Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Mariage et divorce (I. Contrat de droit naturel)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

MARIAGE ET DIVORCE.

Première partie. — Le mariage considérer comme contrat de droit naturel.
’Préliminaires. — 2° Définition du mariage. —

3° Origine et finalité : a) Thèse traditionnelle : ses preuves. — b) Thèse éolutionniste ; critique.

— 4° Caractères du mariage : A) Moralité. — B) Ohligation. — C) Unité. — D) Indissolubilité ou divorce : i) Le débat. — 2) L « méthode. — 3) Application delà méthode : a) Les motifs de l’indissolubilité. — b) Les motifs du divorce. — c) Discussion. — d) Conclusion. — e) Dernière objection. — 5* /.e Contrat naturel de mariage et les lois positives.

Deuxième partie. — Le mariage chrétien ou le contrat-sacrement

1° Le mariage chrétien est un sacrement. — 2’Caractères du mariage chrétien. A) Dignité, — B) Unité.

— C) Indissolubilité. ^- 3° Législation du mariage chrétien. — 4° Attaques contre l’Eglise à l’occasion du mariage : a) Divorces de complaisance. — b) Frais de dispenses. — c) Le congrès. — d) Casuistique du mariage. — Bibliographie.

1. — Le mariage considéré comme contrat de droit naturel

1° Préliminaires. — Si on considère le mariage comme contrat de droit naturel, et si on le distingue du mariage-sacrement, ou en général du mariage régi par une loi positive, ce n’est pas que l’on puisse admettre en fait une séparation, chez les chrétiens, entre le contrat et le sacrement. Il y a, au contraire, nous le verrons, parfaite identité.

La raison d’être de cette première étude est celle-ci. En réalité, le mariage, avant d’être élevé par le Christ à la dignité de sacrement, a été institué par Dieu. Créateur du monde. Auteur de la nature et de la loi naturelle. Il s’agit donc d’établir tout d’abord que le mariage, envisagé en dehors de toute loi divine positive, mosaïque et chrétienne, existe comme institution naturelle, et non pas simplement humaine et conventionnelle ; qu’il a ses lois, fondées sur la nature de l’homme, et notamment sur sa propre finalité, connues par la droite raison et sanctionnées par la conscience, à qui elles s’imposent au nom de l’Auteur de toutes choses.

Mais encore, pourquoi faire celle preuve ? Pour mieux voir la portée de la législation mosaïque dans l’Ancien Testament, de la législation chrétienne dans le Nouveau Testament ; pour établir l’origine et l’étendue des droits de l’Eglise en matière de mariage ; pour faire un juste départ entre les vrais droits et les prétentions abusives de l’Etat ; pom* juger de la valeur et de la moralité des lois civiles, par exemple sur le divorce, chez les divers peuples et aux diverses époques de l’histoire.

2° Définition. — Le mariage est le contrat par lequel l’homme et la femme se lient et s’associent, en se donnant et en acquérant des droits mutuels, en vue d’actes déterminés aptes à la propagation de l’espèce humaine.

3° Origine et finalité. — La première question qu’il importe de résoudre, au point de vue apologétique, est celle de l’origine du mariage. Est-il, sous sa forme de contrat bilatéral, une institution naturelle, impérieusement postulée et déterminée dans ses lois par la nature ? Ou bien est-il le résultat arbitraire de libres conventions et d’un état social plus civilisé ou plus compliqué ?

A cette question se rattache celle de la finalité du mariage. Quand un homme et une femme s’unissent, quel but poursuivent-ils ? Un but librement choisi, variable ? Ou bien, au contraire, un but obligatoire, commandé par les nécessités de l’existence, aussi impérieux que les lois de la vie ; tel que, si on le méconnaît, l’homuie aille à rencontre des lois de sa nature, de ses aspirations et de ses exigences individuelles les plus urgentes ; tel que la race humaine elle-même se nuise et se suicide ?

Origine et finalité sont intimement liées, ou plutôt ne sont que deux aspects divers d’une même loi. Si le but de l’union matrimoniale est un bien facultatif, il suit de là que celle union elle-même est purement facultative. De plus, s’il appartient à l’humanité de contracter cette union ou de ne pas la contracter, il lui appartient aussi d’en fixer à son gré les fins et les conditions. Si, par contre, le but du mariage, de par les lois constitutives delà nature, est nubien absolument nécessaire, le moyen, le mariage, est aussi nécessairement imposé que la fin par ces mêmes lois naturelles, et déterminé dans ses conditions essenlielles. Qui impose absolument la fin, impose absolument les moyens nécessaires à cette fin. L’obligation de ces deux termes est en corrélation parfaite, de même ordre et de même degré.

Les deux questions se résolvent donc par le même principe ; et cette solution, à son tour, fournira une réponse à plusieurs autres problèmes de capitale importance. Elle nous permettra, notamment, de déterminer les propriétés essentielles du contrat matrimonial.

(i) Thèse traditionnelle. — Cherchons, en premier lieu, à préciser la loi naturelle qui préside au rapprochement de l’homme et de la femme, à déterminer la portée foncière des actes qui spécifient ces relations. Xous verrons ainsi, d’une manière scientifique, si cette loi, si la portée de ces actes expriment les lois et la conception du mariage, tel que nous le retrouvons actuellement chez les peuples civilisés, et en particulier chez les peuples chrétiens. Ce sera montrer, par là même, que l’inslitulion du mariage a son origine dans les lois de la vie humaine, et n’est point une création conventionnelle des peuples vieillis.

L’union de l’homme et de la femme nait de ce fait qu’ils sont attirés l’un vers l’autre par une inclination innée à tout être humain. De ce penchant, le terme 89

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naturel et la manifestation lapins caractéristique est le rapprochement sexuel. Il ne faut rien moins, pour expriuier l’intimité de cette union, que ces paroles réalistes de l’Ecriture sainte : « Us sont deux dans une même cbair. » (Gen.. ii, 24.)

Cette sorte d’unité et d’identité, réalisée dans Vunion sexuelle, semble déjà constituer une présomption de stabilité, et non pas un simple contact passager et sans retour.

Or ce n’est là que le côté matériel et physiologique de cette union. L’élément psychnlof ; iqæ et a/f’eclif atteint bien plus intimement les deux êtres, ainsi unis, et mérite beaucoup plus d’être pris en considération. Ames et cœurs, en effet, se donnent et se fondent, dans ce rapprocliement, de toute la force de leur liberté et de leurs affections passionnées. Or cet élément alVeclif, que l’on trouve dans les natures les plus primitives, qui d’ailleurs pousse à l’union et se fortilie par elle, a pour corollaires nécessaires l’exclusivisme et la jalousie. C’est l’avis de Darwin, du D’Letourneau, de Westermarck. « Selon un mythe des thiinkets, dit ce dernier, la jalousie de l’homme serait plus ancienne que le monde lui-même. Il y a eu un temps, disent-ils, où les hommes allaient tâtonnant dans les ténèbres à la recherche du monde. Alors vivait un thlinket, qui avait une femme et une sœur, et il était si jaloux de sa femme qu’il tua tous les enfants de sa sœur, parce que ceux-ci la regardaient. » (Westermarck, Origine du mariage dans l’espèce liiiniaine, trad. fr., chap. vi, p. 116.) Mais cette volonté constante et réciproque d’être seul à posséder l’être aimé, ne renferme-t-elle pas tout ce qu’il faut pour établir une union stable, c’est-à-dire une société ? Ainsi l’amour, même réduit à ce côté inférieur, suffirait à faire révoquer en doute le fait, présenté comme conforme à la nature, de la promiscuité primitive. Le détachement et l’indifférence des unions volages ne répondent pas à la psychologie native des âmes simples. Ils naissent plutôt d’une série prolongée d’abus, chez des êtres blasés par la satiété ou pervertis par des idées fausses.

Mais cette inclination, ainsi analysée, ne reçoit qu’une interprétation très incomplète. L’union des sexes tire son caractère le plus essentiel d’un fait quien est le terme naturel, la fécondité ou la production d’un nouvel être vivant. Sans doute, la force qui rapproche les sexes est l’appétit de la jouissance que deux êtres éprouvent à s’unir. Mais cet appétit n’est que l’aspect immédiatement apparent à la conscience, le côté superûciel de l’instinct sexuel. Il est un moyen, au service de la nature, pour obtenir sa lin primordiale ; c’est l’amorce présentée à l’individu pour l’attirer à un acte dont le fruit, intiniment supérieur à une satisfaction égoïste et passagère, est la propagation indéfinie de la race humaine.

Et les lois mêmes auxquelles la nature a soumis cette propagation, montrent encore que, dans son plan, l’union de l’homme et de la femme doit être stable. L’un et l’autre, de par un don merveilleux de la nature, peuvent devenir principes de vie. Mais, de par le même plan, ils sont deux principes incomplets qui, en s’unissant, se complètent, mettent en commun leurs forces et constituent un principe unique suffisant à produire un effet commun, l’enfant. Il est vrai, l’acte même de l’union créatrice passe, mais le fruit demeure. Or l’enfant, c’est, dans l’unité de sa vie, la fusion et le prolongement des deux vies qui se sont unies pour l’engendrer. L’enfant, c’est une substance unique où vit, uni et fondu, quelque chose de la substance du père et de lamère. Dans la plus grande force et la plus saisissante vérité des termes, l’enfant est le fruit où les parents, après leur union passagère, continuent de vivre unis et fondus. Or la

persévérance de cette fusion de leurs deux vies, dans l’unité de leur fruit commun, n’appelle-t-elle pas la persévérance de leurMH(0 « entre eux et hors de leur fruit ? Qu’ils soient un en eux-mêmes comme dans leur enfant, qu’ils soient constitués en société, cela ne parait-il pas tout naturel ?

L’enfant est donc le symbole incarné et vivant de cette société créée entre les parents par lviiaturedes relations sexuelles. Mais à ce symbole correspond, chez ces mêmes parents, un étal d’âme en harmonie avec les réalités physiologiques. Si aveugle qu’apparaisse l’inclination sexuelle dans ses manifestations, il y a cependant dans son tréfonds une idée, une loi naturelle qui la pousse et qui la guide, un sentiment plus ou moins conscient qui la met en branle et qui éclate à la naissance de l’enfant : l’idée de la persistance de la vie propre dans de nouveaux êtres qui la prolongent, le sentiment de la paternité et de la maternité. L’acte générateur lie le cœur et toute l’âme des parents à leur enfant, dans lequel cliacund’eux trouve la continuation de sa vie même. Il constitue ainsi une société de chacun d’eux avec leur enfant : en lui, le père et la mère se retrouvent perpétuellement, le cœur et l’âme associés pour l’élever, comme ils le furent pour l’engendrer ; s’unissant et s’aidant pour leur grande œuvre, pour se perpétuer dans une vie qui fond loirs deux vies.

Pour cette tâche, un même sentiment les réunit ; et il se trouve cpie ce sentiment est, en même temps, une loi impérieuse elXexn : devoir le plus grave. En mettant au monde cet être incapable de se suffire une heure, ils ont pris des responsabilités, contracté l’obligation de pourvoir à toutes ses nécessités. Et ainsi, au même titre et au même degré, une nécessité morale enchaîne la vie du père et de la mère, tous deux auteurs de cet être, à la vie de leur enfant, pour lui assurer l’existence physique et l’éducation intellectuelle et morale. Et parce que l’accomplissement de ce devoir exige le concours harmonieux des deux, le père et la mère sont, à cause de leur enfant, enchaînés l’un à l’autre. Ils ne sont pas libres de prendre un engagement passager. De par la nature même des actes qui en sont l’objet, cet engagement ne peut être que durable. Il estconstitutif d’une société.

Une remarque s’impose ici, pour préciser la portée de nos arguments et des conclusions qui en découlent.

Dire que la société est exigée par la nature et les suites naturelles des relations sexuelles, c’est affirmer que la raison d’être de la société familiale ne dépend pas d’une question de fait, de la naissance réelle d’un enfant, mais du droit et du devoir que fondent les lois essentielles de ces relations et les suites normales que ces relations sont, d’ellesmêmes, aptes à produire. L’exigence qu’elles entraînent découle de leur « n^Hre, commune à tous les cas et immuable, et non point précisément des nécessités créées, dans tel ou tel cas particulier, par des circonstances accidentelles et variables. C’est im premier argument, porté en faveur de l’indissolubilité du mariage. Quand nous parlons de société, en effet, nous opposons cette idée à celled’union libre et passagère, pour en faire le synonyme d’union durable, d’une durée indélinie.

De la sorte, la société conjugale apparaît basée sur les instincts les plus profonds, les nécessités les plus inéluctables de la nature humaine. La promiscuité, au contraire, serait en contradiction flagrante avec les lois fondamentales de la vie. Elle a pour elle de favoriser le caprice, c’est-à-dire le désordre et l’anarchie. Mais elle tend, par contre, en une matière de capitale importance, la propagation de l’espèce, à nier le caractère le plus essentiel de 91

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l’homme, qui est d’être sociable. Quelques animaux peuvent plus ou moins se passer de société, parce qu’ils sont nierveilleusementservis par leur instinct, et qu’ils } sont lixés sans variation considérable. Pour une raison toute contraire, l’homme ne le peut pas. Les diverses formes de société sont, pour lui, autant de conditions nécessaires de perfectionnement. Mais, par-dessus toutes les autres, la forme de la société familiale lui est nécessaire. Etre dans la famille, ou ne pas être du tout, ou du moins n’avoir que la plus précaire et la plus dégradée des existences, telle est la question qui se pose pour l’enfant. La nature ayant soumis à ces conditions nécessaires la vie humaine, c’était exiger la vie familiale comme une loi nécessaire de la fie.

Ce n’est pas seulement au regard de la propagation de l’espèce <|ue l’homme et la femme sont deux êtres essentiellement complémentaires l’un de l’autre et, par conséquent, exigent la vie en société. La conclusion est la même, et presque aussi impérieus<s si on considère les nécessités elles intérêts des individus qui sont engagés dans l’union conjugale. A ce point de vue encore, homme et femme sont, chacun, des êtres incomplets et naturellement destinés à se compléter l’un l’autre. Us ont à s’assurer les mille soins et secours mutuels, sans lesquels l’existence la plus simplifiée est douloureusement mutilée. L’  « adjuloriiun simile sihi » de la Genèse est, dans les conditions normales, une nécessité et une loi de la nature. Donc, de ce chef encore, l’union de l’homme et de la femme a un caractère de société basé sur la nature elle-même.

b) Thèse évolutionnlsto. — A cette conception, qui l’ait jaillir l’institution du mariage des exigences les plus rigoureuses de la vie humaine et des harmonies psychologiques les plus profondes, qu’oppose l’évolutionnisme ?

Voici en gros sa thèse.

Il y a eu plusieurs stades dans les rapi)orts entre les deux sexes. Le premier est celui de la promiscuité : chaque homme s’unit librement à toutes les femmes, et réciproquement. C’est l’état de nature dans toute sa simplicité. Plus tard s’introduira le mariage par en/ècemen/ ; après lui, le mariage par achat.

Les preuves ? D’abord une hypothèse : les sauvages sont des hommes inférieurs, qui représentent à peu près l’homme primitif, celui qui descend immédiate ment de l’animal, du singe. L’histoire de l’humanité est celle de son développement, depuis cet état primitif jusqu’à l’état de civilisation actuelle. Or mœurs et institutions vont de pair avec l’état de l’industrie, chez les sauvages européens de jadis, comme chez les sauvages africains ou océaniens d’aujourd’hui. On devine, d’après cette théorie, ce que pouvait être l’union conjugale au temps où les hommes se servaient d’armes et d’outils fabriqués avec des pierres taillées ou polies. Telle est notamment la théorie fondamentale de John Lobbock, The origin of civilisation. ( Voir Fonseohivk, Mariage et Union libre, p. 8 sqq.)

Cette hypothèse, pour le dire tout de suite, peut être séduisante ; elle a le grave toi-t d’être gratuite. On connaît telles peuplades du centre de l’Afrique, industriellement très inférieures aux Européens, où les mœurs familiales sont très supérieures à celles de certains milieux très modernes et très raffinés. Chose étrange d’ailleurs, D.VRWIN lui-même, tout en s’inclinant devant les allirmations de Mac-Lennon, Morgan et Lubbock, fait des réserves qui détruisent en partie ses concessions. Il a observé les animaux les plus voisins de l’homme — et

l’homme, on le sait, pour lui « descend certainement de qielque ancêtre simien » —, il a constaté que plusieurs espèces de singes sont monogames, d’autres polygames. Mais il croit pouvoir conclure « (]u’à l’état de nature la [iromiscuilé est chose extrêmement improbable ». Cf. FoNSKonivE, Op.c, p. 20.

Outre les hypothèses, on prétend apporter encore des faits. On invoque en particulier des textes d’Hérodote, de Strabon, de Solinus. Il n’y a pas à y insister beaucoup. Il serait trop aisé de discuter la portée et le sens de tel texte, ou même l’authenticité des faits rapportés. De ce que, par exemple, chaque enfant, chez les Massagètes, donne le nom de « père » à tout homme de la tribu de la génération antérieure, et celui de « frère » à tout enfant de sa génération, on ne peut guère plus conclure à une paternité incertaine à cause de la promiscuité, que l’on ne peut conclure à une vraie parenté parce que, pour les enfants de certains milieux romains, tout ecclésiastique s’appelle familièrement « oncle prêtre ».

Au reste, on prétend avoir mieux à présenter. Puisqu’il existe encore de vrais sauvages en Afrique et ailleurs, il n’y a qu’à observer. Et ainsi, l’on cite, comme vivant dans l’état de promiscuité, certains indigènes des iles de la Reine-Charlotte, de la Californie, etc. (Voir WnsTnaMARCK, op. c, p..S3.) Malheureusement, comme le remarque le même Weslermarck (cf. Fonseguive, op. c, p. aa, 28), ces récits sont sujets à caution, viciés qu’ils sont par le caractère superficiel ou systématique des observalions. Une étude objective et impartiale des mœurs des sauvages de nos jours, dans les régions les plus variées, amène à cette conclusion que la promiscuité, si elle existe, est une exception et non pas une règle, et qu’elle constitue i)lutôt un stade de corruption et de dégénérescence qu’un état normal et primitif ; que, au contraire, dans un très grand noml )re lie peuplades sauvages, la sévérité des ma’urs, en matière de fautes ou de peines, dépasse de beaucoup ce que l’on trouve dans nos pays civilisés. L’énumération très longue et très variée, que nous fournit Westermarck (p. 61 et sqii.), apporte un argument décisif. Et l’on ne peut plus avoir de doute, quand on lit ce témoignage de Mgr Lk Roy, qui pendant un quart de siècle a vécu au milieu des races Bantoues, primitives s’il en est, de l’Afrique australe, et qui a pu mener son enquête de 1877 a nos jours, par lui-même ou par des missionnaires, du Pacifique à l’Atlantique : « Ce qui est certain, c’est que nulle part en Afiique nous ne voyons aujourd’hui trace de cette promiscuité — excepte dans les grandes steppes des zones orientales et australes. .. chez les troupeaux d’antilopes. Quant aux hommes, plus on descend vers les populations d’aspect général plus primitif, comme les Négrilles et les San, plus la famille y apparaît précisément comme la base fondamentale, nécessaire et indiscutée, delà société élémentaire, n (La Religion des primitifs, p. gb, Paris, lyog.)

On appuie encore ces théories sur certains usages qui, s’ils ne constituent pas une vraie promiscuité, en seraient du moins des souvenirs et la supposeraient.

Ainsi le matriarcat. Chez certaines peuplades, soit anciennes (par exemple, les Lyciens, d’après Hérodote), soit modernes, le véritable chef de la famille est la mère. Elle donne son nom aux enfants ; par elle s’établissent les filiations : ce qui ne peut s’expliquer, nous dit-on, que parl’incertitude delà paternité elle-même, résultant de la promiscuité.

Le fait du matriarcatexiste, mais beaucoup moins général que ne l’aflirment certains théoriciens. Il existe avec des atténuations qui ne lui enlèvent pas 93

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son importance, cliez les Basques, une des races (lù les luaurs l’aïuiliales sont les [)lus pures et les plus fortes, les plus opposées à la promiscuité.

Le l’ait est avéré, soit ; mais les conclusions qu’on en prétentl tirer ne le sont pas. En.frique, le régime du patriarcat, au dire de MgrLK Roy, parait être le plus ancien. Uesten vigueur chez les Négrilles et chez un très grand nombre de tribus bantoues.

Le matriarcat existe aussi chez nombre de peuplades, où la parenté, l’autorité et l’ordre des successions passent du coté de la mère. Mais c’est l’oncle maternel qui exerce tous les droits. De là son importance, qui est proportionnée au nombre de ses sœurs mariées, à la valeur des dots, reçues lors du mariage, et aux alliances et dots que lui apporteront les petites lilles à venir. N’y a-t-il pas là un moyen de développer la puissance de la famille à laquelle appartient la femme, plutôt qu’une relation quelconque avec la promiscuité’? Bien plus, au dire du même écrivain, une autre pensée paraît guider dans cette pratique les chefs de villages et de tribus : s’assurer des successeurs de leur sang. Or pour le chef, choisir à cet elfet un lils de sa sœur est évidemment plus sur i]ue d’accepter le ûls de sa propre femme, dont il n’est pas toujours nécessairement le père. Le régime matriarcal naîtrait donc de l’aversion pour une succession illégitime et de la crainte d’un adultère possible de sa propre épouse ; nullement de l’esprit tout opposé qu’eût laissé la pratique paisible de la promiscuité.

Le JUS primæ iioclis, d’un usage relativement récent et d’ailleurs très restreint, a été invoqué comme un vestige de la promiscuité, comme une reconnaissance Les droits de la communauté violés par la monogamie. On a voulu donner le même sens à certains usages d’hospitalité, qui obligeaient le mari à céder tous ses droits à son hôte.

Disons, d’abord, que les faits paraissent trop rares pour avoir une portée sérieuse, et se produisent plutôt chez des peuples dissolus que chez des peuples primitifs. En second lieu, il importerait d’établir qu’ily a, dans cetteprali<]uc, une loi reconnue comme telle, et non pas un compromis introduit par la crainte ou la vénalité, ou simplement la dissolution. Cette dernière surtout, jointe aux aberrations du sens moral qu’elle entraîne, ne suffît que trop à expliquer les usages cités. Il est dès lors arbitraire de recourir à des interprétations qui ne reposent sur aucune preuve positive et qui sont uniquement admises, comme une hypothèse, pour établir la préexistence d’un droit tout aussi hypothétique. Prouver une bypothèse par une autre hypothèse, est-ce bien scientilique ?

La prostitution sacrée a, on le sait, existé chez nombre de peuples d’origine sémite : les femmes devaient, ou une fois dans leur vie, soit avant soit après le mariage, ou même chaque année, se livrer aux adorateurs de certaines divinités, prolectrices de la fécondité. Dans cet abus monstrueux, on a encore voulu voir une persistance pratique du droit de la communauté sur toutes les femmes, et une preuve de la promiscuité originelle.

En réalité, il n’y a là qu’une des déviations les plus humiliantes du sens religieux. C’était pour honorer les déesses de la fécondité, et nullement pour reconnaître la loi de la promiscuité, qu’on leur dédiait, comme l’hommage d’un culte religieux, ces pratiques honteuses. Et ceci devient beaucoup plus évident si, de cette prostitution sacrée passagère, commune à toutes les femmes, on rapproclie celle à laquelle étaient vouées, par profession, les prêtresses de ces mêmes divinités. Voici, à ce propos, le témoignage d’un maître en ces questions : « Les

Sémites (sans les Arabes et les Hébreux)… transportant dans les objets de leur culte les tares qu’ils portaient en eux-mêmes, … s’ingénièrent à calmer les dieux vengeurs par l’offrande de victimes humaines et à imiter les déesses lascives par les rites obscènes des prostitutions sacrées. Parla, sans doute, ils reconnaissaient le droit des dieux sur toute vie et toute génération ; ils oubliaient que la conscience humaine a en elle un fonds de réserve et de pudeur, de pitié et de miséricorde, que la religion doit entretenir et non heurter de front. Mais en même temps, les instincts pervertis qui coexistent avec ce fonds de bonté et de moralité trouvaient leur compte dans les cultes grossiers et sanguinaires. Aussi les Israélites, dépositaires du monothéisme, se sentaient-ils sollicités par les solennités « sous tout arbre vert » qui se célébraient sur leur propre sol. Il ne fallut rien moins que l’action des prophètes, secondée par celle des rois de Juda, pour soutenir la religion de lahvé contre la poussée envahissante des pratiques babyloniennes, sjriennes et cananéennes. » (P. Dhorme, Uà en est Vliistuire des religions ? — Revue du Clergé français, i"’décembre 1910, p. 53 ;.) On doit à M. J. Gauvière, professeur à l’InsUlut catholique de Paris, une enquête historique sur Le lien conjugal et le divorce, dans les civilisations anciennes, Paris, Thorin, 8", 51 pp.

On peut encore voir sur ce sujet le Code de Ilammourabi, par. 178 et suiv., p. 87 suiv. trad. ScHBlL, Paris 1904, 2* édit.

Il est donc bien établi que la promiscuité, si elle a existé et si elle existe encore, a été et demeure une exception et qu’elle n’est nullement la règle suivie dans les relations intersexuelles ; que cette exception enlin, loin d’être liée à l’état primitif des races, est due plutôt à la perversion des mœurs natives.

Après cela, que l’alliance entre un homme et une femme se soit faite, çà et là, sous forme d’enlèvement, quelquefois réel, le plus souvent simulé et symbolique, ou encore que le mariage ait été un contrat d’achat conclu entre le prétendant et le père de la jeune ûlle, le travail de celle-ci représentant une utilité qui mérite compensation : ce sont là modalités accidentelles, qui témoignent d’une évolution dans la forme de l’institution conjugale, mais qui ne prouvent rien contre son origine naturelle, telle qu’elle a été exposée.

En résumé, vrais ou fictifs, ces faits, comme l’ensemble des arguments apportés par la thèse évolulionniste, n’ont une force probante que si l’on suppose ce qui est en question : savoir, que Vinlerprélation des faits cités est autre chose qu’une hypothèse ; que les usages constatés, çà et là, dans les relations sexuelles, ne sont pas des désordres anormaux, mais l’accompagnement normal d’un état primitif de l’humanité, une étape initiale dans sa marche ascendante vers l’état actuel, une manifestation inférieure du droit naturel. De la thèse évolutionniste on a pu faire un système cohérent et séduisant ; mais on n’aura qu’une construction idéale, un édifice en l’air, tant qu’on n’aura pas montré que ses prétendues lois sont en accord avec les lois de la vie, que son interprétation des données historiques cadre avec les lois essentielles de l’&me ou, tout simplement, avec les faits psychologiques bien constatés. Or rien de tout cela n’est solidement prouvé.

4° Caractères du mariage. — A. Moralité. — Le mariage, avec les actes <]ui le spécifient, est une institution naturelle, puisque par lui seul peuvent se réaliser et le plan de r.uteur du monde, le « Croissez et multipliez-vous », et la fin de toute la création, 95

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la glorification de Dieu par l’espèce humaine, indéfiniment propagée et perpétuée.

A ce but fondamental de l’union conjugale, se joint, on l’a vu aussi, une autre liii, secondaire sans doute, mais grandement importante pour les époux eux-mêmes : s’unir, pour se compléter et se porter secours, dans leurs nécessités et dans l’accomplissement de leurs devoirs. Rien que d’honnête en tout cela.

Autre fin de l’union conjugale, dont la poursuite immédiate pousse souvent, en pratique, à la recherche des relations matrimoniales, et dont la moralité doit être bien précisée dans sa raison d’être et dans ses limites : c’est ce que l’école catholique appelle la

« sedatio conctipiscenliæ », ou la satisfaction de l’appétit

charnel. L’inclination aux relations sexuelles, à cause du plaisir qui s’y trouve lié, fait partie du plan providentiel. Le plaisir, en principe et sauf dérèglements nés du péché originel, est une invite à l’acte, à un acte bon, ou même parfois à un devoir. Le chercher dans cette ligne et dans la mesure où il conduit au terme assigné, est donc conforme à l’économie divine. Le chercher en dehors de ce plan, au delà de cette mesure, est un abus, un désordre et un mal moral. Telle est laloide la morale chrétienne authentique, sans laxisme inconsidéré comme sans rigorisme chagrin. Seule une confusion erronée entre l’honnête et le plus parfait pourrait y faire trouver à redire.

Sainement entendu, ce principe fait déclarer honnête et ordonné le plaisir cherché dans un acte dont la un objective et naturelle est honnête, et qui est accompli dans les conditions requises par cette fin. Sera, au contraire, en opposition avec la loi naturelle tout plaisir recherché au détriment de celle lin. De là, l’immoralité des plaisirs demandés à l’abus des organes de la génération dans le vice solitaire, parce qu’ils constituent un vol fait à l’espèce humaine. De là aussi l’illicéité des relations intersexuelles en dehors du mariage, parce que l’intérêt capital de l’espèce exige que l’acte de la génération soit réservé à l’union conjugale. De là, dans le mariage même, la possibilité de graves fautes. Il n’est point nécessaire, sans doute, à la moralité des relations conjugales de leur donner comme terme de ses intentions explicites la génération. Il n’est pas nécessaire que celle-ci suive en fait, ni même qu’elle puisse en tout état de choses et toujours se produire. La poursuite des fins secondaires du mariage suffît à en légitimer l’usage. Toutefois on ne peut licitement entourer cet usage de précautions qui tendent directement à rendre la conception impossible. Rechercher les fins secondaires du mariage, même bonnes, mais exclure positivement, par ses manœuvres, la fin primaire, est un renversement pratique de la hiérarchie des fins et, par conséquent, de l’ordre naturel voulu par le Créateur. Ce vice porte un nom tristement connu, l’onanisme.

B. Obligation. — Il est hors de doute que le mariage est, pour l’humanité en général, une nécessité, puisque l’espèce humaine, dans le plan divin, doit se perpétuer, et ijus cette perpétuité n’est possible que par le mariage.

Mais ce qui est une nécessité pour l’homme en général, est-il une obligation morale pour chaque homme en particulier ? Un droit, oui ; un devoir, non. Le célibat n’est donc pas une diminution morale par la fuite devant un vrai devoir. Une inclination, nous l’avons dit, porte avec plus ou moins de force chaque homme aux relations matrimoniales ; elle a pour fin de procurer la perpétuité de la race. Mais si les inclinations qui nous portent aux actes nécessaires

à notre perfection individuelle constituent pour chaque individu une yraie loi, parce que chacun doit acquérir les perfections nécessaires à l’homme, il en va autrement des inclinations qui nous poussent à procurer des biens nécessaires à la50c(e’<e. Ces biens étant variés et souvent incompatibles l’un avec l’autre, les inclinations qui nous portent à les poursuivre ne peuvent toutes obliger chaque homme. Autrement, comme le dit S. Thomas (A"H/)/)/emen<., q. 4’. a. 2), chacun denousserait obligé de s’occuper d’agriculture, d’architecture, puisque cesemi>lois sont nécessaires à la société. Comme donc il est nécessaire à la perfectio-n de l’humanité que quelques-uns s’adonnent à la vie contemplative, si peu conciliable avec le mariage, l’inclination pour ce dernier ne peut marquer une obligation. Et cela, au regard même de la philosophie. Aussi Théophraste établit-il qu’il n’est pas expédient pour le sage de se marier. Sur le caractère facultatif de l’union conjugale, pour les individus, au point de vue physiologique, voir l’article Chasteté.

C. Unité. — Si l’on considère la fin primaire et les fins secondaires du mariage, et si on cherche le régime qui satisfait le mieux à ces fins, nul doute tpie la loi véritable soit celle de l’unité : un seul mari pour une seule femme. Ainsi se réalise la pleine concentration désaffections sur les enfants communs aux deux parents ; ainsi sont évités les partages du cœur, difficilement égaux entre séries d’enfants qui ne sont que demi-frères ; ainsi sont supprimées les préférences odieuses, toujours injustes, les jalousies, les rivalités entre conjoints multiples ; ainsi est naturellement observée l’égalité essentielle des droits entre le mari et la femme. Ces raisons, sur lesipielles il n’est pas besoin d’insister, sufiisent à faire proscrire la polygynie, ou pluralité des femmes, comme opposée aux Uns secondaires du mariage, et même comme nuisant à la bonne éducation des enfants. Ainsi, sans la déclarer absolument contraire à la loi naturelle, est-on du moins forcé de reconnaître qu’elle constitue une notable imperfection dans le régime matrimonial.

Pour la. polyandrie, ou pluralité des maris pour une seule femme, philosophes et théologiens catholiques ont toujours été plus sévères et l’ontrigoureusement condamnée au nom du droit naturel. A tous les inconvénients de la polygynie, en effet, elle joint encore ceux-ci : i) l’incertitude de la paternité, si contraire à l’instinct absolument légitime du père et si radicalement opposée à l’éducation des enfants, puisque aucun des maris n’a devoir ni même droit certain d’intervenir ; 2) il semble môme inévitable que, par suite des relations variées et trop fréquentes imposées à la femme unique, la fécondité en soit diminuée et bientôt supprimée. Tout ceci fait qu’en pratique la polyandrie, comme régime commun de famille, est tout à fait exceptionnelle, si même elle existe. Mgr Lu Roy (op. c, p. I02)affirme qu’il n’en connaît aucun exemple chez les Bantous. On a souvent parlé de la polyandrie au Tibet. Voici le témoignage d’un voyageur : « La polyandrie du Tibet a fait couler beaucoup d’encre. Les sociologistes inclinent à la considérer comme une des manifestations du parfait communisme de la famille, par lequel tous les frères ne font qu’un avec leur aîné, ayant la même femme comme ils ont les mêmes biens. Or, nous n’avons trouvé ni communisme ni polyandrie : à la mort du père, ses enfants se divisent ses liiens par parts égales et s’installent chacun de leur côté pour leur compte ; naturellement, ils ont chacun leur femme, ou même plusieurs, bien qu’assez rarement ; je n’ai pu savoir si la polygamie 97

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était facultative ou réservée au cas de stérilité. » (Commandant u’Ollo.nb, Chez les nomades du Tibet, dans Hevue des Deux Mondes du 15 février irjii, p. 850.)

D. Indissolubilité ou Divorce. — Le mariage, du simple point de vue de la loi naturelle, est-il vraiment indissoluble ? Ou bien peut-il être rompu, soit par consentement mutuel des deux époux, soit du moins par l’autorité souveraine de l’Etat ?

C’est la question la plus grave qui se pose au sujet du mariage, une des plus graves même dans tous les ordres d’idées, parce que d’elle dépendent les mœurset l’existence de la famille et, en lin décompte, de la société elle-même.

i) Le débat. — Les réponses sont contradictoires. La thèse du divorce a ses partisans, aussi bien que celle de l’indissolubilité. A l’appui de chacune on apporte, il faut bien le reconnaître, non pas seulement de purs sophismes, présentés avec habileté et passion, mais des raisons solides ; — assez solides pour ébranler d’excellents esprits, et leur faire avouer que l’indissolubilité du mariage tire uniquement son origine d’une loi positive divine.

2) La méthode de recherche. — A la base de cette incertitude, il y a tout d’abord, croyons-nous, un vice de méthode. On oublie qu’il ne sullit pas, surtout en matière de loi naturelle, d’avoir pour soi des raisons, même bonnes, pour avoir raison ; et inversement, qu’une thèse peut avoir contre soi des objections graves, sans cesser d’être certaine. Disons donc, dans la question présente, que la thèse du divorce peut avoir en sa faveur des arguments sérieux sans être cependant, tout compte fait, acceptable, légitime et conforme au bon ordre naturel. Et, de même, la loi de l’indissolubilité peut avoir et a, en effet, contre soi des arguments solides ; et cependant, on peut et on doit allirmer, nous le montrerons, qu’elle s’impose avec une vraie certitude.

Mais alors, par quelle voie arriver à une conclusion ferme, à travers cette opposition de raisons ?

Disons d’abord qu’il n’y a pas à chercher la solution dans la nature même du mariage considéré comme contrat né du consentement des parties. De ce point de vue, le mariage, ainsi que tout contrat bilatéral, prendrait Qn par la même cause qui lui a donné origine, par le libre consentement des parties. Mais ce n’est là qu’un point de vue inadéquat. Résoudre d’après lui seul le problème, c’est arriver fatalement à une conclusion fausse.

Le contrat de mariage n’est pas un contrat quelconque, laissé à l’initiative des contractants ; il est régi par la loi naturelle qui en détermine certaines clauses essentielles.

La loi naturelle, dans la matière présente, qu’estce à dire ? Nous appelons ici loi naturelle le régime, indissolubilité ou divorce, voulu par l’Auteur de la nature.

Ce régime, comment le reconnaître ? Non pas a priori, ni par une analyse d’idées, mais en cherchant quelle est la loi qui permet d’atteindre convenaljlement le bien proposé comme but de l’union matrimoniale. Chercher le meilleur régime, ce n’est pas rêver un régime qui ail, dans chaque cas particulier, tous les avantageset aucun inconvénient. Proclamer un régime meilleur, ce n’est pas déclarer que le régime opposé n’a pas, dans quelques cas particuliers, ses avantages ; peut-être même de plus grands avantages. Le régime normal ne se présente pas comme le régime parfait et le seul bon ; mais celui qui, en vue du bien essentiel à obtenir, offre une somme très notablement supérieure d’avantages, une somme très

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notablement inférieure d’inconvénients. Et c’est ce régime que l’on tient comme indiqué par la raison et imposé par l’Auteur de la nature.

De plus, ce régime, étant indiqué comme normal par la considération des résultats quil produit dans l’humanité prise en son ensemble, doit être envisagé, non pas comme une loi à modilier et adapter d’après les circonstances de chaque cas concret, mais comme la loi générale qui régit l’institution matrimoniale dans tous et chacun des cas.

Y aura-t-il lieu du moins, tout en établissant une loi générale pour l’ensemble, d’admettre des exceptions, quand une grave raison le demandera ? Oui, si cette exception peut s’accorder sans grave dommage pour la loi, et par conséquent pour le bien général qu’elle doit procurer ; non, si le principe même des exceptions possibles tend inévitablement à ruiner la loi et à compromettre le but capital poursuivi. En cette dernière hypothèse, la même nécessité qui impose la loi générale, proscrit impérieusement, au nom du bien commun, les exceptions particulières, incompatibles en fait avec la loi.

3) Application de la méthode. — Appliquons cette méthode à la recherche du régime matrimonial naturel.

Ce qui spécifie le contrat de mariage, ce qui en crée la raison d’être et doit en déterminer la loi, c’est sa finalité principale. Avanttout el par-dessus tou’, les relations matrimoniales ont été instituées pour lespèce humaine, puisque leur terme normal c’est l’enfant, puisque sans elles il n’est pas de génération possible. L intérêt capital engagé, celui dont la considération prime toute autre considération, c’est l’intérêt général de l’humanité, immédiatement représenté par l’enfant. Tout, dans le contrat matrimonial, doit être réglé, enpremierlieu, aumieux de l’intérêt souverain de l’enfant, de sa venue au monde, de sa conservation, de son éducation. Déterminer quelle est la condition indispensable de cet intérêt, c’est déterminer quelle doit être, d’après la nature même des choses, la loi fondamentale du mariage.

a) [.es motifs de l’indissolubilité. — Il est facile de voir que, en général, l’indissolubilité, en assurant la stabilité de la société familiale, favorise la procréalion sans restriction des enfants et qu’elle en assure l’éducation physique et morale. A la contre-épreuve, il n’est pas moinsaisé de montrer que, sous le régime du divorce, quand celui-ci rentrera dans les prévisionsordinaires, la crainleloujours menaçante d’une rupture à venir pèsera sans cesse sur les relations conjugales ; que prudence avisée et slérilité voulue iront de fronl ; que la fécondité sera due à peu près exclusivement aux illusions coniianles des débuts de l’union ou aune surprise.

Et le Jour où le divorce se produira dans la réalité, ce sera infailliblement au détriment de Tenlant. Plus d’éducation morale, puisque les parents seront irrémédiablement séparés. L’enfant demeurera ou douloureusement partagé de cœur entre son père et sa mère, ou bien, souvent, élevé par l’un dans la haine et le mépris de l’autre.

Pour les fins secondaires du mariage, liées à la vie en société, elles le sont dans la même mesure à l’indissolubilité de la société conjugale. On le sent mieux si l’on considère, par contre, les ravages que cause, sur ce terrain encore, le divorce consommé ou même sa simple prévision normale. Sous ce régime, les unions se concluent à la légère, d’autant plus qu’on aura toute facilité pour les défaire. Ou plutôt, on s’associe, mais sans se donner, el avec les prudentes réserves que l’on apporte toujours à une association qui n’a pas de lendemain assuré. Entre les

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enfantsel leurs parents divorcés, et remariés chacun de son côté, quels rapports de famille sont possibles ? Les enfants demeureront entre le père et la mère, privés de leur atTection et de l’éducation qui leur était due, ou bien vivront dans une de ces nouvelles familles, hôtes importuns, le plus souvent, ou parasites odieux. A leur tour, quelle affection filiale pourront-ils avoir pour ceux qui ont violemment brisé tout lien de famille ?

Peut-on encore oublier ce que demandent l’égalité et la justice dans les contrats ? Kompu, le mariage ne causera pas de tort, souvent, à l’une des parties ; mais que deviendra l’autre ? Le mari trouvera, aura trouvé avant même le divorce, une nouvelle épouse, la première ayant été peut-être prise comme épouse d’attente et comme pis-aller. Mais la femme ? Le plus souvent, du seul fait qu’elle a été déjà mariée, surtout si elle a le malheur de demeurer avec charge d’enfants, elle sera condamnée au célibat et à la solitude la plus désemparée.

b) Les motifs du divorce. — La thèse du divorce apporte ses raisons. Le lien du mariage est créé par l’accord des volontés et suppose l’amour. Dès que cet accord et cet amour cessent, le mariage n’a plus sa raison d’être. Il devient une hypocrisie et un enfer. En ce cas, ce qui subsiste, c’est le droit de l’individu à vivre pleinement sa vie, le droit au bonheur dans la vérité et la sincérité de ses sentiments, le droit de chacun de s’évader du foyer, où il est condamné au malheur, et de se faire ailleurs une vie heureuse : tel est le dernier mot des arguments en faveur du divorce.

f) Discussion. — Accordons qu’il y a des ménages où la vie, par la faute d’un des conjoints, est une vie humiliée, pénible jusqu’à en devenir intolérable. Est-ce une raison péreraptoire de proclamer que l’indissolubilité est un régime contre nature ? Toute la question est là. Or une réponse affirmative supposerait certains principes qui ne sont rien moins que démontrés ; qui, si on les admettait dans le mariage, auraient droit de cité ailleurs et ruineraient du même coup toute vie morale individuelle, toule vie sociale. Ainsi il faudrait admettre, au minimum, que. là où l’amour et la sympathie ont disparu, le devoir et la conscience n’ont plus rien à voir ; qu’on est quitte de toute obligation, contractée par promesse oi par serment, liés qu’on n’aime plus le bénéticiaire de cette obligation. Ou admettrait encore cette monstruosité, que la règle suprême de tuute moralité, c’est le droit au bonheur sous telles formes et en union avec telles personnes — formes successives et personnes indéfiniment variables ; qu’à cette fin tout doit être subordonné comme un moyen ; que ce droit, dès qu’il entre en jeu, confère tout autre droit ; qu’il n’est pas de droit ou de devoir opposé qui lui résiste ; que tout sera juste et saint, dès que le bonheur d’un individu le réclamera. L’amour avec ses caprices, ses débordements, ses brutalités égoïstes, sera le maître souverain de toute vie morale et sociale.

On nous répond : alors vous condamnez, sans autre espoir de délivrance que la mort, une foule de malheureux à vivre emprisonnés dans une vie lamentable et sans issue ?

Beconnaissons que c’est là parfois une suite et une triste rançon de la loi de l’indissolubilité. Plus souvent, peut-être, n’est-ce pas un châtiment de la légèreté et de l’aveugle inconsidéralion avec lesquelles on s’est engagé ?

D’ailleurs, à notre tour, demandons quels résultats amènerait le divorce.

Si les ruines du ménage brisé sont imputables aux deux mariés, en leur accordant le divorce, on récompensera leurs vices, que l’espoir même de cette

solution avait encouragés. Les coupables seront libérés de leurs devoirs mutuels. La victime unique, ce sera l’unique innocent, spolié de ses droits sur ses parents, l’enfant.

Si, dans le ménage, il y a un innocent et un coupable, le coupable recevra la prime de ses fautes en devenant libre d’épouser sa complice. Quant à la partie innocente, elle verra ruiner le foyer où elle avait espéré abriter à jamais sa vie. Elle aura le choix entre pleurer ses ruines ou se refaire un nouvel abri, … si elle en a la facilité. Les enfants deviendront ce qu’ils pourront.

Mais il est des cas, les seuls vraiment intéressants, où la partie innocente demande elle-même à être libérée, pour échappera ine vie intenable. A celle-là du moins n’est-il pas juste d’ouvrir la porte d’une prison imméritée ? Avouons qu’avec l’indissolubilité elle aura définitivement manqué sa vie de bonheur rêvé, par la faute d’un autre, et qu’elle ne pourra pas tenter de la recommencer dans des conditions meilleures. Il y aura donc ainsi un certain nombre de victimes dignes de toute pitié, soit. Mais combien plus grand serait le nombre des victimes, tout aussi dignes d’intérêt, sous la loi du divorce ? Point de doute que ce dernier régime, à ne considérer que les époux, ne soit un régime d’oppression pour les innocents, un régime de liberté et d’encouragement pour le vice. Quant aux enfants, nous l’avons vu, ils sont inexorablement sacrifiés. Au reste, si l’indissolubilité refuse un remède pire que le mal, elle ne laisse l)as d’offrir un palliatif légilime, le seul qui soit de mise en une telle catastrophe, la séparation. Atténuer le mal d’une vie tristement engagée dans un mauvais mariage, c’est tout ce qu’on peut espérer.

d) Conclusion. — Ainsi donc, à comparer les deux régimes, nous devons conclure que celui de l’indissolubilité, beaucoup mieux que celui du divorce, remplit les conditions exigées par notre méthode : à un point de vue auquel tous les autres doivent être décidément subordonnés, sauvegarder beaucoup mieux les droits de la communauté humaine, identifiés avec ceux de l’enfant : et même, à un point de vue secondaire, tout en sacrifiant quelques individus dignes d’intérêt, proléger bien plus efiicacerænt que le divorce V ensemble des époux honnêtes contre les coupables. Le divorce, au contraire, sacrifie, en règle générale, l’enfant aux parents et va donc contre l’ordre essentiel du mariage. Ce vice suflirait à le condamner. Mais de plus, parmi les époux, s’il met en principe sur un pied d’égalité l’homme et la femme, les innocents et les coupables, en pratique, c’est la femme, plus faible, qui est sacrifiée à l’homme ; c’est la faute, celle de l’homme ou de la femme, qui est récompensée envoyant son œuvre de trahison et de destruction sanctionnée par la loi humaine.

e) Dernière objection. — Que l’indissolubilité soif de règle générale, passe. Mais de quel droit déclarer que cette loi ne comporte pas d’exceptions, pour les cas où elles seraient motivées ?

Réponse. — Rappelons d’abord ce qui a été dit plus haut : c’est que la loi naturelle, telle que nous l’avons déterminée, se présente comme une règle unique et identique pour le mariage en général, et non point comme une règle qui varie suivant la diversité accidentelle des cas spéciaux.

En particulier, pourquoi y a-t-il lieu, dans la question présente, de rejeter les exceptions même solidement motivées ?

Première raison, parce que les exceptions ne peuvent être admises sans ruiner la loi elle-même de l’indissolubilité, et sans se généraliser au point d’acheminer en pratique la société vers l’union libre. 101

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Le divorce est un mal auquel on ne fait pas sa part. Quels seront, en effet, les cas légitimement admis ? De par la nature même des choses, il n’existe aucune détermination précise, aucune limite. Qui décidera des cas oùl’on doit accorder le divorce ? L’inspiration la plus aveugle et la plus désordonnée, celle des passions, d’autant plus débridées qu’elles auront la perspective de se libérer plus aisément. Les limites seront-elles posées par l’autorité des seuls intéressés, des époux mécontents ? On voit quel sera le résultat. Par l’autorité publique, par la loi civile ? Un autocrate eût fait jadis une loi générale, pour se donner le droit de divorcer. Nos modernes parlements, sous les dépendances électorales qu’ils svibissent, se livreront progressivement à des surenchères immorales, pour satisfaire l’opinion la plus malsaine et la plus bruyante. L’aboutissant Dnal, à délai plus ou moins bref, sera le divorce par consentement mutuel. Logiquement, il faudra arriver au divorce par la volonté d’un seul, si celui-ci se juge sacrifié. Après tout, le droit d’un seul, si droit il y a. est aussi sacré que celui de deux. De là à l’union libre, négation de la famille, il n’y a qu’un pas ; et cepas, sous l’impulsion de la presse et de l’opinion, n’est pas long à franchir de nos jours.

Ce qui devait arriver est arrivé en effet, ou bien près d’arriver. Voir notamment quelques statistiques plus haut dans l’article de M. H. Taudiûhe sur la Famille, col. 1892 et suiv. Les chiffres cités, il faut le remarquer, ne portent que sur les ruptures de véritables unions conjugales. Ils seraient bien plus élevés, si on tenait compte des unions libres, qui deviennent chaque jour plus nombreuses et qui se font et défont avec une facilité toujours croissante. Car, il n’y a pas à se faire illusion, les restrictions apportées par la loi civile au régime du divorce sont, a considérer les principes du législateur, une inconséquence logique. Les masses, clairvoyantes dans leur manière simpliste de juger les choses, acceptent les principes et en tirent dans la pratique les conséquences les plus étendues. A quoi bon s’embarrasser dans les liens, ou mieux dans les formalités oiseuses, d’un mariage civil, puisque le seul lien valable, devant la loi elle-même, c’est celui de l’amour librement consenti et librement retiré, par lequel tout commence et avec lequel tout finit ?

Encore la loi s’est-elle heurtée jusqu’ici aux mœurs publiques, qui ont été si longtemps et si profondément chrétiennes, et où persiste une peur honteuse du divorce. Cet esprit chrétien, survivant et flottant encore dans l’opinion et les milieux où sont encadrés les ménages émancipés, retarde le développement du mal. Mais l'école, le livre, le journal, le théâtre auront bientôt détruit ces obstacles, et la famille aura vécu. Pour une part toujours grandissante de la société, elle ne sera plus qu’une institution vieillie et démodée. Il n’y aurait plus de divorces, le jour où on ne se marierait plus. Il n’y aurait plus qu’unions libres et libres désunions.

Autre raison. Ces exceptions ne sont pas absolument requises par la justice naturelle. S’il y a des victimes à raison de l’indissolubilité, ce sont des sacri/ices individuels exigés par le bien commun, surtout par le bien qui prime tous les autres, celui de l’enfant. Les innocents sacrifiés par l’indissolubilité sont beaucoup moins nombreux que ceux sacrifiés par le divorce. Et puis, la vie sociale est faite de sacrilices, de restrictions, de spoliations de nos droits : expropriations et prescriptions en matière de propriété, responsabilité civile en matière de pénalité, sacrifice même de la vie pour le salut de la société… N’exagérons pas la loi de la solidarité jusqu'à vouloir baser sur elle toute morale. Ne développons pas

le sens social moral jusqu'à absorber l’individu avec tous ses droits dans la société. Mais gardons-en la part de vérité suffisante pour condamner l’individualisme jouisseur, qui prétend mettre au-dessus de tout le droit au bonheur ; pour établir la suprématie du devoir envers l’enfant et la race humaine, sur la liberté et la licence de l’amour.

Une dernière remarque ne sera pas inutile. Il peut se trouver des esprits qui acceptent l’indissolubilité à cause de l’enfant, mais qui la mesurent strictement et en quelque sorte matériellement aux exigences de celui-ci ; qui la comprennent donc dans l’hypothèse où un enfant est réellement né et pour le temps où il a besoin de ses parents, mais qui la rejettent chaque fois que l’enfant manque dans le ménage, ou dès qu’il se suflit à lui-même.

Répétons d’abord que raisonner ainsi, c’est oublier le caractère de la présente loi. Le régime naturel du mariage, on ne saurait trop y insister, ne s'établit pas d’après les variations accidentelles et fortuites des circonstances particulières, dans tel ou tel cas concret, mais bien d’après ce qu’il y a de normal, de constant et d’universel dans l’institution matrimoniale. Or le mariage, normalement, comporte l’enfant et, à raison de l'éducation nécessaire, requiert la stabilité indéfinie de la société familiale.

De plus, les fins secondaires du mariage, notamment l’assistance mutuelle des époux, réclament cette durée indéfinie de l’union conjugale. Ne seraitil pas inique, après vingt, vingt-cinq, trente ans et plus passés ensemble, qu’il fût loisible à l’un des époux d’abandonner l’autre, de le laisser peut-être dans la détresse, ou du moins dans l’impossibilité, le plus souvent, de se refaire une vie nouvelle ?

50 Le contrat naturel de mariage et les lois positives (en dehors de la loi mosaïque et du christianisme). — Il n’y a évidemment pas à rechercher quelle autorité a pu ou peut encore faire des lois sur la nature ou sur l’objet essentiel du mariage ; cette matière est déterminée de par la loi naturelle et nulle autorité n’y peut rien changer. La question se pose ainsi : quelle autorité a pu, en dehors du monde juif, et peut encore, en dehors du christianisme, faire des lois qui atteignent la valeur du mariage, soit à raison des formalités exigées ad valorem, soit à raison de certaines incapacités absolues ou relatives (âge, parents…)?

Nous répondrons, à l’encontre de quelques théologiens du XIX' siècle : l’autorité civile a pouvoir de régler le droit matrimonial de ses sujets non baptisés, et de constituer des empêchements qui atteignent la valeur du mariage.

Sur quoi se fonde une telle affirmation ? Sur ce fait que le droit matrimonial est, sauf quelques rares points essentiels, très indéterminé et ne peut cependant, sans graves dangers, demeurer tel. Il ne règle rien touchant les formalités requises pour la conclusion du contrat ; et, cependant, n’est-il pas de l’intérêt de la société et des individus eux-mêmes, que cet acte soit précédé et entouré de certaines précautions, qui protègent les contractants contre leur inexpérience personnelle, contre les entraînements de l'âge, de la passion, ou contre les séductions, les fraudes, l’abandon des conjoints ? En matière d’empêchements, le droit naturel ne statue à peu près rien d’une manière ferme ; et cependant il est hors de doute que les bonnes mœurs de la famille, et même des raisons d’ordre physiologique, réclament linterdiction du mariage à certains degrés de parenté. Or comment pourra-t-on obtenir des résultats aussi importants si nulle loi ne peut réprimer efficacement ces abus, en frappant de nullité tout acte contraire ? I

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N’est-il pas inconlestable que la nécessité de les empêcher est le signe et la preuve qu’il existe un pouvoir correspondant d’y porter remède ?

Mais ce pouvoir, à qui appartiendra-t-il ? A l’autorité familiale ? Le plus souvent elle serait impuissante et, d’ailleurs, elle varierait à l’infini dans ses décisions. A l’Eglise ? Mais elle ne se reconnaît pas de puissance législative sur les non-baptisés. A une autorité naturelle d’ordre religieux ? Mais où donc existe-t-elle, avec un mandat officiel ? En dehors des cas où elle vient de Dieu, par institution positive et révélée, l’autorité d’ordre privé est un attribut et un devoir du chef de famille ; celle d’ordre public, un attribut et un devoir du chef de la société. Il reste donc que ces pouvoirs sur le mariage fassent partie, comme élément nécessaire au bien social, de l’autorité conférée par la loi-naturelle à l’Etat civil.

On pourra cependant discuter encore — mais ceci n’a qu’une importance secondaire — sur la nature du titre auquel l’Etat reçoit ce pouvoir sur le lien conjugal. Cette puissance rentre-t-elle dans les attributions d’ordre civil ou d’ordre religieux ? Celte dernière manière de voir cadre logiquement avec l’opinion des théologiens qui regardent le mariage naturel comme une institution de caractère religieux ; la première est soutenue par les théologiens de l’école opposée. Il n’y a pas lieu d’insister sur un point aussi controversé.