Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Juifs et Chrétiens II.

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 863-888).

SECONDE PARTIE

LA CONDUITE DES CHRÉTIENS ENVERS LES JUIFS

I. — L’Etat et les Juifs

§ I. ne 313 à 1100. S IL De 1100 à 1500. S UI. De 1500 à 1789. § IV. De 17X9 à nos jours.

§ 1. De 31 3 A I 100

49. L’Etat chrétien. — A. L’Orient : les empereurs de Constantinople. — « N’ayons rien de commun avec la foule très ennemie des Juifs. » Ces mots de Constantin’, dans Euskbh, De vita Constantin ! , III, xviii, résument le passé et tracent le pro^irarame de l’avenir : les Juifs se sont afiirmés très hostiles au christianisme ; il faut les tenir à l’écart de la société chrétienne.

Mais comme, malgré tout, le contact s’imposait, il y avait lieu de régler avec précision ce (]ui était per mis, ce qui était défendu, dans les rapports entre ehréliens et Juifs. L’union intime de l’Etat et de l’Eglise amena les empereurs à soumettre les Juifs à un régime sévère, au nom de l’empire et de la relii ; ion ollicielle. La plupart des lois impériales relatiA’cs aux Juifs furent groupées, au v* siècle, par le code théodosien. XVI, viii, ix, et passim, et, au vil" siècle, par le code Justinien, I, ix, x, et passim. Cf. leur liste chronologique dans J. Jusriin, Examen critique des sources relatives à la condition juridique des Juifs dans l’empire romain, Paris, 19 11, p. ioo-io3.

T. Rkinach, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Paris, 1899, 1. III, p. G30-f)32, distingue, dans cette législation, les mesures destinées à proléger la religion juive, celles qui concernent la situation civile et politique des Juifs, et les a mesures de défense et d’attaque religieuse ». Le judaïsme est une religion licite ; il célèbre librement ses fêtes, ses sabbats, ses assemblées ; les synagogues doivent être respectées ; les dignitaires des synagogues sont assimilés au clergé catholique. La pensée que des Juifs pourraient légalement coniinander à des chrétiens paraît intolérable ; les emplois publics leur sont interdits. Ils perdent l’autonomie judiciaire.

Pour tout ce qui n’est i)as d’ordre purement religieux, ils sont assujettis à la loi romaine. Aucune atteinte n’est i>ortée à leurs droits civils, sauf en ce qui concerne les mariages, pour lescpiels ils se conformeront aux lois romaines, et les esclaves. Empêchement est misa la propagande juive : il est défendu auxjuifs de bâtir de nouvelles sjnngogues, d’épouser des femmes chrétiennes, de convertira leur i-eligion des chrétiens libres et des esclaves. Le danger de séduction, ou même de circoncision forcée, étant à redouter à l’égard des esclaves, on en vint, à travers diverses variations, à leur défendre d’avoir des esclaves non-juifs. La conversion des Juifs au christianisme est encouragée. Les actes et les insultes contre le christianisme sont punis.

Toutes ces lois ne furent i)as longtemps appliquées dans toute l’étendue de l’empire en traindecrouler. Il y eut des oscillations <le liberté presque complète et de répression rigoureuse selon les circonstances et le tempérament des princes. Les révoltes des Juifs de Palestine irritaient les empereurs. Leur alliance avec les Perses (61 4) émut vivement Hiîraclius. Il vit en eux, et non seulement dans les Juifs palestiniens mais aussi dans tous ceux de ses Etals, un ennemi du dedans redoutable. Il semble avoir médité leur conversion générale, et ce projet fut repris p : ir

LÉON L’ISAURIRN (^iS- ; ^ !) Ct B.A.SII.K lO’(867-886).

B. L’Occident : les royaumes fondés par les barbares. — Les chefs des peuples barbares adaptèrent, tant bien que mal, à leurs royaumes les lois romaines. Ils renouvelèrent la législation relative aux Juifs. Dans l’ensemble, l’application lut plutôt bénigne, surtout de la part des ariens, moins éloignés doclrinalement des Juifs que les orthodoxes. Par intervalles, la sévérité des lois fut observée ou dépassée. Les Juifs connurent des phases dilliciles. DAGoniîRT I", en France (630), et, en Espagne, SisiîBUT (612-613) leur ordonnèrent, sous peine d’exil, de recevoir le baptême. On a prétendu que ce fut à l’instigation d’Hérælius, courroucé contre eux. Pour Dagobert, la chose est vraisemblable. Cf. les textes indiqués par T. nit Caiizons, Histoire de l’inquisition en France, Paris, 1909, t. I, p. 79, n. Elle est plus douteuse pour Sisebut, qui sévit avant que la Palestine eût été perdue et reconquise par Héraclius. Ce qui est sur, c’est que si. pendant un siècle (6 I 2-71 2). l’histoire des Juifs d’Espagne fut une succession de lois très dures, de spoliations, de conversions et d’expulsions, interrompues de loin en loin par un moment d’accalmie, la cause principale de leurs maux fut leur répugnance à fusionner avec l’élément indigène. L’appui qu’ils prêtèrent aux Arabes envahisseurs souleva les colères. Quand on songea ce qu’ont été les Arabes en Espagne, aux diflicultés qu’a eues la nationalité espagnole à se constituer contre eux, on s’explique, si on ne les approuve pas toutes, les mesures antijuives adoptées par les rois d’Espagne.

Ainsi se gale la situation des Juifs en pays chrétien. Us étaient apparus, d’abord, comme les ennemis antiques et permanents du christianisme. On s’accoutuuie à voir en eux un péril pour l’Etat. Au grief religieux s’ajoute le grief national, autrement grave et ellicæe dans la pratique.

Une amélioration se produisit pour les Juifs, en Espagne, avec la conquête musulmane (71 1-7 12), et, en France, avec le déclin de la puissance des rois mérovingiens. CHARLKJiAGNn se montra assez bienveillant pour les Juifs ; toutefois, il leur imposa une formule spéciale de serment sur la Bible, le serment more judairo, qui devait être si longtemi>s en usage. Louis i.n Dkbon.vairk leur fut très favorable. De même Charlbs le Chacvk ; il en aurait été mal 1715

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récompensé s’il fut empoisonné, comme on l’a dit, par son médecin, le juif Sédécias (on en a dit autant, sans fondement solide, d’Hugues Capet).Les derniers carolingiens furent moins indulgents.

SO. I^e peuple chrétien. — Impressionnable, emporté, insullisamment imprégné de douceur chrétienne, le peuple attend rarement le mot d’ordre royal. Dans ses rajtports avec les Juifs, il se livre à deux excès contraires. Il a et une tendance à judaïser, qui est une des manifestations de son instinct superstitieux, et de brusques et terribles violences. Une parole l’excite, un acle contraire à sa foi l’indigne ; les méfaits des Juifs, réels — il y en eut — ou crus réels, le metleut hors de lui. En 698, à C^agliari, conduite par un juif baptisé de la veille, la multitude plante la croix dans la synagogue et la consacre au culte chrétien, en dépit de l'évêque A ClermontFerrand, en 076, un juif ayant répandu de l’huile fétide sur la tête d’un converti qui s’avance vêtu de ses blancs habits de néophyte, la foule le lapiderait sans l’intervention de l'évêque ; peu après, pendant une procession, elle se jette sur la sj’nagogue et la détruit. Elle manque massacrer, à Arles, tous les Juifs traîtres à la ville assiégée par les Goths (508). , Rome, une sédition populaire éclate contre l’empereur Théodoric, à l’occasion d’un soulèvement de quelques esclaves contre leurs maîtres juifs ; les synagogues sont brûlées, les Juifs pillés et maltraités. T. Reinach, Histoire des Israélites, p. B7-89, donne la traduction du récit de GnKGoinH de Tours, //. F., VI. V, 1 7, sur le meurtre du juif Priscus ; il signale, dans le Irait final, » comme une promesse consolante au fond du tableau, la secrète sympathie du peuple pour le malheureux juif, son compagnon d’infortune ». Or, voici l’alTaire. Le juif Phatir, converti et filleul du roi Chilpéric I", tue le juif Priscus, à la suite d’une querelle. Il se réfugie dans une basilique avec ses serviteurs. Le roi ordonne de tuer ses serviteurs et lui. Phatir se sauve. Un des serviteurs se saisit d’une épée, tue ses compagnons et sort de la basilique, son glaive à la main, sed imiente super se populo cnideliter interfectus est. Rien qui témoigne de la « secrète sympathie » du peuple pour les Juifs

La haine du peuple contre les Juifs eut, pendant tout le moyen âge, des explosions qui n'étaient ni préparées ni dirigées par les princes ou par la liiérarchie ecclésiastique. Un des faits les plus caractéristiques nous a été révélé ]iar une note marginale du sacrameutaire de Saint-Vast (manuscrit du x" siècle). Cf. II. Netzer, L’introduction de la messe romaine en France sons les carolingiens : , Paris, 1910, p. 207. Il s’agit de la prière pour les Juifs le vendredi saint. La rubrique prescrit de ne pas llécliir le genou avant de la chanter, alors qu’une génuflexion précède les autres oraisons. Pourquoi cette différence ? On a trouve plus tard des explications symboliques. Le sacramentaire de Saint-Vast indique la cause réelle : I/ic nostrûm nullus deliet modo flectere corpus oh pnpuli noxam ac pariter ralnem. J. Justkr, op. cit., p. io5, pense (|ie l’appellation de « juif » devint franchement injurieuse au comnunceuient du v" siècle. Elle acquit de plus en plus un caractère insultant, ita ut pri> ma/^no contumelio judæus quis esse dicatnr, dit P.kvl Alvahe (dont les ancêtres furent juifs), Epist., xvni.

§ II. Or 1 100 A 1500

51. J-es grandes violences et les expulsions. — De iioo à lôoo, se réalise l’annonce d'.MOLON, Contra Judæos, v, que les maux d’Israël allaient augmenter.

Les Juifs ont à souffrir des croisades. Le mouvement des croisades fut admirable, mais non sans un

mélange d'éléments troubles. La lutte contre l’infidèle du dehors rejaillit sur l’infiilèle du dedans. Ce qui déchaîna les colères, c’est que le bruit courut que les Juifs s’entendaient avec les musulmans, pour détruire les chrétiens. Les pires violences éclatèrent, sur les bords du Rhin et de la Moselle, lors de la première croisade (109I1). Elles se renouvelèrent, sur une moindre échelle, à l’occasion delà deuxième croisade, en Allemagne (ii^ô) ; de la troisième, en Angleterre (1190) ; de la quatrième, en France (1198).

« Avec le xni' siècle, etle pontificat d’Innocent III, 

dit T. Reinacu, Histoire des Israélites, p. loS-iog, le catholicisme, jusque-là en quelque sorte sur la défensive contre les Juifs, prend une offensive vigoureuse et inaugure l'ère des persécutions véritables. Ces persécutions, qui se présentent sous la forme infiniment variée de lois humiliantes, d’exactions fiscales et d’explosions du fanatisme populaire, aboutissent à l’exclusion complète des Juifs de tous les pays de l’Europe occidentale, où leur civilisation avait pris un réel essor, u L'.Angleterre les chasse en 1290. La France, après toute une série de proscriptions liientot rapportées, les chasse définitivement eniSg/i. L'.llemagne, par une suite d’expulsions locales, temporaires ou perpétuelles, les élimine d’un peu partout ; à la fin du xv= siècle, ils n’ont plus que trois établissements de quelque importance : Worms, Francfort et Ratisbonne. L’Espagne, unifiée enlin par le mariage de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, institue l’inquisition principalement contre les Juifs insincèrement convertis (i /|80) et prononce l’exil de tous les Juifs non convertis (1^92). Un grand nombre passent en Portugal, où ils sont revus favorablement ; mais, en 149^', ils ont à opter entre l’exil et le baptême. Paisibles en Italie, ils sont chassés de la Sicile qui dépend de l’Espagne. Ces expulsions avaient été précédées, un peu partout, de mauvais traitements, de pillages et parfois de massacres. Judenbreter (rôtisseurs de Juifs) et Judensclilcîger (tueurs de Juifs), pastoureaux, fiagellants, bandes de fanatiques et de vagabonds, surtout quand sévit la peste noire (i 3/(8-1350), s'étaient à qui mieux mieux rués contre les Juifs.

58 Les causes des persécutions. — « Du xui' au XYV siècle, ditGuAETz, Histoire des Juifs, trad, l. IV, p. 208, les persécutions des Juifs se multiplient avec une elîrayante rapidité : le fanatisme populaire, la rupidilé des rois, la jalousie des marchands s’unissent pour les opprimer. » La formule est partiellement vraie ; elle ne contient pas la vérité entière,

A. Les rois. — Lacupidité desrois inllua sur les persécutions. Roisel grands seigneurs confisquèrentsouvent, tant qu’ils purent, les biens des Juifs. Beaucoup étaient besogneux, perdus de dettes. Les richesses juives les tentaient ; ceux qui étaient sans scrupules mettaient la main dessus. Le Juif était, poureux, une

« vache à lait », vine « éponge », une « sangsue » qu’ils

laissaient se gonfler, s’emplir d’or, et qu’ils obligeaient à dégorger ensuite. Il arriva aussi que le seigneur, le roi, ayant eiupiunté aux Juifs, durent, après leur avoir abandonné leurs effets précieux et leurs valeurs mobilières, pour payer les intérêts, hypothé(]ner leurs revenus, les redevances de leurs sujets, et que, les Juifs soulevant l’indignation populaire par leur àpreté à recouvrer ers redevances, les rois bannirent les Juifs ou supprimèrent leurs créances.

Si, en tout cela, les rois ont de.graves torts, les Juifs ne sont pas irréi)roclialiles. Us se livrent à une usure effrénée, qui deient la principale cause de leurs malheurs. Que les rois pressent l'éponge injustement, il n'.v aqu'à les blâmer. Mais que l'éponge, périodiquement pressée, soit de nouveau gonflée si 1717

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vite, si vite, c’est qu’il y a, pour la remplir, desprocidés iniques. Suivez leur histoire en Frame, dcjjuis leur première expulsion sous Philippe l"(1096) jusqu’à l’exode délinitif de iSgi. Toujours la question d’argent. Toujours des prêts usuraires, au sens moderne du mot, des fortunes rapidement faites grâce à l’usure. T6t ou lard, la rëpi-ession éclate, rigoureuse, excessive. Dépossédés, expulsés, les Jviifs retournent à la première occasion propice, imposant, si on les réclame parce qu’ils sont des prêteurs indispensables, des conditions draconiennes, recommençant leur Iralic, bientôt aussi riches qu’auparavant et par les mêmes moyens, ce qui les rend de nouveau impossibles et entraîne une nouvelle sentence d’exil ; et ainsi de suite, jusqu’à la catastrophe Unale.

Les rois n’agirent contre les Juifs ni uniquement, ni tous, par cupidité. Saint Louis,.1 moins avide que son aïeul (Philippe Auguste), fut par cela même plus intolérant », dit T. IlEiNACH.p. 148. Le mot est parfaitement juste. Saint Louis n’était pas homme à subir l’eDSorcellement de l’or ; il ne voyait que l’injustice à réparer ou à prévenir. Aussi fut-il intraitable. Charles VI n’expulsa point les Juifs au prolit du trésor royal ; toutes les créances des Juifs durent leur être payées.

Cupidité, oui parfois, mais aussi légitime préoccupation de défendre leurs sujets contre les Juifs et l’usure juive, contre ces Juifs qui, par leurs usures, dit le IVe concile du Latran, c. 67, Décret..V, xix, 18, hreii leinjiore christianonim exhauriiint facilitâtes, voilà deux mobiles des proscriptions royales. Un troisième fut d’ordre national. En Espagne, la pensée de Ferdinand et d’Isabelle instituant l’inquisition

« est très claire : ils visent à l’unilication de

l’Espagne, ils l’attendent de l’uniformité confessionnelle », dit C.-V. Langlois, L’inquisitinn d’après des travaux récents, Paris, 1902, p. io3. Ils ne veulent pas que les Juifs minent l’Espagne enfin une : le p.issé a appris à se métier d’eux. Qu’ils deviennent chrétiens sincères et, i>ar là. Espagnols loyavix ; sinon, qu ils abandonnent une terre où ils campent en ennemis.

B. Le peuple. — Sans parler des classes bourgeoises et commerçantes qui se forment au moyen âge et se développent rapidement et qui, rencontrant, comme un obstacle, la concurrence des Juifs, travaillent à les déloger lie la place qii’ils ont prise, les prolétaires, les artisans, les paysans, le menu peuple, sont irrités par l’usure juive..1 L’argent, dit Gr.artz, trad., t. IV, p. ig.’i, était pour les Juifs un instrument à devix tranchants… Ils ne pouvaient se le procurer qu’en prêtant à un taux très élevé. Il est vrai que, par descontiscations et des impôts exagérés, les princes prenaient la plus grosse part pour eux. Mais le peuple ne voyait qu’une chose, les gros intérêts que les Juifs l’obligeaient à payer. He là un ressentiment violent contre les Juifs et parfois de terribles explosions de fureur. « Le rôle des Juifs ne fut pas seulement ce que dit Grætz ; il est exact que l’usure juive provoqua des tempêtes. « Au déclin du moyen âge. renianpie J. J.anssrn. L’-illemagiie et la Réforme, trad., t. I, p. ^7’ ! , note /), bien des persécutions contre les Juifs, l’anéantissement de leurs lettres de créance, etc., doivent être considérés comme des crises de crédit de l’espèce la plus barbare, et comme une forme de ce que nous appellerions aujourd’hui la révolution soi’iale. » Ces manifestations collectives étaient préparées par des rancunes individuelles qui s’accumulaient longuement au fur et à mesure des excès visuraires des Juifs L’animosité populaire était sans limites. Elle modifia la légende où un débiteur autorise son créancier

à couper une livre de chair sur son corps s’il ne le rembourse pas au jour de l’écliéance, et où le créancier veut procéder à celle opération. Les héros de l’histoire, diversement racontée, avaient été d’abord un suzerain et son vassal ou un noble et un roturier. Le rôle odieux fut donné à un juif à partir du milieu du xiv" siècle. Uans // Pecmune de Jean de Florence, c’est un juif de Mestre qui veul couper une livre de chair sur le corps de son débiteur de Venise pour avoir la satisfaction de faire mourir un chrétien. Il n’y a pas à rappeler ce que le génie de Shakespeare a tiré de ce récit : Shylock vit dans toutes les mémoires.

Une page de Michelbt, Histoire de France, V, ni, nouv. édit., Paris, 1879, t. IV, p.’j-io, trop connue pour être citée, montre de façon saisissante les relations entre le pauvre emprunteur et le Juif usurier. Pour accroître l’horreur que celui-ci inspirait à celui-là, il y avait, en plus de cette impression, produite par tout le passé, que le juif était l’ennemi des chrétiens et du christianisme, des bruits qui circulaient, des actes, authentiques ou non. mais auxquels on ajoutait foi. ipii lui étaient attribués, des trahisons au profit de l’islamisme, des empoisonnements des fontaines d’où serait provenue la peste, des diableries épouvantables, des profanations d’hosties, des meurtres rituels. Ce qui n’était que trop constaté, en fait d antichrislianisme et d’oppression usuraire, déterminait à croire le reste. Le Juif passait pour capable de tous les crimes. L’épithètede

« juif « était la plus offensante qu’on pût infliger à un

chrétien. Ce simple détail, donné par le juif converti Pierre Alphonse, Dial., II, P. /,., t. CLVIi, col. 678, indique l’état de l’esprit populaire : flodie uaqiie a christianis jurando dicitur, cuin aliquid quod nolunt facere rogantur : Jiidæiis sim ego si faciam.

% III. De 1500 a 1789

S3. Adoucissement du sort des Juifs. — Après leur expulsion, les Juifs d’Angleterre s’étaient répandus dans les provinces rhénanes. Ceuxde France se réfugièrent dans la Provence, la Savoie, le Comtat Venaissin (non dépendants de la couronne de France), le Piémont et l’Allemagne. Ceux qui furent bannis d’Allemagne émigrèrentvers laPologneet la Turquie. Ceux d’Espagneel de Portugal s’en furent en Italie, en Turquie, et dans l’empire ottoman d’Asie et d’Afrique. Au xvi’siècle, se dessine la grande division des Juifs d’Europe en Sefardim, ou Juifs d’origine espagnole et portugaise, et Askenazim, ou Juifs allemands et polonais. Dilîérents d’origine, de langue, de rites, de pratiques et de vie morale, les Sefardim et les.4skena : ini ne se confondirent pas. même dans les pays d’Orient où ils vécurent côte à côte. Les Sefardim. plus civilisés, plus lettrés, dédaignaient leurscoreligionnairesde langue allemande. Les Sefardim prédominèrent en Turquie ; dans la Hollande, où ils s’installèrent (i.")93). après qu’elle eut secoué le joug de l’Espagne, et eurent une existence légale en 1619 ; en.

gleterre où, grâce à la protection de Croniv ell, ils s’établirent peu à peu librement sans qu’une loi formelle les y eût autorisés. Les AsI.cnaziin existèrent presque seuls en Allemagne et dans les pays slaves, surtout en Pologne. Il y eut. en outre, qiielques îlots de Juifs, lels que les caraïtes de Crimée et de Galicie.et les Juifs d’italieet de France. Ceux d’Italie subirent l’action des Sefardim, mais sans se laisser absorber par eux. En France, la loi qui interdisait aux Juifs le séjour du royaume avait été étendue aux acquisitions successives de la couronne : Provence, Flandre française, Franche-Ciomté, etc. Cependant des exceptions furent admises. 1719

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Des juifs portugais, qui s’étaient implantés à Bordeaux comme " nouveaux chrétiens », après avoir pratiqué extérieurement le christianisme pendant plus de cent cinquante ans, reprirent ouvertement le culte juif à la fin du xvii"^ siècle ; quelques-uns réussirent à pénétrer à Paris. Metz eut une communauté juive dès son annexion à la France (1552). Il y eut des Juifs dans la Lorraine ; il y en eut beaucoup en Alsace. Quant à ceux du Comtat Venaissin, qui appartenait au Saint-Siège, ils se rattaclient au judaïsme italien.

Dans cette période qui va de lôooà 1789, les Juifs ne pâtissent plus comme au moyen âge. Toujours méprisés, toujours haïs, ils ne sont pas secoués par des persécutions générales. La haine perd de sa violence. Là où ils sont tolérés, les souverains, en général, ne s’occupent guère d’eux. Les massacres de Juifs ne se renouvellent pas. La fureur populaire s’apaise en partie dans les pays chrétiens.

54. Les causes de l’adoiicisse/nent du sort des Juifs. — T. Ueinach, Ilisinire des Israélites, p. 186. caractérise d’un mot l’état des Juifs pendant cette période : « la stagnation ». Et R. I.a/arf, /.’aiilisrinilisme, p. 133-134. dit : n Quand se leva raul)e du x%’i" siècle, les Juifs n’étaient plus qu’un i>euple de captifs et d’esclaves… Comme ils avaient eux-mêmes fermé toutes les portes, obstrué toutes les fenêtres, pareil ils auraient pu recevoir air et lumière (Lazare fait allusicm à latj’rannie talmudiqvie, encore accrue depuis le xvi* siècle), leur intelligence s’était atrophiée. .. La masse était inapte à tout ce qui n’était pas commerce ou usure… A mesure que le monde se faisait plus doux pour eux, les Juifs — du moins la masse — se retiraient en evix-mèræs, ils rétrécissaient leur prison, ils se liaient de liens plus étroits. Leurdécrépitudeétait inouïe, leur alTaissement intellectuel n’avait d’égal que leur abaissement moral ; ce peuple paraissait mort. » L’amélioration du sort des Juifs ne fut donc pas leur œuvre.

Serait-elle due à la Renaissance, au protestantisme, au philosophisnie ? Pas directement. L’humanisme se désintéressa de la cause des Juifs. Mais il devait leur proliter en tant qu’il était hostile à l’Eglise, qu’il rompait avec le passé et travaillait à détruire l’unité de foi ; puis, l’éveil des études hébraïques, l’initiation des catholiques à la langue et à la littérature juives, l’affaire de Reuchlin cl les débats relatifs au Talmud et à la cabbale, les ouvrages d’an Richard Simon, d’un.lean Lightfoot, d’un llerder, etc. valurent aux Juifs des sympathies.

Loin de favoriser les Juifs, le protestantisme leur fut impitoyable. LuTUfiu donna le ton en écrivant Sur les niensnni^ei des Juifs des pages qui dépassent en violence tout ce qui est sorti d’une i)hime catholique, et en adressant aux princes et aux magistrats des avis énergiqvies pour se débarrasser des Juifs. Cf. n.GiiiSAR, l.niher, Kribourg-en Rrisgau, igi i-ig12, t. ii, p Oio-Gi^i, t. III, p..3^i-3’|6, io63. Indirectement, la Réforme a servi les intérêts d’Israël. L’esprit juif triompha avec elle en ce que l’Ancien Testament fut lii, fouillé, commenté, de préférence à l’Evangile ; des sectes protestantes furent demi-juives, et l’antitrinilarisme rejoignit le judaïsme sur un point essentiel. Mais surtout le principe du libre examen, admis par le protestantisme, deA’ait aboutir, bon gré mal ffré, en dépit de l’intolérance de fait des chefs de la Réforme,.à la théorie de la tolér.ance religieuse, et le judaïsme ne pouvait que bénélicier de l’état des choses nou^ eau.

Pas plus que l’humanisme ou le protestantisme, le philosophisnie du xvni siècle n’eut cure des Juifs. Voltaire les méprisa et détesta souverainement. Les autres « philosophes » et encyclopédistes, en dehors

de leur ridicule campagne antichrétienne en faveur de la reconstruction du temple de Jérusalem, cf. H. Lammkns, dans les Etudes, Paris. 1897, t. LXXIII, p. 459-^62, et exception faite pour Montesquieu, Esprit des lois, XXV. xiii, ne se soucièrent pas d’Israël. Mais l’inditrérentisme religieux prôné par le philosophisme, la proclamation de cette maxime, que toutes les religions sont bonnes et qu’on doit les tolérer toutes, la guerre à « l’infâme » menée on sait comment, tout cela préparait des temps propices à Israël.

Très justement, J. Li’îmann, L’entrée des Israélites dans la société française, 1. 111, distingue « deux souffles d’humanité en faveur des Israélites à la lin du xvni’siècle » : le souille du philosophisnie, « souffle de tempête », et le souille chrétien, « souille bienfaisant ». Plus mûres, les nations sont devenues pUis indulgentes. De turbulentes et fougueuses qu’elles étaient dans leur jeunesse, « nobles enfants parleur baptême et leur foi vive, mais avec tous les instincts d’enfants du nord sortis des forêts », avec des « saillies de leur ancienne nature n et de brusques

« retours vers la barbarie », elles sont devenues

graduellement plus mesurées, plus calmes. Par la vertu de l’Evangile a l’apaisement se fait dans leur sang, dans leurs idées, dans leurs mœurs ». Aussi tant d’écarts terribles vers la dureté dans l’histoire des peuples au moyen âge, en particulier les massacres de Juifs », sont-ils désormais impossibles, p. 252-254.

ij IV. Db 1789 A NOS JOURS

SS. L’émancipation civile des Juifs. — A. [.es préliminaires de l’émancipation. — Moïse Mkndelssohn (1729 1786). que J. Lkmann, op. cit., p. 502, appelle

« le plus remarquable Israélite des temps modernes », 

préluda à l’émancipation civile des Juifs en commençant leur émancipation morale ; il s’efforça de les améliorer et de substituer la Dible au Talmud. Son ami Lf.ssing, fils d’un pasteur luthérien ; le chrétien Guillaume Dohm, archiviste du roi de Prusse, auteur d’un écrit retentissant De la réforme politique de la situation des Juifs (1-81) ; le banquier juif CKRFBEEn, qui, selon l’expression pittoresque de Lhmann, op. cit., p. 498, cf. p. 107-1.58, « assiège » à lui seul Strasbourg, et, n’ayant pu réussir, après vingt ans d’efforts, à s’y faire admettre, par une stratégie habile (( passe du siège de Strasbourg au siège de la société entière n en insinuant au roi Louis XVI le projet de l’émancipation des Juifs ; Louis XVI qui, dès 1784, accorde aux Juifs d’Alsace des lettres patentes contenant des privilèges considérables, et qui met à l’étude, en 1787, le projet d’émancipation ; d’autre part, la franc-maçonnerie, qui s’est ouverte devant les Juifs par l’intermédiaire des marlinisfes dont le fondateur est le juif portugais Martinkz PAsr.nAMs ; le franc-maçon Miuaiibau, qui rapporte de Rerlin, oi’i il s’est lié avec Dohm et les Juifs, un Eloge de Mendelssohn et un mémoire Sur la réforme politique des Juifs, Londres, 1788 ; Ghkc.oiuk, curé d’Emberniénil, qui prend parti pour les Juifs dans un concours ouvert par l’académie de Metz en 1787, tels sont les précurseurs de l’émancipation juive. La déclaration des droits de l’homme de 1781), proclamant l’absolue liberté de conscience, renfermait logiquement l’attribution aux Juifs des droits du citoyen. La question se compliquait ici de dilliciillés de toutes sortes. L’Assemblée nationale, transforméi’en Constituante, hésita durant deux ans à rendre un décret d’émancipation.

R. l’émancipation. I.a France. — La veille même’de la clôture de l’Assemblée (27 septembre 1791), 1721

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Dupont, membre du club des Jacobins, demanda et oblinl l’émancipalion juive au nom des droits de rijdiiiuic. « L’on j)eul dire sans exagération qvie tout juif d’aujourd’liui, ayant de la mémoire et du cœur, est un lils de la l-rance de i ; yi ", écrit T. Kbinach, Jlistoiie des /siaéliles, p. 2()3. Cf. M. Philippso.n, A’eueste Ceschichle des jiidiaclien i’tilkes, Leipzig’, lyo^, t. I, p. 3, y.

Napoliîon, avec son génie d’organisateur, régla dans le détail et restreignit ce que la Constituante avait accordé d’une façon générale. Il convoqua une assemblée des notables d’Israël (1806) et une réunion du grand sanhédrin (1807), la première plus laïque, la seconde plus religieuse ; elles acceptèrent docilement ses volontés et, distinguant des lois religieuses mosaïques invariables les lois politiques abrogées, admirent que la loi de l’Etat était leur loi, s’engagèrent à traiter la France comme leur patrie, à la défendre jus<iu’à la mortel à renoncera l’usure. Trois décrets de Napoléon (17 mars 1808) lixèrent leurs droits au double point de vue religieux etcivil. Religieusement, ils pouvaient ouvrir partout des synagogues ; les rabbins étaient assimilés aux prêtres catholiques, sauf l’émargement au budget des cultes, lequel était une compensation des biens enlevés à l’Eglise de France ; un consistoire (conseil de notables ) était établi dans chaque département qui aurait un nombre suflisant de Juifs ; un consistoire central siégeait à Paris. Civilement, les prêts usuraires des Juifs étaient annulés, leur négoce était soumis à certaines conditions de probité ; l’Alsace, où l’usure juive avait suscité des orages, était interdite à de nouveaux Juifs ; le reste de la France n’était accessible à de nouveaux Juifs qu’autant qu’ils seraient agriculteurs ; le service militaire était obligatoire, sans possibilité de se faire remplacer. Ce décret, valable pour dix ans, avait pour but d’achever l’incorporation des Juifs à la société « en les façonnant à la moderne, ce qu’avait oublié de faire la Constituante, et non de les repousser dans les exceptions licrnumenles du moyen âge », observe J. Lémann, .apoléon l" et les Israélites, Paris, 1894, p. 279. Selon les résultats, il devait être prorogé ou ses mesures d’exception seraient abolies. Dans le même esprit. Napoléon oliligea les Juifs (20 juillet 1808) à prendre des noms de famille, des noms nouveaux ; jusque-là, presque tous les noms étaient eaq)runtés à l’Ancien Testament, ce qui entraînait des confusions dans la désignation des individus et dans les alfa ires de commerce.

Dix ans après, quand le décret de 1808 revint devant la chambre des pairs, Napoléon était loin. Les restrictions tombèrent. Les Juifs eurent une liberté sans réserves. Tranquilles pendant la Restaura tion, ils prospérèrent de plus en plus à partir de la monarchie de juillet. Le 8 février 1831, une loi du ministère LAKiiira les inscrivit au budget des cultes. Dès 1830, le catholicisme avait cessé d’être la religion de l’Etat ; les Juifs étaient complètement assimilés aux Français et leur culte aux autres cultes. En 1839 ilisparut, avec la suppression du serment more judaico, le dernier vestige des séparations entre Juifs et chrétiens.

Les Juifs des colonies françaises ont bénéficié de la bienveillance du pouvoir. En 1870, le juif A. Cui’ : -MIRUX, membre du gouvernement provisoire, octroya aux Juifs d’Algérie une naturalisation collective, (’.'a été une grande faute, vu l’état d’àme des Juifs algériens et leurs rapports avec les Arabes. Aussi T. Rbinacu lui-même, qui disait, dans la 1" édition de son Histoire des Israélites. 188/1, p. 34’i, que le décret Crémieux, < critiqué d’abord pour sa hardiesse, a reçu aujourd’hui la double consécration du

temps et de l’expérience v, le qualilie-t-il, dans la 4’édition, p. 319, de « mesure généreuse, mais peut-être prématurée, et qui eut gagné à être exécutée par échelons ».

G. Les étapes successives de l’émaiicijjiition. Hors de la France. — De la France, l’émancipation juive a gagné peu à peu la plus grande partie du inonde, au moins en théorie ; car, dans la pratii|ue, elle se heurte à mille obstacles. Proclamée, en 179O, dans la Hollande, elle fut dèlinitivement acquise après 1814. La lielgicjue, détachée des Pays-Bas en 1830, assura aux Juifs les droits des citoyens. En Angleterre, où les incapacités civiles étaient tombées peu à peu en désuétude, les Juifs furent mis légalement sur le pied des citoyens anglais, en 1860. Dans les Etats Scandinaves, l’émancipation est un fait accompli depuis 1848 ; en Suisse de[)uis 1874 seulement. En Italie, la Hévolution française et Napoléon avaient apporté l’émancipation totale. En 181."), ily eut presque un retour à l’état légal d’avant 1789. 1848 rendit, en beaucoup d’endroits, aux Juifs les droits civils ; puis, ce fut une nouvelle réaction quand revinrent les gouvernements anciens. La constitution sarde conserva aux Juifs les droits civils donnés en 1848 ; l’unification progressive de l’Italie sous le sceptre de Victor-Emmanuel étendit ses dispositions à toute l’Italie. Le Portugal depuis 181 1 et l’Espagne depuis 1862 ont admis les Juifs ; en Espagne, ils n’ont pas le libre exercice public de leur culte. Après une série de concessions et de réactions, l’Autriche-Hongrie en 1867, et PAllemagne plus ou moins après 1848 et entièrement avec la constitution du nouvel empire ont effacé les dernières traces d’une législation spéciale aux Juifs ; en pratique, l’armée et les hautes fonctions judiciaires cl académiques ne s’ouvrent pas à eux en Allemagne, surtout dans la Prusse. En Russie, où ils sont environ 6000000, c’est-à-dire les deux tiers du total des Juifs d’Europe, ils sont soumis aune législation spéciale. Un décret de 1893, qui n’a pas été strictement appliiiué, a prononcé l’expulsion de tous ceux qui sont en dehors de la Pologne et du a territoire juif » composé de la Russie blanche et de la Crimée. Dès les commencements de la guerre (1914)qui sévit pendantque s’impriment ces pages, la Russie a préludé à l’émancipation des Juifs. En Roumanie, la loi les considère comme des étrangers et les frappe d’incapacités nombreuses. Ils ont l’égalité civile en Serbie et en Bulgarie depuis 1878, et en Grèce deimis 182g ; en fait, la Grèce les écarte des fonctions j)ubliques. Dans les pays musulmans, l’hostilité est fort vive contre eux. La Turquie leur a permis, en 1908, l’accès aux emplois publics. Les Juifs sont libres en Amérique ; une immigration importante s’est produite, au cours de ces dernières années, aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine.

S6. L’antisémitisme. —.V. /.es ori^-ines de l’anliséinitisnie. — De tout teini>s il y eut, parallèlement à ceux qui combattaient le judaïsme au point de vue religieux, ceux qui rallaquèrent au poinl de vue national, social, économique. Ce furent, en dehors du christianisme, sans remonter à la servitude d’Egypte ni même à la captivité de Rabylone. les écrivains des littératures classiques et les foules soulevées contre les Juifs à Rome, à.Vntioche, â Alexandrie. A partir du christianisme, ce furent un .V( ; oBAni) et un.moi.on au ix* siècle, un I’ieuke le Vénkrable au xii=, surtout l’Espagne dans sa répression des marranes suspects d’attaches juives.

« L’antisémitisme existait déjà, dit I. Lonu, Jtesiie

des éludes juives, Paris, 1881, t. 111, p. 320 ; mais il s’ignorait lui-même, la formule n’était pas trouvée. C’était alors l’antijudaïsme. Lutheh, avec son Von 1723

JUIFS ET CHRÉTIENS

1724

der Julien und ihren f.iigen (1542), Simon Majoli (M.vJoLUs), évéque de Volturara, avec ses Bies caniculares. Home, 1585, et ensuite un Piuhre de Lan CRE, un ElSENMENGKR, Un FRANÇOIS DE ToRREJONCILLO,

un ScuuDT, un Voltaire, etc., ont été antijuifs à des degrés divers. Les Juifs, émancipés par la Révolution française, entrèrent dans la société moderne

« non comme des hôtes mais comme des conquérants

», dit B. Lazare, Vantisémitisme, p. 223. Il y eut, pour s’en plaindre, leurs concurrents et leurs victimes. L’anlijudaïsme se mua en antisémilisme.

Une théorie d’allure scientili([ue et des circonstances historiques spéciales aidèrent à la transformation. La théorie est celle de l’antagonisme, de la lutte pour l’existence, des races, de l’opposition essentielle des races « sémitique » et « indo-germanique 1 ou « aryenne », que Renan, sous l’intluence de Hegel, avait érigée, sauf à l’ahandonner sur le tard, en une sorte de loi de l’histoire. Les circonstances propices furent, en général, le mouvement nationaliste, la tendance à l’unité, qui caractérisa les peuples d’Europe dans la seconde moitié du xix’siècle, et, en particulier, après 18 ; o, l’enivrement du germanisme, exaltant tout ce qui lui semblait teuton, répudiant le reste. Plus rien que d’allemand en Allemagne, tel fut le mot d’ordre. Donc, guerre au romanisnie ! Loin d’y contredire, les Juifs donnèrent l’assaut à l’Eglise catholique. Mais aussi, guerre au judaïsme ! A la presse juive dénonçant les catholiques comme des étrangers soumis à un chef étranger, coniment ne pas répondre que les Juifs étaient des intrus de race étrangère, sans patrie et patriotisme ? Les protestants, à leur tour, s’insurgèrent contre Israël, dont les coups atteignaient, par-dessus la hiérarchie catholique, la croix et l’Evangile. Le Juif fut dénoncé comme un danger pour la civilisation allemande et, en compagnie du Juif, tout sémite. Le mot i< antisémitisme » fut forgé, qui élargissait la lutte des Juifs et des chrétiens et lui donnait une signilîcation savante.

B. Les principales formes de l’antisémitisme. — a) L’antisémitisme ethnologique et national. — C’est celui que nous venons de décrire. Il dit que le Juif, en sa qualité de sémite, est inassimilable et dénationalise les peuples au milieu desquels il se trouve. Parti de Berlin, cet antisémitisme franchit d’un bond les frontières de l’Allemagne, avec cette dill’érence que le germanisme fut remplacé en Autriche-Hongrie par le magyarisme, en Russie par le slavisme, en France par la civilisation française. Citons, parmi ceux qui l’ont propagé, en Allemagne W. Mahr, qui le premier systématisa ces idées dans son livre Der iSieg des Judcnlhiinis iiher das Germanenthum vom nicht confessionnellen Stnndpnnht aiishetrachtet, Berne, 1879, H. db Treitschkk, E. Duhring, le pasteur Stocker ; en Autriche-Hongrie. Pattaï et LuR-GER ; en Russie, Aksakof et Mkchtc.iiehsky ; en France, K. Drumont, avec une verve et un talent qui en ont fait un propagandiste redoutable.

b) l’antisémitisme économique el social. — Il voit dans les Juifs une race qui fuit les professions utiles et n’exerce que celles où l’on prospère aux dépens des autres. Elle accapare le momie desall’aires et d «  la linance. Le capitalisme juif se propose et réalise

« la conquête juive ". Ce grief s’ajoute d’ordinaire au

précédent et a été développé par la plupart des défenseurs lie l’antisémitisme ethnologique el national. E. Drumont est au premier rang. Deux de ses prédécesseurs furent A. Tousseniîl, Les Juifs rois de l’époque, Lfintoire de la féodalité financière, Paris, 1847, ^- CAi’nuGUK, Histoire des grandes opéralions financières, Paris, 18.'>.5.

c) L’antisémitisme religieux. — Il se subdivise en

deux formes, selon qu’il est hostile ou non au christianisme. L’antisémitisme antichrélien attaque le christianisme en mèiue temps que le judaïsme auquel il se relie. V. Mahr combat, avec Scuopenhauek, l’optimisme de la religion juive. La métaphysique allemande qui s’inspire de Hegel voit dans le judaïsme un stade inférieur de la civilisation ; c’est le passé qui est mort, tandis que l’esprit germanique est le présent qui marche. Max Stirner déclare que l’humanité a parcouru deux âges, l’âge antique, celui de " l’état d’àme nègre », où l’homme dépendait des choses et qui est toujours celui des Juifs, et l’âge du

« mongolisme », où l’homme est subjugué par les

idées et qui est l’âge chrétien ; l’homme s’achemine vers un âge meilleur, où il dominera les idées et libérera son moi. E. Duhring oppose au judaïsme et au christianisme, qui en est la dernière manifestation, les conceptions religieuses des peuples du nord. Nietzsche caractérise la morale juive et la morale chrétienne de « morale des esclaves » ; il exalte la

« morale des maîtres " qui déilie l’orgueil et la force.

En Friince, quelques révolutionnaires athées ont professé un antisémitisme antichrétien : tels G. Tridon, Du molocliisme juif, Bruxelles, 1884 (ouvrage posthume), et A. Regnahd, Aryens et Sémites, Paris, 1890.

Des antisémites non-chrétiens, qui ont gardé, legs plus ou moins conscient de l’hérédité, des sympathies pour le christianisme, font volontiers du Nouveau Testament l’antithèse de l’Ancien. Pour ToissENKL, les Juifs, « qui s’arrogent le titre de peuple de Dieu, ont été le véritable peuple de l’enfer… Le Dieu du peuple juif n’est autre que Satan…, Satan, le Dieu des armées, le Dieu du carnage, le Dieu méchant, le Dieu jaloux, le Dieu unique », tout le contraire du « vrai Dieu, le Dieu de l’Evangile, celui qui se révèle par l’amour », Les Juifs rois de l’époque, 4 « édil., Paris, 1888, t. ii, p. 274, 286.

Des chrétiens authentiques, respectueux de la Bible, dénoncent leTalmud et le judéo-raaçonnisme.

C. Les fondements de l’antisémitisme. — Il y a, dans l’antisémitisme, des éléments divers et même contradictoires. Au point de vue chrétien, nous avons vu ce qui semble pouvoir se dire du judéo-maçonnisme, du Tahnud et de l’antichristianisme juif ; est-il besoin d’ajouter que, loin d’être en contlit, l’Ancien Testament et l’Evangile se ressemblent comme la promesse et son accomplissement, que celui-ci réalise ce que celui-là prépare, qu’ils ont le même Dieu, le même décalogue, la même morale, mais conduite dans l’Evangile à sa perfection, el qu’un chrétien ne saurait oublier que Jésus est issu d’Israël, et sa mère aussi, et ses apôtres qui ont apporté au monde la Bonne Nouvelle chrétienne ?

Aux points de vue scientitique, national et économique, un triage s’impose parmi les allirmations des antisémites. L’antagonisme des deux races aryenne el sémite est factice : ni l’une ni l’autre ne sont des races pures, et des peuples de langue sémiticpie présentent entre eux des contrastes aussi accentués que ceux qui existent entre eux et les aryens : c’est tellement vrai qu’en Algérie l’antisémitisme a patronné, contre les Juifs, les, rabes, sémites comme les Juifs. Par ailleurs, s’il a contribué considérablement à la transformation économicpieetau « règne de l’argent », le Juif n’a pas été seul à produire l’état des choses actuel ; il résulte de la Révolution française el de l’ensemble de changements qu’elle a introduits dans l’organisme social. En revanche, il est exact que les griefs des antisémites sont en partie fondés. B. Lazare le reconnaît sans ambages. Il ne dit pas tout. Il en dit assez pour justilier quelques-unes des positions adoptées par les anlisémiles. 1725

JUIFS ET CURliTlENS

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BiBLioOBAPUiE. — Sur l’Etal et les Juifs avant l’jSi) : Fischer, De statu et jurisdictione JuHæorum secundum leges romaiias, geriiianicas, alsaticas, Strasbourg, l’OS ; P. VioUel, Histoire du droit civil français. Droit privé et sources, Paris, 1893, p. 353304 ; T. Ueinacli, article Judæi, dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Paris, 1899, t. iii, p. 630-C3a ; J. Juster, à’xamen critique des sources relatives â la condition juridique des Juifs dans l’empire romain, Paris, 191 1 ; Les Juifs dans les lois des If isigoths, dans les Etudes d’histoire juridique olïertes à P. -F. Girard par ses élèves, Paris, 1912 ; Les Juifs dans l’empire romain, leur condition juridique, économique et sociale, 3 vol., Paris, 1914 ; H- Janin, Les Juifs dans l’empire byzantin, dans les Echos d’Orient, Paris, 19 13, t. XVI, p. 126-133. Sur les divers Etats elles Juifs voir la bibliographie donnée par T. Ueinach, Histoire des Israélites, i^. 388-391.

Sur l’Etal et les Juifs après 1789 : A. -E. Halphen, Recueil des lois, décrets, ordonnances, avis du conseil d’Etat, arrêtés et règlements concernant les Israélites depuis la Révolution de 17l19, Paris, 1851, continué par Uhry, 1887, et Penel IJeaulin, 18g4 ; J. hémRnn, L’entrée des Israélites dans la société française et les Etats chrétiens, 6’édil., Paris, 1886, et La prépondérance juive, Paris, 1899-1894, 3 vol. ; C. Thibaut, Le judaïsme et les Juifs de nos jours d’après les sources et les publications juives. Les Juifs à travers le monde, dans I.a controverse et Le contemporain, 2" série, Lyon, 1887, t. X, p. 267-293, t. XI, p. 432-459 ; H. -Lucien Brun, La condition des Juifs en l’^rance depuis Il H9, Lyon, 1900 ; M. Philippson, JVeueste Geschichte des jiidischen Voiles, Leipzig, 1907-1913, 3 vol. (copieuse bibliographie).

II. — L’Eglise et les Juifs

Les grandes lignes de la conduite de l’Eglise

< ! I. L’Eglise et les Juifs en général. S II. L’Eglise et les Juifs des Etats du Saint-Siège. 5 III. L’esprit qui anime l’Eglise.

^. I. L’Eguse et les Juifs en génkkai.

S7. L’unité de conduite de l Eglise. — Quand : ious disons n l’Eglise ». nous entendons n la hiérarchie ecclésiasticiue », l’ensemble des évêques, les conciles, surtout œcuméniques, et principalement les papes. Les actes et les paroles d’un simple particulier, serait-il évêque, s’il est seul, et même d’un concile provincial ou régional, quelle que soit son importance, n’engagent pas la responsabilité de l’Eglise. Au contraire, les conciles lecuméniques et les papes parlent et agissent avec une autorité souveraine.

Or, comme l’a très bien vu E, RonocANAcni, Le Saint-Siège et les Juifs, p. 121-124, la conduite de la papauté envers les Juifs présente des vicissitudes nombreuses selon les temps, les circonstances, les jiersonnes. « Cette diversité toutefois est plus apparente que réelle. Ce qu’il y a de remarquable et de très puissant dans la politique du Saint-Siège, c’est l’unité ; étant très peu terrestre, elle est très peu variable. Les hommes ambitionnent mille choses ; l’Eglise n’en désire qu’une, toujours la même », et c’est le salut des âmes. L’Eglise veut « gagner et non subjuguer les Juifs », sachant que la foi ne s’impose point ; elle condamne les violences contre eux, elle respecte la liberté de leurs consciences et de leur culte. Mais elle n’entend pas qu’ils soient un péril pour la foi des lidèles. De là des restrictions pour qu’ils ne deviennent pas ce péril, et des mesures

sévères quand ils le constituent. Elle leur défend tout prosélytisme de la persuasion ou de la force. Parce que, s’ils exerçaient les fonctions publiques, ils abuseraient — l’expérience l’a démontré —, au détriment des chrétiens et du christianisme, du pouvoir et du prestige qu’elles confèrent, l’Eglise leur interdit ces fonctions. Pour le même motif, ils ne peuvent ni avoir des esclaves chrétiens ni circoncire leurs esclaves païens. A mesure que les faits y invitent, ils sont empêchés de vivre avec les chrétiens dans une familiarité dangereuse pour la foi chrétienne.

Ainsi, sans contradiction aucune, l’Eglise s’est prononcée pour les Juifs et contre les Juifs, contre les Juifs quand ils voulaient imposer leur joug aux lidèles et faire œuvre de prosélytisme antichrétien, pour les Juifs quand les princes et les peuples attentaient à leurs droits ou violaient injustement leurs privilèges. Le aô" canon du 111* concile œcuménique de Lalran porte : Judæos subjacere christianis oportet et ah eis pro sola humanitale foveri. Tantôt il a fallu leur rappeler que, dans une société éminemment chrétienne, ils n’avaient une liberté de parvenir qu’imparfaite et limitée ; tantôt il a été nécessaire de ranimer chez les chrétiens le sentiment des exigences de l’humanité. Des papes plutôt mélianls et qui ont réprimé les excès des Juifs, tel 1n.ocent III, les ont défendus contre des vexations iniques. En revanche, des papes bienveillants, un Martin V ou un LiioN X, par exemple, ont dû parfois, parce que ces excès se renouvelaient, sévir à leur tour.

Les variations de la conduite du Saint-Siège ont donc tenu à celles de la conduite des Juifs eux-mêmes. Le caractère personnel des papes, les influences de l’entourage — ceux qui eurent des médecins juifs furent généralement plus favorables aux Juifs que les autres — les iniluences de l’époque, se sont aussi reflétées dans les décisions des pontifes de Rome.

38. Les diverses époques. — A. De 313 à HOO. — Le grand nom qui domine cette époque est celui de saint Grégoire le Grand (590-604). Il s’est beaucoup occupé des Juifs. En principe, il accepte la législati (m impériale. Sicut Judæis non débet esse licentia quidquam… ultra quant permissum est lege præsumere, ita, in his quæ eis conccssasunt, nullum debent præjudicium sustinere, dit-il, Epist., , xxv, cf. IX, Lv, etc. L’Eglise conserva longtemps les lois des empereurs de Byzance comme sa propre loi, sans pourtant s’asservir de façon stricte au droit romain. En se réclamant de lui, saint Grégoire donne sa note personnelle. Il a formulé, en quehjue sorte, dans un esprit d’équité et de douceur, le programme des relations de l’Eglise avec les Juifs. Lilierté dn culte mosaïque, prohibition du prosélytisme juif, respect de la justice envers Israël, obligation pour Israël d’obéir aux lois, rien n’est omis. Or, saint Grégoire est devenu « le guide pratique du moyen âge », H. Grisar, trad. A. db Santi, Storia di liomae dei papi nel medio evo, Rome, 1899, t. III, p. 350. Ses textes sur les Juifs ont été utilisés pour la composition des dossiers réunis par.molon. Contra Judæos, et par le concile de Mcaux (845), et, dans des proportions considérables, pour celle des recueils qui ont précédé les compilations officielles de droit canonique : la Colltctio Anselmo dicata, les Appendices du De ecclesiastica disciplina de Rkginon de Prûm, le Decretorum libri.YX de Burchard de Worins. la collection inédile dn Vaticanus’iSdt e.l la collection rlu ms. C 118 des archives vaticanes qui en est une édition corrigée, surtout le Décret d’Yvks de Chartres et celui de Gratihx. Sur les 19 chapitres que compte le titre vi. De Judæis, Sarracenis et eoruni 1727

JUIFS ET CHRETIENS

1728

servis, du 1. V des Décrétales, 14 ont trait aux Juifs : deux textes sont tirés des lettres de saint Grégoire ; de plus les c. 5. 7, 8, 9, 13, 19, canons de conciles ou décrets pontilicaux, se prononcent dans le même sens que saint Grégoire. Cf. V. Tiollikh, Saint Grégoire le Grand et les Juifs, Brignais, 1918, p. 84-88.

D’accord, en somme, avec saint Grégoire, les nombreux conciles, qui légiférèrent sur les Juifs jusqu’en iioo, ont touché à un point qui ne l’avait pas arrêté. Dans toute son œuvre, on ne trouve pas trace — la question des esclaves mise à part — de défenses relatives au conlact des Juifs avec les fidèles. Plusieurs conciles, préoccupés de préserver ces derniers de la « contagion judaïque », leur interdirent la fréquentation trop intime des Juifs. Où la rigueur s’affirma, ce fut dans les conciles de Tolède. A vrai dire, c’étaient moins des conciles que des assemblées nationales de la monarchie espagnole, se bornant, oujjresque, à enregistrer les lois décrétées par les souverains. Mais Gratikx leur emprunta jusqu’à neuf canons, dont six (exactement le nombre de ceux qu’il dut à saint Grégoire) du IV* concile (033), Décret., 1", d. xLv, 5 ; d. liv, 17 ; II », c. xvii, q. IV, 31 ; c. XXVIII, q. i, 10, il, 12 ; 111=’, d. iv, g’i. YvKS de Chartres leur avait pris neuf canons, Décret., I", 276-380 ; X1II=’, 94-95, 97-98 : six sont communs à Gratien et à lui. Par Yves et surtout par Gratien, la sévérité des conciles espagnols déteignit sur la législation ecclésiastique.

Il y eut des évêques pleins de bienveillance pour les Juifs, les protégeant, ayant d’excellents rapports avec eux. Ce fut le cas de saint Sidoine Apolu-NAiRK et de saint Ferrkol d’Uzès. Saint Hilaire d’Arles et saint Gallus de Clermont furent pleures par les Juifs, ainsi que saint Basilk ; ce dernier avait un médecin juif. Rudigkr, évêque de Spire, les défendit contre d’injustes vexations (io84). D’autres évêques poursuivirent l’application stricte des lois antijuives. Quelques-uns outrepassèrent les lois. Les épisodes les plus fameux sont celui de la synagogue de Callinique (388), cf. saint.-mhroise, Epist., xL-XLi ; celui des Juifs d’Alexandrie et de saint Cyrille (414-415) ; celui des Juifs de Lyon et des évêques AooiiAHi) et Amolon.. Béziers, une coutume ancienne, qui se rattachait vraisemblablement à celle de la colaphisation et qui ne l’ut abolie qu’en II 60 par l’évêque Guillau.mk, autorisait les chrétiens à attaquer les maisons des Juifs à coups de pierres, de la première heure du samedi avant les Rameaux jusqu’à la dernière heure du samedi après Pâques.

B. De llOO à 1.500. — Avec I.nnockntIII (1198-12 16), la situation des Juifs empire. Alliés aux albigeois et autres hérétiijues dans la lutte contre l’Eglise, ils ont leur part de répression. Le IV’concile de Latran renouvelle et aggrave les défenses tombées en désuétude. Dans les Décrétales, publiées par l’autorité de ("iRÉooiRic IX, furent codifiées olliciellement les principales dispositions relatives aux Juifs. l.V, tit. VI : le grand principe de leur liberté religieuse subsiste, et les moyens de nuire à la foi chrétienne, surtout par la familiarité avec les chrétiens, sont rendus impossibles. Plusieurs papes renchérissent encore sur ces rigueurs. Mais en même temps ils protègent les Juifs contre les excès d’un zèle mal entendu, contre les appétits d’une cupidité insatiable. Us veillent sur eux, sur leurs familles, sur leurs biens ; ils poursuivent l’oppression sous toutes ses f(irnu ! S, et, ne distinguant pas du chrétien le Juif, entendent que justice se fasse. C’est ce que montre le Formulaire de Marin d’Eboli, comjiosè, vers le milieu du xni* siècle, à l’aide des registres des papes.

La papauté, durant son séjour à Avignon, fut secourable aux Juifs. La légende a perpétué le souvenir de leur bienveillance. Cf. F. Gras, La jusiolo d’Ai’ignoun, dans Le romancero prui’cnçal, Avignon, 1887, p. 174-181 (il s’agit de Benoît XII) et Basnage, Histoire f/es./(n/’s-, Rotterdam, 1707, t. V, p. 1798-1799 (il s’agit probablement de Jean XXII). Clément VI lit des ell’orts héroïques pour le salut des Juifs au moment de la peste noire, et l’on vit, comme s’exprime Froissart, I, II, 5, « les povres Juifs ars et escacés par tout le monde, excepté en la terre de l’Eglise, dessous les clefs du pape ». Revenus à Rome, les papes restèrent indulgents aux Juifs. Innocent VII (1404-1406), cf. F. Vernet, Le pape Innocent VU et les Juifs, dans L’université catholique, Lyon, 1894, t. XV, p. 899-408, et Martin V (1417-143’)' cf. F. Vernet, Le pape Martin V et les Juifs, dans la Revue des questions historiques, Paris, 1892, t. Ll, p. 378-423, comptent parmi leurs plus décidés défenseurs. Eugène IV, Nicolas V.CalixteIII, Paul II, édictèrent ou renouvelèrent des prescriptions sévères mais qui furent, en majeure partie, lettre morte. Bref, jusqu’en 1500, en dépit des entraves légales, les Juifs n’ont pas trop de désagréments du côté de Rome.

Pendant ce temps, les conciles provinciaux reproduisaient les décisions pontificales, non sans une tendance à les compléter par des mesures plutôt aggravantes. Voir la liste de C. Auzias-Tuhenne, /.es Juifs et le droit ecclésiastique, dans la Ltevue catholique des institutions et du droit, Paris, 18g3, 2’série, t. XI, p. 295-297. Les évêques et le clergé séculier et régulier manifestaient des dispositions diverses. Le moine Rodolphe e.xcita les Allemands contre les Juifs à l’occasion de la deuxième croisade ; mais il ne représentait aucunement l’Eglise, celui que saint Bernard, Epist. ccclxv, appelle « un lils indigne de l’Eglise, rebelle envers le supérieur de son monastère, désobéissant auxévéques.etprëchant le meurtre contrairement aux lois de sa religion ». Cf. la bulle A quo primum de Benoît XIV (14 juin 1751), 4- Les lîéponses aur infidèles, de Joseph lb ZÉLATEUR, lils de Nathan l’onicial et ollicial lui-même, c’est-à-dire familier de l’archevêque de Sens et chargé d’exercer la juridiction et d’apposer le sceau de l’évêché au nom de l’évêque(peut-ctre cette mission fut-elle réduite à ses coreligionnaires), nous permettent de saisir sur le vif les relations des Juifs avec le monde chrétien. iV<uis y voyons des Juifs qui discutent, en toute liberté, les questions les plus délicates, les plus brûlantes, avec de simples religieux, avec des évêques et le pape lui-même (probablement Grégoire X). C(.’/.. KjlHH, Hevue des études juives, 1881, t. III, p. io-15, 34 : « Ce phénomène remarquable se produit non seulement aux époques relativement calmes et heureuses, où ils jouissent de la bienveillante ])roteetion du chef de l’Etat, comme au temps de Louis Vil, mais encore plus tard, quand ils sont déjà sous le coup de mesures vexatoires et violentes, comme au temps de Philippe Auguste et de saint Louis. Cela prouve, ainsi que l’a établi ici même {ltevue des études juives, 1881, t. II. p. ifi) un écrivain bien informé (S. Lrci ;), que les lois ne donnent pas toujours la mesure exacte de l’état social d’un pays et que la vie morale des nations se compose d’éléments bien complexes et parfois contradictoires. » En général, les gens d’Eglise adoucirent praticiueinent la sévérité des lois ecclésiastiques. Parmi ceux qui réclamèrent avec le plus d’autorité leur ap|)lication exacte, nninmons saint Vincent FEiininn, saint jEANde Gapistran et le bienheureuxBKRNAHDiN de Feltre.

G. De 1500 à 1189. — Le xvi" siècle commença bien 1729

JUIFS ET CHRÉTIENS

1730

pour les Juifs. Jdles II (1503-15 : 3) fut bon. Lkon X (1513-1521) les favorisa. Clkmbnt VII (1523-153/|) poussa la bienveillance à ses limites extrêmes. Paul

III (153^-154g)les combla de privilèges.

Avec I’all IV (1555155y), tout change. Menacée par l’assaut formidable du protestantisme et de l’cliinenl païen de l’humanisme, atlaiblie par des abus rcels, la papauté se réforme et réforme l’Eglise. Le catholicisme se concentre en lui-même, et, maintenant que les Etats ne font plus la i)olicc contre les ennemis de l’Eglise — les Etats protestants la faisant contre l’Eglise et les Etals catlioliijues trop souvent contre les doctrinesromaines — l’Eglise, réduite à ses propres forces, les déploie tout entières. Adversaires irréductibles du christianisme, les Juifs sont surveillés de plus près que jadis. Il est à noter que, s’ils continuent de légiférer concernant les Juifs de tout l’univers, l’action des papes se dessine et est réelle surtout dans les Etats du Saint-Siège. En oulre, la sévérité pontificale subit des intermittences. A Paul

IV succède un homme doux et facile. Pis IV (lôSgi 565). Saint Pib V (1566-1572) reprend la ligne de conduite de Paul IV. Le « terrible » Sixte-Quint (l 585-1 590) se fait pour les Juifs accommodant et généreux. CLii.MENT VIII (1592-1605) renoue la tradition de Paul IV et de Pie V. Après lui, la situation des Juifs s’améliore. Les dures ordonnances de Clément VIll, de Pie V, de Paul IV, ne sont pas abrogées. Dans leur application, le Saint-Siège apporte des tempéraments, variables selon l’humeur des papes et les actes des Juifs.

D. De 1789 à nos jours. — L’assemblée des notables d’Israël, sur la proposition d’un de ses secrétaires, Isaac-Samuel Avigdor, décida, le jour de sa clôture (5 février 1807), de consigner dans ses procès verbaux l’expression de sa reconnaissance pour les bienfaits de « divers pontifes » et « du clergé chrétien, en faveur des Israélites des divers Etats de l’Europe, alors que la barbarie, les préjugés et Pignorance, persécutaient et expulsaient les Juifs du sein des sociétés ». Cf. J. Lé.mann, Napoléon /"’et les Israélites, p. 85-89. *^^l hommage honore les Juifs qui en eurent Pinitiative et résume exactement la conduite de l’Eglise. Récemment, au cours de l’affaire de KielT, lord Rothschild rappelait, lui aussi (lettre du 7 octobre 1913 au cardinal Merry del Val), qu’  « un grand nombre de souverains pontifes ont, ù diverses occasions, étendu leur généreuse protection k ses coreligionnaires persécutés », et invoquait Il la gracieuse intervention » du cardinal secrétaire d’Etat de Pie X « suivant les traditions éclairées et généreuses du Saint-Siège, qui a si souvent élevé la voix pour défendre les opprimés et pour faire triompher la vérité et la justice ».

L’Eglise a témoigné, au fur et à mesure des circonstances, qu’elle demeurait lidèle à son passé de sévérité pour les doctrines juives et de charité pour les personnes. Jamais cette sympathie ne s’est aflirmée comme au concile du Vatican. U faut lire, dans La cause des restes d’Israël introduite au concile œcuménique du Vatican des deux frères Lkmanx, le récit de leurs démarches pour obtenir que le concile adressât un appel miséricordieux à la nation israélite. t)n admire la charité apostolique, inliiiimenl variée dans ses formes, mais toujours identique au fond, avec laquelle les Pères du concile signent le l’ostulutum pro Hebræis. 510 signatures éjjiscopales furent ainsi recueillies ; et tous les Pères du concile auraient signé sans exception, si les deux frères, obéissant à un sentiment délicat de déférence, n’avaient voulu céder l’honneur du i>lus grand nombre de signatures a Postulatum pro infalliliilitate ». L’interruption du concile suspendit cette a. œuvre de

Tome IL

tendresse et d’honneur », qui sera reprise quand sera repris le concile et qui eut les bénédictions de Pie IX. Un mot de Pie IX aux abbés Lémann, p. 38, cf. 246, indique la source de ces sympathies : Vos eslis /ilii.4braliae, et ego. Cl. H.’oGRLf, rEis clP. Kib-GER, Geschichte der Juden in Hum, Uerliu, 1895, t. U, p. 369 (un autre mot de Pic IX en 18.’)G). Léon XIII, pour ne parler que de ce fait, invita le clergé de Gorfou à calmer la population chrétienne et à la détourner des violences auxquelles elle se portait contre les Juifs à la suite d’une accusation de meurtre rituel (1891). Cf. F. KiiANK, Oie Kirclie und die Juden, Ilatisbonne, 1898, p. 30-31, 42- N’exagérons pas la signilication de la réponse du cardinal Mbiiiiy DEL Val à lord Rothschild ; c’est surtout un acte de parfaite courtoisie. Toutefois il importe de noter la linale : « Dans l’espoir que cette déclaration pourra servir le dessein que vous poursuivez », si bien en harmonie avec la tradition de l’Eglise.

§ IL L’Eglise bt les Juifs des Etats DU Saint-Siège

S9. Avant 1500. — L’histoire de la communauté juive de Rome est le miroir sûr des dispositions de la papauté envers la race entière. Ailleurs évêques, conciles, princes, substituaient, de-ci de-là, leur action à celle du pape ; à Pioine, maître absolu, le pape traduisait toute sa pensée ]>ar ses actes.

Or, les Juifs furent plus libres à Rome que partout ailleurs. Tandis que partout, dit E. Rodocanacui, Le Saint-Siège et les Juifs, p. 2, en Espagne, en France, en Allemagne, en Arabie même et jusque dans les régions les plus lointaines, on persécutait rigoureusement les Juifs, à Rome, dans la capitale du monde chrétien, on les tolérait. Celle tranquillité, cette sécurité d’àme et de corps, dont il ne leur était permis de jouir nulle part, ils la trouvaient, relativement du moins, à l’ombre de Saint-Pierre.)) La période la plus paisible fui celle qui va jusqu’en 1500 el même jusqu’au milieu du xvi" siècle ; il n’y eut guère, pour troubler leur repos, que des bulles d’EuGÈNE IV et de ses successeurs, auxquelles, du reste, il manqua d’être appliquées.

Une habitude qui caractérise cette situation fut celle de la prestation d’hommage, accompagnée de Poffrande d’un exemplaire du Pentateuque, au pape nouvellement élu. Avec le temps, cette céréinonie l)ril un tour humiliant ; la tradition du Pentateuque, qui leur avait attiré de bonnes paroles, amena des reproches sévères sur la méconnaissance du Christ par les Juifs, souvent sous cette forme : Legem proho sed improbo gentem. Cf. F. Cancellieri, Storia de’sûlenni possessi de’sontnii ponte/ici, Rome, 1803, p. 223-220, note. A l’origine, cette manifestation fut, semble-t-il, spontanée et joyeuse. C’était une façon d’allirmer un loyalisme « [ue les faits conlirmérent, car les Juifs de Rome ne pactisèrent pas avec les révoltés : Arnaud <le Brescia, Crescenzio, Stefano Porcari, Cola di Rienzo.

Ce qu’ils furent pour les Juifs romains, les papes le furent pour tous ceux de leurs Etats en Italie et en France. « En général, dit R. de Maulde, Ilevue des éludes juives, 1883, t. VII, p. 237-228, les papes d’Avignon et le gouvernement ponlilical du xv « siècle montrèrent une bienveillance bien rare alors pour les inslilutions juives, dépassant largement en pratique les limites que leur traçaient les théories des jurisconsultes el surtout les vœux de la population indigène, conslammenl hostile ou envieuse à regard des Israélites. » De là un alllux des Juifs étrangers, après les grandes expulsions du siii’, du xiv< : el du sv= siècles, à telles enseignes que les

55 1731

JUIFS ET CHRETIENS

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Juifs avignonnais finirent par en concevoir de l’inquiétude et par endiguer l’invasion.

Rome fut également un refuge pour les Juifs chassés d’ailleurs, en particulier de l’Esiiagne. A partir dePAi’L H (147a), les Juifs romains eurent une participation aux jeux du carnaval, qui devint assez vite fort vexatoire ; dans le principe, si elle fut contrainte, elle n’eut rien d’avilissant. Cf. les textes sur cette institution recueillis par H. Vogelstein et P. RiEGER, Geschichle der Juden in liom, t. ii, p. 137-141.

60. Après 1500. — Les rigueurs inaugurées par Paul IV atteignirent surtout les Juifs de Rome et des Etats du Saint-Siège. Seuls ils étaient en cause dans la bulle Ciim iiiinis absiirdiim {[q juillet IDÔ5), qui avait pour but d’empêcher leur domination sur les chrétiens et qui les condamnait à la réclusion du ghetto. PiK V étendit cette bulle à la chrétienté entière, et, chose nouvelle, chassa les Juifs des Etats du Saint-Siège (bulle Hebræorum gens, 26 février 1669), Rome et Ancône exceptées, Ancône à cause des relations commerciales avec l’Orient, Rome parce qu’il y avait lieu d’espérer que, dans le voisinage et sous la surveillance du pape, ils s’abstiendraient de leurs méfaits, et que des conversions étaient possibles. Clément VUI renouvela l’éditd’expulsion (bulle Cæca et obduiata, 26 février 15y3) cassé par Sixte-Quint (bulle Christiana pietas, 22 octobre 1586) ; il n’autorisait que le séjour à Rome, Ancône et Avignon. Aussitôt, le port d’Ancône fut mis en interdit par les marchands juifs des échelles du Levant, les autres ports furent menacés ; l’approvisionnement de Rome était en péril. Clément VUI annula, en grande partie, son édit du i" mars par le bref Cum superioribus niensibus du 2 juillet sui^ant, « à cause, dit-il, des avantages que leur présence peut procurer à nos sujets au point de vue du commerce)i. Il n’y eut pas d’autre tentative d’expulsion.

Après le pontilicat de Léon X, les Juifs romains avaient été dispensés d’offrir le Pentateuque lors de l’élection du pape ; mais ils furent chargés de la décoration coûteuse de l’escalier du Capitole, puis de celle de l’arc de Titus et du Colisce et de la voie qui conduisait de l’un à l’autre. Les courses du carnaval étaient devenues toujours plus odieuses aux Juifs, plus grotesques et humiliantes. Cf. le récitdu carnaval de 1580 dans le Journal du voyage de Montaigne, Paris, 1774, p.’40- Clément VIII les en exempta (1608), moyennant une contribution annuelle de trois cents écus. Le premier samedi du carnaval, une députation des Juifs de Rome prêtait hommage aux représentants de la cité. Ce vestige des traditions féodales comportait un geste expressif ; le sénateur de Rome — ou un conservateur du Capitole — plaçait le pied sur la nuque du grand rabl)in, et lui signifiait de se lever en disant : n Allez ». C’est de ce geste qu’est née, pour le populaire, « la légende que le rabbin devait subir l’outrage d’un coiip de pied. Par la suite on supprima le geste et le mot », E. Ro-DOCANAc. iii, l.e Saint-Siège et les Juifs, p. 206.

A tout prendre, les Juifs des Etals du Saint-Siège regagnèrent insensiblement, au xvii" et au xviii’siècles, la plupart des positions perdues. La pa])auté, selon une formule heureuse d’E. Rodocanachi, p. 218,

« s’efforçait d’allier l’amour de l’équité à la défiance

que lui inspiraient des hôtes si suspects ». Basnagiî enviait le sort des Juifs. « De tons les souverains, dit-il, Histoire des Juifs, t. V, p. 1702. il n’y en a presque point eu dont la domination ait été plus douce aux circoncis que celle des papes, et. pendant qu’ils persécutent le reste des ehréliens (on enlend ici le calviniste réfugié en Hollande à cause de la révocation de l’cdit de Nantes) qui ne sont pas soumis à

leurs lois, ils favorisent cette nation ; ils en tirent les intendants de leurs finances ; ils lui accordent des privilèges, et lui laissent une pleine liberté de conscience. Quelques papes ont été leurs ennemis ; mais il est impossible que, dans une si longue suite d’évêques de Rome, ils aient été tous du même tempérament et suivi les mêmes principes. Ils vivent encore aujourd’hui plus tranquillement sous la domination de ces chefs de l’Eglise que partout ailleurs. « 

Quand la Révolution française et Napoléon commandèrent à Rome, l’émancipation civile des Juifs fut décrétée. Emancipation éjihémère, puisqu’elle cessa avec la restauration pontificale. Les barrières du ghetto furent détruites, non point jiar la « révolution triomphante » de 1848, quoique prétende T. Reinach, Histoire des Israélites, p. 32(3, mais par PiH IX. « Ce ne fut pas la révolution de Rome, dit F. Gregorovius, Promenades en Italie, trad., Paris, 1894, p. 4’-42, qui provoqua cet acte libéral. Ainsi que quelques Juifs me l’ont fait eux-mêmes remarquer, la réforme s’est accomplie un an auparavant. Elle a été due aux réclamations de l’opinion publique, et enfin à l’esprit large et libéral du pape, trop intelligent pour ne pas comprendre les besoins de sou siècle. I) Aujourd’hui le ghetto n’existe plus et Victor-Emmanuel a assimilé aux autres citoyens les Israélites.

Le même Gregorovius résume, p. 17, de la sorte l’histoire des Juifs de Rome et des Etats du Saint-Siège :

« A l’exception de quelques éclats de la haine

populaire, les Juifs n’ont pas subi à Rome d’aussi cruelles persécutions que dans les autres villes de l’Europe. Rome n’a jamais été un terrain propice au fanatisme religieux, l’ancienne tradition de tolérance s’y étant toujours conservée. »

§ III. L’esprit oui anime l’Eglisb

61. Les duretés contre les Juifs. — A. L’objection juive. — A lire des écrivains juifs, on croirait que les mobiles de l’Eglise ont été uniquement intéressés et dépourvus de toute noblesse. Grætz, trad., t. IV, p. ir)i-162, p.irlant des mesures d’Innocent III favorables aux Juifs, dit que « ce n’est pas un sentiment d’humanité et de justice qui provoquaitl’intervention du pape, mais cette pensée singulière que les Juifs doivent vivre, et vivre dans l’abjection et la misère, pour la plus grande gloire du christianisme ». i. LoKB, HéfJejiiins sur les Juifs, p. 28-24, veut bien supposer qu’à l’origine l’Eglise n’avait d’autre but que de marquer, aux yeu." : des païens fraîchement convertis, la dilTêrence entre la religion chrétienne et la religion juive. Mais de là seraient venues, « par habitude, entraincment, abus de la force et ivresse du triomphe, les insultes contre les Juifs, les reproches, les déclamations, les calomnies oflicielles. Bientôt l’Eglise ne prononce ])lus le nom des Juifs sans y joindre une épithête injurieuse : la perfidie des Juifs, la perversité des Juifs, l’ingratitude des Juifs envers les chrétiens, leur prétendue insolence, leur aveuglement, reviennent à chaque instant dans les écrits des papes et les procès-verbaux des conciles ; nombre de bulles papales sur les Juifs débutent par quelque aménité de ce genre, placée en vedette pour mieux la graver dans les esprits. L’une coinmenée par » l’impie perfidie des Juifs », l’autre par (I l’antique perversité des Juifs » ou par « In perfidie aveugle et endurcie des Juifs » ou " la malice des Hébreux ». Les Juifs sont maudits et réprouvés, ils ne subsistent que par la tolérance et la miséricorde de l’Eglise, laquelle veut bien les laisser végéter afin qu’ils soient comme un éternel témoin de la vérité chrétienne, et dans l’espoir qu’ils finiront par se 1733

JUIFS ET CHRÉTIENS

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convertir… Mais, si on supporte les Juifs, ils ne doivent i> ; is oublier que leur crime les a condamnes à un perpétuel servage, ils sont esclaves des clirctiens, qui les nourrissent comme « un serpent dans le giron et un tison dans le sein ».

B. Lfs e.ipressioiis dures contre tes Juifs. — 11 est vrai que souvent les Juifs sont qualilics durement dans les bulles des papes, comme dans les écrits des Pères et des écrivains ecclésiaslii]ues. Cela s’expli(]ue par les excès réels des Juifs, et aussi par les habitudes d’alors ; pendant des siècles, le latin et même le français ont eu des audaces qui ne sont plus autant de mise aujourd’hui. Encore conviendrait-il de nepasaltérer le sens des formules poutillcales. Quand, par exemple, Loeb résume en ces ternies :

« elle (l’Eglise) veut bien les laisser végéter alin ([u’ils

soient comme un éternel témoin de la vérité chrétienne », deux passages de Paul IV et de Pic V, il s’en faut qu’il rende exactement la pensée des deux papes. Paul IV (bulle Cum niinis absurdum, 14 juillet 1555), dit : Considérantes Ecclesiam liomanam eusdem Judiieos tolerare in lestinionium-eræ fidei christianae, et ad hoc ut ipsi, sedis upostolicæ pietate et beni^nitale allecti, errores suos tandem reco^noscant. Et PiK V (bulle Ilebræorum gens, 26 février iSGg) : Clirisliana pietas, hune ineluctabilem casurn in pritnis conuniserans, illam humanius satis apud se passa est ditersari, ut scilicet crebro illius inluitu, passionis doniinicæ memoria fidelium oculis frequenlius olnersetur, simulque[IIebræorum gens] ex exemplis, doctrina, monitis, ad conversionem et salutem. .. anifilius in’itelur. Nous sommes loin du sec

« veut bien les laisser végéter j’.Graktz assure que

la protection accordée par Innocent III aux Juifs est motivée par cette considération que « les Juifs doivent vivre, et vivre dans l’abjection et la misère, pour la plus grande gloire du christianisme ». Or, Innocent III dit, Epist., II, cccii, que par eux notre foi est établie, car ils portent inintelligents la loi de Dieu dans des livres intelligents, qui empêchent les chrétiens de l’oublier, mais aussi que, en dépit de leur obstination, quia tanien nosirac postulant defensionis auxilium, ex christianæ pielalis niansuetudine, à l’exemple de ses prédécesseurs, ipsorum pelitionem admittimus eisque proteclionis noslrae clypeum indulgemus. Grælz a donc faussé la pensée du [)ape.

G. La i< perfidie » juive. — Cette qualification est courante ; elle est devenue comme classique. Il semble que. dans les textes anciens, « perlide » signifie Cl incrédule », « incrédule qui s’obstine » ; « qui s’aveugle volontairement », ou simplement infidèle ». Ce serait un synonyme de la generaiio infidelis et perversa de l’Evangile, f.uc, ix, 41. C’est ainsi que l’entend .SinoiNiî Apollinaiub, Epist., II, xi : n Les hommes de cette race sont souvent honnêtes dans les affaires ou selon les jugements terrestres ; c’est pourquoi vous pouvez, tout en réprouvant la perfidie de ses croyances, protéger la personne de ce malheureux. » Même sens dans saint Ambroise. Enarrat. in ps. xLvii, 25 (il a aussi l’expression : infidæ piebis, E.rpos. Evang. secundum f.ucam, iv, 5^) ; dans la Præfatio de judaica incredulitaie âeQ.v, vs, R, ,-j, le traducteur de VAltercalio Jasonis et Papisci, etc. Saint Grkooire le Grand, Mural., IV, iv, parle des Hébreux superbes qui, in Ucdemptoris adventu, ex parte maxiina in perfidia rémanentes, primordia fidei scqui noluerunl. Cf. IX, VII, VIII ; XI, xv ; XIV, XXXIX, xLvii, xLviii, et Ilomil. in Evang., x, 2, où nous lisons : infidelium Judæorum corda, qui équivaut manifestement aux a perfides » des Morales. Cf. V. TioLLiKR, Saint Grégoire le Grand et tes Juifs, p. 9-10, 63. Le concile d’Agde (506), dans un canon

reproduit par le Décret de Gralien, III », d. iv, 98, règle les précautions à prendre avant d’adinetlre au baptême les Juifs quorum perfidia fréquenter ad voniitum redit. Ici encore il s’agit directement de l’incrédulilé juive ; après avoir embrassé la foi clirctiennc, les Juifs retournent souvent à leur vomissement, c’est-à-dire à leur incrédulité primitive. De là à donner au mot « perfidie » une signification non plus intellectuelle mais morale (conversion simulée, feinte en général, trahison), la pente était facile ; on y arriva, surtout quand les Juifs passèrent pour s’allier avec les ennemis des chrétiens. Toutefois, sauf exception, dans le langage olUcicl de l’Eglise, la « perfidie » juive paraît bien être l’erreur ou l’incrédulilé juive.

Ce que fut le " servage » perpétuel des Juifs, nous le verrons bientôt.

68. La bienveillance pour les Juifs. — A. Les paroles bienveillantes pour les Juifs. — Que les duretés du langage des papes soient adoucies par une bienveillance véritable, on s’en est aperçu en lisant les textes d’iNNocENT lll, de Paul IV, de Pie V. Combien d’autres textes prouvent que, loin d’être étrangères à tout sentiment d’humanité et de justice, les interventions pontificales témoignent de ce double sentiment I Marin d’Eboli, réunissant dans son Formulaire, d’après les registres des papes, les principaux spécimens de bulles relatives aux Juifs, fournit l’exposé des considérants sur lesquels les souverains pontifes basent leurs décisions en faveur d’Israël. Cl Les Juifs, est-il dit, rendent témoignage à la vérité de la foi orthodoxe, tant parce qu’ils conservent les Ecritures pleines des ])rophéties qui annoncent le Christ, que parce que leur dispersion parmi les peuples rappelle le déicide qu’ils ont commis. En second lieu, l’heure doit venir de leur retour à la vraie foi ; leurs restes seront sauvés. Puis, leurs pères furent les amis de Dieu. Eux-mêmes portent la ressemblance du Sauveur, et Dieu est leur créateur comme celui des chrétiens. Au surplus, le Saint-Siège se doit à tous, aux sages et aux insensés. Les chrétiens doivent avoir pour les Juifs la même bénignité dont ils désirent que leurs frères, qui vivent dans des régions païennes, soient l’objet de la part des païens. N’est-il i)as nécessaire que le chrétien haïsse l’iniquité, aime la paix et travaille pour le droit ? » F. Vernet, L’université catholique, 1896, t. XXI, p. 7g. Voici maintenant ce qui se trouve dans les bulles de Martin V. ce L’incipit de la fameuse bulle du 31 janvier 1419 énumère la plupart des considérants. .. La perfidie des Juifs mérite des reproches : ils s’endurcissent dans leur erreur, au lieu de scruter les arcanes des prophètes et des Ecritures et de parvenir à la connaissance de la religion et du salut. Mais ils sont créés à l’image de Dieu, mais encore leurs restes doivent être sauvés à la fin des temps, leur existence est utile aux chrétiens dont elle continue la foi, et ils implorent le secours du Saint-Siège, ils font appel à la mansuétude de la piété chrétienne. Autant de motifs de leur venir en aide. S’il convient de ne pas tolérer que les Juifs empiètent au delà de leurs privilèges, il ne convient pas moins de maintenir ces privilèges et d’en assurer l’exécution. Les i)ontifes romains ont donné l’exemple dans les temps écoulés ; il n’y a qu’à suivre leurs traces. Voilà une foule de raisons qui plaident la cause juive. Il en existe d’autres, également puissantes, que notre pape précise ailleurs. Les Juifs ont droit à la justice, comme les autres ; opprimer l’innocence ne peut que nuire au développement de la vraie piété. Puis, l’Eglise considère les Juifs de ses Etats comme des sujets et, à ce titre, elle veut et procure leur bien. Nous n’aurions garde d’oublier 1735

JUIFS ET CHRÉTIENS

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l’arrière-pensée de prosélytisme l)ien enlendu, qui existe dans la protection dont elle couvre les Juifs : la douceur et la bienveillance chrétiennes ne sont-elles pas un argument victorieux en faveur de la religion de Jésus-Clirisl ? » F. Vernet, lievue des questions historiques, 1892, t. LI, p. 407-408. Ixxo-CBXT IV (bulle.Si diligenler, du 28 mai 1247) veut qu’on leiu’accorde, suhem pietatis obtentu et ol> Clirisli reverentiam huiuanitatis solatia.

B. La prière pour les Juifs. — De tout temps, les chrétiens ont prié pour les Juifs. Pour nous en tenir ici aux papes et à la liturgie, rappelons de beaux passages de saint Li’ : oN lb Grand invitant à prier pour le peuple juif, à travailler à sa conversion, pressant les Juifs de se convertir et commentant la prière du Christ, Serm. xxv, 2-3 ; lii, 5 ; Lxir, 3 ; Lxx, 2. La p/ière de l’ollice du vendredi, saint est ancienne. Saint Grégoire de Toui-s y fait une allusion siire, //. F., V, xi. Amolon la mentionne expressément, Contra Judæos, iv, lix. Ce dernier texte indique assez bien tout l’esprit de l’Eglise dans sa conduite envers les Juifs : ut in nullo eorum vitae et saluti, aut quieti ce/ difiliis, invidentes, imo eorum veram salutem, pro qua Ecclesia solemniter orare consuevil, veraciter inquirentes, servemus erga eos ecclesiaslicam sinceritatem ac disciplinam, et commissos nobis fidelium populos nullo modo eorum contagiis et sacrilegiis involvi patiamur.

Bibliographie. — Sur l’Eglise et les Juifs en général. En attendant un Bullarium judaicum qui serait si important, des centaines de bulles sont éparses dans une foule de collections et de monographies. Indiquons le tout petit recueil officiel du Corpus juris cunonici. Décrétai., V, vi ; Sextus Décrétai. , , ii, iZ ; Extravagantes communes, V, ii, 2 ; en y rattachant le Décret. Gratiani, l’, xlv, 3. 5, uv, 12-18 ; II’, XIV, VI, 2 ; xxviii, i, io-15, !  ;  ; III’, IV, 93, g4, 98, et le Sepiimus Décrétai., V, i, qui n’ont pas un caractère officiel. Ensuite A. Guerra, Ponti/iciarum cotistitutionum e/î(70me, Venise, 1772, t. I, p. I g 1-196 (résume 38 bulles publiées dans le Bullarium rotnanam, dans le Bullarium magnum, et ailleurs) ; L. Ferraris, Prompta biblictheca canonica, Venise, 1782, t. IV. p. 208-237 (résume un grand nombre de constituions des papes et des congrégations romaines) ; E. Rodocanachi, Le Saint-Siège et les Juifs, Paris, 1891, p. 322-329 (tableau des principales bulles relatives aux Juifs) ; F. ernet, Le pape Martin V et les Juifs, dans la lleuc des questions historiques, Paris, 1892, t. LI, p.410428 (analyse 84 documents), et Papes et Juifs au xin’siècle, dans L’université catholique, Lyon, 1896, t. XXI, p. 73-86 (analyse les documents du Formulariumiie Slarin d’Eboli relatifs aux Juifs) ; M. Stern, l’rkundliche Beilraoge ueber die Stellung der Pæpste zu den Juden. Kiel, iSgS-iSgS, 3 vol. (le premier contient des documents de Martin V et de ses successeurs, le second va d’Innocent m à Innocent iV) ; K. Eubel, Zu dem Verhalten der Pæpste gegen die Juden, dans la Homische Quartalschrift, Rome, 1899, t. XIII, p. 29-43 (sur les papes qui précèdent Martin V) ; Constant, Les Juifs devant l Eglise et l’histoire, 2’cdit., Paris, sans date, p. 267-3a3 (publie 16 bulles). Un court résumé des conciles dans Grégoire de Uives, Epitome canonum conciliorum, Lyon, 1663, p 204268. Voir encore A. Geiger, Das Verhalten der Kirche gegen das Judenthum, dans Das Judenthum und seine Geschichte. Breslau, 1870, t. II ; F. Frank, Die Kirche und die Juden, Ratisbonne, 1893. Sur l’Eglise et les Juifs des Etats du Saint-Siège. Rome et l’ItaUe : F. Gregorovius, Le ghetto

et les Juifs de Home, dans Promenades en Italie, trad., Paris, 1894, p- 1-60 ; E. Xatali, // ghetto di ISoma, Rome, 1887, t. I ; E. Rodocanachi, Le Saint-Siège et les Juifs. Le ghetto à Home, Paris, 18yi ; A.Berliner, Geschichte der Juden l’n 710m, Francfortsur-le-Mein, 18g3, 3 vol. ; H. Vogelslein et P. Rieger, Geschichte der Juden in Bom, Berlin, 1890-1896, 2 vol. Avignon et le Comlat Venaissin : L. Bardinet. Condition civile des Juifs du Comtat Venaissin pendant le séjour des papes à Avignon, dans la lievue historique, Paris, 1880, t. XII, p. 1-47 ; R. de Maulde, Les Juifs dans les Etals français du Saint-Siège au moyen rfo-e, Paris, 1886 ; de nombreux articles dans la Bévue des études juives.

III. — L’Eglise et les Juifs

La législation de l’Eglise

§ I. La situation religieuse.^ II. La situation civile. § III. La « servitude « juive.

§ I. La SITUATION" religiedsb

63. Liberté des Juifs. — Disons, d’abord, que par

« législation i nousn’entendonspasseulement la législation

stricte, les lois codiliées dan&ïe Corpus juris canonici, mais encore la jurisprudence, et, d’un mot, toutes les mesures adoptées par l’autorité ecclésiastique.

Le principe qui régit la matière c’est que les Juifs sont libres. Pagani, disent les Décrétales, IV, xix, 8, constitationihus canonicis non arctantur… neque subjiciuntur canonicis institutis. La même chose vaut pour les non-chrétiens en général, donc pour les Juifs. Cf. H. Læmmer, Instilutionen des kalholischen Kirchenrechts, Fribourg-en-Brisgau, 1892, p. 393-896. Ils sont libres : à une condition toutefois, qui est que cette liberté ne se tourne pas contre l’Eglise. De là des textes qui sauvegardent cette liberté, et d’autres qui la restreignent.

A. La bulle « Sicat Judæis s. — Les /)e’cré/a/e5, V, VI, 9, contiennent, sous le nom de Clément III (i 190), une bulle qu’on poiurait définir : la charte des franchises juives. Elle défend de les baptiser malgré eux. delesblesser, deles tuer, de les léser dans leurs biens et bonnes coutumes, de les troubler dans la célébration de leurs fêtes, d’exiger d’eux des services forcés en dehors de ceux que l’usage a introduits, d’amoindrir et d’envahir leurs cimetières et d’exhumer leurs morts obtentu pecuniae. Tout cela sous peine d’excommunication. La première phrase et la plupart des dispositions de cette bulle sont empruntées à saint Grégoire le Grand. Il semble, par le Formulaire de Marin d’Eboli, que le pape le plus ancien qui l’ait promulguée sous sa forme complète ait été Nicolas U (+1061). L’ont renouvelée Ca LIXTE II, ECGÈNE III, ALEXANDRE III, ClÉMENT 111, CÉ LKSTiN III, Innocent III, IIonoriis III, Grégoire IX, Innocent IV, Urbain IV, Grégoire X, Nicolas III, HoNORius IV, Nicolas IV, Clé.ment VI, Urbain V, HoNiFACE IX, Martin V, Ecgène IV, et peut-être d’autres encore.

B. La liberté de conscience. — La bulle Sicut Judæis consacre la liberté de conscience des Juifs. Les Juifs adultes ne doivent pas être forcés au baptême ; ceux qui ont été baptisés malgré eux ne sont pas considérés comme chrétiens et leur baptême est invalide. Ce principe a été allirmé dans une foule de documents, qui vont de saint Grégoirb le Grand, Epist., I, 47> à Benoît XIV, lettre Postremo mense (28 février 1747), 37-40. Pareillement, les enfants juifs ne doivent pas être baptisés contre le gré de leurs parents ou de leurs tuteurs. C’est ce qu’avait 1737

JUIFS KT CIIRKTIENS

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soulouu saint Thomas, II’II", q. lo, 12, et III", q. 08, 10, s’ ; ii>i>iM.lut siu- la tradition de l’E^iisiî cl sur ce double niDtir iju’agir autrement serait aiellre en péril la foi de ces enfants et violer la justice natiu-elle. SooT, au contraire, enseigna, non pas qu’on a le droit de baptiser les entants des Juifs dont les parents ne sont pas sujets d’un gouvernement chrétien, mais qu’un prince chrétien a le droit de faire ljai)liser, malgré leurs parents, les enfants juifs ou inlidèles de ses sujets, modo provideat ne majora inala indc se<jnantur. In ^ P" Sentent., d. iv, q. 9. Bien qu’opposée à plusieurs bulles des papes, par exemple à une bulle de Jilcs II (8 juin iT), ’) !), Seplimi Décret., y, i, 1, cette opinion continuait d’avoir quelf [ues partisans ; Ue.noît XIV la rejeta explicitement (lettres Postrenio mense, el Prohe te nientiiiisse).

C /. « liberté du culte. — Elle est assurée par la bulle.S’iV(((./ « i/flei’s. Elle comprend l’exercice du culte et la tranquille possession des synagogues. L’un el l’autre point avaient été réglés par saint Grégoiuk lu Gn.vM). Une de ses décisions relative à la jouissance paisible des synagogues, /-.’iiisl., IX, vi, a été insérée dans les Décrétules, V, vi, 3. De noud)reuscs liuUes ont conilomné toute entrave au oilte juif.

64. Pie : >tr : ctions à la liberté religieuse. — A. Restrictions à ta liberté de conscience. — a) f.es adultes.

— BoMFACK VIII, ’se.rti Décrétai., V, 11, 13, dans une déerétalc inspirée des bulles Turbuto corde de Clémi ; nt IV, fîi » i’ : GOiRE X et Nicolas IV, et de deux canons du IV’concile de Tolède (633), Décret. Grat., ’, d. XLV, 5, III", IV, <j4, slalua que les Juifs devenus chrétiens qvii retourneraient au judaïsme et les chrétiens devenus juifs seraient considérés comme hérétiques et traités comme tels, etinnisi bujusniodi redeunles, dunt erant infantes, aut morlis metu non tamen absnlule aut præcise coacti, bapliziiti fueriiit. Les Juifs baptisés rejudnisants étaient donc justiciables de l’inquisition, même s’ils avaient reçu le baptême dans leur enfance ou, non pas absolument malgré eux — le baptême administré par force à des indiviilus qui refusent de le recevoir étant toujours invalide — mais l’ajant demandé pour échapper à un danger de mort, par exemple dans une émeute contre les Juifs.

Ghkooihk XIII, bulle Antiqxia Judæorum im/imbitas (1" juin 1581), établit que les Juifs relèveraient des inquisitetirs dans les cas suivants : v) Les Juifs (ou les inlidèles) combattent un des dogmes qu’ils ont en coinniun avec les chrétiens : unité, éternité de Dieu, etc., 5) Ils invoquent les démons ou leur olfrent des sacrifices. /) Ils enseignent aux chrétiens à en faire autant, ô) Ils énoncent contre le Christ et la Vierge blasphemias quæ per se hærelicæ dici soient, s) Ils favorisent les chrétiens passant au judaïsme ou désertant la foi chrétienne, ç) Ils empêchent un juif ou un inlidèle de professer le christianisme, n) Us favorisent sciemment les apostats et les hérétiques. 0) Ils gardent ou propagent les livres hérétiques, talniudiques, op. autres livres juifs condamnés. 1) Par dérision pour les chrétiens, l’eucharistie ou le Christ, ils crucilienl, surtout le vendredi saint, un agneau ou une brebis, lui jettent des crachats ou se livrent à d’autres insultes. ; ’) Us gardent des nourrices chrétiennes, contre les canons, ou, en ayant, quand elles ont communié, ils les forcent à répandre leur lait in lalrinas, cloacas, yel alia loca. Cf. d’autres cas dans KF.Hn.^.iiis, Pronipta bibliolhcca canonica, article //tbræus, la’i, liO, 129, 136, i/io, Venise, 1982, 1. IV, p. 2-.>2, 223. En somme, tous lesmanquements graves contre le christianisme purent, ])lus ou moins, ressortir au tribunal de l’inquisition. Pratiquement, elle ne connit guère que de la rejudaïsalion et de la possession du Talniud.

Encore les rejudaïsations altirèrentellcs les rigueurs pies<(ue uniquement de l’inciuisition d’Espagne, et les poursuites contre leTulniud viscrent-uUes plutôt le livre, qui fut brûlé, que les personnes.

La cabbale fui aussi condamnée. Elle avait été pour quelque chose danslasentence d’iNNocHNT VIII Cl août 148C) contre les neuf cent thèses de Pic de la Mirandole. Lors de l’affaire deKeuchlin, elle s’ell’aça devant le Talmud et ne fut pas l’objet d’une censure nominative. Mais un décret de l’inquisition sous saint Pie V (1 506) et la bulle C’uni llchræorum de Ci.KMiiNT VIII frappèrent, avec le Talmud, les livres eabbalistiques et tous les autres livres juifs qui seraient défectueux au point de vue chrétien. Cf., dans l’JixrB de Sienne, Hibliothcca sancla, Paris, 1610, p. 310-311, la liste de ces livres qu’il rechercha et détruisit à Crémone.

Une autre restriction à la liberté de conscience des Juifs adultes porta sur l’obligation d’entendre des prédications chrétiennes. Nicolas 111 (bulle Vineam Sorec, 4 août 12^8) avait m ; indé aux Ooniinicains de prêcher aux Juifs en Lombardie ; faute d’une sanction efficace, l’essai avait été vain. Giu’.goire XIII (bulle Vices ejus, i" septembre i.5-’j) recommanda aux Juifs d’assister à des sermons contre leurs doctrines, et institua, pour avoir des prédicateurs compétents, une école dont les élèves, au nombre de trente environ, recrutés pour les deux tiers parmi les Juifs convertis, apprendraient, en plus des sciences théologiiiues, l’hébreu, l’arabe et le elmldéen. Les Juifs ne tenant ])as compte de l’invitation, le pape la rendit obligatoire (l)ulle.Sancta nialer JScclesia, l’f septembre iSS’i). Chaiiue samedi, au sortir de la synagogue, le tiers au moins de la po[iulation du ghetlo, à partir de douze ans, devait ouïr une prédication, calme et impartiale, sur le texte biblique dont le rabbin avait donné lecture. Partout où il y avait des Juifs, les évèqnes, autant que possible, ado])teraient la même mesure. La prescription fut peu exécutée en dehors de Rome. A Rome, l’ordonnance de Grégoire XIII est restée en vigueur, non sans intermittences, jusqu’à Pis IX, qui l’annula en 18/, 8.

1)) /.es enfants. — La question du baptême des enfants juifs a été traitée ex professo par Bfnoît XIV dans les deux lettres Poslremo niensv(28 février 1747) et Probe te meminisse (15 décembre i j.’n). Jusqu’alors théologiens et eanonistes avaient disserté sur la validité, la liccité elles conséquences du baptême de ces enfants, et, en général, des enfants d’inlidéles, sans aboutir à une entente parfaile. Benoit XIV, appuyé sur les principes de saint Thomas, sur le sentiment de la plupart des théologiens et sur des décisions des congrégations romaines, donna un enseignement qui a fait loi.

Au sens canonique du mot, l’enfant devient adulte dès l’âge de raison, c’est-à-dire, d’ordinaire, à sept ans. Deux cas peuvent donc se produire. Ils se sont produits l’un et l’autre, avec un retcnlissementexlraordinaire, sous le pontificat de Pie IX : le petit Mortara.de Bologne, fut baptisé, à onze mois, par une servante chrétienne (1858), elle petit Coi^n, âgé de onze ans, demanda et reçut le baptème.A Ronie( 18O0), sans l’aveu de sa famille. Premier cas : l’enfant est baptisé avant l’âge de raison ; le liaptcme est illicite en principe, mais il est valide, et l’enfant doit être gardé ou retiré des mains de ses parents pour recevoir une éducation chrétienne. " Sans doute, les enfants sont remis à la garde de leurs parents, mais les chréliens sont confiés aux soins de l’Eglise, leur mère. Le droit naturel du chef de famille n’est pas siipiirimé, il est primé par le devoir qu’a la société religieuse de veiller sur l’éducation de ses membres n. Tel est le 1739

JUIFS El’CHRÉTIENS

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droit strict. « Jlais, si la règle icidonnée est en droit strict bien fondée, si en certains cas il est opportun de l’observer, on peut, sans contredire Benoit XIV, soutenir qu’il n’est pas toujours expédient de la suivre », dit C. RucH, IJictionnaire de théologie catholique, Paris, igoS, t. II, col. 3^7, à la suite de Marc, Inslilutiones alphonsianae, Rome, 1887, t. II, p. 48 ; Lehmkuul, Theotogia moralis, Fribourg-en-I3risgau, 189O, t. II, p. Ci ; Billot, De Ecclesiæ sacramentis, Rome, I 896, t. I, p. 200. Deuxième cas : l’enfant, au sens usuel du mol, est adulte au sens canonique du mot et reçoit le baptême. S’il l’a demandé, en droit strict il peut être baptisé et validement et licitement contre le gré de ses parents. En revanche, s’il ne veut pas le baptême, il ne pourrait être baptisé ni licitement ni validement, alors même que les parents convertis au christianisme consentiraient à son baptême. Qiiin jam est siii jaris, im-ito etiain parente christiano, potesl mnriere in lieiraisino, dit Pigxatelli, cité dans les Jnalecta juris pontipcii, Rome, 1860, p. 14-ï5 ; alqne kæc ohserfavi ciim essem theologus Jeputatus concionihus quæ ad Hebræos habentur.

B. /lestriclions à la liberté du culte. — Deux canons des Décrétâtes, V, vi, 3, 7, empruntés l’un à saint Grégoire le Grand, lequel reproduisait le droit impérial, l’autre au pape ALEX.iNURE III (1 180), refilent qne, si les.luifs ne doivent pas être troublés dans la possession de leurs synagogues, ils ne peuvent en ériger de nouvelles. Alexandre autorise les réparations et les réédifications nécessaires, pourvu qu’elles ne rendent pas les S3’nagogues plus amples ou plus riches que par le passé. Paul IV (liuUe Cum nimis ahsurduni) décréta qu’ils ne pourraient avoir qu’une synagogue dans chaque ville ou lieu qu’ils habitaient. Les papes ne se firent pas faute, quand ils le jugèrent utile, de dispenser des prescriptions des Décrétâtes et de Paul IV. B.a.snage, Histoire des Juifs, t. V, p. 20^7, nous apprend que de son temps on comptait neuf synagogues à Rome, dix-neuf dans la campagne romaine, trente-six dans la Marche d’Aneùne, douze dans le Patrimoine de Saint-Pierre, onze à Bologne, et treize dans la Romandiole.

Défense fut faite aux.luifs de porter processionnellemenl dans le ghetto la Bible ou l’arche.

S II. La situation civile

68. f.iherté d’être. — A. Les Juifs ne peuvent toujours résider partout. — Ils furent souvent expulsés des Etats chrétiens. L’opinion commune des théologiens, canonistes et juristes, était que les princes, là où ils les avaient admis, ne pouvaient les bannir citra injuriam et peccati notam, sine urgenti et légitima causa, comme s’exprime un juriste sévère pour les Juifs, J. Sessa, Traclatus de Judæis, Turin, 1717, p. 123-12^ ; cf. p. 331, et A. RicciuLLi, Tractatus de jure pcrsonarnm extra Ecclesiæ greinium e.rislentium, II, Li, Rome, 1622, p. 127-129. I.nnocent IV (bulle Sicut tua noliis, aS juillet laô’i) autorisa l’archevêque de Vienne à chasser les Juifs de sa province à cause de leurs agissements contre la foi chrétienne et de leur désobéissance aux statuts de l’Eglise <|ui les concernaient.

Dans les Etats du Saint-Siège, ils résidèrent paisiblement jusqu’au xvi’siècle. Paul IV, Pik V et Clément VIII, nous l’avons vu, restreignirent cette liberté. Clément VIII dut rabattre de ses rigueurs ; il leur permit d’exercer le commerce partout, à la condition de ne contracter domicile qu’à Rome, Ancône et Avignon. Quand le duché de Ferrare (sous Clément VIII) et le duché d’Urbin (sous Urbain VIII) furent recouvrés par le, Saint-Siège, les Juifs ne furent pas rejetés des villes où ils étaient domiciliés : Ferrare, Lugo et Cenlo, dans le duché de Ferrare ; Urbin,

Sinigaglia et Pesaro, dans celui d’Urbin. Officiellement les Etats italiens du pape contenaient donc huit villes que les Juifs pouvaient habiter. Cf. Benoît XIV, constitution l’ostrenio merise (28 février 1748), I2-|3. Ils étaient libres de trafiquer partout.

B. Là où les Juifs peuvent résider^ ils doivent parfois habiter le ghetto. — D’eux-mêmes, avec leur tendance à s’isoler, d’ordinaire les Juifs s’étaient groupés dans un même quartier autour de la synagogue. La juiverie fermée et imposée apparaît au xv siècle en Espagne (1412). Eugène IV (bulle Dudum ad nostram, 8 août 1442) leur défendit, non d’habiter avec les chrétiens — ce qu’avait fait le III concile de Latran, Décret., V, vi, 5, excluant la cohabitation dans la même maison plutôt que dans le même quartier — mais d’habiter inter christianos, et leur prescrivit de vivre entre eux infra certum viculuni seu locum a christianis separati et segregati, e.rtra quem nullatenus mansiones hahere valeant. Cette bulle, et celles de Nicolas V et de Calixte III qui la renouvelèrent, restèrent lettre morte.

Il en alla autrement de la bulle Cum nimis absurdum de Paul IV. Elle parquait les Juifs in uno et eodem, ac, si ille capa.r non fuerit, in duobus yet tribus, quot satis sint, contiguis et ab habitationibus chrisliiinorum penitus sejunctis…vicis, ad quos unicus tantum ingressus pateat et quibus solum unicus e.ritus detur. A Rome, l’exécution suivit sans retard. Pie V étendit cette mesure à tous les lieux où se trouvaient des Juifs. Mais on ne constate pas que le Saint-Siège en ait urgé l’application hors des Etats pontificaux. Ce quartier juif s’appela « ghetto » en Italie (l’étymologie du mot est douteuse ; « ghetto " est peut-être l’abréviation de « borghetto » =z ]ietit bourg, quartier) ; « carrière » = rue, dans le Gomtat Venaissin ; « Judenwiertel » ou a Judengasse », en Allemagne ; a juderia », en Espagne.

66. Liberté d’aller. — A. liestrictions à ta liberté d’aller. — Là où les Juifs résident, soit qu’ils se fixent où ils veulent, soit qu’ils habitent le ghetto, ils n’ont pas toute liberté d’aller. Alexandre 111, Décret., V, vi, 4. leur avait enjoint de tenir portes et fenêtres closes le vendredi saint ; le IV’concile de Latran, Décret., V, vi, 15, leur défendit de paraître en public les derniers jours de la semaine sainte, parce qu’ils afTectaient de sortir ces jours-là avec des liabits de fête et de se moquer des chrétiens célébrant l’anniversaire de la Passion.

A dater de l’institution du ghetto, les Juifs et surtout les Juives doivent rentrer au ghetto pendant la nuit. Le jour, à Rome, ils n’ont pas le droit d’étaler leurs marchandises dans les rues où se déroulent communément les processions. L’accès des maisons chrétiennes — exception faite pour celles des juges, avocats, procureurs, notaires et officiers avec qui ils auraient affaire — des parloirs et chapelles des religieuses, des hospices de femmes, des lupanars, leur est interdit. Ils ne sont pas admis aux bains publics avec les chrétiens.

L’Eglise est étrangère à certaines dispositions humiliantes qui entravèrent parfois la liberté d’aller des Juifs. Parmi ces n institutions de mépris », la plus sensible aux Juifs fut peut-être le jiéage corporel qui les assimilait aux animaux. Une feuille des péages de Malemort porte : « Sur chaque bœuf et cochon, et sur chaque juif, un sol. » Cf. J. Li’ :.mann, L’entrée des Israélites dans la société française, p. 11.

B. Le port du signe. — Le « Juif errant » n’erre donc pas à sa guise. Là où il peut aller, il faut q>ie chacun puisse le reconnailre, qu’il ne soit pas confondu avec les chrétiens. L’obligation d’exhiber un signe qui le distingue fut introduite par le IV’concile de Latran, Décret., V, vi, i.'>, qui posa le 1741

JUIFS ET CHRETIENS

17’12

principe, mais laissa aux évoques le soin de déterminer la l’orme el la couleur du signe diacriliciue. Le concile de Narl)onne (112-j) précisa que les Juifs iii medio pecturis déférant signum rolae, cujus circulus sit latitudiiiis uniKS digiti, tiltitiido’ero iinius dimidii patmi de canna. Le signe était en fornu ; de roue ; de là vint l’appellation de « rouelle ». D’après J. Liivi, liei’ue des éludes /Hncx, 1892, t. XXIV, la roue symbolisa l’hostie que les Juifs étaient accusés de profaner. U. IloBcnT, Mémoires de la société nationale des antiquaires de France, 5" série, Paris, 1889, t. IX, p. 125, exprime, « mais bien timidement il, l’opinion que « la roue peut être considérée comme la représentation d’une pièce de monnaie, allusion à l’àprelé des Juifs pour le gain ou au prix de trente deniers que Judas reçut pour livrer le Christ ». Quoi qu’il en soit, la roucllt ; fut adoptée un peu partout, excepté en Es[)agne. La couleur varia d’une contrée à l’autre ; le jaune prévalut. Dans le Comtat Venaissin, dans plusieurs villes d’Italie, en Portugal, la rouelle céda la place à un chapeau jaune. D’autres modifications eurent lieu. Cette obligation pesait aux Juifs, qui la laissaient volonti<^rs tomberen oubli. Les papes la leur rappelèrent souvent.

Le port de la rouelle aurait, d’après les hisloriens juifs, contribué à l’avilissement des Juifs, les habituant à i)erdre tout amour-propre el toute dignité, les façonnant à « un maintien humble, presque lâche » ; en outre, il aurait été, pour la populace, une invitation à courir sus aux Juifs. Que ce signe d’infamie ait eu une action désastreuse sur la tenue et le caractère des Juifs, cela n’est pas d(uiteux, ni qu’il ait attiré aux Juifs des sévices. Les papes réprimèrent ces mauvais traitements ; leurs pénalités ne furent pas toujours ellicaces. iVIais il est remarquable que, toutes les fois que cette prescription est promulguée, le motif unique allégué par les papes est qu’il importe que les Juifs soient distingués des chrétiens, car, à la faveur de la confusion, les Juifs se sont glissés dans les rangs des chrétiens et ont commis des méfaits qui auraient élé impossibles ou difTiciles si l’on s’était mélié d’eux, si l’on avait su que c’étaient des Juifs.

67. Liberté d’agir. — A. Exercice de la liberté d’agir. — a) Vie juive. — Entre eux, en principe, les Juifs sont autorisés à vivre selon leurs lois et leurs coutumes.

La puissance paternelle, si grande chez les Juifs, n’est pas atteinte par la législation de l’Eglise, sauf les restrictions indiquées en matière de baptême.

Le mariage juif est respecté. Il l’est même dans des conditions à première vue surprenanles. Le pape Martin V (bulle Etsi.ludæorum, i" février 1419) défendit de molester un juif de Kerrare à cause du divorce qui avait suivi son mariage, vu que la loi juive le lui permettait. Nous avons [jublié, dans j.’unii’ersité catholique, Lyon, 18gi, t. Vil, p. G38-647, quatre documents, qui se rattachent aux pontificats de PAtiLlV(i.55ro, l’iH IV (156i), ( ; ui- : < ; oiHiîXlll (1.590) et Gniir.oinE XV (1623), permettant à un juif la bigamie simiUanée. Il est spécilié que la première femme est stérile dans tous les cas, sauf le second. Dans le troisième cas, il est précisé que le juif a le consentement de la première femme, el, dans le quatrième, que la première femme ne donne pas son consentement : pour obvier à l’inconvénient, la concession pontilicale porte que, du vivant de la première femme qui habile Rome, la seconde séjournera hors de la ville. Le motif allégué dans les n" 1,.3, 4, c’est que le juif désire avoir des enfants el, dans celle intention, contracter un second mariage conformément à la loi juive, laquelle, [irécisent les n"* i et 4. permet un second mariage après dix ans d’un premier mariage

resté stérile. Le pape autorise ce second mariage sicut ou quantum cum Deo et sine peccato pnssumus, disent les documents 1, 3 el 4. Le docuuient i, émané du camerlingue de Paul IV, fut cassé, peut-être par peur du scandale ; une de ses clauses est que la concession ne sera pas valide si le scandale doit s’ensuivre. Il nous révèle que nous n’avons pas ici une innovation, que le camerlingue, agissant au nom de Paul IV, agit sicuti sancla mater Ecclesia et noslri in o//icio camerariatus prædecessores consueverunt nosque cum Deo et sine peccato possumus. Ces textes ont été étudiés par M. Rosset, J)e sacramento malrimonii, Paris, 18g5, t. I, p. 439442. Ils posent des questions qui luéritenl l’examen des canonistes. Disonsencore que les mesures adoptées, pour arrêter le progrès de la poi)ulation juive, par la Prusse(1722), la Bavière, même par Louis XVI dans ses lettres patentes du 10 juillet 1784, libératrices par ailleurs mais défendant aux Juifs d’Alsace de contracter mariage sans la permission expresse du roi, sont contraires à l’esprit de l’Eglise.

Les Juifs ont leur autonomie, leur régime intérieur, leurs tribunaux qui connaissent des délits contre la loi juive.

b) Rapports ayec les chrétiens. — Les Juifs peuvent avoir des ouvriers agricoles. Décret., V, vi, 2, posséder des biens-fonds, acquérir ou échanger des propriétés, sous les réserves que nous verrons tout à l’heure.

Certaines professions leur furent j)erniises : la banque, l’approvisionnement des royaumes, le courtage el le colportage, la joaillerie, en tout temps ; le négoce, sous ses formes diverses, jusqu’au temps de Paul IV ; les arts et certains métiers, dans la limite où les corporations supportaient leur concurrence.

B. Jlestrictions à la liberté d’agir. — a) Vie juive.

— Le mariage entre Juifs est rompu si l’une des parties se fait catliolique et si l’autre partie refuse de cohabiter pæiliquement avec ee, velnullo modo, vel non sine blasphemia divini noniinis, vel ut eam pertrahat ad mortale peccatum, dit Innocent III, Décret., IV, xix, 7. Ce privilégiant paulinum, comme l’appellent théologiens elcanonistes, ne concerne pas seulement les Juifs, mais encoretous les infidèles qui se convertissent.

Les Juifs ne peuvent avoir des esclaves chrétiens. Décret., V, vi, 2, ni des serviteurs chrétiens vivant chez eux, ni des nourrices chrétiennes, Décret., V, VI, 5, 8, 13, 19. Ces défenses, violées souvent, furent souvent renouvelées.

Pour les délits de droit commun, les Juifs relèvent des tribunaux ordinaires. Le IIP concile de Latran, Décret., Il, XX, 21, décréta que le témoignage des chrétiens contre eux serait valable. Sur le témoignage des Juifs contre les chrétiens, des variations se produisirent. Sans parler d’un texte obscur d’ALRXAN-DHB III, Décret., II, XX, 23, Eugénk IV (bulle Dudum ad nostram) statua : Contra eos in quibusvis casibus christiani testes esse possunt, sed.ludæorum contra christianos in casa /lullo testimoniumvaleat. En cela, comme en tout le reste, celle bulle fut peu exécutée. Devant les tribunaux, les Juifs devaient prêter un serment spécial, qui se compliquait parfois de cérémonies bizarres, le serment more judaico, cf. Du-CANGB, Glossarium mediæ et infimæ latinitalis, édit. G. -A. Henschbl, Paris, 1844, t. III, p. 910-911. T. MnNGHiM,.’iacro arsenale overo pratlica delV officio délia.S. Inquisizione, Rome, 16g3, p. 323, 353, parle uniquemenld’un serment suri la sainteLoide Dieu » et noie que leur témoignage est admis contre les chrétiens, même en matière de foi.

b) Professions interdites. — Les Juifs ne peuvent 1743

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exercer les fondions publiques, Décret., V, vi, 16 (IV* concile de Latran), iS (GiiiiGoinE IX) ; cf. saint Thomas, 11^11 » =, q. lo, lo. En dopit de ces défenses, promulguées fréquemment, encore par Benoit XIV (bulle A quo printum, 14 juin lySi), ils ont été parfois fermiers ou collecteurs d’impôts, péagers, trésoriers des princes, leurs représentants auprès des cours étrangères, baillis dans le midi de la France, etc. Ils ne sont ni juges, ni accusateurs publies, ni avocats ; ils sont exclus de la profession des armes.

Ne nous attardons pas à la longue liste de professions qui leur furent interdites parla bulle, inexécutée, Z^f/tiam ad rtostram, d’EuoKNE IV. PAULJVleur défendit déposséder des biens-fonds ; Innocent XIII (bulle li.i- iiijuncto, 18 janvier i^a^) d’en louer. Paul IV défendit également tout autre commerce que celui du bric à brac, des vieux chiffons et de la vieille ferraille. Une série de décrets ultérieurs spécilia la défense de trafiquer des objets servant au culte et des livres d’église et de religion.

Les médecins juifs avaient de la vogue ; les grands, les rois, les papes eux-mêmes, recouraient volontiers à leurs offices. G. Marini, Degli archiatri pontijicj, Rome, 1784, t. I, p. 134-135, dit : « Le très renommé canoniste et archidiacre de Bologne Jean d’Anagni, dans ses commentaires sur le titre des Décrétales, De Judæis, se demande si un juif peut être médecin du pape ou de l’empereur, et, comme Bartolo, dont il approuve les subtilités légales, il se croit autorisé à répondre que non ; puis il conclut tout joyeux : ceci est à noter contre maître Elle, qui fut médecin des papes Martin [V] et Eugène |IV|. Mais cet Eliè, que Jean connut peut-être, se moquera des jurisconsultes et prouvera le contraire par son fait propre et par celui de tant d’autres de sa religion, qui furent médecins des papes, des empereurs et des rois. » En effet, plusieurs papes eurent des médecins juifs, et accordèrent des faveurs à eux et, plus d’une fois, par égard pour eux, à la nation juive. Citons Alexandre III, CLli.MENT III. HoNIFaCE IX, INNOCENT VII,

Martin V, Eugène IV, Pie II, Jules II, Paul III, Jules IU, Sixte-Quint. Paul IV, Pie V, GBÉGoinE XIII, défendirent aux médecins juifs de soigner les chrétiens et à ceux-ci de recourir à eux, hors le cas de nécessité. Les chrétiens ne recourront pas non plus aux chirurgiens, pharmaciens, sages-femmes, hôteliers, ou agents de mariage juifs. Les Juifs ne leur enseigneront pas les sciences ou les arts. Paul IV a ce détail : ne se a pauperibus christianis dominos vocarl paliantur.

b) Familiarité avec h’s chrétiens. — Innocent III, Décret., V, vi, 13, avait statué que, si les Juifs ne cessaient pas d’avoir des nourrices et des serviteurs chrétiens, il faudrait défendre aux chrétiens d’avoir des rapports avec eux. Honorius IV (bulle Xiniis in partibus, 18 novembre 1286) et d’autres papes s’étaient préoccupés de parer aux maux résultant pour la foi des chrétiens de leur familiarité avec les Juifs. Paul IV statua : cuni i/isis clirisliani.s liidere aut comedere vel fainiliariialeni sea conversalioneni habere nullalenus præsumant. Même dans les services que les chrétiens furent autorisés à leur rendre, H titre d’ouvriers louant leur travail au jour ou à l’heure, ils doivent éviter ce qui serait dangereux ou trop abaissant pour les chrétiens ; ils ne mangent pas chez les Juifs et n’entrent pas dans leurs maisons. Dans les relations entre Juifs et chrétiens, les chrétiens ne paraîtront pas favoriser la religion juive. Défense donc d’acheter ou de recevoir en don leurs pains azymes et leurs viandes immolées à la juive ; d’aller à leurs synagogues, à leurs fêtes, à leurs cérémonies, à moins qu’il n’y ait ni scandale

ni péril de perversion ; de leur acheter ou vendre, et de les faire travailler, le dimanche. Les femmes chrétiennes n’iront jamais au ghetto, les hommes jamais de nuit. Les médecins chrétiens ne soigneront pas les Juifs, si ce n’est en cas de peste, à défaut de médecins juifs. Juifs et chrétiens ne mangeront ni ne se livreront ensemble à des jeux, danses, etc. Les Juifs ne peuvent apprendre des chrétiens les sciences, les lettres et les arts, sans une permission, qui portera qu’ils soient instruits en dehors du ghetto, dans une maison privée, où il n’y ait pas d’enfants chrétiens, non les jour » de fêtes, par un maître dont la suffisance et la piété soient reconnues. Les Juifs ne peuvent être promus à un doctorat dans une Université catholique.

Toutes ces mesures tendent à isoler des chrétiens les Juifs et à supprimer un contact où la foi des chrétiens courrait des risques, ainsi que le prouve l’expérience. Posé de bonne heure par les conciles particuliers et les écrivains ecclésiastiques, le principe en a été officiellement adopté par l’Eglise à dater d’iNNocENT III et consacré par les Dérrétales de Grégoire IX. L’application a été élargie et accentuée par Paul IV. Pratiquement, les sévérités de ce pape n’ont pas été maintenues telles quelles, sauf par intervalles.

§ III. La « SERVITUDE » JUIVE

68. Jusqu’au xiu’siècle. — Les textes de la Genèse, XXV, 28, sur Esaii serviteur de Jacob, et de saint Paul sur ce verset de la Genèse, Rom., ix, 13, et sur les deux Testaments figures par Agar et Sara, sur les Juifs lils de la servante, donc serviteurs eux-mêmes, et les chrétiens, lils de Sara, libres comme elle. Gal., rv, 22-81, eurent auprès des chrétiens un succès qui se comprend. Ils y virent la proclamation de la supériorité du christianisme. Tertullien, Adversus Judæus, i, disait : Procul dubio, secundum edictum divinæ locutionis, prior et major populus, id est judaicus, seryiat necesse est minori, et minor populus, id est chrisliunus, superet majorent. Il indiquait les causes de la déchéance des Juifs : leur idolâtrie obstinée, leur conduite envers le Christ, xiii. Constantin, dans la lettre sur la célébration de la Pàque, rapportée par EusÈBE, De vita Constantin : , 111, xviii, déclare que ce serait une chose indigne de suivre la coutume de ces Juifs, qui, cum manus suas nefario scelere contaminarint, mertlo impuri homines cæcitale mentis laborant… Aihil ergo nobis commune sit cum inimicissima Judæorum turba. Et, à ce qu’Eusi-BE nous apprend, ibid., IV, xxvii, il lit une loi ne clirisliiinus ullus serviret Judæis, neque enim fus esse ut ii qui a Domino redempti essent prophetarum ac Domini interfectoribus servitutis jago subderentur. Une loi d’HoNORius et de Tiiéodose (/(28). r. theod., XVI, VIII, 26, défendit aux Juifs d’avoir des esclaves chrétiens, car il ne sied pas que des chrétiens soient au pouvoir des infidèles. Conformément à cette loi et dans le même esprit, saint Ghér. oiRK LE Grand rappela aux rois des Francs Théodoric et Théodebert et à la reine Brunehaut que les chrétiens, membres du Christ, ne doivent pas être foulés aux pieds des ennemis du Christ, Epist., IX, cix, ex, cf. III, xxxvm. Et le 1II<= concile de Latran anathématisa ceux qui, préférant les Juifs aux chrétiens, recevraient le témoignage des Juifs contre les chrétiens et non celui des chrétiens contre les Juifs, cum eos christianis subjacere oporteat, Décret., II, XX, 21, Enfin, deux passages d’iNNocENT III, Epist., VII, CLXXXvi ; VIII, cxxi, dont le dernier, reproduit en partie dans les iJécrct., V, vi, 13, c(mtieiit ces mots : Etsi Judæos, quos propria culpa subiuisil pcrpeluae servituti…, pietas christiana receptet, achèvent de 1745

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nous éclairer sur la portée île la « servitude » juive. Le serons n’y est pas le « serf » du moyen âge, moins encore 1’  « esclave n. ("est le descendant d’Agar ou d’Esaii, primé par son frère plus jeune. Kn rejetant, en cruciliant le Clirist, il s’est réduit à une infériorité perpétuelle. Il ne doit pas dominer sur les chrétiens, enfants de Sara, nés de Jacol). Ennemi du Christ, il ne doit pas commander aux membres du Christel les fouler aux pieds. Il ne doit pas aclicter, par conséquent, ou garder des esclaves qui sont chrétiens ou qui le deviennent. Il est supporté chez les chrétiens parmiséricorde et non admis par droit. 69. A partir du xui-^ siècle. — Cependant, de servi, au sens large du mot que nous venons de préciser, les.luifs étaient devenus ser^-i du roi ou du seigneur. Une théorie fameuse en Allemagne, et qui est consignée dans le Schnahenspipgel, assigna, dès le xii" siècle, des origines romaines à ce servage ; le roi Titus aurait donné au trésor impérial les prisonniers juifs, et ils seraient restés la propriété, les serfs de l’empire. C’est là une de ces fantaisies dont riiistoire est depuis longtemps désencombrée. Une explication plausible est celle d’O. Stobbk, Die Juden in Dcutschlaiid ^vælirend des Mitteliilters in politischer, snciiili’r und recltlliclier hezieliung, Braunschweig, iSiJC. Réduits aux abois par des bandes d’aventuriers recrutés, sur les bords du Rhin, pour la première croisade, les Juifs supplièrent l’empereur de les défendre. Il y consentit, moyennant une redevance. Les Juifs, ses protégés, furent appelés servi camerae, Kammerkiiechte, les serfs de la chambre impériale. Quiconque voulut leur imposer des taxes ou exercer sur eux tout autre droit de souveraineté, ne le put qu’eu vertu d’une concession impériale. Au cours des temps, le droit de « tenir des Juifs » fut accordé tantôt à des villes, tantôt à des seigneurs. La notion du servage caméral se transforma, sans qu’il soit possible de préciser les phases ni les raisons déterminantes de son évolution. « La dépendance des Juifs à l’égard de l’empereur se fit plus étroite ; leur faculté d’aller et de venir librement fut progressivement restreinte, et il advint que la confiscation générale punit l’émigration non autorisée. Le fisc, cependant, aggravait ses exigences à leur égard, et la propriété de leurs biens finit par être mise en question. Auxiii* siècle, cette évolution était arrivée à son terme. Non seulement en Allemagne, mais encore ailleurs, les Juifs étaient hors cadre, avec une liberté pei-sonnclle réduite, un droit de propriété précaire et des obligations onéreuses envers le fisc », S. Drploige, Saint Thomas et la question juive, 2* édit., Paris, 1902. p. 34. Etre servi des princes ce fut communément être taillables à merci dans l’intérêt général.

Ce n’est pas au titre de « serfs « que le IV* concile de Latran, <lans son décret pour le recouvrement de la Terre sainte, Eioknr III, dans sa lettre du l’f décembre ii^â au roi Louis VU de France, P. L., t. CLXXX.col. ioG5, cf. saint iiiiy aki^, Epist. oacLiii, et PiBURE LB VÉNKnABLK, Epist., IV, XXXVI, dans la lettre où il presse Louis VII de faire rendre gorge aux Juifs, deman<lent que les Juifs concourent, par leur argent, à la croisade ; l’idée conmuine à ces documents, c’est qu’une entreprise à laiiuelle tout le monde contribue doit bénéficier de la contribution des Juifs. Eu revanche, au temps de saint Thomas d’.([uin, la théorie de la « servitude n civile des Juifs s’est implantée dans le droit juiblic. Saint Tliomas accepte le principe, mais en modère l’application. La « servitude n civile des Juifs ne doit avoir que des conséquences d’ordre civil, et non au détriment du droit naturel ou divin. Cf. II » II" », q. 10, 10, 12, 111 », q.68, 10, ad 2"^, et Benoît XIV, bulle Probe

te meminisse (15 décembre 1701), 15. Jusqu’où peuvent aller ces conséquences d’ordre civil ? Saint Thomas eut l’occasion de s’en expliquer. La duchesse Alix de Urabant le consulta au sujet de taxes dont il était question de frapper les Juifs. Dans son /)e reginiine Judæorum ad ducissam lirabantiae, il répondit : d’après le droit public, les Juifs étant des servi perpétuels, les princes qui ont des Juifs dans leurs terres peuvent prendre leurs biens, sous deu.x réserves. D’abord, il ne faut pas du tout leur enlever necessaria vitæ suhsidia, par quoi le saint entendait non pas le juste nécessaire pour ne [las mourir de faim, mais tout ce qui est indispensable au confort de l’individu et de sa famille, tout ce qui n’est pas le superflu. Cf. Il » 11 » ^, , |. 3a, G ; S. Depi.oiok, up. cit., p. 37-88. Ensuite, il faut éviter de descendre aux extrêmes, d’irriter les.luifs en exigeant d’eux plus que par le passé. L’expression de saint Thomas. Opéra ontnia, Parme, 1865, t. XVI, p. 292, est digne de remarque : l.icet, ut jnra dicuiil, Juduei nierilo’culpæ siiæ sint vel essenl perpeluæ servituti nddicti, et sic eoruni res terrarnm doinini possint accipcre tanquani suas. Le jura diciinl vise évidemment hs textes du droit romain et du droit canon. Déplaçant la perspective historique, il leur attribue non leur sens réel, mais celui qui s’harmonise avec le droit public de son temps.

Pour la même raison, l’Eglise a décrété que les Juifs ne deviendraient pas des esclaves chrétiens, dit saint Thomas, II » U^’, ([. 10, 10, traitant des infidèles soumis temporellement à l’Eglise et à ses membres, quia, cum ipsi Judæi sint servi Ecclesiae potest disponere de rébus eurum, sicut etiam principes sæcuhtres inultas leges ediderunt circa suos subditos in favorein libertutis. Les Juifs et tous les infidèles vivant dans la sujétion temporelle de l’Eglise et des chrétiens — les autres ne peuvent acquérir dominium seu prælaturam /idcliuni, mais l’Eglise tolère qu’ils conservent ce droit quand il est préexistant au baptême, qui a transformé des inlidèles en fidèles — sont servi de l’Eglise, et celle-ci peut disposer de leurs biens, non pas assurément de façon arbitraire, mais in favorem liberlatis, en faveur de la liberté chrétienne quand elle décide que tout esclave embrassant le christianisme est libre, et en faveur de la liberté humaine du même coup, car c’a été là un des moyens qui ont détruit peu à peu l’esclavage.

Dans tout cela, cette maxime, « Les Juifs sont servi perpétuels », ne repose done pas exclusivement sur les principes chrétiens, mais elle est fondée encoreet surtout « en partie sur les idées propres au moyen âge féodal concernant l’organisation sociale, et en partie sur le droit positif institué [>ar les empereurs et adopté dans la chrétienté entière », H. Gaynvl’D, L’antisémitisme de saint Thomas d’Aquin, 3° édit., Paris, 18y6, p. 2C5.

Avec la disparition progressive du droit public du moyen âge, cette notion de la a servitiule » juive s’évanouit. Seule subsista la « servitude entendue au sens primitif du mot. Même en plein moyen âge, c’est d’elle qu’il est question dans la jibipart des textes ecclésiastiques. Quand il y est dit que les Juifs sont les servi des chrétiens, ce langage signifie que les Juifs sont tolérés par les chrétiens, non admis en vertu d’un droit, qu’ils doivent éviter de combattre le christianisme et que, par consé(iuent, ils ne doivent pas dominer sur les chrétiens, car le pouvoirqu’ils auraient ils le tourneraient, conformément à leurs habitudes invétérées, contre la foi chrétienne. Les chrétiens sont fils de Sara, les Juifs sont (ils de la servante. Dans le même sens, mais en retournant l’expression, les Juifs se disaient libres et disaient 1747

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les chi’éliens esclaves. Le juif qui traduisit l’Image du monde s’exprime ainsi : « Ce livre est la clef de toute intelligence… Voyant cette apparition, je me suis écrié : « O Dieu, pourquoi le (ils de l’esclave possède-t-il les habitations de l’intelligetice, tandis que le lils de la maîtresse est assis solitaire et silencieux » ? Cf. Renan, l/istoire littéraire de la France, t. XXVII, p. 503.

Bibliographie. — Bernard Gui, Practica inquisitionis heretice pravitalis, édit. C. Douais, Paris, 1886, p. 35-36, 39-40, 49-50, 288-292, 299-300 ; Nicolas Eymeric, Direclonum inqiiisitorum, édit. F. PeBa, Rome, 1578, p. 66, 138, 158-159, 241-243, 293, cf. les annotations de Peiia, p. gS 94 ; Marquard de Susannis, De Judæis et aliis in/idelilnis, Venise, 1558 ; A. Ricciulli, Tractalus de jure personarum extra Ecclesiæ gremium e.iistenlium, 1. II, Rome, 162Q, p. 129-132 ; J. Sessa, Tractatus de Judæis, eoruin privUegiis, ohseryantia et recti) inlellectu, Turin, i-]-) ; tous les commentateurs des Décrétâtes, , VI ; F. Revira Bonet, Armatara de’forti ovvero memorie spettanti agli infedeli Ebrei cite siano Turchi, Rome, i^gi ; U.Robert, Les signes d’infamie au moyen âge, Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques, dans les Mémoires de la société nationale des antiquaires de France, 5" série, Paris, 1889, t. IX, p. 57-172 ; J. Guttmann, Das Verliæltniss des Thomas i’on Aquino zum Judenthum und zur jûdischen Litteratur, Goellingue, 1891 ; C. Auzias-Turenne, Les Juifs et le droit ecclésiastique, dans la lievue catholique des institutions et du droit, 2= série, Paris, 1898, t. XI, p. 289-319 ; H. Gayraud, L’antisémitisme de saint Thomas d’Aquin, 3* édit., Paris, 1896 ; S. Reinach. L’inquisition et les Juifs, dans la Ilevue des études juives. Paris, 1900, t. XLI, Actes et conférences, p. xi-ix-Lxiv ; S. Deploig’e, Saint Thomas et la question juive, 2’édit., Paris, 1902.

IV. — L’Eglise et les Juifs

La polémique antijuive

§ I. Les controverses orales. § II. Les écrits. § III. /.’apologétique chrétienne. Si IV. Les conversions. § V. Les attaques contre le judaïsme et le ton de la polémique.

§ I. Les controverses orales

70. Jusqu’en 1100. — Plutôt rares, les discussions enire Juifs et elirétiens ne furent pas inouïes. Nombre d’ouvrages de polémique antijuive se présentent sous la forme d’un débat entre deux interlocuteurs, dont l’un est chrétien et l’autre juif. C’est là, le plus souvent, pur arlilîce littéraire. Il n’est pas sûr, par exemple, quesaint Justin ail engagé avec un juif une controverse dont les principales idées sont reproduites dans le Dialogue avec Tryphon. Parfois, au moins au moyen âge, une discussion véritable fui racontée par l’un des antagonistes ou par tous les deux. Cf O. ZoEcKLEu, Der Ilialog im Dienste der Apologetili, Gtiler^lob, 1893. En tout cas, l’existence de controverses orales est attestée de bonne heure. C’est à la suite d’une discussion entre un chrétien et un i)rosélyte juif que Thrtullien écrivit son Adversus Judæos. Origènh apprit l’hébreu pour pouvoir disputer avec les Juifs et recommande l’étude des livres bibliques afin de pouvoir leur répondre ; il dit avoir eu des controverses avec eux, C. Cels., I, XLV, XLix, Lv, LVi ; II, XXXII. Saint Epiimiank eut une discussion avec le rabbin Isaac de Salamine. Saint

Isidore de Péluse, Epist., I, xviii, cxli, cm ; II, xcix ; m, XIX, xciv ; IV, XVII, documenta divers chrétiens qui avaient subi l’assaut des Juifs. Grégoire de Tours, H. F., VI, v, résume une discussion qu’il soutint, de concert avec le roi Cliilpéric, contre le juif Priscus. a Pavie, Alcuin assista par hasard à un débat entre le juif Jui.ius et maître Pierre de Pise. Saint XiL le jeune eut des entretiens tbéologiques avec le médecin juif SAuiiATAÏ Domnolo. Et saint Pierre Damien raconte que, de son tenqis, les discussions entre Juifs et chrétiens étaient fréquentes.

71. Après IIÛO. — Elles le sont davantage en avançant dans le moyen âge. L’esprit d’iNNOCENT III, impétueux et combatif, anime les catholiques. Les Dominicains elles Frères mineurs donnent à la polémique anti-juive un tour pressant. Des Juifs baptisés entrent dans les ordres. Grâce à eux, le clergé et les moines s’initient à la littérature rabbinique. Les Dominicains surtout étudient l’hébreu, l’arabe, la Bible et le Talmud, afin de se munir d’armes efficaces. Des polémistes instruits, parfois Juifs de naissance, sortent de leurs rangs. La création de six écoles de langues orientales en Europe, décrétée par le concile de Vienne (131 i), facilite la lâche.

Les plus importantes controverses de vive voix entre chrétiens et Juifs furent celles de Paris (1240), à la cour de saint Louis, entre le juif baptisé Nicolas DoNiN et R. Yehiel de Paris ; de Barcelone (1263), en présence du roi Jayme, entre le dominicain Paul Christiani, juif baptisé, et Moïse ben Naiiman ; de Tortose (1413-1414). devant Benoit XIII (Pierre de Luna), entre le médecin, juif converti, JÉ-HÔ. MK de Sai.ntr-Foi et vingt-deux rabbins. D’autres controverses, moins solennelles, avaient lieu devant des auditoires plus restreints, tantôt d’un commun accord entre chrétiens el Juifs, tantôt provoquées par les Juifs, par leurs attaques et leurs moqueries, tantôt imposées par les chrétiens, spécialement en Espagne, où les Juifs baptisés, voulant à toute force convertir leurs anciens coreligionnaires, se prévalaient d’ordres royau.xqui obligeaient les Juifs à venir <liscuter avec eux.

La controverse publique n’était pas sans périls pour la cause chrétienne. Celle-ci courait risque d’être mal défendue. L’agresseur pouvait être habile. Certaines malicres ne sont guère susceptibles d’une discussion publi<|ue profitable. L’objection est aisée à saisir, elle reste ; la ré[)onse, même excellente, est au-dessus du gros des auditeurs, et s’oublie vile. On sait le mot de saint Louis « que nul, s’il n’est très bon clerc, nedoil disputer avec ces gens-là ; le laïque, quand il entend médire de la loi chrétienne, ne la doit défendre que de répce.doiil il doit donner dans le venlre, tant comme elle y peut entrer ». Le roi, comme l’observe M. Sepet, Saint Louis, 2"= édit., Paris, 1898, p. 75-7(1, distingue entre les clercs elles laïques et s’exprime, « dans ses entretiens familiers, avec une véhémence huiuoristique dont il serait, ce nous semble, un jieu lourdaud de prendre les pieuses saillies huit au pied de la lettre ». Mais les polémistes, de leur côté, signalèrent les dangers et l’inanité de ces discussions publiques. Cf. Pierre de Blois, Cnnira)>erfidiam Judæorum, i. Saint Thomas d’A(iuin, II’II", q. iii, 7, traça les règles à suivre. Ghkgoire I. (bulle Su/ficere dehuerat, 5 mars 1233) manda aux évoques d’Allemagne de ne pas permeltre ces controverses orales en publie. Elles n’eurent lieu de plus en plus qu’exceptionnellement.

Les controverses privées, au contraire, ont été de tous les temps, soit qu’elles se soient déroulées entre un petit nombre de disculeurs, comme celles qui se produisirent chez Pic de la IMirandnlc, au ra[iport de Marsii.k Ficin, Epistolae, Nuremberg, 1^97, fol. 1749

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182-183, soil qu’elles aient consislé dans des enlretiens entre un chrétien et un juif, dans le genre de ceux d’HuKT avec le plus savant des Juifs d’Amsterdam. Cf. IlUET, iJemonslratio etajigelicti, i)ræf., 2, Paris, 1679, p. 2-3.

§ II. Les écrits

78. Des urigines à 313. — Le pseudo-BAUNAisÉ ; s. Justin, Vitilugiie arec le juif TryjjUnn : Tkktlxlien, Advenus Jtidæos : s. Cyimuen, Teslimoniu ad Quirinum ; Pseudo-CypHiKN, De muntibus Si/ta et Sion ; V Adyersiis Jiidæos (semble se rattacher au cercle de Novatien) ; Novvimiy, De cihis judaicis ; Gelse, Ad Vigiliuiii episciipnm de jiidaica incredulilate (préface de la traduction latine du Dialogue d'.Vriston de Pella) ; De solemnitutthiis, sahhalis et iicnmeniis, écrit avant le concile de Nicée, d’après Pitha, Spicilegium solesntense, Paris, iBôa, t. I, p. xi-.xii, qui a publié ce traité, p. g-iS) Ces écrits, le dernier exce|)té, se trouvent dans Migne. Il en sera de même, sauf indication spéciale, de ceux qui suivront (il n’y a pas à rappeler que les édilions de Migne sont insullisantes en ce qui regarde l’antiquité chrélienne). Des fragments (le s. Hii’i'oLYTE (aulhenlicité douleuse) ; s. MiiLiToN ; Mliuxls d’Alexandrie (p. p. I’itua, Sjiictlagiuin si)lesineus< t. 1, p. if^-ib). Traitent, mais non pas exclusivement, des Juifs : s. Ikknkk ; OiiuiicNR, C. C, I-II ; CoMMoniEN, etc. Ecrits perdus : Auiston de Pella, Dialogue de Jason et de l’apiscus : Miltiade ; peutêtre s. AfoLLiNAinB ; s. SiiuvfioN d’Antioche ; Théodote d’Ancyre ; Zophyrr ; Ahtai-amjs. Sur la littérature relative à la Pàque, cf. G. Wkunkr, Gescliichte der apologeiisciten und polemischeii Litera’nr der chrisûiclien Théologie, 2" édit., Ralishonne, 1889, 1. 1, p. 62-67.

73. De 313 à 1100. — En Orient : Eusèbb, Démonsivalion évangélir/ue : s. GnÉGoiitR de Nysse (ses’Ez/o/ai ont subi des allérations) ; s. Jean Giirysostome ; un sermon Contre les Juifs, les païens et les hérétiijues (parmi les spuria de Ghrysostome) ; s. Basile de Séleucie ; le Dialogue des juifs l’apiscus et Pliilon avec un moine (du viio ou du viii" siècle, p. p. A. -G. Me Gii-FF.nT, Dialogue hetneea a Christian and a jeiv, Marburg, 1889, p. 49-83) ; le Dialogue d’Alhanase et de /.achée et le Dialogue de Timothée et d’Aquila (du viii" siècle, p. p. F. -G. CoNY’iiKAnK, Analecta 0x0niensia, Oxford, 1898 ; des fragments du second, P. G., LXXXVI, 2.ÎI-255) ; la Disput ; contre les Juifs (faussement attribuée à s. Anastase le Sinaïte, P. G., t. L.XX.XIX, col. 1203-1282) ; et, parmi ceux qui traitent des Juifs en même temps que d’autres sujets, s. Ei-iiRKM (p. p. Lamy, Malines, 1882-1902) ; s. IsinoRK de Péluse ; 'Tukodohe Ahugara (P. G., t. XCVll, et mieux G. Graf, Die arahischen Sctiriften der 7'lieodorvhti Qurra ISischofsvon //ar ; -à ; i, Paderborn, 1910). Les récits de controverses apocryphes : Acta sancti Silvestri (dans B. Mombritius, Sanctuariam seu vitae sanctorum, réédition de Paris, 1910, t. II, p. 508-531, controverse devant l’empereur Constantin et sa mère, légende d’origine orientale, rédaction probablement de la lin du v* siècle) ; la controverse à la cour des Sassanides (à peu prcsdu même âge, p.p. E. Bratke, Das sogenannte Heligionsgespræch am llofeder Sassaniden, Leipzig, 1899) ; le Dialogue avec le juif Ilerlian de l’cnigmatique s. Gri ; c.rn"cb, évèciue de Tapliar. Des fragments d’EusKDS d’Emèse (p. p. L.-J. Dki.aFORTE, Klic de bar Sinara métropolitain de.isibe. Chronique, trad.. Paris, 1910, p. 311) ; d’ANTiocuus de Ptolémais ; de s. Cyrille d’Alexandrie ; de Tui- : onoRKT de Cyr ; <Ie Jérôme de Jérusalem (plutôt du viu' siècle que du iv', cf. P. Batiffol, lievue des questions historiques, Paris 1886, t. XXXIX, p. 2.'|8 255) ; de Liconce de Néapolis en Chypre ; d’ETiBNNB de Boslra (p. p. J.-M.Mkroati, TtieologiscUe Quarlalscliri/'t, Tubingue, 1895, t. LXXVIl, p. ( ; 03-068) ; d’un anonyme (p. p. A.-.l. Bandini, Cutalogus codiciim nianiiscriplorum bibliothecæ Mediceae-I.aurentianae, Florence, 1764, t. I, p. 16y). Un écrit de DioDORE de Tarse est perdu.

En Occident : Evaghe, Altercalio Sinionis judæi et Theophili christiani ; le De allercatione Ecctcsiæ et Synagogue dialogus : s. Augustin ; deux écrits pseudoaugustinicns, le Contra Judæos, paganos et ariunos sernio de synibolo et VAdversus quinque hæreses seu contra quinque hostium gênera ; SÉvÈRRde Minorque ; s. Maxi.mb de Turin ; s. Isidore de Séville ; s. IldkFONSB de Tolède ; s. Julien de Tolède ; Paul Alvarb de Cordouc ; le clerc Henri ; s. A( ; ouahi) de Lyon ; Amolon de Lyon ; Haiîan Maur ; Fulbeiit de Chartres ; s. Pierre Damirn. Beaucoup d'écrivains, qui n’ont |)as composé un traité contre les Juifs, s occupent d’eux dans diverses œuvres, en particulier s. Amukoisb, s. Léon le Grand, s. Sidoine Apollinaire, s. JÉHOMK, CaSSIODORE, S. GRÉGOIRE LEGhAND,

s. Bruno de Wurtzbourg. Est perdu un ouvrage de VoGONius ou BucoMUs, évêqiie de Mauritanie.

74. De 1100 à 1500. — En Orient : Euthymius Zvgahénr ; Andronic l""^ Comnènr ; Gkorgks ou Grégoire de Chypre, patriarche de Constantinople ; l’empereur Jean (iANTACUZÈNE (p. p. R. GUALTEHUS, Bàle,

1543). Des écrits inédits de ce même Jean Cantacuzène sous le nom de Ciiristodulk (son nom de moine après qu’il eut résigné l’empire) ; de Miguel Glycas ; de Nicolas d’Olrante (//)</ru/j< ; >iHs) ; de Tiiaddée de Pélusc ; de Théopiianh de Nicée ; de Matthieu Blastarès (Jlieromo’iaclius), de Jean Saita de Gydonia (Crète) ; de GbnnadrScholahius, patriarche de Constantinople.

En Occident. Ecrits des chrétiens d’origine : Odon de Cambrai ; Gilbf, rt Crispin ; Guibkht de Nogent ; UuPEiiT de Deutz ; Abélaru ; Pierre le Vénérable ; pseudo Guillaume de Cliampeaux (sorte de contrefaçon de Gilbert Crispin) ; Richard de Saint- Victor (il s’agit du De Enimnnuele libri II, qui intéresse la polémiipie antijuive sans être directement contre les Juifs) ; I.vGiiETTO (fgnetus) Contahd (p. p. F. Carbon, Venise, 1^72) ; Pierre de Blois ; Gautier de Châtillon et Baudoui.n de Valenciennes ; Joaciiim de Flore (inédit) ;.A.l.i.n de Lille. De fide calholica, III ; anonymes (P. I : , t. CCXllI, col. 749-808 ; Jiibliotkeca maxima Patrum, Lyon, 1677, t. XXVII, p. Q19 ; //istoire littéraire de la France, Paris, 1 763, t. XII, p. 436437 ; Marténe et Durand, Thésaurus novus anecdotonnn, Paris, 1717, t. V, eol. 1497-1506).. partir du moment où s’arrête la Patrologia latina de Migne : les Extrnrtiones de Talmut (peut-être du dominicain Thibaut de Saxe. p. p. I. Lokb, lievue des études juires, Paris, 1881, t. II, p. 248-70, t. III, p. 39-5.5) ; s. Thomas d’Aquin, De regimine.Uidæorum ad diicissam Pratiantiae, dans Opéra, Parme, 1865, t. XVI, p. 392294 ; Raymond Martin, dominicain, Pugio fiileindversus Maiiros et Judæos (p. p. J. dr Voisin, Paris, 1651) ; R. LuLLB, Liber de gentili et tribus sapientibiis ; Victor Porciieto de' Sblv.vtici (Selvalicus), Paris, 1620 ; Nicolas de Lire (n’est probablement pas d’origine juive) ; le dominicain Lauterius de Batineis ; l’augustin Bernard Oliver ; Jacques Civrrosus <le Daroca (Aragon) ; le carme Jean de Baconthorpe ; l’augustin Paul de Venise ; l’humaniste Gianozzo Manetti ; Etienne Bodiker, évêque de Brandebourg ; le dominicain Jean Loprz ; le cardinal Jean dbToroukmada ; Nicolas de Cues (dans son Dialogus de pace seu de concordantia fidei, Bàle. 1565, s’adresse aux païens, aux Juifs et aux musulmans) ; Marsii.e Ficin, De rcligione chrisiiana et fidei pielate, Paris, 1510(la 1751

JUIFS ET CHRETIENS

1752

Ile pallie est presque entièrement contre les Juifs) ; le dominicain Pierrk-Georgks Schwartz ^.Viger) ; s. A>Toxi. (le Florence, Ditilogus discipulorum Emaiindnorum cum peiegriiw, l-’lorence, i^So ; le vénitien Paul Morosini (Maurocoeniis), De aeteriia temporal iqiie Clirisli generalione, Padoue, 1^73 ; Pierre BauTo(c/e Brutis), Victoriæ adversusjudæos, Vicence, 1489 ; Jacques Perbz d’Ayora ({- i^go), Lyon, 1512 ; un anonyme, l’haretra fidei catholicae sit’e dispulatio jitdæi et chrislinrii, Leipzig, i^yi ; Savonarole, Triiimphus cruels, Florence, 1^97 (une partie du IV* livre), Dialngus spiritiis et iiriirnae. Venise, 1538 (111" livre). En dehors des ouvrnges de polémique antijuive directe, les Juifs apparaissent dans des écrits contre les hérétiques, tels que ceux d’EnuARD de Béthune et de Luc de Tuy, dans les livres des commentateurs de l’Ecriture, des théologiens, des canonistes, chez les sermonnaires, les épistolaires, les historiens et les chroniqueurs, les auteurs des mystères, les satiriques, les conteurs et les poètes.

En Occident. Ecrits des Juifs baptisés. R. Samuel de Fez (.Marochianus), De adi-eiilii.Vessiae, P. i., t. CXLIX, col. 337-868 (très probablement apocryphe, composé peut-être par le juif converti Paul de Valladolid en iSSg). Au xii" siècle, Pierre Alphonse, Dialoiii, P. /.., t. C^LVII, col. 535-572 ; le j)rémontré IIbrmann (Judas de Cologne), De sua cuiifersione, {P. L, t. CLXX, col. 805-836, trad. A. db Gourlet, Paris, 190a). Axi xm « siècle, Guillaume de Bourges, (fragments dans J. Hom.mey, Supplementum Palriim, Paris, 1685, p. 412-’118) ; le dominicain Paul Chhis-TiANi (procès-verbal latin de sa conférence avec Nahmamide(l263), dans Wage^iseil, Tela igiiea Satctnae). Au xve siècle, Jérôme db Sainte-Foi, Contra Judæuvum perfîdiam (on Ilehræomastix), dans M. de ..<i. Bigxe, tlibliotheca Patriim, 4’édit., Paris, 1624, t. IV-, p. ".’ii-794j Paul dr Boxnefoy, Lil/er fidei, (p. p. P. Fagius (BuciiLix), Isni, 1542. cf. Revue des études juives, 1882, t. IV, p. 78-87, t. V, p. 67-67, 283-284) ; Paul de Burgos ou de Sainte-Majuh, Scnttiniuni Hcripturarum, Mantoue, 1475 ; Neumia, fils d’Hæcana, deux lettres pour le christianisme, Rome, vers i’|80 ; Ie franciscain Alphonse de Spina, Fnrtnlitium jidei (nombreuses éditions ; la i’^"", sans indication de lieu, en 1487) ; Pierre de la Caballeria, Zelas Cliristi, Venise, iSga.. Parmi les écrits qui n’ont pas été publics, citons ceux d’ALPnoNSE et de’Jean de Valladolid, d’AsTRUc BiMoc de Fraga, d’ALnERT (dit.Vore// » s) de Padoue, de Jean d’Espagne, connu encore sous le nom de Jean l’ancien de Tolède, etc. 78. De 1500 à 1789. — Les écrits se multiplient considérablement. L’imprimerie facilite leur difTusion. Ils ont pour auteurs des catholiques, des Juifs baptisés (.lpiionpe de Zamora, Victor de Car-DKN, etc.), des Grecs schisraatiques, telMÉLÈcE Pbgas (qui édita un traité, en grec et en rulhènc, à Lemberg, en iSgS), des protestants.

La littérature antijuive ressemble, d’abord, à celle du passé. L’institution de prédications pour les Juifs (1584) amène une nouvelle forme de polémique, dont nous avons un spécimen — défectueux — dans les cent sermons de J.-M. Vin< : 8nti, // Messia venuto, Venise, iG5g. Souvent les Juifs sont combattus dans des ouvrages qui établissent en général la vérité du christianisme. Les plus fameux sont le De verilatc fidei cliri.slianæ de l’espagnol J.-L. Vives, Bàle, l543 ; lc Traité de la vérité de la religion chrétienne de P. DU Plessis-Mornay, Anvers, 1679 ; f.es trois vérités contre tous athées, idolâtres. Juifs, mahométans, hérétiques et schismatiques de P. Charron, Paris, iSgâ ; surtout le />e i’f ; vVrt/e religionis christianae d’H. Grotius, Paris, 1627 (voir l’édition en trois

volumes, Halle, 1734-1739) ; surtout les Pensées de Pascal, et le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet ; cf. P. MoNTMÉDY, Triamphus religionis de utheismo, gentilisnio, judaismo et hueresi sive de religionis successu et antiquitate ex libro J-B. Bossuet Discours sur l histoire universelle, Ratisbonne, 1710. Mentionnons encore D. Huet, Denionstralio evangelica, Paris, 1679 ; C.-F. IIoUTrEViLLK, La vérité de la religion chrétienne, Paris, 1722, etc. Le traité De vcra religione, inauguré par Marsile Ficin, et qui prend sa place, au xviii" siècle, dans tous les cours de théologie, est, pour une part notable, l’aboutissant et désormais la forme principale de la polémique religieuse antijuive.

Nous avons parlé de la querelle de Reuchlin. La question de la cabbale fit éclore toute une littérature, chimérique et puérile, sur l’utilisation des livres cabbalistiques au profit du christianisme. Le livre le plus important fut la Kabbala denudata seu doctrina Ilebræorum transccndentatis et metaphysica atque théologien deC.KNoRRDE RosEN, Sulzbach et Francfort, 1677-1678. Du moins, à s’occuper du Talmud et de la cabbale, gagna-t-on de mieux connaître l’hébreu. Par GilukrtGaulmin, Jean Lighifoot et Richard Simon, l’esprit scientilique pénétra, non toujours sans écarts, l’étude des choses juives. Les progrès de l’exégèse l>iblique aidèrent à ceux de la polémique antijuive. Reposant sur une entente meilleure du texte original, l’argument tiré de l’Ancien Testament acquit plus de force. Les écrits des hébraisants, par exemple de C.-J. Imronati l’Adventus Messiae, Rome, 1694, et de J.-B. de Rossi le Délia vana aspettazione degli Ebrei del loro re Messia, Parme, 1778, bénéficièrent de leur science de la langue hébraïque. En outre, on combattit les Juifs avec leurs propres armes : leurs écrits. Le cistercien J. Bartolocci, Ribllolheca magna rahbinica, Rome, 1675-1693 ; le protestant J.-A. Eisenmenger, Entdecktes Judentlium (Je judaïsme dévoilé), Francfort, 1700 ; un autre protestant, J.-C. Wagenseil, Tela ignea Satanae, Altdorf, 1 681 ; un protestant encore, J. Wuelfeh, Theriaca judaica, Nuremberg, 1681, etc., prirent l’olfensive contre les livres juifs, qu’ils publièrent ou montrèrent hostiles au christianisme. C’était l’antisémitisme des érudits, théologique et apologétique.

Un antisémitisme, dans lequel les considérations théologiques n’eurent pas de place ou n’eurent qu’une place restreinte, fut celui de Pierre de Lancre, de François de Torrejoncillo, de l’auteur du Livre de l’alboraïque, de Schudt, de Voltaire, etc. Précurseur de l’antisémitisme moderne, il ne se rattache qu’indirectement à la polémique chrétienne antijuive.

76. De 1789 à nos /ours. — Distinguons deux catégories d’ouvrages. D’abord ceux qui s’adressent aux Juifs ou se rapportent à leur conversion : les douze lettres du juif LoMBRosoet de l’abbé Consoni, Des obstacles qui s’opposent à la conversion des Israélites et des moyens de les surmonter, dans MiGNK, Démonstrations évangcliques, Paris, 1849, t.XVllI, p. 431-453 ; P.-L.-B. Drach, De l’harmonie entre l’Eglise et la -Syiagogue, Paris, 1844 (d’abord rédigé sous forme de Lettres, au nombre de trois, d’un rabbin converti au.r Israélites ses frères, Rome, 1825. 1828, 1833) ; J.-M. Baukr, Le judaïsme comme preuve du christianisme, Paris, 1866 ; les écrits des abbés LÉMANN, en particulier A. Lémann, Histoire complète de l’idée messianiquechezle peuple d’Israël, Ljon, 1909 ; P. LoEWENGARD, Art splendeur catholique, Du judaïsme à l’Eglise, 5’édit., Paris, 1910. Ensuite, ceux qui ne sont pas adressés directement aux Juifs, mais qui tirent argument du judaïsme en 1753

JUIFS ET CHRETIENS

1754

faveur de la divinité du christianisme. Avec les traités De vera leli^ione et les ouvrages d’apologétique en général, il y aurait à citer spécialement les travaux sur les diverses méthodes d’apologétique et sur les prophéties, ainsi que sur l’argumeut déduit de la dispersion du peuple juif et de son état après la mort du Christ, tels que VEvidence de la yérité df’lu religion chrétienne tirée de l’accomplissement littéral des prophéties constaté principalement par l’histoire des Juifs et des découvertes des voyageurs modernes d’A. Kbith, dans Migne, Démonstrations éi-angéliqnes, iS ! i’i, t. X, p. 330-471, et La désolation du peuple juif de M. Socllikr, Paris, 1891. Mentionnons enfin, du P. M.-J. Lagrangb, Le messianisme chez les Juifs, Paris, 1909.

§ III. L’aI’OLOGÉTIQUE CI1R£TIE>'NB

Ce n’est pas ici le lieu d’étudier la valeur, les faiblesses, les développements de l’apologétique chrétienne au cours des controverses avec les Juifs. Voir l’article AroLOGKTHiCB, t. 1, col. 190-220. Deux points seulement doivent arrêter notre attention.

77. — Quelle est la raison d’être du peuple juif et quel, en particulier, son rôle depuis la mort de Jésus ? Saint Ai’GLSTix, le premier, a abordé résolument ce problème. La solution qu’il propose lit fortune dans l’Eglise. Le moyen âge tout entier l’adoi^ta, et 150s-SCBT la reprit avec la splendeur de langage que l’on sait. Elle se résume de la sorte : jieuple de Dieu, instrument entre ses mains, la nation juive semble ne pas avoir existé pour elle-même. Orientée vers le Christ, elle eut à l’annoncer et à le Ugurer. Elle ne reconnut pas dans le Christ le Messie attendu, le Sauveur du monde. Dieu a voulu qu’elle continuât, comme jadis, à être, pour beaucoup d’àmes, le chemin qui mène à la lumière de la vérité. « Les Juifs possèdent en main les livres contenant les prophéties relatives au Christ, dit saint.lgi ; stix, Jn Joan., tract. XXXV.). Et, au cours de nos discussions avec les païens, lorsque nous leur montrons réalisé dans l’Eglise du Christ ce qui fut prédit du nom du Christ, du corps du Christ, ahn qu’ils ne s’imaginent pas que ces prédictions sont des ticlions et que nous avons écrit après coup ces choses comme si elles devaient se produire, nous leur présentons les livres des Juifs nos ennemis… Et, leur produisant des livres qui sont et ont toujours été entre les mains des Juifs, nous leur disons avec raison : Vous n’avez rien à objecter contre ce témoignage, puisqu’il vient d’un jieuple ennemi de notre foi aussi bien que de vous. " Ainsi, dispersée au milieu des nations, ayant cependant conservé son indépendance et ses caractères distinettfs, la nation juive a toujours la même mission :

« les siècles écoulés l’ont vue désignant par avance

celui qui devait relever l’humanité déchu*- ; la voici maintenant au même poste, le doigt tourné vers le pissé, révélant à ceux qui les ignorent les promesses divines et permettant d’en saisir la réalisation ii, P. B> : r.ro, Saint Augustin et les Juifs, Besancon, 1913. p. 70.

78. — La dispersion des Juifs fut envisagée à un autre point de vue par les polémistes antijuifs. Prophétisée, son accomplissement a été présenté de bonne heure, cf. Lb Nocrry, Dissert, in Apolog. Tertul., P. L., t. I, col. -S3--jSô, comme une preuve de la divinité du cliristianisme. L’argument est devenu classique. Bosst’ET, entre beaucoup d’autres, lui a prêté l’éclat de son grand style. Discours sur l’histoire uni<erselle, II, xx-xxiv. Or. il a besoin d’être mis à jour. Jamais Israël n’a été ausû dispersé qu’à notre époque. Mais il n’est plus dans la situation humiliée de jadis. Depuis 1789, il est réhabilité, enrichi, i

influent. Telle manière de présenter l’argument qui consistait à dire qu’Israël ne subsiste que pour être, aux yeux de l’univers, un témoignage vivant de la malédiction divine, Israël devant toujoms vivre dans l’opprobre et l’ignominie, est donc à réformer. Il faudra l’adapter à l’état actuel des choses. On s’y est essajé. Cf. M. Soclukii, La désolation du peuple juif, p. 3^4-381 ; les abbés Lkma.>n, La dissolution de la Synagogue en face de la vitalité de l’Eglise, Kome, 1870, reproduit dans La cause des restes d’Israël introduite au concile oecuménique du Vatican, p. 5469 ; n. UcRTKH, Theol. dogmat., 4’édit., Inspruck, t. I, p. 75-78. Quelle que soit la position sociale de beaucoup de Juifs, la masse est encore méprisée et malheureuse, et la poussée récente d’antisémitisme a montré ce qu’il y a d’instable dans la fortune de ceux qui prospèrent ; surtout il demeure que la Synagogue et le peuple juifs, à l’égard de la vocation dans le Christ, en tant que tels et comparativement à ce qu’ils furent avant le Christ, sont déchus selon que les prophéties l’ont annoncé.

§ IV. Les coxvBRSioxs

79. Des origines à 313. —.près les grands coups de filet du lendemain de la Pentecôte, les Juifs ne furent pas faciles à gagner au christianisme. Saint JusTix, I^ Apol., LUI, estime que les chrétiens venus du paganisme sont plus nombreux, et plus réellement chrétiens, plus sincères, que les Juifs convertis. La Palestine même accepta médiocrement l’Evangile. Les Actes des apôtres racontent les premières missions, et nous savons qu’il exista, à Jérusalem, une église chrétienne gouvernée par les Douze, puis par Jacques le mineur. Quand la ville fut assiégée par Titus, ces fidèles émigrèrenl au delà du Jourdain ; leurs frères de Galilée et de Samarie les y rejoignirent. Dans cesrégions de Damas et de la Décapole, ils menèrent une vie effacée, Oiugènb, /h Joan., 1, 1, évalue à moins de cent quarante-quatre mille le chiffre des convertis du judaïsme. Le calcul ne saurait être rigoureux ; il autorise à conclure que la propagande évangélique eut un succès modeste dans le milieu juif. En dehors des convertis de l’Evangile et du Nouveau Testament, il y eut. parmi les chrétiens d’origine juive, un pape : saint Evariste — et aussi, d’après certains auteurs, saint Ax.clet — et quelques écrivains : le pseudo-BARSABK, Hégésippb selon toute vraisemblance.

80- De 313 à 17 S9. — Entre ces deux dates, les conversions simulées abondèrent. Vivant en pays chrétien, mal vus à cause de leur judaïsme, parfois tracassés, spoliés, exilés s’ils ne renonçaient pas à leur religion, ils succombèrent en nombre considérable à la tentation d’acheter la tranquillité par un semblant de christianisme. Ce fut le cas d’innombrables Juifs d’Espagne qui reçurent le baptême du temps de Sisebut et de Ferdinand. Ceux-là, nous ne les comptons point dans la liste des convertis Juifs. Ils ne doivent pas y figurer non jilus, ces milliers de Juifs dont des documents apocryphes racontent la conversion. Les Acta sancti Sittestri, le récit de la controverse qui aiu-ait eu lieu à la cour des Sassanides, le Dialogue de saint Grégexcb, se terminent par la conversion des Juifs qui auraient assisté aux controverses entre Juifs et chrétiens. Cette finale est fantaisie pure, comme le reste. Au contraire, la lettre de saint Sévère, évéque de Minorque, sur la conversion en masse des Juifs de cette île, à la suite de l’arrivée des reliques de saint Etienne, a résisté aux attaques de la critique. L’origine juive de saint AxGB de Jérusalem (— 1220, à Licala, en Sicile) et les conversions de Juifs opérées par lui, 1755

JUIFS ET CHRÉTIENS

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telles que les rapporte une Vie du saint par Enoch de Jérusalem (vers 122 y) publiée par le canne Daniel DE LA Vierge Marie, ont paru à Pai’ebroch ne mériter aucune créance. Cf. Acta sanctorum, Paris, 186 ; ^, maii, t. II, p. "lO-Sy. Il est difficile de savoir ce que valurent les vingt-cinq raille conversions, et plus, qui auraient été dues au colloque de Tortose (14131 414). à l’écrit de Jérôme de Sainte-Foi, à la parole de saint Vincent Ferrier.

En somme, à s’en tenir aux textes sûrs, les conversions de bon aloi ne paraissent pas avoir été extrêmement nombreuses. Il y en eut cependant. De la plupart des convertis qui publièrent des apologies du christianisme, la sincérité n’est pas suspecte. Quand un Pierre Alphonse rappelle, Dial., præf., que, le sachant chrétien, les uns, parmi les Juifs, furent d avis que c’était impudence et mépris de la Loi divine, d’autres que c’était inintelligence des Ecritures, d’autres encore que c’était vaine gloire, quand il déclare qu’il écrit ut omnes et meam cognoscant intentionem et audiant ralionem in qua… cliristianam legem cneteris omnibus superesse conspicerem, de quel droit le proclamer hypocrite, et n’est-il pas évident, au contraire, par la façon dont ce DiuUigue est conduit, que n l’auteur croyait fermement les vérités qu’il } établit, que sa conversion s’était faite avec connaissance de cause », R. Ceillier, Histoire des auteurs ecclésiastiques, Paris, 1767, t. X.l, p. 576 ? Il faut en dire autant d’HERMANN de Cologne, dont r.iulobiographie est si attachante et d’une psychologie si précise, et d’autres Juifs, connus ou anonymes, qui se sont convertis libreinenl. Supposer qu’ils n’ont été mus que par le souci de leur tranquillité ou par la perspective d’avantages teiTestres, c’est gratuit et injuste.

En présence de cette rareté de conversions relative, on se demanda si les Juifs sont convertissables. Tout le monde estima qu’ils se convertiront avant la fin des temps. Cf. les textes groupés par Drach, De l’harmonie entre l’Eglise et la Synagogue, t. I, p. 217-224 ; A. LÉMANN, L’avenir de Jérusalem, p. 335-3/(2 ; P. Bérard, Saint Augustin et les Juifs, p. 65-69. Mfis, exception faite de l’école qui se réclama du janséniste Duguet au xvii" et au xviii » siècles, et qui, exaltant le rôle futur des Juifs, chercha à prouver qu’après leur entrée prochaine dans l’Eglise il s’écoulerait de longs siècles, cf. J. Lémann, L’entrée des Israélites dans ta société chrétienne, p. 263-297, la conviction s’implanta dans les esprits que jusqu’à la fin des temps il sera impossible d’amener au christianisme la masse des Juifs. Quelquesuns, partant de là, conclurent qu’il n’y avait guère à se préoccu]ier de les évangéliser. Saint Brrnari), De Consider., III, i, 2-3, le dit clairement au i)apc Eugène III. Cf. Pierre de Blois, Contra perfidiam Judæorum, I, xxx. Paul. « Vlvaue, de famille juive, i donna à cette pensée un tour odieux, ICpist., xviii, 23 : Omnipiitens Dominus Sahanth ctmversionem ves- | tram quasi quoddam facinns odit. Ce langage esten | dehors du courant traditionnel. On admit que, si [ les Juifs ne se convertiront collectivement qu’aux 1 approches de la lin du monde, ils peuvent se con- ; verlir individuellement. L’Eglise travailla à multiplier ces conversions. Un de ses actes les plus caractéristiques, à ce point de vue, fut, à Rome, avec l’institution des prédications obligatoires, celle de i la maison des catéchumènes ouverte, sousl’inlluence ! de saint Ionace dk Loyola, par le pape Paul III, i (15’(3), pour recevoir les Juifs qui se préparaient au’baptême.

81. He 17H9 à nos jours. — On aurait pu croire que l’émancipation juive arrêterait le flot des conversions. C’a été tout le contraire. Un converti juif,

l’abbé I. Gosculer, le remarque, dans une note de sa traduction du Dictionnaire encyclopédique de ta théologie catholique, i’éiHt., Paris, 1870, t. XII, p. 453 :

« L’émancipation complète des Juifs de France, en

les mêlant à tous les rangs de la société, en les faisant participer, à leur insu, à tous les bienfaits du christianisme, soit que leurs enfants reçoivent l’éducation dans les institutions publiques, soit que les plus intelligents et les plus studieux d’entre eux remplissent les fonctions administratives, judiciaires, industrielles, siègent dans les conseils municipaux, dans les assemblées législatives, dans les sociétés savantes, ou servent dans les rangs de l’armée ; cette émancipation civile et politique, disons-nous, a plus fait pour la conversion religieuse des Juifs, depuis cinquante ans, que les persécutions et les exclusions de dix-huit siècles. L’Eglise a certainement reçu dansson sein, depuis un demi-siècle, en France, plus d’enfants d’israèl qu’elle n’en a jamais vu embrasser sa foi depuis son établissement dans les Gaules. » L’exrabbin Dracu avait signalé, avant lui, a ce mouvement bien extraordinaire dans la nation juive » et y avait vu « un signe certain des derniers temps du monde », De l’harmonie entre l’Eglise et la Synagogue, t. I, p. 224, cf. 3-4, 26-27, 3 1-32, 45, 85, 90, 224328. En 1879, les Archives Israélites, un des principaux organes du judaïsme, demandaient : « D’où vient que presqtie toutes les familles riches Israélites se soient converties depuis cinquante ans ? » Et elles citaient des noms, notant, par exemple, que <i de tous les descendants de Moïse Mendelssolin il n’y en a plus qui appartiennent au culte juif ». Sur quoi un de ces convertis, le P. M. -A. Ratisbonne, ayant reproduit le texte des Archives, observait, dans Jérusalem, Annales de In mission de j.-D. de Sion en Terre Sainte, n° 10, Marseille, septembre 1879, p. 17-2 !  : « Celui qui pose cette question mystérieuse à ses coreligionnaires de la Synagogue, aujourd’hui voltairienne, aurait pu ajouter à sa liste de « convertis riches » des volumes et des volumes remplis de milliers et de milliers d’autres noms que ceux des opulents banquiers ou négociants, qu’il a recueillis de côté et d’autre dans toutes les contrées de l’Europe. Pourquoi a-t-il oublié d’inscrire sur son catalogue tant de médecins, de peintres, d’avocats, d’écrivains en renom, d’administrateurs, d’industriels, de généraux de division, d’officiers de toutes armes, de simples soldats, d’artisans de toutes sortes, voire même de vénérables et doctes rabbins… ? Aujourd’hui, ces conversions se multiplient à l’infini. )’Le recueil des Annales de la mission de Aotre-Dame de Sion permettrait de dresser une liste considérable de conversions de 1879 à nos jours. Tous les Juifs qui ont reçu le baptême ne sont pas venus au catholicisme. Un très grand nombre ont passé aiu I)rotcstantisme ou à « l’orthodoxie « russe.

Que toutes ces conversions n’aient pas été irréprochables, qu’elles aient eu lieu parfois non par conviction religieuse mais pour des motifs humains, en vue d’un mariage, pour n’être pas en marge de la société distinguée, et, quand l’émancipation a été lente et incomplète, pour avoir accès à certaines carrières, qu’il y ait eu des conversions factices, superllcielles, il n’y a pas à en douter. Mais, en règle générale, la sincérité des conversions est plus sûre que par lepassé. Les bonnes conversions ont été nombreuses, d’où les mobiles suspects sont absents, où l’on fait à la vérité aperçue le sacrifice de son repos, d’avantages matériels, de ses relations de famille, oïl l’on surmonte, au prix d’un réel héroïsme, des dillïcultés de tout genre, y compris, disent les frères LÉMANN, /. « cause des restes d’/sraîl, p. 78, « celle qui nous avait toujours paru, à nous et ù d’autres. 1757

JUIFS ET CHRETIENS

1758

la plus iiisvirni()nlivl>lc…, celle du déshonneur a qu’il y a, d’apiès (Uine niiixime aussi fausse ([ue ci’uelle », pour un honnête homme à changer de religion, — où, humainement, loin de gagner, on perd beaucoup à se convertir, où converti l’on a une dignité de vie, une beauté de caractère, une fermeté de convictions, des ardeurs de dévouement qui témoignent d’une sincérité parfaite. E. Dhumont, La France juii’e devant l’opinion, la’édit., Paris, 1886, p. 31, dit qu’il existe, « dans cet ordre, des faits véritablement attendrissants ». I.imhrmann, le premier juif moderne que l’Eglise ail béalilié, les deux frères Ratisbonnb, le P. Heumann’, les deux Lf.mann, pour ne nommer que ceux-là, ont montré éloquemment jusqu’où peut atteindre la valeur d’une conversion juive.

§ V. Les attaques contre le judaïsme et le ton

DE LA POLÉMIQUE

88. Les duretés contre les Juifs. — La polémique antijuive a été souvent d’une vivacité extrême. Le pseudo-HARNADiid’abord, ÏEUTULLiEN ensuite, avaient donné le ton. Saint Jérôme le monta encore. Même des esprits qui passent pour paisibles, nolaranicnl un PiERHE LB ViiNÉRADLE, s’oublièrent à des excès de langage qui déconcertent. Les Juifs convertis n’eurent pas toujours pour leurs anciens coreligionnaires la douceur qu’il aurait fallu.

Ces outrances des polémistes s’expliquent en parlie par le genre de leurs ouvrages et par les habitudes du temps. Qu’il s’sgisse des chrétiens ou des Juifs, il y a là une excuse valable dans certaines limites. Quand, par exenqile, le diacre Guillaume de Bourges, juif converti, cf. Hom-MEY, Supplemenliini Patrnni, p. 416-/|l7, divise son traité contre les Juifs entrente chapitres quia Judæi pro triginta argenteis Christum sibi traditum per irn-idiam tradideruni, le procédé est blessant et, du reste, malhal)ile, car les Juifs ne sauraient être attirés par un début pareil. Mais, au préalable, p. /(13, il nous dit qu’en apprenant qu’il allait composer un livre de controverse, les Juifs le taxaient d’audace, d’ignorance, et lui jetaient ces mots : Tues asinus, tu es canis. Ceci aide non à approuver, mais à comprendre cela.

Il y a autre chose pour amener les violences d’expression des polémistes : c’est l’indignation que leur procurent les blasphèmes des Juifs. A pro|)os du Perfecto odio oderam itlos du psaume c.xxxviii, 2j, saint Jérôme dit :.Si expedil ndisse homines et gentem aliquam detestari, iniro odio Ufersor circumcisionem, usque Itodie enim persequuntur Dominuni nostrum Je.ium Christum in synagogis Satanae. Un Agobard. un Amolon, qui reprennent, celui-ci. Contra Judacos, xli, le verset du psalmiste, celui-là, De judaicis siiperstitionibus, x, elle verset et le commentaire de saint Jérôme, sont émus et ne se possèdent pas, en quelque sorte, uniquement à cause des malédictions des Juifs contre le Christ et de leur guerre au christianisme. Tous les écrivains ne sont pas aussi vifs. Ceux qui les imitent cèdent à la même impression.

83 La bienveillance pour tes Juifs. — Graktz, trad., l. V, p. 78, dit que saint Jérôme a » inoculé au monde catholique sa haine du Juif ». Non, saint Jérôme ne liait pas les Juifs. S’il était bon d|p haïr un homme et une nation, si expedit orfisse, c’est cette nation et ce sont ces hommes qu’il délesterait, en raison de leur acharnement blasphématoire. El Agobard les déclare souverainement haïssables. De jud. sup., ix-x, oui, mais en tant que blasphémateurs, mais dans le sens où l’Ecriture invite à les haïr.

siculi et odiendos illos demonstrat Scriptura. Les chrétiens haïssent l’erreur et le mal ; ils ne haïssent pas les méchants et ceux qui se trompent. La polémique antijuive, quels que soient ses emportements regrettables, n’est pas à base de haine pour les Juifs.

Prenez les plus violents des polémistes, un Agobard, un Amolon, un Pierre le Vénérable ; vous constatez qu’ils ne sont pas étrangers aux sentiments de bienveillance. Acioiiahi) précise. De insolentia Judæorum, iv, qu’on ne doit pas les molester, ni en vouloir à leur vie, à leur santé, à leurs richesses, qu’on doit allier l’hunuinité à la prudence. Amolo.-<, Contra Judæos, xlviii, lix, lx, lui fait écho : il veul que, loin de leur nuire en ipielque chose, on ait à C(eur leur salut, compassioncm et benignitateni ajiostoli, Ilom., ix-xi, quunluin, Dco largiente, possumus, studentes imitari. Pieiuie lk Vénkhahlk,.Idversus Jadæorum inveteratani duritiem, iro., les presse de se convertir : Cur saltem lioc non moet, dit-il, cur non moi’et hoc quod totum robur fidei cliristianae, quod tota spes salutis humanae, ex vestris litteris originem habet ? Cur non moi’et quod patriarclias, quod prophetas prænuntiatores, quod apostolos prædicatores, quod summam ar supercoelestem Virgineni matrem Cliristi, quod Christum ipsum, auctorem snluiis nostrae, qui et expectatio gentium a propheta vestro dictus est…, de génère veslro, de stirpe magni Abrahæ descendentes suscepimus ? Si les écrivains belliqueux tiennent ce langage, il n’est pas surprenant qu’on le retrouve sous la plume des esprits iréuiques. Saint Justin, Dial., xviii, xxxv, xcvi, cviii, leur dit : « Vous êtes nos frères », et alhrme que les chrétiens leur rendent amour pour haine. Ne parlons pas de Nicolas de Gués, pacifique et concessionnisle avec excès, dans son y>e pace seu concordantia fidei, puisque, pour réunir toutes les religions sous la bannière de l’Eglise, il était prêt à sacrifier les cérémonies du culte chrétien et à accepter la circoncision, ni du bienheureux Raymond Lulle, si impartial, si courtois, dans son Lii’re du gentil et des trois sages. Mais comment ne pas mentionner saint Beunaud, Epist., cccLxv, et dans ce discours de Mayence où il disait aux croisés excités contre les Juifs : « Ne touchez pas aux fils d’Israël et ne leur parlez qu’avec bienveillance, car ils sont la chair et les os du Messie, et, si vous les molestez, vous risquez de blesser le Seigneur à la prunelle de l’œil » ? Cf. T. Ratis-BONNR, Histoire de saint Bernard et de son siècle, 5’édit., Paris, 1864, t. II, p. 9Ô-97 (extraits de R. Joseph bbn Josiiua ben Meïh, qui avait assisté enfant aux scènes qu il raconte, sur le rôle de Stiint Bernard). Comment oublier de belles pages peu connues de saint Thom.4.s, In epist. ad liomnnos, ix, lect. I’, Opéra, Parme. 1862, t. XIII, p. yi-f)3, sur l’amour de saint Paul pour les Juifs ses frères el sur leur dignité multiple, résultant, en particulier, corum ex proie, cum dicit : L’x quibus est Christussecundum carneni ? Au xvii’et au xviii’siècles, il y eut toute une littérature sympathique aux Juifs. Nous en avons un sj)écimen caractéristique dans le Discours adressé aux Juifs et utile aux chrétiens pour les confirmer dans leur foi du frère Archange, Lyon, 1788. L’auteur invite les chers Israélites », les « cliers enfants de Jacob », le « cher peuple », ainsi qu’il les appelle, à se rendre à Jésus : « Né de voire sang, fils de l’Eternel, il est votre frère, tout puissant auprès de noire père commun. »

Ce serait un beau florilège que celui des paroles de bienveillance des chrétiens à l’adresse des Juifs.

On y réunirait, en premier lieu, les textes qui regardent la prière pour les Juifs. Avec la prière oiricielle de l’Eglise le vendredi saint, il y a la prière et les exhortations à prier des âmes croyantes et 1759

JUIFS ET CHRETIENS

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aimantes, o Nous prions pour vous », disait saint Justin. Au rapport d’EusÉBE, De martyribus l’aleslinae, viii, saint Paul de Gaza, avant son martyre, obtint du bourreau un instant de délai, et pria catboliquement pour tous les lidèies et les infidèles, et expressément pour la conversion des Juifs. La tradition s’est maintenue jusqu’à nos jours. Le P. E. Regnault, Messager du caur de Jésus, mai 188y, assignait aux associés de l’Apostolat de la prière la conversion des Juifs comme intention spéciale du mois. Les frères Hatisboxnb obtinrent de Gbé-GoiBE XVI la mission positive de convertir les Juifs. L’œuvre de Xotre-Dame de Sion, qu’ils ont fondée, a pris un développement considérable. La prière y a une part capitale. Une archiconfrérie, dont le but est de prier pour la conversion d’Israël, comptait, en mai 1911, 107282 membres. Cf. Annales de la mission de Noire-Dame de Sion en Terre-Sainte, u° 126, Paris, 1911, p. 9.

Viendraient ensuite les textes qui réclament, pour les Juifs, de l’humanité, de la compassion, de l’amour. Nous en avons cité quelques-uns. De saint Justin aux frères Lémann, le choix serait abondant. Un des plus beaux serait la finale de VAd^ersus Judæos de saint Augustin : Ilæc, carissimi, siye gratanler sii’e indignanler audiant Judæi, nos lamen, uhi possiiinus, cum eornm dilectione prædicemus.Nec superbe gloriemur adiersus ramus fractos ; sed potius cogitemus cujus graiia, et quanta misericordia, et in qaa radiée inserti sumus, non tilta sapientes, sed liumilibus consentientes, non eis cum præsumptione insultandii. Le P. Hkrmann disait : n Pour sauver un seul de nos pauvres frères, je me traînerais sur les deux genoux jusqu’au bout du monde », C. Sylvain, Vie du P. Ilermiinn, Paris, 1881, p. 58.

In qua radiée inserti sumus : les textes sur les origines juives du christianisme enrichiraient enlin cette anthologie. Comment B. Lazaiîe a-t-il pu écrire. L’antisémitisme, p. Gg : <> On s’eiTori, ’a d’oublier l’origine judaïque de Jésu< ; , celle des apôtres, et que c’était à l’ombre de la Synagogue que le judaïsme avait grandi ; et maintenant encore, dans la chré tienté tout entière, qui donc voudrait reconnaître qu’il se courbe devant un pauvre juif et une humble juive de Galilée ? » Saint Augustin, saint Bernard, Pierre le Vénérable, saint Thomas et le bon frcre Ahchanor, dont on a lu les paroles, sont là pour attester l’inexactitude de cette assertion. Il serait facile de recueillir des textes analogues épars dans la littérature ecclésiastique. Saint Grégobe le Grand, Moral., XIV, xxxix, XXXV, xiv, parle du Dieu sauveur, né de la race des Juifs, leur frère. Saint IlderoNSE, De irginitate perpétua sanctæ Mariae, iii, IV, VII, rajjpelle au Juif les miracles de ce Jésus qui est ex traduce tua, ex stirpe tua, ex propagine generis tui, et que Marie est juive : sit, rogo, jam sit, rogo, judæe, gratissimnm tihi tantæ Virginis decus in tua cognatione repertum…, unde jam eni mecurn ad hanc iirginem, et, avec l’insistance monotone, mais ici affectueuse et touchante qui lui est linbiluellc, il accumule les synonymes pour exprimer son dessein de convaincre les Juifs : ipso (le Christ) ducente, sequur eum (le Juif) ; ipso præeuntc, curram pnst illum…, et, in quantum ipse permiserit, assenèrent libi, ostendam tibi…, convincam, probem… Harto-Locci, Jiihliotheca magna rabbinica, t. I, p. 135, s’étonnait de voiries grandes familles de Home, d’origine juive, dissimuler leur descendance si honorable d’une nation ex qua tôt liri sanctl, tum ex Vetcri tum ex -Voio Testamento, ajwstoli omnes, ipsaque beatissima Virgo Maria cxorti sunt. ac ejus Filius Clirisius Dominas ex ea uasci voluil. L’amende honorable qui est solennellement prononcée le vendredi

saint, dans l’église des religieuses de Notre-Dame de Sion construite, à Jérusalem, sur les ruines de V£cce homo, contient ces paroles : u Souvenez-vous de votre première alliance, car leurs prémices étaient saintes ; ils ont pour pères les patriarches, et c’est de leurs tribus que sont sortis et les apôtres qui ont porté votre Evangile jusqu’aux extrémités du monde, et Marie, votre Mère Immaculée, et vous-même, ô divin Emmanuel, qui êtes notre Dieu béni dans tous les siècles. » Et, dans la supplique aux Pères du concile du Vatican qui amena 510 signatures épiscopales en faveur du i’ostulatum pro Ilehræis, les abbés Lémann tirent valoir ces deu.x raisons : quia ex eis est Clinstus secundum carnem, et ut soror nostra, beata Virgo Maria, Ojttatissimo sibi gaudio materna inler yiscera perfundatur quando supremum sublimis sui canlici suspirium senserit exauditum : Suscepit Israël puerum suum. Cf. La cause des restes d’Israël introduite au concile œcuménique du Vatican, p. 81, 90, 92, 95, 107-108. 120, iSg, 146, 149, 156, 192, 196, 197, 226, 246, et la lettre d’approbation du cardinal CoULLiÉ. p. II. Voir encore Newmann, Sotes de sermons, trad. Folguera, Paris 1914. p.239 ; J. Cellier, Pour et contre les Juifs. Saint-Amand, iSyO, p. 1, 10-18, 58-65. 363 ; A.-D. SEiiTii.i.A.yGEs, Pi otestants et Juifs, dans -Vos luttes, Paris, 1903, p. 203, etc.

Bibliographie. — Travaux concernant l’ensemble ou une période de l’histoire de la polémique : C.-J. Imbonati, Bihlioilieca latino-hehraica sive descriptoribus latinis qui ex dinersis nationibus contra Judæos vel de re hebraica utcumque scripsere, Rome, 1694 ; J.-C.AVolf, Bibliotliecaliebræa, Ham.bourg, 1715, t. II, p.96-144 ; J.--’^-Fabricius, />e/ectus argumentorum et srllabus scriptorum qui leriiatem religionis christianæ adtersus atheos, epicureos, deislas seu naturalistas, idololatras, Judæos et Muhammedanos lucubrationibus suis asseruerunt, Hambourg, 172Ô ; K. Werner, Der heilige Thomas von Aquino, Katisbonne, 1858, t. I, p. 628-663, et Cescliiclite der apologetischen und polemischen Literatur der christlichen Théologie, 2" édit., llatisbonne, 1889, 1. 1, p. 2-84, et Œschichie der neuzeitlichen cliristlicli-kirchlichen Apologelih, 1’édit., Ualisbonne, 1889 ; A.-C. Me Giffert, Dialogue between a Christian and a jeu, Marbourg, 1889, p. 12-27 ; S. Krauss, The Je^is in the Il oris of the Church Fathers, dans The jenish quarterly revieiy, Londres, 1898-1894, t. V, p. 122-167, t. I, p. 8299, 226-261 ; A. Klentz, Der Kirchenviiter Ansichten und I.ehren iiber die Juden, Miinster, 1894 ; C. Siegfried, Ueber Ursprung und ICntti ickehiiig des Gegensatzes znischen (hristentum und Judenlum, Icna, 1896 ; E.Le Blant, /, fl controverse des chrétiens et des Juifs aux premiers siicles de l’Eglise, dans les Mémoires de lu société nationale des antiquaires de France, 6’série, Paris, 1898, t. VII, p. 229-260 ; J. Martin, L’apologétique traditionnelle, Paris, 1906. 3 vol. ; J. Gcffcken, Z » ei Griechische Apologeten, Leipzig, 1907 ; G. Ziegler, Der Kampf zwischen Judenthum und Chrislenthum in der ersten drei christlichen Jahrhunderten, Berlin, 1907 ; O. Zôckler, Geschichte der Apologie des Christentums, Giilersloh, 1907 ; J. Jusler, Fxamen critique des sources relatives à la condition juridique des Juifs dans l’empire romain, Paris, 191 1, p. 27-64. Monographies : E.-F. Scott, The apologetic of the >Veii Testament, New-York. 1907 ; E. Monier, Les débats de l’apologétique chrétienne. L’apologétique des apôtres avant saint Jean, Briguais, 1912, p. 3-43 ; J. Rivière, Saint Justin et les apologistes du second siècle, Paris, 1907, p. 200-274 ; A. d’.Mès, La théologie de Tertullien, Paris, 1906, p. 6-22 ; P.

1761

JUIFS ET CHRÉTIENS

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CONCLUSION

84. La conduite des Juifs envers les chrétiens.

— B. L.vzAUE remarque. L’antisémitisme, p. 1-21, ipie partout où les Juifs s’établirent se développa l’antijudaisiue. « Il faut, puisque les ennemis des Juifs appartenaient aux races les plus diverses, qu’ils vivaient dans des contrées fort éloignées les unes des autres, qu’ils étaient régis par des lois dilVérentes, gouvernés par des principes opposés, qu’ils n’avaient ni les niênies mœurs ni les mêmes coutumes, qu’ils étaient animés d’esprits dissemblables ne leur permettant pas de juger également de toutes choses, il faut donc que les causes générales de l’antisémitisme aient toujours résidé en Israël même etnon chez ceux qui le combattirent », et que, si les persécuteurs des Israélites n’eurent pas toujours le droit de leur côté, les Juifs aient causé, en partie du moins, leurs maux. « Devant l’unanimité des manifestations antisémites, il est dillieile d’admettre, comnieon a été trop porté <’i le faire, qu’elles furent siuq)lement dues à une guerre de religion. »

Pourquoi le Juif fut-il « universellement haï >> ? Parce que partout, et jusqu’à nos jours, le Juif fut

« un être insociable », se targuant de son excellence, 

méprisant ce qui n’est pas juif et formant un Etat dans l’Ktat. S’il s’en était tenu au mosaïsme pur, la fusion avec les autres peuples aurait fini par se produire. Mais une chose empêcha toute fusion : ce fut l’élaboration du Talmud, la domination et l’autorité des docteurs talmudisles. Le juif qui se réclamait du Tahnud s’isolait du reste des hommes. Ce n’était pas seulement l’insociabilité ; c’était l’exclusivisme. II entrait en contact avec le reste des hommes pour des raisons patriotiques, religieuses, économiques, pour s’en servir, pour commercer avec eux, par prosélytisme, mais en se réservant, en refusant de se soumettre à leurs coutumes, en estimant mauvaises leurs idées, leur influence, leur manière de vivre, en l)rocl ! xmant qu’il fallait attendre, exempt de tout mélange avec ces « impurs >, le rétablissement de l’empire des Juifs.

Cet isolement haineux, les Juifs le pratiquèrent en face des chrétiens. C’est pour n’avoir pas voulu

Tome H.

s’isoler de la sorte, c’est pour avoir rompu le « mur de séparation » entre païens et chrétiens et, par là, pour remplir ses destinées universelles que l’Eglise s’était séparée de la Synagogue. C’est spécialement des chrétiens que le Talmud isola les Juifs.

Que les Juifs aient souffert de la destruction de Jérusalem, c’est naturel, et aussi qu’ils aient fait des efTorts pour recouvrer l’indépendance nationale. Qu’ils aient vu d’un mauvais (vil l’Egli.se se détacher (le la Synagogue, et non seulement des païens mais aussi des Juifs passer au christianisme, on se l’explique encore. Qu’Usaient tenté d’y mettre obstacle, qu’ils aient redoublé de prosélytisme, témoigné du ressentiment aux transfuges, jalousé le christianisme en progrès, il n’y a pas à en être surpris ; c’est humain, il fallait s’y attendre.

Mais, dans leur mécontentement, ils ont dépassé toute mesure. Non seulement ils ont persécuté eux-mêmes autant que [jossible ; mais ils se sont encore associés au paganisme persécuteur par tous les moyens que la haine suggère, désignant les fidèles à la vindicte des lois, applaudissant aux supplices, suscitant les persécutions par les calonmies qu’ils répandirent. Constantin, d’un mot, dégagera l’impression produite par tous ces souvenirs : inimicissima Judæorum turba, ils sont la race très hostile aux chrétiens.

Si, après le triomphe du christianisme, les Juifs étaient demeurés paisibles, s’ils avaient renoncé à leurs habitudes d’agression, s’ils n’avaient pas donné aux chrétiens méfiants, aux chrétiens disposes à leur faire expier leurs torts si graves et à ne pas supporter la récidive, de nouveaux motifs de plainte, insensiblement la situation se serait détendue. Mais les Juifs ne se résignèrent pas au devoir de calme et et d’effacement que leur dictaient les circonstances. La victoire du christianisme leur parut intolérable. Et ils continuèrent, par leurs paroles, parleurs actes, à s’aflirmer les ennemis des chrétiens et du christianisme. C’est ce que nous avons vu dans les détails. Le mot de Constantin est resté vrai : ils ont été, le long des siècles, la nation très ennemie.

88. f-a conduite des chrétiens envers les Juifs. — A. f.’Elat. — a) Les chefs d’Etat. — Ils prirent, au lendemain du triomphe de l’Eglise (313), des dispositions législatives visant à empêcher les Juifs de troubler la foi ou la tranquillité des fidèles. L’ensemble de ces mesures fut adopté par l’Eglise. Les législateurs n’édiclèrent pas des peines contre des crimes chimériques ; ceux dont il est parlé sont prévus parce qu’ils ont existé et que leur retour est à craindre.

Autant que pour la foi des particuliers, les Juifs furent, en maintes circonstances, un danger pour la nation qui les avait accueillis. On comprend ic les chefs d’Ktat aient été indisposés par leur hostilité éclatante ou sourde, que les trahisons des Juifs, réelles — il y en eut — ou présumées réelles, aient attiré sur eux une répression énergique. Leurs excès usuraires de tout genre motivèrent, avec leurs traîtrises, les rigueurs dont ils furent l’objet. Dans tout cela, ni les.luifsne furent toujours innocents ni les chefs d’Etat ne furent toujours irréprochables. L’Eglise n’a pas à répondre des torts de ces derniers, n’ayant pas approuvé leurs abus. Il s’en faut que, dans leurs relations avec les Juifs, l’Etat et l’Eglise aient agi constamment de concert, que les princes aient été constamment guidés par des motifs de religion. Le roi qui traita le plus durement les Juifs fut Pnii-ireB lu Bel, le moins religieux de tous. Les lois entravèrent la conversion des Juifs par la saisie des biens de ceux qui recevaient le baptême, sous prétexte que le juif devenu chrétien cessait d’être soumis

S6 aux taxes qui pesaient sur ceux de sa nation et diminuait d’autant les ressources de son seigneur. Dès le commencement du moyen âge, cette coutume s’introduisit dans presque tous les pays de l’Europe. Jean XXII (bulle Cum sit absurdum, 19 juin 1320) et d’autres papes protestèrent. Quelques rois, tel Charles VI en France, lancèrent des édits contre cet usage. Ce fut en vain. Paul III (bulle Cupientes Judæos, 21 mars 1542) nous apprend que de son temps il existait presque partout.

b) Le peuple. — L’Église n’est pas davantage responsable de tout ce qu’a fait le peuple, soit qu’il ait maltraité les Juifs pour des raisons non confessionnelles, soit qu’il ait poursuivi en eux les ennemis de sa foi. Toujours mobile, allant d’un bond aux extrêmes, le peuple était emporté alors par la fougue d’un sang barbare. D’une part, son tempérament superstitieux subissait le prestige des opérations magiques où les Juifs étaient passés maîtres. D’autre part, le moindre incident l’entraînait aux colères irréfléchies, aux pires violences. L’antichristianisme des Juifs était notoire. Leur loyalisme envers la nation était suspect. Le bruit circulait-il qu’ils avaient trahi un royaume, une ville, qu’ils avaient insulté la religion chrétienne, ses rites, ses ministres ? L’indignation populaire montait vite à son paroxysme. Sans plus ample informé, c’était un déchaînement de fureur. Les méfaits certains disposaient à croire aux méfaits douteux ou imaginaires. L’accusation de meurtre rituel aggrava une situation déjà fâcheuse. Mais ce que le peuple vit surtout dans le Juif, ce fut l’usurier, et celui-là, dit B. Lazare, L’antisémitisme, p. 21, fut haï du monde entier ».

B. L’Église. — Les partisans les plus convaincus de la tolérance religieuse ne sauraient exiger que nos ancêtres aient jugé d’après leurs idées et que l’Église ait pratiqué la tolérance au sens moderne du mot. Se disant, se croyant l’Église véritable, la seule, se prenant au sérieux, l’Église ne pouvait professer l’indifférence religieuse ; elle réclamait pour tous le droit d’embrasser le christianisme ; elle ne supportait pas que la doctrine chrétienne fût combattue, entravée, mise en péril. Par là s’explique toute sa législation relative aux Juifs.

Elle entend qu’ils ne soient pas un obstacle à la diffusion de l’Évangile, qu’ils ne constituent pas un danger pour la foi des chrétiens. Or, cet obstacle, ce danger, ils l’étaient, naturellement et de toutes leurs forces.

Mais, tout en les empêchant de nuire aux chrétiens et au christianisme, l’Église garantit aux Juifs la libre pratique de leur religion. Elle condamna toute violence, toute vexation, toute injustice, chez les princes et chez le peuple. Elle protégea les Juifs alors que tous les malmenaient. Et, chassés de partout, les Juifs jouirent toujours d’une tranquillité relative dans les États du Saint-Siège. Surveillés de plus près, moins libres, pendant la seconde moitié du xvie siècle, ils n’y furent pas l’objet d’une proscription générale.

Même quand elle sévit, l’Église aima les Juifs, distinguant des actes les personnes. Dans les textes les plus durs des pontifes romains, des Pères, des polémistes, çà et là un mot apparaît qui révèle le fond d’une pensée dévouée, affectueuse.

Dira-t-on, avec l. Loeb, Réflexions sur les Juifs, p. 27, que tout, dans l’Église, nourrit la haine contre les Juifs ? » Il est impossible, même aujourd’hui, que la lecture publique des Évangiles, le développement de certains textes en chaire, les récits de la Passion, n’entretiennent pas, jusqu’à un certain point, la haine contre les Juifs et n’assurent la persistance des sentiments antisémitiques. » La remarque est juste. Est-ce la faute de l’Église ? Si les Juifs, pendant l’ère des persécutions, n’avaient été les ennemis implacables du christianisme que nous avons vus, aux Juifs les chrétiens n’auraient pas montré de l’hostilité ou de la méfiance. Mais comment désarmer ? Les Juifs étant aussi acharnés contre les chrétiens que leurs ancêtres l’avaient été contre le Christ et les apôtres, comment le culte public, la lecture de l’Évangile, de la Passion, n’auraient-ils pas contribué à entretenir et à perpétuer les dispositions malveillantes ?

L’importance des commencements est extrême. Les Juifs commencèrent mal. Tout s’ensuivit. Les Juifs furent agresseurs ; les chrétiens ripostèrent. Les Juifs, ne voulant pas avoir le dessous, reprirent la bataille. Ils s’affirmèrent la « nation très ennemie ». Durant la période des origines, ils le pouvaient sans péril. Après 313, en revanche, il y avait pour eux des dangers, qui ne les arrêtèrent point. Les chefs d’État, le peuple, l’Église, chacun dans sa note et selon son tempérament, réprimèrent les excès des Juifs. Du côté des princes et du peuple, on répondit parfois à des excès par d’autres excès. C’est regrettable. L’Église fut plus modérée. L’Église ne pratiqua pas envers les Juifs la tolérance religieuse, telle que la proclament, surtout en théorie, nos contemporains. L’Église ne souffrit pas que les Juifs fussent un obstacle à la foi chrétienne. À la condition qu’ils n’entravassent pas le christianisme, l’Église respecta leur liberté et maintint leurs droits. Le mot d’Agobard, De insolentia Judæorum, iv, résume sa conduite : Observemus modum ab Ecclesia ordinatum, non utique obscurum sed manifeste expositum, qualiter erga eos cauti vel humani esse debeamus. Et le mot de saint Augustin. Adversus Judæos, x, révèle l’esprit de l’Église : Hæc, carissimi, sive gratanter sive indignanter audiant Judæi, nos tamen, ubi possumus cum eorum dilectione prædicemus.

Félix Vernet.