Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Marie, Immaculée conception

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

[questions spéciales] 4° Immaculée Conception.

L’Immaculée Conception s’entend du privilège, propre à la bienheureuse Vierge Marie, d’avoir été conçue sans péché, c’est-à-dire exempte, au premier instant de son existence, de la tache du péché ori .ginel. Délini par PiK IX, le 8 décembre 1854, ce privilège ne rencontre actuellement de réels adversaires

que parmi les rationalistes, les protestants, les grecs » orthodoxes » et les vieux catholiques ; mais les croj’ants eux-mêmes peuvent éprouver quelque embarras devant l’éclosion tardive de la croyance à l’Immaculée Concejition. Certaines attaques récen tes, venant du camp moderniste, vonluioins contre

le dogme lui-même que contre l’interprétation de In croyance au cours des siècles ou contre les fondements du privilège tels qu’ils sont habituellement présentés. Les adversaires faussant parfois la vraie notion du dogme catholique, il importe d’en établir le sens d’après la bulle de déUnition. Le plus souvent, cependant, l’opposition dénonce dans l’Immaculé. Conception un dogme « nouveau », dont elle prétend expliquer la genèse et l’évolution purement naturelle ; aussi parait-il nécessaire de résumer la marche de la croyance à travers les siècles chrétiens, avant de faire la synthèse des fondements du dogme.

De là trois parties dams cette étude :

i" partie. Sens du dogme ; l’attaque.

2° partie. La croyance à l’Immaculée Conception de Marie dans les siècles postéphésiens.

3* partie. Synthèse des fondements du dogme.

i" PARTIE. Sens du nor.jiE de l’Immaculée Conception ; l’attaque.

( ! Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine suivant laquelle, par une grâce et un privilège spécial de Dieu tout-puissant et en vertu des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, la bienheureuse Vierge Marie aété préservée de toute tache du péché originel au premier instant de sa conception, est révélée de Dieu et doit, par conséquent, être crne fermement et constamment par tous les Udèles. s Telle est la formule de ilélinilion, comprise dans la bulle Ineffabilis Iteiis, qui est comme l’exposé des considérants. C’est donc d’après cette formule et d’après la bulle qu’il faut déterminer le sens précis du dogme délini par Pie IX.

A. Sens du dogme. — Quatre choses sont à considérer dans le privilège revendiqué pour la Mère de Dieu : le sujet, l’objet, le mode et la certitude.

i. Sujet du privilège. — C’est la bienheureuse Vierge Marie, considérée au premier instant de son existence humaine, healissimain f’irginem Mariam in primo iiistanti suæ conceptionis. Sous ce rapport, la formule employée par Pie IX diffère de celle qu’avait employée, en 1661, Alexandre VII. Dans la bulle Sollicitiido omnium ecclesiarum, le sujet du privilège élait directement l’âme de Marie, e/us aniniam in primo creationis instanli atque infusionis in corpus. Les mêmes termes figuraient dans le premier schéma de la bulle de définition, rédigé par le P. Perrone, animam healissimæ Virginis Mariae, cum primant fuit creata et in saum corpus infusa : ils furent maintenus dans un nouveau schéma elles multiples retouches qu’il subit, jusqu’au moment où se fit la réunion des évêques chargés de l’examiner. Alors Mgr Francesco Bruni, évêque d’Ugento, proposa de faire (lorter l’exemption non sur l’âme seule, mais sur la personne : de persona, non désola anima, asserenda sit. Le cardinal Joseph Pecci, évêque de Gubbio, parla dans le même sens au consistoire qui suivit ; il fallait, dit-il, éviter tous lestermessusceptiblesde ramener l’opposition mise parles scolastiques entre le corps et l’âme à propos de la conception de Marie, et, poureela, faire tomber la définition sur la personne même, il a ut definitio respiceret personam Mariae. La motion l’ut agréée, et l’ancienne formule disparut pour faire place à la nouvelle et définitive : beatissimum Virginem Mariam in primo instanli suæ conceptionis. Mgr Vincenzo Sardi, La sdlenne definizione del dognia delV /mmacolato Concepimcnto diMaria Santissima, t. II, p. 33, 87, 242-45, 292, 3 12. Uome, 1904.

La conséquence de ce qui précède, c’est que dans le membre de phrase in primo instanli suæ conceptionis, le mot de conception s’entend, non de l’acte 211

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générateur, mais de son terme, et de celui-ci parvenu à sa perfection, au moment iiièræ où l’àme est unie au corps, puisqu’alors seulement il y a personne buraaine. La conception ainsi envisagée s’appelle, dans la terminologie scolastique, conception passive consommée. Conception passive, par opposition à la conception active, qui estl’acte générateur des parents ; conception passive consommée, par opposition à la conception passive commencée, dans l’hypothèse philosophique où l’embrjon ne serait viviiié par une âme humaine qu’après une certaine période de préparation et de développement. La définition de 1854 "e tranche pas cette question controversée, de savoir à quel moment précis se fait l’animation ou l’union de l’àme et du corps ; elle ne dit pas dans quelle condition se trouverait la chair de Marie dans la supposition d’une conception passive d’abord imparfaite, puis parfaite ; elle dit seulement qu’au premier instant de son existence comme personne liumaine, la bienheureuse Vierge jouit du privilège allirmc.

Il résulte des mêmes principes que, dans la formule : Immaculée Conception, l’épithète d’immaculée tombe sur la conception de Marie, et non pas sur la conception de sainte Anne. Ce que paraît ignorer l’auteur d’un article publié en iSS’j dans rEùyy/sii^î ; Kf, pu^ d’Athènes, t. I, p. 262, sous ce titre : Histoire du nouveau dogme latin de l’immaculée conception de sainte Anne. Voir bibliographie. Ce titre fausse la doctrine de l’Eglise romaine en laissant entendre de la conception active ce qu’elle affirme uniquement de la conception passive.

5. Objet du privilège. — Pie IX revendique pour la Mère du Sauveur l’exemption de toute tache de la faute originelle, ab omni originalis culpæ labe præaenatam immunem. Ce privilège singulier suppose la loi commune, suivant laquelle tout homme descendant d’Adam par voie naturelle est soumis, du fait même de sa conception, à la tare héréditaire. En quoi consiste proprement la faute originelle, considérée dans les descendants d’Adam, l’Eglise ne l’a pas formellement délini, mais elle en a déterminé les effets essentiels : privation de la sainteté et de la justice originelle, mort de l’àme, inimitié divine. Dans l’ordre actuel, ces effets cessent, et cessent uniquement par une rénovation intérieure, en vertu de laquelle les rejetons du premier Adam passent de l’état d’injustice où ils naissent à l’état de grâce et de filiation adoptive en Jésus-Christ notre Sauveur, le second Adam. Concile de Trente, sess. v, can. 1 et 2 ; sess. VI, cap. i, 4, ’7. Denzingbr-Bannwart, Enchiridion symbolorum, n. 788 s., ’jgS, 796, 79g (670 s, , 67.5, 678, 681). Aussi, dans la doctrine catholique, le privilège de l’Immaculée Conception ne se borne pas à l’exclusion du péché originel et de ses effets essentiels, notion purement négative ; il implique, en outre, la notion positive opposée, c’est-à-dire la possession de la grâce sanctillante et, par elle, la vie de l’àme, l’amitié divine, la filiation adoptive. De là une double façon d’énoncer le privilège mariai, comme on peut le remarquer déjà dans la bulle Sollicitudo d’Alexandre VII : façon négative, par exclusion de ta tare héréditaire, a macula peccati originalis immunem : façon positive, par affirmation de l’état de grâce ou de sainteté initiale, præveniente scilicet Spiritus Sancti gratia… animam B. Mariæ Virginis insui creatione et in corpus infusione Spiritus Sancti gratia donatam.

Mais que faut-il entendre par l’exemption de toute tache de la faute originelle, ab omni originalis culpae labe præservatam immunem ? Il ne semble pas nécessaire d’attribuer une portée spéciale à l’adjectif « mm’, à moins qu’on ne veuille considérer le péché sous

son double rapport de tache physique, privation de la grâce sanctifiante, et de tache morale, état de culpabilité devant Dieu. Comme l’Eglise n’a pas pris parti sur la nature intime du péché originel, on a voulu simplement exclure tout ce qui est vraiment péché, sans déterminer d’une façon précise en quoi cela consiste. D’ailleurs, au cours de la bulle, le privilège mariai est souvent exprimé abstraction faite de l’adjectif omni, par exemple : ab ipsa originalis culpæ labe plane immunis, § Inejfabilis ; sine labe originali conceptam, § Eiiimvero ; a macula peccati originalis præservatam, %, Quoniam vero, etc.

En particulier, on ne pourrait pas légitimement faire rentrer dans la formule : ab omni originalis culpæ labe præservatam, l’exemption de la concupiscence, du fomes peccati ; car. d’après la doctrine du concile de Trente, sess. v, can. 5, la concupiscence n’est pas vraiment péché. Denzingeh-Bannwxrt, 792 (676). Il est vrai qu’en proposant de faire porter la définition sur la personne, et non sur l’àme seule de Marie, l’évêque d’Ugento avait ajouté cette réflexion : de la sorte, toute tache serait écartée de la Vierge, non pas seulement la tache du péché proprement, qui se dit de l’àme, mais encore celle du péché improprement dit ou de la concvipiscence, qui se rapporte au corps ; aussi demandait-il qu’à défaut d’une définition tombant sur la personne, on déclarât au moins Marie préservée non seulement du péché proprement dit, mais encore de la concupiscence ou foyer du péché : immunitas ab originali peccato, vel de persona, non de sola anima, asserenda sit, vel saltem declarandum, Beatissimam Virginem non solum ab omni reatu originalis peccati, scd etiam a fomite et concupiscentia præservatam. SAnoi, op. cit., t. ii, p. 2^2 s. Mais on se contenta de faire tomber la définition sur la personne de Marie, sans rien de plus. (, )uelle que soit donc la faveur dont jouit à bon droit la thèse qui soustrait Marie, dès sa naissance à la loi du fomes peccati, quel que soit l’appui qu’elle trouve dans divers textes de Pères utilisés par les rédacteurs de la bulle Ineffabilis, cette doctrine ne peut pas être considérée comme comprise dans la définition elle-même.

3. Mode du privilège, — L’immunité revendiquée pour la Vierge Marie n’est pas une immunité quelconque. Elle ne ressemble ni à celle des saints anges, ni à celle d’Adam et d’Eve avant leur péché, ni à celle de Notre-Seigneur conçu virginalement par l’opération du Saint-Esprit, c’est une immunité par préserva/ ion, præservatam immunem. Il y a eu de la part de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, application non seulement anticipée, mais spéciale de ses mérites à sa Mère bénie. Aux autres, il applique le fruit de ses mérites pour les délivrer du mal où ils sont tombés ; à sa Mère, il applique ce fruit, c’est-à-dire la grâce, au premier instant de son existence, pour qu’elle ne tombe pas dans le mal. Marie est ainsi rachetée d’une façon plus noble que les autres, sublimiori modo redemplam, ’i, Omties autem norurit.

L’affirmation que la Mère de Dieu dut à une grâce de préservation de n’avoir pas été soumise à la loi du péché, suppose objectivement et dans la croyance de l’Eglise romaine, que Marie a été engendrée comme les autres descendants d’Adam, en d’autres termes,

« que saint Joachim et sainte Anne ont eu à la naissance

de leur fille la même part que les parents ordinaires ont à la naissance de leurs enfants ». Gagahin, Lettre à une Dame russe sur le dogme de l’Immaculée Conception, Paris, 1867, p. 13.

« J’insiste sur ce point, continuait le même auteur, 

parce que vous savez très bien, Madame, combien il y a de personnes qui croient ou voudraient faire croire qu’en admettant la conception immaculée de 213

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Marie, nous aflirmons que la Mère de Jésus a été, comme son divin Fils, conçue du Saint-Esprit, et, par conséquent, n’a pas eu de père selon la chair. C’est là une erreur grossière que nous repoussons de toutes nos forces. Il y a une distance infinie entre la conception du divin Sauveur et la conception de sa mère ; nous ne mettons pas sur la même ligne deux choses aussi différentes. Jésus qui est Dieu, a été conru du Saint-Esprit ; Marie qui est une créature, a eu pour père un homme mortel. »

A l’idée Aspiéservution et de rédemption, se rattache le problème, agité dans l’Ecole, du debitum peccati en Marie. Fille d’Adam, descendant du premier père par voie de généi-ation naturelle, elle devait encourir la tache héréditaire. « Nous accordons que Marie, par le fait de la descendance d’Adam, était enveloppée dans la condamnation universelle, qu’elle ne pouvait, par elle-même, se soustraire à cette mort de l’àme, et que cette seconde naissance, elle ne devait, dans aucun cas, la tenir que de Jésus-Christ. » Gaoarin, op. cit., p. 211. Toutefois le danger d’encourir la tache héréditaire peut atteindre la bienlieureuse Vierge diversement : de près ou de loin, immédiatement ou médiatement. On peut, en effet, concevoir qu’elle ait été comprise dans la loi générale qui, pour la conservation ou la perte de la justice originelle, solidarisait Adam, souche physique et chef moral, et ceux qui descendraient de lui par voie de génération naturelle ; en ce cas, il y aurait pour Marie, au moment même où elle va naître, danger immédiat ou prochain d’encourir la tache héréditaire : théorie du debitum proximum. Mais on peut concevoir aussi que, demeurant lille d’Adam par descendance physique, elle ait été antérieurement soustraite, en tout ou en partie, à la loi de solidarité par une application spéciale, à cet effet, des mérites du Sauveur ; en ce cas, le danger n’existerait pour elle qu’antérieurement au décret divin qui la soustrait à la loi commune de solidarité : théorie du debitum reniotum. Question subtile et complexe, que la définition du dogme de l’Immaculée Conception n’a point tranchée ; elle reste, après comme avant, à l’état de libre discussion.

4. Certitude du privilège. — La Conception Immaculée est définie, non pas simplement comme une vérité ou conclusion théologique certaine, mais comme une vérité divinement révélée, a Deo revelatam. D’après les principes de la foi catholique, cette vérité doit donc être contenue dans les sources de la révélation, sainte Ecriture et Tradition apostolique, à tout le moins dans l’une ou dans l’autre. D’après les mêmes principes, il suflit d’une révélation implicite et, dans le même sens, d’une contenance implicite dans les sources de la révélation. La remarque l’ut souvent l’aile par les membres de la Commission spéciale, au cours des travaux préparatoires à la définition ; par exemple, dans le premier des Vota rapportés par Mgr Sariii. op. cit., t. I, p. 33. Mgr Angelini, évêque de Leuca, s’appropria cette formule de Suarez : Salis est ut aliqua supernaturalix Veritas in Traditinne vel Scriptura implicite contenta sit. Mgr Prosper Caterini, assesseur du Saint-OtHce, ajouta cette remarque, /bid., p. 1^5 : Beaucoup de vérités ont été définies, qui n’étaient pas explicitement contenues dans la sainte Ecriture et sur lesquelles la Tradition n’avait été, tout d’abord, ni ferme ni unanime.

^ a-t-il eu, pour l’Immaculée Conception, révélation explicite ou seulement implicite, c’est donc une question de fait, non de principe. La réponse viendra plus loin, alors que les fondements du privilège mariai auront été examinés et discutés. Mais il peut être utile d’indiquer dès maintenant’quelle fut, en ce point, l’attitude des deux douzaines de théologiens appelés par Pie IX à donner leur avis. Très peu aflirmèrent une révélation explicite ; quelques-uns se contentèrent de conclure d’une façon indéterminée à une révélation, soit explicite soit implicite ; la plupart aflirmèrent ou supposèrent nettement une révélation implicite. Il en fut de même des évêques ; ainsi Mgr Kenrick, archexèque de Baltimore, parlant d’une révélation explicite, observa que la plupart des catholiques ne l’admettaient pas, quam lamen plerique catholici haud agnoscunt.SiRni, op. cit., t. ii, p. 231.

Reste à signaler une distinction importante, pour préciser le sens de la définition du 8 décembre 185/(. Autre chose est la contenance d’une vérité dogmatique dans le dépôt de la révélation, autre chose est la profession ou croyance explicite de cette vérité dans l’Eglise. La première question est d’ordre objectif ; la seconde, d’ordre subjectif. Or, quand une vérité n’est qu’implicitement contenue dans le dépôt, il peut se l’aire que la profession ou croj’ance explicite de cette vérité ne se manifeste pas ou même n’existe pas dès le début, soit que pour une raison quelconque on doute du fait, soit qu’on n’en ait pas encore pris conscience. Dans ce cas, la vérité, formellement révélée en soi, ne l’est pour les esprits que d’une façon virtuelle, en ce sens qu’étant susceptible d’être connue comme révélée, elle n’est pas encore connue ou sûrement connue comme telle. Voir t. 1, col. I iSa.

En ce qui concerne l’Immaculée Conception, quel rapport y a-t-il entre la question d’ordre objectif et la question d’ordre subjectif ? Contenue effectivement dans le dépôt de la révélation, cette vérité a-t-elle été professée ou crue explicitement dès le début ? Cet asi)ect du problème est en dehors de la définition dogmatique, et ceci est d’autant plus notable, que les antécédents semblaient présager une issue tout autre. Au lieu des simples mots : (( Deo revelatam, on lisait dans le premier schéma : constantbm fuisse et esse catholicab Ec-CLESiAB nocTRiNAM cum sacris Utteris et diyina et apnstolica tradilione cohærentem. Sardi, op. cit., t. II, p. 38. Dans le schéma qui remplaça le précédent, on mit : fuisse et esse constantkm catholicae EccLESiAE DOCTRiNAM fl Deo revelatum : assertion qui fut maintenue dans plusieurs rédactions ultérieures. Ibid., p. 88, 116, 140, 166, 192. Cependant un des théologiens consulteurs, fra Paolo di S. Giuseppe, carme, ’avait fait observer qu’en présence des faits, oppositions vives et longues, réserve même des souverains pontifes, etc., il semblait diflicile d’afFirnier qu’il y eût eu, sur ce point, doctrine constante de l’Eglise. Ibid., p. 42 sq. Des évêques et des cardinaux furent du même sentiment. Mgr Kenrick contesta nettement l’existence d’une tradition primitive, en objectant que pendant plusieurs siècles il n’avait pas été question de la conception de Marie. Mgr Atanasio Bonaventura, évêque de Lipari, parla d’une croyance d’abord implicite, et plus lard seulement explicite. Ibid., p. 208, 20g. Plusieurs évêques allemands revinrent sur le sujet avec plus d’insistance encore dans des observations motivées ; tels, Mgr deReisach, archevêque de Munich, Mgr deUauscher, archevêque de Vienne, le cardinal Schwarzenberg, archevêque de Prague, dont l’avis se résume en ces quelques mots : Nescio quomodo possit sæpe sæpius asseri, quod a primis Ecclesiæ temporibus claris et indubiis testimoniis manifestata fnerit pia sententia, quodtraditio semper vi guérit. Ibid., p. 215, 217, 296. En fin de compte, les termes contestés furent omis dans la formule de définition, Ibid., p. 3-jtt. Dans le corps de la bulle, certaines expressions qui se 215

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ratlacbaieiil au même ortlie d’idées fuient modifiées et adoucies ; en i)ailicu ! ier, il n’est plus question, § Et re qiiidem vent, de doctrine constante Je rjEfj’lise, mais seulement de doctrine qui a lou jours existé dans l’Eglise comme reçue des ancêtres, in ipsa Ecclcsiu semper e.rstitisse veluti a mujorilius acception. Ce qui perniel de conclure qu’en définissant l’Immaculée Conception comme doctrine révélée et, à ce titre, contenue dans la sainte Ecriture ou la Tradition, Pie IX n’a rien défini sur le mode, explicite ou seulement implicite, soit de la contenance de cette doctrine dans les sources de la révélation, soit de la profession ou croyance de cette même doctrine dans les premiers siècles du cliristianis : ne.

B. Attaque du dogme diIiini pau Pik IX. — Prise dans ses grandes lignes, l’attaque se présente sous une double forme, SHi^ ant qu’elle s’en prend à la doctrine elle-même, ou plus particulièrement à la bulle InefjahUis Deus, en tant que celle-ci propose la doctrine comme dogme de foi et [n étend en trouver les fondements dans les sources de la révélation.

1. Attaque de la doctrine. — Sur ce terrain, les adversaires de maintenant ne font guère qu’exploiter l’ancien fonds de diflicultés accumulées jadis par les adversaires d’avant la définition. Tous invoquent la sainte Ecriture, en raisonnant à peu près comme Melchior Cano, De locis tkeologicis, 1. Vil, c. i, concl. II. On ne trouve aucun texte qui, pris dans le sens naturel et littéral, établisse clairement l’Immaculée Conception ; au contraire, rien de plus jjrécis que les textes proclamant tous les hommes pécheurs, soit en général, soit en particulier, eu égard à leur naissance : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu i>, Rom., iii, 23 ; cf. Gal., iii, 22 ;

« Ue même que par la désobéissance d’un seul tous

ont été constitués pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul tovis sont constitués justes », Rom.. V, 19 ; « Je suis né dans l’iniquité, et ma mère m’a conçu dans le ])éché », Ps., l, 7. Kien de plus précis que les textes établissant une stricte corrélation’entre la mort et le péché, entre la mort de Jésus-Christ pour tous et la mort (spirituelle) de tous : « La mort a passé dans tous les hommes, parce que tous ont péché, if ù r.d-jrti y.u.v.pn-j 1, Rom., v, 19 ; « Si un seul est mort pour tous, tous donc sont morts », Il Cor., V, 14 ; or la Vierge est morte, comme les autres. Kien de plus précis que les textes ailirmant l’universelle et absolue nécessité de la régénération spirituelle et de la rédemption en.lésus-Christ : « Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le rojaume de Dieu ». Joaii., ui, 5 ; « Un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus fait homme, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous », 1 Tii)i., 11, 6. Marie n’est jamais excejv tée ; elle-même, d’ailleurs, se donne pour rachetée, quand elle salue en Dieu son Sauteur, Luc. 1, 4" ; or, comment comprendre qu’elle ait été vraiment rachetée, si elle n’est pas tombée dans la servitude du péché ? Dans ce cas là, ne serait elle pas plus tôt, comme l’objecte Métropuanb Critopoulos, rédemptrice, et l’incarnation du Verbe ne deviendrait-elle pas inutile ?

La doctrine de l’Immaculée Conception n’est i)os moins contraire à l’antique Tradition, a Jusqu’au xu « siècle, nous voyons l’Eglise en possession paisible de la foi à l’universalité du péché originel ; aucun Père, aucun écrivain ecclésiastique ne songe à soustraire la Vierge Marie à cette loi, en lui attribuant la prérogative d’une conception sainte ; ce qui ne doit pas surprendre, si l’on considère qu’une telle prérogative, en même temps qu’elle tendait à elfacer

la difl’érence spécifique du Sauveur’avec le reste des hommes, était essentiellement incompatible avec l’idée qu’on se faisait de la transmission héréditaire du i)échc d’Adam. Il était, en cfTct, universellement admis, que cette transmission s’ex])lique par la concupiscence qui préside à la génération, que la corruption est inséparablement attachée à la conception faite parles voies ordinaires, ([ue le péché ne saurait manquer là où la convoitise sexuelle a été indubitablement présente ; que, par conséquent, pour être immaculée, une conception doit nécessairement exclure runioncharnelledi^l’hommcet de la femme, s (Jrand Dictionnaire du xix".s(èf/e, art. Conception. hes textes apportés à l’appui de cette assertion sont presque tous empruntés à saint Ambroise, saint Augustin ou des écrivains de filiation auguslinienne.

De leur côté, les Pères grecs, interprétant les juiroîes de l’ange : «.’<piritus sanctus suiien-eniet in le ii, Luc, 1, 35, enseignent qu’à ce moment-là, Marie fut purifiée dans son âme et dans son corps ; c’est donc qu’auparavant elle était soumise à la loi du péché, au moins [)ar sa naissance Dans cette hypothèse, Marie n’aurait été délivrée du vice héréditaire qu’au jour de l’Annonciation ; et telle est, en cd’et, la position que tiennent, à la suite de Mbtuoi’Uanu CRrropoiLos etdeSÉDASTE IvYMiiNiTÈs, la plupart des théologiens modernes, grecs ou russes, de lEglise orthodoxe ; quelques-uns, comme LuniiUKV, estiment même que la Vierge n’a été complètement délivrée qu’au pied de la Croix. Ce qui n’empêche pas ces théologiens de tenir en même temps que Marie fut sanctifiée dès le sein de sa mère, et qu’elle n’a été, à proprement parler, ni enfant de colère ni esclave du démon. Inconciliables dans l’Eglise romaine, étant donnée sa doctrine sur lepéclié originel et ses effets, ces assertions ne le sont pas dans l’Eglise orthodoxe ; car, pour ses théologiens, le péché originel, considéré dans les descendants d’Adam, n’est rien autre chose que la concupiscence, ou la privalion de l’intégrité et de l’immortalité, auxquelles Adam seul a renoncé. Que la Vierge ait été, comme saint Paul, en butte aux mouvements de la concupiscence, c’est une eonsécpience de sa descendance adamique et c’est une condition nécessaire pour qu’elle pùl agir d’une façon libre et méritoire.

a. Attaque de ladé/inition et de la huile Ine/fabilis Deus. — Le grand scandale, c’est que Pie IX ail osé proposer l’Immaculée Conception comme dogme de foi et vérité divinement révélée. Les uns, comme M. H.*.RNACK, ripostent par cette interrogation : Si cette vérité a été révélée, quand donc et à qui ? Wann ? Wem ? Lelirbuch der Dogmenf ; eschichte^, Tiibingen 1910, t. III, p. 71Î7, note t. D’autres, jansénistes, gallicans ou vieux-eatholiques, s’emparent du vieil axiome, formulé par Vincent de Lérins : Quod ab omnibus, quod ubique, quod semper, et en tirent cette conclusion : Ne peut être imposé comme dogme de loi, que ce qui a été cru par tous, partout et toujours ; puis ils énumèrent soigneusement tous les adversaires de la pieuse croyance au cours des siècles chrétiens. De là cette accusation d’innovation doctrinale, dont le patriarche Antuime de Conslantinople s’est fait l’écho, dans sa Lettre encyclique patriarcale et synodale, de 1896, n. 13 :

« i/Egliso des sept Conciles œcuméniques, une, 

sainte, catholique et apostolique, a pour dogme que l’incarnation surnaturelle de l’unique Fils et Verbe de Dieu par le Saint-Esprit et la Vierge Marie est la seule qui soit pure et immaculée. Mais l’Eglise papale a encore innové, il y a quarante ans à peine, en établissant, au sujet de la conception immaculée de la Vierge Marie, la Slère de Dieu, un dogme nouveau, fini était inconnu dans l’ancienne Eglise, et qui avait 21 :

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été jadis violemment combattu même par les plus distingués llicologiens de la papauté. »

Les fondements de la croyance, tels qu’ils sont exposés dans la bulle de définition, ne sont pas moins discutés. Appel est l’ait à deux textes : Gen., lii, 15, et Litc., I, 30. La preuve tirée du premier s’appuie sur la traduction de la Vulgate : Ipsa conteret cuput iuiim : mais cette traduction est défectueuse, car l’original donne -.Ipse ou Ipsum, rapporté au mot semen, c’est-à-dire au rejeton de la femme. En supposant qu’il s’agisse d’un être déterminé, et non pas collectif, c’est Xotre-Seigneur Jésus-Clirisl qu’il faut entendre, suivant l’interprétation des saints Pères. Si ces derniers semblent parfois associer la Mère au Fils dans le triomplie sur le démon, c’est uniquement parce quelle l’a vaincu au jour de l’Annonciation, en coopérant à l’Incarnation du Verbe par sa foi, son humilité et son obéissance ; ainsi est-elle devenue l’antithèse de la première Eve, qui fut vaincue par le serpent en s’abandonnant à l’incrédulité, à l’orgueil et à la désobéissauce. Et les théologiens grecs d’ajouter : Les icônes, qui représentent la Sainte "Vierge écrasant la tête du serpent, indiquent plutôt qu’elle a été sujette au péché ; car, d’après le symbolisme de ces icônes, elle nous apparaît soumise à la puissance du diable, qu’elle brise au moyen de son divin Fils.

Dans la salutation angélique, le terme grec tiy’j.f.i-ai : j.hr„ qui répond au gratta plena de la Vulgate, nous montre simplement Marie comme iiislifiée, rendue agréable à Dieu, au jour de l’Annonciation. Si ce terme contient une allusion aux grâces exceptionnelles que la Mère du Verbe incarné allait recevoir ou qu’elle avait déjà reçues, l’une et l’autre de ces interprétations se trouvant dans les écrits des Pères, rien n’autorise à voir là l’exemption du péché originel.

La preuve fondée sm- l’ancienne Tradition n’est pas plus ellicace : « (Juand on lit les Pères avec le désir de savoir ce qu’ils disent réellement, non avec le désir de leur faire dire ce qu’on pense et de leur arracher, pour ainsi dire, un témoignage implicite et vague en faveur d’une opinion récente, on s’aperçoit promptenient que les épithètes par lesquelles ils se plaisent à relever la gloire de Marie n’ont pour objet que la virginité de la mère de Jésus. » Grand Dictionnaire du A’/.V siècle, art. Conceplion.

Des critiques récents ont pourtant compris qu’en se plaçant sur un terrain aussi étroit que celui de la seule virginité de Marie, on risquait fort d’être débordé. « Quand on presse les effusions lyriques d’André de Crète et de Jean Damascène, il n’en reste guère que l’affirmation cent fois répétée de la maternité divine de Marie réalisée sans aucun dommage pour sa virginité. Est-ce à dire qu’on ait le droit d’attribuer à ces moines du vi’et du vu" siècle les sentiments que nous avons trouvés dans les écrits d’Origène, de Basile ou de Clirysostome ? Il ne semble pas. La pensée d’un auteur se révèle non seulement parce qu’il dit, mais aussi parce qu’il suppose. Or, on a peine à comprendre que les mêmes hommes qui ^ épuisent, en l’honneur de Marie, toutes les ressources de la rhétorique, laissent subsister, dans le portrait de la mère du Sauveur, les taches que les Pères des quatre premiers siècles y avaientmises. Nous croyons donc que ces abondants panégyriques de la Vierge ont dressé autour de son front l’auréole de la sainteté. » G. Herzog, La Sainte Vierge dans iliistoire. II. /Jehutsde la crui/ance à la sainteté de Marie. Italie d’htstuire et de littérature religieuse, inoT, t. XII, p. rua.

Mais de quelle sainteté s’agit-il ? D’une sainteté relative, qui exclut les fautes actuelles ou i » erson nelles, et non pas d’une sainteté absolue, qui exclurait aussi, implicitement ou virtuellement, la faute originelle’? K A l’époque de saint Jean Damascène, l’Eglise grecque ignorait encore le dogme de la faute héréditaire. Elle ne pouvait donc pas songer à exempter la Sainte Vierge d’une loi qui lui était inconnue. » /hid., V. La Conception de Marie, de saint Augustin à saint Bernard, p. 54g.

Dès lors, d’où peut venir le dogme défini par Pie IX, le 8 décembre 1854 ? « Le privilège de la conception immaculée ne doit rien ni à la christologie, ni même à l’amour de la Sainte Vierge. Sa source se trouve exclusivement dans la lëte orientale de la conception miraculeuse de Marie, c’est-à-dire dans une institution liturgique qui n’avait aucun rapport avec le dogme du péché originel, mais qui, rencontrant ce dogme en Occident, a du se transformer pour lui résister et se maintenir. C’est la loi de la lutte pour la vie qui a métamorphosé la fêle de la conceplion miraculeuse en fête de la conception immaculée, c’est-à-dire exempte du péché originel. C’est le prestige de cette fête qui a protégé la théorie de la conception immaculée contre les coups de la théologie et l’a élevée progressivement à la hauteur d’une vérité révélée. » Ibid., VII. L’Immaculée Conception, p. 606.

L’idée d’expliquer non pas la fête par la doctrine, mais la doctrine par la fête, n’est pas nouvelle ; PusEV l’avait déjà émise, Eirenicon, p. 176 s. Ce qui est nouveau, c’est l’application de la théorie philosophi que de l’évolutionnisme vital, faite au dogme de l’Immaculée Conception ; théorie suivant laquelle il n’y a certes pas développement, comme l’exige la bulle Ine/jahilis, § L’t re quidem sera, « dans l’identité du dogm « , dans l’identité du sens, dans l’identité de la pensée ».

Pour l’attaque protestante, voir entre autres : Sam. "Wilberforce, Home, lier net’Dogma and our duties. Oxford, 185ô ; L. Durand, L’Infaillibilité pontificale prise en manifeste et flagrant délit de mensonge, ou le dogme de l’Immaculée Conception cité et condamné au tribunal de l’histoire et des Pères. Bruxelles, 185g ; Ed. Preuss (avant sa conversion). De immaculatu conceptu b. Mariæ Virginis, dans son édition de Chemnitz, Examen Concilii Tridenlini. Append., p. 966, Berlin 1861 ; puis, en allemand. Die rùmische Lehre der unbefleckten Enipfdngniss. Berlin, 1865 ; E. B. Pusey, An Eirenicon, in a Letter to the author of « Tlie Christian year », Oxford, 1866 ; Le même, First letter to the Rev. JVen’inan in explanation chiefly in regard to the reverential love due to the everblessed Theotokos and the dévotion of the immacalate conception, Oxford, 1869 ; A. Réville, art. Conception Immaculée, dans Encyclopédie des sciences religieuses, de Lichtenberger, t. III ; E. H. Vollet, art. Marie, dans la Grande Encyclopédie (Paris, Lamirault), t. XXllI, p. 95.

Attaque gréco-russe : Métrophane Critopoulos, ’O/jo/oyiK TY, i ii : jv.tÙMr, i ÏK/.Àr, <i<v.t, c. xvii, dans Monumenta fidei Ecctesiæ orientalis, éd. Kimmel-Weissenborn, lena, 1850, P. II, p. 1 ^j s. ;.Sébastos Kyuiénitès, A’y/fjiv.nxh ùiùy.iy.vj.iv. t7, ^ àyarc/tx-^ç x « t i.aSoiivfii "E « //itik ; , Bucliarest, 1708 ; Théophane Prokopovicz, Christianæ orthodoxæ theologiae t. II, c. XIII. Leipzig, i^ga ; IiTopiV. tw rtapy. a.r(m^ Ao-j ôiy^KTi ; rf, i àrsnû.cxj um/vUk^ Tij ; ù./ixi "kvrtii, dans EÙK/yt^izo ; Kr, p, -, Athènes, 1867, t. I, p. 262 ; Les ré flexions d’un orthodoxe sur le nouveau dogme de V Eglise romaine concernant l’Immaculée Conception de Marie (en russe), dans Khristianskoe Tchtenle (Lecture chrétienne). Saint-Pétersbourg, 1867, 219

MARIE. - IMMACULÉE CONCEPTIOiN

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t. II, p. 3 ; 1858, t. I, p. j3, 184, 221 ; A. Mouraviell’, Question religieuse d’Orient et d’Occident : Moscou et Saint-Pétersbourg, 1856, 1868-59, p. 345 : Le nouveau dogme latin de l’Immaculée Conception au point de vue orthodoxe (trad. angl. jiar J. M. Neale, dans Voices from the East, IV. Londres, 1869) ; p. 4"= Képonse à deux lettres adressées à une dame russe sur l’Immaculée Conception ; C. Androutsos, Ao ; ti>n ; v to/zCmij ! ^ ; éi ino’jiiui cpB’j6010-j, p. 1^3 s. Athènes, 1901 ; A. Lebedev, bifergences entre les Eglises orientale et occidentale dans la doctrine sur la très sainte Vierge Marie, mère de Bien. L’Immaculée Conception (en russe). Varsovie, 1881 ; 2’éd., Saint-Pétersbourg’, 1903. Sur ces deux derniers ouvrages, A. Spaldak, d&ns Zeilschrift fur iatliolische Théologie, Innspruck, 1904, t. X.WIII, p. 767 : Die Stellung der griechish-russisclien Kirclie zur Lehre der unhefleckten Empfàngnis ; article du même auteur sur les Objections des théologiens russes contre l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu (enlcièque), Aansl’asopiskatolickéhoduchoiensiia, Prague, 1906, p. 50, 100 (compte rendu dans Sla^’orum litteræ theologicae, Prague, 1907, t. III, p. 10 i).

Attaques dii-erses, venant d’auteurs à tendances jansénistes ou gallicanes, précurseurs des vieuxcatholiques : Grand Dictionnaire du X/X’siècle, art. Conception : abbé J. J. Laborde, La croyance à l’immaculée Conception de la Sainte Vierge ne peut devenir dogme de foi, 3’éd. Paris, 1854 ; le même, Relation et Mémoire des opposants au nouveau dogme de l’Immaculée Conception et à la bulle Jnt’/fabilis. Paris, 1855 ; J. B. Bordas-Demoulin et F. Huet, Essais sur la réforme catholique, troisième partie, p. 479 : Lettres sur l’Immaculée Conception ; p. 539 : Etude sur la bulle Ineffabilis Deus, Paris, 1856 ; E. Secrélan, Héfutution d’un ouvrage intitulé : fa croyance générale et constante de l’Eglise touchant V Immaculée Conception de la li" Vierge Marie, etc. par l’Em. et Rnie cardinal Gousset, archev. de Reims, dans L’Observateur catholique, Paris, 1856, t. I et II, série d’articles ; Poulain et E. Secrétan, Lettres à Mgr Malou, évéque de Bruges, sur son livre intitulé : L’Immaculée Conception considérée comme dogme de foi, dans la même revue, iSS’j-Sg, t. IV-IX, série d’articles.

Bibliographie plus complète : A. de Roskovany, Beata Virgo in suo conceptu immaculata, Budapest, 1873 s., t. VI, p. 556 ss., passim ; H. Reusch, Der Index der verbotenen Biicher, t. II, p. I153 s.

3. La défense du dogme : remarques préliminaires. — On peut conclure de ce qui précède, que la défense du dogme de l’Immaculée Conception ne doit pas consister seulement dans l’énoncé des preuves et la réponse aux objections anciennes ; les lornies nouvelles de l’attaque demandent, en outre, qu’on tienne compte de la marche suivie par la croyance au cours des siècles chrétiens. Ce procédé se recommande d’autant plus que, dans beaucoup d’encyclopédies ou de revues en vogue, on fait passer sous les yeux des lecteurs une histoire du dogme défini par Pie IX, dont le moindre défaut est il’être incomplète et de mêler, à peu près dans une égale proportion, le vrai et le faux.

Mais d’abord, quelques remarques préliminaires, pour écarter des équivoques d’une grande importance. Souvent les adversaires de l’Immaculée Conception critiquent les autorités alléguées dans la bulle Ineffabilis, comme si, dans la pensée des rédacteurs, toutes tendaient à établir directement le

privilège mariai. Pure méprise I Quelques témoignages sont donnés, il est vrai, comme se rapportant à la conception de la bienheureuse Vierge, I5 Accédant nobilissima effala ; mais ces témoignages sont très peu nombreux. Les autres sont présentés comme énonçant une notion plus générale : « sainteté et dignité souveraine de la Vierge, exemption de toute tache du péché, glorieuse victoire sur le funeste ennemi du genre humain », Çj Equidem Patres : Il innocence, pureté, sainteté parfaite ; abondance ineffable de grâces, de vertus et de privilèges », § Jiunc eximium : « plénitvide de grâces » propre à la mère de Dieu, § /Une non luculenta minus. Au cours de la discussion sur le texte de la bulle, un mot fut dit, qui caractérise cette sorte de témoignages. Des évêques ayant objecté que, parmi les autorités produites, beaucoup ne semblaient pas s’appliquer à la conception de Marie, Mgr Malou, de Bruges, fit remarquer que la sainteté afiirmée d’une façon indéfinie entraînait la conception immaculée, qu’il surtisait donc, pour tout accorder, de distinguer entre les preuves directes et les preuves indirectes :

« Distinguendo le prove dirette ed indirette, 

tutto sarebbe concordato. » Sardi, op. cit., t. II, p. 207.

En face des témoignages indirects, la question n’est pas : ces témoignages expriment-ils l’exemption du péché originel ou la conception immaculée, mais seulement : la notion plus générale, que ces témoignages expriment, con((e « <-elle l’exemption du péché originel ou la conception immaculée, soit implicitement, soit virtuellement (abstraction faite de ce ([ui peut être une pure querelle de mots, voir t. I, col. 1162), comme le tout contient la partie, comme l’universel contient le particulier, comme les prémisses contiennent la conclusion, comme une vérité en appelle une autre, ou par contraste, quand l’une exclut l’autre, ou par connexion, quand les deux ont un rapport mutuel ?

S’il importe de ne pas confondre les témoignages directs et les témoignages indirects, il importe tout autant, dans la question présente, de ne pas restreindre arbitrairement les anciennes manifestations ou anticipations de la croyance par une notion trop verbale du dogme. Si cette considération vaut en général, elle s’applique en particulier au dogme de l’immaculée conception de Marie. Pour beaucoup d’adversaires, nul témoignage ne paraît compter, s’il n’énonce pas formellement l’exemption du péché originel ou la conception sans tache. C’est méconnaître illégitimement la possibilité de formules dogmatiquement équivalentes, c’est-à-dire recouvrant une même substance de doctrine sous une terminologie différente. Dans sa formule négative, le privilège mariai dît : exemption du péché originel ; maià, suivant une remarque déjà faite, le péché originel ne nous a pas été révélé dans sa nature intime, il ne l’a été que sous une notion vulgaire, en fonction <les effets qu’il a produits dans Adam et Eve et qu’il produit dans leurs descendants naturels : inimitié ou malédiction divine, souillure de l’âme, état d’injustice ou de mort spirituelle, servitude sous l’empire du démon, assujettissement à la loi de la concupiscence, de la souffrance et de la mort corporelle, envisagée comme peine ou rançon du péché commun. Dans sa formule positive, le privilège mariai dit conception pure et sainte en son terme, c’est-à-dire jointe à la grâce sanctifiante, puisque, dans l’ordre actuel, il n’y a pas de pureté ni de sainteté intérieure sans la grâce sanctifiante. Les contraires s’opposant, le privilège mariai pourra s’exprimer de deux façons distinctes : d’une façon plus abstraite, par la négation du péché originel ou de la tache 221

MARIE. — IMMACULEE CONCEPTION

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héréditaire ; d’une façon plus concrète, par la négation des effets du péché originel, qui viennent d'être rappelés, ou par l’allirniation des effets contraires : amitié divine, état de justice, de sainteté, de pureté ; présence de la grâce sanctifiante ; pleine inimitié avec le démon ; immunité par rapport à la loi de la concupiscence, de la souffrance et de la mort envisagées comme peine ou rançon du péché commun.

Enfin, s’il faut que, dans le développement dont ils sont susceptibles, les dogmes chrétiens « gardent leur plénitude, leur intégrité, leur propriété, et qu’ils croissent dans leur genre, c’est-à-dire dans l’identité du sens, dans 1 identité de la pensée », ce qui suppose manifestement un rapport ou lien objectif de continuité entre la croyance du présent etcelle du passé, ou du moins entre la croyance présente et la révélation, explicite ou implicite, comme point de départ : il n’est pas moins vrai que la défense rationnelle de la croyance à l’immaculée conception de la Mère de Dieu peut présenter une différence notable, suivant qu’on admet, sur la manière dont s’est faite la révélation de ce mystère, l’une ou l’autre des deux hypothèses qui ont cours parmi les théologiens catholiques. Dans l’hypothèse d’une révélation explicite, on est infailliblement amené à chercher dans les premiers siècles du christianisme une croyance correspondante, c’est-à-dire explicite, qu’il faut établir par des témoignages positifs, à moins qu’on ait recours, pour suppléer aux lacunes, à un argument de prescription, dont la valeur n’est pas, dans l’espèce, incontestable. Dans l’hypothèse contraire d’une révélation seulement implicite, la situation est différente. Il y a liieu à un développement réel, bien que relatif, de la doctrine, pour que de l’implicite elle passe à l’explicite, soit dans la connaissance ou la profession des croyants, soit dans la proposition ou la sanction du magistère ecclésiastique. L’allirniation expresse du point de doctrine n’est pas, de soi, nécessaire dès le début ; il suffit qu’il y ait croyance à la vérité plus générale qui le renferme, ou même à divers éléments dont la synthèse réfléchie amènera définitivement la reconnaissance et la profession publique de ce point de doctrine. Des étapes pourront donc exister, des périodes distinctes pourront se succéder, où la croyance ne se présentera pas dans les mêmes conditions. Et cette circonstance donne son intérêt et sa valeur à l’examen, qui va suivre, de la croyance à l’immaculée conception de Marie dans les siècles chrétiens. Cet examen aura, en outre, l’avantage de fournir comme une pierre de touche pour contrôler par les faits les deux hypothèses qui ont cours dans la théologie catholique.

II' Partie. La croyancb a l’I.mmaculke Co>'CErTio.v LIE Marie dans les siècles postéphbsiens.

Le cadre de ce Dictionnaire apologétique ne permet pas d’envisager la question de l’Immaculée Conception dans toute son ampleur, comme il sera fait bientôt dans le Dictionnaire de Théologie cathnliriiie. On trouvera d’ailleurs dans notre bibliographie d’abondantes indications en vue d’une étude complète. Obligés de nous borner, nous irons droit au point critique.

Les premières sections de cet article ont marqué Us fondements scripturaires du dogme, parmi lesquels il suffira de rappeler le protévangile de la r.enèse (Cen., iii, 15) dans la perspective duquel Marie apparaît comme la nouvelle Eve, et la salutation de l’ange à la vierge pleine de grâce (/.kc., 1, 28). Elles ont aussi fait connaître quelques-unes des

anticipations les plus notables du dogme dans la tradition des anciens Pères. Pour éviter des redites infinies, nous inviterons le lecteur à se référer à ces développements, et prendrons la question au point où elle entre dans la tradition explicite de l’Eglise ; point qu’on peut fixer approximativement au lendemain du concile d’Ephèse.

Nous allons suivre le développement de la croyance à l’Immaculée Conception après cette date, d’abord pour l’Eglise orientale jusqu’au schisme, puis pour l’Eglise occidentale.

I. La croyance bn Orient depuis le concile d’Ephèse jusqu’au schisme db Micbbl Gkrolaiub (/138-io54). — La réaction contre l’hérésie nestorienne activa et précisa le mouvement inarialogique dans l’Eglise orientale. La négation de l’unité de personne en Jésus-Christ faisait de Marie la mère d’un homme spécialement uni à la divinité, mais non pas la Mère de Dieu. Le glorieux titre de Q^otm : , consacré solennellement au concile d’Ephèse, devint le point de départ d’un double développement : l’un d’ordre doctrinal, dans les écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques qui les continuèrent ; l’autre cultuel, qui se traduit dans les monuments liturgiques et dans l’institution de fêtes en l’honneur de Marie.

a. Développement doctrinal : Pères et écrivains ecclésiastiques. — C’est à cette période (iu’a|>partiennent la plupart des témoignages patristiques dont les rédacteurs de la bulle Inefjahitis Deus se sont inspirés pour dépeindre la sublime dignité de Marie, sa perpétuelle innocence, son incomparable pureté et son ineffable sainteté. La perfection qui se dégage de cet ensemble de témoignages dépasse manifestement la virginité corporelle et même une plénitude de grâce qui, se réalisant au jour de l’Incarnation, n’assurerait la toute-sainteté de Marie qu'à partir de ce moment-là. Dépasse-t-elle une plénitude de grâce antérieure, mais qui consisterait unique ment dans l’absence de fautes personnelles et dans une sanctification faite à une époque indéterminée ? En d’autres termes, la sainteté propre à la Mère de Dieu englobe-t-elle sa personne dans le cours entier de son existence, excluant donc la présence en elle, même au moment de sa conception, d’une souillure héréditaire, d’un état de mort spirituelle et d’inimitié avec Dieu, d’un assujettissement temporaire au démon ? Telle est la forme sous laquelle le problème se pose pour les Pères grecs de l'époque postéphésienne.

Quiconque étudie de près leurs écrits fait bien vite une constatation : ces Pères conçoivent la sainteté, la pureté, la plénitude de grâce, comme toutes les autres perfections de Marie et son rôle de nouvelle Eve, en fonction de son titre de Qictwo^. Basile de Séleucib (458) énonce une idée courante quand il déclare que, pour louer dignement la Mère de Dieu, il prendra son point de départ de celui-là même à qui elle doit d’avoir réalisé et porté ce titre. Oral. XXXIX, In Annant., 2, P. G., LXXXV, ^29. L’appellation d'(//i « &£c, Tcxoi, Sainte Mère de Dieu, ne signifie pas seulement que Marie est sainte, mais qu’elle est sainte en Mère de Dieu, d’une façon et dans une mesure proportionnée à sa dignité et à ses destinées. Si l’application va tout d’abord à la Vierge devenant effectivement, au jour de l’Annonciation, Mère de Dieu, par voie de conséquence il y a réaction sur l’existence antérieure, qui fut la préparation de Marie à son rôle unique : c’est en Mère de Dieu qu’elle vit, qu’elle naît, qu’elle est conçue ; partout et toujours l’Eve nouvelle, jamais inférieure à l’ancienne en pureté, en sainteté. Remontant ainsi du plein midi à l’aurore, les Pères grecs postéphésiens salueront en Marie, du premier instant où 223

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elle sera, le temple que le Verbe divin a choisi de toute éternité, qu’il s’est construit lui-même et dès lors approprié ; c’est par là surtout qu’ils anticiperont, à leur manière, le dogme de l’Immaculée Conception, Une enquête détaillée ne convenant pas à la brièveté de cette étude, indiquons du moins les principaux anneaux de la chaîne, au commencement, au milieu et à la lin de la période.

I. Débuts de la période postéphésienne. — Voici, reliant en quelque sorte cette époque à celle qui l’a précédée, deux évêques qui Ogurèrent au concile d’Ephèse en adversaires décidés de Nestorius : saint Proclus et ïhéodote d’Anej’re.

Discii)le en sa jeunesse et ami de saint Jean Chrysostome, Proclus devint l’un de ses succès seurs sur le siège de Gonstantinople (434-446). Dans l’un de ses Eloges de Marie Mère de Dieu, il parle de « son âme pure et sans tache », puis, reprenant la comparaison de la seconde Eve, associée à son divin Fils dans la lutte contre l’ennemi du genre humain, il prête ce langage aux démons stupéfaits : « Aurons-nous donc à lutter contre une nouvelle Eve ? Devrons-nous livrer bataille à une femme immaculée ? Serons-nous obligés d’adorer le second Adam ? » L'éloge continue, renfermant des expressions comme celles-ci : « Sanctuaire sacré de l’impeccabilité, temple de Dieu sacro-saint, arche dorée à l’intérieur et à l’extérieur, sanctiliéc dans le corps et dans l'âme, épouse toute belle des Cantiques qui s’est dépouillée de la %-ieille tunique, globe céleste de la nouvelle création. » Orat, ti, i, 16, i-, P. G., LXV. ^51, 762 s., 766 s. Expressions d’autant plus signilicatives que l’orateur semble bien faire remonter la sainteté de Marie jusqu'à son origine, quand, à propos de l’inquiétude momentanée de saint Joseph, il fait cette remarque : « Il oubliait qu’elle pouvait devenir le temple de Dieu, celle qui avait été formée d’un limon pur, r, ix toû i.yy.Oii' (al. zaSypsû)-iT : i'/.- ! ij.i-)r, Trj.vj. Il ne savait pas que de ce paradis virginal, les mains immaculées du Seigneur devaient façonner le second Adam. » Ibid., 2, col. 733. Si l’authenticité de ce discours est contestée par maints critiques, d’autres la maintiennent et répondent aux objections. Voir M. Jugib, dans Noire-Dante, t. II, p. 226.

Théodotb, évêque d’Ancyre (430-439), n’est pas un témoin inférieur à Proclus. Traitant du mj-stère de l’Incarnation, il commence par rappeler la chute originelle et ses tristes conséquences, en particulier l’assujettissement de toute àme au démon, personne ne pouvant arrêter « la propagation du vice » héréditaire ; seul le Rédempteur est capable d’apporter le remède. Mais l’Eve nouvelle apparaît à côté du nouvel Adam. L’orateur ne la considère pas seulement dans son rôle actif au jour de l’Annonciation ; il la considère encore et surtout en elle-même, dans les perfections qui lui conviennent et dans la préparation lointaine que sa future mission suppose : « A la place de la vierge Eve, devenue pour nous un instrument de mort, Dieu choisit, pour nous i-edonner la vie, une Vierge très agréable à ses yeux et pleine de grâce ; vierge qui appartient au sexe féminin, mais sans en connaître la malice ; vierge innocente, sans tache, exempte de toute faute, intacte, pure, sainte d'âme et de corps, poussant comme un lis au milieu des épines, ignorant les maux d’Eve…, consacrée à Dieu dès le sein de sa mère, et, après sa naissance, présentée au temple en esprit de reconnaissance pour être élevée dans le sanctuaire, s’y instruisant de la loi, pénétrée de l’onction de l’Esprit-Saint, revêtue de la grâce divine ODuiræ d’im manteau, l’esprit rempli dune sagesse céleste et déjà, par le cœur, épouse de Dieu…

Telle est la femme, digne du Créateur, dont la divine Providence nous a fait présent et dont il a daigné se servir pour nous communiquer ses faveurs. »

Développant sa pensée, Théodote fait ainsi parler l’archange Gabriel, arrivé devant Marie : « C’est à cause de vous que la tristesse d’Eve a cessé ; c’est par vous que les maux ont pris Un, par vous qu’Eve a été rachetée, car saint est celui qui est né de la sainte, saint et Seigneur de tous les saints, saint et lui-même auteur de la sainteté ; c’est l’Excellent issu de l’excellente, l’Ineffable issu de l’ineffable, le « Fils du Très-haut » issu de la « trèshaute ». Hom., VI, In sanctam Mariam Dei geniiricem, 11-12, P. G., LXXVII, 1426 s. Quelle somme de perfections, la grâce initiale comprise, n’est pas supposée par un tel parallélisme d’appellations entre le nouvel.dam et la nouvelle Eve ? Le droit de restriction est d’autant moins légitime qne, dans un autre discours, l'évêque d’Ancyre est amené à nous présenter l’Eve ancienne et la nouvelle comme une œuvre divine dont l’auteur peut être ûer :

« Celui qui a formé l’antique Vierge tout à son

honneur, ôwfouTw ?, a formé aussi la seconde d’une façon irrépréhensible, my.uùuu :  ; s’il a doté l’extérieur de la beauté convenable, il n’a pas moins fait pour l’intérieur, où l'àme habite, en lui conférant l’ornement de la sainteté. ». Hom., iv, 5, col. iSgS. Que peut signilîer ce rapprochement, si ce n’est que, dans les deux cas, le terme de l’action divine productrice fut, naturellement et surnaturellement,

« digne du Créateur b et de ses desseins providentiels ?

2. tes derniers Pères grecs. — Trois personnages, appartenant à l'église syro-paleslinienne, méritent d’attirer l’attention aux vii^ et viii° siècles : les saints Sophrone, André de Crète et Jean Damascène. Des trois il est particulièrement vrai de dire que leur marialogie est en fonction de Vof/ix Simm :.

Saint Sophrone, patriarche dk Jiîbusalbm (634-638), est l’auteur certain d’une Lettre synodale à Sergius de Constantinople, et il semble être le même que Sophrone le Sophiste, auquel on attribue plus communément Vkomélie sur l’Annonciation. Préoccupé dans les deux écrits de défendre contre les arabes et les monothélites la divinité de Jésus-Christ et l’intégrité parfaite des deux natures, il prend un point d’appui dans le double mj’stère de la virginité et de la maternité. Sa doctrine marialogi([ue revient à mettre en relief une mystérieuse réciprocité de services et de grâces entre le Verbe incarné et sa Mère. Par son enfantement virginal, Marie rend un éclatant témoignage à la divinité de son Fils ; par sa qualité de ©e^tws : , comme Mère du Dieu fait homme, elle rend aussi témoignage à la dualité des natures dans le Christ. Orat. 11, In Annunliat, 44. P- G., LXXXVII, 3276 : cf. Orat.i. fn Christi nataliiia, Ihid., col. 3208. En retour, le Verbe a exalté sa Mère, en voulant qu’elle eut sa place auprès de lui dans l'économie de la rédemption ; c’est l’idée antique du second Adam et de la seconde Eve. Orat., 11, 14-16. 23, 25, 33, col. 323 1 s., 324a s., 3246, 3269..Mais, à la différence de la plupart de ses devanciers, Sophrone s’arrête moins aux harmonies providentielles de ce plan de revanche, qu'à la dignité, la sainteté, la pureté qui s’en suivent dans la mère de Dieu, rendue digne de son rôle par des prérogatives exceptionnelles, ri là Osapùj h rx-n xTiTT^f ; - « tso/.juktk, Ibid. 31, col. 3341> en particulier par une plénitude de grâce et une pureté incomparables : « Voilà pourquoi une vierge sainte est choisie ; elle est sanctiliéc dans son àme et dans son corps, et parce qu’elle est pure, chaste et immaculée, elle coopère à l’incarnation du Créateur. » Epist.synod., col. 3162. 225

MARIE. - IMMACULEE CONCEPTION

226

Aussi, quel prodige de sainteté et de grandeur, que Marie, telle qu’elle nous est dépeinte dans le commentaire oratoire de la salutation angélique ! c Vous avez orné la nature humaine, surpassé les

l' ordres des anges, obscurci l'éclat des archanges…, vous avez laissé bien loin derrière vous toute créature ; car, plus que toute autre créature, vous avez brillé de pureté, et cela parce que vous avez reçu, porté dans votre sein et engendré le Créateur de toutes les créatures…./eiou*- salue, pleine de gnice : te Seigneur esl afec io » s. Que peut-il donc y avoir, o Vierge Mère, que peut-il y avoir de supérieur à

I cette grâce qu'à vous seule Dieu a accordée ? Quelle

î grâce, quelle splendeur est au-dessus de la vôtre ? Il n’est rien de plus merveilleux que la merveille que vous êtes ; aucun, parmi les meilleurs, qui, par rapporta vous, ne soit au second rang… Vous êtes bénie entre toutes les femmes, car vous avez changé la malédiction d’Eve en bénédiction… J’e criignez rien, n Marie ; car vous avez trouvé auprès de Dieu

1 une grâce inamissible, une grâce excellente entre toutes, une grâce souverainement enviable, une grâce de toutes la plus splendide… Beaucoup de saints ont paru en vous, mais aucun n’a été rempli de grâce comme vous ; aucun n’a été béatifié comme ous ; aucun n’a été exalté comme vous. > Urat., ii, 18, ig, 22, 25, col. 3238 s., 32/|2, 32/46 s.

Mais cette grâce-là, dira-t-on, c’est, d’après Sophrone lui-même, celle de la maternité divine. Oui, si vous considérez cette grâce dans son terme ; mais

! > terme suppose, dans la pensée et la doctrine du

saint docteur, une préparation préalable et proportionnée : « L’Esprit-Saint descendra sur vous l’Immaculée, ijil oi, T>, v àfii’ju-jTO-j, pour vous rendre plus pure etvous donner la vertu fécondante. » /Ijid., 43, col. 3273. Ainsi, purification relative, par accroissement d’une pureté positive déjà existante, et pour rendre la bienheureuse Vierge vraiment digne des merveilles qui allaient s’accomplir en elle, in rotcùri^yj -jyiîj iJi-fv-'itiat ^^(WTKu Jbid., 2^, col. 32/15. Ce n’est I)as seulement un sein éclatant de chasteté » <[u’elle peut offrir alors au Dieu s’incarnant ; c’est tout à la fois « un corps, une âme et un esprit libres (le toute contagion, r.xi 7r « vT « ; ihjSspy.i /l’AO^y-xToi roù tï

y/rv cô/^Ky. /.v.i Ijyr.-jy.v.i àt’J.J^iy.J. « K pist. STUod., COl.3l60.

Cette nouvelle Eve, Sophrone la met en parallèle avec l’ancienne, considérée non pas simplement comme vierge dans le mariage, mais comme « encore innocente et toute simple, 'J-nw, p', -^ cùjav xxl y-nlx^ro-j. » Ora !., II, 33, col. 3261. Aussi, après avoir dit, loi. 3a48 : « Aucun n’a été rempli de grâce comme vous, etc. », l’orateur ajoutait-il : « Aucun n’a été purifié à l’avance comme vous, oiiSsii y.a.rk li

T.OTA'.y.y.Bv-pTVi. »

Quel est le sens exact du mot np’j/t/y.dy.prt/.i ? Dé signe-t-il simplement la purification préalable qui

eut lieu au moment de l’Annonciation, en vue de

l’enfantement virginal qui allait s’accomplir ; ou

bien désigne-t-il la sanctification initiale de Marie,

opérée au premier instant de son existence et dis I tlnguée de la purification vulgaire en ce que, faite

'< comme par anticipation, elle suppose une réelle

; préservation de toute tache ou souillure du péché 7

Que le second sens réponde mieux au mouvement

de la pensée, d’après l’ensemble de tout le passage,

i Ballerini le montre dans une note reproduite par

1 Migne, loc. cil. Saint Sophrone peut donc être con , sidéré comme un témoin probable de la croyance au

I privilège mariai, sous une forme dogmatiquement

] équivalente.

Au siècle suivant, saint ANnnii de Crète (-[- 7/I0) marque un nouveau progrès. Né à Damas, il se rattache à l'église de Jérusalem par la formation qu’il y

Tome m.

reçut, pendant les premières années de sa jeunesse, au couvent du Saint-Sépulcre. En dehors de ses œuvres liturgiques, dont il sera question plus loin, il nous i)résente huit homélies sur la sainte Vierge, quatre sur la Nativité, une sur l’Annonciation et trois pour la fête de la Dorinition. Comme Sophrone. et plus strictement encore, il unit dans sa pensée le double rapport, de la nouvelle Eve au nouvel Adam, et de la Mère au Fils. Le conseil divin de racheter le monde par le Verbe fait homme appelle le concours d’une vierge pure et sans tache, comme jadis il fallut, pour la formation du premier Adam, l’argile d’une terre vierge et intacte. Orat., i, In Aatii-itatem Dei^>arae, P. G., XGVII, 813 s. La pureté <lont il s’agit n est pas la simple virginité du corps ; c’est aussi celle de l'âme, la pureté dans toute l’acception du mot et s'étendant dès le début à toute la personne de Marie, en sorte qu’au jour même de sa naissance, elle puisse être présentée à Dieu « comme les prémices de notre nature (restaurée)… Les hontes du péché avaient obscurci la splendeur et les charmes de la nature humaine ; mais lorsque nait la Mère de celui qui est le Beau par excellence, cette nature recouvre en sa personne ses anciens privihges et est façonnée suivant un modèle parfait et vraiment digne de Dieu. Et cette formation est une parfaite restauration ; et cette restauration est une divinisation ; et celle-ci une assimilation â l'étal primitif… El pour tout dire en un mot, aujourd’hui la réformalion de notre nature commence, et le monde vieilli, soumis à une transformation divine, reçoit les prémices de la seconde création ». Jbid., col. 812 (traduction Jugie). Ailleurs encore, l’orateur salue en Marie « les prémices de notre réformation… la première qui a été relevée de la première chute des premiers parents ». Orat., iv, In Nativit., col. 865, 880.

On verra plus loin que la pensée du panégyriste, célébrant la sainteté initiale de Marie, s'étend â sa double naissance : naissance au monde extérieur, alors qu’elle fut enfantée, et naissance au sein de sa mère, alors qu’elle fut conçue. Rien que de naturel en cela : c'était la préparation lointaine du palais où le Roi devait descendre. Orat., m. In Natitil., col. 850. Une raison plus haute encore est énoncée â propos de l’Assomption de Marie : « Il convenait que Dieu disposât les destinées de sa Mère conformément aux siennes. » Orat., 11, /n Dormitionem, col. 1081. Principe dont la portée dépasse manifestement, dans la pensée de l’orateur, l’application qu’il eu l’ail à la résurrection et à l’assomption de la Vierge Mère ; car ce qu’il voit en ce double événement, ce n’est rien autre chose que le couronnement splendide du plan providentiel de renouvellement commencé à l’aube même de l’Incarnation, c’est-à-dire avec la première apparition de Marie.

Nous retrouvons la même doctrine, fortement accentuée, dans un contemporain d'. dré, plus célèbre que lui, saint Jean Damascéne, mort vers le milieu du viii' siècle, le dernier des Pères grecs dont l’Eglise romaine ail ceint le front de l’auréole doctorale. Mieux encore que ses devanciers, il a compris et énoncé dans ses trois homélies sur la Dormition et une autre sur la Nativité (la [iremière, moins douteuse), que le vrai centre de la théologie niariale se trouve dans le privilège de la maternité divine, que tout en Marie tend à cette maternité et que tout en dérive. Aussi nous représente-t-il souvent la Vierge bénie comme l’objet dune prédilection, d’une prédestination qui se termine non seulement à ce privilège de la maternité divine, mais à ses sublimes corollaires. S’adressant à la petite enfant qui nait : « Vous aurez, lui dit-il, une vie supérieure à la nature, mais vous ne l’aurez pas pour 227

MARIE. — IMMACULEE CONCEPTION

228

vous-même ; car ce n’est pas pour vous que vous êtes née. Cette vie, vous l’aurez pour Dieu ; c’est pour lui que vous êtes venue au monde, instrument providentiel du salut commun, alin que par vous se réalisât l’antique plan de Dieu, le plan de l’Incarnation du Verbe et de notre déification ». Ilomil. i, Jn Aaiifil., 9, P. G., XCVI, 676 ; cf. Ilomil., i. In dormit., 3, col. yoi s.

Marie n’a pas pu, comme Mère de Dieu et médiatrice, preudre une part active au mystère de l’Incarnation et de la Kédemplion, sans que l’éclat de la divinité rejaillit en quelque sorte sur elle. Epris de sa beauté surnaturelle, le panégyriste lui crie :

« Vous êtes toute belle, toute proche de Dieu, S/<j

r/wi^K Qi’jj ». In Nati’it., loc. cit. Alors seulement il aura complété sa pensée, quand la contemplant glorieuse au ciel, il aura dit ; ic Entre le Fils et la Mère, il n’j- a pas de milieu ». Ilom., iii, In dormit., 5, col.’761. Mais auparavant il avait formulé la restriction nécessaire, la restriction catholique, dont la connaissance ou la saine interprétation devrait suffire pour arrêter la calomnie protestante : » Nous n’en faisons pas une déesse (arrière ces fables de la jonglerie hellénique !) car nous proclamons qu’elle est morte, mais nous la reconnaissons pour la Mère du Dieu incarné ». Ilom., ii, In dormit., 15, col.’jft/i. Cette dignité qui élève Marie bien au-dessus de toute créature, mèmeangélique, ne va pas sans une pureté ni une sainteté proportionnée ; aussi, quand le docteur de Damas salue en elle la toujours Vierge, il entend par là une pureté d’âme, non moins qu’une pureté de corps, hors ligne : « D’esprit, d’àme, de corps, elle est, seule, toujours vierge, T/ ; y /.tiv^v /ki va, KK( r’^X’^', ^y-’^oi’jy.rt à’tnv.pôâvtùoj^y.v ». Ilom., I, In T^ativ. , b, col. 668. Cette pureté suréminente a son côté négatif ou exclusif : éloignement de tout mal, absence de toute faute et de toute souillure. Marie est la fille très sainte dijoachim et d’Anne, qui « a échappé aux traits enflammés du malin ii, Ibid, , 7, col. 672 ; paradis nouveau, « où le serpent n’a pas d’entrée furtive ». Ilom. 11, In dormit., 2, col. 725. Ces expressions et autres semblables ont une portée si générale qu’il semble tout à fait arbitraire de les restreindre à l’exclusion des seules fautes actuelles ou personnelles.

D’ailleurs, quand la pensée du saint docteur se fixe sur Marie au début même de son existence, il en parle manifestement comme d’un fruit béni, d’abord pour le caractère miraculeux qu’il attribue à sa naissance d’une mère stérile, puis pour la pureté et la beauté intérieure dont elle est ornée : « La nature cède le pas à la grâce et s’arrête tremblante, incapable d’avancer toute seule. Puis donc que la Vierge Marie devait nailre d’Anne, la nature n’osa pas devancer le germe béni de la grâce ; elle resta vide de tout fi’uit jusqu’à ce que la grâce eîit porté le sien. Il s’agissait, en eifet, de la naissance, non pas d’un enfant vulgaire, mais de cette Première-née d’où sortirail le Premier-né de toute créature, en qui subsistent toutes choses. O bienhemeux couple, Joachim et Anne 1 Toute la création vous est redevable ; car en vous et par vous elle offre au Créateur le don qui surpasse excellemment tous les dons, je veux dire la chaste mère qui seule était digne du Créateur… O fruit sacré de Joachiiu et d’Anne ! … O fille digne de Dieu, la beauté de la nature humaine, la réparation d’Eve notre première mère 1 » Ilom., I, In Natit’., 2, 7, 9, col. 663, 671, 675.

Peut-on s’étonner après cela que, pour saint Jean Damascène.la résurrection etl’assomption corporelle de la Mère de Dieu ne soient qu’un corollaire de ses autres privilèges ? Corollaire de la maternité divine assurément ; « Il fallait que celle qui avait offert dans

son sein l’hospitalité au Verbe de Dieu fût placée dans les divins tabernacles de son Fils. » Ilom., ii, In dormit., 14, col. 741. Mais corollaire aussi de l’absolue virginité ou de la toute-sainteté de Marie : c’est pour avoir prêté l’oreille aux suggestions du démon qu’Eve a entendu la sentence qui nous frappe avec elle : Vous retournerez en poussière ; la seconde Eve ne s’est pas laissé séduire, pourquoi tomberait-eUe sous cette malédiction ? Ibid., 3, col. 728. Quelle serait la valeur de ce raisonnement, si dans sa conception Marie était préalablement tombée sous l’empire du démon ? Déjà saint André de Crète était arrivé aux mêmes conclusions en appliquant jusqu’au bout son principe : u Il convenait que Dieu disposât les destinées de sa Mère conformément aux siennes. » Jésus-Christ n’est pas mort, comme nous, à cause de l’antique sentence portée contre l’homme coupable ; il est mort pour d’autres raisons qui se rapportent à la fin de l’Incarnation et que le saint docteur expose Ilom., i. In dormit., col. lOiJS, io53. Voir M. Jugie, Saint André de Crète et l’Immaculée Conception. Doctrine fréquente chez d’antres auteurs, soit à la même époque, soit aux siècles suivants. A. Si’axdak, liom. V, l’J und die Unbefleckte Empfiingnis Maria in der Tradition der orientalischen Kirchen, dans Zeitschrift fiir katliulische I Iteologie, Inspruck, 1904, t. XXVIII, p. 774. Rien de plus propre à confirmer que, pour ces auteurs, la Mère de Dieu échappait personnellement à la loi générale du péché. Car la dette de la mort est, parmi les effets du péché originel, celui sur lequel les Pères grecs insistent davantage, à tel point que parfois ils sembleraient ramener à cet ell’et le vice héréditaire. Exempter Mai-ie de la dette de la mort, équivaut donc, chez eux, à l’exempter de la déchéance commune.

Saint Jean Damascène et les autres Pères nous ont donné en substance tout ce que la marialogie de cette époque fournit d’apport doctrinal en ce qui concerne la croyance au glorieux privilège. D’autres contemporains pourraient ajouter leurs témoignages aux précédents, mais poui- redire quelque chose de ce qui a été déjà dit. Saint Germain, patriarche de Constan-TINOPLK (715-730) nous montrerait en Marie « celle qui, seule d’entre les mortels dévoyés par le tondent déchaîné du péché, est devenue un propitiatoire nouveau, tout ressemblant à Dieu ». In ingressum Deiparae, 2, P. G., XCVIII, 294. Dans un discours sur la Vierge, riche en appellations, en images et en comparaisons suggestives, l’énigmatique auteur qui porte le nom de Theodorus Moneremita célébrerait

« l’arche de Dieu toute-sainte…, beauté de notre nature, 

grâce à laquelle nous sommes redevenus dignes de participer à la nature divine, nous que la désobéissance originelle a rendus difformes ». In Ânnuntiationem Deiparæ sermo laudalorius, 4. dans Ballerini, Sylloge monumentorum, t. II, p. 221 s. Antithèse éloquente, i>ù la Toute-sainte nous apparaît mise à part des enfants d’Adam pécheur. Qu’y a-t-illà, en réalité, si ce n’est l’aboutissement logique de l’ancienne doctrine du nouvel Adam et de la nouvelle Eve, ou du Fils et de la Mère associés dans l’œuvre de la réparation et, comme tels, formant un groupe unique, le groupe des purs ennemis et vainqueurs de Satan ?

3. les écrii’uins grecs postpatristiques. — Pendant les trois siècles qui s’écoulent depuis la mort de saint Jean Damascène jusqu’à la consommation du schisme, c’est-à-dire depuis le milieu du viii" siècle jusqu’au milieu du xi", les écrivains ecclésiastiques de l’Orient nous présentent des témoignages qui, le plus souvent, rentrent dans les monuments liturgiques ou se rapportent à la fête de la Conception. D’autres solennités de la Vierge donnent lieu à des discours où la 229

MARIE.

IMMACULÉE CONCEPTION

230

doclrine des siècles précédents se maintienl et parfois luèiue s’accentue. Sur la lin du vm’siècle, saint Tabaise, patriarche deConstantinople (784-806), salue en Marie présentée au temple la fille de Dieu, iniuiaculée, pleine de grâce, toute sainte, oirrande digne de la Majesté divine : « Et comment ne serait-elle pas une oblalion immaculée, pure, sans tache, de la nature humaùie, celle que Dieu a prédestinée avant la ci’éalion du monde, et qu’il a choisie parmi toutes les jjèuérations pour devenir sa demeure exempte de toute souillure ? » In ss. Dei malrem in templum deductam, 0, 13, P. G., XCVIU, 1486, 1494, 1498.

DansuuehoniéliesurlaNativité, lasecondede ce titre parmi les auvres de saint Jean Damascone, mais dont le véritable auteur serait^ d’après certains critiques, saint TuiioDORB Studite (]- S 12), l’orateur, remontant par la pensée jusqu’aux débuts de Marie, s’exprime en ces termes : u Voilà que se construit pour le Créateur de toutes choses le temple dont il sera l’hote… Tous étaient voués à la mort ; mais Dieu, touché de miséricorde, n’a pas voulu que l’homme, formé de ses mains, retombât dans le néant, d’où il l’avait tiré. Aussi a-t-il cicé un ciel nouveau, une terre nouvelle,.., la bienheureuse et mille fois bénie Vierge Marie…, terre où l’épine du péché n’a jamais poussé…, terre non point soumise à la malédiction, comme la première, mais sur laquelle la bénédiction du.Seigneur s’est reposée, et dont le fruit est béni…, chair morte au péché…, livre fermé où nulle pensée de corruption n’a imprimé sa trace…, bois incorruptible que le ver du péché n’a jamais rongé. » Hom., 11, In Naiivit., i, 4, 5, 7, P. G., XCVI, G80, 683 s., 689 s., 692 s.

Témoin relativement plus important, l’orgueilleux patriarche de Coustanlinople qui, le premier, brisa ollieiellemenl avec Rome et prépara les voies au schisme définitif de plus lard, Puotius(-]- 891) ne parle pas autrement i(ue ses prédécesseurs, pas autrement non plus que son adversaire, Nicétas David de Paphlagonie.

« Anne arrête dans son sein le torrent du

péché et de l’iniquité… En ce jour naît celle qui, Mère de Dieu selon la chair, est sa lille selon l’esprit de sanctilication. » Ainsi parle Nicùtas, Oral., i. In diem natalem ss. Dei « enitricis, P. G., CV, 22, 23. El Paoïius de faire écho : « Eu ce jour, la Vierge Mère naît d’une mère stérile, et le palais se prépare pour la venue du Seigneur… En ce jour, la Vierge sort de flancs inféconds, et le péché jusqu’alors fécond est frappé de stérilité… Proférons des cantiques d’action de grâces : Adam est renouvelé, Eve nous est redonnée. » Iloni., i, Inss. Dei genitricis natalem diem, P. G.. CI, 550. 555. A ce texte s’en joindraient d’autres, où le cardinal Hkhcenhoether, l’hotius l’atriarch von Constantinvpel, Ralisbonne 1869, t. 111, p. 555 s., juge « l’exemption du péché originel, le Iirivilège d’une conception immaculée sulBsamment indiqué ». Aussi ajoute l-il : « Le seulinienl de l’hotius est bien éloigné de celui des Grecs de maintenant, lesquels, oublieux de leurs Pères, se raillent de la définition du 8 décembre 1854. »

Qu’aurait dit l’éuiinent historien, s’il avait eu con naissance de deux homélies sur 1 Annonciation,

. publiées pour la première fois à Constanlinople en

1901 par S. Aristarkks et utilisées par le K. P. Ju ciiB, Phutiu.t et l’Immaculée Conception. Toute la doc , trine jusqu’ici recueillie se retrouve, condensée, dans

, les extraits donnés en cet article : absence de tout

. péché et de tout mouvement de ! *i concupiscence ;

I pureté absolue de l’àme et du corps, qui rend Alarie

; digne d’être choisie comme Mère du Rédempteur et

I coopératrice de son œuvre ; prédestination spéciale,

en vertu de laquelle Dieu la prépare à son rôle futur

dès avant sa naissance. Et.Marie nous est présentée

comme la lille immaculée de notre race, rcû <//£Ti/ ; sy /ivoji’/-jjM/iii Sj-/v.rnp. Expression d’autant plus signilicative chez Pholius que, dans un passage de la seconde homélie, il oppose ce chef-d’œuvre de la nature humaine à cette même nature souillée par la tache originelle : « L’archange va vers Marie, la (leur odorante et immaculée de la tribu de David, le grand et très beau chef-d’œuvre de la nature humaine, taillé par Dieu lui-même. Celte Vierge cultive les vertus, pour ainsi dire dès le berceau ; elles croissent avec elle, sa vie sur la terre est digne des esprits immatériels. .. Aucun mouvement désordonné vers le plaisir, même par la seule pensée, dans cette bienheureuse Vierge. Elle était tout entière possédée du divin amour. Par cela et par tout le reste, elle annonçait et manifestait qu’elle avait été véritablement choisie pour épouse au Créateur de toutes choses, même avant sa. naissance… C’est ainsi que la Vierge mena une vie surhumaine, montrant qu’elle était digne des noces de l’Epoux céleste, et donnant l’éclat de sa propre beauté à notre nature informe, qu’avait souillée la tache originelle. » M. Jlgib, lor, cit.

Quelques lignes empruntées à un auteur arménien qui brilla sur la Cn du x’siècle, Grégoire di : Nareg (ySi-ioii), confirmeront l’unité de croyance. Dans un discours sur les louanges de la Vierge, i ; l’j, ig, il salue en la sainte Mère de Dieu a la gloire ineifable du premier père dépouillé, la consolation et la réparation d’Eve tristement déchue, la régénératrice du genre humain tombé sous la malédiction…, la fille sans péché de notre première mère pécheresse ». S. GuilGoiRE Narécatzi, Œuvres complètes, p. 827 s. Venise, 1827. Aussi, avec quelle confiance il a recours à cette puissante protectrice, en s’appuyant sur sa pureté même : « Au milieu de tant d’angoisses. .., je l’implore, ô sainte Mère de Dieu ! Ange d’entre les hommes, chérubin visible en la chair, souveraine du ciel, pure comme l’air, chaste eomnje la lumière, immaculée à la ressemblance de l’étoile du matin dans les hauteurs du ciel ! … En raison de la pureté sans tache et de la bonté sans souillure, eu raison de la sainteté inaltérable, intercède avec clémence ; reçois les prières de celui qui a confiance dans tes requêtes. » Nareg-Precum, Discours Lxxx, p. 421 sq. Venise, 1827 ; traduction de Félix NÈVB, L’Arménie chrétienne et sa littérature, p. 267, Louvain, 1886.

4. Â « purification de Marie et la notion du péché originel chez les Pères grecs postéphesiens. — Une doclrine déjà énoncée par saint GrÉ(h>irr de Xazianzk et autres docteurs, au sujet de la iiurification de la Mère de Dieu au jour de l’Annonciation, se retrouve dans la période postéphésienne et donne lieu à la même objection. Les Grecs modernes se réfèrent parliculièremenl à l’aulorilé de Jean Damascène, De fide orlhod., 1. III, c. 11, P. G., XClV, 986 :

« Dès que la Vierge sainte eut donné son consentement, 

le Sainl-Esprit descendit surelle ; il la purifia, xuO’xip’yj a.

r, -i, et lui Communiqua la force de recevoir la divinité du Verbe et d’engendrer celui-ci. >i De même, Adversus Nestor, h’ieresim, 43, P. G., XCV, 221, et Ilom. I, In dormit., P. G., XCVI, 704, où les idées de purification et de sanctification sont associées, ixv.Or, pé TE xvl V/’=< «. SoPHRONB dit également :

« La Vierge sainte est choisie, elle est sanctifiée dans

son âme et dans son corps, avA oùy.v. y.’A -h^y/.t â/tséÇerai, et c’est ainsi qu’en vierge pure, chaste et intégre, elle coopère à l’incarnation du Créateur. Epist. srnod., P. G., LXXXVII, 3161 ; à rapprocher de l’édil de l’empereur au troisième concile de Constanlinople : T : pc<n0 « p611’jni i’^'/ : -’'"-’» &// « tw n>5’J/iRTi. Majs’si, Sacrosancta Concilia, t. XI, col. 701. 231

MARIE.

IMMACULEE CONCEPTION

232 La même réponse s’applique aux Pères postéphésiens et aux Pères plus anciens ; ou plutôt, la doctrine des Pères postépbésiens éclaire la pensée de leurs devanciers : il s’agit, non pas d’une purification absolue ni d’une sanctification première, mais d’une purification et d’une sanctification relatives, c’est-à-dire portées à un degré supérieur, en vue de la conception virginale du Verbe incarné. Saint Soi’HRONE s’explique dans un texte déjà signalé, quand il commente ainsi le Spiritus sanctus superteniet in te : « Sur vous, l’Immaculée, le Saint-Esprit descendra, pour vous faire briller d’une pureté plus ^(raîide, yaOy.poincr/.-^ ai -Koir^z^^iiz-^vj^ et vous rendre cajiable de produire votre fruit ï, Orat., ii. In Anniint., /|3, ¥. G., LXXXVIl, ’i^-j’i ; de le produire

« en dehors de tout rapport et de tout plaisir charnel, 

r, èovr, i éy.roi yy./j Ln ?, z yc/.t ffjyCàTSW ; , » Ibid., Sq,

col. 8269. Même explication, plus nette encore, dans le commentaire d’ANTiPATER de Bostra (vers 460) :

« Pourquoi cette descente du Saint-Esprit ? Parce

que, toute sainte que vous soyez, vous devez devenir plus sainte encore, afin de pouvoir engendrer le Saint, i~£iôf^ f/ytv. /iiv ùnv.pyîu’Ssî Si fji /jz^Ov.t c/yifjjnpv.j, l’jt. t-iv i/’/m uiiXidCr-ii.)) lu ss. lieiparæ Annunt., 8, P. G., LXXXV, 1781 ; cf. IUli.erini, Srlloge monuuicntorum, t. II, p. 460. Au x » siècle, Jean le Gko-MKTBB reprend l’explication, quand il nous montre le Saint-Esprit descendant sur Marie pour purifier préalablement la couche oii le Fils de Dieu doit reposer, « ou plutôt pour embellir encore plus cette couche déjà purifiée et ornée, fià/J-yj Si y.xi

TÏC5JX « >/W7Ti’^&y, £t Ky.’t TTpOxl^.dOy.pTOCt xy.i’np0xiy.V.J/0jVt7TXI, »

iiermo in Annunt. Deip., 16, P. G., CVI, 825.

Saint Jean Damascène s’est inspiré, suivant son habitude, de saint Grégoire de Nazianze, Or., xxxviii, In Theophania, 13, P. G., XXXVI, SaS ; cf. Or., XLv, In sanctum Pascha, g, Ibid., 633. Ce dernier parle d’une purification de l’àuie et du corps de la Vierge au jour de l’Annonciation ; les deux termes, emplojés par le disciple, dans la première homélie In Dormitionem, l/.àitr, pi ii /.a. r/iVzjs, semblent répondre à cette double purification, le premier à celle du corps, le second à celle de l’àme. Que dans ce dernier cas, il ne soit pas question d’une sanclitication première, qui ferait disparaître en Marie la souillure héréditaire jus<]u’aIors existante, ou d’une rémission de péchés quelconques, tout l’enseignement du saint docteur, exposé plus haut, le proclame. La pureté absolue de la bienheureuse Vierge est de beaucoup antérieure au jour de l’Annonciation pour celui qui salue en elle dès son apparition dans le monde « une enfant toute sainte, une DUe digne de Dieu », qui la proclame, alors qu’elle est encore dans les bras de sa mère, a terrible aux puissances infernales », et qui la dit « gardée dans la chambre nuptiale de l’Esprit-Saint et conservée sans tache, pour être l’épouse de Dieu et devenir sa mère ». Iloni., i. In Nativ.. 7, P. G., XGVI, 672. Ce qu’il faut entendre par l’autre purification, celle qui concerne le corps, ou peut facilement le comprendre par le rapprochement des divers textes. Il fallait que Marie, destinée à devenir le temple de la divinité, reçût la force d’engendrer l’Homme-Dieu, et qu’en même temps elle gardât dans toute son intégrité sa pureté virginale. Dans les conceptions ordinaires, l’homme a son rôle et la concupiscence charnelle aie sien ; rien de seml >Iable ne devait exister dans la conception de l’IIommeDieu. Marie devait donc recevoir de l’Esprit-Saint une vertu supérieure, et cette -vertu fortifiante devait être aussi purifiante, dans l’acception jibis relevée du mot.

Parfois un sens spécial s’attache à l’action purificatrice du Saint-Esprit au jour de l’Annonciation.

Ainsi Jacques, évêque syro-chaldéen(monophysite) de Sario ou Batna en Mésopotamie (-j- 52 1), nous montre ce divin Esprit sanctifiant la Mère de Dieu et la rendant pure et bénie, comme l’était Eve avant son entretien avec le serpent : Sanctificavil eamque puram effecit mundam et benedictam, sicut erat ipsu llea antequam eam serpens esset allocutus. Carmen de B. V. Maria primum, dans J. B. Abbeloos, De iila et scriplis S. Jacobi, Batnarum Sarugi in Mesopotamia episcopi, p. i^i, Louvain, 1867. D’après le contexte, cette pureté privilégiée de la seconde Eve, devenant Mère du Verbe incarne, comprend deux choses distinctes : d’abord la filiation adoptive dont notre premier père avait été gratifié, adoptionem filioruin qitæ patri nostro Adamo fueral concessa, Mariæ per Spiritum sanctum tribuit, cum esset in ea Italiitaturus, Ihid., p. a43 ; puis la conception et l’enfantement sans concupiscence, sans corruption et sans douleur. Cette dernière assertion est facile à comprendre, mais la première est équivoque. Elle peut signifier la liliation adoptive, telle qu’Adam l’avait reçue, avec les prérogatives de l’état de justice originelle ; ou bien, la liliation adoptive entendue en sa simple notion, et dans ce cas nous rencontrerions chez l’évêque syrien l’opinion partagée plus tard par des théologiens catholiques, suivant laquelle la filiation adoptive serait un don du Saint-Esprit distinct du simple état de sainteté intérieure. Cette sainteté intérieure, Jacques de Sarug la suppose manifestement en Marie, car nul n’a plus énergiquement alUrmé l’absolue pureté comme condition préalable de la maternité divine : « Si une seule tache, si un défaut quelconque avait jamais terni l’àme de la Vierge, sans nul doute le Fils de Dieu se fût clioisi une autre mère, exemple de toute souillure. Ibid., p. 223. Et c’est au niêine évêque que la liturgie syriaque doit cette acclamation, rappelée dans la bulle Ineffabilis. « Soyez en paix, ô^ sainteté restée toujours intacte, justitia nunquam læsa ; salut, ô nouvelle Eve qui avez enfanté l’Emmanuel, n Officium feriale juxta ritum ecclesiae Syrorum, p. 292, Home, 1853.

Il est une autre objection qui tend à dénier toute valeur dans la question présente aux téuioignages allégués des Pères grecs, pour la raison déjà signalée dans les attaques contre la bulle de définition, col. 218 : « A l’époque de saint Jean Damascène, l’Eglise grecque ignorait encore le dogme de la faute héréditaire. Elle ne pouvait donc pas songer à exempter la Sainte Vierge d’une loi qui lui était inconnue. 1) Le pourquoi de cette ignorance, c’est qu’en Orient, « au vu’et au viii* siècle, la doctrine de la chute avait encore conservé sa forme primitive 11, entendez celle où la chute se réduit à une pure déchéance du genre humain. — A supposer cette assertion exacte, le problème qu’on prétend supprimer d’un trait de plume ne serait, en réalité, nullement supprimé. Les Pères grecs parlent d’une déchéance qui n’est pas simplement physique, mais qui est aussi morale. Cette déchéance morale, ils la. caractérisent en termes assez nets pour qu’on puisse faire théologiquemenl l’équivalence entre les elTetsqu’ils assignent et ceux dont les Pères du concile de’Trente se sont servis pour décrire le péché originel. Cela étant, si les Pères grecs écartent de la Mère de Dieu les éléments de la déchéance commune, ils ne font qu’exprimer ou supposer à leur manière ce que l’Eglise romaine entend par l’exemption du péché originel ou l’Immaculée Conception.

D’ailleurs, prise en elle-même, l’assertion n’est pas moins inexacte qu’elle est audacieuse. Voir péché ORiGi.NEL. Parmi les tliéologiens catholiques, les uns conçoivent la faute héréditaire comme un péché 233

MARIE. — IMMACULÉE CONCEPTION

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actuel, pccbé d’Adam et de ses desccndanls ne formaiil qu’un, moralement, avec leur pore et clief ; iiéclic entraînant dans le chef et dans les membres tous 1rs ell’ets énumérés par le concile de Trente. Celle manière de voir a été parliculiérement mise en relief par le cardinal de Lugo, De Pæniteiilia, Disp. vil, seet. vii, n. 9810.’). Les autres conçoivent la faute héréditaire, non comme un acte, mais comme un état ; étal d’aversion par rapport à Dieu lin surnaturelle état d’injustice et d’impureté spirituelle, résultant bien de la faute personnelle d’Adam, principe et chef du genre liumain, mais consistant propreiuent, pour chaque individu, dans la privation de la grâce sanctiliaiite ou de la justice originelle. S. Thomas, Sumnia theid., I » W’^^. q. 82, a. 2. Sans être jamais présentée sous une forme théorique ni même expresse, ces deux conceptions se rencontrent pourtant chez les Pères grecs. Saint Athanase parle du péché qui, du fait du péché d’Adam, passe à tous les hommes : tcu’A5à// ttk|5 « Ckvtû4, £<’ç ~v : j~.v~ y-^ôc^n^-^i t^dr/iiv >, ’j-fi.’j.r.-^%. Oral-, I Ads’. Arianns. 51, P. G., XXVI, 117. Saint Basile parle également du premier péché comme sien : r ?, : v.ijv./iTic/.i… t ?4 è/’^ ; - Oral. de paradiso, P. G., XXX, 05. Au comte Herminus qui lui demandait pourquoi l’on baptise les enfants qui sont sans péchés, -rit Cpiyr, mry_ ; j.dpTriTy. iix’j, saint Isi-DORR DK Pklusb répondit : « Il y en a qui se contentent de dire : le baptême elTace en eux la tache que la prévarication d’Adam fait passer en tout homme ; c’est là une réponse par trop sommaire et incomplète. Pour moi, je crois aussi que cela se fait ; mais ce n’est pas tout, ce serait même peu de chose : Il faut y ajouter les dons qui surpassent notre nature. » Epist., 1. III, cxcv, P. a., LXXVIII, 880. C’est apparemment dans le même sens que saint Jean Chuysostome avait déjà dit : « Nous baptisons les enfants, quoiqu’ils soient sans péchés, pour leur procurer la sainteté, la justice, l’adoption, le droit à l’héritage, la fraternité avec le Christ. » Ilom. ad neopliytos, d’après S. Augustin, Contra Jidian. I, 21-22, P. l.., XLIV, 654 s. Parler ainsi, n’est-ce pas supposer dans les enfants non baptises la privation de la sainteté, de la justice et des autres dons que notre premier père avait reçus, comme chef de l’humanité ?

Ces exemples, choisis entre autres, sulllsent pour qu’à l’objection proposée on puisse répondre fermement : rien ne s’oppose, en principe, à ce que les Pères grecs aient pu songer, sous une notion propre ou sous une notion théologiquemenl équivalente, quoi qu’il en soit du terme môme de péché, au privilège mariai envisagé soit dans sa forme négative : préservation de la tache héréditaire, soit dans sa forme positive : conception sainte ou immaculée.

BinLioGRAPuiE. — A. Ballerini, S. J., Sylloge montiinentorum ad mysterium Conceptionis hnmaculatae Virglnis Deiparæ illustrandam, Paris, 1855, 1867 ; J. Gagarin, S. J., Deuxième lettre à une dame russe sur le dogme de l’Ininiactilée Conception, Paris, 1857 ; D. Placide de Meester, O. S. B., Le dogme de l’Immaculée Conception et ta doctrine de l’Eglise grecque, cinq articles dans Replie de l’Orient chrétien^ Paris, ifjo/i-icjoô ; Mgr Niecolo Marini, l’Immacolata Concezione di Maria Virgine e la Chiesa ortodossa dissidente, treize articles dans // Bessarione, 11" série, l. VIl-X ; me série, t. I-IV, Rome, nov. 1904 à juin 1908 ; Ad. Spaldak, S. J., Les Pères grecs sur l’Immaculée Ciinceplion de la Mère de Dieu, quatre articles en tclièque, dans l’asopis katulicLého duchoiensta (Publication périodique du clergé catholique de Bohème), Prague, igoS ; compte rendu dans

Shiforuni litteræ theolugicæ, Prague, 1906, t. II, p. 17 ; réimpression dans Trudy II ! , x’elegradskago l/egoslovskago s èrda (Etudes du troisième Congrès théologique de Velehrad), Prague, 1914, Supplément, p. 67-101 ; le même, Quac sit Falrum ecclesiue orientalis doctrina de gralia sanctificante B.V. Mariæ ante ipsius Filii mortem, dans’'asopis kalolického duchovensta, 1906 ; compte rendu dans Slavorum litteræ theologicae, 1907, t. III, p. 100.

M. Jugie, l’Immaculée Conception et les Pères grecs du V’siècle, dans Notre Dame, Paris, 1912, t. I, p. 225 ; Saint Sophrone et i Immaculée Conception, Ibid., 1918, t. ii, p. 65 ; Saint André de Crète et r Immaculée Conception, Jhid., 1918, t. ii, j). 353, et Echos d’Orient, 1910, t. XIII, p. 129 ; Photius et l’Immaculée Conception, dans Echos d’Orient, lliid., p. 198.

b. Développement cultuel dans l’Eglise oiiciilalc postéphésienne. — A l’époque où nous sommes parvenus, un fait nouveau s’est produit, dont l’importance est notable dans l’histoire de la marialogie grecque ; c’est l’essor du culte de la sainte Vierge, qui se traduit d’une façon générale dans les monuments liturgiques, et plus spécialement dans linstitution de la fête de la Conception.

I. Marie dans les Liturgies orientales. — La bulle Ine/fabilis relève diverses figures ou comparaisons, empruntées aux écrits des saints Pères : arche de Noé, buisson ardent, colombe toute belle et sans tache, rose toujours fleurie, nouvelle Eve ; en outre, des appellations courantes, comme celle de toute pure, toujours Immaculée, toujours bienheureuse. Simples extraits d’un votum sur les anciens euchologes, rédigé par le P. Joseph Palermo, vicaire général des Ermites de Saint-Augustin, Sardi, op. cit., t. I, p. 5go, et du travail beaucoup plus considérable de Passaglia dans son Cummentarius de immaculato Deiparæ semper Virginis conceptu, Rome 1854, part. I, sect.ii. Virginis apposita. Depuis lors, beaucoup d’autres études, provoquées par les attaques des adversaires et par les fêtes du cinquantenaire de la définition du dogme, ont contribué à révéler toujours de plus en plus l’inépuisable richesse de la littérature liturgique de l’Orient, quand il s’agit d’exalter la pureté et la sainteté de la Mère de Dieu. Rien de plus expressif, sous ce rapport, que les épithètes dont elle est saluée.

Epilhètes yOosiVires, comme celles de sainte, sacrée, pure, bénie, pleine de grâce, mais portées au superlatif, et même à un degré transcendant par l’adjonction de préfixes augmentatifs. Marie n’est pas seulement très sainte, très pure ; elle est toute sainte, toute pure, et elle l’est suréminemment, n « ï « /vo ; , ù- ; , - : ’///^ ; ,

: TKvi/-£, s’/y « ;. Elle n’est pas seulement toute-sainte, 

bénie, pleine de grâce ; elle est la toute-sainte, la bénie, la pleine de grâce, ’. Tta.-i-r/ia., h tù/ov’» i//£vr, , n y.- : -/’y.piT^ljijr ; , la seule bénie, la seule pleine de grâce. Aussi surpasse-t-elle même les esprits célestes en pureté.

Epithètes négatives, comme celle d’immaculée, v.j/.u/j.Pi, et tant d’autres aux nuances si délicates :

« iri/o- : , « iJ-idivri : , àf/.OwJT’ii, aypv.noi, ifOrjfjOi, â.fOafi-cc., 

vy.f.pu.rot, K////£TTT^ : , « 9tzTî ; , aT/ ; /-Tc^, « Trv^aa^To ; , intemeratu, intacta, impolluta, intaminata, incorrupta, inculpata. illibata. Epithètes renforcées, comme les précédentes. Marie n’est pas seulement immaculée ; elle est tout immaculée, toute sans souillure, T : vyy./j.apk’.^, Ttv.>y.ypmm ; elle l’est d’une façon transcendante, 7TKvj-£fa/iw, M ;. Elle n’est pas seulement immaculée, elle est l’Immaculée, h Oy-ujjo : , ’r, -j.fnù.’j : , , etc.

Après avoir énuméré ces epithètes, telles qu’elles 235

MARIE. — IMMACULÉE CONCEPTION

236

se rencontrent dans les éeiils liturgiques et patristiques, Passaglia. déclare, n. 431, ne vouloir s’en servir, pour défendre l’innocence propre à la Mère ilc Dieu, qu’en les prenant collectivement : « Non aliunde quam ex epilhetorum summa tbesis unicæ singularisque innocentiæ qua Deipara fulget, comprobatur. » Précaution légitime et nécessaire. Prises à part, ces épilhétes, celles surtout qui expriment l’idée de pureté, s’appliquent en beaucoup de cas à la perpétuelle virginité de la Mère de Dieu. D’autres pourraient s’entendre, suivant la remarque de Pktau, Ue Incarnai., 1. XIV, c. ii, n. 9, d’un degré transcendant de sainteté et de pureté positive, acqiiis à un moment donne et permettant néanmoins de proclamer Marie plus sainte et plus pure que toute créature. Mais ces interprétations restrictives n’épuisent pas la plénitude du sens qui se dégage de l’ensemble des épitlièles et de la teneur des phrases où elles sont encadrées. On se demande vraiment quels termes plus appropriés et plus relevés les écrivains de cette époque auraient pu choisir pour signifier d’une façon oratoire ou poétique une sainteté et une pureté indéfinie, englol)ant sans restriction toute l’existence de la Mère de Dieu. Ceci est parliculièrement vrai des épithètes négatives ou exclusives de toute taclie, de toute souillure. Les épithètes positives, de soi moins rigoureuses, sont parfois déterminées, par l’adjonction d’une particule, à signifier l’étal de sainteté comme perpétuel en Marie ; ainsi en est-il de quelques expressions citées dans la bulle : velut rosa scinper l’igens, et se ?nper immaculata aemperque beata. Parfois encore, les phrases où les épithètes se trouvent, reportent l’esprit aux origines mêmes de Notre-Dame : « Je vous salue, ô vous qui êtes pleine de grâce, ’Vierge immaculée, tabernacle ([ui n’a pas été lait de main d’homme… Le Père’Oiis a faite, et l’Esprit-Saint est descendu sur vous… O Christ, c’est vous qui l’avez commencée, et qui l’avez établie pour le salut du monde… Aussi tous vous exaltent, ô Notre-Dame Mère de Dieu, toujours pure. » Theotokia copto-aralica, cd. Tuki, 1764, p. 55, 100, 136, 260. La considération nouvelle que ce texte contient nous amène au témoignage spécial des Liturgies.

2. I.a fête de la Conception en Orient. — Deux choses sont à distinguer nettement : d’un côté, le l’ait, qui est précis et indiscutable ; de l’autre, l’interprétation du fait, qui n’est ni précise ni unanime.

Le fait, c’est l’existence même de la fête de la Conception en Orient, de temps immémorial. Il sullU de .jeter les yeux sur le Kalendarium manuale niriusque Ecclesiae, orienialis et occidentalis, du P. Nicolas NiLLEs, S. J., 2= éd., Inspruck, 1896, t. I, p. 348 ; t. 11, p. 556, 624, 681, 700, pour constater que la fêle de la Conception est célélirée dans les Eglises orientales au mois de décembre, bien qu’à des jours dilTéreuts ; le neuf, chez les Grecs, les Maronites et les Arméniens ; le huit, dans le rite sjriaque pur et le rite syro-chaldéen des catholiques ; le treize, chez les Coptes. La fête porte pour titre, dans le calendrier grec : La Conception de sainte Anne, mère de la Mère de Dieu ; dans les calendriers gréco-slaves : La Conception de iainte Anne, quand elle conçut la très sainte Mère de Dieu ; dans ceux du rite syriaque pur et du rite syro-maronlte ; La Conception de la hienheureuse Vierge Marie ; chez les.rméniens : La Conception de la Sainte Vierge Marie par ses parents.Toachini et Anne ; chez les Syro-Chaldéens catholiques ; La Conception immaculée de Notre-Dame, Marie immaculée ; chez les Copies enfin : La Conception immaculée de la Mère de Dieu, la Vierge Marie. Mais ces divers titres ne sont pas tous également anciens.

Quand la fête de la Conception fut-elle instituée

en Orient ? Ce ne fut certainement pas av.’int le concile d’Ephèse. seule la fête de la Présentation apparaît à Jérusalem dans la seconde moitié du iv^ siècle. Ce ne fut pas non plus avant les fêtes de l’Annonciation, de la Dormition et de la Nativité ; fêles d’origine byzantine, qu’on rencontre pour la première fois vers le vii< : siècle. Duohesnb, Origines du culte chrétien, p. 272, 3" éd., Paris, 1903. Quelques auteurs font bien appel au Typicon de saint Sabas, composé originairement vers l’an 485 et contenant, au 9 décembre, la fête de la Conception ; mais comme ce rituel a subi plus lard, surtout à l’époque de saint Sophrone et de saint Jean Damascène, beaucoup d’additions et de remaniements, on n’a pas le droit d’alTirmer, sans preuves spéciales, que la fête de la Conception appartenait au texte primitif.

Saint André de Crète nous fournit le premier témoignage certain, dans un canon, composé vers 675 pour la fête du 9 décemlire sous ce titre : ’H

fiùjjr : li : , rî ;  ; à : /Cc/.^ r.v.’i. dzoTzpoiJ.CT’^p^^^ Avv/ ;  ; , P. C, XCYII,

1304. Titre expliqué par le début de l’hymne : « Nous célébrons aujourd’hui, ô pieuse Anne, votre conception, parce que, délivrée des liens de la stérilité, vous avez conçu celle qui a pu contenir l’Immense ». Le récit du Protévangile de Jacques est manifestement supposé dans cette phrase comme dans tout le cours de la pièce ; mais l’auteur rejette, col. 1313, deux opinions, qui avaient alors des partisans, in. tueç l’tyryj-a, d’après lesquelles Marie n’aurait passé que sept mois dans le sein de sa mère, ou même aurait été conçue virginalement, x’-'P’i « ’"5j « 5- La seconde de ces opinions nous est connue par l’oiiposilion de saint Epii’Hane, Hær., Lxxix, 5, P. 6’., XHI, 747 ; la seconde avait été déjà rejetée, comme venant de sources apocryphes, par saint Taraise, //(.*Ï.S’. Deiparae Præsentationem, 5, 6, P. G., XGVIll, 1486.

Au siècle suivant, vers l’an 740, Jean d’Eubée prononce un discours sur la Conception de la sainte Mère de Dieu, P. G., XCVI, 1460. Il énumère six grandes solennités ; en tête, vient celle qui rappelle le jour

« oi’i Joacliim et Anne reçurent l’heureuse nouvelle

de la conception de Marie toute immaculée et Mère de Dieu ». Toutefois, sur la lin du discours, n. 28, col. 1499, il <ii’- de cette solennité « qu’elle n’est pas reçue de tous ». Ce qui nous engage à ne pas trop prendre à la lettre la phrase où saint Anurk de Crète dit de cette mêrie fête, loc. cit., col. 131l, que

« V univers la célèbre *.

Dans la seconde moitié du Vlii’= siècle, les témoignages se multiplient. Comme Jean d’Eubée, Pierre d’Argos salue en la fête de la Conception « l’aurore des autres fêles qu’elle annonce et prépare ». Orat.in Conceptione sanctæ Annac, P. G., GIV, 1354.Georgks DU NicoMiioiE, contemporain et créature de Pliotius, n’a pas moins de quatre discours sur la même fêle, dont il nous apprend l’éclat et la popularili : « Elle eslsplendide et éclatante j)ar elle-même, la solennité que nous célébrons ; mais ce qui la fait paraître plus splendide encore, c’est le concours etla piété de ceux qui viennent y prendre part. » Orat., , In oraculum Conceptionis sanctæ Deiparae, P. G., C, 1335. Plus loin, il en parle co :.ime d’une fête « cpii n’est pas d’institulioi’. récente et qui, par son objet et dans l’ordre des solennités, compte parmi les principales », ibid., col. 1351. Photius la range parmi les fêtes complètement fériées : « Item nonus Decembris, quippe quia lune Genitricis Dei noslri Conceptio celebrelur. » Nomocanon, lit. vii, c. i, /’. G., CIV, 1070 ; cf. Srna.iarium, P. G., CVI, 1314.

On la trouve consignée à la même date, sous ce titre : La Conception de sainte Anne, mère de la Mère de Dieu, dans le Ménologe, édile par ordre de 237

MARIE. — IMMACULIŒ CONCEPTION

238

l’empereur Basile PoRpnYHOGÉNÈTE(g76-1025), P. G., CXVll, 195. Une note s’ajoute, pour mentionner et rejeter, dans les mêmes termes que saint André de Crète, les deux erreurs déjà signalées : « La sainte Vierge fut donc conçue, et elle naquit, non pas au bout de sept mois, comme certains le prétendent, mais après neuf mois révolus, et l’homme ayant sa part à la naissance de cette enfant de promesse. » Enlin, dans le Trpicon de l’abbé NicoN, dressé vers l’an loGo pour le i)atriarcat d’Antioclie, et par conséquent pour une très grande partie des églises d’Asie, on lit, toujours au g déceml)re : La Conception de sdintf Anne, quand elle conçut la bienheureuse Viei-fie Marie, Mère de Dieu. P^^semxsi, Kalendariiiin Ecclesiæ iiniversac, t. V, [). 431J, Rome, 1755.

Tel est le fait. La ditliculté commence, quand se pose la question ultérieure : Quel sens faut-il attribuer à l’institution de la fête de la Conception en Orient ? D’après les théologiens modernes de l’Eglise gréco-russe, cette fête se rapporte à la conception actiye, à la concci)tion de sainte Anne, en j’joignant les circonstances miraculeuses dont on la supposait entourée. Si la conception active a nécessairement pour terme corrélatif la conception ^xrss/ie de Marie, cette conception passive ne doit pas être envisagée comme conception immaculée, mais comme conception de l’Immaculée, c’est-à-dire de celle qui porte ce titre, en tant que Vierge Mère, exempte de toute faute personnelle et puriliée totalement du péché originel à une époque postérieure à sa conception : Lebedev, op. cit.. j) 198 s. ; Alex, von Maltzkw, Fasten- and Blamen-Triodiennebst den Sonntagslieden des Oktoichos der Orthodox-katholischen Kirclie des Morgenlands, p. cxxxix, Berlin 1899 ; V. Maksi-Movic, article résumé dans 5/<H’or » ni Utteræ iheologicae, Prague, 1906, t. I, p. 143, sous ce litre : An in orthodoxis libris liturgicis doctrina de immaculata Dei Genilricis conceptione expressa sit ? Ces auteurs invoquent d’abord le titre même de la fêle : ’H

puis ils font appel aux expressions qui se lisent dans l’oflice liturgique, celles-ci entre autres : « En ce jour nous célébrons, ô sainte Anne, votre conception, parce que, délivrée des liens de la stérilité, vous avez conçu celle qui a pu contenir l’Immense. En ce jour, l’univers fête la conception d’Anne, due à Dieu, /e-/ivr, ij.éjr, -j hr &SCÛ. Caiion de S. André, P. G., XCVH, 1306, 1312.

Parmi les théologiens catholiques, un certain nombre sont à peu près du même avis ; ils ne croient pas que la croj’ance à l’immaculée conception de Marie puisse se rattacher à la fête orientale de la Conception. L’Eglise grecque célébrait aussi la conception de saint Jean Baptiste ; il sullit de comparer les deux oflices pour se convaincre qu’il n’y a pas entre eux de différence essentielle ; même l’épithète de sainte, appliquée dans l’un à la conception d’Anne, est également appliquée dans l’autre à la conception d’Elisabeth : sifr, ijsrj op, vr, TKVT£ç t>, v n-’, hi v-rfiùï ixT, Tpirr, , à.-jitri nj’ijTr^lifi. Menées, Septembre, p. 13a, Venise, 1 896. La critique scientifique » va plus loin ; pour elle, tout se réduit à l’acceptation naïve, d’abord par la piété populaire et monacale, puis par les pasteurs, d’une pure légende, calquée sur ce que la sainte Ecriture nous raconte d’Isaac, de Samuel et de saint Jean-Baptiste. L’origine première est à chercher dans le Protéfangile de Jacques, d’où sont sortis plus tard, comme remaniements latins, VEvangile du Pseudo-Matthieu et l’Evangile de la Nativité de Marie.

Le dogme dêllni par Pie IX est, en soi, parfaitement indépendant du rapport qui peut exister, ou ne pas exister, entre la fête orientale de la Conception de

sainte Anne et la croyance à l’immaculée conception de Marie. D’ailleurs, sur ce point-là, les rédacteurs de la bulle /ne/fabilis se sont montrés fort réservés ; la fête de la Conception dont il est parlé, ^ Quani originaleni et suivants, c’est surtout la fête occidentale, tolérée d’abord, puis encouragée et enfin canoniquement instituée par l’Eglise romaine. Malgré cela, le problème soulevé garde son intérêt dans une étude sur le développement de la croyance au privilège mariai.

Que les instituteurs de la fête orientale aient voulu honorer la conception de sainte Anne pour les circonstances miraculeuses dont on la supposait entourée, les raisons données ci-dessus par les lliéoiogiens gréco-russes le prouvent sullisamment. Mais que ce soillà l’objet total, àl’exclusion delouteautre considération se rapportant, soit ex])licitenient, soit implicitement, à la conception de la Mère de Dieu, envisagée comme sainte, c’est une autre question. Le titre, même officiel, d’une fête n’en indique pas toujours l’objet précis, moins encore l’objet total ; parfois ce titre se rattache à une circonstance extérieure plus frappante, mais secondaire, par exemple dans la fête de l’Annonciation, dont l’objet principal est la conception du Verbe incarné, et non pas le message angélique ; de même dans la fête de la Purilîcation, dénommée par les Grecs la Jtencontre. ToscANi et CozzA, De immaculata Deiparæ conceptione hymnologia Græairum. Préface, n. j, p. xv s.

Pour déterminer sûrement l’objet total de la fête, à notre tour recourons à l’office liturgiquede la Conception, d’après les Menées, VAntholugion et autres documents du même genre, aux 8 et 9 décembre, vigile et jour de la fêle chez les Grecs. D’abord, ce qu’ils présentent à nos hommages, ce n’est pas seulement la conception active ou conception de sainte Anne ; c’est atissi la conception /lassire ou conception de Marie elle-même. Dans les Menées, aux Matines de la vigile, toutes les créatures sont invitées à louer

« la divine conception de la Mère parfaitement innocente

11. Si, dans son Canon largement utilisé dans les Menées, et dans VAnthologion, André de Crète commence par proposer à la vénération des fidèles celle qui conçoit miraculeusement, aussitôt après, sa pensée passe à la Vierge, pour nous montrer en cette innocente, future Mère du Verbe, le fruit diri-’nerænt accordé aux prières de ses parents, r.y-i T’Az’yti ôéôwxwç zKcriv, Trj 71 rsy.’jjzvy a’./v/, >. P. G, , XCVII, 1308. De même, s’il est dit dans les Menées, au 9 décembre :

« En ce jour l’univers célèbre la conception

d’Anne, faite en Dieu », il est dit aussi des deux époux. Ode 3 : « Ayant exaucé leurs prières. Dieu leur accorda la vraie porte de la vie, dont la sainte conception est proposée à nos hommages, >? ; tv ; v « /i’kv Ti/// ; ’(7t.i, <A : vCTJ///iitiv. « Venise, 1896, p. 61, col. 1 ; 62, col. 2.

Dans le dernier texte, l’épithète de sainte tombe directement sur la conception passive ou conception de Marie ; c’est celle-ci qui est dite sainte. On a d’autant moins le droit de diminuer la force de l’épithète, que souvent à la conception de sainte Anne répond, comme terme, dans la même phrase, Marie innocente, sans tache aucune, lillc de Dieu : n Le chœur des’prophètes a prédit jadis cette Vierge innocente, immaculée et tille de Dieu, 9- : 17TKiôa, que conçoit Anne longtemps stérile et inféconde ; en ce jour, nous qui lui devons le salut, célébrons-la dans la joie de notre cœur, comme seule exempte de toute tache, w ; fj’.-jrjv nv.M’j.’jifi.m. » Antkolug., 9 déc., Ode 3.

« Aujourd’hui, dans le sein d’.Vnne, Marie est

conçue, Marie la fille de Dieu, >, ôwr-y.ir, préparée pour servir de demeure au Souverain Roi et pour concourir à la réparation du genre humain. » Strophe de saint Germain, dans Toscani, op. cit., p. loi.

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MARIE. — IMMACULEE CONCEPTION

iO

Parfois même, l’épilbète de sainte tombe sur la bienlieiireuse Vierge, envisagée non pas d’une façon générale et indéterminée, mais d’une façon spéciale et précise, comme ce petit enfant que sa mère conçoit : « Anne stérile et affaiblie déjà par l’âge, mais persévérant avec constance dans la prière, vous conçoit dans sa vieillesse, ô trône du Saint, comme lin petit enfant saint : rj// « /*Càv£i… Try.iôiw ^i i’-/i «. » Canon. Tv, Ode 7, ibid., p. 72. Et d’Anne il est dit :

« Dieu a exaucé voire prière ; vous enfanterez un

petit enfant saint et immaculé, xy.i tesei ; av jETtriv n^dSi’^v ci.fi.wiJ.oj. » Condacia, î. lhid., p. 156.

La liturgie grecque proprement dite n’est pas seule à nous présenter Marie comme sainte dès le début de sa vie. Dans l’oflice très ancien de la Nativité de la sainte Vierge, l’Eglisesyriaquecbante : « La prière de JoacUim s’envola doucement vers le ciel, et Anne conçut aussitôt Marie dans l’innocence. » J. HoBKiKA, Témoignages de l’Eglise srro-maronile, p. 27 ; comparer le témoignage du P. Joseph Bksson, missionnaire en Syrie au xvii" siècle, dans Civiltà Cattolica, 1872, série IX, t. XII, p. 513. L’Eglise arménienne, dans le même office, adresse à Notre-Seigneur ce chant de reconnaissance. « O vous qui avez été engendré par le Père avant tous les siècles, vous nous avez donné en ce jour votre Mère temporelle, pure dès le sein de sa tnère, en vue de votre incarnation merveilleuse. » Citation du P. Besson. /hid. Paroles dont on peut rapprocher ce passage de l’écrit apocryphe Œ transita Mariae, d’après le texte syriaque : « La bienheureuse Vierge fut sainte et choisie de Dieu dès qu’elle fut dans le sein de sa mère ; et elle naquit de sa mère glorieusement et saintement ; et elle se garda pure de toute mauvaise pensée, pour qu’elle pût recevoir le Messie son Seigneur qui vint en elle. » W. Wright, The Departure of my Lddy Mary from tliis isorld, dans The Journal of sacred literature and Itililical record, avril 1865, p. 130.

D’après ce dernier texte, la sainteté nous apparaît comme s’attachanl à la personne de Marie, non seulement quand elle nait, mais antérieurement dès qu’elle fut dans le sein de sa mère ; en d’autres termes, la sainteté s’allache à sa personne aussi bien dans sa conception que dans sa naissance. C’est la même idée que Passaglia met en relief pour l’Eglise grecque, en rapprochant, n. 1681, les expressions employées dens les Menées, au 8 septembre (fêle de la Nativité) et dans VAnthologion, au 9 décembre (fête de la Conception). La raison du l’ait est très simple et très instructive à la fois : l’Eglise grecque ancienne ne considère pas Marie d’une façon différente en ces deux moments de son existence : la naissance au sein de sa mère et la naissance au monde extérieur, parce qu’à ces deux moments elle voit en Marie la Âlère de Dieu, la UUe de Dieu, la nouvelle Eve, les prémices de notre relèvement ; elle la voit préparée dès lors à sa mission future, non par une pure dénomination extrinsèque ou simple destination, mais par une consécration intérieure q>ii conslitue comme les arrhes de notre future rédemption et qui fait de la conception et de la naissance de Marie une conception et une naissance hors pair, a C’est maintenant que la porte inaccessible se commence, maintenant que la cité toute lumineuse s’élève en brillant ; en ce jour l’ange annonce aux justes celle qui, par un privilège unique, est de tout point sans tache… Les oracles des prophètes s’accomplissent : la sainte montagne s’établit dans les entrailles d’Anne, l’échelle divine se dresse, le trône du grand Roi se prépare, la demeure divine s’orne, le buisson ardent commence à germer, et le vase de sanctification se met à sourdre… En ce

jour est clairement annoncée la pourpre du Christ, cette immaculée tissue par la grâce dans un sein stérile. » Menées, 8 et g déc, Venise, 18g5, p. 53, 58, 60. « En ce jour, la nature humaine reçoit en votre conception, o Vierge, comme un commencement de fertilité par rapport à Dieu. » Canon v, Ode /), dans Toscani, op. cit., p. 85. « Nous admirons en vous, ô Mère de Dieu surglorieuse, une création prodigieuse ; votre conception est extraordinaire, votre origine sort des lois communes. » Menées, 9 déc, p. 65.

D’ailleurs, si la conception de Marie sort du commun, ce n’est pas là dans sa vie une exception ; c’est l’application particulière d’une règle générale : « O Vierge exempte de toute tache, extraordinaire est votre conception, extraordinaire votre naissance, extraordinaire votre entrée et votre vie au temple ; extraordinaire, admirable, au-dessus de nos paroles el de nos pensées, est tout ce qui vous concerne. Il S. Joseph t’IIvMNOGBArHK, Canon ii, In pervigilio ingressus in templum SS. Deiparae, Ode 5, P. G., CV, 994.

Les discours composés pour la fête de la Conception confirment les conclusions que nous avons tirées des écrits liturgiques. « Si l’on célèbre à bon droit les dédicaces des églises, dit Jf.an d’Eubée, avec combien plus de zèle et de ferveur ne convient-il jjas de célébrer cette solennité ! Car on n’y pose i)oint des fondements de pierre matérielle, on n’élève point à Dieu un temple bâti de la main des hommes ; mais il s’agit de la conception de Marie, la sainte Mère de Dieu, en laquelle, par le bon plaisir de Dieu le Père et la coopération de l’Esprit très saint et vivifiant, Jésus-Christ Fils de Dieu, la pierre angulaire, se bàlit à lui-même une demeure. » Sermo in Conceptionem Deiparae, 21, /’. G., XCVI, i/igS. Personnifiant la nature humaine, Pierre d’Argos nous la montre qui tressaille d’allégresse en voyant dans la conception de Marie les gages de la réconciliation el les prémices du retour à l’état primitif ; En ce jour, lui fait-il dire ensuite, une rose poussant dans le sein d’Anne, je veux dire Marie, fait évanouir l’infection que j’avais contractée avec la corruption du péché ; en me pénétrant de sa bonne odeur, elle me fait participer à sa joie céleste. » Oral, in Conceptionem S. Annae, 1, 10, I’. G., CIV, 13yi, 1360. Dans les quatre discours de Georges DE Nicomkdie sur la Conception, on trouvera sans doute le panégyrique de sainte Anne, mais encore plus celui de la Vierge Marie,

« fruit très saint de parents saints » ; on y entendra

chanter la construction du tabernacle divin, la pourpre royale tissue en ce jour, les prémices du salut et les arrhes données à notre nature déchue dans la personne de cette fiancée divine, dès maintenant choisie et parée par son céleste Epoux.

Mais l’existence en Orient de la fête de la Conception de saint Jean-Baptiste n’enlève-t-elle pas toute valeur aux considérations qui précèdent ? — L’objection vaut contre ceux qui prétendraient déterminer l’objet des deux fêtes uniquement d’après le titre olUciel qu’elles portent dans la liturgie grecque, ou même d’après telles et telles épithètes appliquées communément à l’une et à l’autre conception ; on peut, en effet, supposer pour la bienheureuse Vierge et pour le Précurseur une conception fêtée comme miraculeuse et comme sainte, au sens large et moral du mot. Mais cette supposition est, dans le cas présent, inadmissible. Si l’on consulte, comme on doit le faire. l’olTîce de la Conception de sainte Anne ou de Notre-Dame et les discours qui se rattachent à cette fête, on constate qu’à l’idée de conception miraculeuse s’ajoute une autre idée, plus importante et plus féconde, celle de conception propre à la Mère de 241

MARIE. — IMMACULEE CONCEPTION

242

Dieu : le Verbe pose les fondements Je sa Mère future, il commence à préparer la demeure que plus tard il habitera.

Celte idée plus importante et plus féconde, qui rentre pleinement dans le développement postépliésien de la marialogie grecque, le Ménotoge basilien l’exprime, avant de rapporter l’apparition de l’ange et l’annonce de la conception miraculeuse, comme pour en donner toute la raison d’être et la portée : a Notre Seigneur et Dieu, voulant se préparer un temple vivant et une demeure sainte où il habiterait, envoya son ange vers Joacliim et Anne, etc. >> P. C, CXVIl, 196. Aussi, dans l’ollice de la Conception du 8 décembre, lëpilhète de sainte est directement appliquée, on l’a vii, à la conception passue ou conception de Marie elle-même, tandis que dans la fête de la Conception du 28 septembre, elle tombe proprement sur la conception active ou conception de sainte Elisabeth. De là une conséquence qui n’est pas restée inaperçue : si l’on compare entre elles les deux notions de conception miraculeuse et de conception sainte, quand il s’agit de la bienheureuse Vierge Marie, on peut dire que la première est secondaire et accidentelle, ic Même si la Vierge était née d’une mère féconde, observe Puotius, sa naissance aurait été extraordinaire : il à/ivov /s-/cv€.jv r, -upSé-j ;  :. ûp^ipyerv.i, on xt/.i yo-jiij.rjyj o-jt^-iv ô t’./c ; ttk^^kôcIsç. » In J’olivit. , P. G.. Cil, 5^9. Alllrraation concise, dont un contemporain de Photius, Nioetas Paphlago nous donnera l’explication : « Honorons Marie pour la naissance d’ordre naturel qu’elle tient d’une mère stérile, mais beaucoup plus encore pour cette autre naissance qu’elle doit à la grâce céleste ». Orat., i, In diem natalem SS. Dei genitricis, P. G., CV, 27.

Les mêmes principes fournissent une réponse à l’objection tirée des points de contact qu’on signale entre le Protévangile de Jacques et les deux fêtes orientales de la Conception et de la Nativité de Marie. Que le récit de l’apocryphe ait eu sa part d’influence dans l’institution des deux fêtes, c’est là, semble-t-il, un fait positif. Mais que la signification et la portée de ces fêtes n’aient nullement dépassé le caractère miraculeux attribué à la conception de sainte Anne, c’est là une assertion contredite par les considérations antérieurement développées.

c. Conclusion. — Sommes-nous en droit d’aflirrær que la crojance au privilège mariai de l’Immaculée Conception existait dans l’Eglise d’Orient à l’époque où nous sommes parvenus ? Oui, si l’on entend par là une croyance implicite, objectivement contenue dans l’idée de sainteté et d’innocence perpétuelle, ou même une croyance explicite théologiquement équivalente et se rattachant à l’idée de conception sainte en son terme. Non, si l’on entend une croyance officielle, ou même une croyance non oflicielle, mais qui serait tout à la fois explicite et formulée en des termes techniques, comme ceux-ci : Marie exempte du péché originel, Marie immaculée dans sa conception. En ce sens, et en ce sens seulement, on peut admettre le jugement porté par Pktau sur les Pères 1 grecs, De Incarnat., l. XIV, c. 11, n. I : " N’ayant pour . ainsi dire parlé du péché originel que rarement et

; n’en ayant pas traité ez/jro/Vsso, ils n’ont également, 

par rapport à la conception de Marie dans le péché,

; rien laissé de net, liquidi nihil adinodum tradide, nmt. » Expression latine, dont G. HERzoca manifestement

forcé le sens quand, oubliant le mot liquidi, il a écrit, loc. cit., p. 696 : « Petau eut le courage de j déclarer qu’il n’y aail absolument rien à chercher j chez les Pères grecs relativement à l’immaculée con] ceptiori. »

Poursuivre l’histoire Je la pieuse croyance dans

l’Eglise orientale après sa séparation d’avec le centre Je la chrétienté, ce serait Jépasser le caJre restreint de ce travail. Qu’il sullise de remarquer que pendant quatre siècles encore, jusqu’à la chute de l’empire byzantin (i 453), les témoignages en faveur Ji privilège mariai continuent, nombreux et formels ; tels, notamment, ceux de Micmfl PsELLos.de Michel Glv-KAS, de Grégoire Palamas, d’IsinoRK Glabas, de Manuix PaléologuE, de Dé.mktrius Cydonés et de Georges Sciiolarios, signalés ou mis en relief parle P. Jugie dans des études spéciales.

Plus tard, il est vrai, un autre courant s’établit et finit par prévaloir, mais dans des conditions qui jus » tilîenl cette conclusion de S. Pétridès : « La tradition véritable de l’Eglise grecque sur l’Immaculée Conception, comme sur plusieurs autres points, a donc Jévié au xvii’siècle, sous la double influence du protestantisme et de la vieille haine contre le catholicisme. »

BiBLioGRArniE. — Simon Wangnereck, S. J. Pietus muriana Græcorum, Munich, 1647 ; Passaglia, op. cit., P. I, sect. II. Virginis apposita. P III, sect. vii, Conceptæ Virginis cullus ; J. Gagarin, Troisième lettre à une Dame russe sur le dogme de l’Immaculée Conception, Paris, 1867 ; Th. Toscani et Jos. Cozza, moines basiliens de Grottaferrata, De Immaculaia Deiparæ Conceptione Ilymnologia Græcorum ex editis et nianuscriptis Codicibus Cryptuferratensihus, Rome, 18()2 ; cf. Revue catholique, Louvain, 1864, t. XXII, p. 336 : A. V. W., Vhymnologie grecque et l’Immaculée Conception ; Doni L. Janssens, Summa lheologica,. De Deo-Ifomine, P. II, p. 64 s. Fribourg-en-Brisgau, 1902 ; X-M. Le Bachelet, /.’Immaculée Conception, I. L’Orient, cil. I, § 3 et eh. II ; Rev. G. E. Price, The terni « Inimacutate » in the early Greel Fathers, dans Ecch’siaslical Iteview, Philadelphie, 1904, t. XXXI, p. 547 ; J. Hobeika, religieux maronite Libanais, Témoignages de l’Eglise Syro-Maronite en faveur de l’Immaculée Conception de la Très.Sainte Vierge Marie, Basconla, 1904 ; P. Thibaut, des Augustins de l’Assom[ption, Panégyrique de l’Immaculée dans les chants hyninographiques de lu Liturgie grecque (Elude présentée au Congrès mariai de Rome), Paris, 1909.

F. G. Hohveck, Fasti Mariani sive Calendarium Festorum Sa/ictæ Mariæ Virginis Deiparæ memoriis historicis illuslratiim, p. 282, Kribourg-en-Brisgau, 1892 ; Dom Placide Je Meester, O. S. lî., {.a [esta délia concezione di Maria santissima nella Chiesa greca, Jans // Ilessarione, ser. II, t. YII, p. 8g, Rome, 1904 ; Schwendimann, Das Fest der Unbeflechten Empfiiiignis, i, dans Scluveizerische Kirchen-Zeitung, n. 36, Lucerne, 8 sept. 1904 ; E. Vacandard, Les origines de la fête et du dogme de l’Immaculée Conception, i, dans Revue du Clergé français, 1910, t. LXIl, p. 6 s. ; A. H. Kellner, Ileortologie oder die geschichtliche EntuicUung des Kirchenjahres und der Ileiligenfesle von den iiltesten Zcit bis zur Gegemvart, § 28, 3" éd., p. 181 s, Fribourg-en-Rrisgau, 191 1.

Surles témoignages Je la croyance Jans l’Eglise grecque, depuis le schisme jusqu’à la chute de l’empire byzantin, voir M. Jugie, dans une série d’études générales ou spéciales : De Immacutata Deiparæ conceptione a hyzantinis scriptorihus post schisma consummatum edocta, dans Acia II. Conventus Velehradensis Theologorum commercii sttidiorum inter Occidentem et Orientent cupidorum, Prague, 1610, p. 42 ; Michel Glykasct l’Immaculée Conception, duns Echos d’Orient, 1910, t. XIII, p. II ; Grégoire Pnlamas et I Immaculée Conception, 242

MARIE.

IMMACULÉE CONCEPTION

244

dans Iteiiie Augustinienne, 1910, t. IX, p. 145 : Je discours de Démétrius Cydonés sur l’Annonciation et sa doctrine sur l’Immaculée Conception, dans J^chos d’Orient, igiij, t. XVII, p. 97 ; Georges Scholarios et l’Jmmaculée Conception, Ibid., sept.-oct. igiS, t. XVII, p. 527.

Sur la déviation postérieure : J. Gag^arin, Quatrième lettre à une Dame russe sur le dogme de l’Immaculée Conception. Paris, 1867 ; le même, J.’Eglise russe et l’Immaculée Conception. Paris, 1876 ; J. B. Baur, ord. cap., ’Avarzrjv ; zf, i S<ôxz-^.y.’/<v. : Tv ; ç’E/x/y ; Tt’a^ y-vKroJ ty.f, : ai ïv.j-rr, t ry ; tôta ;. Argumenta contra Orientalem Ecclesiam eiusque synodicam encyclicam anni MDCCCXCV, fere unice hausta ex libris eius confessionalibus aliisque ipsius scriptorihus atque nuctoribus, P. II, c. i, p. 560. Inspriick, 1899 ; X-M. Le Bachelet, L’Immaculée Conception, L’Orient, cli. m ; A. Spaldak, Die Stellung der griecliisch-russischen Kirche zur Lehre der VnbefecJiten Empfdngnis, <iins Zeitschrift fiir hatholische Théologie, Inspruck, 1904, t. XXVIII, p. 767 ; le même,.

mitky rusiych theologu proti

iiauce neposii’rni^nt’ni poteti Panny Marie (De objectionibus, qiias Russorum theologi contra immaculatam Deiparæ conceptionem adducunt). dans Casopis katolického ducliotensta, Prague, 1906, p. 50, 100 ; cf. résumé dans Sla^orum litierae theologicae, 1907. t. III, p. 101 ; S. Pétridès, des Aiigustins de l’Assomption, L’Immaculée Conception et les Grecs modernes, dans Echos d’Orient, 1905, t. VllI, p. 267 ; M. Jugie, l’Immaculée Conception chez tes Russes an XVII’^ siècle, Ibid., 1909, t. XII, p. 66 ; le même, L’Immaculée Conception en Moscovie au XVII’siècle, Ibid.. p. 321 ; A. Palmleri, O. S. A., De academiæ ecclesiasticae Kioiensis doctrina B. Mariant V. præmunitam fuisse a peccato originali, dans Acta II Conventas Velehradensis, p. 89, Prague, 1910.

II. La croyance a l’Immaculée Conception en Occident, après le concile d’Epiièse. — La question ne se présente pas en Occident dans les mêmes conditions qu’en Orient. Dans ce dernier pays, nous avons trouvé très vite de belles lueurs d’aurore, suivies d’un radieux soleil ; puis les nuages s’amoncellent et l’ombre vient. En Occident, au contraire, c’est l’ombre d’abord, puis une aurore indécise où les nuages et les rayons du soleil se combattent ; mais les nuages se dissipent pour faire place à une lumière pleine et dominatrice. Deux périodes successives se présenteront à nous : une période d’obscurité et une période de discussion qui amènera le triomphe complet et définitif.

A. La croyance en Occident, depuis le concile d’Ephèse (’^38) jus qu’à la teille de l’âge scolastique (milieu du xi* siècle). — Quand on passe des Pères grecs postéphésiens aux Pères latins de l’époque correspondante, il est impossible de ne pas remarquer le contraste. En proclamant solennellement la maternité divine de Marie, le concile d’Ephèse avait attiré l’attention des premiers sur les grandeurs et les privilèges delà bienheureuse Vierge ; de là, dans la doctrine et dans la piété, le merveilleux essor que nous avons constaté. En Occident, la réaction anlipélagienne détermine un autre mouvement ; la doctrine marialogique reste stationnaire, et la manifestation de la piété envers la Mère de Dieu ne devient bien sensible qu’à partir de la seconde moitié du viii’siècle, alors que les fêtes de Xotre-Dame commencent à se célébrer. Sur la fin de la période, l’apparition de la fête de la Conception sera l’événement notable qui méritera de lixer particulièrement l’attention.

a. Aspect général de la croyance chez les Pères lutins postéphésiens. — Deux courants sont à distinguer, qu’on peut caractériser par les épithètes de négatif et de positif, en ce sens que le premier courant, à supposer qu’il ne soit pas contraire à la pieuse croyance, n’en favorise pas le développement, tandis que le second la favorise.

i. Courant négatif. — On le rencontre dans le prolongement de la doctrine de saint Augustin. A la suite du maître, les disciples mettent fortement en relief l’universalité du péché originel et la connexion qui existe entre la génération soumise à la concupiscence et la conception dans le péché. « Seul parmi les enfants des hommes le Seigneur Jésus est né sans péché, parce que seul il n’a pas été sujet, dans sa conception, à la souillure de la concupiscence charnelle. » Ainsi parle saint LÉON, Serm. xxv, In iS^atiiit. Domini v.b, P. L., hl, 211. De même les autres Pères de Oliation augustinienne : Fi^-gence, De teritate prædest. et grat., 1. I, c. ii, P. £., LXV, 60’4 ; Grégoire lb Grand, Moral., XVIII, 84, P. L. LXXVI, 89 ; BÈDK, Ilom. I, In festo Annunt., P. L., XCIV, 13 ; Alccin, In Joa, , 1. V, c. xxiv, P. L., C, 877. A la différence de Jésus, Marie conçue dans le péché, eut une chair de péché : Fulgence, Ep., xvii, de Incarnat, et Gratta, c. vi, n. 13, P. L., LXV, 458 ; Ferhand le diacrr, Epist. ad Anatol., i, P. L., LXVII, 892 ; Pierre Damien, Opusc. vi, c. v, P. L., CXLV, 129. Aussi fut-elle purifiée au jour de l’annonciation :

« Hæc inde purgationein traxit, unde

concepit. » S. Léon, Serm. xxii, In Xatiw Dom, , ii, c. 3, P. L., LIV, 196. Cette puriflcalion préalable était nécessaire pour qne Marie devînt digne d’enfanter un Dieu, et pourquela chair du Christ, venant d’elle, ne fût pas elle-même chair de péché : Bède, Ilom., I, P. t., XCIV, 12 ; Paschase Radbbrt, De partu Virginis, 1. I, P. 2… CXX, 1371.

Ces témoignages excluent-ils positivement le privilège mariai ? Pas plus, semble-t-il, que les textes analogues de saint Augustin, discutés ci-dessus, col. 186. Il ressort clairement de là que, pour les disciples comme pour le maître, toute génération sexuelle est soumise, dans l’ordre actuel, à la loi de la concupiscence, et. dans le même sens, à la loi du péché ; le terme de la génération ou l’engendré est également soumis à la même loi de la concupiscence, qui l’atteint directement dans sa chair, indirectement dans son esprit et sa volonté. D’après ces principes rigoureusement appliqués, Marie, conçue par saint Joachim et sainte Anne, est atteinte dans sa chair par la loi de la concupiscence ; sous ce rapport, il y a matière à purification, préventive ou subséquente. Pour pouvoir conclure à l’existence en Marie du péché originel proprement dit. il faut supposerque ces Pères ont identifié purement et simplement la concupiscence et le péché originel proprement dit, ou qu’entre les deux ils ont mis une connexion absolue. En réalité, ont-ils sur l’essence du péché originel une opinion assez arrêtée et assez nette, pour qu’on puisse leur attribuer sûrement l’une ou l’autre de ces hypothèses ? Il reste que, si les textes objectés n’excluent pas nécessairement le privilège mariai, ils ne rendent pas non pins, dans leur ensemble, un son qui lui soit favorable ; ils contiennent même le germe de la controverse qui éclatera bieatùt en Occident.

2. Courant positif. — Tandis que les témoignages précédents semblent assimiler les origines de toute créature humaine et celles de Marie, en raison de sa descendance adamique par voie de génération sexuelle soumise à la loi de la concupiscence, d’autres, au contraire, tendent à relever la personne de la Vierge, à la faire sortir du commun, en raison de la dignité 245

MARIE. — IMMACULÉE CONCEPTION

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el de la mission unique dont elle fui honorée, comme Mère de Dieu et nouvelle Eve. La liulle liie/fabilis utilise quelques-uns de ces témoignages, d’inégale valeur. Trois appartiennent au début de la période poslépliésienne, vers le milieu du v « siècle. Dans une strophe où l’image évoquée par le poète reporte l’esprit nas origines de Marie, Sedulius oppose à l’Eve ancienne la nouvelle tout innocente : « Comme une tendre rose s’élève d’entre les épines aiguës, n’ayant rien qui blesse et éclipsant par sa gloire la lige qui l’a portée, ainsi Marie, née de la race d’Eve, efface. Vierge nouvelle, le crime de la Vierge antique. " Carmen poschale, 1. ii, v. aoi, P. L., XIX, 696 s.

Sain tPiEHRECHRYSOLOOt’E, archevêque de Ravenne, nous montre Marie « liancée à Jésus-Christ dès le sein de sa mère, alors qu’elle commença d’exister, cui est in utero pignorala cum fieret ». Serm., cxi., De AnnKntiationc, P. /-., Lil, 5^6, 61 saint Maximh dk Turin la proclame « une demeure digne du Christ, non par la disposition du corps, mais par la grâce originelle, pro gratia originali ». Ilom., v, jlnte Antale nomini, P. L., LVll, 255.

Plus tard, l’idée de sainteté parfaite et perpétuelle apparaît dans le Pseudo-Jérôme, et le Pseudo-Ildk-FoNSE. Le premier compare la bienheureuse Vierge à une nuée « qui ne fut jamais dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière ». Bre^’iarinm in Psalm. ixxvii, 14, P. I-, XXVI, lo/ig. L’autre nous la présente comme « unie à Dieu par une alliance perpétuelle » et commet un rejeton qui, d’une racine Ticiée, sort indemne de tout vice ». Serm. 11, de Assumptione ; xii, de sancta Maria, P. L, , XGVI, a52, 279.

Entin la salutation angélique suggère aux orateurs latins des développements qui rappellent ceux des orientaux. Voici, en etîet, comment s’exprime à la lin du viii" siècle Paul WiNiuro, diacre d’Aquilée :

! Elle a été saluée par un ange de cette manière

absolument inusitée jusqu’alors, Je vous salue, pleine de grâce : le Seigneur est avec vous. Que pourrait-il, je le demande, manquer, en fait de justice et de sainteté, à la Vierge qui, par une miséricorde si efficace, a reçu la plénitude de la grâce ? Comment le moindre vice aurait-il pu jamais trou er accès dans son âme et dans son corps, puisqu’elle fut, nouveau ciel, le temple du Seigneur qui contient tout ? C’est vraiment la demeure dont Salomon a dit (sans préjudice d’un autre sens que l’Eglise attribue à ces paroles) : La Sagesse s’est construit 71n palais… Palais que l’éternelle Sagesse s’est, en effet, construit, el qu’elle a rendu tout à fait digne de recevoir le Verbe incarné pour le salut du monde. » Hom. in Assumi)t., P. L., XCV, 1667.

A l’époque où nous sommes parvenus, les fêtes de la sainte Vierge ont fait leur apparition en Occident : la Purification, l’Annonciation, la Nativité et l’Assomption étaient l’objet d’un culte officiel. Dn-CHESNE, Origines du culte chrétien, p. 2’)2, Paris, igo3. Circonstance notable en soi, mais plus encore à cause du rapport étroit qui existe entre la naissance el la conception de Marie. Dès le ix^ siècle, saint Paso.hask Radbkrt, abbé de Saint-Pierre de Corbie au diocèse d’Amiens (-{- v. 860), nous fournit un témoignage précieux. Dans l’écrit De partu Virginis, attribué parfois à saint Ildefonse, P. L., CXX, 1365, cT. XCVl, 207, il soutient en thèse, que Notre-Dame n’a pas enfanté son divin Fils comme les autres femmes, mais que, l’ayant conçu virginalement, elle l’a ensuite enfanté en dehors des lois communes. Une objection se présente. 1. I, col. 1371 : la chair de Marie fut une chair de péché, soumise à la loi de la concupiscence ; Marie devait donc enfanter

suivant cette même loi. Paschase répond en substance : Oui, s’il n’y avait pas eu purification préalable ; mais cette purification ayant eu lieu quand le Saint-Esprit descendit sur la Vierge, la chair de celle-ci, quand elle conçut, n’était plus chair de péché ni, par conséquent, soumise à la loi de la concupiscence.

Vient ensuile ce passage, â titre d’argument conlirniatif :

« D’ailleurs, comment n’aurait-elle pas été

libre du péché originel, après qu’elle eut été remplie du Saint-Esprit, celle dont la glorieuse naissance est proclamée heureuse et bénie dans toute l’Eglise du Christ ?… Puis donc qu’on célèbre sa naissance avec tant de solennité, l’autorité de l’Eglise montre clairement qu’en naissant Marie a été exempte de toute faute et que, sanctifiée rfés le sein de sa mère, elle n’a pas contracté le péché originel. » Ainsi de la sainteté qui convient à Marie naissante, Paschase remonte à la sainteté initiale de Marie conçue, celle-ci lui paraissant sans doute comme l’explication et le fondement de celle-là. Rien ne prouve que ce dernier passage soit une interpolation, comme on l’a prétendu, sous prétexte qu’il est en contradiction avec ce qui précède. La contradiction existerait si, dans la pensée de l’écrivain, la purification de Marie au jour de l’Annonciation avait pour objet le péché originel proprement dit ou le supposait ; mais ceci n’est rien moins que prouvé. Les doutes émis sur l’authenticité du passage ont dû paraître négligeables au protestant Zôckler, puisque, dans l’article Maria, Bealencyklopâdie fur protestantische Théologie uiid Kirche, 3’éd., t. XII, p. 5ao, il ne les signale même pas et donne, sans hésiter, Paschase Radbert pour premier témoin de la fêle de la Nati^té de Marie en France.

Du langage que nous venons d’entendre, rapprochons celui de saint Fulbeut, évêque de Chartres (1007-1029). Dans un sermon sur la naissance de Notre-Dame, il s’écrie : « Heureux enfantement, heureuse naissance, puisqu’ils donnent à la terre la Vierge qui doit elïacer l’antique offense de nos premiers parents, et redresser le monde courbé sous le joug du plus impitoyable ennemi ! Enfantement dont toute la raison d’être était de préparer au Fils du Très-Haut une demeure sainte et pure. Car à quelle autre lin pourrait-il être destiné ?… Sans aucun doute, dans la conception nécessaire de cette Vierge, l’Esprit de vie et d’amour remplit ses parents d’une grâce particulière, et la garde des saints anges ne leur lil jamais défaut… Dites-moi, combien grande dut être la soUicitudede ces esprits célestes à l’égard d’un tel fruill Peut-on croire que l’Esprit-Saint ait été absent de cette enfant admirable, qu’il devait un joir couvrir de son ombre ? « Urat. vi, de ortu H. V., P. L., CXLl, 326. Isolée, cette dernière phrase reste Aaguc ; prise dans le contexte immédiat, elle se rap porte à Marie considérée au début même de son existence, alors que ses parents commencent à produire leur fruit. L’évêque de Chartres ne se contente donc pas de voir dans la conception de la Vierge la première pré[iaration de la future Mère du Verbe incarné, suivant l’idée que nous avons fréquemment rencontrée chez les Pères orientaux ; il reconnaît aussi en celle enfant de bénédiction la présence du Saint-Esprit. Comme Paschase Radbert, il unit dans sa pensée et dans sa vénération la double naissance de la Vierge, l’intérieure et l’extérieure. Il n’j' a plus qu’un pas à faire pour parvenir à la fêle de la Conception : dédoubler l’objet du culte, en fêtant à part chacune des deux naissances, comme c’avait été le cas en Orient. En réalité, le pas n’était plus à faire ; il avait été déjà fait.

2. l.a Fête de la Conception en Occident, — Dans 247

MARIE.

IMMACULEE CONCEPTION

248

une vie de saint Ildefonse. archevêque de Tolède (637-667), l’honneur lui est attribué d’avoir institué la fêle de la Conceplion de Notre-Dame. Celle attribution repose sur l’interprétation arbitraire d’un décret du roi Ervige, prescrivant aux Juifs d’observer certaines fêtes, et tout d’abord « festum sanctae Virainis Mariae, qtio iiivrinsa Conceptio rjusdem GeniUicis Dei celehrutur ». Il fauilrait prouver qu’il s’agit ici de la conception passive de Marie, et non pas de sa conception active, celle qui la rendit Mère de Dieu au jour de l’Annonciation. Ballkrim, Quæstio an S. llildefonsus episcopiis loleianus conceptae Virgmis festum in Jlispaniis institiierit, Rome, é856 ; réimprimée dans Sylloge woiniiiienloriim, t. I, p. ix.

De son côté, Ballerini a prétendu prouver l’antiquité du culte rendu à l’immaculée conception île la bienheureuse Vierge Marie par une charte de donation, dont l’auteur serait Hugo de Summo, protre de Crémone. Sylloge. t. I, p. i-a5. Dans cette pièce, censée écrite en décembre loiy, in feslo sanctæ et immacnlatæ Conceptionis Ileatæ Virginis Mariae, le donateur parle de Marie comme de celle « quae gratia Filii al> originali lahe anticipala redeniplione præsertala semper fuit, tam anima quam corporeet immaculata » ; il prescrit, entre autres choses, de chanter chaque année en la même fête deux slro[)lies, qui se terminent l’une et l’autre par cette espèce de refrain : » Sine laie concepta. » Mais il est impossible d’accorder une valeur quelconque à ce document apocryphe. Malov, L’Immaculée Conception, t. I. p. Ml, Bruxelles, 1867 ; K. Kkllnbb, lleorlologie, 3’édit., p. 192, noie 4 Le premier document certain vient de Naples. C’est un calendrier, gravé sur marbre et portant, au Q décembre, cette inscription : La Conception de ta Sainte Vierge Marie. La date serait à placer entre les années 8^0 et 800, d’après l’éditeur, Mazzocchi, Vêtus marmoreum Xeapolitanæ ecclesiæ Kalendai-ium, Najiles, 1744. Comme l’Italie méridionale dépendait encore de l’empire grec, l’influence byzantine explique tout à la fois la présence de la fête à Naples et la date où elle s’y célébrait. Une seule différence, accidentelle du reste, est à remarquer ; le titre n’est pas : Conception de sainte Anne, vaais : Conception de la Sainte Vierge Marie.

Plus riche et plus important est l’apport fourni par l’.Vngleterre. Jusqu’à ces derniers temps, on rattachait assez communément à l’époque de saint Anselme, qui fut archevêque de Cantorbérj’de logS à 1109, l’établissement de la fête de la Conception dans les pays du Nord, et beaucoup d’auteurs rapportaient l’origine du mouvement à une vision dont il sera question plus loin, la vision de l’abbé Helsin, datant de quelques années après l’invasion normande de 1066. Des publications récentes ont modilié ces vues.

La fêle de la Conception de la bienheureuse Vierge IMarie apparaît, à partir du début du x* siècle, dans plusieurs documents d’origine irlandaise, étudiés par le P. TnunsTON, S. J., The Irisli Origins of our Lady’s Conception Feast, 1904 ; cf. Eadmeri monachi Cantuariensis Tractatus de Conceptione sanctæ Mariae, p. xxxii s., pour la fixation des dates. Le martyrologe de Tallaght, rédigé ers l’an 900, énonce au 3 mai, après l’Invention de la Sainte Croix, la Conception de la ]’ierge Marie : ce qui concorde parfaitement avec celle mention, insérée dans les Acta Sanctorum Mail, t. I, Anvers, 1680, p. 36l, parmi les Præiermissi du 3 « jour : Mariæ Virginis Conceptio celebratnr in Martyrologio Tamlactensi. Dans un calendrier versifié, d’après un exemplaire composé après la mort du roi Alfred, entre 901 et 9/1O, on lit au 2 mai : Concipitur Maria virgo senis, c’est-à-dire

le six des nones. Enlin le calendrier d’Œngus, qu’on dit remonter au commencement du ix" siècle, présente cette indication à la date du 3 mai : Feil tnar Maire nage. La grande fête de la Vierge Marie ; indication soulignée dans un manuscrit par cette note marginale de seconde main : « Feil mar Maire uage, el reliqua, id est, liæc inceptio eius, ut alii putant (sed in februo mense vel inmartio fada est illa, quia post VII mensesnata est, ut innaratur) le/ quæliiet alla feria eius. » Il s’agirait donc ou de la fêle de la Conceplion, ce qui esl l’avis d’un certain nombre, ou de quelque autre fête de la Vierge. En objectant que, dans la première hypothèse, la date exacte serait, non pas le mois de mai, mais celui de février ou de mars, le glossateur anonymesuppose, d’une pari, que Marie esl née le 8 septembre, el de l’autre, qu’elle serait restée seulement six ou sept mois dans le sein de sa mère, conformément à une légende orientale que nous avons déjà rencontrée, col. 236.

Tels sont les documents. Prouvent-ils que la fêle dont ils font mention se célébrait réellement en Irlande dès cette époque, ou n’atlestent-ils que l’érudition des moines rédacteurs de ces calendriers ou ménologes ?Quelques-unsadmettent la secondehypo-Ihèse, comme Kellnkr, 0/^. (17., p. 192, ou se tiennent sur la réserve, comme Edm. Bishop, On tite Origins of tlie feast of tlie Conception of the Blessed Viigin Mary, réimpression de igo^, note préliminaire, où, parlant de la fête irlandaise de la Conceplion d’après les susdits documents, il insère cette remarque, p. 5 s. : « Si tant est que cette fête ait été effectivement célébrée : if, indeed, such a feast were ever actually observed ». II faut avouer que la façon indécise dont parle l’annotateur du calendrier d’Œngus et la disjonctive qu’il pose touchant la fête du 3 mai sont assez difficiles à comprendre dans rh3’pothèse d’une solennité réellement en usage. Par ailleurs, la date du 2 ou du 3 mai, assignée dans ces documents pour la fêle de la Conceplion, pose un problème obscur el inexpliqué ; car si les calendriers de l’Eglise copte, où le P. Thurston a cherché un point d’appui, mentionnent, au début du mois de Baschncs (iin avril et mai), )ine fête de la sainte Vierge, c’est une fête de la Nativité. Mai, Scriptorum veteruni nova collectio, t. IV, p. 94 ; F. Nau, Les Ménologes des Evangéliaires coptes-arahes, dans Patrologia orientalis, t. X, fasc. 2, p. 202 ; E. TissEHANT, Le calendrier d’Aboul-Barahal, Ibid., p. 270. Mais, comme au dixième jour du mois de Tout (7 septembre), on trouve aussi la Nativité de la Sainte Vierge, Ihid., p. 187 s., 270, il se peut que les moines irlandais aient été amenés à voir dans la fêle de mai la conception ou première naissance de Marie.

Une autre série de documents, publiés la plupart par Edm. Bishop en 1886, se présente dans de meillevires conditions que la précédente. Ils sont d’origine anglo-saxonne et antérieurs à l’invasion normande de 1066. Quelques-uns contiennent seulement, au 8 décembre, l’annonce de la Conception de la sainte Mère de Dieu ou de sainte Marie ; tels, deux calendriers provenant des abbayes bénédictines d’Old Minster et de Newminster, à Winchester, et rédigés, le premier sous le gouvernement de l’abbé .elfvin (io34-io57), le second vers io30 ; tel encore’un Martyrologe, composé vers io50 dans le monas- 1ère de Saint-Augustin à Cantorbéry. D’autres documents renferment une formule de bénédiction in die Conceptionis sanctæ Dei Genitricis ou / ; ( Conceptione sanctæ.Uariæ ; tels, deux Pontificaux dressés, l’un pour l’église priiuatiale de Cantorbéry après 1023, mais dans la première moitié du siècle, l’autre pour Léofric, évêque de Credilon (io46), puis d’Exeler (1050-1073). Le début des deux formules en indique le 249

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sens : « Cælestiuiu charisraatuiu inspiralor terreiiarumque mentiuni reparator, qui beatani Dei geni-Iriceiu, angelico concipiendam pi-aeconavit oraculo, vos benedictionum suarum uberlale dignetur locupletare et vii-lutura lloribus dignanter decorare. Amen… Serapilerna (ni) a Deo benedictionem vobis béate Marie virginis pia deposcat supplicatio, quani concipiendam Oranipotens, ex qua eius conciperetur Unigenitus, angelico declaravit preconio, quam et vobis jugiter sulfragari benigno.ut est benignissima, sentiatis auxilio. Amen. » Eniin, le Missel de Léof rie, donné par cet évêque à la catliédrale d’Exeter, contient, pour la fête de la Conception, trois oraisons, dont voici la première, plus expressive : « Deus qui beatæ mariæ uirginis conceptionem angelico uaticinio parentibus predixisti, presta buic presenli familiæ tuæ eius presidiis muniri, cuius conceptionis sacra solemnia congrua frequentatione ueneralur. » Finale dont on peut rapprocher, dans la troisième oraison, Ad complendiim, cette incise : K cuius uenerandara colimus conceptionem. »

L’ensemble de ces documents ne laisse aucun doute sur l’existence de la fête en Angleterre dans la première moitié duxie siècle. Mais sous quelle influence fit-elle son apparition ? Diverses conjectures ont été proposées. La fête aurait passe d’Irlande en Angleterre (Thurston). Elle y aurait été introduire par Théodore de Tarse, qui vint en Angleterre comme primat de Cantorbèrj’(669-690) en compagnie du moine Adrien, ancien abbé d’un monastère napolitain (LEsf : TRE, L’Immaculée Conception et l’Eglise de Paris, p. 16) ; conjectuie conUrmée par la présence, dans les anciens livres liturgiques anglo-saxons, de prières ayant une saveur orientale prononcée et même de mots grecs transcrits en lettres vulgaires (JcGiB, Origines de la fête, etc., p. 532 ; cf. Thurston, The english Feast of our Lady’s Conception, p. 465). Les moines bénédictins de Winchester auraient d’eux-mêmes établi la fête dans leur monastère, d’où elle se serait répandue ; ou ils l’auraient empruntée à l’église deNaples : deux hypothèses émises successivement par Edm. Bishop, art. cité, la première en 1886, la seconde en 190/1, dans la préface de la réimpression. Quoiqu’il en soit de la valeur respective de ces diverses conjectures, la célébration de la fête en décembre semble indiquer, d’une façon générale, une influence grecque ; de même, dans les formules de bénédiction et la collecte du Missel de Léofric, les allusions au récit du Protévangile de Jacques, vulgarisé en Occident par ses remaniements latins, V Evangile de Pseudo-Matthieu et VEvangile de la ^’ativité de Marie.

Quelle était l’objet de la fête, soit irlandaise, soit anglo-saxonne ? Question plus importante, mais obscure. Le simple titre de Conception de Marie, commun aux documents des deux séries, ne nous donne aucun renseignement précis ; il nous indique seulement que l’hommage des moines irlandais et anglo-saxons allait droit à la conception passive ; ce dont témoigne particulièrement le Missel de Léofric, dans la troisième oraison : « Heatæ Mariæ semper virginis, cuius venerandam colimus conceptionem. » Si les formules de bénédiction, dans les Pontilicaux d’E.xeter et de Canlorbéry, insistent sur le message angélique, la prédiction du nom de Marie et sa sanctification ou consécration à Dieu avant sa venue à l’existence, rien de tout cela ne prouve que la conception de la Vierge n’ait paru vénérable qu’en raison de ces circonstances extérieures et accidentelles. Le fait « jue, dans les calendriers de la même époque, on rencontre la Conception de saint Jean-Baptiste mentionnée, comme celle de Notre-Dame, donne lieu à la question déjà touchée à propos de la fête byzan tine : faut-il assimiler complètement l’objet des deux fêles, et, de ce que, dans la première, la croyance n’allait pas, d’ordinaire, au-delà d’une conception miraculeuse, s’ensuit-il qu’il en était de même pour la seconde ? Les remarques faites col. a40, gardent ici leur valeur ; mais, à s’en tenir aux seuls documents, les données sont trop maigres pour légitimer une réponse ferme.

Conclusion. — A partir du ix’ou du x » siècle jusqu’au milieu du xi « , la fête de la Conception apparaît en Occident, mais dans des cercles restreints, sans relation apparente au magistère ecclésiastique, et sous des conditions qui ne permettent pas d’aflirmer une connexion certaine entre la célébration delà fête et la croyance formelle au privilège mariai. Que, néanmoins, le problème fût posé dès lors ou qu’il dût, logiquement, se poser bientôt, la suite nous en convaincra.

Bibliographie. — Passaglia, op. cit., P. III, sect. vii, c. I, a. a ; Edm. Bishop, Origins of llie feast of the Conception of the Blessed Virgin Mary, dans The Downside / ?ei/eii’, Shepton Mallet, 1886, t. V, p. 107 ; réimpression en tiré à part, avec note préliminaire, Londres, 1904 ; H. Thurston, S. J., The English Feast of our Ladr’s Conception, dans The Month, Londres, 1891, t. LXXIII, p. lh’) ; le même, The Irish Origins of our Ladys Conception Feast. Iliid., 1904, t. ciii, p. 449 ; cf. (levue du Clergifrançais, Paris, 1904, t. XXXIV, p. 255 ; F. G. Holweck, Fasli Mariant, p. 288 s., Fribourg-en-Brisgau, 1892 ; X.-M. Le Bachelet, op. cit., II. L’Occident, c. I, § 2 ; c. ii, § i ; A. Noyon, S. J., Les Origines de la fête de la Conception en Occident (x, xi « et xii’siècles), dans Etudes, Paris, 1904, t. C, p.’jCS ; M. Jugie, Origines de la fête de l’Immaculée Conception en Occident, dans lie^ue Augustinienne, Paris, 1908, t. XIII, p. 629 ; E. Vacandard. Les origines de la fête et du dogme de l’Immaculée Conception, [, dans Revue du Clergé français, 1910, t. LXII, p. 15s. ; K. A. H. Ivellner, ILeortolugie, § 28, p. 186 s., 3° éd. Fribourg-en-Brisgau, 1911.

B. La croyance en Occident depuis le milieu du .17’siècle. — Cette période est caractérisée par la grande controverse qui commence au xu* siècle ; à cette occasion le problème, d’abord mal présenté ou mal résolu et compliqué de questions accessoires. Unit par se poser dans toute sa netteté. Les objections sérieuses sont poussées à fond et résolues ; cela fait, la vérité se dégage et le triomphe de la pieuse croyance devient peu à peu complet et délinitif.

[.Préludes delà controyerse. — Au début de cette période, jouant le rôle de précurseur et d’initiateur, apparaît saint Anselme, arehevê(iue de Canlorbéry de iog3 à 1 109. Défenseurs et adversaires de l’Immaculée Conception ont l’ait appel à son témoignage. En réalité, il n’a pas traité directement le problème dans ses œuvres authentiques ; il ne le louche qu’incidemment, Cur Deus homo, 1. ii, c. xvi, P. /-..CLVIII,

j 416. Voulant expliquer l’absolue pureté du Sauveur, il se fait poser cette objection par Boson son disciple :

« Si la conception du Christ comme homme fut

pure et exempte du péché qui s’attache à la délectation charnelle, la Vierge elle-même, à laquelle il doit son origine, a été conçue dans l’iniquilé, sa mère l’a conçue tlans le péché et elle est née avec le péché originel, puisqu’elle a péché, elle aussi, en Adam en qui tous ont péché. » Anselme laisse passer l’assertion sans la relever. Kaul-il en conclure que,

i personnellement, il l’admet ? Beaucoup le pensent, 251

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ruais non pas tous : « Son silence équivaut non à une concession absolue, mais simiilement à une concession hjpolhélique… Il luisse passer alin de mieux montrer que, même en admettant que la Vierge fut née dans le péché originel, il ne s’ensuivrait pas que Notre-Seigneur eût été conçu lui-même dans le péché originel. » Kagby, Eudmer, Paris, 1892, p. 303, où diverses autorités sont citées.

Quoi qu’il en soit du texte précédent, il est du moins une doctrine de saint Anselme dont on a tort de se servir pour conlirnicr son opposition personnelle au privilège mariai. En répondant à la ditlicullé pri>posée par son disciple, n’ajoute-t-il pas, dit-on, que la Vierge dut être puriliée par un acte de foi aux mérites futurs du Sauveur, et qu’ainsi puriUée elle produisilson fruit ? Ibid., col 419, Doctrine i-appclce dans le De coiuejjtu virginali, c. xviii, col 451. Oui, mais dans ces textes il ne s’agit nullement d’une puriljcation quelconque, comme celle de tant d’autres qui, avant la venue du Sauveur et par la foi en lui, ont pu être délivrés du péché originel proprement dit et de leurs péchés actuels ; il s’agit d’une purilication extraordinaire et privilégiée, tendant à faire disparaître en Marie non pas le péché proprement dit, ce qui ne sutlirait point dans l’hypothèse, mais la cliair de péché, dans le sens augustinien de cette expression, en sorte que la conception de Jésus-Christ par Marie puisse être, pour parler avec Boson, « pure et exempte du péché qui s’attache à la délectation charnelle, iiiuiida et ahsfjite cainalix delectalionis pcccato ». Car, s’il n’était pas absolument nécessaire que le Sauveur eût pour mère la plus pure des vierges, il était pourtant de toute convenance qu’il en fut ainsi : « Sed quia décelai ut illius hominis conceptio de maire purissiuia lieret. » De conceptu iirgiiiali, loc. cit. Idée répétée aussitôt et accentuée par le saint docteiu’ : « Il coinenaU, en elfet, qu’elle brillât d’une pureté sans égale au-dessous de Dieu, cette Vierge à laquelle Dieu le Père devait donner son Fils unique, un Fils né de son cœur, égal à lui-même, tellement que le Fils du Père et le Fils de la Vierge fussent naturellement un seul et même commun Fils. » Phrase devenue classique, et dont on a justement dit que, prise en soi, elle.< emporte l’Immaculée Conception ». J. V. IJajnvel, art. Anselme, dans Dicliunnaire de théul. calh., t. I, col. 13^7.

Professer une croyance n’est pas la seule manière d’en aider le progrès ; écarter les obstacles contribue indirectement au même résultat. Le saint docteur a servi la cause de l’Immaculée Conception par sa doctrine du péché originel. D’après une théorie fort commune alors et au siècle suivant, beaucoup plaçaient la faute originelle dans la concupiscence, conçue d’une façon positive comme une corruption et une souillure physique, comme une empreinte morbide qui alléclait directement la chair, mais avait son contre-coup dans l’âme au moment de son union avec le corps. A lenconlre de cette théorie, Anselme établit que le péché originel, comme tout péché proprement dit, consiste dans un manque de rectitude ou de justice qui devrait exister, absentia debitæ justitiae. De conceptu i’irgiiiali et urigiuali pecciitu, c. III, col. 42Û. Il n’y a pas de faute dans l’embryon humain avant l’animation, ni dans aucun des éléments qui concourent à sa formation : nam etsi vitiosa concupiscentia generelur infans, non tamen iiiagis est insémine culpa quam in sputo aut in sanguine, c. viii, col /14>- P^r la chair, reçue d’un père cl d’une mère de descendance adamique, vient seulement la nécessité pour l’âme de contracter le péché, en tant ([u’elle reste privée de la rectitude ou justice qu’elle devrait posséder, c. vii, col. 441. Celte doctrine marquait un progrès considérable,

quoiqu’elle fût inachevée : Anselme s’est attaché trop exclusivement à la notion de rectitude murale, sans bien expliquer la nature particulière de la justice primitive et surtout sans en dégager l’élément le plus foncier, la giàce sanctiliaule. Aussi donue-t-il, sur ce point comme sur plusieurs autres, l’impression de quelqu’un qui s’.avance sur une voie peu explorée, qui cherclie et qui ne trouve pas toujours le dernier mot.

Si de la croyance nous passons à la fêle, quelle fut l’attitude réelle d’Anselme ? Un concile de la province ecclésiastique de Cantorbéry, tenu à Londres en 1328, lui en attribue l’institution. Mansi, Sacruriiin Concitiuriim, t. XXV, col. 829. A ce document s’ajoutent deux écrits mis pendant longtemps sous le nom du saint docteur : Sermo de Conceptiune beatue Mariae, el Miraculuiii de Conceptione sunctae ilariae, P. /.., CLIX, 319, ’àïi. Cette ilernière pièoe contient le i-écit d’une vision dont Helsin, plus tard abbé de Raaisay au diocèse de Vorcester(io80-io87), aiuait été favorisé vers l’an 1070, au retour d’une mission en Danemark. Surpris par une violente tempête et sur le point de périr, il invoque Marie ; un messager céleste vient à son secours et, pour prix de sa protection, il fait promettre à Helsin de célébrer el de faire célébrer chaque année, le 8 décembre, la fêle de la Conception, en se servant du même ollice que pour la fêle de la Nativité, sauf à changer ce dernier mot en celui de Conception. Echappé au péril, l’abbé accomplit sa promesse et introduisit la tête dans sou monastère. Le récit de ce miracle et de deux autres se retrouve dans le 6’ermo de Cunceptione, avec celle exhorlalion Unale : « Celebremus igitur (dilectissimi) hodie diviuis olliciis ulramque ejus conceptionem venerabileiu, spirilualem videlicet et humanam. »

Ce n’est pas le lieu d’examiner quelle part il faut faire ici à l’histoire et à la légende ; voir Thuhstox, The Legend uf Alihot Elsi. En réalité, le récit eut une grande inlluence dans la diffusion do la fête el de la croyance. Mais ni le Miracutum ni le Serino de Conceptione n’ont pour auteur saint Anselme. L’assertion du concile de 1328, qui lui attribue l’institution de la fête, est vraisemblablement dépendante de ces apocryphes ; elle peut aussi s’expliquer par une confusion entre l’archevêque de Cantorbéry et son neveu, appelé comme lui Anselme. Fils de Richera sœur du saint. Anselme le jku.ne avait suivi son oncle en.

gleterre ; après la mort du primat, il fut appelé à Rome par Pascal 1Il el créé abbé de Saint-Sabas, antique monastère qui avait jadis appartenu à des moines grecs. Envoyé quelques années plus tard, comme légat apostolique, auprès du roi Henri l" et du nouvel archevè(]ue, il devint en 1120 et resta jusqu’à sa mort (1 148) abbé du célèbre monastère de Saint-Edmond, Edmunsbury, dans le comté de Suffolk. C’est alors surtout qu’il nous apparaît tout à la fois comme restaurateur et comme promoteur de la fête de la Conception parmi les.

glo-saxons.

a. La controverse en Angleterre au Ail’siècle. — Implantée dans un certain nombre d’endroits avant la conquête normande, la fête avait subi une éclipse momentanée, notamment à Winchester et à Cantorbéry, peut-être sous l’influence du iirimat Lanfrasc (1070-1089), dontlezèle pour la réforme du calendrier anglo-saxon est signalé parEADMKK, Vita.'>..4nselmi, I. I, c. v, n. 42, P. L., CLVIII, 74. En tout cas, l’auteur du Tractatus de Conceptione, P. t., CLlX, Sgi, en constatant que la fêle se célèbre encore en beaucoup d’endroits, n’en déplore pas moins le déchet survenu : « Autrefois elle était célébrée par un plus grand nombre, et par ceux-là surtout en qui s’alliaient une pure simplicité et une dévotion plus humble.

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Mais, depuis que l’amour de la science et la passion de tout examiiur se sont emparés des esprits, ou a retranché cette solennité, au niéj)ris de la simplicité des pauvres, et, sous prétexte ([u’elle manquait de fondement solide, on l’a réduite à rien. » Bientôt une réaction se produisit, dont l’ànie lut l’abbé Anselmk. On lit, en eft’et, dans le cartulaire manuscrit de l’abbaye de Saint-Edmond : o Ce l’ut cet Anselme qui établit (liez nous devix solennités, en premier lieu la Conception de sainte Marie, qui, grâce à lui, se célèbre maintenant dans beaucoup d’églises. » Assertion conlirméepar cequeditOsiiERTDE Clarb, alors prieur de Westminster, dans sa liuitième lettre, adressée à l’abbé Anselme entre janvier 112^ et août ii : 18.

D’après cette lettre, l’œuvre de restauration rencontrait des adversaires puissants, comme les évéqiies Roger de Salisbury et Ueruard de Saint-Da id. On n’objectait pas seulement qu’elle manquait de fondement solide, on la disait condamnée dans un concile et étrangère à l’Eglise romaine. Osbert s’adressait donc, pour réclamer son appui, à celui qui avait été jadis abbé de Saint-Sabas et légat apostolique. Parmi les traditions ou coutumes de l’Eglise romaine, ne trouverait-il pas quelque chose pour conlirmer la clière dévotion ? Qu’il se mette en relation avec des personnes instruites connaissant les saintes lettres et ne craignant pas de défendre, en paroles et par écrit, la cause de la Vierge Marie. Qu’il en confère avec le nouvel évéque de Londres (Gilbert Foliot, dit l’Universel, consacré en janvier 1128) et l’abbé de Reading, Hugues d’Amiens (futur archevêque de Rouen, 1 127-Il Ci), qui, sur la demande du roi Henri, solennise déjà la fête dans sou monastère. Enlin il fait un suprême appel au zèle d’Anselme : « Ne laissez pas incomplète une œuvre à laquelle vous vous êtes dévoué ; que les envieux ne puissent pas dire que vous n’avez pas réussi à établir la fête. » L’abbé de Saint-Edmond et ses amis répondirent à l’appel. Quoi qu’il en soit de l’alliruiation, consignée dans un exemplaire manuscrit des Annales de l’abbaye de Tewsbury, datant du xii* siècle, que la fêle de la Conception de sainte Mai’ie fut approuvée en 112g I par l’autorité apostolique dans un concile de Londres, il est indubitable qu’à partir de cette époque la fête gagna rapi<lement du tei-rain en Angleterre. A l’intérêt d’orilre historique que présente cette controverse, s’en ajoute un autre, plus important : chez les défenseurs anglo-saxons de la fête, la doctrine de l’Immaculée Conception ai>paraitnettement. Dans un Sermo Je Concefitione saiicie Marie qu’il adressa, vers 1126, à Warin, doyen de ^^’orceste^, Osbert un Cl.^re célèbre dans la conception de la Vierge « les prémices de notre rédemption, l’instant où la sagesse de Dieu commence à se construire une demeure temporelle » ; il parle « decette sainte génération », sans dire cependant, par réserve, tout ce qu’il en pense. JLThurston, Eudmeri Traclatus, Appendix, p. 61, 03, 80. Plus libredans sa lettre à l’abljé Anselme, il y allirme nettement, à plusieurs reprises, sa croyance formelle en la sanctification de Marie in ipsa ciinceptioiie, ipso creationis et concepiionis lijcordio. Sanctilicalion en vertu de laquelle la bienheureuse Vierge fut « toute remplie de la grâce du Saint-Esprit et môme puiiliée dans sa chair, de toute souillure, et ab oinni macula corporaliter etiani puriûcata. » Ibid., p. 56 s(|.

Non moins expressif et beaucoup plus important est le Traclatus de Coiiceptiuiie sanctæ Mariae, déjà signalé, P. A., CLIX. 301-318. Attribué d’abord au grand Anselme, puis à son neveu.Anselme le jeune, puis au moine de Cantorbéry qui fut le compagnon et l’historien du saint archeêque, Eadmeh (Ragey, op. cit., p. 272 sq.), il a été délinitivement acquis

au dernier par le P. Tulrston, qui l’a retrouvé sous son nom dans un manuscrit original de Corpus Cliristi Collège, à Cambridge. Ce traité fait époque dans l’histoire de la théologie mariale. Eaumer ne veut pas s’arrêter au récit des évangiles apocryphes, n. 3 ; il s’attache surtout à cette idée, que dans la conception de Marie nous avons la première origine de la future Mère de Dieu et que la saintelé doit être à la base de l’édilice qui s’inaugurait alors. Jérémie, destiné par Dieu à l’apostolat, fut sauctilié avant sa naissance ; Jean le Précurseur fut rempli du Saint-Esprit dés le sein de sa mère : comment celle qui devait être l’unique propitiatoire du genre humain et l’unique demeure du Fils de Dieu, aurait-elle été privée, au début de son existence, de la grâce du Saint Esprit ? Si, par suite de l’union normale des deux sexes qui est intervenue en cette conception, quelque chose y subsiste du péché originel, c’est dans les parents qu’il faut le chercher, et non pas dans celle qui est engendrée, propaguntium et non propagalæ prolis fuit, n. 9. Quelle dillicullé ? Dieu donne bien à la châtaigne d’être conçue, nourrie et formée au milieu des épines sans qu’elles lui portent atteinte ; pourquoi n’aurait-il pas pu protéger le corps humain qui devait être son temple et fournir au Verbe son humanité, en faisant que, conçu parmi les épines, il échappât totalement à leurs pointes ? Quand les mauvais anges tombèrent. Dieu préserva les bons du péché ; et il n’aurait pas pu préserver du péché d’autrui la femme destinée à devenir sa mère ? Pouvant le faire, comment ne l’aurait-il pas voulu pour celle qu’il a voulu telle que nous savons ?

Mais tous n’ont-ils pas péché en Adam ? Sans doute ; mais la place suréminente que Marie occupe après son Fils ne permet pas de l’astreindre à la loi commune. Qu’il en fiit ainsi, c’était de toute convenance ; autrement, entre l’édilice que la sagesse divine se proposait de construire et les fondements de l’édilice, il y aurait dissonance et disproportion, non congruehat, non coliærebat, n. 13. En somme, Eadmer prélude à l’argument résumé plus tard en ces trois mots : potuit, decuit, fecit ; c’est-à-dire à l’argument partant de la possibilité, plutôt supposée ici que démontrée, et de la convenance positive pour conclure au fait, à l’existence du privilège. En raisonnant ainsi, le disciple d’Anselme commençait la synthèse d’éléments que nous avons rencontrés dans la Tradition grecque à l’épociue de son développement.

BusLioGRAPUiE. — R. Anstruther, Epistulæ Herberti de Losinga, priini episcupi iXoni/icensis, Osberti de Clara el Elineri prioris Cantuariensis, Bruxelles-Londres, 1846 ; V. de Buck, S. J., Osbert de Ctare et l’abbé Anselme instituteurs de la fête de V Immaculée Conception de la sainte Vierge dans l’Eglise latine, dans Etudes de théologie, nouv. sév., t. li, Paris, 1860 ; E. Bishop, art. cité ; B. Wolff, O. S. B., Abt Ansehn und dus Fest des S December ; Noch einmal das Fest des 8 December, dans Studien und Mitlheilungen ans dem Benedictiner-und dem Cistercienser-Orden, Briinn, 1885, 1886 ; E. Vacandard, f.es origines de la fête de la Conception dansledioci’se de Houen eten Angleterre, dans Hci’ue des questions historiques, V&Tis, 1897 ; H. ïhurston, S. J., Abbot Ansclni of liiiry and the Inimuculate Conception : The Legendnf Abbot Elsi : Englandand tite Inimuculate Conception, dans The Mon/Il, itjoti, juin, juillet et décembre ; A. Noyon, uri. cité ; H. Thurston et Th. Slater, S. J., Eadmeri moniichi Cantuariensis Tractalus de Conceptione sanclæ Mariae, olim sancio Anselmo attributus, nunc primuminteger ad codicurn fidem éditas. 255

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adiectis ijiiibiifdtim documenlis coiietiiiieis, Fribourg-en-Brisynii, i(jo4 ; E. Yacandaicl, Les origines de la fête et du dogme de l’/mnuiculée Conception, loc. cit. ; Kellner, lleortologie, lac. cil.

3. La controverse enFranceau.Ml’siècle. — Dans sa lettre à l’abbé Anselme. Osbeil de Claie affirmait (lue, sur le continent, des évoques et des abbés célébraient aussi la i’ête de la Conception. Cette circonstance allait donner lieu à une nouvelle controverse, d’une portée plus grande. Saint Bernard, abbé de Clairvaux de 1115 à 1 1 5. ?, connaissait le fait signalé par le moine anglais ; il s’en préoccupait, mais s’était abstenu jusqu’alors d’intervenir, « eu égard à la dévotion de ceux qui agissaient ainsi par simplicité de cœur et par amour de la Vierge ». Sur ces entrel’aites, il apprit que la Icle avait fait son apparition dans l’église primatiale de Lyon ; il crut devoir protester dans une lettre aux chanoines de Saint-Jean, Episl. cLxxiv, P. L., CLXXXII, 332, écrite au plus tard en ii^o, au plus tôt vers 1128-1130 (date préférée par M. Vacandard). La fête est dénoncée par lui comme

« un rite étranger à l’Eglise, manquant tout à la fois

de fondement rationnel et d’appui dans la tradition ».

L’argumentation présentée du point de vue rationnel est particulièrement importante. Elle revient à ceci : Marie a été sanctifiée ou avant la conception, ou au moment même de la conception, ou seulement après la conception. La première liypotlièse est inadmissible : Marie n’a pas pu être sanctilice avant d’exister, et elle n’existait pas avant d’avoir été conçue. La seconde hypothèse est également inadmissible : Marie n’a pas été conçue du Saint-Esprit, comme le Sauveur ; elle a été conçue, comme les autres hommes, d’un père et d’une mère par voie de génération soumise à la loi de la concupiscence ou loi du péché. II Gomment y aurait-il sainteté sans l’Esjirit de sanctification ? ou bien comment y aurait-il société entre l’Esprit saint et le péché ? ou du moins, comment n’y aurait-il pas eu péché là où il y a eu

concupiscence

Reste la troisième hypothèse

Marie sanctifiée après sa conception, mais avant sa naissance.

Omettons les efforts infructueux qui out été faits, soit pour nier l’authenticité de cette lettre, soit pour l’interpréter de manière à ne pas voir dans l’abbé de Clairvaiix un adversaire de la pieuse croyance. La seule argumentation qui vient d’être rapportée sulfit à montrer que le docteur cistercien s’attaque à la doctrine en même temps qu’à la fête. Il n’a pas fait, il est vrai, du moins formellement, la distinction fondamentale entre l’acte générateur (conception nc(iie) et le terme de cet acte (conception passire), ni la distinction classique entre la conception passive imparfaite ou parfaite (conceptio cnrnis, conceptio prolis) ; mais les arguments dont il se sert sont tels qu’ils vont au rejet de la sainteté dans la conception l)assive, soit imparfaite soit parfaite, aussi bien que dans la conception active. Il raisonne évidemment sous l’inlluence de la théorie augustinienne, qui considère toute génération sexuelle comme souillée, dans l’ordre actuel, par la concupiscence et (]ui rattache à cette circonstance la transmission du péohé originel. Cette théorie, Bernard l’applique rigoureusement à la conception de la Vierge, en sorte que pour elle, comme pour les autres descendants d’Adam, il y a connexion inéluctable entre la conception aclive soumise à la loi de la concupiscence et la conception passive dans le péché.

L’autorité de saint Bernard était trop grande, pour que son intervention restât sans effet. La controverse amorcée continua, comme le prouve, entre autres

faits, la passe d’armes qui eut lieu vers 1180 entre PrBRRE DE Celles, alors abbé de Saint-Rémi de Reims, et Nicolas, moine de Saint-Alban, celui-ci soutenant la fcle et l’autre maintenant les positions de l’abbé de Glairvaux, P. t., GCII, G13-632. Il en résulta, pour la fête, ralentissement, parlois même suppression, comme à Paris sous l’èpiscopat de Maurice de Sully (iiôo-i i sept. iigo). Toutefois il ne semble pas que l’essor ait été notablement entravé. Atton, prieur de Saint-Pierre de la Réole au diocèse de Bazas, décrétant en 1154 l’institution de la fête, observe « que le peuple chrétien la célèbre maintenant en France presque universellement et avec la plus grande dévotion ». MAnxiiNE, l>e antiquis monachoruin ritihns, 1. IV, c. ii, n. l6. Témoignage en partie confirmé, sur la fin du siècle, par la glose d’un canoniste, HoGuss de Pire, De consecrat., dist. III, c. I. Pronunluindum : à piopos du mot A’alivitas, il remarque qu’il n’est pas fait mention de la fête de la Conception, parce qu’on ne doit pas la célébrer ; ce qui ne l’cmpèche pas d’ajouter que l’usage contraire existe en beaucoup de régions, sicut in iiiultis regioniijus /it, surtout en Angleterre.

La croyance au privilège mariai donne lieu aux mêmes discussions que la fête. Parmi les auteurs de cette époque qui touchent assez nettement le problème pour qu’on puisse juger de leur sentiment, les uns admettent avec saint Bernard une sanctification postérieure à la conception ; par exemple, Nicolas de Claihvaux, In Nativil. S. Joannis Baptistæ (aXXvibué à saint Pierre Damien), P. /,., CXLIV, 628 ; Pseudo-Bernard, Serm. iv in Salve liegina, 3, P. L. CLXXXIV, 10^5 ; Garmeh de Langres, Sernt. iii, de Purificatione, P. L., CCV, 649 ; Pierre du Poitiers, Sent. IV, ), P. L., CCl, 1 165 ; Innocent HI, Serm. xii, fn solemnitate Purificationis, P. L., CCXVII, 607. D’autres affirment que Marie fut sanctifiéedanslesein de sa mère, mais sans mettre d’opposition entre la conception et la sanctilication ; par exemple, Gui-BERT DE Nogent, De lande S. Muriue, c. v, P. /,., CLVI, 550 ; per sanctum qui ci ex utero coaluit Spiritum ; Gilbert Foliot, In Cantica Cant., i, i], P. f.., CCII, lioi : « i utero sanctificata. D’autres proclament sans restriction l’absolue sainteté de la Vierge ; par exemple, Hermann de Tournai, Tractatus de Incarnatione, c. viii, P. L., CLXXX, 31 ; semper eam in omni sanctitate et munditia servavit. D’autres enfin soutiennent expressément l’immaculée conception ; par exemple, le vénérable Hervé du Mans, moine de Déols ou Bourg-Dieu, In epist. Il ad Corinth., c. v, P. L., CLXXXI, loli’i : nemine prorsus exerapto, dempta matre Dei.

Parmi les témoignages favorables, certains ont une portée spéciale, parce qu’ils touchent la question ex professa et constituent une réponse à la lettre de saint Bernard. Tels sont trois écrits que le franciscain Pedro de Alva y Astohga nous a conservés dans ses Monumenta aniiqua. Le premier est un traité d’ABÉLARD, de Conceplione beatæ et gloriosæ Virginis Marine ; pour l’aulhenticité sérieusement probable de cet écrit, voir A. Noyon, Notes bibliographiques, § 3. Le second est un sermon De Immaculata Conceptione Virgin is Mariæ matris Dei, mis sous le nom de Pierre Comkstor, chanoine de Troyes (T 79’?) ; d’autres l’attribuent à Richard de Saint-Victor (~ 1173). Le troisième est un autre sermon de Conceptione beatissimæ Virginis Mariae, dont l’auteur est Pierre Cantor, docteur et chanoine de Paris, mort en 1 197 au monastère cistercien de Longpont. Les trois apologistes en sont à peu près au même point qu’Eadmer ; ils affirment le privilège mariai pour sa haute convenance ; Cantor, en particulier, le rattache très justement au plan divin de la 257

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Rédemplion telle que Dieu l’n voulue. Comestor se préoccupe même de chercher des fondeiuents dans’la sainte Ecriture, Gen., iii, 15 ; Luc, i, 18, et dans la Tradition patristique, en citant trois ou quatre

  • e « tes, nolauiin< ?nt celui de saint AfGUSTiN, Dénatura

et g’ratia, c. ixxvi.

Notable est la réponse faite dans ces écrits à l’objection tirée par saint Bernard de ce que la loi de la concupiscence et du péché s’attache, dans l’ordre actuel, à toute génération humaine où l’union des sexes intervient. Les trois défenseurs du privilè[, ’e mariai distinguent, en des termes équivalents, entre l’acte générateur de Joachim et d’Anne, et la vierg^e Marie comme terme complet et final de la conception. La concupiscence, la volupté charnelle est le fait des parents, et non celni de Marie qui n’existait pas encore, dit Abélard. Que les parents aient été soumis à la loi du péché en engendrant Marie, c’est possible, dit à son tour Comestor ; mais Marie elle-même fut toute sainte, ipsa sanitissima. Et Cantoii d’ajouter que la conception (consommée), étant l’œuvre de Dieu, ne saurait être souillée par ce qu’il peut y avoir de déréglé dans l’acte générateur qui a précédé.

L’objection courante insistait sur la connexion qui doit exister entre la cliair de Marie, appelée par les Pères chair de péché, et son âme, atteinte par voie de conséquence. Après s’être rejetés sur la puissance divine qui n’a pas pu manquer de moyens pour conserver pure la chair comme l’àme de la Vierge, les trois apologistes recourent à un sj stènie de préservation préi’entit’e, qui consiste à empêcher l’effet en faisant disparaître la cause. Préservation préventive immédiate, venant de ce que l’acte générateur des parents fut soustrait à la loi commune de la volupté charnelle. Abiîlard signale la solution comme soutenable : ccQuid enini nos impedît credere hanc gratiam Dominum parentibus suæ genilricis posse et Telle conferre, ut absque omni carnalis concupisoentiae labe sanctissimum illud corpusculum generarent ? n Alva, loc. cit., p. laç). Caxtoh est plus attirraalif : « Sanctam qnippe genitam non immerito dixerim, cujus generatores in ejus generalione non contraxit stimulantis lascivia libidinis, sed præoptatae spes sobolis, sed obedientia angelicæ admonitionis. » Ihid., p. iio. Préservation préventive médiate, remontant jusqu’au père du genre humain : dans le naufrage de son intégrité primitive, une parcelle de chair serait restée pure de toute souillure, elle aurait ensuite été transmise sans altération à travers les diverses générations, et de cette parcelle auraient été formés le corps de la Vierge et celui de son Fils. C’est la solution de Comestor :

« Unde credi potest, caméra lllam quæ assumpta est

a Verbo post corruptionem totius humanæ naturae in primo parente, ita tameii illæsam et ab omni contagione peccali immunem custoditam, ut usque ad susceptionem sui a Dei Filio semper libéra manserit, et nuUi unquam peccato vel modicuni pensum reddiderit. » lliid., p, 4 Cette dernière tliéorie est signalée souvent par les théologiens du xti’siècle, par exemple, Summa sentent. , attribuée à Hugues de S. « nt-Victor, tract, l, e. XVI, P. L., CLXXVI, 78 ; Roland Bandiselli, Die Sentenzen Ftolanis. éd. Gietl, p. iC3 sq. On la retrouve dans un sermon manuscrit du même siècle, conservé à l’abbaye cistercienne de Heiligenkreuz, près Baden ; voir A. NoYON, ?fotes bibliographiques, § i, etX. Le Bachelet, dans Recherches de Science religieuse, Paris 1910, t. I, p. 5g6, où le passage est cité. Théorie bizarre, inadmissible et, comme les précédentes, insufflsante pour expliquer une conception sainte dans le sens théologique du mot. Tout cela, d’ailleurs,

Tome m.

occasionné non moins par la façon défectueuse dont le problème était alors posé, ([ue par des notions fausses ou vagues sur la nature du péché originel, de la concupiscence, de la justice originelle et de la justice intérieure dans l’économie présente.

B1UL106RA.PHIK. — Vacandard, Saint Bernard et la fête de la Conception de la sainte Vierge, dans Science catholique, iSgS, t. VII, p. Sy^ ; Vie de saint Bernard, Paris, 1896, t. II, c. xxi, p. 81 sq ; Petrus de.Vlva et Astorga, Monunienta aniiqua I mmaculatae Conceptiunis ex variis authuribus antiquis tam nianuscriptis, quant otim impressis, sed qui vix modo reperiuntiir, tonias 1, Louvain, 1664 ; A. Noyon, Les origines de la fête de l’Immaculée Conception en Occident, loc. cit. ; Notes bibliographiques sur l’histoire de la théologie de Vhnniaculée Conception : 1. Les pièces d’une controverse au douzième siècle ; ni. Un traité sur la Conception attribué à Abélard, dans llullelin de littérature ecclésiastique, Toulouse igii, avril et juin, p. 177, 286.

/|. La purification de Marie au jaur de l’Annonciation. — Doctrine courante au xii siècle, que nous avons trouvée chez saint Anselme, mais qui se présente chez d’autres auteurs en des termes plus expressifs et parfois déconcertants à première vue. D’après Rupert de Deutz {— 1135), pour que le fruit qui devait naître de Marie fût absolument saint, il fallait qu’elle fût sancliliée, c’est-à-dire purifiée du péché actuel et originel : « OpoTtebat ipsam sanctilîcari, hoc est emundari ab omni peccato, lam actuali qnam eo quod majus erat, scilicet originali. « In Matihæum, de gloria et honore Filii, P. L., CLXVIII, 1325. Pierrb Lombard {- 1 16^) parle aussi de Marie comme purifiée alors du péché, Sent. III, dist. m :

« A peccati prorsus purgavit, et a fomite peccati

etiam liberavit. » De ces textes et avitres semblables, faut-il conclure avec G. Herzog, loc. cit., p. 621, 527, 629 sq., que ces théologiens excluent la doctrine, énoncée par saint Bernard, d’une sanctilîcation de Marie dans le sein de sa mère, ou que, d’après eux, « la sainte Vierge commit le péché jusqu’au moment de l’Incarnation » ?

D’abord, il ne peut s’agir, au jour de l’Annonciation, d’une simple purification ou première sanctification de Marie. A la suite de saint Augustin, Contra Julianum, V, 45, P. L., XLIV, 809, et de saint Grégoire, Moral., IV, 3, P. /.., LXXV, 635, les théologiens du xii" siècle admettaient, pour les enfants nés avant la venue de Jésus-Christ, l’existence d’un remède contre le péché originel, en dépendance d’un rite extérieur ou de la seule foi des parents : S. Bernard, Epi st. i(d Ihigonem de S. Victore, c. 1, n. 4. P.L. CLXXXll, io34 ; Hugues de S. Victor, De Socramentis, 1. I, part, xii, c. 2, P. t., CLXXVI, 349 s. ; Pierre Lombard, Sent. IV, dist. i, n. 7 ; cf. Rémi n’AuxERRE (1098), In Gen., xvii, 28, />. /,., CXXXl.Sg. Supposer que ces mêmes théologiens aient soumis Marie au péché originel proprement dit jusqu’au jour de l’Annonciation, ce serait leur faire créer un régime d’exception non pas en faveur, mais au détriment de la Mère de Dieu. De quel droit leur attribuerait-on une pareille énormité ? Aus » ! cette doctrine de la purification de la Vierge se rencontret-elle chez des auteurs qui admettent en même temps et d’une façon explicite son immunité par rapport à tout péché actuel ou sa sanctification dans le sein de sa mère. Ainsi nous lisons dans Herbert dr Losinga (-{- Il 19), Sermons and Letters, t. I, p. i : c. Purgat ah originali et actuali culpa, quam sua impleturus erat gratia « ; et pourtant Marie est pour lui m ingenua de ingenuis, et cui nulla <Ie propagine macula 259

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inUæsisset », t. II. p- 330. Si le vénérable Godefroy u’Admont (t u65) dit du Saint-Esprit descendant sur Marie : « Jb omni originali peccato liberam reddidit et ab omni actuali peccato, si quod illud erat, emundavit.., il dit également du même Esprit, en parlant de l'àme de Marie : « Ab ipso nativitatis ejus primurdio luirabiliter composuit, decenterornavit et sanctificafil. » Homiliæ domin., iv ; festiv., lxxviii, P. L., GLXXIV, 41, 1028.

Pour interpréter sainement les textes allègues et résoudre les antilogies apparentes, il faut tenir compte des multiples acceptions du mot péché et de la façon dont les auteurs du xii' siècle avaient contume de traiter le problème du péché originel. « Noraine peccali quandoque intelligitur macula, quandoque actus peccali, quandoque reatus, quandoque culpa, quandoque pena », nous dit Roland BandiNELLi dans ses Serilences, op. cit., p. 134. Ainsi la tache ou souillure, l’acte matériel du péché, l'état de culpabilité, la faute, la peine du péché, tout cela s’appelait couramment péclié. Toutefois il importe, dans la question présente, de distinguer le péché au sens propre ou au sens métaphorique. Péché au sens propre, actuel ou habituel, la transgression délibérée d’un précepte divin ou l'état de culpabilité qui en résulte devant Dieu. Péché improprement dit ou au sens métonymique, ce qui est effet, peine ou cause du péché proprement dit.

La concupiscence, prise eu elle-même, n’est pas péché au sens propre, pas plus qu’une souillure ou une tache affectant la chair seule. Les théologiens du xii « siècle savaient cela et en convenaient, puisque, d’après leur enseignement formel, ni la souillure de l'àme ni l'état de culpabilité devant Dieu ne demeurent dans le baptisé : Pibrrk Lombard, Sent. ii, disl. XXX, n. 7 : nisi ab ejus reata per Ghristi baptismum absolvantur ; Rodbrt Pdll, Sent. II, c. xxxi, P. L., GLXXXVI, 764 : in baptizatis dimitti dicitur, dum quæ ex ipso est concupiscentia condonalur ; Huc.ues DE S. Victor, De Sacramenlis, l. I, part, vii, c. 2C, P. L. CLXXVl, 297 : in ipso originali vitio tollilur non poena, sed culpa ; Roland Bandinblli, parlant de la souillure de l'àme, Q). cit., >. 136 : que macula usque ad baptismi sacramentum in ea perdurât, sed in baptismatis unda ab ea lafatur atque mundatur. Prise en elle-même, la concupiscence habituelle ne peut donc s’appeler péché qu’au sens large, en tant qu’effet ou peine du péché d’Adam et source de péciiés actuels, fomes peccali. Mais à ce « foyer du péché » qui couve en nous, se rattachent, comme conséquences ou manifestations actuelles, des mouvements déréglés qui, de leur nature, sont contraires à la loi morale ; mouvements auxquels il ne manque que d'être consentis pour qu’il y ait péché proprement dit ou péché formel.

Or les théologiens scolastiques de cette époque avaient coutume de considérer le péché originel d’une façon concrète, dans toute son extension, en y faisant rentrer non seulement la souillure de l'àme et l'état de culpabilité devant Dieu, mais encore la concupiscence habituelle ; ils avaient aussi coutume d’appeler péché tout mouvement déréglé dont la concupiscence est le principe, lors même qu’il n’y a ni responsabilité personnelle ni culpabilité devant Dieu. C’est ainsi que, dans l’objection présentée à saint Anselmiî, Cur Deus liunio, l. II, 0. XVI, Boson parle du péché de la délectation charnelle, carnalis deleclationi.s peccato, inhérent à l’acte générateur dans l’ordre actuel, sans prétendre par le fait même attribuer une faute proprement dite à tous ceux qui engendrent, y compris saint Joachim et sainte Anne. C’est ainsi que, dans sa controverse avec Nicolas de Saint-Alban, Pierre de

Celles dit de la sainte Vierge, Epist., cLxxiii, P. L., CCII, 630 : sensit peccatum sine peccato : ce qui, d’après le contexte, signiiie qu’avant l’Incarnation du Verbe elle éprouva quelque chose de la lutte intérieure dont parle saint Paul, mais sans jamais consentir aux mouvements déréglés de la nature ni aux instigations du démon.

Que cette terminologie ne soit irréprochable ni en elle-même ni pour les théories supposées, qu’elle prête à des obscurités et à des équivoques fâcheuses, c’est chose incontestable ; mais il faut la connaître et s’en souvenir, si l’on veut interpréter sainement les affirmations des théologiens du xii" ; siècle relatives à la purilication de Marie. Quand ils nous la montrent délivrée de tout péché, originel ou actuel, au jour de r. nonciation, ce n’est pas le péché proprement dit, souillure de l'àme et état de culpabilité devant Dieu, qu’ils ont en vue ; c’est, la plupart du temps, le foyer de la concupiscence qui, auparavant, n’aurait |>as été éteint dans la Vierge ; parfois encore, ce sont les mouvements indélibérés de la concupiscence dont la Mère de Uieu n’aurait été pleinement délivrée qu’après l’Incarnation du Verbe. A cela revient, pour donner un exemple, ce commentaire du Virtus Altissinii obumbrabit tibi par Robert de Melun (-j- 1167) : « Quæ eam tolani temperavit et obumbravit, ut nullius etiam propassionis motum sentire posset… Verum ante obumbrationem Virlutis Altissimi non tantam immunitatera peccali habuit, quia in ejus carne eulpæ originalis macula qnantulacumque fuit. » De Dicarnatione, fragment publié par Du Boulay, Ilistoiia unit’ersitatis Partsiensis, t. II, p. 604. Rien n’empêche d’entendre dans le même sens le Maître des Sentences quand, faisant appel à l’autorité de saint Augustin, De natura et gratia, c. xxxvi, il afiirme « quod sacra Virgo ex tune ab omni peccato immunis exstiterit. » Gauthier de Saint-Victor (v. 1180) n’en a pas moins raison de critiquer l’intrusion de l’ex tune dans le texte du saint docteur : « Augustinus non ex tune, sed absolute quandocumque de peccatis agitur, déterminai illam omni modo el tempore debere excipere ». Excerpta ex libris contra quatuor labyrintlios Franciae, P. L. CXGIX, 11 55.

Du reste, toute cette théorie d’une purification de Marie au jour de l’Annonciation n’a rien de scripturaire, malgré l’appel fait par ses partisans au texte de saint Luc ;.Spiritus sanctus superveniet in te. Nulle idée de purification dans ces mots ni dans ceux qui suivent. Aussi d’autres théologiens du xii" siècle n’y voient, comme les Pères grecs cités plus haut, qu’un progrès indicible dans la sainteté ou la plénitude de grâce déjà possédée par la bienheureuse Vierge, ce qu’on pourrait appeler une surplénitude de sainteté et de grâce : GuinERT de Nogent, De lande sanctæ Alariae, c. viii, P. /,., CLVI, ôOa : candorem mundiliæ ei superexcetlenter aucturus ; Rupert, In Cant., l. VI, P. L., CLXVllI, 987 : tune tu et ex tune pulchrapulchritudine di>ina ; Abélard, Serin. i. In Annuntiatione, P. L., CLXXVIII, 385 : cum ei superiorem et excellentiorem omnibus gratiam contulerit ; S. Bernard, Hom, iv super.Missus est, n. 3, P. L., CLXXXIII, 81 : propter abundantioris graliae pleniludinem, quara effusurus est super illam.

5. Développement de la controverse au XIII' siècle ; les grands scolastiques. — Nous arrivons à l'époque critique dans l’histoire de la croyance à l’Immaculée Conception en Occident, à l'époque principalement visée par le patriarche Anthime de Conslanlinople, quand il parle du u dogme nouveau, qui était inconnu dans l’ancienne Eglise et qui avait été jadis violemment combattu même par les plus distingués tliéologieris de la papauté ». Rappelons d’abord 261

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brièvement le fait qu’on objecte, avant d’en apprécier la portée réelle.

a. L’opposition des grands scolastiques. — Nous nous arrêterons aux chefs de ûle : pour l’école franciscaine, Alexandre de Halès {— 1240) et saint BoNAVBNTunK (122r-12’j4) ; pour l’école dominicaine, Albert le Grand (iigS-iaSo) et saint Thomas d’Aquin

(1325-1274) Alexandre de Halès traite la question, Summa, III, q. IX, iii, 2, en quatre articles dont voici les conclusions : 1° La bienheureuse Vierge n’a pas été sanctifiée ufantsa conception, quelle qu’ait été la sainteté personnelle de ses parents, car la génération se fait en vertu de la nature^ qui est corrompue ; de ce chef, le sujet engendré contracte le péché. 2" Elle n’a pu être sanctifiée au moment de la conception, pour la même raison : les parents qui engendrent peuvent agir d’une façon méritoire, mais l’acte générateur n’en est pas modifié dans sa nature et ses conditions. 3" Elle n’a pu être sanctifiée après sa conception, mais avant l’infusion de l’unie ; dans cette période, la chair vit encore d’une vie purement animale, elle n’est pas suscepliljle d’une sanctification ordonnée à la gloire et supposant, par conséquent, la grâce dont l ame seule est le sujet. 4" Heste qu’elle ail été sanctifiée dans le sein maternel, après l’union de l’âme au corps. Un privilège de ce genre ayant été accordée Jean-Baptiste et à Jérémie, on ne peut le refuser à la Mère de Dieu.

Saint BoNAVENTURK propose les mêmes conclusions. Sent., iii, dist. iii, a. r, q. 2, avec cette dilfèrence que les questions sont réduites à trois et énoncées plus nettement : La chair de la Vierge a-t-elle été sanctifiée avant l’animation ? Son à me a-t-elle été sanctifiée avant de contracter le péché originel ? La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ? Le sens de la seconde question, la principale des trois, est, d’après le contexte : La grâce sanctifiante a-t-elle prévenu dans l’âme de Marie la tache du péché originel ? Le Docteur séraphique se rallie à l’opinion négative, comme « plus commune, mieux fondée en raison et plus sûre ». S’il n’était pas impossible à Dieu de préserver la Vierge de tout péché, il convenait cependant que le privilège d’être sans péché fût réservé à Celui-là seul qui est la source du salut. Des motifs déjà connus sont invoqués : 1 universalité de la loi du péché, d’après l’Ecriture et la Tradition ; la présence en Marie des peines attachées à la faute héréditaire ; la connexion qui existe entre l’union de l’àme avec une chair de péché et la souillure de l’àme elle-même. Une raison s’ajoute, qui n’avait pas été donnée par saint Bernard, mais avec laquelle il faudra désormais compter : la qualité de Rédempteur qui convient à Jésus-Christ par rapport à sa mère, et qui ne s’explique pas si celle-ci a été exempte du péché originel.

Albert le Grand se demande, Sent., lU, dist. iii, q. I, a. 3-5, si la Vierge a été sancliliée dans le sein de sa mère, ou en dehors ? si sa chair a été sanctiliée avant l’animation ou seuleuient après ? si, sanctifiée après l’animation, elle l’a été avant de sortir du sein maternel ? Enoncés équivalents à ceux de saint Bonaventure, mais moins précis ; mêmes conclusions. -Vvant l’animation, la chair de Marie n’était pas susceptible de recevoir la grâce sanctifiante ; par ailleurs, Marie n’a pu être sanctifiée qu’après l’animation : autrement, elle n’aurait pas eu besoin de rédenqilion en son àme, et elle serait soustraite à l’universelle sentence : Morte morieris, qui s’entend de la double mort, celle du corps et celle de l’âme.

Saint Thomas d’Aquin réduit la question principale â un seul article, Summa theol., III, q. xxvii, a. 2 : la bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée

avant l’animation ? Non, répond-ii ; car la sanctification dont il s’agit consiste à être purifié du péché originel, et l’on n’est purifié du péché que par lu grâce, dont la créature raisonnable est seule susceptible. De même, le terme de la conception, proies concepta, n’est pas susceptible de péché proprement dit avant l’infusion de l’âme raisonnable. Et si, d’une façon quelconque, la bicnheiu-euse Vierge avait été sanctifiée avant l’animation, elle n’aurait jamais ejicouru la souillure du péché originel ; elle n’aurait donc pas eu besoin de la rédemption et du salut qui nous vient de Jésus-Christ ; ce qui est inadmissible, puisque Jésus-Christ est le Sauveur de tous les hommes. Reste donc que la sanctification delà bienheureuse Vierge ait eu lieu après l’animation, alors que tout son être, corps et àme, était complet.

Cette doctrine se retrouve en substance dans les autres passages où l’Ange de l’Ecole traite ex professa le même sujet : Compend. theol., c. ccxxiv (al. ccxxxti) et surtout Sent., III, dist. iir, q. 1, a. 1, sol. a, où l’auteur rejette expressément une sanctification qui se ferait au moment même de l’animalion : i’Sed nec etiam in ipso instant ! infusionis, ut scilicet per gratiam tune sibi infusam conservaretur ne culpamoriginalemincurreret. » Jésus-Christ seul possède le privilège de n’avoir pas besoin de rédemption, et ce privilège disparaîtrait a s’il y avait une autre àme qui n’eût jamais été infectée de la tache originelle ». On voit par là quelle importance le Docteur angélique attachait à la difficulté tirée de la rédemption de Marie ; c’est la seule qu’il oppose fermement au privilège mariai dégagé des théories défectueuses ou arbitraires que nous avons rencontrées : sanctification indirecte dans les parents ou sanctification directe dans la chair, avant l’animation ; théories qui expliquent la manière dont les grands scolastiques ont traité le problème.

Saint Thomas et saint Bonaventure n’ignoraient pas l’existence de la fête de la Conception ; ils y trouvent une objection contre leur thèse. La réponse qu’ils font confirme leur opposition à la pieuse croyance. Le premier veut qu’en célébrant la fête on ait en vue non pas la conception elle-même, mais la sanctification de la Vierge qu’on vénère alors, dans l’ignorance où l’on est du moment précis où elle s’est opérée. Le second donne aussi cette solution, en ajoutant : « Quoi qu’il en soit, les âmes pieuses peuvent se réjouir de ce qui a été commencé au jour de la Conception. Qui pourrait apprendre que la Vierge, dont le salut du monde est sorti, a été conçue, sans en rendre â Dieu de solennelles actions de grâces et sans se réjouir dans le Sauveur ? » Considérations qui permettront à beaucoup de célébrer la fête de la Conception sans admettre l’Immaculée Conception.

Rien de plus clair que la position du Docteur angélique et des autres grands théologiens du xui" siècle. Pour les transformer en partisans, ou du moins pour ne pas voir en eux des adversaires de la pieuse croyance, on est forcé de recourir à des rétractions fictives, à des textes apocryphes ou vagues, à des interprétations montrant ce que ces théologiens auraient pu dire, et non pas ce qu’ils ont dit, enfin à des faits réels, mais qui, dans l’espèce, n’ont pas de valeur probante, par exemple l’institution de la fête de la Conception au chapitre général de Pise en 1263, alors que saint Bonaventure gouvernail les Frères Mineurs. A supposer qu’il faille attribuer la décision à son initiative, il resterait à délerminer ce qu’on prétendait honorer, l’objet du culte étant, d’après la doctrine du saint, susceptible de plusieurs interprétations. Il n’est donc pas étonnant que les derniers éditeurs des Œuvres du Docteur séraphi<iue, 263

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imprimées à Quaræchi, reconnaissent son opposition à la pieuse croyance, et que, dans la préface de l’édition des Quæstiones disputatæ deGvivi.A.iJuii Ware et autres, faite également à Quaræchi, on trouve cet aveu : « Parmi nos théologiens de Pans au XIII » siècle, nous n’en avons pas encore, jusqu’ici, rencontré un seul qui ait accepté et défendu la doctrine de l’Immaculée Conception. » Les efforts tentés spécialement en faveur du Docteur angélique n’ont pas eu, de l’aveu général, un meilleur résultat ; on en peut juger par les conclusions auxquelles sont arrivés ceux qui, de nos jours, ont examiné les textes d’une façon plus complète et plus objective.

b. Portée réelle de l’opposition. — Il s’en faut de beaucoup que l’opposition dont nous venons de parler ait l’importance que les adversaires du dogme déiini par Pie 1 prétendent lui attribuer. Et d’abord, elle ne se fît pas sur le terrain de la foi proprement dite ; autrement, saint Bonaventure ne se serait pas contenté de présenter son opinion comme plus probable et mieux fondée en raison. Si Albert le Grand prononce le gros mot d’hérésie, c’est uniquement dans son premier article, en parlant d’une sanctification de Marie qui aurait eu lieu aidant l’animation. Comment reconnaître des témoins de l’ancienne Tradition dans des docteurs assurément très vénérables, mais qui, dans la question présente, raisonnèrent à l’aide de quelques textes généraux ou de suppositions plus physiologiques que dogmatiques, ignorant d’ailleurs à peu près complètement les riches monuments de l’Eglise orientale ?

L’opposition ne fut pas générale, mais particulière. Tous ces grands scolastiques et leursdisciples immédiats appartiennent à un même milieu littéraire, l’université de Paris. Quand le Docteur séraphique afQrme n’avoir jamais entendu de ses oreilles quelqu’un qui soutint l’immaculée conception de Marie, il parle manifestement du même milieu et pour un laps de temps assez restreint. Ailleurs, la pieuse croyance avait des défenseurs. Elle en avait en France, oii la fêle de la Conception, entendue par le plus grand nombre dans le sens immacutiste, continuait à se répandre, réapparaissant même à Paris. Elle en avait en Italie ; témoin le B Ogeu, abbé cistercien de Locedio, au diocèse de Verceil ({ I214, et non pas 1 149), Serm. xiii, n°i, P. /-., CLXXXlV, cj41 :

« Non est in filiis hominum… qui non in peccalis

fuerit conceptus, præter 3Iatrem Jmmaculati… de qua, cum de peccatis agilur, nullam prorsus volo habere quæstionem. > Elle en avait en Espagne, comme on le verra bientôt par l’exemple du B" Raymo.nd Lull. Elle eu avait surtout en Angleterre, oùle Tractatus de Conceptiont sanctæ Mariae exerçait une influence d’autant jjIu s grande que déjà on l’attribuait à saint Anselme.

Enfin l’opposition des grands scolastiques, loin de ruiner la pieuse croyance, ne lit f[U’en préparer le triomphe. On a prétendu qu’ils n’attaquèrent pas le privilège mariai, tel qu’il a été défini par Pie IX, mais seulement tel qu’il était alors présenté, c’est-à-dire d’une manière défectueuse ou excessive qu’ils jugeaient préjudiciable à, l’universelle rédemption du genre humain. Il semble bien qu’en fait ils allèrent plus loin ; mais il est vrai qu’ils attaquèrent directement l’Immaculée Conception telle que nous l’avons vue exposée et défendue en France par les écrits des trois Pierre, Abélard, Comestor et Canlor. En éliminant les éléments parasitiques, ils déblayèrent le terrain ; en formulant vigoureusement leur objection théologique contre l’hypothèse d’une sanctification de l’àmc au moment même de l’animation, ils obligèrent les autres à envisager et à défendre le problème en son point vital, et ils préparèrent

ainsi le triomphe de la pieuse croyance. Le Docteur angélique contribua particulièrement à ce résultat en adoptant et en perfectionnant les vues de saint Anselme. Le péché originel proprement dit ne consiste pas dans la concupiscence, mais dans la privation de la justice originelle, considérée dans ce qui est pour nous l’élément constitutif de l’état de justification, c’est-à-dire la grâce habituelle ou sanctifiante. La concupiscence habituelle est un défaut d’équilibre ou de subordination entre nos facultés supérieures et les inférieures. La concupiscence actuelle, Z17 « rfo /norrfi’nafa, n’est pas nécessaire pour qu’il y ait transmission de la faute héréditaire. Suntma th^ol., 1^ II » =, q. rxxxii, a. i-/J ; Quæsi. disput. , de Malo, q. iv, a. 2. "Cette rectification de positions généralement admises ou supposées par les adversaires du pri^^lège mariai aux xir et xiii » siècles allait permettre à un théologien de génie de changer la situation.

BiBUoCRAPiiiE. —.S. Bonaventuræ Opéra omnia, Quaræchi, 1883 sq., t.lll.p. 69. Scholion ; Fr. Guilelmi Guarrae…. Quæstiones disputatæde Immaculata Conceptione beatæ Muriac Virginis. Quaræchi 1904, Préface, c. i ; Prosper de Martigné, La scolasli(iue et les Traditions franciscaines, Paris, 1888, c. V, p. 362-87 ; F- Cavallera, S.J., L’fnimacalée Conception (Positions franciscaines et dominicaines avant Duns Scol), dans Revue Dans Scol, Paris-Havre, 1911, p. 101.

W.’rôl)be, JJie Stellungdes hl. Thomas von Aquin zu dvr unbeflechten Empfangnis der Gottesmutter, Miinster, 1892 ; Ch. Pesch, S. i., De TJeo creanteet élevante, a. 3a3-45 ; D. Laurent Janssens, O. S. B., Tractatus de Deo-Ilomine, P. II, p. 130-151 ; X. Le Bachelet, Sa(n< Thomas d’Aquin, Huns Scot et l’Immaculée Conception, dans Recherches de Science religieuse, Paris, 1910, p. 692-609. — En faveur des grands scolastiques : Joseph a Lconissa, cap^ Dogma im/iiaculalæ Conceptionis et Doctorum Angelici et Seruphici doclrina ; Medii aevi doctores de Immaculata Conceptione B. V. Mariae, dans Divus Thomas, Rome, 1904, l905, sér. H, t. V, p. 63a ; t. VI, p. 650 ; N. del Prado, O. P., SaïUo Tomds y la Inniaculada, Vergara, 1909.

6. La réaction scotiste : la dernière étape. —Déjà dans le dernier quart du xiii= siècle, deux fils de saint François se présentent en champions résolus de la pieuse croyance. C’est d’abord, en Espagne, le B Ra-ïmond Lull (f 1315), qui séjourna quelques années en France, à Paris et à Montpellier, vers 1287-1291. A s’en tenir aux écrits certainement authentiques et à ce qui, dans ces écrits, peut être considéré conmie primitif, on trouve que, dès 1 183, dans le Liber amici et amati ou Itlaquernae anachoretæ interrogationes etresponsiones, il affirme incidemment le glorieux privilège en disant de Marie, n. 276 : a In qua qui cogitât maculam, in solecogitat tenebram. » Il expose directement et pleinement sa pensée dans un autre ouvrage, paru à Paris en 1298, Disputatio Eremitæ et Baymundi super aliquibu.^ dubiis quæstionibus Sententiarum Magistri Pétri Lombardi, q. xcvi. Utrum beata Virgo contraxeril peccatum originale. Dans sa conclusion il ne niepas seulement que la bienheureuse Vierge ait contracte le péché originel, il affirme même qu’elle fut sanctifiée au moment de la première conception : « Imo fuerit sanctificata, scisso semine, de quo fuit, a suis parentibus. »

L’autre champion est Gotllaume Ware (Guarra,

Varro, etc.), franciscain d’Oxford, où il semble avoir

eru Duns Scot pour disciple. Son Quæritur utrum

beata Virgo concepta fuerit in originali peccaio, 265

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publié à Quaracchi en 1904. est connue une anlicipalion de l’enseignement du Docteur subtil, qu’il surpasse même par l’ampleur de la démonstration {possibilité, co.nvenniice, réalili} du l’ait) et pai’la fermeté des conclusions. Sa doctrine se rattaclie étroitement à celle d’Eadiner, et c’est apparemment à sa suite qu’il étend la sainteté de la conception à la cbair comme à l’àme do Marie, mais en distinguant entre a purification Ae la chair et la ja/ic/i’/icaiion de l’àme, dont la première a lieu dès le début de la conception et l’autre au moment de l’animation : caro niiindata fuit in conceptione, non tanien san.cti/icala.

Mais c’est à Duns Scot (1266 ou 1274-8 nov. 1308) qu’était réservé l’Uonneur de devenir le champion attitré de la Vierge Immaculée. Légende ou enjolivement mis à part, il est incontestable qu’il traita deux fois la question : Ulrum beata Virgo concepta fueiii in originali peccato, la première fols à Oxford, Sent., III, dist. iii, q. i (éd. Vives,. XIV, 169 ; texte plus soigné dans la réédition de Quaracchi), la seconde fois à Paris, Reporlata, 1. UI, dist. iii, q. 1 (éd. Vives, XXIII, 261), et que, sous son influence, la pieuse croyance prit en Occident un essor définitif. Scot obtint ce résultat en traitant le problème d’une façon plus polémique que positive, moins en établissant les fondements de sa propre thèse qu’en renversant les objections contraires. Il se contente, au début, de faire appel aux deux textes classiques de saint Augustin, De natiiru et gratia, c. xxxvi, et de saint Anselme, De conccptu t’irginali, c. xviii ; puis il s’en prend direclemenl aux arguments et aux diflicuUés des adversaires ; mais il se trouve qu’en les réfutant il établit du même coup la possibilité et la convenance du glorieux privilège.

D’après les grands docteurs du xm’siècle, proclamer Marie immaculée dans sa conception, c’est la soustraire à l’universollo rédemption du genre humain par Jésus-Christ, et ainsi diminuer l’excellence du Fils pour rehausser celle de la Mère. Le Docteur subtil retourne l’argument contre ses auteurs à l’aide d’une distinction heureuse et qui n’était pas sans fondement dans la Tradition patristique. Il y a deux sortes de rachat : l’une consiste à paj’er la rançon de quelqu’un quand il est déjà dans les fers : rédemption libératrice ; l’autre consiste à la payer avant que le droit de servitude ne s’exerce, bien qu’il soit acquis : rédemption préser^-airice. Un rachat de la seconde sorte n’est-il pas plus noble, plus appréciable, plus parfait dans son elHcacité, et par conséquent plus glorieux pour le bienfaiteur comme pour le bénéficiaire ? En faisant à sa Mère bénie une application anticipée de ses mérites pour la préserver de la taclie originelle que, fille d’.Vdam déchu, elle devait naturellement encourir, Jésus-Christ devient donc pour elle plus parfaitement et plus pleinement Rédempteur ; loin d’être diminuée, sou excellence est rehaussée.

Marie, disait-on, a été conçue dans les conditions ordinaires de la génération humaine, soumise à la loi de la concupiscence ; son corps a donc été formé d’une matière infectée, et l’àme s’unissant à cette chair impure a dû contracter la souillure originelle.

— Scot donne une double réponse, l’une hypothétique et l’autre absolue. A supposer que la chair de Marie soit infectée par l’acte générateur, rien n’empêche, même abstraction faite d’une purification préalable de la chair, que son àme ne puisse être sainte au premier instant de son existence. Dans cette théorie, l’infectinn de la chair reste dans l’enfant sanctifié par le baptême ; elle n’est donc pas la cause nécessaire du péché originel dans l’àme. Dès lors, pourquoi Dieu n’aurait-il pas pu mettre la grâce dans

l’àme de Marie au moment même où il la créa, et empêcher de la sorte que la souillure de la chair n’entraînât avec soi la tache du jicclié proprement dit ? D’ailleurs l ; i dilTicullé disparaît si l’on admet la doctrine de saint Anselme, où la concupiscence n’est ni un vice positif ni une empreinte morbide, où la chair n’agit pas comme cause physiqiUe dans la transmission du péché originel, mais seulement comme cause morale, en ce sens qu’elle contient la raison ou la condition pour laquelle Dieu est irrité et refuse sa grâce à ceux qui naissent privés de l’intégrité primitive. De là résulte qu’à la chair de Marie, considérée en elle-même, s’attacherait la nécessité de contracter le péché originel (rfe/n/H/ncon //a /ie « rf(/)( ?cca/i), mais comme c’est aussi la chair qui doit plus tard donner quelquo chose d’elle-nicnie au Verbe divin et le porter, l’inimitié fait place en Dieu à la tendresse et à l’amour ; en considération du Verbe futur et de ses mérites, il orne de la grâce divine l’àme de Marie au moment où il la crée et l’unit au corps.

D’après ces principes, il était facile d’expliquer divers textes que Scot s’objecte au début de la question, sans se préoccuper ensuite d’y répondre en détail ; textes d’Augustin, de Léon, do Jérôme ou d’Anselme, suivant lesquels tout enfant conçu d’un homme et d’une femme naît avec la tache originelle, le privilège cantraii’C appartenant exclusivement à Celui qui, seul, a été conçu et est né virginalement,

— Autre chose est limmunité qui convient au Fils, autre chose l’immunité qui convient à la Mère. Marie est exempte du péché originel en fait seulement, par grâce, non pas en vertu de sa conception, puisqu’au contraire elle a, sous ce rapport, besoin d’être préservée par une application spéciale des mérites de son (ils, Rédempteur du genre humain ; aussi peut-elle, dans son cantique, proclamerDieu son Hauteur. Jésus-Christ, lui, est exempt du péché originel en droit et de par sa conception virginale, en sorte qu’il ne peut être question, pour lui, ni de rachat ni de préservation ni de purification quelconque. Là est le privilège personnel du Fils ; c’est précisément pour i|ue ce privilège fût sauvegardé, qu’il devait naître en dehors des lois communes, d’une façon virginale.

Mais ne faut-il pas que Marie soit d’abord fille d’Adam selon la chair, avant d’être fille de Dieu selon la grâce ? — Oui, si l’on entend parler d’une priorité, non de temps, mais de nature ; celle-ci, en effet, peut exister sans celle-là, ce que Scot démontre par plusieurs exemples et d’une façon qui justifie son titre de Docteur subtil. Disons simplement que, si l’acte générateur suppose logiquement le terme engendré ; si, dans cet ordre d’idées, notre pensée lombe sur Marie d’abord conçue comme fille d’Adam, puis sanctifiée comme lille de Dieu, il n’y a pas là une priorité qui exige dans l’àme de la Vierge deux états successifs, l’un de sainteté et l’autre de péché ; il y a seulement en elle, au premier instant de son existence, un double rapport : d’un côté, le rapport de fille d’Adam, qu’elle doit à sa conception humaine, soumise à la loi commune et fondant hj’pothétiquement l’obligation de contracter le péché originel ; de l’autre, le rapport de fille de Dieu, qu’elle doit à la sanctification privilégiée qui la soustrait aux conséquences de la loi commune et éteint en elle, en vertu d’une application spéciale des mérites de son Fils, l’obligation de contracter réellement la tache héréditaire.

Restait l’objection tirée des maux physiques, comme la souffrance et la mort ; maux qui, dans l’ordre actuel, sont la conséquence et la peine du péché originel. Si la Vierge n’en a pas été exempte, c’est donc qu’elle n’était pas exempte, non plus, de la cause. — La conclusion serait rigoureuse, si la 267

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présence de ces maux en Marie avait un rapport nécessaire avec le péché originel contracté de fait ; mais ces maux peuvent venir, et ils viennent réellement de notre premier père qui, en péchant, a perdu les dons primitifs pour lui-même et pour toute sa postérité. Dieune rend pas les dons d’impassibilité et d’immortalité à ceux qu’il sanctifie par l’eau du baptême ; il a pu également ne pas les rendre à Notre-Dame, même s’il l’a sanctiliée au premier instant de son existence. En ce sens, il est vrai de dire avec saint Augustin que Marie est morte à cause d’Adam et du péché, Maria ex Adam mortiia propter peccalum. In Psalm., xxxiv, n. 3, P. L., XXXVI, 335. Quoi d’étonnant, puisque le Sauveur lui-même est resté soumis à ces sortes de maux ? Il faut seulement éviter de confondre les peines d’ordre purement physique et celles qui disent imperfection morale : les premières pouvaient être utiles à Marie et rentraient dans son rôle de nouvelle Eve, associée au nouvel Adam dans l’œuvre de la réparation ; il en allait autrement des autres, surtout de la tache héréditaire.

Ayant réfuté les objections des adversaires, Duns Scot pouvait conclure à la possibilité du privilège mariai. Il ne va pas plus loin dans les Reportata, son enseignement de Paris : « Potiiit esse quod nunquam fuit in peccato originali. » Il avait dit davantage dans le Scriptum Oxoniense : a Si l’autorité de l’Eglise et celle de la sainte Ecriture ne s’y opposent pas, il semble raisonnable d’attribuer à Marie ce tjti’il y a de plus excellent. » Plus loin, dist. xviii, n. 13 (éd. Vives, p. 68^), il avait même parlé de la bienheureuse Vierge comme n’ayant jamais encouru de fait l’inimitié divine ni par le péché actuel, ni par le péché originel : o Quæ nunquam fuit inimica actualiter ratione peccati actualis, nec ratione originalis (fuisset tamen, nisi fuisset præservata). » La différence de ton n’accuse point un fléchissement dans la pensée du Docteur subtil ; elle s’explique pav la réserve prudente qui s’imposait à lui dans ce milieu parisien, où les grands maîtres venaient de soutenir l’opinion contraire et où ils comptaient encore, dans leurs disciples immédiats, de si chauds partisans.

Comment une argumentation incomplète et de forme polémique suiTit-elle pour retourner lesesprits ? Pour s’en rendre compte, il faut d’abord constater les résultats directs de la grande controverse. De l’état implicite où elle était à peu près restée en Occident pendant les dix premiers siècles, la pieuse croyance était passée à l’état explicite, soit dans la conscience des pasteurs et des fidèles qui donnaient à la fête de la Conception le sens immaculiste, soit dans l’enseignement des nombreux docteurs qui se rallièrent aux conclusions de Scot. Surtout, des questions secondaires ou d’ordre purement philosophique se trouvèrent rejetées à l’arricre-plan, et la véritable signilication du privilège mariai fut fixée, quand on eut rattaché la sainteté de la bienheureuse Vierge non pas à la conception active ni à la conception passive imparfaite, mais à la conception passive parfaite ou consommée. Dire que Marie fut exempte du péché originel ou conçue sans péché, c’était affirmer que son àme, créée par Dieu et unie au corps pour l’animer, fut au même instant ornée de^ la grâce sancliliante ; en d’autres termes, c’était affirmer que la Mère du Verbe incarné, considérée comme personne humaine, ne fut jamais, pas même un instant, atteinte de la souillure du péclié.

Enfin, pour comprendre le succès obtenu par le Docteur subtil, il faut remarquer qu’une fois la possibilité du privilège mariai démontrée, la conclusion : Videtur probahile quod excellentius est tribiiere

Mariae, tirait une grande efficacité des principes que les grands docteurs du xiii" siècle professaient sur la sainteté exceptionnelle de la Mère de Dieu. Tous admettaient l’assertion d’Augustin : Quand Il s’agit de péchés, qu’il ne soit point question de Marie ; et celle d’Anselme : Il convenait que la Vierge Mère brillât d’une pureté sans égale au-dessous de Dieu. De

« celle qui a enfanté le Fils unique du Père, plein de

griice et de vérité », le Docteur angélique avait dit, q. XXVII, a. I : « Il est raisonnable de croire que, pour les dons de la grâce, elle l’a emporté sur tous les autres, u

De ces principes et autres semblables ils avaient conclu, non seulement à l’immunité de Marie par rapport à toute faute actuelle et même tout mouvement déréglé de la concupiscence, mais encore à sa sanctification dans le sein de sa mère, cito post animationem (Albert le Grand, saint Bonav., saint Thomas), mox et subito (Henri de Gand), eodem die cito post constitutionem ejus naturæ (Richard de Middleton). En un mot, ils étaient arrivés à proclamer la toute-sainteté de la bienheureuse Vierge, sauf en sa conception, au premier instant de son existence. Pourquoi cette restriction, cette unique exception ? Evidemment parce qu’ils jugeaient la chose impossible, non pas d’une façon absolue, mais relativement parlant, dans l’ordre actuel où tout rejeton d’Adam est un racheté du Christ. Or Aoilà que, dans l’argumentation du Docleur subtil, le privilège se présentait comme possible, possil>le dans l’ordre actuel, grâce à une notion du rachat plus honorable pour la Mère et plus glorieuse pour le Christ Rédempteur. Dès lors, le privilège ne devait-il pas rentrer dans le principe général, comme une application de détail, ou mieux, comme une première application dans une série indéfinie ? L’obstacle étant renversé, la possibilité entraînait la convenance positive, et celle-ci garantissait la réalisation effective. L’argument, ébauché par Eadmer, pouvait désormais s’énoncer dans toute sa plénitude : Potuit, decuit, ergofecit. Le travail des siècles suivants consistera, principalement, à développer le decuit et à corroborer le fecit par l’étude et par l’exploitation des éléments positifs du dogme, enveloppés dans les saintes Lettres et l’ancienne Tradition.

Le triomphe ne fut pas complet dès le début ; la lutte continua, elle fut longue, parfois passionnée, car les camps se formèrent et se tranchèrent, ayant à leur tête d’un côté les franciscains, de l’autre les dominicains ; mais l’impulsion était donnée, et le mouvement d’avance ne devait plus s’arrêter. De temps à autre, quelques faits plus notables marquent comme une étape dans la monotonie relative de cette lutte plusieurs fois séculaire. Introduction de la fête à la cour ponliCcale, à une époque qui n’a pas encore été nettement déterminée, mais qui semble restreinte au second quart du xiv’siècle, pendant le séjour des papes en Avignon. Décret porté, le 17 septembre i^Sg, par les Pères du concile de Bàle, alors sehisuiatique, et déclarant la doctrine de l’Immaculée Conception

« pieuse, conforme au culte d^ l’Eglise, à la foi catholique, 

à la droite raison et à l’Ecriture sainte ». Actes des Universités, qui exigent des aspirants aux grades académiques le serment de défendre la pieuse croyance : Paris 1469. Cologne 1499. Mayence 1501, Alcala et Salamanque ifii^etiGiS. Constitution Cum præcelsa en 1476, où Sixte IV inaugure la série des actes officiels du magistère suprême, en approuvant la fête de la Conception, avec une messe et un ollice, composés par le franciscain Lkonard de Nogarolk, qui ne laissaient pas place à l’équivoque. Réserve significative des Pères du concile de Trente, protestant, le 17 juin 1546, qu’il n’entre point dans leur 269

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intention « de comprendre dans ce décret, relatif au péclié originel, la bienheureuse et immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu ». Bulle Sallicitudo omnium ecclesiaruni, 8 décembre 1661, où Alexandrk Vil expose comme il suit le critalde objet de la fête : « Assurément, elle est ancienne la dévotion dont les lidéles font preuve envers la bienheureuse Vierge Marie, quand ils croient que, dès le premier instant de sa création et de son union au corps, son àme a été par une grâce et un privilège spécial de Dieu, en vue des mérites de Jésus-Christ son fils, rédempteur du genre humain, pleinementpréservéedela tachedu péché originel, et qu’ils célèbrent en ce sens avec beaucoup de solennité la fêle de sa Conception.)> Enfin, extension et imposilion de la fête à l’Eglise universelle par Clkmknt XI en i^oS, constitution Commissi nohis. Acte décisif, dans l’ordre prutiijue. Les Bernard et les Thomas d’Aijuin avaient objecté : On ne doit fêter que ce qui est saint : l’argument se retournait en faveur de la conception de Marie.

Un siècle et demi devait encore s’écouler jusqu’au couronnement de l’œuvre par la définition solennelle du 8 décembre 1854. Ce fut le terme légilime du long travail d’élaboration théologique qui s’accomplissait dans l’Eglise depuis des siècles et qui devint plus intense à l’approche de la décision ; travail qu’il nous a été impossible de suivre en détail, mais dont la bulle Ineffahilis a consacré les résultats en les utilisant,

BiBLioGHAPHiE. — Fv. GuUelmi Guarrae, Fr. Joannis Duns Scoli, Fr. Pétri Aureoli Quæsiiones dispuiatae de Immaculata Cnnceptione lieatæ Muriæ Viroinis. Quaracclii, 1904 ; F.Cavallera, Guillaume Ware et l’Immaculée Conception, deux articles dans//er « e /) «  « *." « co/, igii, p. 133, 151 ; A. R. Pasqual, Vindiciae /.n///flHrte. 1. 1, p. 433, Avignon, 1778 ; S. Bové, préface du f.iber de Immaculata beatissimæ Viri ; inis Conceptione, attribué à Raymond LuU et réimprimé dans Biblioteca de la Ret’isia f.i’Ilinna. Barcelone, 1901 sq. ; X.LeBachelet, Saint Tliomasd’Aquin, Duns Scot et l’Immaculée Conception, déjà cité ; Prosper de Marligné, La scolasiique l’t les traditions franciscaines, c. V ; P. Pauwels, O. F. M., Les franciscains et l’Immaculée Concejition, Malines, igo^ ; Cand. Mariotti dei Minori, L’/mmacotata Concezione di Maria ed i Franriscuni, Quaracchi, 1904.

Bourassé, llullarium Murianum, etc., dans Summa aurea de laudibns B. M. Virginis, t. VII ; P. Doncoeur, /.es premières iiilcrt’entions du Saint-Siège relatiies a l’Immaculée Conception (xiixiv " siècles), extrait de la Revue d’histoire ecclésiastique, VIII, n. 2-4 ; IX, n. 2, Louvain, 1908 ; Mgr Péohenard, 1^’Immaculée Conception et l’ancienne Université de Paris, dans lievue du clergé français, igoS, t. XLI, p. 226, 383 ; A. Krôss, S. J.. Die I.elire von der Untipfleckten Empfangnis auf dem h’onzil von Trient, dans /.eitschrift fur kaiholische Théologie, t. XXVIIl, p. ^58, Inspruck, 1904.

Sur l’histoire de la croyance et de la fête : Th. Strozzi, S. J., Controversia délia Concezione délia B. V. Maria, 2’éd., PaIerme, 1708 ; B. Plazza, .S. i., Causa Immaculalæ Conceptionis Sanctissimae Matris Dei Mariæ Dominæ nostrae, Palerme 1747 et Cologne 1761 ; M. A. Gravois, O. F. M., De ortu et progressa cultus et festi Immaculati Conceptus beatæ Dei Genilricis V. M., 2" éd., Lucques 176^ (réimpr. dans Su/nma aurea, VIII, 289). En outre, on trouvera des matériaux énormes, mais de valeur inégale, dans les nond)reux ouvrages de Pierre de Alva : Armamentum Seraphicum, Madrid 1648 ; lUbliotheca Virginalis, 1O49.’Sol veritatis. 1660 ; Uadii Solis veritatis ; Militia universulis, Louvain,

1663, etc., et surtout dans les recueils publiés par ce Père dans cette dernière ville et contenant des traités ou sermons d’anciens auteurs sous le titre général de Monumenta immaculatæ conce/jtionis : antiqua… ex variis authoribus, 2vol., iGG4 ; antiqua… ex novem authoribus, 1664 ; antiqua seraphica, i&&b ; doniinicana, 1666 ; italo-gatlica, 1666.

III" PARTIR. Synthèse des preuves.

La bulle Ineffabilis Dtus ne représente pas, dans son fonds, une élucubi-atioii personnelle. A la suite des travaux de la Commission préparatoire, un résumé fut fait des arguments dont le rédacteur devrait s’inspirer : « Silloge degli argomenii da servire ali estensore délia Bolla ». Sardi, op. ci/., t. ii, p. 46. Trois chefs de preuves étaient spéciliés : la convenance, l’Ecriture sainte et la Tradition. Les trois arguments, inégalement développés, se retrouvent dans la bulle ; ils forment les assises du dogme délini.

I. Convenance. — Cet argument se rattache au litre incomparable de Mère de Dieu et au rôle unique qui en résulte pour Marie dans l’œuvre de la rédemption. Aussi Pie IX commence-t-il par rappeler, comme raison dernière des insignes privilèges accordés à Ik bienheureuse Vierge, l’union étroite qui existe, dans le plan divin, entre le Verbe incarné et sa Mère bénie. De toute éternité. Dieu décrète le rachat du genre humain par son Fils unique, et il lui choisit une mère, aimée d’un amour de prédilection ; de là ces incomparablesprivilèges de grâce, en particulier la parfaite exemption du péché et la pleine victoire sur l’antique serpent ; c’était de toute convenance, et quidem decehat omnino.

Que cet argument ait des racines profondes dans l’ancienne Tradition, toute l’étude qui précède le démontre ; nous l’avons rencontré chez les Pères grecs, plus lard en Occident chez ceux qui, les premiers, iléfendirentexpressément le privilège mariai, Eadmer el autres théologiens du xii’siècle. Les grands orateurs chrétiens en ont tiré, comme on le sait, un parti magnifique ; Bossuet, par exemple, dans ses sermons pour la veille et pour la fête de la Conception : « Je dis que les malédictions si universelles, que toutes ces propositions, si générales qu’elles puissent être, n’empêchent pas les réserves que peut faire le Souverain, ni les coups d’autorité absolue. Et quand est-ce, ô grand Dieu, que vous userez plus à propos de cette puissance qui n’a point de bornes et qui est sa loi à elle-même ; quand est ce que vous en userez, sinon pour faire grâce à Marie ? — Si tout est singulier en Marie, qui pourra croire qu’il n’y ait rien eu de surnaturel en la conception de cette Princesse, et que ce soit le seul endroit de sa vie qui ne soit marqué par aucun miracle ? Et n’ai-je pas beaucoup de raison, après l’exemple de tant de lois dont elle a été dispensée, de juger de celle-ci par les autres ? » DF.uvres oratoires, éd. Lebarcq, t. I, p. 233 ; t. ii, p. 246.

Sous sa forme complète, l’argument de convenance aboutit à l’affirmation du privilège : Potuit, decuit, ergo fecit. ()ne rapport entre les prémisses et la conclusion " ?Une explication le fera comprendre. Quand il s’agit des œuvres divines, deux sortes de convenance sont à distinguer. Il peut être question de la simple convenance qui s’attache à tout ce que Dieu opère ell’ectivement, convenientia rci fnclne, car Dieu ne peut rien faire d’inconvenant ; mais cette simple convenance n’em|)orte jias, de soi. l’inconvenance positive de l’effet contraire, deux choses également faisables par Dieu pouvant avoir la raison de moyens suflisants pour la fin qu’il se propose : aussi cette première sorte de convenance n’engage Dieu à rien 271

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272 :

avant l’action, elle le laisse pleinement libre de ses mouvements.

Par contre, il arrive qu’entre deux choses absolument faisables, l’une ait, en vue de la lin que Dieu se propose, un rapport de proportion et de conformité dont l’autre est dépourvue ; il n’y a plus alors simple convenance, mais convenance rigoureuse, qui s’impose moralement à l’agent parfait qu’est Dieu, convenienliai rei faciendae. C’est une convenance de ce second genre que les partisans de l’Immaculée Conception voyaient en ce privilège et qui justiliait pour eux ce raisonnement : Poluit, (leciiit, ergo fecit. Les fidèles allaient comme d’instinct au même terme ; de là, chez eux, de l’étonnement, du malaise, parfois de l’irritation, quand un prédicateur se permettait d’attaquer en chaire la sainte conception de la Mère de Dieu.

Reconnaissons toutefois que l’argument de convenance, pris en soi, ne mène pas jusqu’au dogme tel qu’il a été défini par Pie IX. S’il permet d’affirmer la vérité de l’Immaculée Conception, il ne suffit pas à rétablir comme vérité divinement révélée. Ce qui explique que des théologiens, admettant d’ailleurs cet argument et sa force probante, ne considéraient cependant pas le privilège comme définissable de foi divine.

2. Ecriture sainte. — Deux textes sont directement utilisés dans la bulle : Gen., iii, 15 et Luc, i, 28, 42. Ils ont été étudies ci-dessus : Maaib dans l’Ecriture sainte, col. 117119 ; 137- ; 38. Des explications données alors il résulte que ces textes renferment un témoignage, non pas explicite, mais implicite en faveur de l’Immaculco Concept ion. Quelques remarques attireront l’attention sur l’inetlîcacité des attaques auxquelles l’un et l’autre ont donné lieu. Dans les premières rédactions de la bulle, l’argument d’Ecriture sainte avait été présente à part, comme pleinement distinct de la preuve patristique. Sabdi, op. cit., t. II, p. 28 sq., 77 sq. Cette manière de procéder fut critiquée, et les textes bibliques, de même que les figures et les images de la Vierge tirées de l’Ancien Testament, furent rattachées à renseignement des Pères, § Eqiiidem Patres, el, par conséquent, présentées comme argument patristicoscripturaire.

En ce qui concerne l’oracle génésiaque, le sens et la portée exacte de l’argument sont indiqués dans les travaux de la Commission, Brève esposizione degli Alti.., , op. cit., t. I, p. 796. Deux conclusions sont posées : 1° On ne peut pas tirer d’argument solide des paroles : Ipsa conterel caput tiiiim. 20 Les paroles qui précédent : Inimicitias ponam inter te et muUerem, etc., fournissent un fondement solide en faveur du privilège mariai. La raison de cette seconde conclusion se ramène à la communauté qui existe, sous le rapportdes inimitiés avec le serpent, entre le rejeton de la femme et la femme elle-même, e’e.stà-dire entre Jésus-Christ et sa Mère. En attribuant cette doctrine aux anciens Pères et aux écrivains ecclésiastiques, les théologiens de Pie IX n’invoquent pas, pour ce qui est de Marie, une tradition explicite, mais seulement ce qu’ils appellent « una tradizione allusiva a quel luogo », c’est-à-dire une tradition se manifestant par des allusions à la lutte et à la victoire de la Mère de Dieu en union avec son Fils ; telles les allusions contenues dans les textes réunis col. 1 19.

La preuve, qu’on peut tirer des paroles adressées par l’ange à la Vierge, est présentée à peu près de la même façon. Ces paroles, concluent les consulteurs, ne sutlisent pas, par elles-mêmes, à i)rouvcr le privilège de l’Immaculée Conception ; pour qu’elles aient cette efficacité, il faut y joindre la tradition

cxégétique des saints Pères. Ihid., p. 799 sq. On peut juger des témoignages qu’ils invoquent par ceux qui ont été rapportés au cours de cette élude, par exemple, col. 226, 280, 281.

Les adT » ersaires de la bulle Ine/j’abilis s’ai)puienl donc sur un faux supposé, quand ils reprochent aux. théologiens de Pie IX d’avoir fondé leur argumentation sur une leçon fautive de la Vulgate : Ipsa conteret caput tuum. En affirmant que, parmi les anciens Pères, nul n’a entendu l’oracle génésiaque ou la salutation angélique dans le sens immaculiste, ils ne tiennent compte que de l’interprétation directe et explicite ; ils oublient, à tort, la doctrine de Marie nouvelle Eve, qui se rattache aux deux textes, les fréquentes allusions à la pleine victoire de cette nouvelle Eve et les magnifiques commentaires des Pères grecs sur le xcyyf^i-Muijr, ou la pleine de grâce. 3, Tradition. — La bulle nous propose la Tradition 90US deux aspects généraux, qu’il importe de ne pas confondre : au sens passif ou objectif de vérités transmises de siècle en siècle, et au sens actif ou subjectif de règle vivante de la foi sanctionnant ou interprétant les vérités transmises. A l’un ou à l’autre de ces aspects, suivant le point de vue qu’on considère, peuvent se ramener les facteurs multiples qui sont de nature à favoriser la transmission ou le développement des vérités anciennement acquises, et l’exercice du magistère ecclésiastique, qui reste toujours la règle dernière de la foi catholique.

Ce n’est nullement par hasard que l’argument, emprunté à l’anlorilé de l’Eglise romaine sanctionnant la pieuse croyance, se lit en i)remier lieu dans la bulle, avec ènumération détaillée des interventions réiiétées et toujours de plus en plus expressives des souverains Pontifes. Dans le schéma primitif, la preuve de Tradition patristique précédait ; des évèqucs suggérèrent d’intervertir l’ordre, pour mettre mieux en relief l’importance de l’argument tiré du magistère, comme étant pour un vrai croyant l’argument décisif. Certains, comme le cardinal Sehwarzenberg, auraient même préféré une simple définition, sans raisons à l’appui. Cette dernière luotion ne fut pas agréée, mais Pie IX approuva la première suggestion, et l’argument tiré « du fait de l’Eglise I fut mis en tête de ligne. Sardi, op. cit., t. ii, p. 207, 235, 291, 296, 800. Si donc nous croyons fermement, dans l’Eglise catholique, que la conception immaculée de Marie est une vérité, et une vérité divinement révélée, c’est d’abord et surtout à cause de l’autorité infaillible de l’Eglise, qui l’a solennellement définie.

Plusieurs facteurs ont concouru au résultat définitif en le préparant ; tels, dans la période où la pieuse croyance s’accentua, se (ixa et finalement s’imposa, les facteurs brièvement mentionnés dans la bulle, S Omnes ua/em nurunt : ordres religieuXj universités, docteurs les plus versés dans la science des choses divines, évêques agissant à titre individuel ou collectif. Ajoutons les fidèles unis aux pasteurs, et nous aurons cet ensemble qui, dès la première moitié du xvii’siècle, faisait dire au docte et grave Petac, De Incarnatioiie Verhi, 1. XIV, c. 11, n. 10 : « Ce qui m’impressionne le plus et me pousse de ce côté, c’est le consentement commun de tous les fidèles qui portent fixée au fond de leui-s esprits, et qui attestent par toute sorte de manifestations et d’hommages, la cioyance que parmi les nuvres de Dieu rien n’est plus chaste, plus pur. plus innocent, plus en dehors de toute souillure et de toute tache que la Vierge Marie ; qu’il n’j' a rien de commun entre elle et le diable ou ses suppôts, et que par conséquent elle a été exempte de toute offense vis-à-vis de Dieu et de tout sujet de condamnation. » 273

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Tous ces facteurs en supposent eux-mêmes un nuire, qui avait précédé : la Tradition vivante des Pores dont l’enseignement, moins explicite à mesure (fu’on remonte davantage le cours des siècles, est comparable à une esquisse et à des semailles, « si qua antiquitus in/ormata s(."/et Patrum (ides sévit ». La bulle donne les principales manifestations, comme nous l’avons fait pour les temps postépliésiens. Dans les siècles plus reculés nulle doctrine explicite sur la Conception de Marie, de l’aveu des rédactexus du Silioge degli argomenti, op. cit., t. II, p. ^8 : (( Non est dilBtendura inter Patres ceterosque scriptores, qui velustioribus Eeclesiæ aetatilms vixere, nondum repertos qui apeitis vcrbis allirmaverint beatissimam Virginem sine originali peccato esse conceplam. » Il faut se contenter de ce que les consulleurs appellent des indices et comme des vestiges,

« quædam indicia et quasi vestigia ».

Entre cette Tradition active elle dépôt primitif de la révélation divine, quelle connexion poser ? La réponse à cette question formera la conclusion de notre élude.

4. Conclusion : comment l’Immaculée Conception a été révélée. — Parmi les théologiens de la Commission préparatoire, quelques-uns recoururent à une, Tradition objective, datant des Apôtres et suliisant à elle seule pour entraîner une délinition. La plupart n’allèrent pas si loin ; ils jugèrent seulement que la Tradition active se présentait dans des conditions qui garantissaient une connexion objective entre la vérité transmise et le dépôt primitif ; ce qui se vérifie soit que la Tradition active se relie à une Tradition orale primitive, soit qu’elle représente l’expression d’une vérité Implicitement contenue dans les <u’acles divins, interprétés sous la lumière de la foi et de la doctrine catlioli(]ue. Rien de tranché làdessus : l’Immaculée Conception nous est simplement proposée « comme une doctrine qui, au jugement des Pères, est consignée dans les saintes Lettres et qu’ils ont eux-mêmes transmise en de nombreux et graves témoignages. » Dans la formule de délinition, rien n’a été dit sur la valeur respective des preuves alléguées ni sur les rapports de dépendance mutuelle qu’elles peuvent avoir ; bien plus, aucune preuve n’a été spécifiée. Seuls quelques passages de la bulle, celui-ci par exemple : Patres Ecclesiæque scriplores cæleslilms edocti eloqiiiis docuere, etc., confirment ce qu’on a déjà vu (le la volonté formelle de ne pas disjoindre l’Ecri-Uire et la Tradition active.

Sansvouloli- trancher ce que l’Eglise n’a point tranché, contentons-nous de dire que l’hypothèse d’une tradition orale primitive, formelle, complètement distincte ouindépendante des saintes Lettres, est sujette à de graves dillicultés : sans compter ce qu’elle a d’invérifiable et oe qu’elle semble avoir d’arbitraire, on ne s’explique guère alors ni l’absence de témoignages formels pendant tant de siècles, ni les controverses si vives qui ont existé jilus tard, soit en Occident, soit en Orient. Reste que le privilège mariai ait son fondement dernier dans la sainte Ecriture, Gen., lii, 15 et Luc., i, 28, ^2, interprétés par la tradition active, mis en parallèle et éclairés l’un par l’autre, peut-être à l’aide de doniiées primitives sur le rôle de Marie comme nouvelle Eve.

La vérité plus générale où le privilège est contenu, semble être la notion de Mère de Dieu, non pas la notion abstraite qui énonce simplement le rapport de génération physique, mais la notion concrète de Mûrie Mère de Dieu, telle que celle-ci nous apparaît dans la révélation prise intégralement, c’est-à-dire Marie traitée vraiment en mère par son divin Fils et constituée, dans l’œuvre de la

réparation, nouvelle Eve, associée au nouvel Adam. C’est cette notion concrète de Marie Mère de Dieu, suflisamment indi({uée par la sainte Ecriture et corroborée par le sentiment de l’Eglise, qui est devenue pour les anciens Pères comme une valeur première dont ils ont exploité l’inépuisable contenu. Sous cet aspect, l’Immaculée Conception rentre, comme un détail, dans la sainteté ou les perfections propres à la Mère du Verbe incarné, telle qu’il Va voulue, et décemment voulue. C’est Marie sainte et pure, quand son âme sort des mains du Créateur et s’unit au corps qui devait porter l’Homme-Dieu ; sainte et pure alors comme en sa naissance, comme au jour de l’Annonciation, comme dans l’ineffable nuit de l’enfantement divin, comme dans toutes les circonstances de sa vie unique. Suivant la jusie réllexion de Scuekben, art. ICmpl’(i.ni(niK du Kirvlienle.mkon, 2’éd., t. IV, col. 462 ; « Pour bien apprécier la place de cette doctrine dans la Tradition, il ne faut pas la considérer comme une vérité isolée, mais comme faisant partie de l’idée générale que l’Eglise a toujours eue de la sainteté de Marie et de son rôle dans l’économie de la Rédemption. »

Bmi, ioGRAPHiE. — La synthèse des preuves de Plmmaculée Conception, déjà bien amorcée par les grands théologiens postérieurs au concile deTrente, par exemple Suarez, In 111"" (De mysteriis), disp. III, sect. V, se trouve, perfectionnée et complétée, surtout dupointde vue scripluraire et patristique, dans les cours de théologie plus récents. La plupart des auteurs touchent la question dans le /Je Verbo incarnalo : Schecben, Handlnicli der kalbolischen Dogmatik, t. III, p. 279, Fribourg-en-Brisgau, 1882 ; J. Pohle. Lehrhuck der Doi^matik, t. II, p. 267, 4" éd., Pnderborn, 1909 ; trad. angl. sous le titre de Mariology, par A. Preuss, Saint-Louis (Mo.), 1914, " L. Janssens, />e Deo Ihimine, II, p.30 ; G. Van Noort, De Deo Redemptore, sect. lii, 2" éd., Amsterdam, 191 o. D’autres rattachent la question au péché originel : Palmieri, Iraclatus de peccato originali et de Inimuculato B. V.Deiparæ Conceplu, 2" éd., Rome, igoi ; Ch. Pesch, De Deo créante et élevante, sect. iv, a 4- D’autres, formant de la Marialogie un traité distinct, y font naturellement rentrer l’Immaculée Conception : A. M. Lépicier, Tractatus de B. Virgine Muria Matre Hei, P. ii, c. 1, 3’éd., Paris, 1906 ; C. van Crombrugghe, Tractatus de B. Virgine Maria, c. m. Gand, igiS, Pour plus de développement, voir les ouvrages d’ensemble : G. Passaglia, De immaculato Deiparae semper Virginis Conceptu commentarius, Rome 1854 et Naples 1855 ; MgrMalou, évêque de Bruges, L’Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie considérée comme dogme de foi, Bruxelles, 1857 ; Th. Harper, S. J., Peace through the Trnth, ° Série, 4° essai (réponse au D’Puse.y), Londres, 1866 ; Ed. Preuss (après sa conversion), Zum Lobe der unbefleckten Empfângnis von Einem der sie vormals gcldssert liai, Fribourg-en-Brlsgau, 1879 ; Hilaire de Paris, ord. Cap., Notre-Dame de Lourdes et V Immaculée Conception, Lyon, 1880 ; X. M. Le Bæhelet, L’Immaculée Conception : I. L’Orient ; U. L’Occident, Paris, 1902 ; Mgr UUathorne, The Immaculate Conception of the Mother of God, revised by Canon Iles, Westminster, 1904 ; J- B. Terrien, S. i., L’Immaculée Conce/ition, Paris, 1904 (extrait de La Mère de Dieu, t. I) ; L. Ivûsters, S. J., Maria, die unbefleckt Empfangene, liatisbonne, 1906 ; J. Mir y Noguera, S. J., La Inmarulada Concepcion, Madrid, i^o5.

Recueils d’ordre documentaire ou bibliographique : Pareri delV Episcopalo cattolico, di CapitoU,

di Congrega-.ioni, di l’nifersita, di Personagi ragguardevoli ecc. ecc. sttlla Definizione dogmatica deir Immiicolato Concepimeiito délia B. V..Varia, lovol. in-8°, Rouie, 1850-5^ ; A. de Roskovany, «  «  « / «  Virgo Maria in suo Conceptii inuiiaculata ex monumentis omnium sæciilorum demonsirata, g vol. in8". Budapest, 1873-81 (insuflisanl du point de vue critique) ; ?. Escartl. Ribliogiaphie de l’Immaculée Conception, dans Polrbihlion, parlie littéraire, déc. 1879, janv. et fév. 1880 ; G. Ivolb, S. J., lf’eg » eiser in die Marianische Literatur, a’éd. Fribourg-en-Brisgau, 190D.

X.-M. Le Bachelkt, S. J.