Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Mortara (Affaire)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

MORTARA (AFFAIRE). — Cet article sera divisé en trois parties : 1° Historique de la question ; 1" Examen juridique et théologique ; 3° Conclusions.

I. Historique de la question. — Dans le courant de novembre 1867, Marianna Bajesi, de Bologne, ville des Etats ponlilicaux, informa spontanément l’autorité ecclésiastique que l’un des enfants de Salomon Mortara, juif originaire de Modène, avait été baptisé, en danger de mort, par une servante chrétienne, Anna Morisi. Le petitEdgar était revenu à la santé et avait alors sept ans environ. Anna Morisi fut aussitôt mandée par l’inquisiteur de Bologne qui procéda à une enquête minutieuse. II demeura établi que l’enfant avait été baptisé validement. Edgar fut enlevé à ses parent.-*, et Pie IX le fit entrer au collège de San Pietro in Vincoli. Les époux .Mortara reçurent l’autorisation d’aller l’y voir aussi souvent qu’il leur conviendrait.

L’acte de Pie IX devint l’occasion d’un concert de plaintes et d’injures contre le gouvernement pontifical dans la presse lil)érale et maçonnique du inonde entier. Tout partit à l’origine de la commission juive d’Alexandrie, en Piémont, qui protesta contre « l’acte cruel et barliare » dont avait été victime la famille Mortara. Elle réclamait « l’appui de 941

MOYEN AGE

942

la presse universelle pour fnire appel à l’humanilé tout entioi-e, aCin que, par tous les moyens possibles, on tâchât lie réparer les maux passés et de prévenir ceux qui pourraient atteindre leurs coreligionnaires lialiilant des pays où les lois ne peuvent rien contre de si lioiiililes atlenlats ».

La (ommission avait sans doute des moyens d’action auxquels la presse résiste mal, car celle-ci obéit avec un ensemble et un zèle comparables à ce que notre époque a vu de mieux réussi en ce genre. L'émotion générale fut eu parut telle que des gouvernements s’en mêlèrent et intervinrent diplomatiquement auprès de Pie IX pour obtenir que le jeune Mortara fût rendu à ses parents. L’illusion libérale et un sentimentalisme excessif les poussèrent à ces représentations qui demeurèrent du reste inutiles. Pie l. en effet, ne pouvait, sans trahir ses devoirs, agir autrement qu’il Ut.

II. Examen juridique et théologique. — D’aI)ord, il n’est pas douteux que, par rapport aux lois des Etats de l’Eglise, la famille Mortara fiit en faute. Elle avait pris à son service une femme chrétienne, ce que les lois pontificales interdisaient pour deux raisons : il avait paru vraisemblable aux papes que cette cohabitation domestiipie du lidèle avec l’inlidèle entraînait d’ordinaire, pour des personnes simples et peu inslruites, quelque danger de perversion ; ensnile, ils avaient voulu précisément éviter les situations délicates comme celle qui venait de se produire dans la famille Mortara. Seulement le gouvernement pontilical, tout paternel, ne pressait guère l’exécution des lois et s’en remettait à la bonne volonté des citoyens. Pour un motif quelconque, la famille Mortara n’avait pas tenu compte de cette prohibition, et ce laisser-aller la conduisit à un cas d’opposition formelle entre le droit de l’Eglise et celui des parents sur le même enfant.

De tout temps, les papes avaient reconn>i et prescrit de respecter le droit des parents infidèles sur leurs enfants. Ils avaient pleinement adopté la solution traditionnelle proposée par saint Thomas {Samm.theuL, p. 111, p. 68, a. lo). Pour mieux défendre ce droit contre des ingérences fanatiques, Jules III avait décrété que toute personne, qui se permettrait de baptiser sans l’assentiment des parents un enfant juif n’ayant pas l'âge de raison, serait frappée d’une amende de mille ducats. Toutefois, si le baptême était administré selon les rites essentiels prescrits par l’Eglise, il était tenu pour valide, et il fallait bien qu’il le fût ou que l’Eglise renonçât à son enseignement sur le baptême. L’assentiment des parents inlidèles est reipiis pour que l’administration de ce sacrement soit licite ; mais il ne peut rien pour ou contre sa i’atidité. Ce n’est pas la foi des parents, c’est la foi de l’Eglise qui est imi)utée aux petits enfants. Administré intentionnellement à un enfant juif, le baptême agit sur lui par son énergie propre comme il le fait sur des enfants de chrétiens ou de païens sans distinction de race ni d’origine.

Or, l’effet du baptême est de conférer à qui le reçoit validement le varactère indélébile de chrétien, d’enfant de Dieu etdel’Eglise. Par conséquent, le baptisé doit être désormais instruit, élevé en chrétien, faute de quoi il y aurait profanation du sacrement et violation des droits de Dieu, en tant qu’auteur de l’ordre surnaturel, aussi bien que des droits acquis par l’Eglise et par celui-là même à qui le baptême a été conféré. Sans doute, le droit des parents sur l’enfant est parfaitement certain et d’origine divine, bien que d’ordre naturel ; mais, par là même qu’il est d’ordre purement naturel, il est inférieur en valeur

et en dignité à celui que la régénération surnaturelle a donné à l’Eglise. De là un conilit, assurément pénible et que les papes voulaient éviter, entie le droit naturel des parents et le droit surnaturel de l’Eglise. La domestique chrétienne, qui avait baptisé le petit Mortara, pensait bien que la mort couperait court à une situation anormale. Mais, contrairement à toutes les i)robabilitcs, I enfant était revenu à la santé, portant désormais en lui le caractère ineffaçable du baptême. Etant chrétien, il avait droit à une éducation chrétienne, et l’Eglise avait le devoir de la lui procurer. Cette éducation, les parents juifs n'étaient pas aptes à la donner ; laisser entre leurs mains l’enfant arrivé à l'âge de raison, c'était l’exposer au danger prochain de retour au judaïsme. Pie IX conforma exactement sa conduite au.'c règles tracées sur ce point par Benoit XIV, qui ne passe ni pour un esprit faible, ni pour un fanatique. Les lois de l’Etal pontilical étaient connues ou devaient l'être de tous les Juifs qui y résidaient ; c’est à eux qu’il appartenait de prendre les précautions nécessaires pour ne pas s’exposer à de fâcheux contre-coups.

111. Conclusions. — Parvenu à l'âge d’homme, le baptisé de Hologne a non seulement persévéré dans sa foi de chrétien, mais il est devenu librement prêtre et religieux et conserve un souvenir reconnaissant à Pie IX de toutes les amertumes que le Souverain Pontife avait affrontées pour lui. Cela devait contribuer à faire taire les faux bruits répandus sur le compte de cette prétendue victime de la liberté de conscience. D’autre part, les sympathies, que le public libéral de l'époque affectait de ressentir pour les Juifs opprimés, se font, de nos jours, plus discrètes. Enfin, toutes les forces de la franc-maçonnerie sont appliquées, aujourd’hui à la solution d’un problème qui rendrait embarrassante l'évocation de l’alfaire Mortara : par quels moyens de perversion, scolaires ou autres, peut-on arriver plus vite et plus sûrement à faire perdre à des enfants baptisés la foi et la prali(iue chrétiennes ?

Mais on aurait tort île juger du passé par le présent. En soi, l’alfaire Mortara n’aurait pas dû exciter l'émotion, en partie factice, qui souleva les lecteurs des feuilles libérales ; de fait, la presse en profita pour battre en brèche le pouvoir temporel du Saint-Siège. Pie IX et son gouvernement ne pouvaient se dissimuler que leur acte leur aliénerait beaucoup de sympathies utiles ; mais le pape savait aussi que l’Eglise sacrifie volontiers au bien des àmis les avantages passagers du temps. C’est pourquoi il se montra inébranlable dans la ligne de conduite que son devoir lui traçait.

BiBLioGBAPiinî. — Instruction de flenoit XIV à l’archevêque de Tarse De baptismo Judæorum, sive infantium, site adultoriini : Magnum Biillarium romanuni, t. XVII, Luxembourg, 1763, ou Benedicti.'IV Bullarium, t. II, p. 170 et ss., textes principaux dans Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1/(80-1490 (1333-1342) ; Mélanges de Louis Veuillot, a" série, t. V, p. 3-131.

Jules SouBEN, O. S. B.