près de l’âge apostolique, le Pasteur d’IlKRmas fait écho à cette exhortation en promettant aux fidèles que, s’ils font vraiment pénitence, ils auront leurs noms écrits auxlivres dévie. Vis., i, 3, 2 ; Sim.,

», 9 La donnée scripturaire devait subir maintedéformation. La première en date est imputable à la gnose qui, outrant au sens fataliste le mystère de la prédestination, divisait l’humanité en trois classes. En haut, les hommes pneumatiques (spirituels), prédestinés au salut. En bas, les hrliqitcs (matériels), prédestinés à la damnation. Entre deux, les psychiques (animaux), abandonnés à leur libre arbitre. Voir saint Irénkb, Ilær., I, vi, 1. a, P. G., VII, 504-505.

Diverses tentatives se produisirent en sens contraire, cherchant à supprimer ce choix divin qui semble marquer les hommes dès le sein maternel pour le salut ou la damnation — qu’on se rappelle Liom., ix. Pour conjurer ce scandale, Orkjknk recourut à l’hypothèse de mérites ou de démérites acquis dans une vie antérieure. Pcriarchon, II, vm ; ix, 6, 205

PREDESTINATION

206

etc. — Ilèverie condamnée par l’Eglise. Voir art. Origknismr, la^i sqq. — Par une autre voie, Pklagk, un siècle et demi plus tard, chercha dansune vie ultérieure le fondement du discernement divin, et pour rendre raison des jugements de Dieu sur les enfants morts sans baptême, admit une imputation anticipée de leurs démérites éventuels. Hypothèse manifestement injuste. Nous verrons saint Augustin aux prises avec l’hérésie pélagienne.

Au cours. des quatre premiers siècles, le problème de la prédestination ne fut guère agité que par des Pères grecs, et par tel Père latin formé à l’écoledes Grecs. Citons les commentaires, très représentatifs, de saint Jkan Ciirysostomb, In Rom., llom., xv sqq., /’. G., L ; InEph., Nom., i sqq., P. G., LX1I, et de saint Cyrillr d’Alrxandrib, P. G., LXXIV.

Serra utile près la lettre de l’Apôtre, saint Jean Chrysostome explique comment Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment : en procurant de toute manière leur avancement spirituel, même au prix de dures épreuves. Au contraire, ceux qui n’aiment pas Dieu, trouvent, dans leurs succès même et dans les grâces dont ils abusent, une occasion de plus grande ruine spirituelle. Ainsi, d’une part, les Apôtres servent Dieu par leur ignorance, leur faiblesse, leur patience dans la persécution, plus efficacement que par des triomphes ; le larron pénitent trouve sur la croix le salut ; d’autre part, les Juifs, rebelles aux miracles du Sauveur, s’endurcissent. On sait déjà que Chhysostomb voit dans la npotean, dont parle l’Apôtre, le choix fait par l’homme, et d’où procède le salut ; il l’oppose à lax/^i ; divine, In Rom., Ilom., xv, I, P. G., LX, 54 1 : Oùj ; y, HÏSjmç ftôvo » ù)Xk xa’t h’npôBioii ziii r.x/cju.îvav vip> 3WTr, piav £i’^yao- « T5.où’/àofyccyxoarfiém -/è/ojvj r, //f/ ! iç t ojoè ^tZiy.njizvr, . Havre ; yoOv !’sxJrfir, iv.v, à//’où Tià.vrti

fojMUMcy. Pour saint Cyrille, une double -npôBîeii, celle de Dieu et celle de l’homme, conditionne la

z/fn ; . P. G., LXXIV, 828 B : Klr, Toi -/t/ivuii Tivî ; xarà

Mp16ettv Tr, -j -1 roù xixlqxoTOi /.vÀ rr ; j ttonSn. D’ailleurs l’appel divin se règle sur une prescience, qui l’adapte aux dispositions de l’homme. Ibid., 829 A : Ei’<î<î>s ykp

riic^TS’^ ho/jiévoiii « ùto’Jç, àvx/o-/ « Tr, 7 : epi v.ùrSiv StaOé’Sti TOppojScv càmïi riÙTpémÇtv xyaBa. ! Iï> ; oii-j « CtoÙ ; itepuSeïv olov tî, /-A t. pi t’js /suioOcct rf, i npoa.ipé’si’jii aura » tks c/.p.oiZv.c t.rc€~< ravra xy.i i~i xoùroii aeùreùç xuXéaaytCt ;

Saint Ambiioisb s’inspire de ces pensées, en esquissant la théorie de la prédestination appuyée sur la prescience, De fide, V, vi, 83, P L., XVI, 604 C : Non enim ante prædestinavit quant præsciret ; sed quorum mérita præscivit, eorum præmia prædestinavit.

Dans la même ligne de pensée, I’Ambrosiastbr parle d’une vocation privilégiée secundum propositum : par propositum, il entend les dispositions du cœur de l’homme. P. L., XVII, 127-128 : Diligentes Deum, etsi imperite precati fuerint, non eis oberit : quia propositum cordis illorum sciens Deus et ignariam, non illis imputât quæ adversa postulant ; sed ea annuil quæ danda sunl Deum amantibus… Ili ergo secundum propositum vocantur quos credentes præscivit Deus futuros sibi idoneos : ut, antequam credereni, scirentur. Istos quos præscivit Deus futuros sibi devolos, ipsos elegitad promissa præmia capessenia. .. Ideo prædestinantur in futurum sæculum, ul similes fiant Fdio Dei.

III. Saint Augustin. — Avec saint Acgustin, le point de vue change. La prédestination à la gloire, déjà envisagée par saint Ambroisk, par I’Ambrosiaster, par saint Jérôme (H p., cxx, 10, P. ! .. XXII, 1000), vient décidément au premier plan.

Ce n’est pas d’emblée que saint Augustin atteignit, sur l’économie de la grâce divine, une doctrine ache vée. En 3g4, déjà prêtre, dans VExpositio quarundam propositionum ex epistola ad Romanos, inc. îx, n.LX, lxi, P. ! .., XXXV, 2078-2079, tout en subordonnant au secours divin le mérite des œuvres, il revendiquait pour l’homme l’initiative de la foi : c’était suivre la voie où s’engageront plus tard les semipélagiens. Il ne devait d’ailleurs pas tarder à reconnaître son erreur ; nous en trouvons le désaveu explicite dans les Retractationes, I, xxiii, P.L., XXXII, 621.622, et De prædestinatione sanctorum, ni-iv, 7-8, P. t., XL1V, 964-966.

Evêque d’Hippone, dès 397 il a réalisé un progrès décisif, en écrivant les Libri ad Simplicianum que, jusqu’à la lin de sa vie, il présentera comme l’expression d’une penséedéfinitive (Voir De prædestinatione sanctorum, écrit en 4^8-9, iv, 7, P. t.., XLIV, 96/1, et De dono perseverantiae, écrit vers le même temps, xxi, 55, P./.., XLV, 1027). Commentant Rom., ix, il s’attache à rehausser la souveraine indépendance du choix divin, et inculque constamment la doctrine de l’Apôtre : Eph., 11, 8.9 : Gralia enim Dei salvi facti sunius per fidem ; et hoc non ex nobis, sed Dei donum est ; non ex operibus, ne forte quis extollatur ; — II Cor., x, 17 : Qui autem gloriatur, in Domino glorietur.

— C’est pourquoi il considère d’ensemble l’œuvre du salut et préfère au point de vue fragmentaire de l’élection à la grâce le point de vue global de l’élection à la gloire. C’est de ce dernier point de vue que sont conçus les principaux développements ; ainsi, II, q. ii, 6, P.L., XL, 115 : yVo « ergo secundum electionem propositum Dei manet, sed ex proposilo electio ; i.e., non quia invertit Deus opéra bona quæ in hominibus eligat, ideo manet propositum iustificationis ipsius ; sed quia illud manet ut mstificet credentes, ideo invenit opéra quæ iam eligat ad régna cælorum, Nam nisi esset electio, non essentelecti, nec recte diceretur ; Quis accusabitadversus eleclos Dei ? (Rom., viii, 33). Non tamen electio præcedit iustificationent, sed electionem iustificatio. Nemo enim eligitur niii iam distans ab illo qui reicitur. Unde quod dictum est : Quia elegit nos Deus ante mundi constitulionem (Eph., 1, 4)> non video quomodo sit dictum nisi præscientia. — Tout à la fln du livre, il indique le point de vue secondaire de l’élection à la grâce, 22, P.L., XL, 127 : Non ut iustificator uni electio fiât ad vitam aeternam, sed ut eligantur qui iustipcentur ; mais uniquement pour écarter ce point de vue, comme étroit et stérile.

Survint l’hérésie de Pelage, qui prétendait fonder la prédestination divine sur le mérite de l’homme. Augustin ne se lasse pas de combattre cette prétention, qui est la négation même de la grâce. Ainsi De pecc. meril. et remiss, (en 4 1 2) I, xxii, 3 1, P.L., XLIV, 126.Il fonde la prédestination sur la prescience qu’a Dieu de ses propres voies, Ib., II, xxix, 47,’79 : Dominas noster hanc suam medelam nullis generis humani temporibus ante ultimum futurum adhuc iudicium denegavit eis quos per cerlissimam præscientiam et futuram beneficentiam secum regnaturos in vitam prædestinavit aeternam. Il fait la part du libre arbitre en rappelant qu’il appartient à Dieu de préparer la volonté de l’homme (Prov., viii, 35, LXX), Contra duas epistolas Pelagianorum (vers 4a°), H, ix, 20, P.I.., XLIV, 585.

Tel pélagien s’autorisait du texte de saint Paul, Rom., viii, 28, en entendant, à la suite des Pères grecs, le mot propositum de la résolution humaine. Cette exégèse tendancieuse ne trouve pas grâce devant Augustin, qui entend du dessein divin le secundum propositum vocati, Ib., x, 22, 586 : Ul Dei, non homirus, propositum intelligatur, quo eos quos præscivit et prædestinavit conformes imagina Filiisui, elegit ante mundi constitulionem. Non enim omnes vocati, 207

PRÉDESTINATION

208

secundum propositum sunt vocati. Nous retrouverons plus loin cette assertion capitale.

Dieu est l’auteur de notre salut, non pas seulement par le don, une fois fait, du libre arbitre, mais beaucoup plus par les interventions continues de sa grâce. De spir. et litt. (4 12), xxxiv, 60, P.L., XLIV, 240… Videat non ideo tantum istatn voluntatem divino muneritribuendam quia ex libero arbitrio est, quod nobis naturaliter concreatum est ; veruin etiarn quod visorum suasionibus agit Deus itt velimus, et ut credamus, sive extrinsecus per evangelicas exhortationes, ubi et mandata legis aliquid agunt, si ad hoc admonent hominem infirmitatis suae, ut ad gratiam iustipZcantem credendo confugiat, sive inlrinsecus, ubi nemo habet in potestate quid ei veniat in mentent, sed consentire vel dissentire propriæ voluntatis est.

Le genre humain, depuis le péché originel, estime massa peccati que Dieu pourrait, sans injustice, abandonner à la perdition ; ceux qu’il en tire par une vocation gratuite et qu’il prédestine à la vie, lui doivent d’inûnies actions de grâces ; les autres n’ont aucun justesujetde plainte. Cette doctrine, inspirée de saint Paul, circule à travers l’œuvre de saint Augustin à toutes les époques. De div. quæsi. ad Simplic., I, q. 11, 16, P.L., XL, iai (vers 397) Ep., ccxxvi, 6, 19, P.L., XXXIII, 8a3(417) ; Ep., cxciv, 3, 14, />.£., XXXIIl, 879(418) ; Enchiridion, xcix, a5, l’.f.., XL, 378 (li 1) ; De corr. et gr., ii, 12, P. /-., XLIV, 923 (427) ; De don. pers., xiv, 35, P. L., XLV, 10 14 (429). Par sa naissance, l’homme appartient à l’enfer. On comprend que saint Augustin parle exceptionnellement de prédestination au châtiment, De Civ. Dei, XXI, xxiv, 1, P. /, ., XLI, 737 : Prædestinati sunt in aelernum ignent ire cum diabolo ; Enchir., c, 26, P.L., XL, 279 : Bene utens et malis tanquam summe bonus, ad eorum damnationem quos iuste prædestinavit ad poenam, etad eorum salutem quos bénigne prædestinavit ad gratiam. Ep., cciv, a, P. L., XXXIII, 939 (au sujet des schismatiques donatistes ) : Deus occulta satis dispositione, sed tamen iusta, nonnullos eorum poenis prædestinavit extremis. Mais d’ordinaire il réserve le mot prédestination pour la préparation de la grâce et de la gloire.

Le développement principal de la doctrine de saint Augustin sur la prédestination appartient à la dernière phase de sa lutte contre l’hérésie pélagienne. En 4 18, dans sa lettre au pape Sixte (Ep., cxciv, P. L., XXXIII, 874-891), il avait affirmé la souveraine indépendance de Dieu dans son choix, selon la doctrine de l’Apôtre (Rom., ix, 20-a3), et l’équité de ses jugements insondables (Rom., xi, 33 36). Voir surtout Ep., cxciv, 3, 6, P. L., XXXIII, 876). Il insistait sur la miséricorde gratuite par laquelle Dieu distingue, dans cette masse de perdition qu’est le genre humain déchu, ceux qu’il destine à la grâce et au salut éternel. Ib., 6, s, 3, 88a ; 7, 33-8, 34, 886.

Cette exposition parut dure à certains moines d’Adrumète ; leurs doléances, transmises par l’abbé Valentin, donnèrent à Augustin occasion de s’expliquer à fond dans le De correptione et gratia (années 4a6 4*7)- Sur cet incident, voir, outre les Epp., ccxiv, ccxv, ccxvi, P. /.., XXXIII, trois lettres nouvelles publiées par Dom G. Morin, Revue Bénédictine, 1904, p. a4 1-256.

De nouveau, il commente Rom., viii, a8-30, en des termes qui manifestent l’originalité de son point de vue. Au lieudeprendre appelés et élus comme ternies synonymes, avec saint Paul, il distingue expressément ces deux catégories, selon l’Evangile (Mat, . xx, 16). Les élus seuls sont les vocati secundum propositum : le mot propositum, traduisant le npiStaiv de saint Paul, prend, sous la plume d’Augustin, le sens

de prédestination absolue à la gloire. De corr. et gr. vu, 14, P. I-, XLIV, 934 : Ex istis nullus périt, quia omnes electi sunt. Electi sunt autem, quia secundum propositum vocati sunt ; propositum autem non suum, sed Dei… Quicumque enim electi, sine dubio etiam vocati ; non autem quicumque vocati, consequenter electi. Illi ergo electi, ut sæpe dictttm est, qui secundum propositum vocati, qui etiam prædestinati atque præsciti…

Ces deux modifications apportées à la terminologie, l’une quant au sens du mot electi, l’autre quant au sens du mot propositum, n’atteignent pas, sans doute, le fond delà doctrine enseignée par l’Apôtre, mais l’organisent en vue d’un but nouveau et en renouvellent complètement l’aspect. Selon la conception de saint Augustin, les fidèles sont bien tous vocati, mais non plus tous electi, ni conséqueinment tous prædestinati atque præsciti. Voici en quels termes il parle des baptisés qui ne persévèrent pas jusqu’au bout, De corr. et grat., vii, 16, 925 : Quivero perseveraturi non sunt, ac sic a fide christiana et conversatione lapsuri sunt ut taies eos vitæ huius finis inventât, procul dubio nec illo tempore, quo bene pieque vivunt, in istorum numéro compulandi sunt. Non enim sunt a massa illa perditionis præscientia Dei et prædestinatione discreti ; et ideo nec secundum propositum vocati, ac per hoc nec electi. Il consent néanmoins qu’on les appelle electi ad gratiam, comme on l’a déjà vu dans le livre Ad Simplicianum ; mais c’est pour faire observer aussitôt qu’une telle appellation est trompeuse, ibid. : Et tamen qttis neget eos electos, cum credunt et baptizantur et secundum Deum vivunt ? Plane dicuntur electi a nescientil/us quid futurisint, non ab illo qui eos novit non habere perseverant.iam quæ ad beatam vitam perducit electos, sciique illos ita stare ut præscierit esse casuros.

Pleinement fidèle à la logique de son idée, il va jusqu’à dénier à ces faux élus la qualité d’enfants de Dieu, même pour le temps où ils ont vécu dans la grâce ; à ses yeux le titre d’enfant de Dieu a une valeur définitive, ix, 30-21, 928 : Non erant ex numéro filiorum, et quando erant in fide filiorum ; quoniam qui vere filii sunt, præsciti et prædestinati sunt conformes imaginis Filii eius, et secundum propositum vocatisunt ut electi essent… Fuerunt ergo isti ex multitudine vocalorum ; ex electorum autem paucitate non fuerunt. Non igitttr filiis suis prædesiinatis Deus perseverantiam non dédit ; haberent enim eam, si in eo filiorum numéro essent… Cf. ix, 22, 919. La prédestination n’est pas une grâce qu’on peut perdre, puisqu’elle est liée à la persévérance finale.

Il ressort de là que le renouvellement de sens noté pour les mots electi, secundum propositum vocati, affecte également les mots prædestinati et præsciti. Saint Augustin, en effet, ne songe pas à briser cette chaîne forgée par l’Apôtre : præscivit, prædestinavit, vocavit, iustificavit, glorificavil. La différence avec l’Apôtre est qu’il laisse simplement hors de sa considération ceux qui sont simplement pour un temps, et comme par accident, vocati eljustificati. Ceux qui l’intéressent, sont ceux à qui convient la série complète des cinq prédicats : præsciti, prædestinati, vocati, iustificati glorificati. Ceux-là seuls sont vraiment enfants de Dieu. Et il s’agit de les prémunir contre une erreur dangereuse : erreur consistant à s’attribuer quelque initiative dans une série qui appartient tout entière à Dieu : præscivit, prædestinavit, vocavit, iustificavit, glorificavit.

Si maintenant on lui demande pourquoi, parmi ceux qui furent appelés et justifiés, quelques-uns ne reçoivenl pas de Dieu le don delà persévérance finale, il ne snit que répondre : « Je l’ignore », et s’écrier avec l’Apôtre (Rom., xi, 33) : O altitudo ! Voir viii, 209

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17, 926. Ce qu’il sait bien, c’est qu à ceux-là ne s’applique pas le mot de saint Paul, Rom., viii, 38 : DMgentibus Deum omnia cooperantur in bonum ; voir ix, 23, 929 ; et nous trouvons là une confirmation nouvelle de l’option exégétique en vertu de laquelle il exclut de la considération de l’Apôtre tous ceux qui ne sont pas effectivement prédestinés à la gloire. Peu importe d’ailleurs que l’Apôtre parle au passé : car il voit toutes les générations passées, présentes, à venir, également présentes au regard de Dieu, ix, 23, g30 : Verba præteriti temporis positif de rébus etiam fiituris, tanquam iam fecerit Deus ejiiæ iam ut fièrent ex acternitate disposait… Quicumque ergo in Dei providentissima dispositione præsciti, prædestinati, vocatif iustificati, gloi ificati sunt, non dico etiam nondum renati, sed etiam nondum nati, iam filii Dei sunt, et omnino perire non possunt.

Il faut expressément noter cet aboutissement : nous y trouvons la clef de la pensée auguslinienne et des antinomies superficielles qui l’opposent à la pensée de saint Paul. La pensée de saint Paul, dans Rom., vm, a8-30, tend au ciel : c’est une poussée d’espérance qui veut entraîner tous les enfants de Dieu et leur présenter les biens éternels comme déjà acquis pour tous. La pensée de saint Augustin prend position d’emblée sur les hauteurs de la prescience divine ; c’est de là qu’elle descend ; elle revendique pour Dieu seul le droit imprescriptible de faire des élus ; elle veut, ici, ignorer simplement ceux qui ne sont pas du nombre des prédestinés. Saint Paul sait très bien que les enfants de Dieu peuvent périr ; qu’ils portent dans des vases fragiles les trésors de la grâce (II Cor., iv, 7). Saint Augustin, certes, ne l’ignore pas non plus ; et pourtant on vient de l’entendre dire le contraire. Selon lui, les enfants de Dieu ne peuvent pas périr. C’est que, pour décerner ce titre d’enfants de Dieu.il s’est placé d’emblée au terme de la course terrestre. C’est une appellation a posteriori. Toute sa terminologie, dans la matière de la grâce, relève de ce point de vue.

La différence entre ceux qui parviennent au terme et ceux qui n’y parviennent pas, c’est que, pour les premiers, Dieu fait tout concourir au bien, même leurs cbutes qui les humilient, ix, 24, g30. Ils se relèventet linalementpersévèrent. La persévérance (maie estundon de Dieu. Dire que tels et tels l’obtiennent, c’est dire que, de fait, ils persévèrent : il y aurait contradiction dans les termes à dire qu’ils reçoivent la grâce de la persévérance et qu’ils ne persévèrent pas. Ainsi, la grâce de la persévérance est infaillible, xn, 34, 937 : .Xunc vero sanctis in regnum Dei per gratiam Dei prædestinatis non taie adiutorium perseverantiae daiur, sed taie ut eis perseveranlia ipsa donc tur ; non solum ut sine isio dono persévérantes esse non possint, verum etiam ut per hoc donum non nisi persévérantes sint. — Le don de la persévérance fait les prédestinés.

Cette conception hardie et en partie nouvelle atteint son expression complète dans les pages De corr. et grat., xii, 33-38, 936-940, où saint Augustin développe sa théorie d’ensemble sur l’économie de la grâce, la distinction entre l’adiutorium sine quo non, grâce suffisante et commune, et l’adiutorium quo, grâce efficace et de choix, réservée aux privilégiés de Dieu. Adam a reçu l’adiutorium sine quo non, et pourtant il a péché ; tous les hommes le reçoivent, et beaucoup se perdent. L’adiutorium quo, conjoint dans l’intention divine au consentement de l’homme, ne manque jamais son effet ; en matière de persévérance finale, c’est le don absolu de la prédestination.

De là ces expressions dont on a tant abusé, xii, 38, 9^0 : Subventum est igitur iufirmitali voluntatis

humanae, utdivina gratia indeclinabiliter et inseparabiliter ageretur ; et ideo, quamvis infirma, non tamen deficeret, neque adversitate cliqua vinceretur. Elles signifient que, quand Dieu s’est marqué absolument une liii, il sait l’atteindre infailliblement. Elles n’impliquent aucune métaphysique particulière sur l’opération de la grâce ellicace, et surtout elles n’insinuent pas que toute grâce est présentement ellicace, selon l’hérésie janséniste. D. H., 1093 (967) ; iog5 (969). Mais elles esquissent le mécanisme d’une prédestination à base de prescience.

Dans l’éternel présent où Dieu voit toutes choses, le nombre des prédestinés est fixé irrévocablement ; pas une unité ne saurait y être ajoutée ni retranchée, xiii, 39, 9^0 ; cependant l’homme ignore, tant qu’il demeure en cette vie, s’il est du nombre des prédestinés ; c’est pourquoi l’Ecriture prêche à tous la pénitence (Mat., ni, 8.9) ; tous doivent veiller (Ap., m, 11) ; tous doivent craindre (Rom., xi, 20). Mais aussi, tant qu’un homme demeure en cette vie, on ignore ce que peut faire la grâce pour l’amener à linir dans la paix de Dieu ; aussi ne faut-il désespérer de personne, xv, 46, 944.

Celte concepi ion particulière de la prédestination imprime une fixité absolue à la notion augustinienne du « Livre de vie ». Commentant le texte du Ps., lxviii, 29 : Deleantur de libro viventium, Augustin n’y trouve un sens plausible que du point de vue des impies qui, après s’être flattés.d’être inscrits au Livre de vie, constateront avec stupeur et désespoir qu’ils ne l’étaient pas. Quant à Dieu, il peut dire, avec bien plus de raison que Pilate : Quod scripsi, scripsi. Ses arrêts sont irrévocables ; seule, leur manifestation suprême présente quelque nouveauté. Enarr. in Ps., P. /.., XXXVI, 862. 863 ; cf. De Civ. Dei, XX, xv, P. L., XLI, 681.

Le De correptione et gralia ne fut pas moins discuté que ne l’avait été, huit ans plus tôt, la lettre au pape Sixte. C’est en Gaule surtout que l’esprit pélagien aA’ait poussé des racines. Des environs de Marseille, deux laïques instruits, Prosper et Hilaire, adressèrent à Augustin des lettres qui témoignent de l’excitation des esprits. Plusieurs traitaient la prédestination auguslinienne de doctrine fataliste, uniquement propre à abattre l’énergie du bien. Voici les expressions de Prosper : Ep. (inter augustinianas ccxxv), 3, P. L. t XLIV, 949 : Hæc enim ipsorum definilio ac professio est : …Qui credituri sunt, quive in ea fide quæ deinceps per gratiam sit iuvanda mansuri surit, præscisse ante mundi constilutionem Deum, et eos prædestinasse in regnum suum quos, gratis vocatos, dignos fuluros electione et de hac vila bono fine excessuros esse præviderit. Ideoque omnem hominem ad credendum et ad operandum divinis institulionibus admoneri, ut de apprehendenda vita aelerna nemo desperet ; cumvoluntariæ devotioni remuneratio sit parala. Hoc autem propositum vocationis Dei, quo vel ante mundi initium vel in ipsa conditione generi s humani eli gend orum et reiciendorum dicitur facta discretio, utsecundum quod placuit Creatori alii vasa honoris, alii vasa contumeliæ sint creati, et lapsis euramresurgendi adimere et sanctis occasionem teporis a/ferre ; eo quod in utraque parte superfluus labor sit, si neque re<eclus alla industria possit intrare, neque electus ulla negligentia possit excidere : quoquo enim modo se egerint, non posse aliud erga eos, quam Deus definivit, accidere ; et sub incerta spe cursum non posse esse constantem, cum, si aliud habeat prædestinantis electio, cassa sit adnitentis intentio. Removeri itaque omnem industriam tollique virtutes si Dei constitutio humanas præveniat voluntates ; et subhoc prædestinationis nomine, 211

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fatale m quandam indtici necessitatem. — En somme, on revendiquait pour l’homme le pouvoir de fixer son sort, d’abord par l’adhésion de la foi, puis par une fidélité persévérante. Augustin répondra sur le premier point par le De prædestinatione sanctorum ; sur le second, par le De dono perseverantiæ (années 428/9).

Le De prædestinatione sanctorum expose l’influence de la prédestination sur la genèse de la foi. La foi est essentiellement une grâce ; la prédestination prépare les voies à celle grâce ; la prescience prépare les voies à la prédestination. Præd. SS., x, 19, P. ! .., XLlV, 9715. 97a : Inler gratiam porro et prædcstinationem hoc tantum interest, quod prædeslinatio est gratiæ præparatio, gratta vero tant ipsa donatio… Prædestinatio… sine præscientia non potest esse ; potest auten esse sine prædestinatione præscientia. Le type achevé de la prédestination nous est offert par l’humanité du Christ, prédestinée à l’union hyposlatique ; nous sommes prédestinés, d’une prédestination moins haute, niais aussi gratuite, à devenir ses membres, xv, 30-xvi, 32, 981g 83. Prédestination et élection, c’est tout un. Or Dieu ne prédestine passes élus parce qu’ilsont cru : il les prédestine à croire, xvii, 34, g85. Pelage a prétendu fonder la prédestination sur le mérite de l’homme, et dans cette vue il a fait appel à la prescience divine, xviii, 36, 986. (Il a même identifié prescience et prédestination, /’. /.., XXX, 685 A : Prædestinare, idem est quod præscire. Ergo, quos prævidit conformes ftitnros in vita, volttit ut fièrent conformes in gloria.) Augustin écarte cette prescience qui lui paraît une menace pour l’indépendance du don divin ; il renonce aux formes de langage qui lui avaient jusqu’alors été familières, et dans l’outrance de sa démonstration, il intervertit l’ordre mis par saint Paul entre la prescience et la prédestination : xvn, 34, 986 : Elecli sunt itaque ante mundi constitutionem ea prædestinatione in qua Deus sua futura facta præscivit… mx/iB, ^-] : Cum ergo nos prædestinavit, opus suant præscivit, qttonos sanctos cl immaculatos facit. Par ailleurs, Augustin reste fidèle à son point de vue, celui de la prédestination totale, xviii, 3 ; , 987 : Elegit ergo nos Deus in Cltristo ante mundi constitutionem, prædestinans nos in adoptionem filiorum : non quia per nos sancti et immaculali futuri eramus, sed elegit prædestinavitque ut essemus… Ipse quippe operalur secundum propositum suum, ut simus in laudem gloriæ eius, utique sancti et immaculali, propter quod nos vocavit, prædestinans ante mundi constitutionem. Ex hoc quippe proposito eius est illa electorum propria vocutio, quibus omnia cooperalur in bonum : quia secundum propositum vocati sunt, et sine pænitentia sunt dona et vocatio Dei.

Le De dono perseverantiæ est consacré aux relations de la prédestination avec la persévérance finale.

Par persévérance linale, on entend la persévérance effective. Parmi ceux qu’effrayait la doctrine d’Augustin, quelques-uns représentaient que l’homme peut toujours mériter la persévérance par sa prière, ou la perdre par son orgueil. Don. pers., vi, 10, /’. /… XLV, 999. Augustin déclare cette formule peu raisonnable en sa seconde partie. Car la persévérance est un don de fait ; on persévère ou l’on ne persévère pas. Celui donc qui persévère jusqu’au bout, ne saurait perdre la persévérance par son orgueil : cette proposition n’a aucun sens. D’ailleurs, par la prière on peut mériter la persévérance, Augustin y consent volontiers.

Comme toutes nos démarches dans l’ordre du salut, la persévérance dépend de Dieu, qui prédestine les

élus selon son dessein, vii, 14, 1001, et selon la profondeur insondable de ses jugements, ix, 21.22, ioo4. 1000. Comme il tient en ses mains le sort de l’homme et borne sa carrière terrestre, il détermine la matière du jugement qui sera prononcé sur chacun de nous ; et nul ne peut être rangé avec certitude au nombre des prédestinés, avant d’avoir quitté ce monde, xui, 33, 1012.

Déjà dans le De prædestinatione sanctorum, Augustin, on l’a vii, s’occupait incidemment d’une prescience divine consécutive (et non antécédente) à la prédestination. Dans le De dono perseverantiae, il développe plus largement ce point de vue, ou plutôt il identilie simplement prescience et prédestination. Ainsi, xiv, 35, io14 : Profecto bénéficia sua, quibus nos dignatur liberare, præscivit. Hæc est prædestinatio sanctorum, niliil aliud : præscientia scilicet et præparalio beneficiorum Dei, quibus certissime liberantur quicumque liberantur. xvii, 47, 1022 : Hæc itaque dona Dei, quæ dantur electis secundum Dei propositum vocalis, in quibus donis est et incipere credere et in fide usque ad vitæ huius terminant perseverare, … hæc, inquam, Dei dona, si nulla est prædestinatio quant defendimus, non præsciuntur a Deo : præsciuntur autem ; hæc est igitur prædestinatio quant defendimus. xviii, 47, 1022 : Unde aliquando eadem prædestinatio signi/icatiir etiam nomine præscientiae, s icut ait Apostolus (Rom., xi, 2)., . Sine dubio enim præscivit, si prædestinavit ; sed prædeslinassc, est hoc præscisse quod fuerat ipse facturus. xix, 48, 1023 : Qttid ergo nos prohibet, quando apud aliquos verbi Dei tractalores legimus Dei præscientiam, et agitur de vocatione electorum, eandem prædestinationem intelligere ? … On ne saurait refuser à Dieu la prescience de ses bienfaits. Augustin veut qu’on regarde cette vérité en face ; il compte que cela sutlira pour faire évanouir l’illusion qui présente la prédestination comme une doctrine décourageante. Il montre qu’ainsi l’ont entendue les saints docteurs, saint Cyprien surtout et après lui saint Ambroise, saint Grégoire de Nazianze et autres, qui toujours ont affirmé que Dieu dispose de la volonté humaine, mais, loin de conclure à l’inutilité de l’effort, n’ont cessé d’inviter les fidèles à se tourner vers Dieu pour implorer ses dons, et à lutter avec le secours de la grâce, xix, 48-49. 1023.1025. Augustin lui-même, depuis qu’il s’est affranchi définitivement des errements de ses débuts, n’a pas cessé d’inculquer la même doctrine : dans ses Confessions, écrites avant l’apparition de l’hérésie pélagienne ; tout récemment dans le De correptione et gratia ; dès le commencement de son épiscopat dans le I" livre des Qttæstiones ad Simplicianum, puis dans ses lettres à Paulin de Noie, à Sixte prêtre de l’Eglise de Rome, contre les Pélagiens, xx, 53-xxi, 55, 1036.1027. Non, la doctrine de la prédestination ne brise pas les ressorts de l’âme, sinon quand on la présente sous un faux jour et sans avoir égard à la faiblesse de certains auditeurs. Présentée sous son vrai jour, c’est une doctrine consolante et nécessaire, il faut la prêcher sans pusillanimité, pour engager l’homme à chercher sa gloire en Dieu, xxiv, 66, io33. En Unissant, Augustin ramène la pensée du Fils de Dieu, type et gage de notre prédestination, xxiv, 68, io34 : Et illum ergo et nos prædestinavit ; quia et in illo ut esset capttt nostrunt et in nobis ut eius corpus essemus, non præcessnra mérita nostra, sed opéra sua fut ura præscivit.

Avec le De dono perseverantiae, la doctrine de saint Augustin sur la prédestination achève de se trancher. Résumons les différences d’aspect entre cette doctrine et la donnée paulinienne, à chacun des cinq échelons marqués par saint Paul, Kom., viii, 30. 213

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La prescience, signalée par l’Apôtre comme préliminaire de la prédestination, disparait peu à peu de la perspective d’Augustin. Il s’attache à la considération d’une autre prescience, qui procède de la prédestination, ou se confond avec elle. La prescience pure a pour objet les démarches de la créature contraires à la volonté de Dieu.

La prédestination à la grâce, objet immédiat de la considération de l’Apôtre, n’est plus qu’un moment dans la série des bienfaits divins envisagés par Augustin. Au contraire, la prédestination à la gloire, qui apparaissait seulement dans le prolongement de la pensée de l’Apôtre, vient chez Augustin au premier plan.

L’appel divin est supposé absolument efficace, non plus seulement pour la foi, mais aussi pour la gloire, par Augustin qui s’occupe des seuls élus.

La justification est, chez Augustin, supposée acquise à titre définitif, ou du moins destinée à être reconquise avant la mort, à litre définitif.

La gloire est, chez Augustin, supposée garantie, non plus seulement par une volonté divine antécédente et conditionnée, mais par une sentence absolue de prédestination.

D’ailleurs tous les éléments mis en œuvre patsaint Augustin existaient, à l’état diffus, dans l’œuvre de saint Paul. Augustin les groupe artificiellement dans la perspective d’un même texte (Rom., vin, a8-30), qui tendait, de fait, à un but quelque peu différent. En cela consiste son originalité.

Pour apprécier correctement la position d’Augustin dans la question de la Prédestination, il faut nécessairement se souvenir de l’aspect particulier par où il l’aborde : il s’agit pour lui de revendiquer, contre une hérésie naturaliste, la souveraine indépendance de la grâce divine. Il écrit, Prued. SS., xxi, 3/J, P. L., XLV, 1027 : Prædestinatio præd-.canda est, ut possit vera Dei gralia, h. e. quæ non secundum mérita nostra datur, insuperabili munitione defendi. On ne cherchera point ailleurs la raison d’une lacune très apparente de sa doctrine, relative à l’universalité du pouvoir salvifique en Dieu. En 400, cette universalité a trouvé une expression non équivoque dans De calechiz. nid., xxvi, 5a, P. L., XL, 345 : A quo interitu, h. e. poenis sempiternis, Deus misericors volens homines liherare, si ipsi sibi non sinl inimici et non résistant misericordiæ Creatoris sui, misit unigenitum Filium suum, h.e. Verbum suum aequale sibi…, ut…, deletis omnibus peccatis præteritis, credentes in eum omnes in vitam aeternam ingrederentur. Sur l’exégèse du texte fameux de saint Paul, I Tim., 11, 4, Augustin a beaucoup oscillé. Encore au commencement de la controverse pélagienne, en 4 12,’écrit, dans De spir. et litt., xxxiii, 58, P. L., XLIV, a33 : Vult autem Deus omnes homines salvos fieri et in agnitionem veritatis venire ; non sic tamen ut eis adimat liberum arbitrium. — En 4 2 1. il propose concurremment deux explications : A) Dieu veut le salut de tous les hommes, en ce sens que nul ne se sauve que par sa volonté, Enchiridion, ciii, *), P. /-., XL, 280 et Contra litlianuin, IV, viii, 42-441 P. L., XLIV, 759-760 ; B) Dieu veut sauver des hommes de toute catégorie, Enchir., ibid. — A partir de 4<>ô, sans rétracter ses exégèses précédentes (voir Dr corr. et grut., xiv, 44, P. t-, XLIV, 943), il insiste particulièrement sur l’exégèse A) : Ep., ccxvii, 6, 19, /--. /.., XXXUI, 985-986 ; Præd. SS., viii, 14, P. L, XLIV, 971, ou sur B) : De corr. et %r., 1. c. Il en ajoute même une nouvelle : Dieu veut le salut de tous les hommes, en ce sens qu’il en inspire le désir à ses saints, CÎ9. Dei, XXII, 11, a, P. /.., XLI, 753. Ces variations montrent que, pour faire front devant l’hérésie, peu à peu il évacue le terrain de la volonté

divine conditionnelle, qu’il occupait encore en 4 12, pour se fixer sur le terrain de la volonté divine absolue, qui est celui du décret de prédestination.

Tel n’est pas l’avis de Jansi’: nius. A l’en croire, l’interprétation de I lïm., ii, 4, consignée en 400 clans le De cateebizandis rudibus, rééditée en 412 dans le De spiritu et littera, se confondrait avec l’erreur semipélagienne, dont Augustin se détacha vers la fin de sa vie, et devrait être tenue pour condamnée par son propre et définitif suffrage. Augustinus, t. III, De gratia Christi, 1. III, c. xi, p. 15^ sqq., Bouen, 165a.

Jansénius oublie qu’Augustin n’avait pas attendu 41a ni même 400 pour désavouer cette erreur de sa jeunesse ; il avait rompu avec elle dès le temps des livres Ad Simplicianurn, c’est-à-dire dès 397, d’après les témoignagesde De præd. SS. etdeZ>e dono pers., que nous avons cités. Mais surtout Jansénius n’a pas su voir que les conditions particulières de la controverse pélagienne amenèrent Augustin à laisser en dehors de son horizon toute une partie du genre humain et à s’occuper des seuls prédestinés, quand il commente le texte de saint Paul. En effet, les Pélagiens ne niaient pas seulement la nécessité de la grâce pour le salut ; ils niaient encore la puissance de la grâce pour fléchir la volonté humaine. Contre la première erreur, Augustin devait se borner à mettre en lumière l’indigence de la nature. Contre la deuxième erreur, il devait se borner à mettre en lumière la puissance efficace de la grâce pour le salut. Dans la poursuite de ce double but, il néglige volontiers la condition misérable des âmes qui, par leur infidélité, se soustraient aux sollicitations de la grâce, et il insiste très fort sur l’efficacité victorieuse des grâces que Dieu dispense à ses prédestinés. Dans ces développements, les non prédestinés sont pour lui comme n’existant pas, et il ne faut pas chercher ailleurs la raison d’un silence qui n’est pas un désaveu de son exégèse antérieure. Augustin n’a jamais oublié que l’homme peut, par sa faute, déchoir de la grâce. Voir, à ce propos, Du San, Tractatus de Deo uno, t. II. c. iv, p. 35-54, Louvain, 1897.

L’évolution réelle, aocomplie par Augustin adversaire du pélagianisme, n’est pas une rétractation de sa doctrine sur la grâce : c’est un changement de front, pour faire face à un nouveau danger. Pour ressaisir l’unité de plan, il n’est que de se placer au point de vue que ramenait le même traité, point de vue qui désormais commande tout : celui d’une prédestination de fait, d’une persévérance de fait.

Dedon.persev., i, 10, P. L., XLV, 999 : Deilla perseverantia loquimur qua perseveratur usque in finem : quæ si data est, perseveratum est usque in finem ; si autem non est perseveratum usque in finem, nonest data… Non itaque dicant homines perseveraniiam cuiquam datam usque in finem, nisi cum ipse venait finis et persévérasse, cui data est, repertus sit usque in finem. Dicimus… perseveraniiam usque in finem, quoniam non habet quisquam nisi qui persévérât usque in finem ; multi eam possunt habere, nullus amiltere. Neque enim metuenduin est ne forte, cum perseveraverit homo usque in finem, aliqua in eo mata voluntas oriatur ne perseveret usque m finem. Hoc ergoDei donum suppliciter emereri potest ; sed cum datum fuerit, amilti contumaciter non potest. Cumenim perseveraverit usque in finem, neque hoc donum potest amittere née alia quæ poterat ante finem.Quomodo igitur potest amilti, per quod fit ut nonamittatur etiam quod possetamitti ?

Du point de vue de la prédestination de fait, la prescience divine antécédente au décret de prédestination s’éclipse, et une autre prescience divine, celle-ci conséquente au décret de prédestination, 216

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vient au premier plan. Ce changement ne vas pas sans quelque appauvrissement de la donnée paulinienne. Le théologien, chez Augustin, fait tort à IVxégète. Il faut oublier celui-ci pour rendre justice à celui-là.

Un éminent spécialiste résumait naguère, en quelques pages substantielles, l’idée-mère de l’u Augustinisme » ; — par là il entendait « la doctrine de la Prédestination absolue et de la volonté salvifique restreinte, telle qu’Augustin l’a développée surtout dans la dernière période de sa vie, de 4>7 à 4<8, et maintenue fermementjusqu’à sa mort ». O. Rottmannki », O.S.B., Der Augustinismus, Mûnchen, 189’2, p. 5. Après avoir noté, pour rassurer le lecteur, que la tliéorie augustinienne de la prédestination n’est jamais devenue la doctrine de l’Eglise, Rottmanner pose en principe que les derniers écrits d’Augustin ont ici, en bonne critique, une importance décisive, comme renfermant l’expression définitive de sa pensée. Il expose, d’après Augustin, la conception de la massa peccali ; lerôle de lajusliceet celui delà miséricorde ; la fixité absolue de la prédestination et son infaillibilité ; la notion corrélative de réprobation, son mystère et sa justice ; la toute-puissance de la volonté divine pour sauver et pour damner ; le rôle de la liberté humaine, qui demeure sauve, parce que præparatur voluntas a Domino ; enfin la volonté divine salvifique, non pas universelle, mais restreinte. Il conclut i° qu’il faut désespérer de réconcilier, chez Augustin, la théorie et la pratique du ministère pastoral : la théorie, impliquant l’affirmation de la volonté salvifique restreinte ; la pratique, se réglant sur l’hypothèse de la volonté salvifique universelle ; 2° qu’il faut pareillement désespérer de ramener à l’unité la pensée d’Augustin, qui, jusqu’à la fin de sa vie, évolua vers une plus grande rigueur. — Sans méconnaître le mérite de cette synthèse vigoureuse, nous croyons qu’elle appelle des tempéraments. i° S’il est vrai de dire, avec Rottmanner, et avec Petau (Dogm. theol., I, l.X, c. i, n. 2), que l’Eglise n’a jamais fait simplement sienne la doctrine d’Augustin sur la prédestination, il ne faut pas oublier l’approbation solennelle donnée par le pape Céleslin, dès le lendemain de sa mort, à l’ensemble de sa doctrine sur la grâce (431), D.B., 128(86)… 114 (92) sqq. ; — a° Il est graved’admettre, chez unhomme tel qu’Augustin, un divorce réel, et de plus en plus prononcé, entre la théorie et la pratique ; — 3° grave aussi de méconnaître l’unité organique d’une pensée aussi puissante, qui évolua dans le sens de la rigueur, c’est entendu, mais sans désavouer ses origines, sauf le semipélagianisme initial, dont on a vu la rétractation formelle. Il y a des silences qui s’expliquent par le changement des circonstances, mieux que par le changement des principes directeurs. De fait, les circonstances avaient changé : occupé du danger présent, Augustin se fait le champion intransigeant de la grâce divine. Les autres erreurs sont pour lui comme n’existant pas.

Nous croyons rendre à la pensée d’Augustin une plus entière justice en soulignant ïes limitations essentielles de ses écrits antipélagiens. En accusant le relief de l’action divine, il n’efface pas purement et simplement les traits marqués dans ses écrits antérieurs ; parfois il y renvoie expressément, et quand il affirme y reconnaître encore sa pensée présente, nous devons l’en croire. C’est le cas particulièrement pour les Quæstiones ad Simplicianum, de l’année 397 f

D’ailleurs cette pensée présente d’incontestables lacunes. La plus notable, sans doute, résulte de l’attention exclusive donnée par Augustin à une seule sorte de volonté divine : la volonté absolue et

sûrement exécutoire : conséquemment, l’effacement, de plusen plusmarqué, d’une volonté salvifique universelle. Cette exclusion une fois posée, tout ledéveloppement suit ; développement unilatéral. On ne peut pourtant pas dire qu’Augustin ignore les distinctions nécessaires, puisque, à côté des vocati secundum propositum, il continue d’admettre d’autres vocati, qui sont tous les hommes. Mais il n’en tire pas parti. A cet égard, la théologie chrétienne avait beaucoup à apprendre delà tradition grecque. — Sur la pensée d’Augustin, voir E. Portalik, S. I., art. Augustin, dans D.T.C., t. I, col. a3g8-2404 ; K.Kolb ; Menschliche Freiheit und goettlisches Vorherwissen nach Augustinus, Freiburg i. B., 1908.

IV. La tradition occidentale, du v* au xm’siècle.

— Dès le lendemain de la mort de saint Augustin, sa doctrine sur la grâce était revêtue de la sanction apostolique. Le pape Célkstin I", écrivant aux évêques de Gaule (mai £3 1), approuvait, entre autres points de la pensée augustinienne (c. 8, D. H., 1 34 [92]), cette proposition : Nemo aliunde (Deo) placet, nisi ex eoquod ipse donaverit, aec le commentaire que lui avaient donné les évêquesd’Afrique écrivant au pape Zosime : ils avaient cité le texte cher à Augustin : Præparatur voluntas Domino (Prov., viii, 25, LXX), avec Boni., viii, 14. C’était tout le fondement delà doctrine augustinienne.

Vers le milieu du ve siècle, l’auteur anonyme des deux livres De vocatione omnium gentium s’attaquait au problème de la prédestination. Dès ses premières lignes, il affirmait la volonté qu’a Dieu de sauver tous les hommes, et posait en termes excellents le débat entre la liberté humaine, condition du mérite, et la grâce, principe de tout mérite, I, 1, 1, P. L., LI, 64g. Il constatait l’impuissance de la raison à dire le dernier mot et s’inclinait avec un profond respect devant le mystère. En vrai disciple de saint Augustin, il concluait que le décret divin sur les élus s’accomplit sûrement, mais qu’il appartient aux élus d’en procurer l’accomplissement par leurs mérites, II, x, 36, ib., 721 : Quamvis ergo quod statuit Deus nulla possit ratione non fieri, studia tamen non tolluntur orandi, nec per electionis propositum liberi arbitrii devotio relaxatur ; cum implendae voluntatis Dei ita sit præordinatus effectus ut per laborem operum, per instantiam supplicationum, per exercitia virtutum fiant incrementa meritorum ; et qui bona gesserint, non solum secundum propositum Dei, sed etiam secundum sua mérita coronentur.

La pensée de saint Augustin, vigoureuse revendication en faveur dépositions menacées par l’hérésie pélagienne, présentait un mélange de lumière et d’ombre, qui l’exposait aux interprétations divergentes. Les divergences d’interprétation se produisirent dès le ve siècle.

PnosPKR d’Aquitaine, qui avait été le premier à instruire Augustin des attaques dirigées contre sa doctrine dans la région de Marseille, demeura son interprète fidèle et son défenseur avisé. Il est revenu sur la doctrine augustinienne de la prédestination, dans une lettre à un certain Rufin, P.L., LI, 77-90, puis dans l’examen de trois séries de propositions attribuées à Augustin ou extraites de ses ouvrages.

— Cf. R. P. Jacquin, O. P., dans Revue d’Histoire ecclésiastique, Lounain, 1906, p. 269 sqq., La question de la Prédestination aux ve e<vi c siècles.

Les 15 Capitula objeclionum Gallorum paraissent refléter assez fidèlement la pensée des semipélagiens marseillais sur la doctrine d’Augustin. Prosper s’y reprend à deux fois pour les réfuter. P. /.., LI, 1 55174.

Les 16 Capitula objectionum Vincentianarum pré217

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sentent avec la série précédente quelques points de contact, mais dans l’ensemble défigurent beaucoup plus grossièrement la doctrine d’Augustin. On hésite à identifier le Vincentius, désigné par le titre de ce recueil, avec le célèbre moine de Lérins, auteur du Commoniloritun. — Voir Prospbr, P. L., LI, 177186.

Les 9 Excerpta Genuensium sont des extraits textuels d’Augustin, De prædestinatione Sanctorum et De dono perseverantiae, présentés par les prêtres Camille et Théodore, qui avaient sollicité de Prosper quelques éclaircissements. /'. (., 11, 187-202.

Nous ne toucherons qu’un point, relatif au premier recueil.

Le dernier capitulum Gallorum était ainsi conçu : Qitod idem sit præscientia quud prædestinatio.On reprochait donc à Augustin d’avoir confondu prescience et prédestination. Prosper expliqua la différence qui, selon Augustin, existe entre ces deux notions. S’il s’agit des opérations de la grâce ou des sentences de la justice divine, la distinction peut paraître négligeable, les œuvres divines tombant également sous la prescience et la prédestination. Au contraire, s’agit-il des démarches du librearbitre humain à l’encontre de la volonté divine, la distinction importe beaucoup ; car ces démarches sont bien objet de prescience, niais non de prédestination. Et sur cette distinction, se fonde la justification de la Providence, qui laisse à l’homme coupable l’entière responsabilité de ses œuvres. Respons, ad cap. Gallorum, xv, P. L., LI, 170 B : Qui præscientiam Dei in nullo ab ipsius prædestinatione discernit, quod tribuendum est Deo de bonis, hoc ei etiam de malis conatur ascribere. Sed cum bona ad largitorem cooperatoremque eorum Deum, malaautem ad voluntariam ratiunalis creaturænequitiamreferenda sint, dubium non est, sine alla temporali differentia Deum ei præscisse si mulet prædestinasse quæ ipso erant auttore facienda vel quæ malis meritis iusto erant iudicio retribuenda ; præscisse autem tantummodo, non etiam prædestinasse, quæ non ex ipso erant causam operationis habitura. Potesl itaque sine prædestinatione esse præscientia, prædestinatio autem sine præscientia esse non potest.

Nous retrouvons les mêmes distinctions, avec la prédestination du châtiment, clans V Hypomnesticon contra Pelagianos et Cælestianos, écrit que le Moyen âge a quelquefois attribué à saint Augustin et qu’on s’accorde aujourd’hui à lui refuser. L. VI, v, 7, P. I.., XLV, 1661.

On reconnaîtra une inspiration pélagienne dans l'écrit anonyme publié en 1643 par Sirmond sous le nom de Prædestinatus, et qui a dû être composé à Rome, au temps du pape Sixte III (438-440). Voir P. L., LIIÎ, 587-G72. C’est une machine de guerre contre la doctrine de saint Augustin sur la grâce. Trois livres. Le premier comprend 90 courtes notices sur des hérésies, depuis Simon le magicien (1) jusqu’aux Prædestinati (90). Le second livre — assez court — expose à part la doctrine des Prædestinati ; l’auteur déclare ne l’avoir pas rédigé, mais l’avoir reçu d’une personne affiliée à la secte. La secte affecte de se régler sur la pensée d’Augustin, dans son manifeste qui circule sous le manteau ; en réalité, la pensée d’Augustin y est travestie et faussée, à peu près comme dans les Capitula Gallorum. On y voit notamment que Dieu fait les pécheurs comme il fait les justes, p. 622 B ; que le dogme de la prédestination dispense le chrétien de faire effort pour son salut, p. 623 BC ; que Dieu est la cause de son salut, à l’exclusion de la volonté de l’homme, p. 625 B, etc. Le troisième livre est une réfutation de la doctrine précédente, conçue non dans un esprit catholique, mais dans l’esprit de

Julien d’Eclane. — Il existe, sur le Prædestinatus, une étude de H. von Schubert, Texte und Untersuchungen, XXIV, 4, Leipzig, igo3. Sur l’origine probablement romaine du Prædestinatus, voircclte étude,

P- 77 Dans la chronique gauloise de l’an 452, Mon. Germ. hist., Auctores antiquissimi, t. IX, p. 656, on lit : Prædestinatianoriim hæresis, quæ ab Augustino accepisse initium dicitur, his temporibus serpere exorsa. Sur les origines de ce mouvement, voir J. Smmond, Historia prædestinutiana, dans P. L., LUI, p. 673 sqq.

Donc, au milieu du v" siècle, on signalait une hérésie prédestinatienne, qui passait pour s’abriter sous l’autorité de saint Augustin. Nous connaissons le nom d’un de ces prédestinatiens : c’est le prêtre LiK'.mus, qui dans un concile d’Arles, en 47 », dut signer une rétractation et condamner le sentiment qui dicit quod Christus Dominas Salvator noster mortem non pro omnium saluie susceperit ; qui dicit quod præscientia Dei hominem violenter compellat ad mortem, vel quod cum Dei pereant voluntate qui pereunt…, qui dicit alios deputatos ad mortem, alios advitam prædestinatus. Mansi, VII, 1010E — 101 1 A ; P. L., LUI, 684 A. Cette rétractation avait été provoquée par Fauste, évêque de Riez (voir sa lettre à Lucidus, ibid., 681-683), personnage d’ailleurs trop indulgent aux tendances pélagiennes. Dans ses deux livres De gratia Dei et libero arbitrio, P. L., LVIII, 783-836, Fauste fait bonne justice du fatalisme prédestinatien, I, iv, 790CD ; II, 11, 81 5-8 16. Mais il ne fait pas pleine justiceà la gràcedivine. Avec saint Paul, Rom., viii, 29, il distingue prescience et prédestination, et montre que la prescience va devant la prédestination pour lui frayer la voie ; mais il restreint la portée de la prédestination à une œuvre de justice en quelque sorte automatique, et laisse de côté l'œuvre de grâce. II, 111, 816 CD : Aliud est præscire, aliud prædestinare. Præscientia itaque gerenda prænoscit, postmodum prædestinatio retribuenda describit. Illa prævidet mérita, hæc præordinat præmia. Præscientia ad potentiam, prædestinatio ad iustitiam pertinet. Præscientia de alieno subsistit actu, prædestinatio autem de iudicio suo ; illa facinus manifestât, ista condemnat ; illa testis, hæc iudex est.

Cependant l’Afrique demeurait généralement fidèle à la tradition augustinienne.

Un siècle.après saint Augustin, saint Fulgkncr du Ruspe reprenait l’exposition de la même doctrine, avec quelque chose de plus tendu dans le développement. Nous ne possédons plus les sept livres où il prenait corps à corps Fauste de Riez ; mais il nous reste un long passage sur la prédestination dans De veritate prædestinationis et gratine Dei, P. III, i-ix, i-14, />. L., LXV, 651-659 (année 523). L’aspect qui attire surtout Fulgence et sur lequel il ne se lasse pas de revenir, c’est l’indéfectibilité de la prédestination divine, incommutabilis prædestinatio. A la suite d’Augustin, il affirme la vocatio secundum propositum des élus de Dieu, et en marque ainsi les étapes : 11, 3, 653 C : Omnes isti præda-tinati sic vocantur ut iustificentur ; sic iustificantur ut « lorificentur. Ac per hoc prædestinavit quos volait, et ad opéra bona et ad præmia sempiterna ; prædestinavit ad vitam bonam, prædestinavit ad vitam aeternam ; prædestinavit ad (idem, prædestinavit ad spécieux ; prædestinavit adoptandos insæculo, prædestinavit glnri/icandos in regno ; prædestinavit per gratiam faciendos Primogeniti fratres, prædestinavit per gratiam perficiendos eiusdem Unigeniti coheredes. Eternel est le dessein de Dieu, éternelle la préparation de la grâce, éternel l’Amour gratuit dont il 219

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enveloppe ses élus. Il ne faut pas craindre de prêcher ce mystère de l’adoption divine, iii, 5, 654 B.

La prédestination est immuable, quant à chacun de ses détails et quant au nombre des personnes. Nul ne saurait manquer à l’appel etnul ne saurait y parvenir en surcroît. Elle s’étend d’abord à la glorification des élus, à qui Dieu destine une couronne de justice ; elle s’étend secondairement au châtiment des coupables, dont les fautes, sans être prédestinées, sont pré vues, v, 7, 655.

On entend dire parfois : Si nous sommes prédestinés, rien ne sert de veiller ni de prier, car de toute façon nous parviendrons au terme. Déplorable raisonnement, par lequel on se met précisément en dehors du courant de la grâce et de la prédestination. Car la prédestination a pour effet de nous porter à Dieu par les œuvres bonnes, vi, 9, 650. Ainsi l’entendait l’Apôtre, qui affirme énergiquement la prédestination et se garde bien de conclure au fatalisme, vin, 1 a, 658. Ainsi l’enseigne le livre de la Sagesse (Sa p., viii, 1 ; vii, a4), décrivant l’opération indéfectible de Dieu, ix, 13, 658.

Ces considérations unilatérales sur la prédestination n’éclairent pas beaucoup le mystère de justice divine qui s’accomplit sur les pécheurs. De fait, Fulgence restreint expressément l’enseignement de saint Paul (I Tint., ii, 4) touchant l’universalité de la volonté salvifique. Sur ce texte, l’exégèse de saint Augustin avait beaucoup oscillé (Voir ci-dessus, col. a13). L’évêque de Ruspe le prend d’emblée au sens le plus sévère, en excluant positivement de la miséricorde et de la grâce toute une partie du genre humain, ix-xni, i^-aa, 65g-663.

Entre les extrêmes opposés, représentés respectivement par Fulgence de Ruspe et Fauste de Riez, saint Cksairkd’Arlbs, véritable héritier de la tradition augustinienne, allait, de concert avec le pape Félix IV, fixer renseignement de l’Eglise. Ce fut l’œuvre du 11e concile d’Orange (539). — Sur toute cette controverse, on peut consulter avec fruit A. Malnory, Saint Césaire d’Arles, p. 14a-154, Paris, 1894.

Reprenant l’enseignement des papes Zosime et Célestin, le concile d’Orange affirme le rôle de la grâce prévenante dans la préparation de la volonté ; il précise la différence entre l’attitude de l’homme devant le bien auquel il est porté par la grâce et le mal auquel il se porte par sa propre volonté. La sanction du pape BonifagbII (25 janvier.531) devait revêtir cet enseignement d’un caractère infaillible.

Nous citerons deux canons d’Orange :

Can. i’i(D. H., 196 [166]) : Suain voluntatem homines faciunt, non Dei, quando id quod Deo displicet ; quando aulem id faciunt quod volant, ut divinae serviant voluntati, quamvis volentes agant quod agunt, illius tamen voluntas est a quo et præparatur et iubetur quod voltinl.

Can. a5. II suffira de quelques mots (D. B., aoo I169]) : Aliquos vero ad malum divina polestate prædestinatos esse, non solum non credimus, sed etiam, si surit qui lantuin malum credere velint, cuni omni deteslntione illis anathema dicimus.

Ces deux canons flxaientlesborr.es de la doctrine. La prédestination est essentiellement une grâce, et il va de soi que la grâce divine ne peut porter qu’à tout bien. Le mal que fait l’homme, procède de sa volonté, non d’aucune prédestination.

L’idée d’une prédestination ad malum culpæ est hérétique. Il n’en va pas de même de la prédestination ad malum poenae, qui peut s’entendre en un sens orthodoxe. Cette formule peut s’autoriser de quelques exemples, d’ailleurs exceptionnels, chez saint Augustin. D’où la doctrine d’une double pré destination, qu’on trouve notamment, au vne siècle, sous la plume de saint Isidore db Skvillb, Sent., 11, 6, P. /.., LXXXII, 606 : Gemina est prædestinatio sive electorum ad requiem sive reproborum ad mortem. V traque divino agitur iudicio, ut semper electos superna et iuteriora sequi faciat, semperque reprobos ut inftmis et exterioribus delectentur deserendo permittat.

En rendant témoignage au dogme de la prédestination, la liturgie de l’Eglise dicte l’attitude pratique duchrétien.Une oraison très ancienne, récitée comme secrète aux messes de carême, s’exprime ainsi :

Deus, cui soli cognitus est numerus electorum in superna felicilate locandus, tribut quæsumus ut, intercedentibus omnibus sanctis fui », universorum quns in oratione commendatos suscepimus et omnium /idelium nomina, beatæ prædestinationis liber adscripta retineat.

D’où il suit qu’il y a deux manières d’être inscrit au livre de la bienheureuse prédestination. Y sont inscrits en fait, à titre définitif, ceux qui achèveront leur vie dans la grâce de Dieu. Y sont inscrits en droit, à titre provisoire, ceux qui, possédant actuellement la grâce de Dieu, sont désignés pour entrer dans la gloire s’ils persévèrent. Mais leur persévérance ne peut être que l’œuvre de la grâce, et il y a lieu de la recommander à Dieu.

Au déclin du vm B siècle, l’Eglise d’Espagne fut troublée par les mêmes sophismes qu’Augustin dénonçait dans le De prædestinatione sanctorum. Les uns, faussant la portée de la prédestination, disaient : A quoi bon faire effort pour le bien, si tous nos actes sont d’avance réglés par Dieu ? D’autres au contraire, animés d’un esprit pélagien, disaient : A quoi bon prier Dieu pour obtenir la victoire sur la tentation, s’il dépend de notre volonté de la repousser ? En 785, le pape Hadrikn I er écrivait aux évêques d’Espagne, en empruntant les paroles d’un fidèle disciple d’Augustin (/). B., 300 [a51]) : lllud autem quod aliiex ipsis dicunt, quod prædestinatio ad vitam sive ad mortem in Dei sit potestule et non noslra ; isti dicunt : « Vtquid conamur vivere, quod in Dei est potestate ? » Alii intérim dicunt : « l’tquid rogamus Deum ne vincamur tentatione, quod in nustra est potestate, quasi liberi arbitrii ? » lie vera enir.i nullam ratiunem reddere vel accipere valent, ignorantes B. Fulgentii verba… Opéra ergo misericordiae ac iustitiæ præparavit Deus in aeternilate incommutabililatis suae… præparavit ergo iustificandis hominibus mérita ; præparavit iisdem glorificandis et præmia ; malis vero non præparavit voluntates malas aut opéra mala, sed præparavit eis iusta et aeterna supplicia. Hæc est aeterna prædestinatio /uturorum operum Dei, quam, sicut nobis apostolica doctrina semper insinuari cognoscimus, sic etiam fiducitiliter prædicamus. » On reconnaît ici l’esprit du concile d’Orange, opposant expressément les dispositions de la miséricorde divine pour le salut des hommes et les dispositions de la justice divine pour le châtiment des damnés à l’abstention de Dieu en face du mal moral.

L’épisode le plus marquant, mais aussi le plus confus, des controverses prédestinatiennes appartient à l’histoire du ix° siècle et se rattache au nom de Gotescalc.

Gotescalc, fils d’un comte saxon, fut élevé à l’abbaye de Fulda et, de bonne heure, devint moine ; mais il ne tarda pas à vouloir quitter l’habit monastique et porta sa requête devant un synode de Mayence (829). Il obtint gain de cause ; néanmoins, le nouvel abbé, Raban Maur, ayant fait appel, Gotescalc fut retenu et envoyé à l’abbaye d’Orbais, près Soissons. Là il étudia les Pères, surtout saint Augus221

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tin et saint Fulgence, arrangeant et tronquant les textes pour leur donner un sens prédestination. En même temps il correspondait avec divers personnages : Marquant de l’riim, Jonas d’Orléans, Servat Loup abbé de Perrière*, mettant leur science à l’épreuve. On dit qu’il reçut le sacerdoce subrepticement, sans la permission de son abbé. Vers 8/(5, il lit le voyage de Home et sur la route sema ses idées.

Noting, évoque de Vérone, qui avait rencontré Gotescalc en voyage, engagea Raban Maur, devenu archevêque de Mayence, à le réfuter. Selon Kahan Mair, P. A-, CX11, t53l, Gotescalc décrivait la prédestination comme une force qui contraint l’homme de pécher, Dei pracdestinatio invitum hominem facit peccare. La réfutation donnée par l’archevêque de Mayence s’inspire de Prosper et île l’Ilyponineslicon, alors attribué à saint Augustin. P. /.., CXII. 15301 533.

Gotescalc parut à la diète synodale de Mayence en octobre 848, et déposa une profession de foi où il allirmait une double prédestination des élus au repos éternel et des damnés à la mort éternelle, absolument sur le même plan : Gemina est pracdestinatio sive electorum ad requiem, sire reproborum ad mortetn… similiteromnino (texte conservé par Ilincmar, De prædestinatione, Y, P. I.., CXXV, 89 D). A l’issue dusynode.le miserabilis monachus, signalé comme grrovagus, fut détenu à Reims, sous la garde de l’archevêque Hincmar.

L’année suivante, il comparut de rechef au synode de Quierzy (849). N’ayant donné aucun gage d’amendement, il fut déposé de la prêtrise, battu de verges et emprisonné. Témoignage de Hincmar, cité par Ram db Lyon, liber de tribus epistolis, xxiv, P. L., CXXI, 1027. On lui permit néanmoins de communier à Pâques et on lui laissa la liberté d’écrire. Il en prolita pour rédiger deux professions de foi, que nous possédons, P. L., CXXI, 337-366, et un libelle intitulé PUæium, où il soutient, entre autres choses, que le Christ est mort pour les seuls prédestinés. Voir Hincmar, De Prædestinatione, xxix, P. L., CXXI, 291 A ; xxxiv, 365 B ; xxxv, 370-372.

Pour éclairer les moines sur la portée des erreurs de Gotescalc, Hincmar avait composé un Opitsculum ad reclusos et simplices, dont le contenu ne nous est révélé que par Raban Maur, Ep., iv, P. L., CXII, 151 81 530. Cet opuscule fut jugé plus ou moins sévèrement par Ratramne de Corbie, par Servat Loup, abbé de Ferrières, et par Prudentius, évêque de Troyes, qui crurent devoir élever la voix en faveur de Gotescalc. Prudkntius se prononça pour la double prédestination, en tendant d’à il leurs la prédestinât ion ad poenam, non ad culpam. Il inclinait à croire que le Christ n’est pas mort absolument pour tous les hommes, et interprétait en ce sens le texte de saint Paul, II Tim., 11, 4. Un Synode de Paris (84g) lui donna raison. A la requête de Charles le Chauve, Ratramnr écrivit deux livres De prædestinatione, P. A., CXXI, 13-80. Expliquant en quel sens Dieu endurcit les cœurs coupables, il ose avancer ceci, L. I, p. 19 A : Manifestatur operari Deum in cordibus honiinuni ad inclinandas eorum voluntates quocumque voluerit, sive ad bona pro sua misericordia, sive ad niala pro meriiis eorum, iudicio utique suo, aliquando apertu, aliquando occulto, semper tamen iusto. — Aux côtés d’Hincmar, se rangeaient, outre Raban Maur, Scot Erigène — faible et plutôt compromettante recrue ; Florus, magister de Lyon, et Amolo, évêque de la même ville.

L’écrit de Scot Erigùnr De prædestinatione (année 851), P. L., CXXII, 346-440, suscita des contradicteurs dans les deux camps. Tandis que Prudentius de Troyes, dans son De prædestinatione

contre loannem Scotum(8bi), P. L., CXV, 1009-1366, l’accusait de renouveler les erreurs de Pelage et d’Origène, Florus lui-même croyait utile de le réfuter et le traitait de vaniloquus et garrulus liomo. Adversus loannis Scoli Erigenæ erroneas definitiones l, ber, P. L., CXIX, ioi-250.

Cependant le siège de Lyon devenait vacant par la mort d’Amolo, et son successeur Rbmi prenait position entre les deux camps, de manière à tout brouiller. De tribus epistolis liber, P. /.., CXXI, g851068.

En 853, un synode de Quierzy adopta contre Gotescalc les quatre célèbres capitula d’Hincmar, qui furent contresignés et publics par Charles le Chauve. Le 1" consacre le principe de l’unica prædestinatio, ayant pour objet le don de la grâce et conséqueinment de la gloire, s’il s’agit des élus ; le châtiment, s’il s’agit des réprouvés. Le a* affirme, dans l’homme racheté par le Christ, l’existence du libre arbitre restauré par la grâce. Le 3* affirme la portée universelle du texte de saint Paul touchant la volonté salvifique, I Tint., 11, 4. Le 4e revient sur la même doctrine en affirmant la valeur universelle de la rédemption du Christ, dont le fruit est à la portée de tous, encore que tous n’en profitent pas. D. B., 316-319(279-282). Il faut reproduire au moins le premier de ces capitula :

De us omnipotens heminem sine peccato rectum cum libero arbitrio condidit et in paradiso posuit, quem in sanctitate iustitiæ permanere voluit. Homo libero arbitrio maie utens peccavit et cecidit, et factus est massa perditionis totius hurnani generis. Deus autem bonus et iustus elegit ex eadem massa perditionis secundum præscientiam suam quos per graliam prædestinavit ad vitam, et vilam illis prædestinavit aeternam ; ceteros autem, quos iustitiæ iudicio in massa perditionis reliquit, perituros præscivit, sed non ut périrent prædestinavit ; poenam autem illis, quia iustus est, prædestinavit aeternam. Ac per hoc unam Dei prædeslinationem tantummodo dicimus, quæ aut ad donum pertinet gratiæ aut ad retributionem iustitiae.

Selon cette doctrine, très fondée en Ecriture et en Tradition, la prédestination divinea essentiellement pour objet le don divin, c’est-à-dire avant tout la grâce, qui tend à fructifier dans la gloire. Ceux pour qui elle fructifie dans la gloire, peuvent être appelés simplement prédestinés. Ceux pour qui elle ne fructifie pas, ne peuvent être appelés prédestinés ; mais, où la grâce avorte, la justice divine revendique son droit et prédestine un châtiment aux coupables.

Le point de vue d’Hincmar n’était pas celui du parti que menait Rémi de Lyon. Rémi, qui estimait Hincmar et les siens solidaires des errements de Scot Erigène, rédigea contre les capitula de Quierzy une critique acerbe : De tenenda Scripturæverilatc, P. /-, CXXI, io83-1134. Au mois de janvier 855, un synode de Valence adopta, sous son inspiration, six canons qui s’opposent directement à ceux de Quierzy. D. B., 3ao-325 (283-288).

Le i « r rappelle, en termes généraux, le devoir de maintenir la foi, la vérité, la paix, la tradition de l’Eglise, en toutes matières et particulièrement en ces matières délicates de la prescience divine et de la prédestination. Le 2e rappelle que la prescience divine ne faitau libre arbitre aucune violence, et donc laisse au pécheur l’entière responsabilité de sa perte. Le 3e affirme contre Hincmar la gemina prædeslinatio, en des termes qu’il faut noter :

(Ilom., ix, 21-22) Fidenter fatemur prædestinationem electorum ad vitam et prædestinationem impiorum ad mortem : in electione tamen salvandorum miseri223

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cordiam Dei præcedere meritum bonum ; in damnatione au te m periturorum meritum malum præcedere iustum Dei ludicium. Prædestinalione aulem Deum ea tanlum statuisse quæ ipse vel gratuila misericordia vel iusto iudicio facturas erat…, in malis vero ipsorum malitiam præscivisse, quia ex ipsisest, non prædestinasse, quia ex Mo non est…

Chercher dans ce canon une allusion à la prædestinatio advitam aeternampræcisive sumptam, serait le mal entendre, comme l’a très bien montré le P.-L. Lohjj, S. /., Gregorianum, 1933, p. io3-io6. Mais là n’est pas le point le plus délicat. Rémi ne veut pas entendre parler de prædestinatio culpæ ; sur ce point, il est d’accord avec Hincmar et avec toute la tradition catholique. Il veut qu’on parle de prædestinatio poenae, et sur ce point il est encore d’accord avec Hincmar. Mais de la prædestinatio poenae, il passe à la prædestinatio rei ad poenam. C’est ce que n’avait point fait Hincmar. D’ailleurs il faut avouer que la différence est dans les mots plutôt que dans les choses, dès lors que l’on s’accorde à fonder la prædestinatio poenæ sur la præscientia culpae. C’est sur quoi, effectivement, les deux, adversaires s’accordent. Dès lors, il n’y a pas un abîme entre le point de vue d’où le premier maintenait Vuna prædestinatio et celui d’où le second conclut à la gemina prædestinatio.

Le /|e canon écarte l’assertion erronée d’une application effective du sang du Christ aux pécheurs damnés avant la passion, et prononce une condamnation sévère sur l’œuvre de Quierzy, à commencer par les capitula quattuor quæ a concilio fratrum nostrorum minus prospecte suscepta surit, propter inutililatem vel eliam noxietalem et errorem contrarium veritati.

Le 5e canon rappelle que tout le peuple chrétien est régénéré au baptême par le sang du Christ, mais que certains, par leur faute, se privent du fruit éternel de la rédemption.

Le 6’canon allirme l’attachement indéfectible du synode à la doctrine du concile de Carlhage (4 18) et du concile d’Orange (5jg) sur la grâce.

Entre les deux fractions de l’Eglise de Gaule, il y avait surtout des malentendus à dissiper. Le premier écrit composé par Hincmar, en 857-858, De prædestinalione (ouvrage perdu), n’atteignit pas immédiatement ce but. Les synodes de Langres et de Savonières (près Toul) en 869 n’opérèrent pas le rapprochement désiré. Un second écrit du même prélat De prædestinalione (celui que nous possédons, P. /.., CXXV, 65-^4) fit enfin la lumière, et lava définitivement l’auteur dureproche de semipélagianisme. La réconciliation fut consommée dans le synode national de Tuzey (près Toul) en octobre 860, sur les bases posées par Hincmar. Quant à Gotescalc, il devait mourir en 468 ou 469, irréductible dans son obstination.

Les principaux documents relatifs à l’affaire de Gotescalc se trouvent dans la Patrologie latine, à laquelle il faut joindre Mansi, Concilia, t. XIV et XV. Ils ont été réunis par Mangin, Veteres auctores qui sæculo IX de prædestinatione et gratia scripsernnt, Paris, 1650. — Sur cette histoire, voir Uni ki.k, Histoire des Conciles, 1. xxu (trad. Goschler-Delarc, t.V, p. 433-431 ; trad. Leclercq, t. IV, 1, p. 137-a35). On trouvera dans Hbkklb-Lkclbhcq, t. IV, p. 138, une riche bibliographie.

A la veille de la période scolastique, le langage de l’Eglise latine sur la prédestination achève de se fixer, sous l’influence prédominante de saint Augustin. Certains détails flottent encore.

Saint Anshlmk uk Canthrbury (y 1 109) se montre hospitalier à des formes de langage que d’autres trouveraient scandaleuses ; dans sa Conciliation de

la prescience divine avec le libre arbitre, il explique très bien en quel sens on peut parler do prédestination au mal (moral), sans préjudice de l’acception principale qui restreint aux œuvres propres de Dieu la prédestination proprement dite.

Dr concordia præscientiæ Dei cum libéra arbitrio, q. 11, a, P. L., CL VIII, 5ao AB : Prædestinatio non solum bonorum est, sed et malorum potest dici : quemadmodum Deus mala, quæ non facit, dicitur facere quia permittit. Nam dicitur kominem indurare cum none mollit, ac inducere in tentationem cum non libérât. Non est crgo inconveniens si hoc modo dicimus Deum prædeslinare malos et eorum mala opéra, quando eos et eorum mala opéra non corrigit. Sed bona specialius præscire et prædestinare dicitur, quia in Mis facit quod sunt et quod bona sunl : in malis aulem non nisi quod sunt essentialiter, non quod mala sunt.

La pensée de saint Anselme est parfaitement limpide ; mais la liberté de terminologie qu’il autorise présente plus d’inconvénients que d’avantages. De fait, la languechrélienne sel’interdit communément et réserve le nom de prédestination aux œuvres de grâce.

Un siècle après saint Anselme, Alger db Libqh (y n31) parle, lui aussi, de prædestinatio advitam et de prædestinatio ad mortem. Il explique judicieusement comment l’une et l’autre prædestinatio, doul l’effet se déroulesous le regard éternel de Dieu, laisse intacte la liberté de l’homme. Et il marque, dans l’intention divine, le rôle de certains moyens providentiels : les prières des saints et la fidélité à la grâce sont mises en œuvre par Dieu pour la réalisation de ses desseins tout miséricordieux. De libero arbitrio, P. L., CLXXX, 169-173.

Saint Bbrnard (-J* 1 1 53) aimeà plonger ses correspondants et ses auditeurs dans le mystère de la prédestination éternelle. Voir notamment Ep., cvii, Ad Thomam præpositum de Bcverla, 4- « o, P. L., CLX.XX1I, a44-a47. Il insiste d’une part sur l’initiative souveraine de la grâce, qui mène toute l’œuvre du salut de l’homme, depuis la prédestination éternelle jusqu’à la glorification effective ; d’autre part sur l’incertitude où demeure l’homme qui, au cours de cette vie, tient son propre sort en ses mains. Sur le premier point de vue, Ep., cvii, 5, a45 B : Quos ab aeterno prædestinat, in aeternum bcatificat, inlercedente sane média vocatione una cum iustificatione, dum taxât in adullis. — Scrm. in Ascensione Do mini 11, 5, P. L., CLXXXIII, 303 D : Proposilum namque Dei super illos manet immobile ; et misericordia huec ab aeterno et US que in aeternum super timentes eum : ab aeterno per prædestinationem, in aeternum per glorificationem. Similiter et in reprobis terribilis est super fiiios hominum, et utrinque stat fixa sententia aeternitatis, et in his qui suivi fiunt et in lus qui perçant. — Serm. pro Dom. 1 nov., i, , P. L., CLXXXIII, 353 A : lnitium meum solius gratiæ est, et non habeo quid milii in prædestinatione attribuant sive vocatione. — Serm. in Cant., xxiii, 15, ibid., 89a CD ; lxxviii, 3, ibid., 1 160 B. — Sur le second point de vue, fréquents rappels du texte de Ecole., ix, 1 : Nescit liomo si sit dignus amore an odio, De Septuag., Serm., i, 1, P.L., CLXXXIII, 163B ; In Oct. Paschae, Serm., 11, 3, ibid., 397 C, etc. — Conclusion pratique, Ep., cvii, 10, P.L., CLXXXII, 347 D : Intérim quidem glorictur in spe, nondumtamen m securitale ; InPs., xc, Serm., vii, 6, P. L., CLXXXIII, ao3 D : Quæ a Deo sunt, ordinata sunt. Num a prædestinalione ad magnificationem saltu quodam pervenies repentino ? Provide tibi médium pontem, aut inagis ingredere iam pnratum.

I’ihrub Lombard (-j- 1160) définit la prédestina225

PltKDESTlNATlO.N

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lion : « préparation des bienfaits divins » dans l’ordre surnaturel, depuis la grâce jusqu'à la gloire Inclusivement, La prédestination présuppose la prescience des bienfaits divins. D’ailleurs la prescience déborde ce domaine ; elle s'étend k tout le mal que Dieu certes ne fait pas, mais qu il laisse l’aire par La créature libre ; sur ce fondement s’appuie la réprobation, qui est la préparation du châtiment éternel pour les coupables. La réprobation présuppose lo mérite ; la prédestination ne présuppose aucun mérite, mais procède uniquement de la divine miséricorde. Sent., I, d. xl-xli, l'.l… CXCI1, 631-63a. Toute cette doctrine du.Maître des Sentences est prise de saint Augustin.

V. Lia tradition orientale, du Ve au IX" siècle.

La tradition des Pérès Grecs ne présente pas de

révolution comparable à celle qu’accomplit, dans la tradition latine, saint Augustin. Saint Jkan Chrysostomk avait inauguré la distinction féconde de deux volontés en Dieu : une volonté conditionnelle et une volonté absolument elfieæe. Commentant le début de l'épître aux Ephésiens, il dit, //o/n., i, P. G., LX11. 13 : « Dieu nousa prédestinés par l’adoption… selon le gré de sa volonté… Le gré, c’est-à-dire la volonté maltresse, Car il y a encore une autre volonté : la première volonté tend au salut des pécheurs ; la seconde tend au châtiment du péché ». EùSoxia zb

bÔT.i/i 'c7Ti to -nporr/oviuve*. "Erri yit/) s.v.i v’j’j’j 61'triu.y. -'.l'/J, 9-.ir.jy. TtoiiTii -y : >f. iltoiivBtu 'r.u-v.y—ry.-y.i. ùirr^/.'y. SeOrspov, z : y&o/xsvTJi xaxcr’ji ÙTToXétrSxt*

Cette idée féconde sera reprise et développée par saint Jean D.v.MAscÈNB.qui distingue la volonté antécédente et de bon plaisir (npoiiyoùfiMvo » Sûni/ut îuct sùSoxia) et la volonté conséquente et permissive (Ijw'/tevw Our, y.y. yy.i r.'/ pyy/.i-ïr.Tu). Il en explique ainsi l'économie. De fide orthodoxa, II, xxix, P. G., XCIV, 968 C 969 B :

Il faut savoir que Dieu veut d’une volonté antécédente le salut de tous les hommes et leur entrée en son royaume. Car il ne no. 13 a pas créés pour le châtiment, mais pour la participation de sa bonté, vu qu’il est bon. Cependant il veut le châtiment des pécheurs, vu qu’il est juste. Donc sa première volonté s’appelle volonté antécédente et bon plaisir ; elle procède de lui ; la seconde s’appelle volonté conséquente et permission, c’est nous qui y donnons lieu. Elle est de deux sortes : soit économique et instructive pour le salut, soit réprobative pour le châtiment final, comme nous l’avons dit. Cela pour les chuses qui ne dépendent pas de nous. Quant aux choses qui dépendent de nous. Dieu veut les biens d une volonté antécédente et de bon plaisir. Le mal, réellement coupable, il ne le veut ni d’une volonté antécédente ni d’une volonté conséquente, mais il permet l’exercice du libre arbitre.

Même doctrine, Dialog. contra Manichæos, ijXxix. lux, P. G., XCIV, 1577-1580, où le Damascène en fait l’application à la prédestination. On lit également De fide orthodoxa, II, xxx, P. G., XCIV, 969 B-976 A :

Il faut savoir que la prescience de Dieu s'étend à tout, mais non sa prédestination. Il a la prescience de nos actes libres, non la prédestination. Car il ne veut pas le mal et ne contraint pas la vertu. Ainsi la prédestination est l'œuvre d’un or' ce de la prescience divine. Il prédestine ce qui n’est pas en notre pouvoir, selon sa prescience. Car d’avance, selon sa prescience. Dieu a tout prédéterminé, selon sa bonté et sa justice.

Mais il faut savoir que la vertu a été donnée par Dieu à la nature, qu’il est principe et cause de tout bien et que, en dehors >ie son concours et de son assistance, nous ne aurions vouloir ni faire aucun bien. Il dépend de nous de nous maintenir dans la vertu et de répondre à l’appel de Dieu vers la vertu, ou bien de déserter la vertu, c’est-à-dire de nous porter au mal et de nous attacher au diable, qui nous y

Tome IV.

appelle sans pouvoir nous contraindre. Le mal n’estque l'éloigneinenl du bien, comme l’ombre est l'éloigiiemenl do la lumière En suivant les indications delà nature, nous pratiquons la vertu ; en nous détournant do la nature ou de la vertu, nous allons contre la nature et nous plongeons dans le vice.

Au xiii* siècle, la distinction entre les deux volontés de Dieu, antécédente et conséquente, pénétrera en Occident. On la trouve notamment chez Albert lb Grand, In l d, , 46 art. 1 ; chez saint Bonavbnn un, /// / (/., 47 art. 1, q. 1 ; un grand nombre de fois chez saint Thomas.

Ne nous arrêtons pas à recueillir, chez les exégètes byzantins Œcumbnius et Théoi’iiylacte, un écho de saint Jean Chrysostome. Mais il n’est pas indifférent de demander à Photius (-f- 891)une synthèse delà tradition grecque. Nous traduirons Hergenrokthkr, PhotiuSft. 111, p. 572-575, Kegenshurg, 1869 :

« Piiotius ne connaît pas de prédestination sans égard aux mérites de l’homme et à la prescience divine. Cela ressort d’assertions nombreuses. Il dit, par exemple, après Théodoret : « Comme Jacob engendra le peuple, ainsi Dieu engendre, par un enfantement spirituel, le peuple nouveau et lui donne part de la bénédiction ; — non à tous, niais à ceux qui s’en sont rendus dignes Jacob donne sa bénédiction à ses fils sans partialité : il laisse leurs propres mérites décider du partage de la bénédiction. « Ailleurs il s’exprime ainsi : « La béatitude se rapporte dans l’Ecriture, surtout dans l’Evangile, non pas à une nécessité inéluctable, mais au libre cboixdu meilleur. » LeSauveur, énumérant plusieurs béatitudes, n’en accorde aucune aux choses dont décide le sort, le hasard ; il les rapporte toutes à ceux qui portent des fruits de verlu et croissent par leur propre choix. Et encore : « Dieu a préparé des vases de miséricorde pour l’honneur, comme étant celui qui les connaît d’avance et sait qu’ils pratiqueront la vertu. » Plus loin : « Nous obtiendrons sûrement le salut de Dieu, pourvu que nous le voulions. » Sur II Cor., v, ao, il note : « Il nous faut être obéissants, autant qu’il dépend de nous, sous peine de perdre et de profaner cet amour et cette bonté ineffables dont nous avons été favorisés. Paul demande au nom du Christ que nous ne rendions pas stérile, de notre part, une si grande grâce. »

« Partout les doctrines saillantes des Grecs sont fortement marquées. 1. Dieu ne contraint personne au bien ni au mal, mais laisse à chacun sa liberté. Le libre arbitre de l’homme n’est jamais violenté par Dieu ni supprimé par l’efficacité de sa grâce, a. Aussi la grâce de Dieu n’est-elle pas irrésistible, l’homme peut l’accepter ou la repousser ; tout dépend de son consentement. 3. Iln’y a pas de prédestination divine au mal, et celui-là seulest damné, qui ne veut pas être sauvé. En somme, il n’y a pas de prédestination (npoopn/j.iç) absolue avant la prévision des mérites ; la prédestination n’est rien d’autre que le décret de Dieu par lequel il a prédestiné à chacun, selon sa prescience (npo’yvwaiç) la récompense ou le châtiment. 4. Dieu prévoit nos actes libres, il ne les prédestine pas ; la prescience divine s'étend à tout, rnaisnonpas sa prédestination. Jacob fut honoré, Esaù châtié parce que Dieu, devant qui tous les secrets et toutes les pensées sont découverts, sait exactement qui mérite récompense et qui mérite châtiment. 5. Dieu veut, de soi, le salut de tous (I Tim., 11, 4), il veut que tous soient heureux et que nul ne se perde(volonté antécédente) ; mais en prévision des actions des hommes, il veut, d’après sa justice, que ceux qui n’usent pas convenablement de la grâce et persévèrent dans le mal, subissent un châtiment ; que ceux qui réellement veulent être heureux et coopèrent à la grâce

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obtiennent le salut (volonté conséquente). Cyrille d’Alexandrie explique le texte : « Le royaume de Dieu est en vous » (Luc, xvii, 21). connue il suit : « Il dépend île vos propres déterminations, il est en votre puissance, de parvenir au royaume des eieux L’opposition à la doctrine calviniste et janséniste est donc extrêmement prononcée dans la théolqg grecque. Ainsi Mat., xx, 16, est expliqué en ce sens que l’appel (divin) ne Bufflt pas, sans la libre volonté de l’homme et son effort. De Dieu, il est dit qu’il a toujours égard à la liberté de l’homme, s’y réfère toujours dans ses conseils et ses actes libres. Il sait tout avant l'événement, dès l'éternité, non depuis peu, non par des signes et des conjectures sur l’avenir, mais par le privilège de son ineffable puissance, connaissant l’issue de toute chose ; il prévoit, pour ainsi dire, de ses yeux l’avenir, et d’après sa prévoyance, prononce par avance ses jugements. Le itpoopîÇitv ru rffc xpheus répond au îtpoopa » t « néiïovra ; les arrêts de sa justice sont portés xaT&JUïj/wç roii npee/vurwénoti. On retrouve ces principes dans le commentaire de liom., ix, II… »

VI. Saint Thomas d’Aquin. — Saint Thomas, théoricien de la prédestination, opère la fusion entre la conception augustinienue de la prédestination totale et la considération damascénienne des deux volontés antécédente etconséqnente. Par cette fusion de la pensée latine et de la pensée grecque, il produit un tout achevé. Avec saint Augustin, il enseigne que la prédestination totale est un don de Dieu, entièrement gratuit ; que d’ailleurs l’objet du décret divin comporte une harmonie interne et un lien essentiel entre les bonnes œuvres, cause méritoire de la grâce, et le don suprême de la gloire ; que pareillement le décret de réprobation comporte un lien essentiel entre les œuvres mauvaises et la privation de la gloire. Ce lien préexiste dans la pensée divine, avant d'être l’objet d’une volonté positive. Avec saint Jean Damascène, il enseigne que Dieu veut d’une volonté antécédente et conditionnelle le salut de tous leshommes ; d’une volonté conséquente et absolue, le salut des seuls prédestinés. Cette distinction fait la pleine lumière sur l’universalité de la volonté salvifique, demeurée obscure chez saint Augustin.

Saint Thomas conçoit la prédestination comme un dessein éternel dont la réalisation conduit la créature raisonnable jusqu'à sa un surnaturelle ; comme une trajectoire idéale qui s’achèveen Dieu, I a, q.a3, a. 1 : Ad illud ad quod non potest aliquid virtute suie naturæ pervenire, oportet quod ab alio transmittatur ; sicut sagitta a s agit tante mittitur ad signum, Unde, proprie loquendo, rationalis creatura, quae est enpax vitæ aeternae, perducitur in ipsam, quasi a Deo transiiiis.su. Cuius quidem transmissionis ratio in Deo præexistit, -ient et in eo est ratio ordinis omnium in finem, quam diximus esseprovidentiam… l’nde ratio prædictæ transmissionis creaturæ rationalis in finem vitæ aeternae, prædestfnatio nominatur. Par où l’on voit que la prédestination fait partie de la divine Providence.

Elle est, par essence, un libre décret divin. C’est donc en Dieu qu’il faut la chercher. D’ailleurs elle se réalise hors de Dieu par la direction qu’elle imprime à la créature. Saint Paul a en vue cette réalisation, Itom., viii, 30 (Ib., art. ?.).

Or il appartient à une providence universelle de permettre quelques défaillances au regard des lins particulières, pour attendre la un de l’ensemble (Voir I », q. 22, art. 2). C’est en vertu de ce principe, que la divine Providence laisse quelques individus déchoir librement de leur fin. Ceux-là ne sont point

prédestinés, mais réprouvés en considération de leur libre déchéance (q. 23, art. 3).

Le choix qui discerne les prédestinés procède de l’amour divin. Pourquoi il se porte sur ceux-ci plutôt que sur ceux-là, c’est un mystère impénétrable à la raison humaine. Nous n’avons pas à demander à Dieu compte de ses prédilections. Il nous suffit de savoir qu’il veut, d’une volonté antécédente et conditionnée, le salut de tous les hommes, encore qu’il veuille, d’une volonté co séquente et absolue, le salut des seuls prédestinés (art. 4) « 

Il ne faut pas chercher à la volonté divine un motif hors d’elle-même : elle-même est son propre motif. D’ailleurs l'économie interne du vouloir divin n’exclut pas, entre les objets partiels de ce vouloir, une hiérarchie de lin et de moyens : ainsi Dieu proportionne la gloire au mérite, et en vue du mérite il dispense la grâce. La grâce est quelquefois frustrée : la nature des choses veut cela. Mais Dieu ne saurait être définitivement frustré : sa perfection infinie pourra ne pas resplendir dans la glorification d’un élu, mais alors elle resplendira dans le châtiment d’un coupable (art. 5).

La prédestination divine atteint sûrement et infailliblement son but, sans détriment de la liberté humaine, qu’elle ne violente pas, mais qu’au contraire elle consacre (art. 6). Dieu prédesline librement ceux qu’il prédestine ; d’ailleurs la prédestination, une fois posée, est infaillible, quant au nombre et quant à la désignation des personnes (art.-). Ceux qu’un décret absolu a inscrits au Livre de vie n’en sauraient être elFacés ; mais ce décret comporte un ensemble de moyens providentiels, au nombre desquels peuvent figurer telles prières et tel ies bonnes œuvres : paroù l’on voit l’efficacité desprières etdes bonnesœuvres, pour conduire au saluteeux queDieu y prédesline (art. 8 et q. 24).

Toute cette conception est dominée par la subordination de la prédestination à la prescience ; saint Thomas dit expressément, III, q. i, art. 3 ad 4™ : Pracdestinatio præsupponit præscientiam faturorum ; et ideo, sicut De us prædeslinat salutem alicuius hominis per orationes aliorum implendam, ita etiani prædestinavit opus Incarnationisin remediurn peccati.

Cet ordre n’est pas indifférent. Saint Thomas y revient perpétuellement ; ainsi, l a, q. 23, a. 3 ; Sicut pracdestinatio est pars providentiæ respecta eorum qui divinitus ordinaniur in aeternam salutem, ita reprobatio est pars providentiæ respecta illorum qui ab hoc fine décidant. Unde reprobatio non nominat præscientiam tantum, sed aliquid addit secundum rationem, sicut et providentia. — Quodlib., xi, a. 3 : Prædestinatio certitadinem habet, et tamen necessitatem non imponit. In prædestinatione enim tria sunt consideranda ; quorum duo præsupponit ipsa prædestinatio, se. præscientiam l)ci et dilectionem, i.e. voluntatem qua vult prædestinatum salvari.Ct. encore In I d., 3g, q. 2, a. 1 et ad i™ ; a.a ; d., 40, q. 4, a. 1 ; De verit., q. vi, a. 2 ; In liom., viii, 1. vi ; etc. Par où l’on voit clairement qu’il ne faut pas songer à expliquer la doctrine de saint Thomas sur la prédestination sans la considération d’une science logiquement antécédente au décret prédestinant.

Le point de vue augustinien de la prédestination totale — in commuai — est maintenu avec rigueur par saint Thomas, dans toutes ses œuvres, soit exégétiques soit théologiques ; voir par exemple In Rom., vin, lect. vi ; In Eph., 1, lect. 1 ; In I d., l^o, q. i, a. 2 ; De veritate, q. vi, a. 1 ; Quodlib. xii, a. 3 ; I a, q. a3, a. 1 et 5. La distinction damascénienne des deux volontés revient a, ussi constamment, comme une pièce essentielle du système ; par exemple In 1 Tint., ii, 229

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lect. i ; /’il d., 46, q. i, a. i ; 47, q. i, a. i ; De vent., q. xxiii, a. a ; I*, q. ig, a. 6 ; q. Ï5, a. 4 ad 3™. Entre ces deux volontés, la ligne de démarcation est tracée par la prévision du péché de l’homme. D’une volonté antécédente à la prévision du péché, Dieu veut le salut de tousles hommes ; d’une volonté conséquente, il décide que plusieurs seront damnés.

Il importe beaucoup de remarquer que la distinction des deux volontés antécédente et conséquente, empruntée à saint Jean Dainascène par saint Thomas et appliquée par lui à la considération de la volonté salvilique, est essentiellement relative au fait nouveau du péché, et n’offre aucun sens plausible en dehors de cette hypothèse. Pour saint Jean Damascène, la chose ne fait aucun doute, d’après les textes que nous avons cités. Il n’en va pas autrement de saint Thomas, qui emprunte expressément cette distinction au Damascène (la, q. 19, a. 6 ad i m ; De vent, q. xxiii, a. 1 etc.), sans lui faire subir aucune retouche Quand il dit que Dieu veut, d’une volonté antécédente, le salut de tous les hommes, et d’une volonté conséquente la damnation de certains pécheurs, cette proposition n’offre aucun sens sinon en considération du péché qui s’est interposé devant la volonté salvilique et provoque l’intervention de la justice vindicative. La manifestation de la justice vindicative n’est pas une lin que Dieu poursuive antéeédeinment à la considération du péché et en vue de laquelle il permettrait le péché. Mais le péché vient à traverser le dessein salvilique, et pour réparer le dommage qu’il cause, la justice vindicative entre en scène. Il est impossible de trouver un autre sens dans le texte de saint Thomas, I>i, q. 19, art. 6 : l’iuirnquodque, secundum quod est ùonum, sic est volitum a Deo. Aliquid autem potest esse in prima siti consitione, secundum (jiiocl absolute consideratttr, bonum vel malum, quod tamen prout cum aliquo , rti> consideratur, quæ est consequens consideratio fins, e contrario se kabet. Sicut hominem vivere est bonum, et hominem occidi est malum, secundum absolutam consideralionem. Sed si addatur circa cliquent hominem quod sit homicida velvivens in périculum multttudinisysic bonum est euni occidi, et malum uni vivere. Unde potest dici quod index iustus anlecedenter vultomnem hominem vivere, sed conséquente r vult liomicidam suspendi. Similiter Deus antecedenter vult omnem hominem salvari ; sed conséquente )- vult quosdam damnari, secundum exigentiarn suæ iustitiae. Absolument parlant, le salut universel du genre humain serait chose bonne, aussi est-i l pour Dieu l’objet d’une volonté antécédente. Mais à raison de cet adiunctum qu’est le fait humain du péché, il cesse d’être chose simplement bonne, et Dieu se rejette sur la damnation de certains pécheurs, comme sur un pis-aller, pourrait-on dire, qui résulte du t’ait de la liberté humaine ; ce pis-aller, inhérent à l’or. lie actuel de Providence, donnera satisfaction à la justice vindicative. La damnation du pécheur est pour Dieu l’objet d’une volonté conséquente, elle ne saurait être l’objet d’une volonté antécédente à la permission du péché.

La prédestination présuppose la prescience des mérites, ou plutôt la renfermecomme élément essentiel, et y ajoute la préparation positive des moyens, rit., q. VI, a. 3… Prædestinatio… præscientiam includit, et habitudinem cattsæ ad ea quorum addtt, m quantum est directio sive prueparatio muædam. D’ailleurs il ne peut être question de prénation totale propter prævisa mérita, car la Volonté divine, qui prédestine les élus, n’a pas de raison hors d’elle-même, ! , q. a3, a.5 : … Impossibileest quod totus prædestinationis effectus in communi hai’-at aliquam causam ex parte nostra ; quia quidquid

est in homine ordinans ipsum in salulem, totum comprehen ! tur sub e/jectit prædestinationis, etiam ipsa præpa ratio ad gratiam. Saint Thomas ne parle expressément ni de prædestinatio post prævisa mentit ni de prædestinatio ante prævisa mérita. Le point de vue de la prédestination totale déborde le point de vue de la prévision des mérites, puisqu’il le présuppose et y ajoute une préparation positive. On pourrait parler de prædestinatio cum prævisis meritis car le décretde prédestination a précisément pour objet de procurer tels mérites et, comme corollaire, telle récompense. C’est ce qu’enseigne saint Thomas quand il parle de l’elfet de la prédestination considéré in particulari, ibid. : Sic nihil prokibet aliquem effectum prædestinationis esse causam et rationem alterius : posteriorem quidem prioris, secundum rationem causæ finalts ; priorem vero posterioris, secundum rationem causæ meritoriae, quae reducitur ad dispositionem materiæ ; sicut si dicamus quod Deus præordinavit se daturum alicui °loriam ex mentis, et quod præordinavit se daturum alicui gratiam ut mereretur gloriam,

La q. vi De verit., a. 3, insiste sur le choix particulièrement attentif des moyens par lesquels Dieu assure la persévérance de ses élus ou répare leurs défaillances. Liberum enim arbitrium de/icerc potest a salutc ; ta : ien in eo quem Deus prædestinat, lot alia adminicula præparat, quod vel non cudut, vel, si cadut, quod 1 esurgat : sicut exhortationes et su/f’ragia oratio-itini, donum gratiae, et alia kuiusmodi, quibus Deus adminiculatur ho mini ad salutem.

La prédestination demeure un pur don de Dieu, qui d’ailleurs exige la coopération de l’homme. La réprobation est un juste jugement de Dieu, qui abandonne l’homme à son sens réprouvé. Quant au discernement qu’opère Dieu, prédestinant les uns, réprouvant les autres, on n’en peut assigner d’autre cause que la volonté divine, enseigne saint Thomas après saint Augustin, la, q. a3, a. 5 ad 3m.

On trouvera un commentaire profond des textes de saint Thomas relatifs à la prédestination, dans l’ouvrage du P. Db San, Tractutus de Deo uno, t. II, c. xii, intitulé : De mente S. Thomæ circa ordinem inter præscientiam meritorum et prædestinationem ; p. 21 5-384 (Louvain, 1897). — Il existe une monographie due à E. C. Lesskrteur : Saint Thomas et la Prédestination, Paris, 1888 ; fort utile en somme, nonobstant quelques détails imprécis ou inexacts.

VII. De saint Thomas d’Aquin au Concile de Trente. — Reprenant et achevant un développemcnlesquissépar Alexandkb de Halès( Somma, q.28, m. 3, art. 1, éd. Venetiis 1675, t. I, p. 82), saint Bonaventoke (In /d., ^i, a. 1, q. 1) distingue dans la prédestination trois éléments : le dessein éternel de Dieu, le don temporel de la grâce, la gloriiication du juste ; dans la réprobation trois éléments aussi : le dessein éternel de Dieu, l’endurcissement temporel du pécheur, sa damnation. De ces trois éléments, le premier est tout divin. Le second est divin aussi dans le cas de la prédestination : tout ce que peut l’homme, c’est se disposer négativement et improprement {ex congruo)k la grâce ; dans le cas de réprobation au contraire, il est tout humain : c’est l’homme qui se dérobe aux poursuites de la grâce. Quant au troisième élément, il tombe sous le mérite ou le démérite : Dieu récompense le mérite par le don de la gloire, il punit le démérite par la damnation. On voit que, selon la pensée d’Alexandre et de saint Bonaventure, la prévision du mérite ou du démérite devance toute sentence formelle de glorification ou de damnation : poena et gloria simpliciter cadunl sub merito. 231

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Au contraire, Scot distingue énergiquement le cas de la prédestination du cas de la réprobation. Il ne veut pas entendre parler de prédestination à la gloire post prævisa mérita, parce que Dieu, qui veut tout avec ordre, doit vouloir la fin, c’est-à-dire la gloire, avant les moyens, c’est-à-dire les mérites, Par ailleurs, il admet la réprobation past prævisa démérita. In l d., l, q. « ">’i, éd. Paris, 1898, l. X, p. 697 : Prædestinationis nulla est ratio etiam ex parle prædeslinati aliquo modo prior isla prædesttnatiune ; reprobatioms tamen est aliqua causa, non quidem projiter quam Deus effective reprobat, in quantum est actiu a Duo…, sed propterquam ista actio sic lerminetur ad isiud objectant et non a I aliud.

Au xiii siècle, le prédestinatianisme avait reparu dans les écoles théologiques, avec l’appui de la philosophie averroïste, et revêtu la l’orme d’un déterminisme panthéiste. Averroès (Mm Hoshd, né à Cordoue, l’an Ô20 de l’hégire) ne s’était détaché du fatalisme musulman, qui opprimait tout sous la Cause première, que pour se réfugier dans le déterminisme des causes secondes. La citation suivante caractérise l’esprit de son école.

La prédestination est la plus difficile des questions religieuses. Dans le Ko ru a, on trouve des passages qui paraissent dire clairement que tout est prédestiné, et d’autres qui attribuent ù l’homme une participation dans se-, œuvres. De même la philosophie paraît s’opposer d’un côté à ce que Dons regardions l’homme comme l’auteur absolu de ses œuvres, car elles seruient alors eu quelque sorte une création indépendante de la cause première ou de Dieu, ce que la philosophie ne saurait admettre ; de l’autre côté, si nous admettions que l’homme est poussé à tout ce qu’il fait par certaines lois immuables, par une fatalité contre laquelle il ne peut rien, tous les travaux de l’homme, tous ses efforts pour produire le bien, seraient chose inutile. Mais la érité e.-t dans le juste milieu entre les deux opinions extrêmes ; nos actions dépendent en partie de noire libre arbitre et en parte de certaines causes qui sont en dehors de nous. Nous sommes libres de vouloir agir de telle manière ou de telle autre ; mais notre volonté sera toujours déterminée par quelque cause extérieure. Si pur exemple nous voyons quelque chose qui nous plaise, nous y serons attirés malgré nous. Notre volonté sera donc toujours liée par les causes extérieures. Ces causes existent par un certain ordre des choses qui resle toujours le même et qui est fondé sur les lois générales de la nature. Dieu seul en connaît d’avance l’enchaînement nécessaire, qui pour nous est un mystère ; le rapport de notre volonté aux causes extérieures es ! bien déterminé par les lois naturelles, et c’est là ce que, dans la doctrine religieuse, on a appelé gada w’al qadr (S. Munk, Mélanges de Philosophie juive et arabe, Paris, 1859, p. 467, 458). Cette dernière définition est d’autant plus remarquable qu’Ihn Hoshd était pour son temps un libre penseur. Quand Averroès mourut, en 111)8, la philosophie arabe perdit en lui son dernier représentant, et le ti iomphe du Coran sur la libre pensée fut assuré pour au moins six cents ans » (Ernest Kenu : i, Averroès et V Averrotsme, Puris, 1881, p. 2).

(A. dr Vlirqbr, Kitàb al Qadr. Matériaux pour servir à l’étude de la doctrine de la prédestination dans la théologie musulmane, p. 92, 93. Leyde, igo3)

Le déterminisme panthéiste d’Averroès eut pour principal propagateur à Paris Sigru db Hha.ha.nt. Parmi les 1 3 propositions averroïstes condamnées le 10 décembre par Etienne Tempier, évêque de Paris, les prop. 3./|.g appartiennent à ce courant d’idées. On en trouve un plus grand nombre parmi les a 19 propositions condamnées le 18, janvier 1377 par le même prélat. Voir Dbniflk et Ciiatblain, Ckartnlarium Universitatis Parisiensis, t. I, p. / t 86 sqq., 543 sqq., Paris, 1889 ; Mandonnrt, Siger de Brabant et l’averrotsme latin au xni* siècle, Fribourg (Suisse), 1899.

Au xiv* siècle, Thomas Buadwardinb, théolo gien d’Oxford (7 Archevêque de Canterbury, 1 3^9), se crut appelé à prendre en main la cause de Dieu contre les l’élagiens de son temps. Il revendique L’universelle eflicæité de la Cause première dans un ouvrage intitulé : De causa Dei contra Pelagium et de virlnle causarum Libri III, Londini, 1618, fol. Certaines de ses propositions sonnent étrangement ; par exemple 1. I, c. xxxiii, intitulé : Quod 1 es ectu cuiuscumque est Dei permissio, est et dus volitio actualis, il conclut, p. 294 : Videtur quod Deus non quicr/uid vult, permittit. lmo, quicquid permi

quocuatque, vult illud fi cri ah code m. Et c.xxxiv, intIl Il lé : .Si et quomodo Deus vult et non vult peccatum, il écrit, p. -29’, : JJeus voluntarie providet attjue facit omnia opéra voluntarïa tam mata quam bona, cum omnibus suis circuinstantiis, positivis…, quæ uecessario peccatum important. D’après cette conception si concrète de l’universelle causalité divine, on ne s’étonnera pas de L’entendre, dans la matière de la prédestination, c. xlv, p. 421, reprendre les foi mules les plus hardies de saint Anselme sur la prédestination des créatures libres aux aeies soit bons soit mauvais. Mais il aboutit à des conséquences que saint Anselme eût désavouées, quand il admet la répiobation antécédente à la prévision des démérites, ibid., p. 4’jà’Reprobaiio non est propter opéra l’attira ; ergo née prædestinatio.

Un tel courant de pensée favorisait des erreurs que l’Eglise ne tarda pas à réprouver.

La distinction, classique dans l’Ecole, de deux volontés en Dieu, l’une positive, l’autre simplement permissive, suflisait à démasquer l’erreur quiétiste de Jean Ekard (prop. 14 condamnée par Jean XXII, 27 mars 132g ; l>.B., b ! [4-’|iJ), el le déterminisme de Wiglbf : Omnia de necessitate absolula éventant (prop. 27 condamnée par le concile de Consiance, 27 fév. 1 /| 1 8 ; D. rt., 607 [503]).

Dans l’ecclésiologie de Wiclef et plus tard dans celle de Jean Hus, l’idée de prédestination avait usurpé un rôle contre lequel protesta le Concile de Constance, 22 févr. i/|18. Au dire de ces hérétiques, les réprouvés n’ont jamais été membres de l’Eglise. Wiclef en concluait que la prière d’un réprouvé n’a jamais eu de valeur (levant Dieu (prop. 26, />. />'., 609 [502]) ; Uns, que L’Eglise, assemblée des prédestinés, ne saurait perdre aucun des membres qui lui ont une fois appartenu (prop. 1. 2. 3.5.6, D. B., 627-639 ; 631-633 [5aa-5a4 ; 526-527]). — Dans la langue de ces hérétiques, les réprouvés, par opposition aux pi aedeslinati, s’appellent præsciti.

Ces tendances de Wiclef et de Hus devaient achever de s’épanouir dans la Réforme.

Guillaume d’Oceah (O. M., -j- 1 3/J7), après avoir posé comme certain que nul n’est réprouvé sinon à cause de ses fautes prévues, raisonne a pari sur le cas du prédestiné. Il croit pouvoir admettre en thèse générale que les mérites prévus sont cause de la prédestination, mais il introduit une distinction inattendue. Si les élus en général sont prédestinés à raison de leurs mérites prévus, quelques-uns, telle la Sainte Vierge, sont prédestinés indépendamment de tout mérite, par une grâce très spéciale qui les empêche de pécher et de se perdre. Super IV libros Sententiarum, I, d. xli, Lugduni, 140, 5.

Mieux inspiré, l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ réédite la doctrine traditionnelle sur la gratuite de la prédestination divine III, lviii, 3. l et passim). Mais il détourne les tidèles de toute vaine recherche sur les jugements de Dieu. Il insiste sur les divines prévenances de la grâce III, xxxiv, liii-lv) et sur la sécurité de ceux qui correspondent à la grâce. Ainsi I, xxv, 2 : « Quelqu’un flottait souvent anxieux entre la crainte et l’espérance. Un jour, 233

PRÉDESTINATION

234

accablé de tristesse, ile prosterna en prière dans evant un autel, et repassait en lui-même

en disant : « Oh ! si je savais que je dusse persévérer 1 « Aussitôt il entendit intérieurete divine réponse : Si tu le savais, que lu faire ? Fois maintenant ce que tu voudrais faire alors, et tn goûteras une grande paix. » Aussitôt consolé et fortifié, il s’abandonna à la volonté di ! Dieu, et ses fluctuations anxieuses cessèrent. Il s’abstint de rechercher curieusement ce qui lui devait advenir ; il s’appliqua plutôt à reconnaître le laisirde I) eu et sa parfaite volonté, pour entreprendre et parfaire tonte lionne œuvre »

Nicolas k Miuabilibos, O. P., qui prêchait en Hongrie à la lin (lu xv = siècle, conseille aux simples de ne pas se plonger dans les arcanes de la prédestination : il doit leur su (lire de savoir que, s’ils vivent bien. nveront. A l’usage des doctes, il éla bore un essai d’explication, où il combine l’enseignement de saint Thomas, sur la gratuité totale de la prédestination, avec les considérations de Pierre lis O. S. F. (’1 3 > -. ».), tendant à montrer la volonté humaine cause négative de la prédestination

— en ce sens que, p nr être p >' destiné, l’homme doit ne pas mettre d’obstacle final à la grâce divine. Tel est le fond du traité sur In Prédestination, composé par Nicolas en 1 4 » ^ -, publié tout récemment par C. Jellouschek O. S. B., Vienne, 1918.

Dans son Chrytopassus (Augustæ Vindelicorum, 1514, fol.), le théologien catholique Eckius (Mans Maier) passe en revue l’enseignement des écoles sur la prédestination. En négligeant beaucoup de nuan-il distingue trois courants de doctrine, deux courants extrêmes et un courant moyen. Saint Thomas est le plus grand nom du premier courant extrême, qui explique soit la prédestination, soit la réprobation, sans recourir à aucune considération prise hors de Dieu. Saint Bonaventure est le plus grand nom du second courant extrême, qui prend en considération les mérites ou démérites de la créature pour expliquer soit la prédestination, soit la réprobation. Duns Scot est le grand nom du courant moyen, qui l’ait intervenir la considération des actes de la créature pour expliquer la réprobation, mais non pour expliquer la prédestination. Personnellement, Eckius s’attache à la solution de saint Bonaventure : c’est donc un théologien de la prédestination post rae-’isa mérita et de la réprobation post præiisa démérita. Il sera bientôt l’un des plus notables contradicteurs de Luther.

Diukoo, théologien de Louvain (-J- 1 535), dans son ouvrage posthume De concordia lihcri arbitrii et prædestinationis divinæ (Lovanii, j 537, 4°) » trace avec beaucoup de fermeté la voie de la doctrine catholique contre les erreurs extrêmes. Il discute, d’après saint Augustin, l’assertion scripturaire de la volonté salvifique, p. 66-68. Il marque, d’après saint Thomas, comment il n’y a pas de cause de la prédestination comme telle, mais comment il y a des relations de cause à effet dans l’objet de la prédestination, p. 86. Sur le rôle de la prescience dans la prédestination et la réprobation, il s’exprime ainsi, p. ioi-io3 : La prescience des mérites ne peut être la raison de la prédestination, car les mérites de l’homme sont eux-mêmes unefTet de la prédestination divine. Mais la prescience des péchés peut être la raison de la réprobation — si l’on entend par réprobation la volonté divined’ibandonner l’homme pécheur et de le livrer à la damnation. En effet, les péchés sont de l’homme, non de Dieu ; aussi peuvent-ils être cause que Dieu veut abandonner le pécheur et ne pas lui conférer la grâce, mais l’exclure du royaume des cieux etlelivrer à la damnation. Cette volonté divine

n’appartient pas à la directe et première Intention de Dieu créant la nature humaine, mais elle appartient à l’intention de Dieu châtiant le péché. Par la on concilie les textes scripluraires qui présentent In damnation du pécheur tantôt comme l’effet d’un bon plaisir divin, et tantôt comme l’effet de la justice vindicative. Les premiers se réfèrent à la volonté divine qui permet le péché, les seconds à la volonté divine qui le châtie. Dans cette perspective, l’exercice du libre arbitre humain apparaît conciliablc avec Llnfaillibleemoæilé delà prédestination divine, p. 1 36.

Dans le Commentaire du cardinal Cajetan, O. P. (t l534), sur la Somme tkéologique, nous soulignerons deux développements : i u Il précise le rôle de la prescience divine dans la prédestination ; a il analyse avec soin le motif de la réprobation.

i° Quanta laprescience divine, Cajetan fait observer, In q a3, art. i, une dilférence notable entre l’enseignement de saint Thomas et celui d’autres docteurs, tels que Scot, In Id., l. Pour ces auteurs, la prédestination est proprement affaire de choix, et donc de volonté. Pour saint Thomas, elle est d’abord a lia ire d’intelligence, comme la Providence en général. L’intelligence montre d’abord les voies ; ultérieurement le choix de la volonté divine fixe, par préférence, telles voies. Divinus intellectus, nostro more loquendo, primo excogitavit ordinetn eligendorum ac mittendorum in vitam aeternam, eunujue suæ voluntati proposait acceptandum ; deinde libère sua voluntas illum ordinem exequenc /nm elegit, et sic tertio ordo qui pn’us, i. e. seeundum se, rationem e.rcogitati liubebat, modo liabet rationem statuti. Diversitas igitur opinionum in hoc consistit quod illi ipsam electionem, quæ ordinem illum excogitatum ac proposition statuit, prædestinationis nomine intelhgendam dicunt ; nos auiemnon ordinem excogitatum, sed ordinem statutum in ipsa auctoris meute prædestinationis nomine significamus .

2° Le motif de la réprobation diffère essentiellement du motif de la prédestination ; car le motif de la prédestination est fait tout entier de bon plaisir divin, au contraire le motif de la réprobation est fait de justice vindicative. C’est pourquoi il renferme la prescience du démérite de la créature. D’ailleurs la permission du péché rentre dans l’objet matériel du décret de réprobation ; l’œuvre de la justice vindicative intervient ultérieurement, non comme voulue pour soi, mais comme voulue en conséquence du péché. In q. >3, art. 5 : Cum relucentia divinæ bonitutis, in iustitia piniitiva, finis et ratio teprobationis in littera dicitur, référendum est <id ipsos effectua reprobationis, se. permis sionem peccatorum et poenas culpæ præparatas ce/ rééditas, et non quoad peccatum… Non enim dicimusquod ideo De us permitlit peccata ut puniat, sed dicimus quod permittit, et punit propler relucehtiam iustitiæ suæ ; et quia hoc est totus reprobationis effectua, ideirco reprobationis ratio divina iustitia merito dicitur. En d’autres termes, la manifestation de la justice vindicative est le ressort intérieur de la réprobation. Mais elle n’est pas un but poursuivi pour lui-même. Seul, le but de la grâce miséricordieuse est poursuivi pour lui-même ; et cette poursuite a pour corollaire accidentel la réprobation de ceux qui se dérobent aux avances de la grâce miséricordieuse, car il importe à la suavité du gouvernement divin de ne pas plier toutes les volontés à un dessein uniforme : multænim suavitasregiminis deperiret, sipermissic non esset licita. C’est ainsi que Cajetan explique saint Thomas. 235

PREDESTINATION

230

VIII. Réforme- Baïanisme et Jansénisme. — Par sa doctrine du serf arbitre, Luthbr avait entièrement déformé le dogme de la Prédestination (Prop. 36 condamnée par Léon X. Bulle Ex&urge Domine, 15 juin IÔ2 1, D. II., 776 [660]). Une partie des Réformateurs le suivit dans oette voie ; d’autres s’évadèrent, à l’exemple de Mélanchtbon, que la controverse de Luther avec Erasme avait désabusé. Aussi, dans les principaux documents de la Réforme luthérienne, dus pour une part à la plume de Mélanchllion, le fatalisme initial est-il largement pallié par les perspectives attrayantes de la justification offerte à la foi. Il en est encore ainsi dans la Formula Concordiæ de 1579, I a pars, c. XI. Quelques indications utiles sont fournies par l’écrit (protestant ) de Alpb. Evard, Etude sur les variations du dogme delà Prédestination et du libre arbitre dans la théologie de Mélanchthon. Laval, 1901.

Chez Calvin au contraire, la doctrine de la prédestination, soit au salut soit à la damnation, par le seul bon plaisir divin, s’affirme avec la plus extrême crudité. La toute-puissance souveraine fixe a priori la destinée de chaque homme. Dieu ayant déterminé, dans ses conseils éternels, quels hommes il créait pour le salut et quels pour la damnation, il ypousselesuns etles autres infailliblement.

Institution de la religion chrétienne, 1. III, c. xxi, 5, éd. Genève. 1888. p. 4a8 B : Quiconque voudra estre tenu pour homme craignant Dieu, n’osera pas simplement nier la perdestinalinn, par laquelle Dieu en a ordonné aucuns a salut, et assigné les autres à damnation éternelle : mais plusieurs l’enveloppent par diverses cavillations, et sur t us ceux qui la veulent fonder sur sa prescience. Or nous dirons bien qu’il prévoit toutes choses comme il les dispose : mais c’est tout confondre.de dire que Dieu élit ou rejette selon qu’il prévoit cecy et cela. Quand nous attribuons une prescience à Dieu, nous signifions.[ue toutes choses onttou]ours esté et demeurent éternellement en son regard, tellement qu’il n’y a rien de futur ni de passé à sa cognoissance : mais toutes choses lui sont présentes, et tellement présentes qu’il ne les imagine point par quelques espèces, ainsi que les choses que nous avons on mémoire nous viennent quasi au-devant des youx par imaginations : mais il les voit et regarde à la vérité, comme si elles estoyent devant sa face. Nous dirons que cette prescience s’entend par tout le circuit du monde, el sur toutes créatures. Nous appelions prédestination : le conseil éternel de Dieu, par lequel il a detorminé ce qu’il voulait faire d’un chaque homme. Car il ne les crée p » s tous en pareille condition mais ordonne les uns à vie éternelle, les autres à éternelle damnation. Ainsi selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous dirons qu’il est prédestiné à mort ou à vie.

Ibid., 2, p. 431 B :

Nous disons donc, commel’Ecriture le montre évidemment, que Dieu a une fois décrété par son conseil éternel et immuable, lesquels il vouloit prondre à salut, et lesquels il

  • ouloit dévouer à perdition. Nous dirons que ce conseil,

quant aux esleus, est fondé en sa miséricorde sans aucun reg.ird de dignité humaine. Au contraire, que l’entrée de vie est forclose a tous ceux qu’il veut livrer en damnalion : et que cola se fait par son jugement occulte et incompréhensible, combien qu’il soit juste et équitable. Davantage, nous enseignons que la vocaton des esleus est comme un monstre et tesmoignage de leur élection. Pareillement que leur justification en est une autre marque et enseigne, jusqu’à ce qu’ils viennent en la gloire en laquelle gist l’accomplissement d’icelle. Or comme le Seigneur marque ceu qu’il a esleus, en les appelant et justifiant : aussi au contraire, en privant les reprouvez de la cognoissance de sa parnlle, ou de la sanctification de son Esprit, il demonstre par tel signe quelle sera leur fin, et quel jugement leur en préparé…

C’est la doctrine calviniste que vise particulièrement cet analhème du concile de Trente, sess. vi, can. 37 :

Si quis iustificationis gratiam non nisi prædestinalis ad vitam contingere di.rerit, relit/nos vero Omnes, qui vocantur, vocari quidem, sed grattant non

accipere, utpoie divina gratia prædestinatos ad malum, A. S.

La donnée calviniste devait subir, au cours des âges, mainte dégradation. Dès l’origine, le supralapsarisme fut souvent abandonné pour l’infralapsarisme. On appelle supralapsarisme cette doctrine de Calvin qui impute le discernement des prédestines et des réprouvés à un dessein divin antérieur à la prévision du péché originel ; imputer ce discernement à un décret divin postérieur à la prévision du péché originel, c’est glisser dans l’infralapsarisme. Ce dernier parti fut suivi par beaucoup de ceux qui d’ailleurs se réclamaient île Calvin. On le vit clairement lors des luttes retentissantes qui, à la fin du xvie siècle, dans l’Eglise réformée des Pays-Bas, mirent aux prises les « Remontrants », disciples de Jacques Arminius, avec les Calvinistes rigides groupés autour de Goniarus, et qui aboutirent à l’excommunication des Arminiens, lors du synode national de Dordrecht (1618/9). Les Arminiens étaient unanimes à rejeter, non seulement le supralapsarisme, mais l’infralapsarisme, et se rapprochaient de la doctrine catholique ; parmi les Gomaristes eux-mêmes, le supralapsarisme n’était pas professé universellement ; beaucoup s’en tenaient à l’infralapsarisme, et la question fut laissée ouverte dans les décrets de Dordrecht, auxquels l’Eglise réformée de France adhéra l’année suivante, lors du synode national de Charenton (1620). Voir, sur cette controverse, Th. Van Oitenrau, La doctrine delà prédestination dans l’Eglise réformée des Pays-Bas, jusqu’au synode national de Dordrecht. Louvain, 1906.

Le fatalisme de la Réforme se perpétue dans la doctrine de Baïus, telle qu’elle ressort des propositions suivantes, condamnées par saint Pis V (1 oct.

, 56 7> :

Prop. 3g : Quod voluntarie fit, etiamsi necessario

fiât, libère tamen fit.

40 : In omnibus suis actibus, peccator servit d o mina nt i cupiditati.

l : Is libertatis modus, qui est a necessitate, sublibertatis no mine non reperïlur in Scripturis, sed solum nomen libertatis a peccato.

65 : Noitnisi pelagiano errore admitti potest usus aliquis liberi arbitrii bonus, sivenon malus ; et gratiuc Ckristi iniuriam facit qui ita sentit et docet. Avec le fatalisme, la doctrine calviniste de la réprobation négative antécédente se perpétue dans le jansénisme. Témoin les 5 propositions tirées de VAugitstinus et condamnées par Innocent Xle31 mai 1 653. Il suffira de rappeler ici la 5e, qui nie l’universalité de la volonté salvifique.

Semipeltigianum est dicere Chrislum pro omnibus omnino hominibus moi t un m esse aut sanguinem fudisse.

Les 5 propositions tirées de YAuguslinus on tété reproduites ci-dessus àl’articlejANsfîNisMK.Voirencore, parmi les propositions condamnées par Alkxandrb VIII le 7 décembre 1690, la proposition 4, D. B., iag4 [116 1] ; parmi les propositions de Paschasf Quesnel condamnées par Clkmknt XI, Bulle Unigenilus, 8 sept. 1713, les prop. 1 2.13.30. 31.3a, D.B., 1 36a. 1 363.1380-1382(12a8.i 229.1230.1 a32), nous citerons : Prop. 30 : Omnes quos Deus vuli salvare per Christian salvantur infalltbiliter.

3a : Jésus Christus se morti tradidit ad Iiberandum pro semper suo sanguine primogenitos, i.e. electos, de manu angeli exlerminatoris.

Cette proposition sous-entend que le Christ est mort pour les seuls élus.

IX. Théologiens catholiques depuis le concile de Trente. — Depuis le concile de Trente, les écoles 237

1MIKDESTINATI0N

233

catholiques continuent d’agiter la question de la prédestination et se partagent sur la prédestination ante ou posl prævisa mérita. On sait déjà qu’au point de vue pnulinien de la prédestination à la grâce, saint Augustin avait substitué le point de vue global de la prédestination à la grâce et à la gloire. La période moderne est caractérisée par l’avènement d’un troisième point de vue : celui de la prédestination restreinte à la gloire. D’ailleurs, la réponse donnée à cette question comporte, dans un sens et dans l’autre, beaucoup de diversité ; elle ne peut fournir un principe sûr de classement. Pour introduire quelque peu d’ordre dans une histoire très confuse, nous ne voyons rien de mieux que de distinguer trois groupes :

I" Les théologiens appartenant à l’Ordre des Frères prêcheurs, qui forment un groupe assez homogène.

2° Les théologiens appartenant à la Compagnie de Jésus, qui forment un groupe moins homogène, marqué néanmoins par certains traits de famille.

3° Les autres théologiens, représentant les tendances les plus diverses,

i° Théologiens des Frères Prêcheurs

Ambroisb Catharin, O.P., évéque de Minorque ({ 1553), dans sa Sununa Doetrinac de Prædestinadonc (Rome, t550) tente des voies nouvelles et hasardeuses, où s’était déjà risqué Guillaume d’Ockam. Il reconnaît, d’après l’Ecriture, une classe, d’ailleurs peu nombreuse, de prédestinés au sens strict : ce sont les privilégiés de Dieu, mis par une providence spéciale à l’abri de tout risquepourle salut éternel. Quant au reste du genre humain, il admet que Dieu le pourvoit de grâces suffisantes, sans exercer sur lui aucune action décisive : assurément Dieu sait qui se sauvera et qui se damnera, mais en somme chacun ici-bas fait sa propre destinée. Calharin ne prétend s’enchaîner nia la pensée de saint Augustin ni à celle de saint Thomas ; c’est un excentrique dans l’école dominicaine.

En 1 55 1, durant une vacance du Concile de Trente, deux théologiens de ce concile, le P. PiERnu de Soto, O.P., et RuaroTafpkr, chancelier de l’université de Louvain, échangeaient, sur les controverses relatives à la grâce, des lettres qui nous ont clé conservées. Pierre de Soto se montrait ému de la tournure prise par la réaction contre les erreurs de Luther, et croyait voir renaître le pélagianisme. Il dénonçait, comme unfruit du pélagianisme, les doctrines qui cherchent dans la prévision des mérites ou des démérites une raison quelconque de la prédestination ou de la réprobation, et appelait de ses vœux une sentence conciliaire. Voici comment il s’exprimait à la fin de la seconde lettre : Ex errore Mo tribuente initium salut i s gratine, ronsummationem vero liber o arbitrio, orlum illum alium de pruedeslinatione et reprobatione, ., se. ex præscienlia usus gratiæ De uni prwparasse aliissupplicium, aliis præmium, certissimum semper habui ; etdolui quod talia in scholis permitterentur disputari tanqu im probabilia ; etputo valde pertinere ad Ecclesiam, ut Ma et similia damnentur

nalio. — -Correspondance publiée en appendice à i’ouvrage d’Antonin Reginald, O. P., Do mente 5.’"firihi Tridentini circa graliam scipsa efficacem,

xii. Antverpiae, 1706, fol. Pierre de Soto se montrait particulièrement sévère pour Dominique di Soto et pour Catharin.

Banrz, O. P. (-J- 1604), parlant de cette donnée commune que la prédestination etla réprobation dépendent de la Providence divine, urge le parallélisme de i es deux actes, de manière à les présenter pour ainsi dire de front, comme deux voies par lesquelles Dieu poursuit la manifestation de sa perfection infi nie. L’ordre inarqué par saint Thomas, entre l’acte d’intelligence et l’acte de volonté en Dieu, est interverti par Baftez, : chez saint Thomas, l’intelligence éclaire la voie, la volonté suit ; chez Ha nez, la volonté lixe d’abord le but et l’intelligence trace ensuite la voie, Scholastiea Commentai ta in / «’", Romæ 1584, In q. 23, art. 6, p. 403 C : Iteprobatio signifient aetuin intellectus fornialitcr, sed præsupponit actum voluntalis, Probatur. Quia iia se lialiet reprobatio respeetu reprobatorum sicut prædestinatio respeetu prædeslinatorum ; sed prædestinatio est ratio præerislens in Deo ordinis in finciii, ergo reprobatio est ratio ordinis reprobatorum in jincm intentum a Deo, se. ut ostendnt iustitiam vindicativam, ad r/uem fine m necessaria est permissio peecati et ordinal a a Deo et Lolita ad talent fine m. Inde reprobatio dicitur a s. Thoma pars providentiae, sicut prædestinatio. Quod autem p aesupponat actum voluntatis nostro modo intelligendi, sicut et prædestinatio, est manifestant. Est enim prius voluntas finis quant ratio mediorum ad finem. — Que l’on confronte cette conception avec celle de Cajetan, on sera frappé du contraste. Parmi les traits qui distinguent la conception de Bafiez, notons l’interversion des actes de l’intelligence et des actes de la volonté ; puis l’effacement de la volonté antécédente qui assignait pour lin à toute créature raisonnable la possession éternelle de Dieu. La manifestation de la justice vindicative vient au premier plan, comme un but poursuivi pour lui-même, et non plus comme une nécessité conséquente à la faute de l’homme.

Dioace Alvarez, O. P. (-j- 1 635), applique rigoureusement au problème de la prédestination le principe des prédéterminations bannésiennes. Tout procède d’une volonté antécédente, qui trouve son compte soit dans le salut des uns, soit dans la damnation des autres. Selon cette conception, la distinction mise par saint Jean Damascène et saint Thomas, entre deux volontés divines, l’une antécédente et l’autre conséquente au fait humain du péché, ne trouve plus d’emploi ; mais Alvarez la restaure en l’appliquant à un autre objet. Comme il introduit la considération d’une intention divine allant lout droit à faire reluire la justice vindicative et postulant par contrecoup la permission du péché, c’est par rapport à cette intention divine qu’il parlera de volonté antécédenteet conséquente. De auxi lis divinae gratiæ et kumani ai-bit, ii viribus Summa, Lugduni, 16 : 20, 1. IV.c.iv, 3, p. 03a : Dicendum est ergo quod voluntas Dei anteeedens est qiiæ fertur in obieclum aliquod absolute consideratum et secundum se. Dicitur autem huer oluntas anteeedens, non quia antecedat bonum velmalum uswn nostri arbitrii, utarbitrantur auclores primæ senlenliæ ; sed quia antecedil volunlatem qua J>eus fertur in obieclum consideratum cum aliquo adiunclo, quæ est consoquens et poslerior consideratio eius, ut docet.S. Thomas, I, q. 19, art. 6. Hoc non aliter probatur quant ex fundamentis positis et ex ips’i ver’iorum significatione. Si ergo considerelur salas reproborum secundum se et absolute, sic est a Deo volita ; si autem considerelur secundum quod habet adiunctam privationem aut carenliajn maioris boni, i’id boni universalis Providentiæ divinae, pulchritudinis universi, manifeslationis iuslitiæ divinæ in reprobis et maioris sp’enduns misericordiæ in electis. sic non est volila a Deo. Et secundum hoc asserimus quod voluntate conséquente Deus nouvel itomnes homines salvos fieri… — Nous avons cité (col. 229) le passage auquel Alvarez se réfère, et ne reconnaissons pas dans son commentaire l’adiuncium par rapport auquel saint Thomas parle de volonté antécédente et conséquente, et qui, sans doute possible, est proprement et immédiatement le fait humain du 239

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péché. Alvarez ajoute, pour couvrir sa conception nouvelle de la volonté conséquente, que la volonté conséquente peut tort bien coïncider avec la volonté antécédente, comme on le voit dans le cas des prédestinés. Cette assertion soulève une question de mots et une question de doctrine. On pourrait laisser passer la queslion de mois ; car, en soi, il ne répugne pas que la volonté divine, une et identique à elle-même, soit considérée antécédemment et conséquemment à un même terme qui ne l’affecte pas ; notons cependant que cette généralisation est contraire à l’usage constant de. saint Thomas, qui ne parle de volonté conséquente que) onr l’opposer à la volonté antécédente. Alvarez n’a pu citer qu’un exemple contraire, emprunté au Commentaire Jn Sententiaa, ad Annibaldum, I, d. Ui, q. un. art. 2 ad. i m ; mais cet écrit est aujourd’hui reconnu apocryphe (Voir Majtoonnrt, Des écrits authentiques de S. Thomas d’Aquin-, Fribourg (Suisse), 1910). La question de doctrine est plus sérieuse, car elle tit à une conception de la réprobation antécédente à la prévision de toute infidélité. Nous croyons que rien ne saurait être plus contraire à la pensée de saint Thomas, qui enseigne, I a, q. r ïi, art. 3 a Aliter se habet reprobatio in cautando quant prædestinatio.

La conception de Jkan de Saint Thomas, O. P. (~ 1 64 4). ressemble beaucoup à celle de Bafiez. Lui aussi croit trouver chez saint Thomas l’idée d’une réprobation négative antécédente, c’est-à-dire dune volonté divine qui, en permettant la faute et l’i m pénitence, prépare le châtiment éternel. In la’» q. a3, Disp. x, art. i 13, Cursus Theologici, t. II, p. 3go B, Lugduni. 1663 : Eligimus, iuxta D. 7 homæ mentent, reprobationem formaliter et essentialiter et adæquate dicere providentiam divinam circa ereaturas déficientes al> aeterna vita cum voluntate permittendi cul pam non remittendam et præparandi poenam non terminandam, ita quod reprobatio isla supponit permissionem illam culpae, sed præcedit et ordinat.

Billuart, O. P. (-j- 1757), atténue grandement les rigueurs de plusieurs de ses devanciers au sujet de la réprobation. Après avoir écarté, avec tous les catholiques, la réprobation positive au sens de Calvin, il écarte la réprobation négative au sens moliniste et au sens augustinien ; il écarte même la réprobation négative au sens des anciens thomistes, en déclarant qu’il l’estinn trop dure et n’en a pas trouvé trace chez S. Thomas. Cursus Theologiae, De /’eo, Dis]), ix, art. 9, § a éd. Paris, 1 83g, t. I, p. 4 r >4 A : Concertaiin nobis est cum quibusdam Thomistis 1 ui reponunt reprobationem negaticam tam angeh rum quam hominum in exclusione positiva a gloria tanquant a bénéficia indebito, sicque esse gratuitam et antr prævisa demnita. Ex hoc autan intentione excludendi positive a gloria volunt Deum progredi ad præparaiidum médium quo hær exelusio habeatur, se. permissionem peccati, quo prærisa, sir exclusis decernit aettrnam damnaiionis poenam, nempe. poenam sensus 1 1 poenam damni… Ita Alvarez, Salmanticenses, Joannes a S. Thoma, Gonet, Coutenson et alii. Nos vero huiusmodi reprobationem negativam non agnoscimus, cuius ne vestigium rep rimus in S. Thoma, conique duriorem arbitramur. Là-dessus, il expose sa propre conception de l probation négative, consistant dans une volonté simplement permissive du péché et de l’impéniti conception qui ne laisse pas d’être dure, puisqu’elle devance la prévision du démérite. Il appuie sur lea exigences de l’ordre universel l’intention que eut, de toute éternité, de laisser certains indh déchoir pour ne plus se relever. Comment se fei 1 le

discernement de ces individus, à qui Dieu ne donnera point une grâce eflicace de relèvement ?Billuart omet de nous le dire. Il ajoute seulement que Dieu ordonne ultérieurement leur faute, qu’il a prévue, à la manifestation de sa justice, par une sentence de damnation. Ibid., p. 457 A.

Dans son traité De Gratia et libéra arbitrio (Friburgi Helvetiorum, 1907, 3 in-8), le B. P. i>fl Phado, O. P., rencontre ! a question de la prédestination, t. III, c. vi et vii, p. 187-300. Il la traite, comme plusieurs autres, d’un point de vue polémique, ce tome 111 (600 pages) étant exclusivement consacré à la critique du molinisme. qui revient d’ailleurs perpétuellement au cours des tomes I et II. Lui demander une lumière quelconque sur la pensée de Molina, serait illusion pure. Nous préférons interroger Molina et les auteurs qui ont essayé de le comprendre. Mais on trouvera chez le P. del Prado une pensée authentiquement banne-sienne.

2° Théologiens de la Compagnie de Jésus

Dans sa Concordia liberi arbitra cum gratiæ donis, divina præscientia, providentia, prædestinatinne el reprobatione, parue pour la première fois à Lisbonne en 1588, Louis Molina. S..1., demande à la considération de la prescience divine la solution des dillicultés inhérentes au mystère de la destinée humaine. Définissant la prédestination, il maintient le point de vue delà prédestination totale, qui fut celui de saint Thomas ; son originalité consiste à introduire, dans l’organisation du concept traditionnel, la notion de cette science ouvrière qu’il appelle la science moyenne. Quacst. xxiii, art. 4 et 5, Disp. 1 m. f>, éd. Paris, 1876, p. r>o5 : Hutio or, Unis ac mediormn quibns Drus pev scientiam naturalem et médium interliberam et mère naturalem prævidii creaturam aliquam mente præditam perrenturam in vitam aetemam, cum proj osito détermination eve divinae voluntatis ex parte sua ici executioni mandandi, est prædestinatio la Us creaturae. Il maintient que la prédestination totale ne sauraii avoir aucune cause en dehors de Dieu, mais procède uniquement de sa volonté miséricordieuse, ibid., p. 508 : Prædestinatio adklti, quoad suum integrum effectum, nullam habet causam exporte ipsius prædestinati, sed tota eu m Dei voluntatem misericorditer prædestinantis tanquam in causam reihicendu est. Il maintient encore que l’objet de ha prédestination totale présente une organisation interne et une adaptation de moyens à la Qn, dans laquelle figure la coopération de l’homme au dessein de Dieu. Ibid., p. 5a6 : Quod voluntasilla Dei aeterna, qua adultis ea média ex sua porte conferre staluit quibus in heatitudinem perveniunt, rationem prædestinationis habuerit, tanquam a condition » sine qua eum ratinnem non habuisset, ex eo fuit dépendons quod adulti ipst eo modo pro sua innata libertate mûri iront suo arbitrio u> o I eum pervertirent, idque Deusaltitudine sui intellectuspræviderit. I ! définit la réprobation, Q.xxiii.a.3, Disp.ui, p. 433 : Tudicium aeternumquo creatura raiionatia a Deo indigna iudicatur vita aeterna, dignaque quæ aeterna poena puniatur, eu to cum perpetuo exclu ci, n ii u regno cælesti, a ut simul etiam puniendierwciatibus aeternis poenave sensus, /iront fuerint illius peccata. Avec saint Jean Damaseèneet saintThomas, il se refuse à voir, dans la volonté antécédente en Dieu de manifester sa justice, la raison principaleou suffisante de la permission du péché et de la réprobation des pécheurs. A ses yeux, la raison principale est l’ordre même des choses lequel demanda que la créature libre agisse librement, et entraîne comme conséquence certains écarts dans des cas pai ticulier », Ibid, p. 437 : Multi igiiur alii finit fines, iique præ m 241

PREDESTINATION

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l>< iiu t !  ! . L nus

e>t, ut créât ur a a libertate

cvnformiter ugcre sinateasque ad fi ne m ultimum konorificentius /’/ ducat ; cm

eoniunctum est ut eus libéras f, ab eoque fine

a tiquas, propria earum sponte acli ertate peccando,

juehicesi fiirs obquem h. !

hoc loco doc ait Deum permisisse piccata, volendoque m permittere atque, uterai dignum, ea punire, reprobusse eos qui vitam in eis finirent. Molina se prononce donc pour la « réprobation négative conséquente », Ghkuoihr dk Valhntia, S., 1., dans ses Commentarii theologici, publiés pour la première fois à Ingolstadt en 1591, expose avec autant de olarlé que de solidité la doctrine catholique sur la Prédestination. Il commence par mettre hors de question le point essentiel : à la prédestination oonsidérée dans son elîet total, on ne saurait assigner aucune cause ni raison méritoire, hors de Dieu. Puis il posela thèse suivante : 1 Bien que ni la coopération du prédestiné ni aucune de ses œuvres ne soit, à aucun litre, raison ni condition ni cause méritoire ; lc la prédestination totale, cependant Pieu ne prédestine d’une manière ordinaire aucun adulie sans avoir égard, par sa prescience, à la coopération persévérante du prédestiné, procédant du secours de la ^.râee et de son libre arbitre, comme à un effet et un moyen de la prédestination, avec lequel tous les autres elfets de la prédestination sont liés. Conséquemmenl, s’il n’est pas vrai de dire que Dieu prédestine les élus à cause de la prescience éternelle qu’il a de leur coopération à la grâce avec la persévérance Bnale, comme si cette persévérance était la raison, la condition ou la cause de la prédestination totale, néanmoins i ! est très vrai de dire que Dieu prédestine d’une manière ordinaire tous ceux et ceux-là seuls dontsa prescience éternelle lui montre la coopération à la grâce. » — Il motive cette thèse par la cohésion étroite des éléments de la prédestinationtotale selon le plan divin. et l’appuie sur la science divine des futurs conditionnels, qu’il prouve par une argumentation distincte de celle de Molina, sans la distinguer de la science de simple intelligence. Il admet que les péchés sont la vraie cause de la réprobation. — Commentai- ! theologici, éd.’6 Lugduni, 1603, fol., t. I, p. 383-4- ; o.

Gabriel Vasqcbz, S. J. (f iCo/j), définira la prédestination : un dessein de Dieu qui, par avance, lixe le sort de l’h mme et l’ordonne à la vie éternelle : Præfinitionem seu ordinationem alicuius in vitam aeternam. Inh q. 23, art. 3, Disp.xci.c. 1, 1, Lugduni, 1631, p. /108 B. Cette définition répond moins au point de vue de la prédestinationtotale, qu’au point de vue restreint de la prédestination à la gloire. Aussi bien Vasquez elierche-t-il la raison immédiate de l’admission à la gloire ; or celieadmission ne peut se concevoir que comme la récompense de mérites acquis ; c’est pourquoi Vasquez affirme résolument la prédestination ex prævi is meriiis. Disp. i.xxxrx. c. 2, 9, p. 383 B : Opinio duas continet parte > : prior st. nutlam electionem efflcacem ad gloriam ex sola Dei volun Ip j isse antequam mérita præviderentur ex gratta, seu qttemlibetad gloriam electum fuisse ex mérita prævisis, quæ Dei gratia luttants emt. Posterior est, ante mérita gratiæ prævisa nullum peculiarem affectum dandi gloriam Deum Labttisse erga prædestinalos, sed circa omîtes etiam reprobos hacommunem voluntatem simplicem et ante ce dénia omnibus vitam aeternam, tanquam bravium >.t præn ium commune, aeqtte proposuit et desideravit. Et il développe ainsi l’ordre des intentions divines : l’D’une volonté antécédente, Dieuveul pour tous les hommes indistinctement la vie éternelle, dans un degré répondant aux mérites de c ! >acun ; 2° prévoyant

la conduite que chacun tiendra avec telle se. ie de grâces, il destine aux uns telles séries qu’il sait efficaces, aux autres telles autres qu’il sait inefficaces ; S* conséquemmenl au mérite on au démérite prévu, il prédestine les uns à la vie éternelle et réprouve les autres. — Notons quc Vasquez réserve expressément les initiatives de la grâce divine, et donc est exempt de tout pélugianisme. Ibid., c. 13, 128, p. lo ! B. — Mais il s’intéresse au jeu de la liberté humaine plus qu’aux exigences du souverain domaine divin.

Léonard Lnssirs, S. J. (-j- 1 Ga3), De prædestinati’tne et réprobation » angelorum et hominum Disputatio, n’ignore pas que la prédestination complète ne tombe pas sous le mérite humain ; il le dit expressément, op. cit., sect. 1. Mais il se propose de résotfdre une question plus subtile : le décret absolu de la prédestination est-il, dans l’ordre des conseils divins, antérieur ou postérieur â la prévision des mérites ? A la question ainsi posée, il répond que le décret est postérieur ; et manifestement il y est incliné par la considération delà sentence absolue de réprobation, qui doit nécessairement être conçue comme postérieure à la prévision des démérites. Ibid., sect. il, n. 6 : Contrariant (sententiam) ittdicavi semper magis veritati et pietati consentaneam, nimirum electionem absolutam et immédiat am ad gloriam non esse factam ante prævisionem perseverantiae seu finis in statu gratiæ ; sicut nec absoluta reprohatio facta est ante prævisionem finis in statu peecati. Il motive cette conclusion par de nombreux arguments tirés de l’Ecriture, des Pères et de la raison théologique.

Dès l’année 158^, Lessius avait dû défendre contre une censure émanée delà faculté de théologie de I.ouvain divers points de son enseignement, notamment sa doctrine de la prédestination fondée sur la connaissance des futurs conditionnels. Les documents relatifs à cette controverse ont été publiés en 1881 par le P. G. Sohnremann, S. J., en appendice à son livre : Controversiarum de divinæ gratiæ /ibérique arbitrii concordia initia et progressas, p.3^i.’; f) -j, Friburgi Brisgoviae. Dans son apologie présentée an nonce apostolique Frangipani, Lessius s’explique en ces termes (Schncemann, p. 300) : Nos dicimus Deum præscire quo modo providentiæ et gratiæ iste komo salvarttur et quo non salvaretur ; deinde pro suo beneplacito velle uti tali modo prov’ul ntiæ et rouf ne illi talent vocation ls, protectionis et directionis modum, cum quo videbat illttm perseveraturum. Et hane voluntatem vocamus prædestinationetn, ut prædestinatio sit præparatio beneftciorttm quibus præsciebat hominem libère perseveraturum. Et hoc sensu dicimus prædestinationem præsupponere scientiam conditionatam ; quæ nihil est aliud quant simplex intelligentia conditionalium liberarum.

En demandant à la prescience divine la clef du mystère de la prédestination, Lessius a suivi la voie de la tradition la plus authentique. Néanmoins on a pu se demander si l’initiative souveraine par laquelle Dieu prédestine ses élus présente chez lui tout le relief désirable. On a pu également se demander si l’indépendance deDieu dans l’œuvre totale de la prédestination n’est pasen quelque mesure obscurcie par l’option en faveur d’un point de vue volontairement restreint.

Entre la prédestination et la réprobation, il y a cette différence, que la prédestination est tout entière l’œuvre de Dieu, au lien que la réprobation implique essentiellement l’infidélité de l’homme, intervenant pour faire échec au dessein de Dieu. Encore que, pour réaliser la prédestination, Dieu se serve du libre arbitre de l’homme, le décret divin porte sur tout le 243

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dessein de la prédestination, depuis la grâce jusqu’à la gloire. Il n’y a donc point parité avec le cas de la réprobation.

D’autre part, on doit se tenir en garde contre l’illusion d’optique par laquelle on se représentera. t Dieu se Usant a priori une lin qui est le salut de l’homme, puis combinant les moyens en vue de cette (in. Une telle vue n’est pas exempte d’anthropomorphisme. Sans doute l’action divine tend.de sa nature, nu salut de l’homme ; mais le choix divin porte sur tout un ensemble qui comprend les moyens et latin ; si la raison humainepose nécessairement la question des relations entre les objets partiels de ee cboix, elle est insuffisamment qualifiée pour la résoudre.

Malgré les incontestables difficultés d’exposition qu’elle présente, l’opinion de Lessius a toujours recueilli d’illustres suffrages. Nul ne la recommande mieux que celui du saint évêque de Genève, que nous mentionnerons en son lieu.

Le cardinal Bbllarhin, S. J. ([- 16ai), se prononce résolument contre la prédestination ex prævisis meritis. Voir De g ru lia el liberoarbitrio, l. II, e. ix sqq. ; dans les Controversiae, éd. Coloniæ Agrippinae, t. IV, p. 5/|2 sqq., 1 1 9.

A la suite de saint Thomas et de Cajelan, il admet que la prédestination procède plutôtde l’intelligence divine que de la volonté ; il y marque les signes de raison suivants : 10 Dieu prévoit que, s’il crée l’homme, l’homme tombera avec sa postérité ; que d’ailleurs il pourra relever, en plus ou moins grand nombre, des individus de cette race ; 2° Dieu décide de créer l’homme, de permettre la chute, de procurer la rédemption, par laquelle certains hommes seront relevés tandis que les autres demeureront dan ? la masse de perdition ; 3° Dieu dresse le plan île la Rédemption, à commencer par l’Incarnation et la pas sion du Sauveur ; 4° Dieu choisit le Christ et nous choisit en lui-même avant l’origine du monde ; 5° Dieudécrète l’exécution de ce plan. Ibid., p.. r >44 A.

— D’ailleurs la prescience divine préside à toute l’œuvre de la prédestination, ibid., c. xii, p. 55$ D. Maiscette prescience ne décide pas de la prédestination. L’Evangile en fournit la preuve, en disant que Tyr et Sidon se fussent convertis à la vue des miracles qui furent accomplis dans Jérusalem : or Dieu ne les accomplit pas pour Tyr ni pour Si. Ion, ibid., p. 556 CD. Ce n’est pas à cause des bonnes œuvres prévues que Dieu prédestine certains hommes, mais il les prédestine pour leur donner d’accomplir ces bonnes œuvres, c. xiii, p. 55g C. Sans doute il veut d’abord la gloire des prédestinés, puis leurs bonnes œuvres en vue de cette gloire, ceci quant à l’ordre d’intention ; m^is l’ordre d’exécution est précisément contraire : il donne d’abord d’accomplir les bonnes œuvres, puis récompense les bonnes œuvres par le don de la gloire, e. xiv.p. 56a CD. Considerandum est gloriam in génère cuusæ finnlis priorem esse bonis operibus : ipsa enim est finis, Ma sunt média ad flnem ; in génère autem causæ efjicientis, priora esse opéra bona quant sil ipsa gloria, quoniam Ma sunt causae, ipsa est effectua. De us igilur prias vull electis gloriam quam bona opéra, quoad intentionem : ideo enim vult illis dure bona mérita quia vult dure coronam gloriæ : nam prior est finis in intentione quam média, cum non intend antnr média nisi pi finem ; et hoc modo non eligil ad gloriam ex p aevisione merilorum, sed contra eligil ad mérita ex prae visione gloriae. At quoad voluntatem executionis, quæ respicit gloriam ut effectuai meritorum, prias vult Deus electis dure bona mérita r/u un gloriæ coronam, et hoc modo eligil /), us n<l gloriam ex prævisione operum bonoriim. Cette distinction des deux ordres, do l’intention et de l’exécution, rend bien

compte des différences de langage entre l’école de saint Augustin et les Pères grecs. Encore une fois, tout ce qu’il y a de bon dans l’homme, Dieu l’y met par son amour de prédilection, c. xv, p. 565D-566A : Quos enim Deus digère dignatus est. Mi fuerunt digni qui eligerentur. nain eodem modo amari non possunt nisi boni, et tamen Deu< amando facit bonos.

Dans la réprobation, Bellarmin distingue deux actes divins : 1 un négatif el antérieur à la prévision du démérite ; l’autre positif et postérieur à celle prévision. Par la réprobation négative antécédente, Dieu s’abstient de tirer l’homme déchu de la masse commune de perdition. Par la réprobation positive conséquente, il décide de le damner pour ses péchés. C. xv, p. 567 C D ; c. xvi.

Bellarmin a porté sur la doctrine de Lessius louchant la prédestination un jugement sévère ; on le trouvera dans VAuetarium Bellarminianum édité par le K. P. Lu Baciiblkt (Paris, 19 13), p. 186. 187. — Lui-même n’a jamais cessé de défendre, quant à l’ensemble, les positions qu’il avait adoptées dès le début de son enseignement à Louvain. Voir le même ouvrage, p. 35 sqq. — Sur l’ensemble de la question, J. de la.Skrvikrb, La Théologie de Bellarmin, p. 5g1601, Paris, 1908.

La conception de François Suarbz, S. J. (-j- 1617), a plusieurs traits communs avec celle de Bellarmin, mais s’en distingue par une moindre souplesse. Cette différence procède, au moins pour une part, d’un changement de point de vue : au lieu de s’attacher à la prédestination totale, Suarez se place au point de vue particulier de la prédestination à la gloire.

A la base de la prédestination, Suarez place la prescience conditionnelle qu’a Dieu de toutes les démarches de la créature libre, mise dans telles et telles circonstances ; puis la distinction entre l’ordre de l’intention et l’ordre de l’exécution.

La prédestination suppose une intention efficace de Dieu, par laquelle il décide d’élever tels anges et tels hommes à tels degrés de gloire. Conscquemment à cette intention efficace, il leur destine des secours dont il prévoit l’efficacité. A l’égard des autres anges et des autres hommes, Dieu a aussi l’intention antécédente de les conduire à la gloire ; el conséquemment il leur destine des secours. Ces secours, de soi suffisants, demeureront ineflieaces par la faute de ceux qui les recevront : Dieu prévoit qu’eux-mêmes s’excluront de la gloire ; c’est la réprobation négative.

I’assnnl à l’exécution, Dieu confère aux premiers des secours efficaces et couronne leur fidélité par le don de la gloire. Aux seconds, il ne confère que des secours suffisants, el finalement les réprouve : c’est la réprobation positive.

Suarez, Tractatus de divina prædestinatione et reprobatione, dans Opéra, éd. Paris, 1 856, t. I ; notamment 1. VI, c. iv, p. 5a6-530.

On voit immédiatement que, du point de vue de la réprobation, la conception suarésienne soulève de réelles difficultés. Car, en fait, la prédestination antécédente et absolue à la gloire est la condition sine qua non du salut ; tous ceux que Dieu ne favorise pas d’une telle élection sont donc par lui abandonnés à la réprobation négative, et eonséquemment destinés à la sentence de réprobation positive qui en est inséparable. Suarez s’efforce d’atténuer cet inconvénient en soulignant la très grande différence qui sépare la prédestination de la réprobation. Dieu prédestine au bien ; il réprouve et livre au mal ceux qui provoquent sa justice, /, c., n. 17, p. 530 A : Prædeslinulio est ad bonum, quod Deus per se et e.r se vult ; 1 eprobatio ver.) est ad malum, quod Deus non ex se vult, sed ah humine provocalus. 245

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D. Rliz dkMontoya, S. J., dans son vaste ouvrage De præ destination* ac réprobations hominum etangelorum (Lyon, 1629 fol.), revendique, au nom delà tradition, la prédestination ante prævisa mérita. Il n’ignore pas les difficultés que présente la prédication de cette doctrine, mais estime qu’elles ne doivent pas déconcerter les prédicateurs, et leur trace des règles de discrétion, Disp. xx.

Denis Pktau, S. J. (7 1 1 » "> ^), déclare n’avoir, comme théologien, rien à objecter a priori contre l’opinion qui explique la prédestination des uns par le seul bon plaisir de Dieu, la réprobation des autres par la seule faute d’Adam, sans avoir égard aux mérites de chacun. Il ajoute, comme exégète et historien, que la tradition chrétienne lui semble toute favorable à l’opinion qui explique par la prévision tles mérites — bons ou mauvais — le sort assigné aux uns et aux autres. Après avoir justifié ce sentiment par divers témoignages, il renvoie aux auteurs qui l’ont copieusement défendu, par exemple à Lessius. Il ne fera qu’un reproche à ces auteurs : c’est de vouloir tirer saint Augustin à leur sentiment : mieux vaudrait avouer simplement que saint Augustin suit la première opinion, comme Petau s’est efforcé de le montrer longuement. De Deo, 1. IX, c. 11.

Le cardinal Fhanzblin, S. J. (-j- 1888), a repris la doctrine de Lessius sur la prédestination à la globe P’.st prævisa mérita ; il la présente avec un soin et une science admirables et lui donne une forme beaucoup plus satisfaisante. Nous indiquerons la suite de ses thèses, d’après son traité De Deo uno (3e éd., Rome, 1883), sectio v, p. 498748.

Il commence par établir certaines distinctions dans la volonté divine : volonté antécédente et conséquente par rapport au fait du péché, non par rapport à la beauté de l’univers (thés. /17) ; volonté absolument efficace et volonté conditionnée, en saint Augustin (thés. 48).

Puis il montre que, d’une volonté antécédente, Dieu veut le salut de tous les hommes, même dans l’état présent de déchéance, selon l’Ecriture et selon les Pères, sans excepter saint Augustin (thés. 4g-53).

Ce fondement posé, il écarte la doctrine hérétique de la réprobation positive antécédente, affirmée par Calvin et les jansénistes (thés. 54). Il écarte également les diverses formes de la réprobation négative antécédente (thés. 55). Il constate que le mot prédestination, selon l’Ecriture et les Pères, présente de multiples acceptions (thés. 56). D’après le sentiment unanime des Pères, il affirme l’existence d’un lien entre les mérites et le don de la gloire, donc aussi entre la prévision des mérites et la prédestination à la gloire (thés. 57). Néanmoins, il rappelle que la prédestination totale ne saurait avoir aucune cause de la part de l’homme, selon l’enseignement de saint Thomas (thés. 58). Passant au point de vue restreint de la prédestination à la gloire, il montre que cette prédestination procède, non d’une volonté divine antécédente, mais d’une volonté divine conséquente à la prévision des mérites (thés. 59). Les arguments invoqués en faveur de la prédestination ante prævisa mérita sont inefficaces (llies. 60).

Saint Augustin, dans le De prædestinatione sanctorum, ne s’est pas posé la question de la prédestination ante ou post prævisa mérita (thés. 61). Combattant l’hérésie pélagienne, il ne s’occupe pas des relations entre la grâce et de la gloire, mais seulement de la gratuité, soit de la grâce considérée à part, soit de la grâce et de la gloire considérées comme on tout (thés. 62). Il n’y a pas lieu de supposer qu’il ait cru personnellement à la prédestination

ante prævisa mérita (thés. 03). Saint Thomas, si énergique à affirmer que la prédestination totale ne peut supposer aucun mérite, ne laisse pas de poser des prémisses d’où l’on conclut logiquement que la prédestination, restreinte à la gloire, procède d’une volonté conséquente, qui suppose la prévision des mérites (thés. 64). Saint Paul, Rom., ix, ne s’occupe pas de la prédestination à la gloire ante prævisa mérita, mais de la gratuité de l’appel à la foi et de la justification (thés. 65). La prédestination ante præt isa mérita ne se rencontre pas davantage dans les divers textes scripturaires parfois allégués en faveur de cette opinion, Sap., iv, n ; Matt., xxiv, 23a 4 ; Act., i.m, 48 ; Rom., viii, 28-30 (thés. 66).

Nous emprunterons au P. Théodore nu RÉGNON, S. J. (} 1894), trois formules qui résument son éléi gante exposition du système moliniste touchant la prédestination à la grâce, la prédestination à la gloire, et la prédestination totale. lianes et Molina. p. 144- » 54- Paris, 1883.

Après avoir montré le rôle de la prescience, dans la prédestination :

« Il ne dépend pas de l’homme d’être prédestiné à recevoir la grâce qui est efficace ; mais il dépend de l’homme que la grâce reçue soit efficace.

m II ne dépend pas de l’homme de recevoir des grâces par lesquelles il obtient la gloire ; mais il dépend de l’homme d’obtenir la gloire au moyen des grâces qu’il reçoit.

« Il ne dépend pas de l’homme d’être placé dans l’ordre où il est prédestiné ; mais il dépend de l’homme d’être prédestiné dans l’ordre où il est placé. »

Sur la controverse qui se déroula à la suite de la publication précédente, voir Hipp. Gayhaud, O. P., Thomisme et Molinisme, Toulouse, 1889. Th. nu Réqnon, S. J., Rannésianisme et Molinisme, Paris, 1890.

Sous ce titre : Tractatus De Deo uno, Tomus posterior, Pars IV, De Supernaturali Dei Providentia (Louvain, 1897), le P - L - Db San > S - J -> a donn ^ une étude très personnelle et pénétrante sur la prédestination. Les deux derniers tiers du volume sont consacrés à l’enseignement de saint Augustin et de saint Thomas. Partisan résolu de la prédestination à la gloire post prævisa mérita, l’auteur s’attache à prouver que cette théorie n’a rien que de conforme à l’enseignement des deux saints docteurs, interprètes de la doctrine catholique. Par ailleurs, il ne se refuse pas à reconnaître, dans la théorie de la prédestination ante prævisa mérita, des éléments de vérité qu’il limite soigneusement. Il donne à la distinction classique des deux volontés divine, antécédente et conséquente, un développement nouveau, en parlant d’une tendance « virtuelle », selon laquelle Dieu dispense les grâces sans égard au fruit qu’elles produiront actuellement, et dune tendance actuelle, selon laquelle il prédestine effectivement ses élus. Cela revient à une distinction de raison appliquée aux grâces surnaturelles dispensées par Dieu aux élus. Ces grâces peuvent être considérées soit dans leur orientation essentielle vers le salut, orientation qui leur est commune avec les grâces dispensées par Dieu à ceux mêmes qui ne se sauveront pas : à ce titre, elles sont un don de la Providence surnaturelle universelle ; soit dans leur appartenance au décret particulier par lequel Dieu prédestine ses élus : à ce titre, elles sont un élément essentiel de la prédestination ; élément dont le P. De San souligne la priorité au regard de la prédestination à la gloire.

Parmi les auteurs récents qui, à la suite de l’école thomiste, de Molina, de Suarez et de Bellarmin, 247

PRÉDESTINATION

248

défendent la prédestinai ion ante prævisa mérita, nommons le cardinal Billot, s. J., De Deo uno et trmo’p. 68 sqq. et thés. 3a, Romae, 190a.

Parmi ceux qni ont repris la doctrine de Vasquez, de Lessius et Franzelin, sur la prédestination posi prævisa mérita, on peut mentionner : Chr. Pksch.S. J., Prælei tiones dogmaticae, t. ii, De Deo uno ttrino* Prop. 56-58, Friburgi Brisgoviae, igoy ; NI. Bbraza, S. J., De gratia Christi, Bilbao, 1916 ; lo. Muncunill, S. J., Tractatusde Deo uno ettrino, I* pars, Disp. iv, c. aart. 4, Barcinone, 1918.

3’Théologiens de diverses écoles

Andbk dk Vkra, O. M. (-j- 1560), dans son traité De iustificatione, intitule le livre XII : De incertitudine Prædestinationis et Perseverantiae. Ed. Coloniae, 1573, fol., p. 43 1-483. Il établit, contre Jovinien et Wielef, que l’état de grâce actuel n’esl pas un signe infaillible de prédestination ; que des réprouvés ont possédé l’état de grâce et que des prédestinés en ont été dépourvus pour un temps (c. 2-9). Il admet que tel homme peut, dès cette vie, connaître sa prédestination, par révélation spéciale (c. 10). Il montre, dans les béatitudes évangéliques, des signes plus ou moins sûrs de prédestination (c. 11-ig). Enlin il insiste sur la nécessité de la grâce pour persévérer, et ajoute que la prière peut la mériter ex congruo (e. 20- a3).

Les derniers jouis du concile de Trente furent marqués par un incident relatif à la prédestination.

En 1Ô61, Jean Grima.ni, patriarche d’Aqnilée, se vit déféré à l’Inquisition romaine. On lui reprochait d’avoir couvert de son autorité une prédicateur qui affirmait rondement : « Il est impossible aux prédestinés de se perdre et aux damnés de se sauver. » L’affaire nous est connue par plusieurs documents, notamment par un mémoire du P. Laynkz, général de la Compagnie de Jésus, qui, comme consulteur de l’Inquisition romaine, eut à donner son avis. Tacoin Lainez, f/i Præpositi generalis S /., Disputationes Tridentinae, éd. IL C.risar, S.I., t. II, doc x, Prolegom., pp. 51*-54* et 187-152. Œniponle, 1886. On y trouvera 18 propositions plus ou moins mal sonnantes, extraites des écrits du patriarche. D’ailleurs Laynez se défend de porter aucun jugement défavorable à la personne de l’auteur, qu’il estime bon et catholique. Grimani manquait de théologie, mais ses intentions étaient droites. Tel fut aussi le jugement de l’Inquisition romaine. La plainte aboutit, le ^septembre. 1 563 à une sentence d’acquittement, ainsi libellée : ludica nu*… prædictas litteras prædicti Domini Toannis Grimani patriarchae Aquileiensis, cum apologia iuncta, non esse hæreticaë sou de hæresi sus pet tas, nequesic deolaratas esse scandalosas ; non tamen divulgandas pr opter nonnulla difficilia, minus exacte in eis tractaia et explicata.— Plus indulgent que l’Inquisition romaine, le P. Antonin Rkginalo, O.P. (f 1676), croit pouvoir plaider pour la science théologique du patriarche Grimani. De mente S. Con ilii Tridentini circa gi se ipsa efficacem. Opus postkumum, pars 1, c. iv ; pars II, c. Liv-Lviii. Anlverpiae, 1706.

Saint François db Sales (1567-1622) souscrit décidément à la thèse de la prédestination posi prævisa mérita. Le 26 août 1618, il adressait à Lessius une adhésion ainsi conçue : Demain ob tetvidi in bibliotkeca Collegii Lugdunensis tractatum de Prædestination

  • ’: et qàamvis nonnisi sparsim, nt Ht, oçulos in

eum inicere contigerit, cognovi tamen Paternitatem Vestram sententiam illam antiquitate, suavitate ne Scripturarum nativa autkoritate nobilissimam, de rstinatione ad gloriam pont prævisa opéra, amplecii ac tiieri. Quod sane mihi gratissimum fuit,

qui nimirum eum semper ut Dei misericordiæ ac gratiæ magis 1 1 ïam, veriorem ac amabilio rcm ezistimavi, qi n tantisper in libello de

Amore Dei indicavi. Œuvres, éd. d’Annecy, t. XVIII,

p. 270 (1912).

Le traité De l’amour de Dieu, auxquel le saint docteur vient de l’aire allusion, avait vu le jour en 1616. On lit au 1. III. eh. v, Œuvres, t. IV, p. 1 84186(1894) :

Tel donc est l’ordro de nostre a cheminement a la vie éternelle, pour l’oxecution duquel la divine Providence establit des l’éternité la multitude, distinction et entresuite dos grâces nécessaires a cela, avec la dépendance qu elles ont les unes des autres.

Il voulut premièrement d’une vraye volonté, qu’encor après le pcclié d’Adam tous Us homm.> nsst ut sauvés il fini., 11, 4.) ; mays en une façon (l par des mo3 r ens convenables a la condition de leur nature, doueo de banc arbitre : c’est a dire, il voulut le salut do tous ceux qui voudroyent contribuer leur consentement aux grâces et faveurs qu’il leur prepareroit, ofïriroit et deparliroit à cette intention. Or, entre ces faveurs, il voulut que la vocation fusl la première, et qu’elle fust tellement attroinpec a uostre liberté que nous la puissions accepter ou rejett r a nostre gré. Ht a ceux desquelz il prévit qu elle seroil acceptée, il voulut fournir los sacres mouvemons de la picnitenco ; et a ceux qui seconderoyent ces mouvomeus, il disposa de donner la sainte charité ; et a ceux qui auroyent la charité, il délibéra de donner les secours requis pour p vorer ; et a ceux qui emplnyeroycnt ces divins secours, il résolut de leur donner la linale persévérance ot glorieuse fe icité de son amour éternel.

Noua pouvons donc rendre rayson de Tordre des 1 de la providence qui regarde nostre salut, en descen lant du premior jusques au dernier, c’est a dire depuis le fruit qui est la gloire, jusques a la racine de ce bel arbre, qui est la rédemption du Sauveur. Car la divine Bonté donne la gloire en suite des mérites, les mérites en suite de la charité, la charité en suite de la pénitence, la pénitence en suite de l’obéissance a la vocation, 1 obeissanco a la vocation en suite de la vocation, et la vocation en suite do la rédemption du Sauveur ; sur laquelle est appuyeetoutc cette eschelle mystique du Grand Jacob, tant du costé du Ciel, puisqu’elle aboutit, au sein amoureux do ce l’ère éternel, dans lequel il reçoit les esleuz en les glorifiant, comme aussi du coslé do la terre, puisqu’elle est plantée sur le sein t le liane percé du Sauveur, mort pour cette occasion sur le mont du Calvaire

Et ipie cette suite dos effeetz do la Providence ayt esté ainsi ordonnée avec la mesme dépendance qu’ilz ont les uns des autres en loiernelle volonté do Dieu, la sainte K^-liso le tesmoigue quand elle fait la préface d’une de ses solennelles prières en ce le sorte : O Dieu éternel et tout puissant, qui estes Seigneur des vivans et dos mortz, et qui uses de miséricorde envers tous ceux que vous prévoyez devoir estre a (’advenir vostres par foyetpar ouvre » ; comme si elle avouoit que la gloire, qui est le comble et le fruit de la miséricorde divine envers les hommes, n’est destinée que pour ceux que la divine sapieucea preveu qu’a 1 advenir, obnissans a la vocation, viendroyent a la /(< ; / vive qui opère nar ta charité (G « /., V, <>).

! "n somme, tous eos effeetz dépendent absolument de la rédemption du Sauveur, qui los a mérités pour nous a toute rigueur de justice par l’amoureuse obéissance qu il a pratiquée jusqu’à la mort de la croix (fhil, , II, 8), laquelle est la racine de toutes les grâces que nous recevons, nous qui so ornes gie l’es spirituels entés sur son tifçe. Oue si ayant os’.é entés nous demeurons en luy, nous porterons sans doute, par la vie delà grâce qu il nous communiquera, lo fruit de la gloire qui nous est préparé ; que si nous sommes comme jetions et greffes rompu cet arbre, c’est a dire, que p ir nostre rcsistanco nous rompions le progrès et l’eut résulte dos effeetz dosa débonnaire té, ce no sera pas merveille si en fin ou nous reliant lie du tout, et qu’on nous motte dans lo feu éternel, comme branches inutiles.

Dieu, sans doute, n’a préparé le Paradis que pour ceux desquelz il a preveu qu ilz seroient siens : soyons donques siens par foy et par œuvre Theotime, ot il sera nostr par gloire Or il est on nous d’ostro siens : car bien que ce soit un don de Dieu d’estre a Dieu, c’est toutefois un don que 249

PRÉDESTINATION

250

Dieu ne refuse jamais a personne, ains l’olïre a tous, pourl donner a ceux <|iii de bon cœur consentiront a 1 » rei

Les Salmantice si. O. Carm. (r" éd., 1631), esquissent tout le dessein de la prédestination en marquant qu’il convient à la suprême et universelle Providence de r specter la nature de chaque être, et donc, puisqu’il s’agit d’êtres Unis et défectibles, de ne pas mettre olist ic-le à toute défectibilité. De prædestina, Disp. vii, dub. ? 63, ag, éd. Taris, 1876, t. II, p. 378 l> : Ad perfectissimam Providentiam tantum pertinet ut ha beat vim ad istum effectuai, et quod tuxta regularem modum providendi de unoquoque iuxta suant naturam proviæat ; ac proinde quod de créai uris de èctibibus a suo fine, quales s uni /tontines. -ter provideat, i. e. curando ut aliqui ex itlis suuni ultimum finem conseqttaritur et alii ab eo deficiaat ; ut ila ex una patte splendeat in aliquibus defectibilitas et insufficientia naturæ ad prædictum finem consequendum, et ex alla in aliis tires gratiae.

Thomassin, de l’Oratoire (-{* 1690), se montre, dans la matière de la Prédestination, résolument augustinien. Pleinement conscient des difficultés que soulève la doctrine augustinienne, il ne laisse pas delà proposer dans toute sa force, niais s’applique à la rendre acceptable et à prévenir le scandale qu’elle P’-ut provoquer. D’une part.il insiste sur les initiatives victorieuses de la grâce ; d’antre part, il marque expressément la différence entre la prédestination et la réprobation, quant à l’intention divine. La prédestination prévient et prépare les mérites ; il ne saurait être question de réprobation ni positive, ni même négative, avant la prévision des démérites. Dogmala tkeologica, t. II, De Deo, 1. VIII, notamment c. iv et ix.

Dans son écrit intitulé : Nodus Prædestinationis cris lit ter. s dot trinaqtte SS. Augustini et Titomae, quantum homini licel, dissolutus (Rome, 1696), le cardinal Sfondrati, O.S.B. (-j- 1O96), expose ainsi la série des intentions divines dans l’œuvre de la prédestination (Pars I, § 1, 13, p. l^-kq). i° Dieu, qui aime tous les liommes.veut aussi les sauver tous sans exception. a° Dans cette vue, il fait reposer sur la fidélité d’Adam le sort de toute la race ; Adam reçoit des secours très spéciaux, qui doivent assurer sa fidélité. 3° Adam trompe l’intention divine ; il perd le droit à l’héritage céleste, et toute sa race le perd avec lui. 4* Pour réparer ce désastre, Dieu décided’envoyerson Fils revêtu delanature humaine, rédempteur de l’humanité. 5° En vertu des mérites du Rédempteur, des grâces abondantes sont préparées à tous. G* Les enfants morts sans baptême seront exclus du royaume des cieux, mais non de toute félicité naturelle ; la Providence divine use envers eux de miséricorde en lespréservantdes péchés qu’ils aur. lient commis au cours d’une vie plus longue et de l’enfer où ils seraient descendus. Exclus de la un surnaturelle, ils tombent sous un autre ordre de Providence. 7° Dieu, qui aime tous les hommes, même déchus, et veut les sauver tous, leur a préparé des secours abondants. Ceux qui refusent d’en user, il les damne justement. Par une pr destination an lécédente et conditionnelle, ila préparé à tous ces secours très ellicaces ; ceux qu’il prévoit devoir en user bien, sont l’objet d’une prédestination conséquente et absolue : pure œuvre d’amour, cette prédestination ne procède nullement de la prévision des mérites de l’homme, mais uniquement de la prévision des dons de Dieu.Ceuxqu’il prévoit devoir user mal de ses dons, Dieu les réprouve : la réprobation, conséquente à la prévision de la faute, est toute imputable à l’homme.

Sfondrati ne se lasse pas de redire avec saint Paul que L’homme n’a point de comptes à demander à Dieu ; il met eu excellente lumière la réalité du vouloir divin relatif au salut de tous les hommes et le devoir de respecter le mystère des voies providentielles. Par ailleurs, il faut reconnaître que son livre est plein d’une rhétorique insupportable, qui fait tort à la doctrine. On peut tout au moins lui reprocher une terminologie étrange et confuse. Il détînit gralia efficux une grâce théoriquement suffisante mais pratiquement inellicæe, réservant pour la grâce efficace le nom de gratia effeclrix(pns I, §, 1, 1 ; Su, 2 ; § tv, 1). Il parle de prédestination antécédente et efficace, alors que, dans sa pensée, la seule prédestination effective est la prédestination conséquente. Il rejette expressément la prédestination ex prævisis mentis, mais par ailleurs et dans l’ensemble il l’admet, en l’expliquant. Pars I, § 1, 13, p. 48- îo.

Dès son apparition, le Nodus prædestination s fut déféré au Saint-Siège par une lettre qu’avait rédigée Bossuet et que signèrent cinq évéques de France (v>.3 février 1697). On lui reprochait surtout de faire injure à la grâce divine en présentant comme particulièrement enviable le sort des enfants morts sans baptême. C’était un de ces paradoxes où la verve oratoire de l’auteur se donnait carrière, aux dépens sans doute de sa pensée théologique. Innocent XII accueillit la plainte et conlia l’examen du livre à une commission de théologiens. L’affaire traîna jusqu’au ponlilicat de Clément XI, à qui la mémoire de Sfondrati était chère et qui décida de la respecter.

Bossuet, dans la Défense de la Tradition et des Saints Pères, publiée en 170a contre Richard Simon, fait sienne la doctrine de saint Augustin sur la Prédestination, 1. XII, c. xiii-xx. Comme il ramène cette doctrine au point capital, c’est-à-dire à la gratuité de la prédestination, il l’identiûe simplement avec la foi catholique ; c’est ainsi qu’il écarte toutes les discussions d’écoles surla prédestination avanlou après la prévision des mérites.

C. xv… Il est donc clair comme le soleil que la prédestination que saint Augustin défendait dans les livres d’où sont tirés tous ces passages, c’est-à-dire dans ceux de la prédestination des saints et du don de la persévérance, appartient a la foi, selon ce Père, et que c’étoit celle foi qu’il falloit défendre contre les hérétiques ; et la raison en est premièrement qu’on ne peut nier sans erreur que les prières où l’Eglise demande les dons qu’on vient d’entendre, ne soient dictées par la foi, en laquelle seule elle prie ; et secondement, qu’il n’est pas moins contre la foi do direque Dieu n’ait pas prévu et les dons qu’il devoit accorder et ceux n qui il en devoit faire la distribution ; ce qui fait nire à saint Augustin aussi affirmativement qu’on ne le peut faire : Ce que je sais, c’est que personne n’a pu sans errer disputer contre la prédestination que nous avons entrepris de défendre.

Le cardinal lîellarmin, après avoir rapporté ces passages de saint Augustin, et en même temps remarqué les définitions du Saint-Siège, qui ont déclaré entre autres choses que saint Augustin n’a excédé en rien, conclut que la doctrine de ce saint surla prédestination n’est pas une doctrine particulière, mais la foi de toute l’Eglise : autrement saint Augustin, ot après lui les papes qui le soutiennent, seraient coupables de l’excès le plus outré, puisque ce Père avoit donné son sentiment pour un dogme certain de la foi.

xvi. Par la il faut remarquer la différence entre la question delà prédestination, commeelle s’agite dans les éc< les parmi les docteurs orthodoxes, et comme elle est établie par saint Augustin contre les ennemis de la grâce. Car ce qu’on dispute dans l’école, c’est à savoir si le déerctde donner la gloire à un élu précède ou suit d un instant, qu’on appelle de nature ou de raison, la connoissance de leur3 bonnes œuvres futures, et des grâces qui les leur font opérer ; ce qui n’est qu’une précision peu nécessaire à la piété ; au lieu que saint Augustin, sans s’arrêter à ces abstractions, dans le fond assez inutiles, entreprend seulement de démontrer qu étant de la foi, par les prières de toute lEglise, qu’il 251

PRÉDESTINATION

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y a une distribution des bienfaits de Dieu, par où sont menés infailliblement au salut ceux qui les reçoivent, cette distribution ne peut être au^si purement gratuite qu’elle l’est dans l’exécution, qu’el.e ne le soit autant et aussi certainement dans la prescience et la prédestination divine ; do sorte que l’un et 1 autre est également de la foi.

Cependant on a vu Petau opposer saint Augustin aux autres Pères, à peu près connue la prédestination aille prævisa mérita à la prédestination post prævisa mérita. Ce jugement paraît contraire à celui de Bossuet Où est la vérité ? Si nous n’avons pas erre ci-dessus dans notre analysedela pensée nugustinienne, le point de vue proprement augustinien est celui de la prédestination totale à la grâce et à la gloire, non celui de la prédestination spéciale à la gloire. Là-dessus, Bossuet et Bellarmin paraissent avoir raison contre Petau, quiexagère le conflit entre saint Augustin et les autres Pères. Par ailleurs, on peut accorder à Petau — et nous croyons que le pape Célestin, à la lin de sa lettre célèbre aux évoques de Gaule, n’y contredit pas — que le saint Augustin de la dernière manière, par ses formules outrancières et par ses prétentions, donne aisément L’impression d’un esprit différent de celui des Grecs. Il n’est pas exact de dire que l’Eglise a canonisé toutes les assertions d’Augustin. Sur l’universalité, delà volonté salvilique, sur le sort des enfants morts sans baptême, l’enseignement de l’Eglise dépasse et parfois redresse Augustin. En fait, ses formules ont reçu des interprétations multiples, les unes abusives et fausses jusqu’à l’hérésie inclusivement, les autres plus ou moins plausibles. On discute làdessus depuis quinze siècles. Voir dans D.T C, les art. Augustinianisme et Augustinisme par le P. Porta lié. Et ci-dessus, col. a13-a16.

Le cardinal Noris, O. S. Aug. (-j- 170/4), dans ses Vindiciæ augustinianae, c iii, § 7, voir/*. /.., XLVII, p. 680-682, se fait le répondant de saint Augustin, accusé de certains excès de langage au sujet dj prédestination. Il ajoute : Sententiam illam de gratuita prædestinatione ad gloriam ante prævisa mérita docuere sanctus Prosper, sanctus Fulgentius, imo cam Fulgentio Patres synodi Sardiniensis…

FÉneloN, après avoir relaté le système de Malebranche sur la Nature et la Grâce, adresse au P. Lami, Bénédictin, une lettre sur la Prédestination, mode loi !  :’précision théologique et de sens apologétique quilleti 708). — Œuvres, éd. de Paris, 18 ; Jo, t. III, p. 280 297 C. du Plessis d’Aroextré (71740, évêque de Tulle), publiait, en 1710 : De Prædestinatione ad gloriam et Reprobatione Commentarium historieum (Parls.appendice au vol. III îles œuvres de Martin Grandin). Précieux recueil, où l’on trouve analysé, avec beaucoup de conscience et d’exactitude, le sentiment de plus de six cents auteurs qui ont traité de la Prédestination, Nous ne 1’avons connu qu’en achevant le présent travail et ne saurions mieux faire que d’y renvoyer. Au chap. s, § i, p 307-212, l’auteur présente des conclusions d’ensemble ; nous abrégeons :

I. Les anciens Scolastiques, on matière de prédestination, traitent d’ordinaire la question d’ensemble, considérant la

et la gloire comme un tout. Sur la question spéciale de la prédestination à la gloire, leur sentiment ressort du langage qu’ils tiennent soit sur la réprobation, soit sur l’œuvre du salut Les uns insistent sur le bon plaisir divin qui favorise les uns et non pas les autres : ce sont les théologiens do la prédestination gratuite à la gloire. Les autres Insistent sur la providence générale qui met à la portée de tous les adultes des grâces suffisantes fainsi Alexandre do Aies et Henri de Gand). Ce sont les théologiens de la prédestination à la gloire rx piævisis meritil,

II. La controverse moderne sur la prédestination à la gloiro ante ou post prævisa mérita, était inconnue des Pères et

des anciens scolasti ques. Ils se demandaient seulement pourquoi tel est prédestiné, toi autre ne 1 est pas ; et ils se voyaient amenés à distinguer, dans l’objet du décret de prédestination, le terme et les moyens. L’ordre de succession entre le but et les moyens les intéressait peu ; Scot, le premier, y donna une attention spéciale. La question de la prédestination ante ou pust prævisa mérita fut posée en propres termes par P.erre d’Ailly (f 14ao). Depuis lors on l’a souvent reprise.

III. Les anciens docteurs scolasliques, comme Alexandre de Aies, Albert le Grand, saint Thomas, quand ils parlent de la cause de la prédestination, soulèvent deux questions. D’abord, la prédestination et la réprobation en général ont-elles une cause en Dieu > Ils répondent qu’il n’en faut pas chercher d’autre que la miséricorde divine d’une part, la justice divine d’autre part. Si 1 on demande pourquoi Dieu prédestine ceux-ci et non pas ceux-là, ou bien ils font appel au bon plaisir divin ou ils répondent eu soulevant une deuxième question : la réprobation a-t-elle une cause en l’homme ?

IV. Cette deuxième question peut s’entendre ou d’une cause physique, agissant réellement sur Dieu, ou d’une cause morale, autrement dit d’une raison prise en considération par Dieu. Tou, les scolastiques sont unanimes à exclure l’idée d’une cause physique : Nihit temporale potest esse causa æ terni. Mais, avec saint Thomas, ils s’accordent à dire que Dieu peut prendre en considération telle raison pour so déterminer librement. Ainsi prend-il en considération le péché prévu, peur se déterminer à sévir contre le pécheur. En ce sens, Alexandre de Aies, saint ilonaventure et autres parlent des mérites prévus comme étant au regard de Dieu une raison de convenance, rati.i congruilatis, et une cause morale de la prédestination. D’autres réprouvent ce langage, et ne veulent entendre parler en aucun sens de prédestination à la gloire propter mérita prævisa. En quoi ils demandent à être entendus bénignement. Ou bien l’on avouera que leurs arguments prouvent trop.

V. Après l’origine delà controverse pélagienne, saint Augustin parait enseigner que la prédestination à la gloire ne dépend pas de la prévision des mérites ; il a été suivi par la plupart des Pères latins et par la foule des Scolastiques, à commencer par le.Maître des Sentences, saint Thomas et >cot. Mais les Pères grecs et presque tous les théologiens grecs à la suite de saint loan Chrysoslome, défendent ouvertement que la prédestination à la gloiro dépend de la prévision des mérites En présence de ce désaccord, l’Eglise n’a rien défini jusqu’à ce jour.

VI. En faveur de la prédestination à la gloire ante prævisa mérita, on peut so prononcer de deux manières. Ou bien Ion admet eu Dieu, même après la chute d dani, une volonté sincère do sauver tous les hommes, prédestinés ou non, de donner à tous en général) des moyons suffisants pour lo salut, et de ne réprouver absolument qu’en considération des démérites. Ou bien l’on admet cette volonté au regard do l’humanité cjni ne telle, mais non pas de l’humanité déchue. C’est 1 attitude de l’h-résie prédestinatienne, renouvelée par Calvin et Jansénius, d’après une exégèse fausse de I l’iin., II,

VIL Beaucoup d’anciens scolastiques, à la suite du Maitre des Sentences, ont conclu de Rom., ix, n à la réprobation ante />rævisa mérita. Mais ils y ont mis ce tempérament : par réprobation ils entendaient la négation d’une prédestination positive, lo défaut de grâces sûrement efficaces, mais non l’exclusion absolue de la gloire et la damnation proprement dite, sinon en conséquence des démérites prévus. Selon la multitude des scolastiques, cette réprobation négative ne comporte que le refus de grâces sûrement efficaces. Mais Scot, qui distingue subtilement divers instants de raison dans le décret divin, la fait consister dans une certaine suspension de ce décret. Pure question de mots.

VIII. Parmi les scolastiques antérieurs au concile de Trente, à peine en trouvo-t on quelques-uns (comme Thomas Hradwardi ne et Grégoire de Rimini] qui voient dans la non -prédestination une exclusion absolue de la gloiro céleste.

IX. Ouelques néothomistes pensent quo la réprobation — c’est à-diro l’exclusion absolue du royaume des cioux. — est prononcée non seulement ante prævisa opéra, mais encore ante prævisum Adue peccatum, par un pur acte du bon plaisir divin. C est là une opinion inouïe chez les Pères et chez lesanciens scolastiques. Ils allèguent que la béatïlitude surnaturelle est un don tout gratuit, que Dieu peut rofuser selon son bon plai-ir. Absolument parlant, on doit .53

IMIUDESTINATION

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l’accorder ; niais dans 1 hypothèse de l’élévation de l’homme à l’état surnaturel on.ioit lo nier. Mémo déchu, l’homme demeure appelé à la lin surnaturelle et n’en peut èlre privé quo par sa faute. Il est bien i rai que toute la série des grâces aboutissant a la persévérance finale constitue un don gratuit ; la soustraction de ce don. en quoi consiste la réprobation négative, est possible ante prævita quælibet o/era (dans l’hypothèse du poché originel), au sentiment de beaucoup d’anciens. Mais il ne faut pas confondre cette réprobation négative avec l’exclusion absolue do la gloire. Aussi l’opinion d’Alvarez, LSaiïez, Kslius et autres, qui entendent la réprobation négative comme uno exclusion absolue du bienfait gratuit de la gloire, est elle contraire au sentiment unanime des Pères, dépourvue do l’on iemei.l solide, toul-àfait indigne de Dieu, pleine do cruauté.

X. I’adage scolastiquf oi cuit quodin se e$t, Drus non dene^at gratiam, est expliqué par saint 1 bornas en ce sens nue l’homme, en usant bien de la grâce excitante, est sur de parvenir a la grâce justifiante et a l’amitié dhine. Ainsi l’entendent communément les anciens Soolastiques. Ce qui ne les empêche pas, en général, de reconnaitre dans la grâce de la persévérance linale, que Dieu accorde aux prédestinés, un don tout gratuit.

Cependant beaucoup ont entendu le mèine adage des efforts que l’homme fait par sa seule nature. Telle n’est pas l’interprétation de saint Thomas, qui. dans son commentaire In Ilcb. xn. applique col adage à l’homme aidé parla grâce excitante. Ain-i font communément 1rs anciens Scola-Uiques ivoir Richard de Middleton, In 1 d., 46, art. 1.). Si quelques-uns parlent des elforts de la seule nature, sans doute ils entendent seulement que lhommc peut se disposer de loin àla justification, en ôtant les obstacles qui s’opposent à l’action de la grâce. Ftuiz de Montoya, dans son traité de la Prédestination, recourt à cette raison pour les excuser. Mais lui-même avoue que cette raison est peu sure et confine au semipélagianisme.

XI. Si on lui demande son sentiment personnel, l’auteur commencera par constater que certains élus sont l’objet d’une prédestination tout exceptionnelle ante prævisa mérita. Ainsi les enfants morts aussitôt après leur baptême. Sur la question d’ensemble, il s’abstient modestement de prendre parti entre la prédestination à la gloire ante ou post prævisa mérita. L’autorité de saint Augustin et de ses nombreux disciples, surtout de saint Thomas, l’inclinerait à la première opinion ; mais le sentiment des Pères grecs, à commencer par saint Jean Chrysostome, et de quelques latins lui donne à réfléchir. Il lui sullit de savoir que le Père céleste a aimé le monde jusqu’à donner son Fils (foan., iii, 16), et qu’il est prêt à parfaire ses dons (II Pet., i, to).

Saint Alpiionsr de Liguori, C. SS. R. (~ 178 ;), défend de sonder le mystère ; il se borne à rappeler les enseignements pratiques de l’Ecriture, qui autorisent la confiance et réprouvent la présomption. Réfutation des hérésies, XIII (Jansénius). 2a ; Œuvres, trad. fr., t. XXI, p. 335, Paris, 18^2 :

« Quelques personnes se troublent l’esprit à sonder la profondeur des jugements de Dieu et le grand mystère de la prédestination. Peine inutile ; il y a là des mystères et des secrets que ne pénétiera jamais la débile intelligence de l’homme. Ne cherchons donc pas à percer ces mystérieuses ténèbres qui ne sont lumineuses que pour Dieu seul ; et tenonsnous-en aux choses certaines qu’il veut que nous sachions ; savoir : qu’il veut sauver tous les hommes et ne perdre personne (I Tim., 11, 4 ; H Pet., iii, o) ; que Jésus-Christ est mort pour tous (Il Cor., v, i.">) ; que celui qui se perd, se perd par sa faute, puisque Dieu est toujours disposé à nous donner son secours pour nous sauver (Os., xiii, 9). Au jour du jugement, les pécheurs auront beau dire qu’ils n’ont pu résister aux tentations, l’Apôtre nous enseigne que Dieu est fidèle et qu’il ne permet pas que nous soyons tentés au delà de nos forces (1 Cor., x, 13). Si nous désirons des grâces plus puissantes pour faire face

aux tentations, demandons-les, Dieu ne nous les refusera pas, car il a promis de donner à chacun le secours nécessaire pour triompher des tentations de la chair et des puissances infernales (Mt., vii, 7 ; Le., xi, 10). Kt saint Paul nous fait savoir que le ciel est libéral envers tous ceux qui lèvent les mains vers lui (Rom., x, ij.13). » — Cf. J. IIkkhmamn, C. SS. 11., Tractatua de divina gratia secundum S. Alp ho Il si M. de Ligorio doclrtnam et mentent, § 2^7, p. 1 66, Homae, içjo’i.

M. J. Schbbbbn a consacré au « Mystère de la Prédestination » une étude très digne d’attention. Die Mysterien des Christenthums nach IVesen, Bedeutung und Zusammenkang dargestellt ; 2" Aufl., besorgt durch E. Kûpper ; Freiburg. Bi., 181j8 ; X ur Hauptstûck, Dos Uysteriiirnder l’ruedvstination, p. 617-6/19. Il commence par noter l’identité pratique des expressions : prédestination et volonté salvifique. Et comme on s’accorde à reconnaître en Dieu une double volonté salvilique, l’une antécédente et conditionnelle, qui s’étend à tous les hommes, l’autre conséquente et absolue, restreinte à ceux qui, de fait, se sauveront, il conclut que l’on peut, au même titre, parler d’une double prédestination : l’une générale, qui s’étend à tout le genre humain, l’autre spéciale, restreinte à ceux que l’on a coutume d’appeler par excellence : les prédestinés. Mais, au fond, il n’y a qu’une seule prédestination, que l’on peut considérer à divers stades de son développement : la prédestination générale répond au stade initial, commun à tous les hommes ; la prédestination spéciale répond au stade final, propre aux seuls « prédestinés ».

A le bien prendre, le mystère de la prédestination se confond avec le mystère de l’élévation de l’homme à l’ordre surnaturel. Cette élévation est l’œuvre d’une motion divined’ordre trèsrelevé, quiconduit l’homme jusqu’à sa fin surnaturelle, ou le laisse déchoir sur la route, selon que la coopération de l’homme aux prévenances de la grâce se soutient jusqu’au terme ou au contraire défaille définitivement. Cette motion bienfaisante est toute gratuite, et elle est, de soi, infaillible.

Motion gratuite : car l’homme n’a aucun titre à être poussé vers une fin qui surpasse toutes les exigences de sa nature. Elle peut conduire l’homme jusqu’à cette fin : c’est le cas d’une prédestination spéciale. Une telle prédestination suppose en Dieu la prescience de la coopération de l’homme, mais non pas

— chose très différente — la prescience de ses mérites : car les mérites sont un effet de la prédestination, et non point sa cause. On ne parlera donc point de prædestinatio ex prævisis meritis, ni post prævisa mérita, pas plus qu’on ne parlera de prædestinatio ante prævisa mérita ; si l’on veut parler correctement, on parlera de prædestinatio per mérita prævisa in cooperatione liueri arbilrii a gratia moti et informati, qua cum ipsa gratia præeniente coopéra tur.

Motion infaillible, à considérer la vertu propre de l’action divine, qui atteint toujours son but, pour autant qu’elle n’est pas frustrée par la volonté humaine, toujours capable de se dérober. En principe, cette eflicacilé est inhérente à la prédestination générale ; elle se maintient dans la prédestination spéciale, et dans celle-là seulement, par le fait d’une sélection où intervient la liberté humaine : fidèle, chez ceux-ci, infidèle chez ceux-là. Loin de faire échec à la liberté humaine, l’infaillibilité de la prédestination divine fonde cette liberté, selon la doctrine de saint Augustin, en assurant sa victoire sur tous les attraits inférieurs.

La notion chrétienne de la prédestination a été déligurée diversement par deux interprétations 255

PREDESTINATION

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extrêmes et contraires : interprétation naturaliste on rationaliste, et interprétation altramystique.

L’interprétation naturaliste ou rationaliste intervertit les rôles dans ia genèse de l’acte salutaire et, en méconnaissant le primat de la motion divine, adjuge à l’homme la conduite de sa propre destinée. Err : l son plein relief dans l’I

emipéli

L’interprétation ultramystique décrit la motion divine comme une prédétermination et réduit le gouvernement providentiel à un pur mécanisme où l’homme n’intervient que comme un rouage. Sous couleur et honorer la souveraineté divine, cette erreur supprime, en fait, le mystère de la prédestination, avec l’exercice de ia liberté humaine. Et elle découronne la créature libre de son plus glorieux privilège, qui consiste à n’être pas simplement mue. mais à se mouvoir elle-même vers sa lin surnaturelle.

Scheeben rencontre cet inconvénient dans le système des prédéterminations thomistes, qui expliquent l’accomplissement infaillible de la prédestination par le seul influx physique de la Cause première. Il le retrouve aggravé dans le système augustinien de la grâce victorieuse, qui substitue à l’influx physique un influx moral, pareillement inéluctable en fait. Il rend hommage à l’inspiration élevée d’où procèdent ces conceptions, mais les juge en somme aussi peu équitables à la transcendance divine qu’à la liberté humaine ; il se réserve d’admettre un inllux, à la fois physique et moral, qui fait expressément sa pari au libre arbitre ; et il incline en somme vers les idées de Molina et île Suarez qui, reconnaissant entre la grâce prévenante et le mouvement réel de la volonté une simple concordance de fait, appuyée sur la science moyenne, maintiennent la vraie teneur de l’enseignement thomiste et augustinien.

Le dernier mot de la question lui paraît avoir été dit, après gaint Thomas, par Grégoire de Valentia, qui a magistralement développé l’économie de l’ordre surnaturel.

La motion efficace de la volonté humaine, dans l’ordre du salut, requiert le concours de deux principes : la grâce habituelle, qui constitue dans l’homme une source permanente d’énergies surnaturelles ; c’est le surnaturel in actu /" ; et la grâce actuelle, qui déclenche elïectivement l’énergie surnaturelle ; c’est le surnaturel in actu II". Quand ces d ;  ; ux principes coopèrent, la notion divine atteint son elFet normal, et l’homme avance vers sa (in surnaturelle. On ne saurait trop souligner que la coopération du libre arbitre, son acquiescement aux sollicitations de la grâce, est lui-même un effet de la grâce actuelle. Telle est la vraie conception mystique de l’œuvre du salut, conception également glorieuse aux initiatives de la grâce et juste aux réponses du libre arbitre.

Scheeben a soin de distinguer l’élection divine, qui se consomme par l’introduction de l’homme dans la gloire, et le choix de grâces qui consiste dans la dispensation des secours intérieurs et extérieurs en vue du salut. L’élection divine échappe entièrement aux prises de notre libre arbitre ; c’est le don gratuit de la prédestination, niais la coopération qu’elle suppose est dans nos mains : à nous donc de rendre notre vocation et notre élection effectives, selon saint Pierre (II Pel., I, 10). D’où la nécessité d’opérer notre salut avec crainte et tremblement, selon saint Paul (PliiL, ii, ia.13), en nous tenant assidûment sous la main de Dieu.

D’ailleurs la terreur de la réprobation est une ombre que notre infidélité seule pourrait projeter sur la grande lumière des divines miséricordes. La grâce de Dieu nous est acquise, aussi bien que notre

propre liberté ; nous ne saurions la perdre qu’en la méprisant. De ce point de vue, le mystère de la prédestination apparaît non comme un objet de terreur, mais comme un signe d’espérance ; car Dieu veut réellement notre salut à tous et nous y attire, encore que la mesure de grâces ne soit pas la même pour tous. Cette diversité dans la mesure des grâces est le point le plus mystérieux de la prédestination. Mai. nous savons que Dieu ne manque à aucun de ju’ila appelés. Tous, par la vertu de la passion du Christ, nous sommes en principe soustraits à la masse de perdition, et introduits dans la misse de bénédiction, où il ne tient qu’à nous de persévérer jusqu’au bout en rendant elfective la grâce qui nous a prévenus. L’infaillibilité de la prédestination

— de la prédestination générale — a dans le Christ son premier et sûr fondement.

La prédestination ante prævisa mérita a toujours compté de notables représentants, parmi lesquels on peut nommer de nos jours : J. Van der Meerscii, Tractatus de Deo itno et trino, t. I, p. 11, c. iv, Brugis, 1917 ; L. Janbsbns, O. S. IL, De gratin Dci et Clinsti, p. 255. Friburgi Brisgoviae, 1921.

Par ailleurs, des opinions que l’on pourrait croire mortes reparaissent quelquefois, plus ou moins travesties. La plaquette anonyme intitulée : Notion simplifiée et adoucie de lu Prédestination (Paris, 1897, 64 p. in-8, Bibl. Nat., D, 8/|351) renouvelle en somme l’effort d’Ockam et de Catharin, en l’aggravant par diverses erreurs exégétiques et théologiqnes.