Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Paraboles de l'Evangile

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

PARABOLES DB LÉVANGILE. — I. Théorie UTTiinviHK DB LA PARABOLE. — I. Parabole et mâchai hébraïque. 1, Analyse du genre. 3. Obscurité relative de la parabole en général. 4. La parabole eva’igélique es/ particulièrement d’une interprétation laborieuse. 5. Sentiment de ta Tradition’a ce sujet. — II. Le bit i>k l"bnseiomembnt par paraboles. — I. Etat de la question, a..Sens du texte des Evangiles. 3. Commentaire traditionnel de ce même texte. 4. Les opinions des catholiques contemporains. — III. L’AUTHENTICITÉ DES PARABOLES. Oh l’a contestée. i. A raison de leur caractère allégorisant. a. A cause de l’état des textes, dans lesquels on a cru relever des remaniements et des adaptations postérieures.

Deux questions seulement intéressent ici l’Apolog ^étique : l’authenticité des Paraboles et le but de Jésus-Christ en les disant. Mais la réponse à faire dépend en partie de la théorie littéraire de la parabole évangélique.

I.Tbéorie littéraire de la parabole évangélique

1" Le terme de parabole revient cinquante fois dans le texte j> : rec du Nouveau Testament, savoir : quarante- huit fois dans les évangiles dits synoptiques, et deux fois dans l’épître aux Uébreux ( ! x, 9 ; XI, ig). Dans ces deux derniers passades, il prendle sens particulier de « figure prophétique », mais partout ailleurs il s’emploie pour signilier un mode d’enseignement, le plus caracléristiqi’.e des discours de Jésus-Christ.

La parabole évangélique a paru si achevée qu’elle est restée le type du genre, et c’est à elle qu’on pense quand il est question de parabole tout court. Ce n’est pas que Jésus-Christ ait inventé le discours parabolique, ni même la parabole proprement dite. Il a eu des précurseurs. Il va sans dire que c’est chez les Juifs, et non cher les Grecs qu’il convient de les rechercher. Sans parler de Salomon, qui garde dans la tradition juive la réputation d’un grand paraboliste, nombre de ceux qui ont écrit l’. cien Testament, prophètes ou moralistes, excellent à manier la parabole.

Dans la version grecque des Septante, le mot ttccox- ?o/i se rencontre quarante-sept fois, et le plus souvent il traduit l’hébreumâcvri/.Or.le m « c/(â/ hébraïque est une sentence renfermée dans deux stiques parallèles, qui le plus souvent se développent en une comparaison.

De l’eau fraîche pour celui qui a soif. Telle la bonne oouTelle Tenant d’un pave lointain (Proi.,

« V, 25).

Le mâchûlesl d’une compréhension très élastique, presque fluide. ombreuses sont ses variétés. Encore qu’elles ne se distinguent ])as nettement les unes des autres, on peut en énumérer une dizaine : la simple similitude, comme sont la plupart des sentences du livre des Proverbes ; le dicton(rîen., xxii, 14 ; Ezech., XII, aa) ; le proverbe (1 ïiois.x, la) ; l’énigme ou problème (yH^es, xiv, ia-14) ; l’exemple, mais en mauvaise part, comme nous disons devenir la fable, e’est-à-dire la risée (A’s., lxviii, la ; Deut., xxviii, 37) ; la parabole ou fable (Juges, ix, 7-15) ; l’allégorie (Èiech., xvii, 2-10 ; XIX, ixiii) ; et enûn, en un sens

moins rigoureux, la figure prophétique ou type biblique (Ps., Lxxvii, a ; cf. Hebr., tx, 9 ; xi, ig).

Dans, la littérature juive postérieure, notamment dans les apocalypses du livre d’Hénoch et du IV’livre d’Esdras ; puis et surtout dans le Talmud, on rencontre ces mêmes formes du mâchai. De tout temps, le discours [larabolique a été faniilitr aux Orientaux. St Jkrôme en faisait la remarque à propos des Syriens et des Palestiniens. « Familiare est Syris, et maxime Palæstinis, ad omnem sermonem saura parabolas jungere : ut quod per simplex præceptum teneri ab auditoribus non polest, per similitudinem exeniplaque teneatur. » In Matth., xviii a3 ; P.L., XXl, iSa..

2" Nulle part dans l’Ecriture, pas plus dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien, nous n’avons les règles de la parabole. Ces règles ont sans doute existé, étant donné que le mâchai représentait chez les Hébreux l’art de bien dire. L’Ecclésiastique (xxviii, 33) met sur le même pied le jurisconsulte et celui qui « sait énoncer de fines sentences ». On devait s’exercer à faire et à expliquer le mâchai, puisque le même auteur fait observer que l’homme cultivé « pénètre les détours des sentences subtiles, cherche le sens caché des similitudes et s’applique à deviner les sentences énigmatiques » (xxxrx, a-3). Mais, à défaut d’une théorie littéraire toute faite (qu’on serait du reste bien étonné de rencontrer dans des textes d’un intérêt exclusivement moral et religieux), nous avons dans la Bible, et notamment dans l’Evangile, assez de paraboles, pour qu’il soit permis de tenter une analyse du genre.

Il est manifeste <|ue l’élément commun à toutes les variétés du mâchai est la mise en œuvre d’une comparaison. De là son équilibre, résultant de deux termes sj-métriques, aussi bien pour le fond que pour la forme. C’est ce que les mots eux-mêmes donnent clairement à entendre : mâchai et T : y.pei.Z : ii.Ti, tout comme -nxpitftiv., veulent dire similitude. Ils consistent essentiellement à rapprocher deux objets pour les comparer, de manière à comprendre l’un par l’autre. La légitimité du procédé se fonde sur la supposition, tacite mais non gratuite, qu’il y a unité dans les choses de ce vaste monde, que la vie intérieure des âmes, que la vie divine elle-même a de l’analogie avec le mouvement et la vie des êtres inférieurs, telle que l’expérience quotidienne nous la fait connaître. Instinctivement et universellement, les hommes sont persuadés que l’invisible se révèle dans le visible. C’est tout le fondement du symbolisme.

Les figures les plus primitives du langage, celles que les Grecs appellent tsottîi (ijue Quintilien traduit par verborum immutationes), seramènentendéflnitive à la comparaison. On commença par dire d’un homme vaillant qu’il était comme un lion. La métaphore était trouvée. Elle sort de la comparaison, ou plutôt elle n’est qu’une comparaison implicite : on affirme directement d’un objet les propriétés ou prérogatives d’un autre. Alors que la comparaison rapprochait, pour dériver la lumière de ceci sur cela ; la métaphore superpose, de manière que ceci transparaisse à travers cela.

Tout le monde convient que la parabole est une comparaison soutenue, développée en un récit Actif ; et que l’allégorie est une série de métaphores cohérentes pour donner à connaître un seul et même objet. Au reste la parabole et l’allégorie tendent pareillement à instruire en charmant : avec cette différence que l’allégorie est facilement plus descriptive. Avec les mêmes éléments on peut faire une simple similitude (qui sera parabolique ou allégorique), une parabole ou une allégorie. Le Christ, qui est 1565

PARABOLES DE L’ÉVANCxILE

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venu à nous en pasteur, s’apitoyait sur les foules qui le suivaient, trouvant « qu’elles étaient comme des brebis sans berger », Vatlli., ix, 36 (similittide parabolique). Alors, il dit à ses disciples : « Allez aux brebis perdues de la maison d’isracl >i, yi/ « ((/(., x, 16 (similiiitde ullt’gorique). Il insista davantajfe quand il dit la parabole de la brebis perdue et retrouvée (Mattli., Tiviii, 12) ; il expliqua le lotit pniv l’allégorie du bon Pasteur (Jean, x. 1-18).

Oi linit la similitude ? Où commence la parabole ? Il est dillicile de le marquer avec précision. Tel range parmi les paraboles la sentence du Seigneur sur le vieux vêlement, qu’on ne raccommode pas avec une pièce j)rise à un neuf, ou encore la sentence des vieilles outres, impro|)resà recevoir du vin nouveau (/. » (", V, 36-37) ; iilors que d’autres n’y voient qu’une similitude. C’est ce qui explique le désaccord des auteurs quand ils font le total des paraboles évangéliques ; les cliilfres proposées oscillent entre 20 et 100.

Une autre imprécision, plus importante, lient à ce que les frontières sont mal définies entre l’allégorie et la parabole. Bien peu des paraboles qui se lisent dans l’Ecriture sainte sont exemptes de toute allégorisation, el, inversement, les allégories présentent çà et là des traits paraboliques. On admet couramment que le proiiliète NatUan a dit une parabole, quand il vint reprocher à David son adultère (Il Hois, XII, 1-4). Toutefois, que penser d’une brebis qui mange le pain, boit à la coupe et dort sur le sein d’Urie ?" Dans une parabole pure, ces traits manquent de vraisemblance. Décidément, celle brebis n’est autre que Bethsabée S’il y a une allégorie dans les Evangiles, c’est assurément celle du bon Pasteur {Jean, x, 1-19). Cependant, les commentateurs sont bien embarrassés de trouver une signilicalion allégorique au « portier » dont il j’est parlé ; et on peut croire que ceux-là ont raison, qui voient dans ce détail un trait purement parabolique, emprunté à la vie pastorale des Palestiniens.

Dès lors, rien d’étonnant à ce que dans les paraboles de l’Evangile on rencontre, en plus d’un endroit, des traits allégorisants, qui conviennent directement aux choses du royaume de Dieu ; la comparaison ayant fait place à la métaphore. Les vignerons qui se disent entre eux : « Celui-ci est l’héritier, venez, tuons-le et nous aurons son héritage », ne peuvent être que les chefs de la Synagogue (Maltli., xxi, 38). Ce roi qui envoie des troupes pour briller la ville des invités qui ne se sont pas rendus aux noces de son fils, n’est autre que Dieu ; et ces invités, de mœurs singulières, qui tuent les serviteurs du roi, porteurs de l’invitation, ne sauraient être que les Juifs.

Bien que les classiques aient, plus que les écrivains bibliques, tenu compte de la différence des genres littéraires, il ne serait pas difficile de faire voir que les fabulistes grecs ou latins, et même notre bon La Fontaine, ont parfois forcé le trait de la comparaison, uniquement en vue de la moralité qu’ils entendaient tirer. Quoi qu’il en soit, une composition mélangeant la similitude, la paraboleet l’allégorie, les choquait si peu que le rhéteur Quintilibn y voit le comble de l’art. « Illud rero longe speciosissiiniim genus orationis, in quo trium permixta est gratia : similitudinis, allegoriae, translationis » {/nstt. or., Vlll, VI, ^9). Si l’on juge des paraboles de SooHATR par celle qui se lit dans le Phéd()n(LXi), il faudra bien convenir qu’elles ne manquaient pas de ce genre de beauté. Dans l’Evangile, le mélange de comparaisons et de métaphores se remarque surtout dans les sentences, qu’on est convenu d’appeler similitudes plutôt que paraboles proprement dites. Loin d’y voir un élément de perfection, on peut con venir qu’il en résulte parfois des rapprocLemenls heurtés, qui enlèvent au texte de la grâce et de la clarté. Il faut rélléchir beaucoup pour rendre compte d’une parole comme celle-ci : >< Laissez les morts ensevelir leurs luorls >> (Matlh., vni, 22) ; encore qu’on comprenne du premier coup son sens sommaire.

AuisroTi’, (/^/leV., 11, xx) range la parabole parmi les topiques ou lieux communs de la rhétorique, il y voit un moyen de persuasion. C’est qu’en elfet la comparaison devient argiimeniative quand elle se fonde sur une analogie rigoureuse. Alors, elle a valeur de preuve. Aristote lui-même en donne un exemple, quand il pose la question : s’il convient de tirer au sort les magistrats. Il répond : Est-ce qu’on tire au son les pilotes ? La parabole n’étant qu’une comparaison continuée, rapprochant des situation.’), permet de conclure parfois de l’une à l’autre, au nom de la nature même des choses, indépendamment de l’autorité du parabolisle. On dit que la comparaison est purement ilhistrative, quand elle se borne à faire mieux comprendre un objet connu, ou saisir une vérité déjà admise. Mais à bien comprendre les choses, toute comparaison est un argument qui conclut plus ou moins « simili, a contrario, ou a fortiori.

Littérairement, on peut, avec Aristote, ramener la parabole à la fable, non pas à la fable apologue, tirée des mœurs des animaux, mais à la fable rationnelle, qui se prend des choses de la vie humaine. Telle la fable Le laboureur et 5eseH/a « <s. Cependant, à raison de leur origine divine et de leur objet transcendant, on évite de donner le nom de fables aux paraboles de l’Evangile. Ilya une troisièmeraison, la plus importante peut-être, de ne pas faire cette assimilation. La morale des fables est une vérité de sim]>le bon sens, facile à saisir ; tandis que l’enseignement des paraboles de l’Evangile a jiourobjet des choses mystérieuses, dont ou admet l’existence à cause de l’autorité même du Maître qui parle, plutôt qu’à raison de la valeur persuasive de ses comparaisons.

3" Le langage des gens du peuple est facilement imagé ; de là vient que les littératures primitives abondent en comparaisons et en métaphores. C’est qu’il est tout naturel à l’homme d’énoncer l’abstrait en termes concrels, d’ailer dans ses discours du connu à l’inconnu, du proche au lointain ; bref de faire apparaître l’invisible. Le terme figuré plaît à l’imagination, émeut la sensibilité, et on le retient aisément. Mais on aurait tort decroire qu’ileslunélément de clarté et de précision. Aussi bien, la langue philosophique le proscrit. Toulemétaphore, précisément parce qu’elle dit une chose pour en faire comprendre un autre, obscurcit le discours, à moinsque l’habitude ou le sens obvie de la figure n’en rendent l’intelligence facile. Même alors, leterme propre serait plus précis, et donc aussi plus clair. Dire de quelqu’un qu’il est un lion, ce n’est pas encore préciser si l’onentend parler de sa hardiesse, de sa vaillance, ou de sa force. La parole de Jésus-Christ à l’adresse d’ilérode Antipas : <i Dites à ce renard que je chasse les démons, et que j’accomplis des guérisons aujourd’hui et demain, et le troisième jour je suis à mon terme » (lue, xiii, 82) ; cette parole, dis-je, exerce encore la sagacitédes interprètes. Tout commentaire eut été superflu, si le message avait été formulé comme suit : « Dites à ce rusé que ses menaces ne m’empêcheront pas de faire mon œuvre, pendant le teuips très court qui me reste à vivre ; car il n’est au pouvoir de i)ersonne de hâter le terme de ma carrière, marqué d’avance par Celui qui m’a envoyé.p (Encore on se demande si renard veut dire ici rusé plutôt que vorace, parce que dans la Bible cet animal 1567

PARABOLES DE L’EVANGILE

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semble être un type de rapacité sanguinaire.) Des métaphores en apparence plus claires n’en ont pas moins induit en erreur des exégètes de profession, ceux, par exemple (et ils sont nombreux), qui voient une invitation à la persévérance dans la sentence du Seigneur : " Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est pas apte au roj’aume de Dieu » (Luc, ix, 62). En réalité, le Maître a voulu dire que l’apôlre doit être tout entier à l’teuvre du royaume de Dieu, sans se laisser distraire par des intérêts temporels ; tout comme pour labourer droit et profond, c ist-à-dire faire de la bonne besogne, il ne suilit pas de tenir les mancherons, il faut encore regarder en avant, avoir les yeux sur le soc et les boeufs.

(hie dire des métaphores savantes, tirées de l’histoire des sciences, de mœvirs moins populaires, qui supposent lie l’instruction et une psychologie plus aflinée ? Par bonheur, il y en a peu dans l’Evangile. Toutefois, plus d’un passage reste, de ce chef, assez énigmatique ; du moins pour nous qui lisons ces textes à dislance. « Depuis les jours de Jean-Bajdiste jusqu’à présent, le royaume des cieux souffre violence, et les violents s’en emparent. » (Maith., xi, 13) Ces « vitilcnts » sont-ils des amis ou des ennemis de l’Evangile ? Aux envoyés du Temple, qui lui demandent s’il est Elle, le Précurseur répond : Je ne le suis pas « (Jean, i, 31) ; alors que.lésus-Ghrist déclare que Jean-Baptiste » est lui-même Elle, qui doit venir «  (Maitli., II, 14)- On sait le mal que les commentateurs se donnent pour démêler les différentes significations figurées que le nom d’Elie comportait chez les Juifs. Quand Philippe disait avoir trouvé u Celui de qui Moïse dans la Loi et aussi les Prophètes avaient écrit » (Jean, i, ^5), il fut peut-être compris aisément de Nathanaël ; mais aujourd’hui on se demande si

« Moïse et les Prophètes » signifie ici autre chose

que les Ecritures en général, comme dans saint Luc, XVI, 29.

On accorde sans peine quel’allégorie et la parabole allégorisante sont d’une interprétation laborieuse, maison prétend qu’il n’en va pas de même de la simple parabole. N’étant qu’une comparaison développée en récit, les mots y retiennent leur sens propre. Le semeur, son champ, la semence qu’il y jette, les mauvaises plantes, les divers rendements du blé (30, 60, 100 pour 1) : tout cela signifie dans la parabole comme dans une histoire proprement dite. Certes, de sa nature même, la comparaison fait de la lumière ; à la condition cependant qu’elle soit bien choisie. Même alors, elle peut égarer si on la presse trop ; car toute comparaison cloche. C’est donc que la comparaison elle-même vent être entendue judicieusement. Entre les deux objets ou les deux situations que l’on compare, il y a ressemblance, mais non identité. Où commence le point précis de la ressemblance ? Où linit-il ? C’est ce qui ne saute pas toujours aux yeux. Le Fils de l’homme viendra

« comme un voleur », Matih., xxiv, 43 ; cf. II

Pierre, iii, 10 ; Apoc, iii, 3 ; xvi, 15. Voilà qui est clair : il viendra à l’improviste, sans prévenir. La comparaison qui précède l’est beaucoup moins : a De même que l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident : ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme » (xxiv, 27). Quanta la comparaison qui vient immédiatement après, elle fait encore le désespoir des commentateurs. « Où que soit le cadavre, là se rassembleront aussi les aigles. »

On n’est pas peu étonné d’entendre Jésus-Christ dire à ses apôtres de « se garder du levain des Pharisiens 1) (I uc, XII, 1). lui qui avait comparé le royaume des cieux au « levain que la ménagère mêle à la pâte pour la faire fermenter ». En y réfléchissant.

on trouve que la com])araison est cohérente. Le levain signifie toute force intérieure d’expansion, et l’on sait qu’une pareille force s’exerce avec des résultats bien difl’éreiits : il y a la contagion du bien et la contagion du mal. Plus d’une fois le Sauveur donne en exemple à ses disciples, la « prudence » des enfants du siècle ; et même la coquiuerie de l’intendant infidèle, qui falsifie, à son profil, les créances de son maître. Une seule chose est à retenir ici : mettre au service de Dieu au moins autant de savoir-faire et d’industrie que d’autres en mettent au service du monde. Serait-ce donc que la tin justifie les moyens ? Nullement. Ne disons-nous i)as familièrement : A trompeur trompeur et demi ; sans prétendre que quiconque se défend avec dextérité contre la tromperie, soit lui-même un trompeur ?

4" A ces causes qui contribuent à obscurcir tout discours parabolique, il s’en ajoute trois autres quand il s’agit du mjchâl biblique, et surtout de la parabole évangélique.

a) La poésie gnoraique a re^u chez les Hébreux des développements, qu’elle n’a pas connus dans le monde gréco-romain. Les Psaumes et les livres Sapienliaux représentent une bonne portion de la IJilile. En Orient, la sagesse ne consiste pas seulement à bien penser, mais à jeter des sentences profondes dans le moule bivalve du màcliàl. L’n des caractères de cette poésie est de faire chercher, de forcer à la réllexion, en jiosant à l’esprit un problème. Cf. l’rov., 1, 5-6. Enigmes, devinettes, charades ne paraissaient pas indignes des meilleurs esprits, qui voulaient se mesurer dans des joutes littéraires. En ce genre, Salomon s’était fait une réputation mondiale (III Rois, X, i-io ; Il Paralip., ix, i-8 ; Eccli., xlvii, 15). L’interprétation des mechiilim faisait partie de la culture intellectuelle d’alors, elle devait tenir une assez large place dans l’éducation de la jeunesse (Eccli., xxxviii. 33 ; xxxix. 1-3). Il v.i de soi que ces sentences, dont on scrutait le sens, étaient obscures. L’auteur du livre des Proverbes (1, 6) parle de « discours voilé » (rxîrcivè ; ’i'/H dans les, Se[)tante). A cet eû’et, on y affectait des rapprochements inattendus.

Mieux vaut un chien vivant qu’un lion mort. EccL, ix, k.

Comme celui qui saisit un chien par les oreilles,

Tel le passaiit qui se mêle de la querelle d’autrui. Prov.^

fxxvi 17,

Un anneau d’or au groin d’un pourceau, *’Telle l : t femme jolie mais sotte. Prot’, , xi, 22.

Certes, il y a un abîme entre ces ingéniosités et le tour simple et grave des paraboles de l’Evangile. Toutefois, parce que Jésus-Christ était d’un temps et d’un pays, il a tenu compte du goût de ses contemporains. U devait plaire singulièrement au gens de la Galilée quand il leur disait : a A qui comparerai-je cette génération ? Elle est semblable à des enfants assis sur la place publique, qui, interpellant leurs camarades, disent : Nous vous avons joué de la flùle, et vous n’avez pas dansé ; nous avons poussé des lamentations, et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine ! Car, Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : « C’est un maniaque. » Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent : « Voici un gourmand, un buveur de viii, un ami des publicains et des pécheurs. » Mais la Sagesse (la Providence) a été justifiée (reconnue et proclamée comme juste) par ses propres enfants (les enfants de Dieu). » Matih., 11, ig.

b) Cette cause d’obscurité est inhérente à la forme de la parabole biblique ; en voici une autre qui tient au fond. Jésus-Christ dit lui-même dans saint Marc IV, II) qu’il enseigne en paraboles « le mystère du royaume de Dieu »..Mystère ne veut pas dire ici chose i-origmeu'— -, développe » — ;  :  ; esse i sur les ' ! -"' j i autorisées "" ;._ „,.opagent,

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PARABOLES DE L'ÉVANGILE

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PARABOLES DE L’EVANGILE

1574

out l’Ancien Testament, dont l’iiisloire n’est guère |ue le récit des « faveurs » faites par Dieu au peuple lu. 2' Sens du texte. — « ) S’il y a une chose certaine, est que les paroles de Jésus-Glirist, qu’elles soient u non rapportées à leur place chronologique, ne auraient s’eiilendre des effets de son enseignement ar paraboles. U’abord, ce n’est pas ce qu’on lui a (mandé. A la question précise : n Pourquoi leur arles-tu en paraboles ? » il répond : « La raison pour iquelle je leur parle en paraboles, c’est que voyant, s ne voient point ; entendant, ils n’entendent ni e comprennent. » Matlh., xiii, 13. Il s’agit d’une isposilion delà foule qui est antérieure a>i chaiigeleiil d’attitude de Jésus à son égard. Celte dispotion est précisément la cause ou motif qui a déleriné ce changement. Parce que, jusque-là, la foule a i les œuvres de Jésus sans com|)rendre qu’elles ablissaient ses prérogatives divines ; parce qu’ils jt entendu ses discours simples et clairs, sans en métrer le sens, préférant s’attacher à leurs idées ^arnelles et mondaines au sujet du Royaume des iux, le Christ décide de leur parler désormais en .rabotes.

Qu’est-ce à dire ? Certes, ce nouveau mode d’en ignement n’apportera pas un surcroît de clarté,

lisque de sa nature il est moins clair, et même

scur. La parabole toute seule, sans explication,

lie qu’elle se présente pour « ceux du dehors o

'arc, IV, 1 1), est, en délinitive, une soustraction de

uière. Les disciples seront mieux partagés. D’où

jnt celle différence ? De deux causes distinctes,

lis corrélalives. D’abord, du don d’en haut, qui a

! fait gracieusement aux disciples, celui de connaî
; les mystères du Royaume des cieux ( ijatlli., xiii, 

l’j ; cf. XI, 20). Ensuite, de la correspondance à la

àce divine. Cette correspondance a fait défaut dans

plus grand nombre de ceux que l’Evangile appelle

a foule ». A cause de cela, chacun est traité main laiit d’après ses dispositions antérieures. Car ici

?toul se vérilie le proverbe. « A celui qui a, on

nnera, et il sera dans l’abondance ; mais à celui

i n’a pas (ce qu’il devrait avoir), on enlèvera

: me ce qu’il a. >< Les disciples progresseront dans

connaissance des choses du Royaume des cieux,

idis que les autres perdront le peu de vérité qu’ils

aient acquis. C’est la régression formulée dans

liage : Qui n’avance pas, recule.

'i) Saint Matthieu cite expressément (saint Marc

iaintLuc implicitement) un passaged’Isa’ie(vi, gi<)),

i, par manière de formule, revient deux fois ail , rs dans le Nouveau Testament, pour caractériser

l’euglement des Juifs. Jean, xii, ^^y-^io ; Ârl., xxviii,

17. (Sur l’aveuglement des Juifs, il faut encore

; Hoin., XI, 7-10 ; Il Cui, iii, 14-16.) Certes, le texte

prophète est dillicile à entendre « rf litlerani. Que

ur l’expliquer on fasse a|)pel à la mentalité des

nites et aux propriétés de la langue hébraïque ;

on dise que la parole d’isaïe ne devait pas être la

e, mais seulement l’occasion de l’endurcissement

J Juifs ; qu’on ajoute que son message devenait

; uglaiit et assourdissant [>ar son évidence même, 

il endurcissait en se faisant plus pressant, soit ;

is là n’est pas l’important dans le cas qui nous

iupe. La citation vise ici le résultat obtenu, qui

le mcinc de part et d’autre : au lem|is de Jésiis rist, comme à l'époque d’Isaie, les Juifs s’obsli nt à ne pas voir et à ne pas entendre (cf. Jedii et

tes, l. c.) ; niais ils ont bien pu aboutir à cet eiidur sement par des voies différentes. Or, c’est un fait

e les trois évangélistes s’accordent à représenter

meuglement des Pharisiens, de tous les auditeurs

jerliciels, négligents et lâches, "non pas comme

résultant de la lumière projetée dans leurs jeux malades, par l’enseignement en paraboles ; mais, au contraire, comme un effet des conditions moins favorables faites désormais à « ceux du dehors ». La parole capitale est celle qui se lit dans saint Matthieu, xiii, 1 1, dans saint Marc, iv, 1 1, dans saint Luc, viii, 10. Dans l’hypothèse de paraboles d’une clarté limpide, on ne comprend plus pourquoi, dans l’intimité, les disciples en sollicitent l’explication. Et qu’on ne dise pas qu’ils n’ont interrogé le Maître qu’au sujet de la parabole du Semeur. Le texte grec (Marc, iv, 10) porte qu’ils « l’interrogèrent sur les paraboles ». En outre, ils demandent expressément le sens delà paraliolede l’ivraie. Enlin, saint Marc, IV, 33-34, dit d’une façon générale que le Seigneur leur « adressait la parole en de nombreuses paraboles semljiables, selon qu’ils jiouvaient comprendre, et il ne leur parlait pas sans parabole, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples ». Lue dans son contexte, l’incidente proul nuteranl uudire prend un sens bien détlni, elle veut dire :

« selon leurs dispositions ». C’est le commentaire

deRlALDONAT : « Idem ergo est prout poterant audire, ac si diceret : prout digni erant. » Le docte interprète dit, il est vrai, que de son temps la plupart des auteurs entendaient ce passage de la condescen-' dance avec laquelle Jésus-Christ se mettait à la portée de ses auditeurs. Nous sommes dans l’imiiuissance de contrôler l’assertion, mais on peut supposer ([ue ces auteurs voulaient parler des jiaraboles en général, plutôt que des paraboles énigmatiques, dites dans la barque, sur les bords du lac.

3° Comment, lire traditionnel. — L’exégèse que nous venons de faire est celii' de tous les anciens, de S. Irénée à S. Thomas.

Plus que tout autre, S. Irénéb a insisté sur l’obscurité des paraboles (voir ci-dessus, col. 1669). Ailleurs, bien qu’incidemment, il rattache l’aveuglement des Juifs à ce mode d’enseignement. « Et qua ratione Dominus in parabolis loquebatur, et cæcitatem faciebat Israël, ut videnles non vidèrent… » Adv. Huer., IV, xxix, 2 ; P. G., VII, 1064. Dès lors, on voit à quoi se réduit la comparaison dont il se sert dans le paragraphe précédent, où il compare Dieu au soUil qui éclaire ou aveugle les yeux, selon qu’ils sont sains ou malades.

S. Thomas, Sam. theol., p. III, q. xlii, a. 3 ; Comm. in Malth., xiii, résume ses devanciers, tant grecs que latins, en s’inspirant surtout de S. Augustin, auteur supposé des Qaæst. septeindecim in Mallltæum, q. XIV, I ; /'. /,., XXXV, 1372 ; cf. Tract, in J « annem, xii, 37-40. S. Thomas ramène à deux les motifs qu’avait Jésus-Christ de dire les paraboles du lac : cacher les mystères aux indignes et instruire les simples. D’ailleurs, il n’expliquepas comment renseignement par paralioles [louvait atteindre ce double but. Le saint docteur s’attache surtout à justifier devant la raison le décret divin de réprobation, qui pèse sur les Juifs. « Solvit Augiislinus. Possuiuus dicere : hoc quod oxcæcati sunt, ex præcedentibus peccatis ineruerunt. » / « Afaltli, xiii, 15.

A son ordinaire, S. Chhvsostomb (In Matth., xiii, 10 ; homil. xi-v, i-a, />. fi., LVIIl, /, -]i- ! , -&) insisté sur les responsabilités du libre arbitre. Il convient que Jésus-Christ a recouru à la parabole énigmatique pour punir les mauvaises dispositions des Juifsmais, en même temps, il tient à écarter d’avance l’objection de l’ironiste grec, qui ne manquerait pas de demander si le Christ avait parlé pour ne pas être compris. Dans ce cas, répond le polémiste, il n’avait qu'à se taire. S’il a parlé, c’est assurément pour instruire. Mais, à cet effet, il n’est pas nécessaire de tenir un langage qui se passe de toute 1575

PARABOLES DE L’EVANGILE

1576

explication. La parabole obscure éveille l’allention, pique la curiosité, et celui-là seul n’en tire pas prolit, qui ne s’inquiète pas de l’approfondir. Ils introduisent une contradiction dans la pensée de S. Glirysostome, ceux qui lui font dire que Jésus-Christ a parlé en paraboles uniquement, ou mèiue principalement pour se mettre à la portée de la foule ; car, dans ces conditions, ce mode d’enseignement, inauguré sur les bords du lac, cesserait d’être un châtiment.

Les critiques contemporains, qu’ils soient croyants ou non, reconnaissent volontiers dans Maldonat l’exégète le plus judicieux des temps modernes. On a dit de lui qu’il était de trois siècles en avance sur son temps. Or, le savant interprèle reproduit dans son commenlairede saint Matthieu, xiii, 15, el de saint Marc, IV, 33, le sentiment de saint Tliomas, avec une clarté qui se passe de toute explication. Il donne de ce sentiment deux raisons : la réponse faite par Jésus-Christ à la question des Apôtres, et la nature même de lu parabole, qui est <i obscura et involuta propositio

  • ,

Cependant, les anciens s’accordent à faire observer que, subsidiairement à ce dessein de justice, Jésus-Christ était conduit par un sentiment de miséricorde. Us rappellent tout d’abord, par manière de principe général, que Dieu ne punit en ce monde que pour corriger ; car « il ne prend pas plaisir à la mort du pécheur, mais à ce que le méchant se détourne de sa voie, et qu’il vive ». Ezéch., xxxi, ii. D’après saint Augustin, le Christ s’est conduit comme un bon médecin, qui amène son malailcà prendre conscience du mal qui le mine sourdement. Saint Thomas parle sans Ugure : « Aliqui enim non reducuntur ad humilitatera nisi in grave peccalum cadait ; sic Dominas istis fecit. » In Matth., 1. c. C’est encore le sentiment de Maldonat, en qui on a cru découvrir quelque embarras, mais qui reste bien d’accord avec lui-même. Pour s’en rendre compte, il sullit de lire, en son entier, le commentaire qu’il fait de saint Matthieu, xiii, iii 5, et de saint Marc, iv, 33, 3/|.

Ensuite, descendant au cas particulier, les commentateurs font observer que, loin d’avoir parlé pour ne pas être compris, Jésus-Christ se proposait d’éveiller l’attention et de piquer la curiosité de ses auditeurs par le sens profond et les termes énigmatiques de ses paraboles. En outre, en tamisant la lumière, il ménageait leurs yeux malades. Au lieu d’acculer par un dilemme des esprits mal disposés, prompts à se butter, il leur proposait un thème à méditation, dont l’intelligence comportait des délais et, pour autant, réservait l’avenir.

A ces considérations très justes des anciens, ne pourrait-on pas ajouter que l’enseignement par paraboles s’imposait encoreà Jésus-Christ comme une mesure de prudence ? L’heure est venue où le Maître doit prendre pour lui-même la ligne de conduite qu’il a tracée à ses disciples : « Ne donnez pas la chose sainte aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et que, se retournant, ils ne vous décliirent. » Il y va de l’intérêt de sa personne et de son œuvre, de la sécurité de ses disciples. Les Pharisiens sont aux aguets, ils cherchent une occasion de le prendre en défaut dans ses discours, pour l’accuser et le faire condamner. De là, les questions insidieuses qu’ils lui posent sur le divorce, le tribut, la résurrection, le sabbat, les ablutions, le jeune, la lapidation de la femme adultère. Dans ces conjonctures, Jésus, sage autant que bon, s’arrête, pour le moment, à un mode d enseigner, qui atteindra chacun selon ses dispositions. Aux cœurs droits et afTamés de justice il dévoilera’le mystère du Royaume de Dieu..ux

autres il parlera en paraboles. Pourquoi s’en prendraient-ils à lui ? Comment le traduire en justice pour y répondre d’une doctrine qu’il n a livrée qu’en ligure ? Ses adversaires ne peuvent le rendre juridiquement responsable d’un enseignement qui ne [irend un sens détini que dans leur propre interprétation. Ce n’est pas de la part du (jlirist pusillanimité, ni dissimulation, mais prudence ; car il ne doit pas tomber entre les mains de ses ennemis avant l’heure marquée par son Père. Cf. Luc, xiii, 31-33 ; Jean, vii, 30 ; viii, ao ; xiii, i ; etc. Pour la même raison, Jésus s’est plusieurs fois dérobé par la fuite aux tentatives des Juifs.

4 » Les opinions des catholiques contemporains. — Le dernier qui a écrit sur le sujet (D. Buzy, Inliod. aux /jaraholes évangéUques, 1912, p. 313) les ramène à trois types.

a) /’/lèse de justice. — Jésus-Christ a recouru à l’enseignement par paraboles pour voiler sa pensée. Cette attitude nouvelle marque donc une diminution de lumière et de grâce. Cependant, le châtiment de l’inlidélité des Juifs ne va pas sans un sentiment de miséricorde. PP. Fonck, Knabbnbauer, Durand, etc. Quoi qu’on en ait dit, personne, pas même le P. Ivnabenbnuer (cf. Comm. in Matlli., xiii, 15 ; t. 1, p. 519), ne donne aujourd’hui à cette interprélatioB du texte le tour excessif qu’elle semble avoir chej quelques scolasliques.

b) Thèse de miséricorde. — Les paraboles ont été dites pour instruire la foule, et elles ne sont envt loppces de quelque obscurité que pour provoquer l’attention. Loin d’être un chàtinienl, elles sont, pour le moment, le mode d’enseignement le plus convenable. Donc, miséricorde du cœur de Jésus, et rien que miséricorde. P. Lagranoe.

c) Thèse moyenne. — Les paraboles sont essentiellement une miséricorde. Elles impliquent bien un châtiment, qui réside dans leur obscurité ; mais ce châtiment lui-même est tout miséricordieux ; il ménage les préjugés des Juifs en les acheminant par degrés à une intelligence plus complète du royaume de Dieu. Seulement la miséricorde divine est condition’née par la coopération delà bonne volonté humaine. P. Buzy.

Si l’analyse que nous venons de faire des anciens est correcte, on conviendra sans peine que leur patronage est décidément acquis à la thèse de justice. A cette (in, il n’est pas nécessaire de solliciter les textes, il faudrait plutôt en atténuer le relief. Les auteurs contemporains, qui cherchent à se frayei une voie moyenne entre la justice et la miséricorde pensent avoir réussi en déplaçant, dans l’interprf talion traditionnelle, le centre de gravité. Ils metten l’accent, comme on dit, sur la miséricorde, et relé guent la justice au second plan. Au lecteur de din si le texte des évangiles et l’exégèse que les ancien ; en ont faite, autorisent ce sentimeul. Voir ci-ilessus col. i.57V-^u reste, il n’y a peut-être qu’un malenlendi entre les tenants de la première opinion et cenx d’la troisième. Les uns et les autres admettent qui l’enseignement en paraboles est un châtiment rek tivemenl au passé, et une miséricorde relativemen à l’avenir. Mais les partisans de la voie moyenne om oublié de dire ce qu’il était dans le présent, M> moment même que Jésus-Christ y recourt. C’est ?(> question posée naguère au P. Buzy par un critiqHf bienveillant, mais perspicace. « Que sont-elles dailS le présent ? Le châtiment infligé aux foules volage ne consiste-t-il pas justement dans une privation A lumière, c’est-à-dire une soustraction de grâces ? B comment » ine soustraction de grâces peut-elle êtt* une pure miséricorde ? De quelque façon qu’on la coB-" sidère, ne rend-elle pas la conversion plus dilliciU br<

PARABOLES DE L’EVANGILK

1578

1.1 situulion murale des ioulf

9

n’en esl elle j>as

mpiiceV » l*. F. Pbat, dans les Etudes, igiS, . CXXXV, p. 207. D’avance, Maldonal a répondu : H’ésenlenient, Jésus-Clirisl entend bien infliger aux laifs un eliàliment, mais son intention iinale ett de es acheminer par cette voie à la repentance et au ialul. « In poenam ergo incredulitatis obscure illis omiitur, quia diun quæ perspiciie.no diliieide illis licebanlur intelligere nohierunt, illiul mcniere, ut ta illis loquereturut, etianisi relient, intelligcre non (lossent. » Et, après avoir cité saint Glirysostome, en l’approuvant, il ajoute : « Ita lit ut poena illis in "mendationera evadiit, nisi poena ipsa eliani aljulantur. » In Matth., xiii, 13.

La thèse de miséricorde mérite une courte réfutation. Nous croyons ((u’ellc n e.st pas fondée en texte, et qu elle ne trouve aucun point d’a|)pui solide dans la tradition, pas même dans saint Chrysostome, lu en son entier. Sa force est dans l’impression qu’elle produit, en faisant ajipel au sentiment..Ses partisans prétendent répondre au dilemme de Jiilicher, qui nous met en deineure de choisir entre un Christ’Sage, bon et loyal, parlant i)our instruire, et une ithéorie de la parabole* avenylante i.dont le but est d’endurcir dans l’erreur. Si la réponse se bornait à nier qu’il soit question dan s iios évanj^iles d un enseignement donné pour ne pas être compris, elle serait rècevable ; mais elle va plus loin. Pour soutenir que les paraboles évangéliques, incme celles dites sur les bords du lac, étaient facilement intelligibles, et qu’elles n’avaient dans la pensée du Seigneur lui-même qu’un but : instruire la foule de la meilleure façon qui tut alors possible, sans aucun caractère de châtiment ; ne s’expose-t-on pas à fausser compagnie aux évangélistes et notamment à saint Marc ? El de fait, le P. Lagrange accorderait que Marc a pu

« rédiger un peu gauchement » ; que, s’il a mis

le thème de la prédestination en contact avec les paraboles, c’est parce qu’il a incliné à les prendre, comme dans l’A. T., un peu comme synonyme d’énigmes, sans tenii’assez compte de leur rôle dans l’enseignement du temps, soit chez les rabbins, soit dans la bouche de Jésus » ; bref, v qu’il a modiUé un peu la pensée d’Isaie ». Evangile selon saint Marc, 191 1, p. T01-102. Cependant, l’auteur ne prétend pas que la citation du jirophète soit ici le fait des évangélistes ; elle peut remonter à Jésus.

Même en admettant qu’une solution aussi désespérée soit de mise en certains cas, il est manifi-ste par tout ce que nous venons de dire qu’il n’y a pas lieu d’y recourir ici. Pareillement obvies sont les réponses à faire aux ditlicultés qu’on accumule contre l’opinion traditionnelle. Elles sont d’ordre théologique, psychologique, littéraire et exégétique.

a) On peut omettre ici la dilliculté d’(.i</rc ikénlugiijue. Elle n’est qu’une application pai ticulière de l’objection générale contre la prédestination divine, qui serait contraire à la bonté équitable de Dieu et au libre arbitre de l’homme. Dans l’article Prkdkstina-TION, on fait voir que la souveraineté divine ne saurait être limitée par la volonté humaine, et que, d’autre part, le bon usage du libre arbitre ne résulte pas simplement de la prédestination.

Il faut bien admettre qe Dieu est indé[)endant dans ses dons : il donne à qui il veut et dans la mesure qui lui plaît. Jésus-Christ a (ilialerænt accepté les dispositions souveraines de son Père, qui attendait de lui une rédemption, dont le bienfait ne devait pas, de fait, proliter à tout le monde. La sentence relative aux paraboles énigmaliques (Mutili., xin, 1 1) n’est pas isolée dans l’Evangile. Elle n’ajoute rien à ce qui se lisait déjà au cliap. xi, 25 : « En ce temps-là, Jésus prenant la parole, dit : « Je te rends

grâces. Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que lu as caché ces choses aux sages et aux savants, alors que tu les as révélées aux petits. Oui, Père : parce que tel a été Ion bon plaisir. »

h) D’ordre psychologique. — Ainsi compris, le but des paraboles est incompatible avec le caractère de Jésus et la bonté de son cœur. Sa loyauté même est en question. Cf. Lagraxgk, /. c., p. 198.

Héponse. — La bonté du caur de Jésus ne va pas jusqu’à méconnaître les exigences de l’ordre. C’est précisément parce qu’il aime en Dieu, que son amour s’exerce sans détriment de la justice. Lui qui n’a eu que des gestes de condescendance pour les petits et de pardon ])our les pécheurs, il a néanmoins trouve des paroles brûlantes comme le feu, et tranchantes comme l’acier, à l’adresse des Pharisiens, tellement que notre courtoisie radinée en reste déconcertée. N’avait-on pas dit de Jésus qu’il serait un signe de contradiction ? El lui-même n’a pas craint de déclarer que le Fils de l’homme sauve ou perd, selon qu’on l’aborde avec foi ou défiance. Cf. Mallli., xxi, ti 43. Il en est de ses paraboles comme de ses miracles. Encore que ceux-ci eussent bien pour but d’autoriser sa mission divine, il les refuse à ceux qui les demandent dans un esprit d’incrédulité et de malveillance ; il renvoie ces tentateurs au miracle définitif de sa résurrection, qu’ils ne verraient pas de leurs propres yeux, et dont la masse du peuple juif ne devait pas proliter. Au surplus, nous avons déjà fait remarquer que ce jugement de justice était tempéré par un dessein de miséricorde.

La déloyauté consiste à parler [lour ne pas être compris, ou pour être compris de travers, avec l’inlention d’égarer ; mais il y a simplement justice et discrétion à ménager la vérité à ceux qui n’en veulent pas, qui s’attachent à la retourner contre le Maître. S. Chrysostome a raison de dire que, si Jésus n’avait pas voulu être compris, il n’avait qu’à se taire. S’il a parlé en paraboles, c’est qu’il pensait à ses disciples, les présents et ceux à venir ; il s’adressait encore aux indifféients et même à ses ennemis, puisque ce mode nouveau d’enseignement était de nature à piquer leur curiosité et à provoquer leurs questions. Il leur disait un jour : n Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. » Jean, 11, 19. Certes, Notre-Seigneur parlait pour être compris, mais il faut bien convenir que ces simples [laroles mse suffisaient pas. Au lieu de l’interroger sur leur sens mystérieux, les Pharisiens, et même la foule des auditeurs n’en retinrent que le sens matériel, qu’ils devaient bien sentir élre tout au moins fort douteux. Un jour viendra qu’ils l’accuseront devant le Sanhédrin d’avoir parlé de détruire le temple de Jérusalem. Matth., XXVI, 61 ; xxvii, 40.

Sont-elles donc si rares dans les évangiles, les conjonctures dans lesquelles Jésus-Christ se borne à une réponse indirecte, dilatoire, évasive ? Cf. Matth., XXII, 17-21 ; Jean, viii, 6-7 ; x, 34. C’était la seule attitude qui convint avec des adversaires de mauvaise foi, à moins de vouloir provoquer une rupture définitive, et de leur mettre en mains les armes qu’ils cherchaient.

c) D’ordre littéraire. — Supposer que Notre-Seigneur a recouru à l’enseignement par paraboles pour voiler sa pensée, c’est méconnaître le caractère littéraire de la parabole, qui est d’elle-même claire et facile à saisir.

Héponse. — Nous avons déjà dit, avec preuve à l’appui (col. 1 568), que c’est là une assertion excessive, quand il s’agit de la parabole en général ; et une assertion erronée en ce qui concerne les p.iraboles évangéliciues dites du lac. L’élude du texte et l’histoire de l’exégèse font assez sentir les diiJicuUés 1579

PARABOLES DE L’EVANGILE

1580

qu’elles présentent. L’objection a le tort de ne pas distinguer entre la parabole dogmatique et la parabole morale, entre la parabole dite devant les seuls disciples et la parabole s’adressantà la l’ouïe.

L’obscurité de la parabole évanjfélique s’aecroil à raison de l’objet qu’elle enseij^uc : t le mystère du Royaume de Dieu o ; d’autant plus que Jésus-Christ avait ici à remonter le courant des préjugés juifs. Ce point a été heureusement développé par le P. Buzy. Op. ci(., p. 3^0-378.

d) D’ordre exégétique. — Représenter l’enseignement par paraboles comme un châtiment, infligé à la foule à raison de son intidélité, c’est faire une hypothèse qui s’accorde mal avec l’ensemble des textes de l’Evangile. Avant comme après les paraboles du lac, la foule suit Jésus-Christ et se presse pour entendre ses discours.

Réponse. — La foule s’oppose ici aux disciples avérés. Or, jusque dans cette foule, il y a bien des classes à distinguer. Voilà pourquoi le texte dit : Que celui qui peut comprendre, comprenne », ou encore : n Et il leur parlait, selon qu’ils pouvaient comprendre. » Il y a les adversaires décidés, qui ne souhaitent pas de s'éclairer, qui suivent le prophète de Nazareth pour épiloguer sur ses discours et le prendre en défaut. C’est à ceux-là que s’adresse avant tout la parabole voilée. Quanta la foule proprement dite, elle n’a pas encore pris à l'égard de Jésus l’attitude qu’elle devrait avoir, étant donnés les enseignements et les miracles antérieurs. Elle s’attache opiniâtrement à son espérance d’un Messie temporel. Cf. Jean, vi, 26. A mesure que Jésus dissipe son illusion, elle s'éloigne de lui. Il semble mémo qu’un jour l’entourage de celui qu’elle venait d’acclamer comme le Uoi d’Israël, se réduisit aux seuls apôtres. Cf. Jean, vi. 67-92.

D’ailleurs, l.i raison donnée au chapitre xin de saint Matthieu n’explique que partiellement le changement d’attituile de Jésus-Christ vis-à-vis de la foule. Le reste de l’Evangile donne le droit de conjecturer qu’en agissant de la sorte, NotreScigueur ne faisait pas seulement œuvre de justice, mais qu’il prenait aussi une mesure de prudence. Voir col. ib~jh.

Il est vrai que pour l’une ou l’autre de ces paraboles, par exemple celle des vignerons homicides, Jésus en donne spontanément l’explication aux Pharisiens ; mais c'était vers la fin de sa vie publique. Le moment est venu de parler ouvertement. C’est alors qu’il avoue, devant Gaïphe, être le < Christ » de Dieu, lui qui, jusque-là. avait évité de prendre et même d’accepter en public ce nom populaire, parce qu’il résumait pour la foule tout un programme, celui du messianisme mondain, fait de domination et de plaisir, qu’elle attendait. Je dis en public, car en particulier, conversant avec ses disciples ou avec la Samaritaine, il ne faisait pas dilUculté de déclarer qu’il était le Christ, Fils de Dieu. Matlh., xvi, 16-18 ; Jean, iv, 26.

III.

L’authenticité des paraboles

Il ne s’agit pas de l’authenticité littéraire : tout le monde admet que les paraboles ont toujours fait partie du texte des évangiles canoniques ; mais de l’authenticité historique : si, oui ou non, elles appartiennent à l’enseignement personnel de JésusChrist. Nous nous bornons ici à cet aspect du problème plus général de l’historicité du récit évangélique ; mais, pour résoudre les difficultés particulières, soulevées à propos des paraboles, nous supposons tout ce qui a été dit dans l’article consacré aux Evangiles. Il faut pareillement se ressouvenir de la

première partie de cette présente étude, sur la théorie littéraire de la parabole.

Les objections qu’on formule au nom du critère interne peuvent se ramener à deux chefs : i" le caractère allégorique des paraboles les dénonce comme des compositions laborieuses et tardives ; 2° l’analyse des textes jj' révèle des remaniements et des adaptations.

1° Les textes qui nous ont été transmis ne vérifient ni la détinition, ni l’idée que l’on se fait de la parabole. Ces allégories prophétiques se comprennent mieux comme un résultat de la réflexion chrétienne, que comme un produit spontané de l'àme du Christ. C’est l’opinion île JiiLicHEH et de LoisY.

Itéponse. — La parabole évangélique ne vériQe pas toujours la déflnition que les rhéteurs classiques, grecs et latins, donnent de lii parabole simple ; mais ces mêmes auteurs parlent de la parabole complexe, qui s’obtient par un mélange de comparaisons et de métaphores. Quinlilien recommande la paraboleallégorie comme l'œuvre parfaite. Or, le mâchiil hébraïque est toujours plus ou moins une parabole allégorisanle. C’est ce que nous avons établi plus haut, col. 1.^65. Quand M. Jiilicher déclare monstrueux ce mélange de parabole et d’allégorie, il prèle à rire à ceux qui savent.

Tout l’Evangile atteste que, par un tour naturel de son esprit, Jésus-Christ s’exprimait en termes paraboliques, mais il n’en reste pas moins vrai que le trait allégorique lui est familier. Cette tendance au symbolisme, dont l’allégorie est la langue naturelle, ne se révèle pas seulement dans les discours du quatrième Evangile, mais encore dans ceux rapportés par les autres évangélistcs. Ce n’est pas dans saint Jean qu’on lit des sentences comme celle-ci : Vous êtes le sel de la terre, la lumière du monde ; ne jetez pas vos perles aux pourceaux ; prenez garde au levain des Pharisiens ; les faux proi>hètes se présentent avec une toison de brebis ; laissez les morts ensevelir leurs morts, etc., etc.

C’est se tromper que de se représenter le tempérament littéraire de Jésus-Christ comme on fait d’Esope, de La Fontaine ou d’un rabbin. Les fabulistes sont des observateurs attentifs, lins et judicieux, mais ils procèdent par voie de raisonnement, encore que ce raisonnement tienne d’ordinaire dans de simples comparaisons ? Quant au rabbin, il remplace le jugement par l’ingéniosité. Mais le Christ est un intuitif, qui va droit aux réalités ; il est un mystique, percevant les choses spirituelles dans les phénomènes sensibles ; son langage est symbolique, il parle de l’invisible comme nous faisons des corps et des phénomènes. Cf. ]es Etudes, 1912, t.CXXXIl, p. 161-169.

Il est vrai que des paraboles allégorisantes, telles ([ue le sénevé, l’ivraie, le levain, le festin, les vignerons, etc., symbolisent un état de choses qui était encore à venir, du moins en partie ; et donc, dans la môme mesure, décrivent une situation inexistante au temps de Jésus, et qui ne devait guère être réelle que cinquante ans plus tard. Mais pour pouvoir conclure de cette circonstance que les parabples de l’Evangile datent de la (in du i" siècle, on doit, au préalable, supposer que la prophétie est impossible, et que Jésus n’en a point fait, ni prétendu en faire. A ce compte, ce n’est pas seulement l’authenticité des paraboles qu’il faut nier, c’est tout l’Evangile à déchirer. Est-il un seul des enseignements prophétiques, donnés dans les paraboles, qui ne revienne ailleurs dans les évangiles ? Notamment : les destinées du judaïsme, la fin de la Synagogue pour faire place à une Eglise chrétienne, la catholicité de celle Eglise, sa loi de progrès, le caractère du Royaume 1581

PASCAL (LE PARI DE)

1582

messianique, Jiamélraleiuenl opposé à l’idée que les Juifs s’en faisaient.

Si la tradition ehrélienne a tourné en allégories les paraboles dites par le Seigneur, comment rendre compte de l’unité littéraire d’une umvre, dont les )rigines auraient été multii)les, inégales, impersonælles ? Et encore, toujours dans cette hypothèse,

; st-il croyable que ce genre de composition ail été, 

)ar la suite, complètement délaissé ? Car on ne

« aurait comparer aux paraboles évangéliques les

illégories compassées, qui se lisent dans l’épîlre lite de Barnabe, et dans le Pasleur. Enfin, si les )araboles, mises sur les lèvres du Christ, étaient en éalité une œuvre de la seconde génération cUréienne, on les aurait faites plus claires, comme sont es vaticinia posl evenium.

a" La comparaison et l’analyse des textes font issez voir que la forme actuelle des paraboles évangéliques n’est pas primitive : on y découvre des divergences, des sutures, des heurts d’idées, et même les applications qui ne s’accordent pas avec la paaboie elle-même.

Réponse. — L’objection exagère à plaisir le nom>re des passages incriminés, etla portée des perturbations qu’on croit y découvrir. C’est aux commenaires continus des Evangiles qu’il faut demander, lour chaque cas, la justification ilu contexte. Qu’il iuflise ici de rappeler que les Evangélistes ne garlant pas invariablement dans leur récit le même rdre ; on peut accorder, s’il y a lieu, qu’ils ont enadré dllïéremment telle ou telle parabole, sans en Itérer le sens. La plupart des exégètes catholiques

« connaissent aujourd’hui que les evangélistes ont

larfois groupé les discours du Seigneur, à raison de identité ou de l’analogie du sujet dont ils traitent, ’ourquoi les paraboles n’auraienl-elles jamais été tapporlées de la sorte ? Toutefois, ce n’est pas là ine supposition à faire arbitrairement, mais à étajlir, le cas échéant, par une étude consciencieuse u texte.

Il y a encore à tenir compte de la critique lexuelle, qui résout parfois la difficulté en faisant voir me nous n’avons plus affaire avec le texte primitif, B seul dont l’auteur inspiré soit responsable. On , ’est pas [leu étonné de lire à la fin de la parabole es ouvriers envoyés à la vigne du père de famille, ux différentes heures de la journée (Matlh.^ xx, 6) : « Car il y a beaucoup d’appelés mais peu’élus », alors qu’en réalité tous ceux qui ont été , ppelés sont venus, et ont pareillement reçu le .enier de la vie éternelle. Dire que le mot élu est ynonyme d’élite, et ne convient qu’aux ouvriers de 1 onzième heure, qui ont racheté le temps perdu par intensité de l’effort ; c’est non seulement introuire dans la parabole une idée qui en est totalelent absente, mais c’est aussi lui prêter, à contreens, une conclusion concernant le mérite. Ce n’est las démérite qu’il s’agit ici, mais de grâce, et rien ue de grâce. Nous sommes donc avertis par ce approcliement inattendu et violent, de rechercher i cette sentence est bien à sa place. Et, de fait, les leilleursmanuscrits du texte grecnela portent pas. "est pourquoi, plusieurs interprètes n’en tiennent as compte ici, mais seulement plus bas, xxii, 14.

lIiBLioonvrniE. — *. Jiilicher, Die Gleicltnisreden Jesii, 1888. L. Fonck, iJie Parahc-ln des Ilerrn im Eiangelium, 1902. *X.Losy, Etudes évangéliques, 1902. A. Durand, Pour, /uni Jésus-Christ a parlé m paraboles ? dans les Eludrs, 1906, t. CVII, ’ique,

1911.

synoptiques, 191 1.

p. 766. M. J. Lagrange, dans la lîevue hihli.’9°9’P-’98. 3/(2 ; Evangile selon saint Marc, E. iVlangenol, f.es évangiles

D. Buzy, Introduction aux paraboles évangéliques, 191 2. F. Prat, Nature et but des paraboles, dans les Etudes, ijiS, t. CXXXV, p. 198.

Alfred Durand, S. J