Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Initiation chrétienne

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 401-418).

INITIATION CHRÉTIENNE. — I..Sources à cunsiiller. — II. I.'mstitiituin baptismale. — HI. /.'œuvre du baptême. — IV. Suppléances du huptéme.

L’initiation clirétienne se présente dans l’Evangile (V/., xxviii, 19 ; Mc, XVI, 16) réduite à l’acte essentiel du Haplènie ; les Actes des Apôtres y ajoutent (.Je/., viii, 12 sqq. ; xix, i-'j) l’imposition des mains pour le don du Saint-Esprit ; les catéchèses des Pères distinguent et décrivent trois éléments de l’initiation complète : Baptême, Gonlirmation, Eucharistie.

La simplicité du rite et le langage même de l’antiquité chrétienne, qui emprunta souvent pour désigner les nouveaux baptisés les termes consacrés par l’usage des initiations païennes (u^tts^i, iniliati), a donné lieu de rabaisser le baptême, soil au rang des opérations magiques, soit au rang des mystères [)aieiis. Selon plusieurs historiens rationalistes des origines chrétiennes, le rituel de l’initiation serait issu tout entier d’un travail accompli par la génération contemporaine des Apôtres et les généralions suivantes ; aucun élément ne remonterait à Jésus, p : >s même le plus caractéristique de tous, le rite baptismal, considéré de tout temps comme le signe olliciel de l’adhésion au Christ. Enlin il arrive que l’on prend scandale du lien établi par Notre-Scigneur entre ce rite et l’obtention du salut éternel, à cause des dillicultés, parfois insurmontables à la bonne volonté même, qui peuvent s’opposer à l’administration du Sticrement.

Cet article, consacré presque exclusivement au baptême, indiquera d’abord les sources à consulter pour l'étude complète de l’initiation chrétienne. Puis on mettra en lumière l’origine de l’institution baptismale. On insistera sur le caractère essentiellement moral, et nullement magique, de cette institution, selon la pensée du Christ et celle de l’Eglise. On indi([uera enûn comment, dans les cas de nécessité, le vœu du sacrement peut suppléer le défaut de rite.

I. Sources à consulter pour l'étude de l’initiation chrétienne. — Nous grouperons les documents selon les divisions générales des liturgies primitives, en y joignant l’indication de quelques éditions particulièrement utiles.

niTC SVBIAQUE

tëv.)r>, Kjpto-j 61y. T’Jj-j "Attct-o'/ùjv (lin du i*^"" siècle ?) ; éd. princeps par Philothée Bryennios, Constantinople, 1883. — Reproduite dans les diverses éditions des Pères apostoliques.

AiôvTza/iK -ii’j à7TiTTC/wv((in du m siècle ?), éd. Funk, Paderborn, 1906 ; I.a lltdascalie des douze npiltres, traduite du syriaque pour la première fois, par V. Nau ; a" éd., revue et augmentée, Paris, 1912.

lons apostoliques, en 8 livres ; fln du iv « siècle ?), J'. G., t. L ou mieux éd. Funk, Paderborn, igo6.

Testamentum Domi/ti.Vosiri lesu Chiisti, éd. Rahmani, Mayence, 189g.

Les Odes de.s’a/omon (trad. J. Labourt, P. BatilTol), Paris, 191 1, composées peut-être en Syrie peu après le début du ii" siècle, renferment quelques rares allusions au baptême.

S. Cyrille de Jérusalem, Catéchèses. P. G., XXXIII.

Peregrinatio Sihiæ (alias Eucheriae, Aetheriae, l’geriae), éd. Gamurrini, Rome, 1888.

Aphraate, Homélies. P. S., t. I et II.

S. Ephrem, Hymnes pour la fête de l’Epiphanie.

S. Jean Chrysostome, passim, notamment Ad illuminandos Catéchèses 11, P. G., XLIX.

Pseudo-Denys, De ecclesiastica liierarcliia, c. 2, P. G., lu.

The liturgical homilies of Aarsai (nestor.), traduites par R.-H. Connolly. « ^lambridge, I909(7'e.</s and Studies).

J.-A. Assemani, Code.r lilurgicus Ecclesiæ universae, Rome, année i ; 49 d sqq,

IL Œnzinger, Kitus Orientalium, Coptorum, Syrorum et.4rinenoni/n, in adminislrandis sacramentis. Wiirtzbourg, 1 863-4, 2 in-8.

RITE ALEXANDRIiN

Kkïo’vî? Tfw K/iuv àr.^-Td'/wj (vers 300?), éd. Funk, Paderborn, 1906, dans le VIII" livre des Constitutions apostoliijucs. Les 50 premiers, traduits en latin, ont passé dans la collection pseudo-isidorienne. Voir Ïlefele-Leclcrcq, Histoire des Conciles, t. I, appendice IX.

E ; ù ; i ; î/o/io » S'//5v.7ri’wv5 ; , éd. Wobbermin, Leipzig, 189g ; Funk, Paderborn, 1906.

Coiistitaliones Ecclesiæ aegrptiacae, éd. Funk, Paderborn, 1906.

Canones Hippolyti. éd. Achelis, Leipzig, 1891 ; reproduit par liucliesne. Origines du culte chrétien, Paris, 1908, appendice 6".

/.es rj7 canons des Apôtres, texte arabe ])ublié cl Iraduil en français par Jean Périer et Augustin Périer, Patrulogia Orientalis. t. VIII, 4. Paris, 191 2.

Clément d’Alexandrie, passim.

Origêne, passim, surtout //i /oannem ; In Ep. ad Ilomanos.

S. Denys d’Alexandrie, Epitres, chez Eusèbe, //. E., VII.

S. Alhanase, passim., P. G.. XXV et XXVI.

Didyrae, De Trinitate, II. xiv, P. G., XXXIX, C92 sqq.

S. Cyrille d’Alexandrie, /n /oannem, P. G, LXXIU, et passim.

RITE BYZANTIN ET ARMKNIKN

S. Basile, Homil. in.S. /iaptisma, P. G., XXXI ; (?) De haplismo lihri II, ibid. : Ad Amphilochium Epp. ci.xxxvin et cic (canonicæ i et 11, can. i et 47). P. G., XXXII ; /)e Spiritu Sancto liher, ibid.

S. Grégoire de Nysse, Oratio catechetica magna, c. XXXIII et sqq., P. G., XLV ; Oratio adv. différentes baptismum. P. G.. XLVI.

S. Grégoire de Nazianze, Or. xxxix et xl, P. G., XXXVI.

s. Grégoire l’Illuminateur (apôtre de l’Arménie au iv= s.), chez V. Langlois, Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie, t. I, Paris, 1867.

Euchologes grecs, souvent édités à Venise, années 1638 et sqq. ; Rituale Græcorum, éd. J. Goar, <). P., Paris, 16/47, réédité à Rome, 1780.

Kituale.irmenorum, éd. F. G. Conybeare, Oxford, 1906.

RITE.FRICAIN

Tertullien, De haptismo, éd. Liipton, Cambridge, 1908 ; De pænitentia, et passim.

Acta S.S'. Perpetuæ et Felicitatis, P. L., III ; niieu.x chez.rmilagc Robinson. Cambridge, 1891 (Texts and Studies, I, 2).

S. Cyprien, passim, notamment Epp. lxiv ; i.xix à Lxxv, éd. Hartel (Corpus Vindohonense, vol. 111).

Sententiæ episcoporum L.XXXVII (Concile de Cartilage en 256), parmi les œuvres de saint Cyprien.

Anonyme De rehaptismate. Ilnd.

S. Optât de Milève, De schismate Donatistarum, P. /.., XI.

S. Augustin, De catechizandis rudihiis ; De symbolo ad catecliumenos : Enchiridion de fide. spe et caritate, I'. /.., XL : Ecrits contre les Donatisles, De haptismo contra Donalistas lihri VII ; Contra epistolam /'armeniani lihri III ; Contra litteras Petiliani lihri III, 791

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P. Z., XLIII ; ajouter probablement De baplismo contra Donatistas hreyissimus liber, d’après Doni A.Wiliiiart, / ?ei’He bénédictine, 1912, p. 148-167 ; Ecrits contre les Pélagiens, De peccatorum ineritis et remissione libri III, P. L., XLIV.

Ferrant ! le diacre, Epistula ad Fulgentium Riispensein, P. L., LXV.

S. Fulgence de Ruspe, Epistula ad Ferrandum diiiconum, ibid.

RITK MILANAIS

S. Ambroise, De Mysteriis, P. /.., XVI.

Pseudo-Ambroise, De Sacramentis Ubri VI, P. /,., XVI (Représente sûrement la tradition ambrosienne ; le degré d’appartenance à saint Amltroise est difficile à préciser).

Munuinenta veteris liturgiæ ambrosianae, éd. Mapistrelti, t. I et II, Milan, 1905 ; du même : La liturgia délia Cliiesa Milanese, sæc. iv.

Cf. P. Lejay, art. Ambrosien (le rite) dans D, T. C.

RITE GALLICAN

Missale gallicanum têtus, edd. Tommasi, Mabillon, … cf. P.L., LXXII.

Missale gothicuni, … ibid.

Missale bobiense, … ibid.

Saint Germain de Paris, Epistolae, éd. Martène. P. /…LXXII.

Saint Grésjoire de Tours, Jlistorlu Franconim, passim. P. /.., LXXI.

Alcuin, Epp. xc et cxni, P. L., C.

BITE CELTIQUE

Missale Stoiviense (vi< siècle ? ou viiK-x* ?) éd. J.-C. Warren, The liliirgv and rittiul of tbe celtic C/nirt/i, Oxford, 1881.

Bède, Histuria Anglorum, P. L., VC.

RITE -SVISIGOTHIQUB OU MOSARABB

Liber comicus, sive lectionarlus missæ qiio Tuletann Ecclesia ante annos MCC iitebatur. Edidit G. Morin, O. S. B., Anecdota Maredsolana, t. I, 1893.

Liber ordinitm, en usage dans l’Eglise wisigothique et inosarabe d’Espagne, du ai’au xi" siècle, éd. l)om Ferotin, cliez Cabrol et Leclercq, Moniimenta Ecctesioe litiirgica, t. V, lyoij.

Saint Ildefonse, arclievêque de Tolède (657-667), Annutationes de cognitione baptismi, P. /.., XCI.

Autres documents liturgiques de l’Espagne, chez : S. Pacien, évêque de Barcelone, De baptismo, P. t.., XIII ; Hiinère de Tarragone, lettre reçue du Pape S. Sirice, ibid. S. Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis, P. L., LXXXIII.

RITE ROMAIN

Représenté surtout par les décrélales des Papes ; puis par d’autres documents qu’on trouvera dans les recueils suivants :

Liber ponti/icatis, éd. Dueliesne, Paris, 1886-92, 2 in-4 ; Muratori, Aiiliqiiitates itaticæ Medii aeti. Milan, i^SS-i^ii, C fol. ; I. A. Assemani, Codex littirgiciis Ecclesiæ universae, Rome, 1749 et sqq. ; Martène, De antiquis Ecclesiæ ritibus, Hoien, 1700-1702 ; 1736 ; Daniel, Codex litiirgicns Ecclesiæ (( « (lersae, Leipzig, 1853 ; F. Cabrol et H. Leclercq, O. S. B., Monumenta Ecclesiæ litiirgica, Paris, années 1902 et sqq., in-4.

En général on peut consulter :

Abbé J. Corblet, Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement de baptême. Paris, 1881-2, 2 in-8. Compilation abondante, pas toujours critique.

Article Baptême dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie (Cabrol-Leclercq) par doin P. de Puniel (1907).

Article Baptême dans le Dictionnaire de théologie catholique (Vacant-Mangenot) par J. Bellamy ; G. Bareille ; R. S. Bour ; V. Ermoni ; C. Rucli ; G. Morel ; E. Mangenot (igo3).

Article liaptism dans le Dictionary of the Bible (Hastings) par A. Plummer (1906).

Article Taufe dans la Jlealencyclopædie f. prot. theol.’^ (Herzog-Hauck) par Feine, Steitz, Kattenbausch, Drevvs (1907).

Probst, Liturgie des vierten Jahrhunderts, Miinster, 1893.

L. Duchesne, Origines du culte chrétien^ eh. ix, Paris, 1908.

Fr. X. J. Dôlger, Dos Suhament der Firmung bislorisch dogmatiscli dargestellt, Wien, 1906 ; lyfiyi, Dos Fischsymbol in frûhchristlicher Zeit, i.on, 1910 ; ’Z-fpy.yii, Eine altchristliche Taufbezeichnung, Paderborn, 191 1.

F. H. Chase (évêque anglican de Elj), Confirmation in tbe upostolic âge, London, 1909.

A. Villien, /.a discipline des sacrements, articles de la lievue du Clergé français, t. LIX et suivants (série commencée en septembre 1909).

P. Galtier, La Consignation à Home et à Carthage, dans Recherches de science religieuse, t. II, p. 350383, 191 1 ; La Consignation dans les Eglises d’Occident, dans Bet’ue d’histoire ecclésiastique, t. XIII, p. 2.57-301, 191 2.

II. L’institution baptismale. — Quand Jésus-Cbristconmiençad’annoncer l’Evangile, Jean-Baptiste avait déjà prêché le baptême de pénitence pour la rémission des péchés, /sa-TiT/iK //îT « vî(’a ; EÙ y-^î’jiv ù/j.v.pTiSiv (.l/c, I, 4. 5). Il annonçait d’ailleursl’avcnemenld’un plus grand que lui, lequel baptiserait non plus seulement dans l’eau, mais dans l’Esprit-Saint (Me, i, 8 ; Ml., III, I 1 ; Lc, III, 16 ; cf. Act., i, 5). Est-ce à dire que le baplêmede Jean.expressémentdésignécomme bai>téme de pénitence, exigeait en fait de pénitence plus que ne devait exiger le baptême de Jésus ? Non certes ; mais le baptême de Jésus devait se distinguer du baptême de Jean par une portée plus grande et des effets plus divins. Après avoir consacré par un signe sensible cette conversion du cœur qui prépare les voies à l’Esprit-Saint, le précurseur s’arrêtait, pour laisser le Seigneur parfaire son œuvre. D’ailleurs, avec ces multitudes composées d’hommes qui les uns avaient entendu la prédication de Jean, les autres ne l’avaient pas entendue, les Apôlres de Jésus devaient reprendre le thème oblige, l’appel à la pénitence pour la rémission des péchés. Au jour de la Pentecôte, après la première prédication de saint Pierre et le miracle des langues, quand les auditeurs émus demandent : it Frères, que faut-il que nous fassions ? » Pierre répond (Act., ii, 38) : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés ; et vous recevrez le don de l’Esprit Saint. » Un peu plus tard, dans la demeure du centurion Corneille, Pierre, constatant l’elTusion de l’Esprit-Saint, conclut que la préparation des cœurs est achevée, et juge qu’il y a lieu de conférer le baptême de Jésus (.ict.. xi, 16 18) :

« Je me suis souvenu, raconte-t-il plus tard pour justilirr

sa conduite, de la parole du Seigneur qui a dit : Jean a baptisé <lans l’eau, mais vous serez baptises dans l’Esprit-Saint. Si donc Dieu a donné à ceux-ci la même grâce qu’à nous, avec la foi au Seigneur Jésus-Clirist, qui étais-je pour m’opposer à Dieu ? Or ceux (]ui entendaient cela acquiescèrent, et glorillèrent Dieu en disant : Dieu a donc donné même aux Gentils la pénitence qui mène à la vie. »

Ces textes le prouvent assez : il y a entre la pénitence et le baptême chrétien une relation étroite : 793

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l’une étant la préparation tlu cœur, l’autre étant la coUution (lu Jon divin. La i)énilenc-e opère la conversion intérieure, sans laquelle il n’y a pas, pour les advlte^^i tic justilication ; le baptême y niel le sceau. Toute riiistoire primitive de l’évangélisation montre l’application de celle loi.

Act.j II, 37-41. — Trois mille hommes, coiïvcrtia par la première prédication de S. Pierre, reçoivent le haptèrae.

Ad., viii, 12-16. — Les Samaritains, convertis par la prédicatiou de Philippe, sont baptisés au nom du Seigneur Jésus.

.Ic^, VIII, 32-38. — L’eunuque de la reine d’Ethiopie, converti sur le chemin par Philippe, reçoit le baptême.

Act., IX, 10-18. — Saul, converti sur le chemin, est baptisé îi Camus.

Acl^ X, 44-48 ; xi, 16. — Corneille et les siens, déjà remplis du Saint-Esprit, sont baptisés par l’ordre de S. Pierre.

A<-t., XVI, 12-15. — Lydie, marchande de pour[)re, ayant entendu la prédication de Paul à Phiiippes, se fuit baptiser avec les siens.

Act., xviii, 24-xix, 5. — A Ephèse, ceux qui n’avaient l’eçu f|ue le baptême de Jean, pleinement instruits par Paul, sont baptisés au nom du Seigneur Jésus.

Act, XXII. —. Jérusalem, Paul raconte sa conversion, scellée par le baptême.

Rom., VI, 1 sqq. — Les fidèles doivent se considérer comme morts par le baptême et ensevelis avec le Christ, pour ressusciter avec lui à une vie nouvelle.

1 Cor.^ I, 11-17. — La plus parfaite harmonie doit régner entre les fidèles, tous baptisés au nom du même Christ.

I Cor., XII, 13. — Tous ont été baptisés en un même corp « , abreuvés d’un même Esprit.

Gal., III, 27. — Tous ont revêtu le Christ.

Eph, , IV, 5. — Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême.

I Pet., III, 21 sqq. — Le baptisé a engagé sa conscience à Dieu : il marche désormais dans la foi de la résurrection.

Convertir d’aliord, et puis baptiser, telle était l’économie de la prédication apostolique, tel était le préce [)te du Seigneur. Vouloir rendre compte, en dehors de l’tiypotlicse d’un précepte du Seigneur, de cette tacli(iæ constante des Apôtres, dès le début de leur |)rédication, c’est supposer un effet sans cause ; c’est déserter l’explication naturelle des faits pour se lancer dans les constructions arbitraires.

On a pourtant essayé de telles constructions, et Ion a prétendu tout rattacher à l’initiative personnelle des.pùtres. Pour rendre cette explication plausible, on a invoqué divers précédents ; les ablutions juives, depuis celles prescrites dans la loi de Moïse jusqu’au baptême des prosélytes ; enfin et surtout le baptême de Jean. Mais on se convaincra de l’échec de pareilles explications, si l’on considère la différence que les écrits du Nouveau Testament mettent entre les ablutions juives, ou même le baptême de Jean, et le baptême de Jésus.

Les ablutions rituelles de la loi mosaïque conféraient aux enfants d’Israël une pureté légale, extérieure, en vue de certains actes de la vie Juive ; elles ne conféraient pas ce renouveau intérieur de la grâce qui rend agréable à Dieu. Le déclin de l’esprit religieu. v en Israël avait peu à peu réduit, pour un grand nombre, le culte à ces observances de surface, et l’on sait que le Seigneur ne ménage pas sur ce point les . Pharisiens ÇVl., xxiii, 25) : « Malheur à vous. Scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous i)uriCez le dehors du calice et du plat, mais au dedans vous êtes pleins de rapine et de désordre. » Ces leçons n’étaient pas pour inspirer aux disciples un bien grand respect d’observances désormais caduques, et pour leur suggérer l’idée de lier à une ablution semblable l’ipuvre de pureté morale dont ils devenaient les hérauts et les ministres.

De fait, les premiers Pères ne nous montrent pas.

tant s’en faut, l’Eglise occupée de copier la Synagogue. Comme échantillon de l’esprit régnant parmi les fidèles, nous citerons un de ces textes vénérables rendus de nos jours à la lumière par les tables d’Egypte : fragment d’évangile apocryphe ou homélie primitive, ce texte, que de bons juges rapportent au 111= siècle de notre ère, fut édité en 1907 au tome V des papyrus d’Oxyrrynclios, n. 480 :

« … Ayant pris avec lui ses disciples, Jésus les introduisit

dans le litxu des purifications, et se promenait dans le temple. Survint un pharisien, prince des prêtres, nommé Lévi, qui les aborda et dit au Sauveur : Qui t’a permis de fouler le sol du lieu des purifications et de voir ces objets sacrés, sans avoir pris un bain et sans que les disciples se soient lavé les pieds ? Souillé, tu as foulé le sol de ce temple, qui est un lieu pur, qu’il n’est pas permis de fouler sans avoir pris un bain et changé de éléments ; tu as osé voir ces objets saciés. Le Seigneur, s’arrèlant soudain avec ses disciples, répondit à cet homme : Et toi qui es ici dans le temple, tu es pur ? Le pharisien répondit : Je suis pur, car je me suis baigné dans la piscine de David ; je suis descendu par l’un des escaliers et suis remonté par l’autre ; j’ai revêtu des vêlements blancs et purs ; « près quoi je suis venu et j’ai regardé ces objets sacrés. Le Sauveur lui répondit ; Malheur à vous, aveugles qui ne voyez pas ! Tu t’es lavé dans ces eaux qui s’épanchent, où les chiens et les pourceaux se vautrent nuit et jour ; après l’être lavé, lu as frotté ta peau comme les prostituées et les joueuses de flûtes qui se parfument d’huile, se frottent et s’embellissent pour flatter la passion des hommes ; cependant intérieurement elles sont pleines de scorpions et de toute B(trte de malice. Pour moi et mes disciples, à qui tu reproches de ne s’être pas baignés, nous nous sommes baignés dans l’eau vive… »

On reconnaît immédiatement l’accent d’une morale plus profonde que celle du pharisa’isme. Ce texte, sûrement très ancien, nous représente sous une forme saisissante l’antithèse de l’idéal chrétien et de l’idéal juif ; il donne clairement à entendre ce que le Maître avait inculqué souvent et ce qui se reflète dans l’enseignement des disciples. Des hommes pénétrés d’un tel esprit n’auraient pas songé d’eux-mêmes et si vile à faire d’un bain rituel le signe officiel et nécessaire d’adhésion à la doctrine de Jésus. En regard des documents chrétiens primitifs, on peut consulter, non seulement les anciers rabbins, mais la Jettislt Encyclopedia, publiée de nos jours à New-York ; on y lira, à l’article Ablutions, t. I, p. 6g B, que l’ablution fait partie d’un système de purifications usité de tout temps et en tout pays en vue de la sainteté et de la communion avec Dieu ; et l’on verra que cela doit s’entendre avant tout au sens corporel : purification des souillures anciennes et préparation aux rites principaux de la religion. Après vingt siècles, le concept est resté le même. Voir encore ibid., t. IV, art. L nclean, Uncleanness.

quant au baptême des prosélytes, si tant est qu’il fut dès lors en usage, ce qu’il est assurément plus facile de croire que de démontrer, on peut affirmer qu’il ne tenait pas une bien grande place dans les préoccupations communes ni dans la pratique de la religion populaire, au temps de Notre-Seigneur. Ce bain rituel, qu’Israël exigea au moins quelquefois des prosélytes venant à lui de la gentililé, n’est pas mentionné dans l’Ancien Testament ; il ne l’est pas davantage dans le Nouveau. Il n’a pas laissé de trace chez les écrivains juifs du i"^ siècle, tels que Philon et JosÈPHE, ni chez les premiers écrivains chrétiens les mieux instruits des choses juives, tels que le Psbudo-Barnabé et saint Justin. Il faut descendre assez bas dans la littérature de notre ère pour le trouver mentionné incidemment. Un vers des Oracles sibyllins IV, 164) paraît le viser :

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ainsi qu’Arrien (Diss. Epict., ii, g) : ’Otoo Si « MJxCri ri "nxOo^ ^zCv.u.y.évov^ To’rs xv.t hrt xKt xv.JîîTV.t louûyJo^. — C’est à peu près tout ce qu’on rencontre au ii* siècle. La très ancienne version éthiopienne de l’évangile selon saint Matthieu porte, au lieu du verset bien connu (_Mt., xxiii, 15) : « Vous parcourez la mer et la terre pour recruter un prosélyte », « Vous parcourez la mer et la terre pour baptiser un prosélyte », ce qui peut passerpour une allusion au rited’initiation judaïque. Mais la rareté de tels vestiges montre le peu de fond qu’on doit faire sur l’idée du baptême des prosélj’les ; elle montre aussi l’invraisemblance extrême de l’hypothèse d’après laquelle les disciples seraient allés emprunter à la Synagogue, cette marâtre, un rite aussi ésotérique pour en faire le signe caractéristique des enfants de l’Eglise. Le pendant juif du baptême chrétien n’est pas le baptême des prosélytes, mais bien la circoncision’.

Reste le baptémede Jean. Jésus, en s’y soumettant, en avait consacré la valeur religieuse, et les Apôtres le respectaient. Mais ce respect ne les empêchait pas de prétendre, quand ils faisaient un chrétien, faire autre chose que ce qu’avait fait Jean. Cela ressort avec évidence de plusieurs textes déjà cités ; cela ressort surtout du récit consigné aux chapitres xviii et XIX des..ctes.

Il y avait à Ephèse un certain Juif alexandrin dont saint Paul parle à diverses reprises dans ses épîlres. Il se nommait Apollo. Homme de culture supérieure, versé dans les Ecritures, instruit de la doctrine de Jésus. Dans sa ferveur, il exerçait autour de lui une propagande active et intelligente, mais il lui restait sans doute beaucoup à apprendre : l’auteur des Actes marque expressément qu’il ne connaissait que le baptême de Jean. Son concours n’en fut pas moins apprécié par les autres ouvriers de l’Evangile. Or le cas d.pollo n’était pas isolé à Ephcse : saint Paul, traversant cette ville, eut occasion d’interroger quelques disciples et de s’enquérir s’ils avaient reçu le Saint-Esprit. La réponse fut : b Mais nous ignorions même qu’il y eut un Saint-Esprit. » Sur quoi, saint Paul interrogea de nouveau : « Quel baptême avez-vous donc reçu ? — Le baptême de Jean. » Paul s’empressa de compléter leur instruction, disant : « Jean a baptisé du baptême de pénitence, engageant le peuple à croire en celui qui devait venir après lui, c’est-à-dire en Jésus. » Là dessus, ces catéchumènes reçurent le baptême au nom du Seigneur Jésus, et ensuite le don du Saint-Esprit par l’imposition des mains de Paul.

Fidèle aux enseignements de son Maître, l’Eglise a constamment vénéré, dans le baptême de Jean, une sorte de préface du baptême chrétien ; et les Pères grecs s’accordent à faire dater du jour même où Jésus descendit dans les eaux du Jourdain pour les sanctiQer, la première consécration de notre baptême. Mais cette croyance n’entame en rien dans leur esprit l’originalité de l’institution baptismale. Le baptême chrétien, selon la pensée de l’Eglise comme selon celle des Apôtres, est une création nouvelle, et nous pouvons hardiment en nommer l’auteur : il n’est autre que Jésus.

Tout à l’heure, à propos de la tactique observée par les Apôtres, nous parlions de rhyi)ollièse d un

l.Lc » sources rabbiniqucs nous renseignent un peu plus abondamment sur le baptême des prosélytes. Voir notamment dans le Talmud <lt’Ïfahi/Jnne (v’siècle), Yeharnol /t kl B, une allusion possible au haptènie par immersion. On pont consulter’. Bka.ndt, Die Jntii.-tc/irn liaptismcn ^ Giessen, 1910, et les articles de C. F. Rooerr et L AiiRAHAMs dans le Journal of iheolo^ical Sttuiiea., t. XII et Xin (avril et juillet l’Jl 1, avril Illli)’ : Ihnv did l/ic Ji ; vs bapti : e.’précepte du Seigneur. Cette expression était provisoire. Après avoir montré que l’hypothèse a pour soi toutes les vraisemblances, il nous faut faire un pas de plus, et aborder la démonstration directe du fait.

Il est assez de mode aujourd’hui de le nier. Je cite — comme un des plus notables représentants de cette négation en France — Auguste Sabatier, dans son livre posthume, les religions d’autorité et la religion de l esprit-, Paris, igo4, p. loi-io^.

« L’institution du Baptême d’eau est-elle le fuit de Jésus

lui-même ? Il est impossible, dans l’état des textes, de le montrer. La parole de Ml., xxviii, 111, qui semble le lui attribuer, n’est pa » seulement posthunje ; elle n’est entrée qu’assez tard dans la tradition de 1 Eglise apostolique. Aucun autre évangile ne l’a recueillie.

« Si Jésus avait laissé à ses Apôtres un commandement

ausii formel, Paul auruit-il pu écrire aux Corinthiens que le Christ l’a eni’oyé, non pour baptiser, mais pour éi’angétiser ? et)Huirrait-il rendre grâces à Dieu de n’avoir baptisé de ses mains que trois ou quati-e)>ersonnes à Gorinlbe.’N’aurait-il pas dû plutôt se reprocher d’avoir manqué è » un commandement exprès du Christ.’(1 Le baptême d’eau remonte à Jean le Baptiste. Jésus considérait ce rite prt’paratoire au loyaume messianiqu<’, comme voulu de Dieu, mais antérieur et étranger à la nouvelle alliance. Les disciples l’ont pratiqué d’abord dans l’esprit même du précurseur, ayant en vue, comme lui, le prochain avènement du Messie triomphant.

« Le baptême du Messie devait être d’une autre nature.

C’était ti le baptême d’esprit et de feu », qui, dans les discours de Jean, se tiouve nettement opposé au baptême d’eau, tl’ost le seul dont Paul prenne souci. A l’origine, ils étaient fort bien distingués 1 un de l’auti-e, comme on le voit dans le livre des.-Vctes des Apùtrcs, où tantôt l’efTusion de rEsi)iit précède et tantôt suit le baptême d’eau, sans qu’il } ail entre eux liaison nécessaire. Mais à mesure que l’Eglise et le royaume des cieux tendaient à s’identifier, l’entrée dans l’une devait coïncider avec l’entrée dans l’iiutre, le bain de purification en vue du Royaume et l’effusion de l’Esprit, gage et principe de la vie nouvelle, devaient se confondre, et le sî^rne prendre la place et la ^’aleur de la chose signifiée. Telle est la pente qu’allait descendre la chrétienté du il" siècle, pour aboutir très vite à l’idée siipei’stiticuse de l’opus operatum. »

Ces idées, qu’exprimait le doyen de la faculté de théologie protestante, se retrouvent dans un grand nombre de publications inspirées par l’exégèse rationaliste. C’est ainsi que, ne pouvant retrancher de l’histoire primitive du christianisme le fait ecclésiastique, on s’applique du moin » à en couper les racines et à l’isoler de Jésus, de qui l’Eglise tire sa sève. A l’origine du fait ecclésiastique, on rencontre la prédication baptismale : on en supprimera les attaches évangéliques, et l’on s’évertuera à trouver dans l’Eglise elle-même la raison de ce fait. On reconnaît

— comment pourrait-on ne pas le reconnaître ? — que dès son origine l’Eglise baptisa. Mais on alTecte de ne voir dans ce rite — distinctement chrétien, nous venons de l’établir — qu’une pure survivance de la I>rédication du Baptiste. Puis on ose avancer que l’Eglise avait déjà compté deux ou trois générations de baptisés quand, vers la (in du i" siècle, elle s’avisa de formuler comme précepte du Seigneur et d’introduire dans la trame déjà tissue de ses Evangiles cette règle, destinée à rendre raison d’une pratique des lors universellement reçue.

Le fait est que nous lisons en saint Matthieu, xxviii, 19 : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au noni du Père et du Fils et du Saint-Esprit. »

Et en saint Marc, xvi, 16 : « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné. »

Pour justilier l’athélèse prononcée contre ces deux 797

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versets, en tant que parties du texte primitif des évangiles, quelles raisons invoque-t-on ?

Pour le verset de saint Mattliieu, on insiste sur la présence de la formule trinitaire, qui, dit-on, à la date de la rédaction de cet évangile, soit aux environs de l’année ^o, constituerait un anachronisme. La foi à la Trinité ne se rencontrerait, ainsi formée, qvie tout à la lin du r^ siècle.

Pour le verset de saint Marc, on fait observer qu’il appartient à la linale deutérocanonique de cet évangile. Cette linale est d’un caractère dilTcrent et d’une autre main que le reste de la rédaction. Dès le iv’siècle, elle était suspecte à Eusèbe ; elle mancjue dans deux des principaux manuscrits du Nouveau Testament grec : le Sinaïliciis N et le ]’aticaniisïi.

Telles sont les princiiiales raisons de ceux qui ne préfèrent pas écarter d’emblée ces paroles comme purement mythiques, au même titre que toutes les autres paroles du Christ ressuscité.

Nous ne rééditerons par ici les réponses complètes qu’on trouvera en d’autres parties de ce dictionnaire. Une orientation sommaire suflira pour donner l’impression que les dilUcullés accumulées par les rationalistes n’ont pas toute la gravité que ceux-ci prétendent, et que les positions traditionnelles sur l’institution baptismale, même d’un point de vue purement critique, demeurent très fortes.

Tout d’abord quant au texte de saint Mattliieu, l’anachronisme imputé à la formule trinitaire s’évanouit si, au lieu de s’arrêter à l’écorcedes mots, on va au fond des choses, et si l’on prend la peine de comparer à ce texte évangélique divers textes de saint Paul qui, dès une date antérieure à celle assignée à notre premier évangile, renferment l’expression parfaitement distincte et reconnaissable du dogme trinitaire : ne fût-ce que ce verset de ré|iitre aux Ephésiens (ii, 18) : « Par le Christ, en un Esprit, nous avons accès près du Père. » El encore ce dernier mot de la 11" épître aux Corinthiens, xiii, 13 : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ et l’amour de Dieu et la communication de l’Esprit-Saint soit avec vous tous. I).u point de vue de la critique textuelle, la situation de ce verset est excellente : attesté qu’il est dès la lin du i" siècle par la Did.vcuè, par un grand nombre de Pères au ii « siècle, par l’unanimité des manuscrits et des versions. Les objections soulevées il y a dix ans par M. Co.nybeare, et dont Eusèbe faisait encore les frais, n’ont pas de valeur, au jugement même d’une critique indépendante. Nous renverrons à J. Lbbreto.n, Les Origines du dogme de la Trinité, l. I, note E, p. 478-489, Paris, 1910. | Voir d’ailleurs article Tkimti’ :.]

Le texte de saint Marc se présente, au premier abord, sous un jour moins favorable, puisqu’il appartient à une page discutée. Néanmoins les doutes qu’on a pu élever sur l’attribution de cette page à l’auteur du reste de lévangile ne s’étendent pas à l’antiquité même de la rédaction : car cette linale est citée dès le il" siècle par saint Irénée (111, x, 6) avec une pleine évidence, par d’autres auteurs plus ou moins distinctement. Les scrupules qu’elle inspirait plus tard à Eusèbe sont peut-être l’unif|ue cause de son absence dans deux manuscrits importants, qui. au dire des meilleurs juges, Tischendorf etGregory, représentent vraisemblablement la recension même d’Eusèbe. Mais à ces deux manuscrits qui l’omettent, nous pouvons opposer un bien plus grand nombre de manuscrits importants qui la possèdent (voir ci-dessus, t. I, 1616).

Enfin si l’on trouve plausible l’hypothèse d’une double interpolation opérée parallèlement dans les deux premiers évangiles pouraocréditer l’attribution au Christ lui-même de l’institution baptismale, com ment expliquera-t-on que le faussaire ait eu la main moins hardie quant au troisième évangile ? Or le texte de saint Luc, xxiv, 4^. fait exactement pendant à nos textes de saint Matthieu et de saint Marc : il leur fait pendant, sauf pourtant la mention du baptême : car Notre-Seigneur y parle seulement de

« prêcher en son nom la i)énitence pour la rémission

des péchés, à tous les peuples ». L’accord substantiel de ces trois versions d’un même fait, joint à l’absence dans l’une d’elles d’un trait si important et si caractéristique, est la meilleure garantie de la véracité aussi bien qvie de la mutuelle indépendance des témoins.

On objecte que saint Paul ignore ce fait d’un message baptismal, puisqu’il se ditcnvoyé non pour baptiser mais pour évangéliser (1 Cur.^ i, i^). Mais il l’ignore si peu qu’il eu rend témoignage dans ce verset même. Remarquons d’abord que saint Paul, dans le même contexte, dit avoir baptisé Gains et Crispus, et la maison de Stéphanas (liid., 14-16) : s’il n’a pas baptisé davantage à Corinthe, c’est sans doute qu’il n’en avait pas le tenais. D’ailleurs son charisme était autre. Ne nous enseigne-t-il pas (Eph., iv, 1 1) que le Seigneur a fait les uns apôtres, les autres prophètes, les autres évangélistes, les autres pasteurs et docteurs, selon la diversité des dons de l’Esprit ? Pierre n’agissait pas différemment envers ceux qu’il avait conquis à l’Evangile, et le livre des Actes nous apprend que, s’il admit dans l’Eglise Corneille et les siens, il se reposa sur autrui du soin de les baptiser (Act., X, 48). La version des Synoptiques est donc parfaitement consistante avec l’histoire de l’évangélisation primitive. Elle a d’ailleurs sa préface dans un épisode du quatrième évangile.

Chez saint Jean, nous entendons (/o., iii, 3 sqq.) non plus le Christ ressuscité, mais le Christ en pleine prédication évangélique, proposant à Nicodème la condition de l’entrée dans le royaume de Dieu : «. En vérité, en vérité, je te le dis, si quelqu’un ne renait, il ne peut voir le royaume de Dieu… En vérité, en vérité, je te le dis, si quelqu’un ne nait de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas de m’entendre dire : Il vous faut renaître. L’esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va… » Aux questions dont le presse cet homme de bonne volonté, Jésus répond sans prononcer le mot de baptême, mais en découvrant la source où s’alimente la vie de l’Esprit : « En vérité, en vérité, je te le dis, nous disons ce que nous savons et nous témoignons de ce que nous avons vu ; mais vous ne recevez pas notre témoignage. Si vous ne me croyez pas quand je vous parle de la terre, comment croirez-vous si je vous parle du ciel ? Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Iiomnie Et comme Mo’ise a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, alin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. Car Dieu a aimé le monde jusqu’à donner son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu’il ail la vie éternelle. »

Ici la perspective s’ouvre sur le mystère de la Rédemption et sur la nécessité de croire et d’agir selon Dieu, pour être sauvé au nom de son Fils unique. Mais sans doute ce n’est point pur hasard, non plus qu’artifice de composition, si le contexte amène immédiatement la mention du baptême. On voit en effet (m, 22) qu’après cela Jésus s’en vint avec ses disciples en Judée, qu’il y séjourna avec eux et baptisa. Jean aussi était non loin de là et baptisait. Et voici qu’une sorte de rivalité se développe entre les disciples de Jean et les disciples de Jésus. Les disci799

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pies de Jean dénoncent à leur maître le succès croissant de Jésus, et Jean prend de là occasion de leur dire (iir, 30) : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. >i Echo lidèle d’une parole que Jésus venait de dire à Nicodème et qui rejoint la théologie de Marc (m, 18) :

« Celui qui croit au Fils n’est pas jujfé ; mais celui

qui ne croit pas est déjà jugé, pour n’avoir pas cru au nom du Fils unique de Dieu. « Or, aussitôt après la parole de Jean, la suite du récit ramène encore une fois la mention du baptême. Tout ce contexte est étroitement lié (iv, 1-2) : « Jésus apprit qu’on avait rapporté aux Pharisiens qu’il faisait plus de disciples et de baptisés que Jean — cependant Jésus lui-même ne baptisait pas, mais bien ses disciples. » — Donc déjà l’on baptisait par son ordre. Sans nous arrêter à discuter si ce baptême, conféré du vivant de Jésus, avait dès lors toute la vertu du baptême de la Loi nouvelle’, constatons que l’évangéliste, si bien instruit des pensées intimes de Jésus, lui attribue expressément, dans un luème contexte, et le dessein de régénérer le monde par l’eau et l’Esprit, et déjà l’approbation d’un certain baptême, qui est, aussi bien que celui de Jean, un baptême d’eau. Que l’on veuille bien considérer l’harmonie de ces témoignages, et se demander si l’hypothèse d’une initiative spontanée prise par les Apôtres après la mort de leur Maître est la plus satisfaisante pour rendre raison du développement liistorique que nous avons rencontré au livre des Actes touchant l’institution baptismale. Toutes les raisons par lesquelles on prouve efficacement que l’éducation des Apôtres les prédisposait à comprendre une telle institution faite i>ar Jésus, et à la propager, échouent dès lors qu’on leur demande davantage et qu’on y cherche la preuve que cette institution leur appartient en propre. Au lieu de cette hypothèse gratuite, nos quatre évangélistes nous i)résentent une autre version. Les trois synoptiques, qui ne sont pas de [irofonds calculateurs mais de naïfs témoins, s’accordent sur le fait d’un message confié par Jésus aux siens, pour toutes les nations. En même temps qu’ils s’accordent sur ce fait, ils divergent sur les détails, assez pour exclure l’idée d’<in plan concerté entre eux. Matthieu parle de message, de baptême au nom de la Trinité, d’assistance indéfectible du Maître. Marc parle de message, de foi, et de baptême condition du salut. Luc parle de message et en précise la teneur : pénitence pour la rémission des péchés. Il ne parle pas de baptême, en cette Unale de son évangile ; mais tournons la page : ce qu’il a omis là, il le ramène au commencement du livre des Actes (i, ô), en rappelant que Jésus a prorais aux siens un baptême, le baptême de l’Esprit, c’est-à-dire avant tout le don de l’Esprit-Saint, destiné à parfaire l’œuvre du baptême d’eau. Enlin le quatrième évangile met sur les lèvres de Jésus, dans un entretien avec un clief de la Synagogue, l’énoncé du grand dessein auquel répondra [)lus tard ce message : la régénération du monde par l’eau et l’Esprit. Ici Jésus souligne expressément cette

1. Ce point n’a jamais été décidé. Tertullien, De bapliimo^ II, ne met aucune difTérence entre le baptême conféré par les Apôtres du vivant du Seigneur et le baptême de Jean. S. LrON LE Grand. Ep. xvi,.’t, Ad universos episcopos per Siciîiam coniiiitttos^ P. /-.. LIV, (VJ ! », [inrait bien supposer que ce boptênie n’était pas encore le baptême chrétien. Ce sentiment est celui de nombreux exégètes anciens et modernes : Uupert, Melchior Gano. De locis theologicis VIII, 5 ; EsTius…, Schanz, Schecg, Fillion, Knabenbauer. — Mais la distinction du baptême chrétien d’avec le baptême deJejin est un point de foi défini (i Trente, sess. vii, cun. 1 De baptismu, DE^zl^’0£R "’. 857 (738).

relation entre l’opération de l’eau et l’opération de l’Esprit, d’où résulte l’eflicacité du baptême. L’attribution à Jésus d’une initiative quant au sacrement est, en saint Jean, aussi claire que discrète, puisque l’explication s’impose, sans que le nom de baptême soit encore prononcé. Une pareille convergence d’indices révélateurs prouve assez que, dès les temps apostoliques, l’institution baptismale était, par le sentiment commun des fidèles, rapportée à Jésus lui-même. Ainsi les Pères l’ont compris, et l’Eglise en a vécu.

Nous sommes fondés à conclure :

Les documents les plus primitifs de l’Eglise montrent en Jésus le dessein formé de lier à l’institution baptismale l’œuvre d’évangélisation qu’il avait inaugurée en personne et que ses disciples devaient poursuivre après lui.

m. L’œuvre du baptême. — Si l’on interroge sur l’œuvre du baptême certains modernes historiens des religions, ils ne manqueront pas de vous répondre que le baptême est le rite d’initiation propre à la religion chrétienne. Pour peu qu’on les presse, ils vous citeront d’autres religions ayant mis en circulation ou bien consacré des ritesplus ou moins similaires ; et comme un rite d’initiation est particulièrement révélateur de la religion qui l’emploie, peut-être ils prendront de là occasion de marquer la place de la religion chrétienne entre les diverses religions historiques. Le syncrétisme de notre âge se comptait en ces rapprochements ; déjà il a tout réduit en catégories ; il ne manque même pas de prophètes pour pronostiquer le jour où, dans nos musées des religions, le christianisme, dûment étiqueté ainsi qu’une momie royale, ne représentera plus qu’une de ces éclosions religieuses, désormais dépassées, quiauront occupé quelque temps le rêve de l’humanité.

Tout cela, sans doute, est très facile à comprendre, mais aussi très éloigné de satisfaire les croyants qui voient dans la religion du Christ la seule religion fondée sur une communication expresse de Dieu à l’homme ; dans la personne de Jésus-Christ, l’objet sensible de leur adoration. Dieu apparu dans l’histoire ; enlin dans le baptême du Christ, le signe donné par Jésus lui-même aux siens.

Nous ne ferons aucune dilliculté de reconnaître que la religion chrétienne n’a été ni seule ni la première à proposer à ses initiés le bienfait d’une seconde naissance ou celui d’une purification. Si l’on s’en tient à l’écorce des mots, on peut fort bien ne percevoir aucune différence entre les promesses du Christ et celle de tel autre fondateur de religion. Mais à voir les choses chrétiennes par le dedans, on y découvre d’incomparables grandeurs ; ceux qui n’ont pas fait cette expérience et ont décidé de ne pas la faire, les méconnaîtront sans doute ; ce n’est pas pour nous une raison de ne pas présenter la vie chrétienne telle qu’elle apparaît au regard de la foi. En vérité, ces choses portent un tel cachet de simplicité et de grandeur qu’il suflit de se laisser faire par elles pour s’apercevoir qu’elles nous dépassent infiniment, qu’elles n’ont ici-bas ni parallèleni analogue, qu’elles n’ont pu se former par l’apport successif des générations croyantes, mais qu’elles s’épanchent d’une source infiniment riche où elles préexistaient avant de se déverser dans l’enseignement ecclésiastique ; cette source, dont nos méditations ne sauraient épuiser la jilénitude, c’est l’intelligence du Christ, qui a vu au sein du Père tout ce qu’il devait enseig^ner aux hommes (/o., i, 18).

C’est pourquoi nous interrogerons sur l’œuvre du baptême, d’abord Notre-Seigneur Jésus-Christ qui l’institua, i>uis saint Paul qui creusa la parole du 801

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Maître, enfin l’Uylise dépositaire de ces enseignements.

i) Le baptême selon ta pensée de Jésus, — On a déjà vu que, selon la parole de Jésus à Nicodème, le baptônie est une naissance. Délinition mystérieuse, qui probablement pjlissa sur l’esprit de Nicodème sans y pénétrer. On ne peut lire cet entretien sans être frappé duconlraste entre la souveraine assuranee du Seigneur, qui verse la lumière à (lots, et la naïve ignorance de ce maître en Israël qui, de bonne foi, se fait disciple et ne se laisse pas déconcerter |iar la hauteur de l’enseignement. Les paroles de Jésus tombaient du ciel ; Nicodème était un homme de la terre ; aiissi, d’abord, n’y comprit-il rien. Néanmoins c'était une volonté droite ; en dé[)it de tant d’idées juives qu’il apportait à l'école de Jésus, la himière devait, peu à peu, se faire dans son intelligence.

Toutes les paroles de Noire-Seigneur sont, comme il nous l’apprend, a esprit ot vie ». Mais il n’en est peut-être i)as qui réalisent plus éminemment cette description que celles adressées à Nicodème. Or Jésus parlait ainsi, /o., iii, 3-8 :

« En vérité, en vérité, je le le dis, si quelqu’un ne

renaît, il ne peut voir le royaume de Dieu… En vérité, en vérité, je te le dis, si quelqu’un ne naît de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la cliair est chair et ce qui est né de l’Esprit est Esprit. Ne félonne pas de m’enlendre dire : il vous faut renaître. L’esprit souille où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’oii il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. B

En traduisant, il a bien fallu prendre parti entre deux sens possibles du grec. Les molsquenousavons rendus : « Il vous faut renaître », pourraient aussi bien, d’après la lettre de l'évangile, se rendre : « Il vous faut naître d’en haut ». Atr ù/i-v ; /tnrfiî-j’j.i vMiOi, i. L’adverbe-hijji-i a, de par son origine, un sens local, et signilie : d’en haut. Mais, par une évolution facile à comprendre, il a acquis ultérieurement un sens temporel et signilie : des le commencement, ou : de nom eau. Si l’on s’altache au sens primitif et local, on entendra : « il vous faut naître d’en haut ». Si l’on s’attache au sens dérivé et temporel, on entendra :

« il vous faut renaître ». Les deux lignes d’exégèse

ont chacune leurs répondants. Dans laquelle convient-il de s’engager'.' La question serait tranchée immédiatement si nous connaissions l’expression araraéenne employée par Noire-Seigneur. Mais nous ne la connaissons pas. C’est à travers le grec de l'évangéliste qu’il faut tâcher de découvrir la pensée du Maître.

La suite du discours peut paraître recommander l’acception locale. On lit en elFet, iii, 5, 6 : - : kv ii.r, zu

Ij-y.TOi TT-j^yiici. £7Tiv, allusions manifestes au principe supérieur de cette nativité à laquelle Jésus convie tons les hommes. Le même sens est encore recommandé par l’usage ordinaire du N. T., et de saint Jean en particulier ; ainsi à la Un de ce même discours à Nicodème, iii, 31 : 'O v.-joiOi-j ipyôfx^jrv^ cttûcvoj ttk'^ojv è^tiv. Le même mol se représente sur les lèvres de NotreSeigneur disant à Pilate, lo., xix, ii : Oùz sÀyzi iinaC’a xar' iu.oû oùôe^utav zt fxr, f, v oiôofxévov aoi u-jo/Jvj. On lit encore /o., XIX. 28 : ^Hv 5 ; i ytrrjiv v.pv.^o^j è/. r61v v.'joiOs’j û^avTÔ? SrS).oj. Cf. Mt, , XXVII, 51' ; Mc, xv, 28 ; Ac, 1, 3 ; Jcl., XXVI, 5 ; /ac, I, 17 ; iii, 15-17. Dans la langue des Pères apostoliques, le même sens est tout à fait dominant, sinon exclusif ; voir II Clem., xiv, a ; Mart. l’olycarp., i, i(?) ; Hhbmas, Mand., ix, 1 1 ; xi, 5, 8, 20, 21. Notons de plus sa parfaite harmonie avec le fonds doctrinal familier à saint Jean : l’idée de noire liliation divine apparaît très souvent soit dans le qua Temo 11.

trièine évangile, soit dans les épllres joanniques. Ainsi, /o., i, 12-13 : « A tous ceux cpii l’ont reçu, il a <lonné le jiouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu » ; I /o., iii, 9 : « Quicon([ue est né de Dieu, ne commet i)as le péché, parce <jue la semence de Dieu demeure en lui ; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu. » Voir encore 16((/., iv, 7 ; V, I, 4, 18, etc. Aussi bon nombre de Pères grecs, après Origène, s’attachent-ils à ce sens dans leurs commentaires sur saint Jean. Tels saint Gré( ; oinB DE Nysse, Homil. cuteclietica magna, xxxix, 7,

/". G., XLV, 101 B ITf.i r.y.Tu’Jvy, îù T- ;  ; v.nuOiv £7Ti /ëv » / ; V£(.15,

saint Cyrille u’Alexandrie, Jn /o., 1. II, P. G.. LXXIU, 224 C : T-/, i muzy.zot r.'j.'^'M cÙ7Mi ri ïlvzû/^v. SnxvJi. La même tradition se retrouve dans des versions anciennes :.si ; ', harcle., nrni., ffolli. — Parmi les commentateurs modernes, Cal.m us (Paris, igo/l) lasuit. Mais voici la contre-partie. La réponse de Nicodème donne clairement à enlendre qu’il songea une seconde naissance, lo., iii, 4 : lia ; Sùvarai mOpoinoi

/îvvr/Jr/Jv.i yépuv w', /xr. oo-JV.Tv.l. £( ; Tv^v y.'jùivy Tôf //viTpè ; kÙtoO Ô£iiT£^ov diiiBsX-j i-.'A /ij-jr, 6>, voi.i ; et Notre-Seigneur ne le corrige pas sur ce point. Il est d’ailleurs remarquable que, lorsqu’il a en vue le caractère surnaturel de la génération, saint Jean a coutume de marquer expressément le principe de cette génération. On connaît les textes relatifs aux enfants de Dieu (opposés aux enfants du diable) lo., viii, 41 sqq., voir encore I la.. Il, 29 ; III, 9 ; IV, 7 ; V, I, 4, 18. On peut emprunter d’ailleurs au N. T. soit des textes où râwto a le sens temporel : Lc, i, 3 ; Acl., xxvi, 5 ; Gal., iv, 9, soit des allusions explicites à une seconde naissance, telles que lit., iii, b, sur le baptême : EawTsv onôLi Stc/. J.o^jrpvj T : '/./tv/£v£7('c< ; zaî àv « xKtv’vi « &> ; W’jiùpr/.TOi, ayt’ou ; IPet., 1, 3 : ' A’jv--/s : ijr, 7ai iip.S.i£ii ÙT : iSKÇ117v.-j ; cf. il)id., 21 ;

Gal., IV, 19 : Tiy.vv. /J.O’j, ci) ; ttk/iv c’jôr.'&) JJ.i'/piz oïl ffOpfOiOv}

Xpcjrài Iv ù/xt-j. Abondamment cautionnée par le lexi(]ue des auteurs anciens (Josèi’He, Dion ChrysosTOMB, Clément d’Alexandrie, etc.), l’interprétation de (zvwfcy par de nouveau, quant à /"., iii, 3, a pour elle l’autorité de nombreux Pères, depuis saint Justin, I Ap., LXI, 4 '. ^^^' 'l'-'-P ° XpcJTii £Î7T£V Aï jùl KV « -/£Vj-ffif, 1t, 0-J p-r, drjiJ.6r.-7l £(' ; T/, v liv.'^Ùliv.v T’ijv 0Ù/5avùJv ; TeRTUL LiEN, De baptismo, xiii ; « Lex enim tinguendi imposita est et forma præscripta : /te, inciuit, docete nationes, tinguentes eas in nimten Patris et Filii et Spiritus Sancti. Iluic legi collata delinitio illa : Nisi quis renatus fiieril ex aqua et Spirilu, non intrabil in regnum cæloruni, obstrinxit lidein ad baptismi neeessitatem. » De anima, xli, etc. ; saint Basile, saint GnÉGOiRE DE Nazianze et autres, jusqu'à saint Jean Damascène ; de laVulgatc (lo., iii, 3 : A’isi quis renatus l’aerit denuo…, 7 : Oportet-os nasci t/e « » o) ; d’autres versions anciennes : syr. peschit., memphit.. aethiop… Elle est adoptée par la grande majorité des exégètes modernes. Nommons : Knabenbaueh, Westcott, Zaun. — Voir encore le lexique de CreMBR-KOGEL (Gotha, 191 1) au mot cïwS£y.

A peser les raisons, de contexte et autres, qui militent pour l’une et l’autre opinion, il semble bien que la seconde mérite la préférence. Si nous voulons donner à la parole du Seigneur son vrai sens littéral, nous avons toute chance de ne pas nous égarer en optant pour le sens de la Vulgute : « Il vous faut renaître. » Mais, au fond, la question est moins grave qu’il ne paraît, puisque le doute, qui subsiste quant au sens littéral, n’atteint pas la doctrine. En effet, si d’une manière générale une interprétation ne vaut pas tout à fait l’autre, néanmoins, dans ce cas particulier, l’une appelle l’autre. Cela est si vrai que plusieurs Pères, et des plus grands,

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après avoir fait touclier du doigt la difliculté, combinent dans leurs coninientaires l’un et l’autre sens. Ainsi Okigène, In lo., iii, 3, ex catenis 35, éd. Prcusclien, p. 510, ii-511, lo ; cf. In /o., viii, 1)0, 1. XX, xii, ibid., p. 341, 3-2-342 ; saint Jkan Ghrysostomk, In lo., iii, 3-7, Hom. xxiv (xxiii), P. C, LIX, i^d ; saint Cyrille d’Alexanurik dans un passage déjà cittS In lo., 1. II, P. G., LXXIII, 2^, O : O, ah r>.p Ku^is ; r.fxùv’Iï ; ïoO ; Xctrrc^ Tv, v ôcK IIvîvyKTfl ; &v5<y£wv ; T(v

vp^iiv xKpizoûfxvj^t, xv.’t et’  « ÙTOO xai gv aÛTw tt^o ; tô àpyÎTj’ncv ôyy.iiopvojp-ivoi’/.v-jj^j :., o’jrtti tî et ; xa(vc’T"’/ ; rK iT’jj/ ;  ; àvy.rtxro’v^vsi xat et^ T/-, y ôîtav ii’/ji- ; iy : j à>a7T/KrTû’ ; j£i’^t. Nous serons

sûrement dans le vrai en acceptant la solution compréhcnsive de ces grands exégètes. Xotre-Seigneur pose comme condition de l’entrée au royaume de Dieu, l’obligation d’une seconde naissance, et cette seconde naissance est une naissance selon l’Esprit. On renaît spirituellement au baptême.

Entre toutes les concej)tions du baptême, celle-ci est évidemment la première en dignité, aussi bien qu’en profondeur et en simplicité. Où trouver en effet parole plus autorisée que celle du Fils de Dieu, proposant la condition de cette libation surnaturelle dont lui-même est le type idéal et le principe universel ? Elle s’encadre d’ailleurs admirablement dans l’évangile joannique, dans l’évangile de l’Esprit. On a souvent et très justement comparé la première page de cet évangile à la première page de la Genèse. Là nous lisons qu’  « au commencement Dieu créa le ciel et la terre » ; ici nous lisons qu’  « au commencement étailleVerbe », et nous sommes initiésau mjstère de cette genèse spirituelle qui s’accomplit par l’opération du Verbe. lo., i, 4, 5. i i-13 : « En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas reçue… II est venu dans son héritage, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du sang ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. » Comparez le langage de Jésus à Nicodème, /o., III, 16-18 : « Dieu a aimé le monde jusqu’à tlonner son Fils unique, alin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie (-ternelle. Dieu n’a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais [lour le sauver. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; celui qui ne croit pas en lui est déjà jugé, pour n’avoir pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Et voici la cause de cette condamnation : « La lumière est venue en ce inonde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs <i’uvres étaient mauvaises… » Tout à l’heure Notre-Seigneur op])osait l’Esprit à la chair, pour préciser la loi de celle seconde naissance en soulignant l’antinomie de la nature ruinée par le péché et de la grâce destinée à restaurer ces ruines. li revendiquait la gratuité absolue et l’indépendance souveraine du don divin, en invoquant l’analogie de l’esprit matériel, du vent, qui souille où il veut et dont nous constatons les elTets, mais dont l’être est enveloppé de mystère. Plus loin il alfirme le discernement divin, œuvre de lumière. Ceux qui agissent mal préfèrent les ténèbres ; ceux qui agissent bien vont à cette lumière qu’est le Fils de Dieu.

Aux œuvres de lumière on reconnaît les enfants de Dieu, chez qui l’adoption surnaturelle (ji’-/Jiii’/^ a porté ses fruits. L’idée de l’adoption surnaturelle, issue immédiatement de l’enseignement du Seigneur sur la seconde naissance, se rencontre souvent dans les écrits du Nouveau Testament en connexion avec l’idée du baptême :

Rom., VIII, 15-16 : i> Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude, pour vivre encore dans la crainte, mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père. Cet Esprit lui-même rend témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » — Gal., iii, 26-27 " Tous vous êtes Ois de Dieu par la foi en Jésus-Christ : car vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, avez revêtu le Christ. » — Tit., iii, b-"j : « Il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation de l’Esprit-Saint, qu’il a répandu sur nous en abondance par Jésus-Christ notre Sauveur, alin que, justiliés par sa grâce, nous devenions héritiers selon l’espérance de la vie éternelle. » — I Petr.. i, !  : 1 Béni soit Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui selon sa grande miséricorde nous a régénérés pour une vivante espérance, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour un héritage incorruptible, immaculé, immarcescible, qui nous est réservé dans les cieux. » — 1 lo., iii, i : a Voyez quelle charité nous a témoignée le Père, en nous donnant d’être appelés et d’être en elfet enfants de Dieu. » V, 18 : Cl Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas : mais le Fils de Dieu le conserve, et le méchant ne le touche pas. »

Ailleurs l’expression est atténuée : au lieu de régénération, il est question de renouvellement, de grâce, de don de l’Esprit (àvyjcaivwji ; , ^Koiiua, S- : ijpn, ôupi-U T’yCi’Ayi’ji, IlvîùuîtTî ;). C’est ce qu’indiquaient déjà les évangélisles synoptiques, en parlant de baptême dans l’Esprit-Saint (.1/c., i, 8) ; dans l’Esprit-Saint et le feu {.y t., III, 1 1 et Lc, iii, iG). La pensée n’est pas autre que chez saint Jean, qui lui aussi parle au commencement de son évangile (lo., 1, 33) de baptême dans l’Esprit-Saint. La très ancienne épître de saint Jacques dit en termes généraux (lac, i, 17) :

« Tout don excellent, toute grâce parfaite, descend

d’en haut, du Père des lumières. » Si ce n’est pas là une allusion explicite au don baptismal, c’est du moins une sentence pleinement conforme à l’esprit de l’entretien avec Nicodème : on s’en souvient, cette régénération spirituelle du baptême, nécessaire pour entrer au royaume de Dieu, y était décrite par le Seigneur lui-même comme un don d’en haut, comme un don du Père. Le premier elfet de la grâce est de puriUer l’àine : elle réalise dans l’homme intérieur ce que le bain rituel figure dans rhomine extérieur. /i’/)/i., V, 26 : « (Le Christ) a sanctilié l’Eglise et l’a puriliée par le bain dans l’eau en vertu de sa i>arole. » I Cor., VI, Il : « Vous avez été criminels ; mais vous êtes lavés, vous êtes sanctiliés, vous êtes justiliés au nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu. » Ileb., x, 22 : « Approchons avec un cœur sincère, dans la plénitude de la foi, le cœur purillé (lies souillures) d’une conscience mauvaise, le corps lavé d’une eau pure. »

Ailleurs encore, l’elfet immédiat du baptême est relégué dans l’ombre, et les perspectives du salut viennent au premier plan : la rédemption consommée, le salut, la vie éternelle, le royaume des cieux (à7r5/’JT0Wït ; , n<*nY, piv., ^cr/ ; atetixî ; , ! « Tt/î(’ « t^v cùpvy^-j tvj Bîiû]) : voilà sous quels aspects se présente l’œuvre totale dubaptème. Rom..m, il) : (Les hommes) sont justiliés gratuitement par sa grâce, en vertu de la rédemption qui est en Jésus-Christ. » (^f. l’ph.. 1, 7 ; IV, 30 : a Ne contristez pas l’Esprit-Saint de Dieu, par qui vous avez été marqués pour le jour de la rédemption linale. » 1 Petr.. iii, 21, après avoir rajipelé le souvenir du déluge : « Celte eau iigurait le baptême i|ui aujourd’hui nous sauve — non pas le bain qui ell’ace les souillures corporelles, mais l’elfort pour obtenir de Dieu une bonne conscience. »

80 :

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a) Le baptême selon saint Paul. — Nous avons déjà anticipé sur l’exposition de la pensée paulinienne ; il reste pourtant à en montrer lesparties originales. Travaillant sur les données de l’Evangile, le génie de saint Paul devait enrichir d’éléments nouveaux la doctrine du baptême. Considérant dans le Clirist, comme en sa source, l’œuvre de notre rédemption, il s’arrête au point culminant de cette œuvre, à la mort sur la croix, par laquelle le Christ couronne en droit notre rédemption et pose le principe de notre régénération. Le rapport qu’il perçoit entre la mort du Christ et le baptême, où nous est communiqué le fruit de cette mort, l’amène à envisager le bai)têuie comme une mort mystique, par laquclle nous sommes associés à la mort de Jésus-Christ. Poussant plus loin l’assimilation, il remarque une analogie entre la sépulture du Christ et l’immersion baptismale, et il en prend occasion de considérer le Christ mystique comme l’élément où le chrétien est immergé, enseveli par le baptême, pour être revêtu du Christ, conformé au Christ, associé à la cruci-Uxion et à la mort du Christ. Mais, cette mort engendre la vie ; à l’immersion, succède l’émersion triompliante ; le Christ mystique lui-même n’est pas un élément inerte, c’est un élément vivant et vivihant : tous ceux qu’il se sera incorporés et qui auront vécu de sa sève, tous les rameaux greffes sur ce tronc s’épanouiront à jamais avec lui sous le regard de Dieu, dans la résurrection et la vie sans déclin. Tel est le fonds d’idées et d’images que traduisent ces mots hardis : rv.yr, ^ évS-j/jv., npd’j'/r.ix’it^j au/z/^r-’^^wj !  ; , juv7Tc<^, ; wTi ; , i/<3vT(5171 ; , et qu’on trouve plus ou moins diffus dans les passages suivants :

lioni., VI, 3-5 : a Nous qui sommes morls au péché, comment vivrons-nous encore en lui ? Ne savcz-vous pas que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morls par la gloire de son Père, ainsi nous aussi marchions dans une vie nouvelle. Car si par notre union avec lui nous avons reproduit l’image de sa mort, nous sommes destinés à reproduire aussi celle de sa résurrection. » — Ibid., viii, 8, 32-23 : « J’estime que les souffrances du temps présent sont hors de proportion avec la gloire à venir, qui sera manifestée en nous… Nous savons que toute créature gémit et souffre les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce jour ; et qui plus est, nous-mêmes, qui avons les prémices de l’Esprit, nous gémissons en nous-mêmes, attendant [la consommation de] l’adoption [divine], la rédemption de notre corps. » Col., I, 18 : Le Christ est la tête du corps de l’Eglise ; il est nos prémices, le premier-né d’entre les morts, pour tenir le premier rang en tout. » — Ibid., ii, 12 :

« Vous avez été ensevelis avec lui dans le baptême ; 

vous êtes aussi ressuscites en lui, par la foi en la puissance divine qui l’a ressuscité d’entre les morts. »

— Ibid., III, 1-3 : a Si vous êtes ressuscites avec le Christ, cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; attachez-vous aux choses d’en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. »

Gal., III, 27 : « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, avez revêtu le Christ. »

I Cor., XII, 13 : « i Tous nous avons été baptisés dans un même Esprit, en un même corps, Juifs ou gentils, esclaves ou libres, tous nous avons été abreuvés d’un même Esprit. » — Ibid., 27 : ’i Vous êtes le corps du Christ, vous êtes ses membres, chacun pour sa part. » — Epb., iv, 15-16 : « Confessant la vérité dans la charité, croissons en lui à tous égards, en notre chef, le Christ. C’est de lui que

tout le corps bien coordonné, bien agencé par tous les liens d’une assistance mutuelle, suivant une opération mesurée pour chaque membre, tire son accroissement et s’édifie lui-même dans la charité. » — Hum., XI, 16, 17 : « Si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi ; si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi. Si quelques uns des rameaux ont été retranchés, et si loi, olivier sauvage, tu as été enté à leur place et rendu participant de la racine et de la fécondité de l’olivier franc, ne va pas te prévaloir contre les rameaux. »

La cause prochaine de cette mort et de cette résurrection, de cette union intime des membres en un même corps, de cette insertion des rameaux sur une même tige nourricière, c’est toujours le baptême.

Ces idées d’une originalité si puissante appartiennent en propre à saint Paul. A l’une ou à l’autre on trouverait sans doute un pendant chez les autres écrivains du Nouveau Testament : en particulier l’idée du Christ arbre de vie, nourrissant de sa sève les rameaux greffés sur son tronc, nous remet immédiatement en mémoire les paroles de Notre-Seigneur rapportées au chapitre xv de saint Jean : Je suis la vigne et vous êtes les branches, etc. » Mais ce n’est là qu’un trait isolé. Ce qu’on ne trouve pas ailleurs qu’en saint Paul, c’est ce faisceau d’idées si fortement noué, avec l’application qu’il en fait à la doctrine du baptême.

On a dû remarquer en particulier son insistance à représenter le Christ comme une sorte d’élément spirituel, où le fidèle, introduit par le baptême, se meut et vil : conception essentiellement paulinienne, que ramène souvent dans les épîtres de l’Apôtre cette formule stéréotypée : dans te Christ, dans le Christ Jésus (voir ti. A. Deissmann, Die ATliche Formel In Christo lesu, Marburg, 1892 ; plus brièvement, Pkat, Théologie de saint Paul, t. I, note T, p. 43^-436 et cf. ibid., p. 308-312, Paris, 1908, et t. 11, p. 368-3^5, avec noie Uj, p. 897-402, 191 2). Rien de plus propre que cette formule à nous faire pénétrer dans les habitudes d’esprit de saint Paul. On ne lui trouverait pas d’analogue parmi les formules qui servent à caractériser des relations d’homme à homme : elle ne peut convenir qu’aux relations avec Dieu et n’a d’analogues que ces formules bibliques, également familières à saint Paul : en Dieu, dans l’Esprit. L’imagination ardente de saint Paul lui représente les enfants de Dieu plongés en quelque sorte dans la sphère du divin. II faut prendre au pied de la lettre cette expression si forte et si caractéristique, qu’on peut croire mise par lui-même en circulation. Alors qu’elle se rencontre 8 fois dans les Actes et dans la 1^ Pétri, 28 fois dans les divers écrits de saint Jean, jamais chez les autres écrivains du Nouveau Testament, les épîtres de saint Paul n’en contiennent pas moins de |64 exemples : elle nous livre comme la moelle de sa pensée, elle nous montre son regard aimant fixé sur les profondeurs du Christ.

Mais n’exagérons-nous pas l’originalité de saint Paul théoricien du baptême 7 et ne trouverait-on pas avant lui le germe des idées qu’il devait amener à leur plein développement ? Cette question s’est posée surtout de nos jours. Elle est au fond d’une discussion très instructive, poursuivie de igoS à 1907 dans le Journal of theological studies, entre deux hauts dignitaires de l’Eglise anglicane, le docteur Chase, aujourd’hui évêque de Ely, et le docteur Armitagb RoBi.NsoN, doyen de Westminster. Elle est subtile. Nous allons essayer de la ramener à des termes simples.

M. Chase remarque l’identité d’expression entre certains passages où saint Paul parle d’incorporation au Christ par le baptême, et d’autres passages 807

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des Evangiles ou des Actes. Par exemple, que l’on rapproche le texte de saint Paul, I Cur., xii, 13, et le commandeiiient du Seigneur, Mt., xxviii, 19, on constatera que la même i>r( ; posilion iU marque chez saint Paul Vincorporaliun au Christ, chez saint Matthieu lo baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. L’identité des formules suggère assez naturellement une interprétation identique ; l’exégète se voit amené à conclure que l’idée d’incorporation au Christ se trouve dans l’évangilede saintMatthieu, et remonte au Seigneur lui-même.

Celte argumentation est spécieuse, mais on peut y signaler un dél’aut., vant d’interpréter saint Matthieu par saint Paul, il est naturel de se demander si la parole du Seigneur en saint Matthieu n’a pas un sens claiiemcnl déterminé d’ailleurs, sens qui rend superllue toute confrontation ultérieure avec les épltres de l’Apùtre. Or sûrement il en est ainsi. Les habitudes du parler sémitique et surtout l’usage de l’Ancien Testament Uxent, sans hésitation possible, l’interprétation : Ijaptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Espril, cela veut dire : baptiser en invoquant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et/)ar leur autorité. Saint Paul vint par là-dessus, et inaugura une spéculation nouvelle, dont l’idée du Christ mystique, milieu spirituel des croyants, occupe le centre ; mais il ne serait pas légitime de faire réagir les conceptions paulinienncs sur l’explication des paroles du Seigneur, quand ces paroles ne présentent d’ailleurs aucune ambiguïté. Sur ce point, l’argumentalion du D’Armitage Robinson paraît victorieuse : il faut laisser à saint Paul ce qui appartient en propre à saint Paul.

Les développements que nous venons d’emprunter à l’Apôtre peuvent ne pas paraître toujours clairs ; mais certainement ils sont très élevés. Car saint Paul envisage le baptême comme une introduction à la vie divine, comme une initiation à la sainteté de Dieu. En d’autres termes, il y voit surtout une œuvre de grâce. Des divers cléments du baptême, celui qu’il apprécie et met en lumière, c’est la grâce intérieure du sacrement.

3) Le baptême selon les Pères. — On ne s’étonnera pas que la catéchèse des Pères ait vécu principalement sur la pensée de Jésus en son Evangile el sur celle de saint Paul. Soit pour instruire les catéchumènes, soit pour rappeler aux baptisés les engagements de leur baptême, ils ne se lassaient pas de reprendre ces idées si fortes, delà seconde naissance et de l’adoption divine, de la rénovation intérieure par l’Espril-Saint, de la sépulture el de l’incorporation à Jésus-Christ. On remplirait bien des volumes de leurs commentaires. Ne pouvant explorer cette littérature infinie, nous nous arrêterons du moins devant le plus vénérable baptistère de la chrétienté, à saint Jean de Latran. Autour de cette piscine où baptisèrent les Papes du iv* et du v" siècle, circule une inscription gravée sur l’architrave par les soins de SixTB III (ftiu-li^o) et qu’on lit encore. Ces distiques vénérables ne sont que variations sur l’idée de la régénération baptismale :

Gens sacranda polis hic semine nascitur almo

Quant fecundatis Spiritus edit aquis. Mergere, peccator, sacro purgande /luento :

Quem veterem accipiet, proferet unda nmum. Xullarenascentum estdistuntia quos facit iinum

l’nus fons, unus Spiritus, una fides. yirgineo fétu genitrix Ecclesia nalos

Quos spiranle I)eo concipit, amne parit. J/isons esse volens isto mundare latacro,

^’eii patrio premeris crimine seu proprio.

Fons hic est i’itæ qui totum diluit orbem, Sumens de Christi vulnere principium.

Cælorum regnum sperate, hoc fonte renati : .on recipit felix vita seniet genitos.

Aec numerus quemquam scelerum nec forma suorum Terreat : hoc natus flumine sanctus erit.

Maintenant, libre à qui voudra de nous représenter que notre théologie sacramenlaire n’a pas le monopole des bains rituels et des fontaines de Jouvence. U est sûr que la mythologie grecque en particulier fournirait la matière de plus d’un rapprochement curieux. Ne nous dérobons pas devant la comparaison puisque, aussi bien, les Pères ne l’ont pas éludée. Ils ont accueilli dans leur langue, pour désigner l’initiation chrétienne, ces noms de tc/îtv}, de ui>v ; t14, qui étaient des emprunts au vocabulaire des mystères païens. Ils ont cru que les réalités propres du christianisme se défendraient par elles-mêmes contre tout essai de confusion. Le fait est que la distance demeure grande entre le mystère baptismal el les plus pures des initiations païennes.

Ce que nous savons des exercicesdu catéchuménat, de la gravité qui y présidait, du sérieux moralexigé, ne rappelle guère la troupe turbulente des mystes athéniens se répandant, le second jour des grandes Eleusinies, sur la route d’Eleusis, et, à ce cri : « A l’eau les mystes ! » « /aJô //jitki, se précipitant dans les lagunes salées du bord de la mer, pour préluder par une baignade à leur initiation prochaine.

Qu’il y ait eu encore, dans l’Athènes du v" siècle, une secle thrace dite des baigneurs — ^U-mut — objet des railleries du poète Eupolis, cela non plus ne louche que de très loin à la question du baptême. Or la question n’est pas de savoir jusqu’où descendit quelquefois la vaine observance chez les chrétiens, nmis jusqu’où s’élevait normalement la religion des païens. Puérilité, superstition, supercherie : ces trois mois résument l’histoire des principaux rites de purilication usités chez les Grecs. Le jugement sévère de l)ijRi.Liyc, F.R(IIeidentlium und Judenthum. liuch IV, § 3, i)p. 19 ;  ; - 199, Regensburg, iS5y) ne paraît pas excessif :

26. Avant de considérer les rites el fêtes de la religion grecque, il faut se souvenir des purificalions prescrites avant chacun des actes du culte divin,.utunl qu’on peut s’en rendre compte, la conception de ces ablutions et lustralions était entièrement mécanique ; les prêtres et le peuple ne cherchaient et ne réclamaient que l’éloignement d’une souillure conçue non comme morale, mais comme j>liysique ; aux procédés matériels qu’ils employaient k cette fin on attribuait une efficacité magique, qui, en dépit d’un vouloir pei-sévéraminent tourné au mal, suivait infailliblement, pourvu que le rite fût accompli. Ainsi, dans les temps historiques, les ablulionsel fumigations corporelles auxquelles on se soumettait, n’étaient nullement, pour la conscience des Grecs, l’image de la purification intérieure : el si Platon dit qu’à l’Ame vertueuse seule il convient d’honorer les dieux par des saccifîces, que les dieux n’acceptent pas les offrandes d’une âme souillée, c’est là une pensée digne de Platon, mais la pensée d’un philosophe dont le regard dt’passe de beaucoup son temps et son peuple. Même l’inscription du temj » Ie d’Kpidnure, qui fait con>15ter dans la disposition sainte de l’âme la pureté requise pour péni’lrer dans le sancluaiie, est trop isolée, et d’attestation trop tardive jiour valoir comme expression de la pensée dominante.

27. Il y avait donc à l’entrée des temples des vases remplis d’eau lustrale : on avait coutume de sanctifier cette eau avec un tison pris de l’autel, que l’on y plongeait ; l’aspersion était faite en partie par le visiteur lui-même, en partie par le prêtre au moyen d’un rameau de laurier. Ktaient considérés comme causes de souillures spéciales, les catlavi’es et les femmes récemment accouchées ; qui les avait touchés ou s’était seulement trouvé dans leur voisinage, accomplissait une purification avant 80 !)

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de pénétrer dans un temple ou d’entreprendre quelque fonction sacrée ; aussi, devant les maisons qui renfermaient un cadavre, plaoait-oii un vase plein d’euu lustrale, et à l’issue des funérailles chacun se soumettait encore à ui »e puriiication spéciale. Quand les Athéniens puritiêrent l’ile de Délos, tous les cercueils et tombeaux durent, conforménienl à cette lui, élre enlevés. La souillure que l’on encourait par un homicide était la même, que l’homicide fût criminel ou bien innocent et involontaire ; la pur16cation du sanjf versé avait lieu souvent par simple ablution ; mais il y avait aussi des prêtres all’ectés a ce service, comme les a Lloes » de Samothrace et les i< PsychagOjfues » de Phi^’alie d’Arcadie, et ceux-ci employaient naturellement un rite plus compliqué. Même la purification d’une ville entière ou d’un peuple pouvait paraître nécessaire, comme à Athènes après le massacre des compagnons de Cvlon, et à.rgos, après la vengeance 8au ; ^’lante exercée sur la bande de Bryas. A Athènes, on avait même coutume, à chaque asserabléedu peuple, d’asperger du sang des porcs immoles les bancs où prenaient place les citoyens.

28. Ici un champ immense s’ouvrait devant la superstition, les purifications, la t< cathartique’) oirraient à bien des gens une pro’"ession lucrative, et le grand nombre des purifications s accroissent constamment p.-ir des inventions nouvelles ; toutefois la ]>lns usitée était l’ablution avec de l’eau de nier, dont le principe salin passait pour spécialement opérant ; non seuleujent on s’y lavait, mais on y lavait les vases avant de les employer pour un saci-ifice ou une libation ; et même Pént.-lope, avant d’offrir sa prière aux dieux, coininenc ; a par la^er ses vêtements et s’iiaiiiller de nouveau. Oti racontait que des hommes qui s’étaient approchés de l’autel de Zeus sans laver leurs mains avaient et »’fiappés de moi-t par la foudre. Il y avait aussi des piirilieations où la main était enduite du sang d’un porc immolé, ou bien où l’on devait poser le pied gauche sur la peau d’un bélier sacrifié à Zeus ; on était friïtté de terie, on bien l’on faisait passer autour de soi un jeune chien ; le soufre, les oignons de mer et les oeufs servaient à des rites semblables. Les objets employés pour la purification étaient enfouis dans le sol ou jetés dans la mer…

Mais voici des souvenirs pli < respectables, ceux des mystères orphiques, auxquels ne furent pas étrangères certaines aspirations vers une puriiication de l’àine. Les tombes de l’Italie méridionale et de la Crète nous rendaient naguère des fragments d’hymnes, gravés sur des lames d’or trois ou quatre siècles avant notre ère. L’hiérophante parle ainsi à l’âme lavée, par l’initiation orphique, de la souillure transmise par les Titans au genre huiuain :

Inscriptionrs Græciæ Sicitiæ et lialiae, éd. Kaibel, n. G38 (Traduction de H. Weil, Etudrs sur Vantiqttité ifrecifue.p..76-57, Paris, 1900). Dans la demeure d’Hadès, tu trouveras à gauche une source, et près d’elle un cyprès blanc ; garde-toi des eaux de cette source, ne fûtce que pour en approcher. Tu en trouveras une autre, aux eaux fraîches et vives qui proviennent du lac de Mémoire. Des gardiens se tiennent devant. Dis : « Je suis enfant delà teri-e et du ciel étoile, mais moi je suis d’origine céleste ; vous le savez vous-mêmes. Or je suis sèche, la soif me fuit périr ; donnez-moi vite de l’eau fraîche qui coule du lac de Mémoire. » Et ils te donneront. à boire de la scarce divine ; et alors tu régneras avec les antres Héros.

Ibiti., n. 61l ; Je viens, pure issue de purs, A reine du monde infernal, b Euklès, 6 Euboulens et autres dieux immortels ! Je dt’clare appartenir ; "i votre race bienlieureuse ; mais le destin et le trait du dieu qvii lance la foudre m’ont vaincue. J’ai pris mon vol hors du cercle douloureux et pénible ; je me suis élancée d’un pied rapide vers la couronne désirée, je suis descerrdue dans le giron de la reine souveraine. — Bienheureux et fortuné, tu seras dieu et non plus mortel. — Chevreau, je suis tombé dans le lait.

Ne nous attardons pas à discuter le symbolisme assez obscur de ce chevreau tombé dans le lait, ni tant d’autres points dilliciles (étudiés en dernier lieu avec beaucoup de pénétration par M. H. Alline,

dans : Xenia, hommage international à l’Université de Grèce, p. 94-107, Athènes, 1912) ; même à supposer tout cela éclairci, la fécondité de la discipline orphique pour la vie reste douteuse. Avant d’assimiler son initiation à l’initiation chrétienne, il faudrait pouvoir assimiler son programme au programme chrétien. N’ous ne croyons pas que ces textes, ni les autres qu’on a pu découvrir, en donnent le droit. Si bienfaisant que fut le rêve d’une immortalité bienheureuse, armait-il réellement les âmes contre la tyrannie des sens ? Cette profondeur de vie morale, qui distingue le christianisme, appartenait elle à l’idéal des sectes orphiques ? Celles-ci prétendaient-elles renouveler l’homme dans son fond, l’arracher à sa mauvaise nature et l’orienter vers une vie sans tache ? El disposaient-elles pour cela de secours ellicaces ? Tant qu’on n’aura pas résolu affirmativement ces questions, on n’aura pas diminué la distance qui sépare du baptistère de Latran — ou des rives du Jourdain — toutes les sources mythologiques.

Il nous reste à indiquer, dans la littérature patristique du baptême, les aspects les plus nouveaux. Il y en a deux surtout. Les Pères popularisèrent, en les précisant, ces deux notions très fécondes : le sceau haplismat et l’illumination baptismale.

Ici encore, saint Paul avait ouvert la voie, en parlant le premier de i : j-pxyti spirituelle. Voir Hatch, Essors in Biblical greek, Oxford, 1889 ; et surtout DôLGBR, Sphragis, Paderborn, 191 1.

Le mot TpjjK/ii, sceau, empreinte, se rencontre, ainsi que le verbe if îayÇw, dans les passages suivants des épîtres :

Rom., tv, 1 1 : « Abraham reçut le sceau de la circoncision, comme sceau de la justice qu’il avait acquise par la foi, étant incirconcis. » — II Cor., i, 22 :

« Dieu nous a marqués de son sceau et il a mis dans

nos cœurs les arrhes de son Esprit. » — Eph., i, 13, 14 :

« … Après avoir entendu l’Evangile du Salut, vous

avez cru dans le Christ et vous avez été marqués du sceau de l’Esprit saint qui était promis. » — Ibicl., iv, 30 : « Ne conlristez pas l’Esprit saint de Dieu, par qui vous avez été marqués d’un sceau pour le jour de la Rédemption. » — II Tim., 11, 19 : « Le solide fondement de Dieu demeure, avec cette parole qui lui sert de sceau : Le Seigneur connaît les siens. »

Ces mots se rencontrent aussi en saint Jean, soit pour désigner le sceau de la divinité imprime au Fils de Dieu par l’union hypostatique, soit pour désigner le sceau des t’lu.s de Dieu.

lo., VI, 27 : i( Le Fils de Dieu vous donnera une nourriture d’immortalité : car Dieu le Père l’a marqué de son sceau. >i — Apec, vii, 3, 8 (les quatre anges parlent) : « Ne faites pas de mal à la terre ni à la mer ni aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs de Dieu. » (Et ils en marcpient douze mille de chaque tribu.) — Ibid., ix, 4 : « H leur fut dit (aux sauterelles sorties du puits de l’abîme) de ne pas faire de mal à l’herbe de la terre ni à aucune verdure ni à aucun arbre, mais seulement aux hommes qui n’ont pas au front le sceau de Dieu. »

Celte imnge, d’un sceau imprimé au nom de Dieu, devait paraître éminemment propre à désigner ceux que Dieu faisait siens par le baptême ; encore que l’acception scripturaire, dont nous Aenons de citer les exemples, soit notablement plus vague, les Pères ne devaient pas tarder à en apprécier les ressources et à les exploiter.

Dès le commencement du 11’siècle, saint lopfACE D’.A.NTiocnB, écrivant aux Magnésiens (v, 2), oppose en ces termes l’empreinte (/ypvjt-rr.p) de Dieu et celle du monde : « Il y a comme deux médailles, l’une de Dieu, l’autre du monde ; chacune d’elles porte son 811

INITIATION CHRETIENNE

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empreinte propre : les infidèles l’empreinte de ce monde, les fidèles dans la charité l’empreinte de Dieu le Père par Jésus-Clirist. » Un peu plus tard, l’auteur de la seconde épître clémentine aux Corinthiens recommande aux fidèles de « garder leur chair pure et leur sceau inviolé afin d’obtenir la vie éternelle » (H Clem. Cor, , viii, 6, cf. vii, 6). Par le sceau, apea/iç, il entend clairement le sceau baptismal. Vers le même temps, Hermas présente le sceau, a-^pv/ic, c’est-à-dire l’eau du baptême, comme la marque distinctive des enfants de Dieu ; et son Pastejir émet l’idée bizarre que les justes de l’Ancienne Loi ont dû être évangélisés et baptisés aux enfers pour entrer dans le royaume de Dieu (voir sur ce texte Dôlgbr, Sphragis, p. 70 sqq.).

5/m., IX, 16, 1-7 : Seigneur (deman « !e Hermas), pourquoi ces pierres sont-elles montées de l’aiiîme et ont-elles été introduites dans l’édifice de la tour après avoir porté ces esprits ? — Elles ont dû (répond le Pasteur) monter à travers l’eau pour être vivifiées : elles ne pouvaient entrer au royaume de Dieu sans avoir dépouillé la mortalité de leur précédente vie. Donc ces morts ont, eux aussi, reçu le sceau du Fils de Dieu. Car tant que l’homme ne porte pas le nom du Fils de Dieu, il est mort ; mais en recevant le sceau, il dépouille la mort et revêt la vie. Le sceau, c’est donc l’eau : l’eau où ils descendent morts et d’où ils remontent vivants. Eux aussi ont reçu l’annonce de ce sceau, l’t en ont profité, pour entrer au royaume de Dieu.

— Pourquoi, Seigneur, dis-je. ces quarante pierres sont-elles montées avec eux de l’abîme, portant déjà le sceau ?

— Parce que, dit le Pasteur, ce sont les Apôtres et les docteurs qui ont annoncé le nom du Fils de Dieu ; morts dans la vertu et la foi du Fils de Dieu, ils l’ont annoncé aux morts mêmes, et leur ont donné le sceau de la prédication. Ils descendirent avec eux dans l’eau et en remontèrent. Mais ils y descendii-ent vivants et en remontèrent vivants ; ceux qui les y avaient précédés y étaient descendus morts et en remontèrent vivants. Grâce ti eux, ceux-ci furent vivifiés et reconnurent le nom du Fils de Dieu ; c’est pourquoi ils remontèrent avec eux et, adaptés à l’édifice de la tour, y furent encIiiUsés sans avoir subi de taille : c’est qu ils étaient morts dans la justice et dans une grande innocence ; il ne leur manquait que le sceau.

Si l’on dépasse le milieu du 11’siècle, les témoignages deviennent si nombreux que l’on perdrait son temps à les compter. Citons encore l’épitaphe célèbre d’ABERCius, cet évcque d’Hiéropolis en Phrygie qui a visité l’Occident, vu à Rome la reine vêtue d’or et chaussée d’or, c’est-à-dire l’Eglise, et le peuple marqué d’un sceau resplendissant :

Aacv 5’tiocv h.u Xv./jLT : pv : j 7^poiyùSv.v ïyy^v.^

Ici comme chez Hermas, le pcu|)le marqué de la efpvr/ii est le peuple des fidèles baptisés. Dès lors, 1 acception teclinique de lipv/i : , , pour désigner le baptême, est entrée dans la langue de l’Eglise. Le latin dira signaculiim. que l’on rencontre avec cette acception chez Tertullien dès le début du m* siècle. On enten<lait par là primitivement l’ensemble des rites de l’initiation ; plus tard spécialement le rite de la confirmation. Cette expression, prise de l’Ecriture, marquait originairement le caractère sacré, inviolable, du sacrement par lequel le Christ prend possession du fidèle.

Une autre expression, déjà usitée dans le Nouveau Testament et amenée par saint Paul à une acception très voisine de l’acception baptismale, est fuTia/xdi, illumination. On a vu comment, du temps des Apôtres, le travail d’évangélisation et la collation du baptême allaient ensemble, l’Evangile préparant les voies à la grâce du sacrement. Or le mot d’illumination parut éminemment propre à désigner le travail des catéchistes, ouvrant les yeux des infidèles à la lumière de la foi. De là à désigner par ce nom tinique le double travail d’évangélisation et de collation du

b.Tptême, il n’y avait qu’un pas : ce pas ne tarda point à être franchi. Et plus tard, par une nouvelle métonymie, ce fut le baptême seul qu’on désigna par le nom d’illumination, j-ktituc ;.

Chez saint Paul, nous ne sommes encore qu’au premier stade : le sens d’illumination apparaît seul distinct. Il Cor., IV, ^-6 : « (Le démon) a aveuglé les intelligences des infidèles, afin qu’ils ne voient pas resplendir la lumière de l’Evangile oii reluit la gloire du Christ… Dieu qui a dit [au commencement] : La lumière jaillira des ténèbres, a fait jaillir sa lumière dans nos cœurs pour la connaissance de la gloire de Dieu qui resplendit sur la face du Christ. » — Eph. I, 18 : « Les yeux de votre cœur sont illuminés pour connaître l’espérance à laquelle Dieu vous appelle. »

— L’épltre aux Hébreux parle avec plus de précision, VI, 4. de « ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goùlé le don céleste et participé à l’Esprit saint ».

Un siècle plus tard, saint Justin écrit déjà dans sa I" Apologie, Lxi, 12 : 0 Ce bain s’appelle illumination, parce que ceux à qui on enseigne cette doctrine sont illuminés en leur esprit. » Néanmoins il n’associe pas ordinairement à l’idée d’illumination intellectuelle, celle du rite baptismal. Peu après lui. Clément d’.lexandrie emprunte au vocabulaire des mystères païens une terminologie destinée à souligner le parallélisme entre ces révélations que les anciens hiérophantes promettaient aux mystes et l’incomparable révélation delà foi chrétienne ; il parle non seulement de iwTiinci, mais encore d’irirrii^, mot qui répond au plus haut degré des initiations antiques.

Enfin les Pères du iv" et du v’siècles nous ont laissé un grand nombre d’homélies adressées « à ceux qu’on illumine » irph rol--yu- : i ::’. ; j~h’yjt, ad illuminandn /s.Ce sont des catéchèses baptismales. A cette date, le mot iwTiTyc ! ’ ; désigne couramment les exercices du catécliuménat, dont le baptême est le dernier acte, fjuelques-unes de ces homélies ont été prononcées en la fête de l’Epiphanie et elles portent pour titre : <i Sur les saintes lumières, Ei’ ; tk ir/tv. -.eux » par une allusion à la lumière du Christ qui éclaire tout homme venant en ce monde, et très particulièrement ceux qui se présentent au baptême (saint Grkgoire db S^ziANZR, Or., XXXIX et XL, P. G., XXXVl ; saint GaiiooiRE DE NvssE, P. G., XLVI, 577-600).

Ces contributions ecclésiastiques à la doctrine du baptême se distinguent des idées beaucoup plus hautes et mystérieuses fournies par l’enseignement personnel de Notre-Seigncur et par celui de saint Paul. Plus terreà terre, ou du moins plus accessibles, elles représentent le travail de la pensée chrétienne collective sur les premièresdonnées de la foi. L’imposition du sceau baptiMual, l’illumination des catéchumènes, voilà des réalités qui parlentà l’imagination ouiiiôme aux sens : par là elles offraient une prise solide à la pensée des fidèles. Inaccessibles dans leur fond non seulement aux regards des foules mais aux regards même des pasteurs, les mystères de la grâce demandaientà être interprétésetcomme monna.^ ésà l’usage de tous, par des signes extérieurs. A côté du bain sacramentel, le sceuu et l’illumination furent rcmar qués comme particulièrement riches de sens spirituel. Aussi ces images firent-elles fortune dans la catéchèse des Pères et dans la littérature ecclésiastique. A un âge de théologie mieux formée, l’idée de sceau baptismal, rei)rise et amenée à une plus haute précision, devait servir à isoler et à définir l’élément le plus essentiel du sacrement, le caractère, que reçoivent même les indignes : empreinte inelfable, distincte, soit de la grâce sanctifiante que le sacrement confère aux âmes bien disposées, soit des secours actuels dont il est normalement le gage. Par là fut enfin résolue l’antinomie, si souvent considérée 813

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comme irréductible, entre l’indignité des personnes et i’cincacilc inhérente au rite.

Késumons.

Nous avons envisaj^é successivement les principaux aspects du baptême dans renseignement personnel de Notre-Seigneur, dans la pensée de saint Paul, dans la tradition primitive de l’Eglise.

Selon l’enseignement personnel de Notre-Seigneur il est une seconde naissance, une naissance selon l’Esprit.

Selon la pensée de saint Paul, il est surtout une incorporation au Christ mystique.

Selon ia tradition primitive de l’Eglise, il est un sceau divin mis sur l’àme ; il est encore une illumination.

Notre-Seigneur en a parle divinement, comme il a|>partient à l’auteur d’une double création : création du monde de la nature et création du monde de la grâce. Saint Paul en a parlé comme un voyant, qui a contemplé des réalités supérieures inaccessibles au regard de l’homme. L’Eglise en a parlé plus humblement, selon que l’administration du baptême appartient au jeu normal des institutions chrétiennes.

Ces divers aspects inégaleuient relevés, inégalement vastes, se touchent et s’éclairent l’un et l’autre. Les Pères se sont plu souvent à les réunir et à composer comme une mosaïque des divers noms du baptême. Clkmknt d’Alexanohie a l’un des premiers réalisé harmonieusement cette synthèse dans une page qu’il faut citer :

Parda^ogos^ I, vi, 26. 1, éd., Slaldiii, t. I, p. 105, 20108, 28 : Le baptême donne l’illuiniiiHlion, l’illumination donne la qualité de fils, la qualité de fils donne la perfection, la perfection donne rinimorlalité. Ecoutez le Seigneur : J’ai dit : Vous êtes tous dieux et fils du Très liant, f/’i. Lxxxi. 6). Ce rite s’appelle encore souvent ^riïice, illumination, perfection, bain : bain qui efface les souillures de nos péchés ; gr.ice qui remet les peines dues à nos fautes ; illumination qui nous donne la révélation delà sainte lumière du salut, c’est-ii-dire un coup d’ueil perçant sur la divinité ; perfection qui ne laisse plus rien à désirer. En effet que manque-t-il îi qui a reconnu Dieu ? En vérilé, il serait étranpfe d’ajtpeler grûce de Dieu un don incomplet : étant parfait, il ditit faire des dons parfaits ; et comme son ordre opère tout (Ps. xxxii, 9 ; cxLViii, 5), par la seule Tolontc de donner la grâce, il en parfait le don : la puissance de sa volonté devance l’aTenir. Puis l’a if ranci lisse ment des maux est le commencement du salut. Or ceux-là seuls qui ont atteint le terme de la vie, possèdent la perfection, mais déjft nous vivons, affranchis que nous sommes de la mort. C’est le salut que de uivre le Christ…

Il serait facile de recueillir chez saint Cyrille DE Jérusalem, saint Grégoirr de Nazianze, saint Basile, saint Grégoire de Nvsse, saint Jean GhrysosTOME, le Pskudo-Denvs, des dévelo[)pements semblables sur les bienfaits de l’adhésion au Christ*.

La question de l’influence possible exercée par les mystères antiques sur le développement de l’initiation chrétienne, question posée au xvii* siècle par Casaibon [De rébus sacris excrcitationes XVI ud Baronii Prolegomrno, p. 478-499, Gonevae, 1655)^ a été de nos jours plusieurs fois reprise et diversement résolue. Selon

1. L’adhésion à Jésus-Christ suppose renonciation effective à Satan et à ses suppvts et cette renonciation trouve dès le II" siècle une expression dans l’exorcisme préliminaire au baptême. D ailleurs le sens primitif de cet exorcisme ne différait pas du sens qu’on y attache aujourd’hui : les (( pompes de Satan n étaient dès lors les t’anîtcs du monde, il n’y a pas lieu d’y chercher un cortège de dcntons êubalicrnes. Voir svir ce point de lexicographie chrétienne nos articles intitulés : Pompa diahoîi, dans Revue de Pftilolof ^ie. t. IX, p. 53-5’i. 1905, et dans Recherches de science religieuse, t. I, p. 571-590, 1910.

0. Pri.riDERER [Das Urchristentum, p. 259, 1887 la conception mystique du baptême de saint Paul procéderait des mystères d’Eleusis, soit pnrce que l’initiation y était pri’-sentée comme une seconde naissance, soit parce que riiiérophante y préludait par un bain rituel. — Pehcy Gard-NFn a fait à Eleusis une autre découverte [The origin of ihe Lord’s Supper^ 1893) : le repas servi aux mystères aurait été le prototype de l’Eucharistie. — A Cahman, The IVe^v Testament use of ihe greeh Mt/sterics, dans The lliblio’theca sacra, 1893, p. 613-039, est moins hardi, mais croit trouver dans le N. T. et particulièrement en saint Paul des emprunts à la terminologie des mystères ; tel serait l’emploi de fj : j7Tvlptvj dans Eph.^ écho des mystères d’Artémis ; ailleurs il rencontre les mystères de Dionysos. Ces fantaisies ne méritent aucune discussion. — Dans une élude beaucoup plus sérieuse et précise, encore que viciée j>ar une conception peu équitable des origines du baptême et de son opération, A. Anrich [Das aiitikc Mi/stert’eiiii’esen in seinem Einfluss aufdas Chi istenium, Gdttingen, 18’14) établit que l’inQuence des mystères s’est fait prorondément sentir sur les sectes gnostiques, soit par des emprunts directs, soit plus encore par l’inlerniëdiaire de la magie et de la théurgie. Il en va tout autrement de la grande Eglise, beaucoup plus efficacement en garde contre tout s ncrétisme. Les rencontres d’exj)ressions, où l’on a cru reconnaître la terminologie des mystères, s’expliquent parfaitement sans sortir du domaine juif. C’est en particulier le cas du mot //-rr/^’^ct^v, dont le sens, dans le N. T. et notamment dans saint Paul, est eu continuité parfaite avec l’usage des Septante. Quant aux lites, il faut absolument écaitertoule idée d’emprunt conscient. S’il y eut influence, c’est bien plutùt dans la sphère du sentiment religieux qu’elle s’exerça, non pas à l’origine du christianisme, mais trois ou quatre siècles plus tard, en oiientanl vers la pureté morale de l’Evangile les Ames de plus en plus pénétrées par la tendance mystique du paganisme expirant. — Un peu plus nuancées sont les conclusions de G. Wobbehmin [Religionsgeschichtliche Studien zur Frage der Beemflussung des L’rchristeniunis durc/i das antihe Mi/sterieTn’esen, Berlin, 1890), (pii reconnaîtrait dans la langue du bapléme, notamment dans l’emploi des mots Tfpyyti ©t yun-yy-di uu ii" siècle, la pénétration de la langue des mystères. — On peut d’autant mieux l’en croire que, dès une date ancienne, l’identification du christianisme à une nouvelle sorte de mystères a^ ait été réalisée dans le langage, de points de vue très dilTérents. Voir d’une part Lucien, disant du Christ, De morte Peregrini, 11 : WpO’fr, ’ : Y, ç, y.vi Otv.TÛpyr, ^ xr/’t çuvy/’jiyîjç y.y.’i Travra y.o’voz « ùri ; ’jiv… y.v.ivr.v rvxiTrtV TiJirr.v tirr : /c/ : /iv £t ; rbv ^îvj —, d’auti’e part saint Ignace d’An-TiociiE, Eph., XII, 2, appelant les fidèles d’Ephèse : Yly.ùX-’yj (ry/jt//.J7TK£. — M. F..1. DoLGER annonce une élude sur le même sujet, je regrette de n’avoir pu l’utiliser. — Voir enfin l’article Mystères.

IV. Suppléances du baptême. — La nécessité (lu baptême, pour tous ceux qu’atteint la prédication de l’Evangile, ressort de la parole du Maître (.l/c., xi, 16) : ’* Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. » Ooul>le nécessité, de précepte et de moyen ; la première impliquée dans le mandat donné aux Apôtres (^/^, XXVIII, 19) : rt Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les… » ; la seconde alTirmce déjà dans cette parole adressée à Nicodème (lo., iii, 5) : rt Si Ton ne renaît de Feau et de l’Esprit saint, on ne peut entrer au royaume de Dieu. »

Dès lors se pose la question suivante : Tous ceux qui, pour une raison quelconque, n’ont pas eu accès au baptême d’eau, sont-ils irrémissiblement damnés ? Cette question sera envisagée ultérieurement dans loute’son étendue ; voir l’article Salut. Présentement, il suffira d’indiquer comment l’Eglise, interprétant la pensée de Notre Seigneur, a toujours reconnu certaines suppléances possibles du baptême. A défatit du baptême d’eau (haptismiis fluminis), le salut peut être procuré soit par le baptême de sang (baptismus sangainis), soit par le baptême de désir (baptismus flaminis). 815

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i) Le baptême de sang. — Le baptême de sang s’appelle, d’un autre nom, le martyre. La mort, ou un traitement capable de donner la mort, supportée en témoignage de la fol au Christ, a de tout temps été considérée par l’Eglise comme renfermant toute la vertu du baptême d’eau, et produisant le même fruit en ceux pour qui l’accès du baptême d’eau demeure impossible. Ils ne seront pas pour cela dispensés d’y recourir, le jour où cesserait pour eux cette impossibilité ; mais s’ils viennent à perdre la vie dans les tourments, ils sont puriliés dans leur sang, comme ils l’eussent été dans l’eau baptismale.

Solidement appuyée sur l’Ecriture, cette croyance a toute l’autorité d’une tradition constante dans l’Eglise. L’appellation même de baptême de sang est fondée sur la parole du Seigneur, disant aux tils de Zébédée, Mc, x, 38-3g : « Pouvez-vous boire le calice que je bois et être baptisés du baptême dont je suis baptisé ? — Ils lui répondirent : Nous le pouvons. — Jésus leur dit : Vous boirez le calice que je bois et serez baptisés du baptême dont je suis baptisé ; quant à être assis à ma droite ou à ma gauche dans le royaume, il ne m’appartient pas de vous le donner. » Ailleurs Jésus s’écrie, Zc., xii, 50 : a Je dois être baptisé d’un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il s’accomplisse ! »

A maintes reprises Jésus — et les Apôtres après lui — béatifient sans restriction ceux qui souffrent jusqu’à la mort pour la cause de Dieu : Mt., v, 10-12 ; X, 16-22, 82, 89 ; XVI, 25, 26 ; /o., xii, 25 ; xxi, ii-14 ; Rom., V, 3-5 ; viii, i ; -18 ; 35-3g ; II Cor., iv, l’j ; xii, 10 ; Phil., 1, 2g-30 ; II Tim., iv, 6 ; Pet., 11, 21 ; iv, 1 ; I /o., III, 26 ; V, 6 ; Apoc., ii, 10 ; vi, g-ii ; vii, 13-15.

Les hommes à qui l’Esprit-Saint décerne, après leur mort, de tels éloges, ne peuvent être que des amis de Dieu. Tel est le fondement très ferme de la croyance répandue dès l’origine de l’Eglise : ceux qui sont morts pour le Christ, n’eussent-ils point passé par le baptême d’eau, sont avec le Christ pour l’éternité. Nous citerons quelques témoignages des Pères les plus anciens.

Dans les premières années du 11’siècle, saint Ignace, évêque d’.

lioche, prisonnier pour le Christ, appelle de ses vœux les bêtes dont la dent doit le broj-er : il leur devra d’être réuni au Christ (Ep. ad Rom., ri-vi).’Vers le milieu du n’siècle, saint Poly-CABPB, évêque de Smyrne, éprouvait de pareils transports en allant au bûcher ; ses.ctes célèbrent son martjre comme une naissance : Martyr. Poly Carp. XVIII, 3) ; 1 <v rsû [xvzTjpfyj sr^r^O r^yif^y.v -/svs^/tîv. On sait que l’Eglise prendra l’habitude de fêter sous ce nom les anniversaires des témoins du Christ, natalicia marlyrum.

Dans les visions d’IlERMAs, toutes pénétrées de la pensée dune persécution imminente ou récente, l’idée du martyre tient une grande place, et une sorte d’équivalence est établie entre le baptême d’eau

— t^p-j’/ii — et la passion pour le nom du Christ : 7ta9^ ; iVîzK Tîv îH/syy.rî ;. Voir notamment Vis., iii, 1, 9 ; 2, 1 ; S’.m., IX, 28, 1-8.

Saint IniiNÉK, instruit dans son enfance par saint Poljcarpe de Smyrne, plus tard à Lyon témoin des tortures héroïquement supportées par les Potin et les Blandine, élevé enOn sur le premier siège épiscopal des Gaules, atteste déjà la vénération de l’Eglise pour les saints Innocents, victimes de la cruauté d’Hérode (llær., III, xvi, 4) : Jésus enfant voulait ces témoins enfants. Ailleurs, Irénée rappelle la dure leçon donnée par le Seigneur à Pierre qui voulait le détourner de sa jiassion : le Christ n’était-il pas le Sauveur de ceux qui devaient être livrés à la mort pour la confession de son nom et donner leurs vies ? (Ib., III, XVIII, 4.)

Au m’siècle, la doctrine se précise : nous rencontrons dans un grand nombre de documents le parallélisme entre le baptême d’eau et le martyre, appelé expressément second baptême.

Les martyrs carthaginois de l’année 203, sainte Perpétue, sainte Félicité et leurs compagnons, n’étaient encore que catéchumènes quand l’édit de Septime Sévère les fit jeter en prison. Ils y furent baptisés. Perpétue captive fut ravie en esprit : elle se vit transportée en esprit dans un jardin immense ; au milieu de ce jardin était assis un homme vénérable, en tenue de pasteur, occupé à traire des brebis ; autour de lui des milliers de personnages vêtus de blanc. Les vêtements blancs étaient l’attribut des néophytes au sortir du baptême ; c’était aussi, nous venons de le voir dans l’Apocalypse, l’attribut des martyrs. Félicité, qui était enceinte, devient mère dans la prison ; elle se réjouit de cet événement ])arce qvie la loi, qui défendait de la livrer au supplice avant sa délivrance, ne l’atteint plus : désormais rien ne s’oppose à son triomphe, et elle appelle de ces vœux ce nouveau baptême : a sanguine, abobstetrice ad retiarium, lotura post partum baptismo secundo. Saturus, à la fin du spectacle, est exposé à un léopard, qui d’une seule morsure le met en sang. Un cri s’élève dans l’amphithéâtre : SaUum lotum.’Sahiim lotum ! Ce qui pourrait se traduire à peu près ; « Voilà un bon bain I » L’auteur de la Passion note ce cri des spectateurs païens, comme une allusion inconsciente au bajjtême de sang : secundi bajitisntatis testimonium (voir P. /., III, 5ri).

Cette admirable Passion de sainte Perpétue — l’un de nos plus précieux documents hagiographiques — serait-elle, comme on l’a cru souvent, due à la plume de Tertullien ? De très hautes vraisemblances recommandent cette conjecture (voir notre article de la Hetue d’Histoire ecclésiastique, t. VIII, p. 5-18, igo^ : L’auteur de la Passio Perpetuae). Quoi qu’il en soit, vers la même date nous trouvons dans les écrits indiscutés du célèbrepolémiste toute une théologie du baptême de sang.

Dans son traité De baptismo (xvi), il s’exprime ainsi : « Ce bap’de sang vaut le baptême d’eau pour qui ne l’a ji i eçu et le rend à qui l’a perdu. » bans le traité De patientia (xiii), il célèbre encore la vertu de ce second baptême, secundo intinctio. Dans le traité De anima (lv), il rapproche de la vision de saint Jean en l’AiJocalypse, découvrant sous l’autel les seules âmes des martyrs, la vision de Perpétue, découvrant dans le paradis ouvert les seules âmes de ses compagnons de lutte. Et il émet cette idée assez particulière, que seules les âmes des inartjrs sont admises dans le paradis avant le jour du dernier jugement : l’épée du chérubin qui interdisait à Adam l’enlrcede l’Edi n s’abaisse devant ceuxlà seuls qui sont morts dans le Christ. Celte idée reparait à diverses reprises dans le traité De resurrectiune carnis (xLiii, lu). Elle inspire notamment cette double comparaison : les martyrs sont des oiseaux qui volent vers les hauteurs ; les chrétiens ordinaires sont des poissons, à qui sulUt l’eau ilubaptêrae. Le traité contre les gnosliques, intitulé Scorpiace (vi, xii), donne la raison de ce privilège..ucune faute ne saurait être imputée aux martyrs, qui expirent dans l’acte même du baptême sanglant. Pour eux l’amour couvre la multitude des péchés : la vie qu’ils livrent pour Dieu solde d’un coup toutes les dettes.. ses débuts, Tertullien catlioliiiue avait adressé aux confesseurs de la foi détenus en prison (Ad inartyras, i) une lettre éloijucnle où il célébrait le prix du martyre, non seulement pour celui qui le souffre en personne, mais encore pour ceux sur lesquels rejaillit le mérite de sa souffrance. Il fallut son 817

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passage au montanisme, et tout le cliangement survenu dans son esprit, pour lui faire méconnaître sur ce point le dogme de la communion des saints. Encore ne cessa-t-il pas d’appeler le martyre : aliud baptisma (De piidicitia, xxii).

Dès lors, l’idée d’une vertu rémissive de tous les péchés, inhérente à l’acte du martyre, se traduisait même dans la législation de l’Kglise. Les Canons d’IJippulyle, rédigés sans doute à une époque postérieure, mais rellétant des institutions très primitives, en font foi. Le i oi"^ affirme le droit du catéchumène martyr à reposer avec les autres martyrs. Catec/iiimenus qui captiis et ad martyriiim perdiictiis necatusque est prius quant haptismuni reciperet, cum ceteris inartyrihus sepeliatur est enini haptizatus propiio sanguine.

OniGiiNK enfant avait animé au martyre son père Léonide, durant la persécution de Seplinie Sévère ; vieillard, il devait livrer ses membres aux bourreaux durant la persécution deDèce. Nous avons de lui une Exhortation au martyre, écrite pour affermir le courage de son ami Ambroise et du prêtre Protoctètos, durant la persécution de Maximin. Sa grande âme repousse toute compromission avec l’idolâtrie ; pour en détourner ses amis, il ne voit rien de mieux à leur représenter que l’cniinente vertvi du martyre (Ad niartyrium exiwrtatio. passini. notamment xxx ; xxxix). Considérant que la mort endurée pour le Christ coupe court à toutes les occasions de péché, il va jusqu’à dire (In ludic.. Hum., viii, 2, /’. 6’., XII, 980) que, si le baptême d’eau elTace les péchés passés, le baplèuu’de sang supprime même les péchés à venir.

Saint Cyprikn, mis en demeure de s’expliquer sur le cas des catéchumènes martjrisés avant le baptême, répond que leur salut ne saurait être mis en doute, et donne même à ce baptême de sang le nom de sacrement. Ep. Lxxni, 22, Ad luhaianum. éd. Hartel, p. 7gî, 16-796, 3 : Quidam, quasi evacuare possint liumnna argumentittione prædicationis eyangelicae veritatem. catecuminos nobis opponunt, si quis, antequam in Ecclesia haptizetur, in confessione nominis adprehensus fuerit et occisus, an spem salutis et præmium confexsionis amitlat, eo quod ex aqiia prius non sit reniitus. Sciant igilur eiusmodi liomines suffragatores et fautores hæreticorum catecuminos illos primo intégrant fdem et licclesiæ veritatem tenere et ad debellandum diabolum de divinis castris cum ptena et siucera Dei Patris et Christi et Spiritus sanvti cognitione procedere, deinde nec privari baptismi sacrameiito, utpote qui baptizentur gloriosissimo et maximo sanguinis baplismo. de quo et Dominas dicebat habere se aliud baptisma baptizari. .. Dans le même temps, un adversaire de saint Cyprien sur la question baptismale, l’auteur anonyme du traité De rebaptismate. reconnaissait (c. ii, XIV, XV, xviii) un seul baptême chrétien sous trois formes : le baptême d’eau, le baptême de sang et le baptême de l’Esprit. N’ul ne doit, par sa propre autorité, s’exempter du baptême d’eau ; mais, de fait, tous les trois baptêmes peuvent également donner le Saint-Esprit. Le même auteur voit tine figure du baptême d’eau et du baptême de sang dans les deux flots qui jaillirent du côté ouvert de Jésus. Il voit la distinction des trois formes de baptême insinuée par le verset de saint Jean (I lo, v, 8) sur les trois témoins terrestres : l’Esprit, l’Eau et le Sang. — Donc les deux écoles alors si profondément divisées sur la question duBAi’TiiMF dbs iii’ : ri’ : tiqi"es (voir ce mot) demeuraient unies sur la réalité du baptême de sang.

ous avons atteint le milieu du 111° siècle : désormais les témoignages abondent tellement qu’il devient superflu de les recueillir. L’eflicacité du

baptême de sang est un lieu commun des catéchèses baptismales au iv’siècle. Citons saint Cyrille de Jkblsale.m, Catech. iii, lo, P. G., XXXIII, 440 BC ; XIII, 21, ib. 800 A ; saint GuiiGoinE de Nazianze, Or. xxxix, 17, In sancta lumina, P. G., XXXVI, 353 G-350A ; saint Jean Chhysostome, In S. Lucianum martyrem Homil., 2, /’. G., L, , "122 ; /n Maccabæos Honni., II, 2, P. G., L, 626 ; les Constitutions apostoliques, V, VI, 8, éd. Fuiik, p. 249. Saint Augustin aflirme expressément le privilège du baptême de sang. De civitate Dei, XIU, vii, P. /,., XLI, 381 ; il ne veut lias qu’on fasse au martyr l’injure de prier pour lui, Sermo CLix, 1, P. 1… XXXVIIl’, 868. Il éclaire la doctrine en spécifiant que ce qui fait le martyr, ce n’est pas la grandeur des tourments, mais la sainteté de la cause pour laquelle il meurt : Martyres non facii poena, sed causa. Voir Enarratio in Ps. xxxiv, serin. 11, 13, /’. /.., XXXVI, 340 ; Ep., II, cviii, 5, il, , P. /.., XXXIII, 413.

2) Raptème de désir. — Le baptême de désir peut se définir : un acte de charité parfaite, renfermant le vœu, au moins implicite, du baptême chrétien. Sous une forme aussi précise, la notion du ba]ilème de désir a|)partient à un stade assez avancé de la théologie. N’ayant ici en vue que les origines, nous nous contenterons de montrer : i" comment le germe d’une telle doctrine est contenu dans l’Ecriture ; 2" comment elle se dégage peu à peu à l’épotpie patrlstique.

I" Pour se convaincre que la doctrine du lia]itênie de désir est en germe dans l’Ecriture, il ne faut que considérer les textes suivants :

Prov., VIII, 17 : « Ceux qui m’aiment, je les aime, n

— Le., X, 26-28 : « Un docteur de la Loi interrogea Jésus : Maître, que dois-je faire pour posséder l’héritage de la vie éternelle ? Jésus lui répondit : Qu’est-ce qui est écrit dans la Loi ? Qu’y lisez-vous ? Cet homme répondit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre àrae, de toutes vos forces et de tout votre esprit, et votre prochain comme vous-même. Jésus lui dit : Bien répondu. Faites cela et vous vivrez. » — lo., xiv, 21-23 : « Celui qui a mes commandements et les garde, voilà celui qui m’aime. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, cl je l’aimerai et me manifesterai à lui… Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et ferons en lui notre demeure. » — I fo., IV, 7 : (I L’amour vient de Dieu ; quiconque aime, est enfant de Dieu et connaît Dieu. »

De ces textes, il ressortévidemmenl que, si la grâce divine illumine une âme. la touche et l’attire au service de Dieu, si cette âme se livre tout entière à l’attrait de la grâce et tend vers Dieu de toutes ses forces, l’amitié divine est fondée ; le règne de la charité existe dans l’âme ; la société de grâce entre Dieu etriiommeest réalisée, avantmême tpie le ritebaptismal y mette le sceau. Ce rite n’en demeure pas moins obligatoire, et l’âme déchoirait de l’amitié divine qui. par sa faute, se détournerait de raccomplissement de ce rite exigé par Dieu. Mais, en fait, l’état de grâce aura prévenu le sacrement, tout comme il le prévint dans le cas du centurion Corneille et des siens, remplis du Saint-Espritavant l’heure où Pierre leur lit conférer le baptême d’eau. C’est là réellement un baptême de l’Esprit, selon l’expression employée plusieurs fois dans l’Ecriture,.1//., iii, 11 ;.Me, i, 8 ; /.c, iii, 16 ; /o., i, 33 ; Act.^ i, 5 ; xi, 16. Il n’est pas, dans l’ordre du salut, de plus diligent ouTier que l’amour.

2* Partant de cette donnée, les Pères devaient amener à maturité la doctrine d’une justification extrasacramentelle. Ils comprirent que la seule privation du rite baptismal ne pouvait être, pour l’àræ éclairée 819

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des lumières de l’Evangile et pleinement attachée à Dieu, un obstacle insurmontable au salut.

Peut-être faut-il reconnaître cette doctrine dans un passage, d’ailleurs assez cnigmatique, U’Hebmas. L’Eglise vient d’être décrite sous la figure d’une tour bâtie sur les eaux, F/s., m. Ces eaux représentent lo baptême, et les pierres employées à la construction de la tour représentent les lidèlcs. Or il est aussi question d’autres pierres, d’abord rejetées comme impropres à la construction de la tour, et tombées à proximité des eaux : elles voudraient bien rouler jusqu’à l’eau, mais en dépit de leur désir, elles n’y parviennent pas (2, 9). Toutefois nous les voyons admises ultérieurement, et au prix de beaucoup d’épreuves, à une place très inférieure, Vis., tu, 7, 6.

« Elles seront admises à cette place très inférieure

après avoir subi des tourments et accompli les jours de leurs péchés. Ces hommes seront transférés parce qu’ils auront accueilli la parole de justice : alors il leur sera donné d’être transférés de leurs tourments, quand leur montera au cœur la pensée du mal qu’ils ont fait. Mais si cette pensée ne leur monte au cœur, ils ne seront pas sauvés, à cause de la dureté de leurs cœurs. » Cette espèce de salut diminué, accordé au bon vouloir d’âmes qui n’entrent pas dans la tour lidlie sur les eaux, paraît bien représenter la condition de certaines âmes sauvées par le seul baptême de désir. Du moins je ne vois pas qu’on en ait donné d’explication plus plausible. Voir Reclierclies de science religieuse, t. II, 1911, p. 115 sqq., 263.

Tkrtullien aborde la question de fr<mt, mais passe tout de suite à l’extrême, en faisant bon marché du rite, pourvu que la foi soit sauve. Dans sa crainte de voir les fidèles forfaire aux engagements du baptême, il encourage les délais. De Iniptismo, xvin : Si qui pondus intellegani baptismi, ntagis tiiiiehuiil consecutinncm quam dilationem ; /ides intégra secura est de siilute. Le salut promis à la foi intégrale (c’est le sens de fides intégra, voir De præscr.. xliv), sans égard au sacrement, vollâ une formule bien large, et qui ne répond guère aux paroles du Christ sur la nécessité du baptême. Mais cet excès même est un indice des idées dès lors répandues dans l’Eglise latine : un catéchumène fervent était considéré comme candidat au salut.

La même coniclion est rellétée par certains Canons d’HippolUe, relatifs aux catéchumènes. On ne baptisera pas un esclave sans l’agrément de son maître ; d’ailleurs s’il vient à mourir catéchumène, on lui accordera la sépulture chrétienne : ran. 63 :.Si est sen’us lieri idotulatrue, invito liera ne haptizetur : contentas sit quod christianus est. — 64 : Quodsi morilur nondum ad donuni adniissus, a cetera grege ne separetur.

Saint Cyi’RIEN eut souvent occasion de se prononcer sur des cas plus ou moins semblables ; il n’hésite pas à déclarer que, devant Dieu, le désir vaut l’acte ; Voir Ad Fuitunatuni de exhortatione martyrii, xii, Hartel, p. 3^.5, i ; De mortalitate, xvii, p. 807, 308 ; Ep., X, 5, ! >. 494 sqq. ; xii, I, p. 502, 18-503, 13 ; Lxxiii, 23, p. 796, 12-17, ’sur des cas île baptêmes conférés par des hérétiques et que, conformément à ses principes, Cyprien devait tenir pour nuls : comme il s’agit de fidèles déjà morts dans la paix de l’Eglise, il n’hésite pas à croire que Dieua suppléé ce qui leur manciuait : Quid ergo fiel de Ins qui in præteritunt de liæresi ad Ecclesiam veiiietiles sine liaptismo admissi siint ? Potens est Dominas misericordia sua indulgentiam dure et eos qui ad Ecclesiam simpliciter admissi in Ecclesia dormierunt, ab Ecclesiæsuae munerihus non separare. Non tamen, quia aliquando erratum est, ideo semper errandnm est.

A la même date, l’auteur anonyme du Jie rehap tismate, adversaire de Gyprlen dans la question baptismale, fait appel au souvenir du centurion Corneille pour prouver qu’on peut recevoir la grâce avant le haplême, v, p. -^h, 22-31 : Hoc non erit dubium in Spiritu Sanctu homines passe sine aqua baptizari, sicut animadfertis baplizatos hos priusquam aqua baptizarentur ut salis/ieret et /oannis et ipsius Domini prædicationibus… ut hoc solum eis baptisma subsequens præstiterit ut invocationem quoque noininis lesu Christi accipereiit, ne quid eis déesse l’ideretur ad integritatem ministerii et fidei. Voir vi, p. 77 ; IX, p. 81, 16 ; X, p. 82 ; xiv, p. 86, 30.

[Nous ne citons pas dans cette question le traité pseudo-cyprianique De duplici martyrio, dans le<iuel on reconnaît aujourd’hui un faux du à la plume d’Erasme et datant de l’année 1530. Voir F. Lezius, Neue Jalirb. f. deulsclie Théologie, IV, 18y5, p. g5-i 10 ; 184-a43.]

L’exemple du bon larron, admis en paradis sans autre baiitême que celui du désir, a été souvent invoqué par les Pères pour montrer les ressources variées de la divine miséricorde. Voir notamment saint CYpniBN, £p. lxxiii, 22, p. 796, 5-7 ; Origi>nb, Jn Aer., Ilom., ix, 5, P. G., XII, 514 ; saint CvniLLB Œ JÉRUSALEM, C « /éc/iè.se, XIII, 30-3 1, P. G., XXXIII, 808 C-809C ; v, 10, p. 517 B ; saint Jkax Chrysostome, In Gen., llom. vii, 4, P G., LIV, 613 ; saint Ephubm, De pænitentiu, éd. Rom., 1746, t. VI, p. 200 E ; saint AuGi’STi.v, De bapt. contra Donatistas, IV, xxii. 29, P. /,., XLllI, 173-174. — Au sujet de saint Cyrille de Jérusalem, on doit au moins tenir compte des passages que nous venons de citer, pour interpréter correctement le texte où il semblerait ne connaître, en dehors du baptême d’eau, que le baptême de sang, Catech., iii, 4, /’. G., XXXIII, 432 A.

L’auteur du roman clémentin nous montre (llom, , xiit, 20, P. G., II, 344 B) "ne femme vaillante félicitée en ces termes par l’apotre saint Pierre : « Bien d’autres ont soulfert pour contenter une passion coupable ; vous avez souffert pour la chasteté. Par là, vous avez mérité de -livre. Fussiez-vous morte, votre âme eût été sau’e. Vous avez quitté Rome, voire patrie, pour la chasteté : en poursuivant ce bien, vous avez trouvé la vérité et le diadème du roj’aume éternel. Vous avez échappé aux périls de mer ; et fussiez-vous morte pour garder la chasteté, l’Océan vous eût été un baptême pour le salut de votre âme. »

Saint Jean Curysostome, In..S. Itomanum inartyrem, llom., i, P. G., L, 607, s’inspire des paroles de l’Apotre sur la vertu delà charité (I Cor., xiii, sqq.), et pose en thèse générale que la charité vaut mieux ([ue le martyre même, car la charité, sans martyre, fait des disciples du Christ ; le martyre, sans charité, n’en saurait faire.

Les grands èvèques du iv’siècle, dans leurs catéchèses baptismales, font d’ailleurs rarement allusion au baptême de désir, et telle de leurs assertions, si on l’isolait, paraîtrait même exclure toute suppléance du baptême d’eau, en dehors du baptême de sang (voir ce qui a été dit ci-dessus de saint Cyku.i.e db JÉursALEM). Mais la raison de cette attitude est facile à indiquer. Ce n’est pas à des catéchumènes, que l’on prépare au baptême, qu’il y a lieu de faire connaître cette suppléance. Bien plutôt y at-il lieu d’elTrayer, par la menace des jugements divins, ceux qui ne désirent pas assez le baptême. C’est ce que fait, par exemple, saint Grégoire db iNazianzr, dans son discours sur le baptême. Or., xi., 23, /’. G.. XXXVI, 389 C, où il pourrait sembler nier la vertu du baptême de désir, quand il dit : « Si vous accusez d’un meurtre celui qui en a seulement conçu le désir, sans passer à l’exécution, alors tenez pour baptisé celui qui a conçu le désir du baptême, sans le recevoir ell’ecti821

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vement. Mais si vous n’aiinidlez pas l’équivalence dans le ])reiuier cas, je ne puis comprendre ptnii-quoi vous l’adnulU’iezdans le second. Ou si vous aoulez : si le désir du liaptènie vaut la réalité, cl vous donne droit à la fjloire, à ce compte, le désir de la gloire vaudra pour vous autant que la fjloire même. Et que perdez-vous à manquer la ! , ’loire même, dès lors qne vous en avez le désir ? » Pour bien entendre cette argumentation, il faut avoir présente à l’esprit la disposition de certains auditeurs ([ui éprouvaient seulement des velléités de conversion et de baptême, n<j ; i ! ii désir elficace, et qu’il fallait décider à vouloir pour tout de bon. Dans un discours Contre les délais du haptéme, saint Grégoire db Nvsse fait ce récit, P. 0., XLVI, 4’- » 4 : « Lors de l’invasion des Scythes nomades qui causa tant de ravages et de morts, comme les barbares pillaient la banlieue de Comane, un jeune homme noble nommé Arcliias, angoissé par son propre malheur et ceux de sa patrie, sortit de la ville et s’en fut aux avant-postes pour se rendre un compte exact du nombre des pillards et de leurs opérations : il toudia au milieu des ennemis et fnt percé d’un trait. Gisant et sentant l’approche de la mort, il criait de toutes ses forces, — car il n’était que catéchumène — « Monts et forêts, baptisez-moi ;

« arbres, rochers, sources, donnez-moi la grâce I » 

Parmi ces cris lamentables, il expira. La nouvelle de son trépas causa dans la ville plus de douleur que la guerre même. « 

Cette page éloquente montre que l’évêque de Nysse était fort éloigné de penser, comme Tertullien, qu’on ne risque rien à dilTérer le baptême, et pressait les catéchumènes de le recevoir ; mais il serait excessif d’en conclure qu’il niait l’efficacité du baptême de désir.

11 était réservé aux Pères latins, surtout à saint Ambuoise et à saint Augustin, de dégager les virtualités latentes de la doctrine et de l’amener à une pleine clarté. A la mort de Valentinien 11 (né enZ-j, lils de Valentinien I", héritier de l’empire à l’âge de quatre ans, conjointement avec son frère aîné Gratien, puis seul, après la mort violente de ce dernier, assassiné lui-même en Sya), l’émotion de saint Ambroise se traduisit par un discours semblable à un long sanglot ; révéque montre dans les vertus du prince catéchumène et dans son désir du baptême, le gag- de sa justitication devant Uieu, De obilii Valenliniaiii, u-uii, P. /-., XVI, iS ; ^ B-1375 A.

Je TOUS entends déploi-er qu’il n’ait jjaa reçu le sacrement du biiptéme. Mais, dites-moi, qu’y a-t-il en notre pouvoir, sinon la volonté, sinon la demande.’Or il avait dès longtemps formé le désir d’être initié avant de venir en Italie ; il m’avait exprimé la volonté d’être incessamment baptisé par moi ; c’était même la principale cause pour laquelle il me manda pris de lui. Et il n’aurait pas la grâce qu’il a désirée ? qu’il a demandée ? Non, comme il l’a demandée, il la possède. Ne connaissez-vous pas cette parole ; « Le juste vint-il à être surpris par la moi-t, son Ame sera dans le repos, n

Accopdez-donc, Père saint, à votre serviteur, le don que Moïse vit en esprit et qu’il reçut ; que David connut par révélation et mérita. Accordez, dis-je, à votre serviteur Valentinien le don qu’il a souhaité ; le don qu il a demandé, dans la plénitude de sa force et de sa santé. Quand même la maladie l’eut contraint de différer, il ne serait pas tout à fait indigne de votre miséricorde ; ayant été prévenu par le temps, non frustré par sa volonté. Accordez donc à votre serviteur le don de la grâce qu’il n’a jamais refusée, lui qui, avant le jour de sa mort, refusa les privilèges des temples pai’ens, malgré la requête pressante d’hommes qu il pouvait hésiter à blesser. Les Gentils étaient là en foule, le Sénat à ses pieds : il n’a pas craint de déplaire aux hommes, pour plaire à vous seul, dans le Christ. Il eut votre Esprit : comment n’aurait-il pas reçu votre grâce.’Mais la céléhrution solennelle des mystères lui a manfjué ? . ce compte, les martyrs non plus ne seraient pas couronnés, s’ils n’étaient que catéchumènes : car la couronne suppose l’initiation chrétienne. Mais ces martvrs furent purifiés dans leur sang, lui fut purifié par ses l)ieux désirs.

La doctrine de saint Augustin est conforme à celle de saint Ambroise ; notamment De bapt. c. Donatistiis, IV, XXI, 28 ; XXII, 29, /-’. /., XLIII, 172-17’ !  ; s’appuyant sur l’exemple du bon larron, il ose alHi mer : non tanlum passionem pio Cliristi nomine id qtwd ex haptismo deerat posse siippJere, sed eliarn /idem conversionemque cordis, si forte ad celebrunduni niysteriiini boptisnti in angiisliis temporum succiirri non potest. Il faut se souvenir de ces paroles pour lonipcrer ce que présenteraient en apparence (l’inexorable d’autres paroles du même docteur, telles que. In loan., 7>. XIII, 7, P. /,., XXXV, 14gG : Qnantitmc unique cutechumenus pro/icint, adhuc sarcinani iniquitatis suite portât.

La doctrine des Pères latins après saint Augustin et celle des scolastiques procédant surtout de saint Ambroise et de saint Augustin, nous ne nous attarderons pas à recueillir de nouveaux témoignages sur le baptême de désir. Voir notamment saint Bernard, Ep. ad Ilugonem Viclorinuni, lxxvii, 8, P. /.., CLXXXII, io36 ; Hugues de Saint- Victor, De Sacramentis cltristianæ fidei, 1. II, p. vi, c. 7, P. /.., CLXXXVI, 453 BC ; Roland, Sentenliae, éd., Gietl, p. 209, 310 ; saint Thomas, p. III, q. 68, a. 2.

La doctrine du ba|>téme de désir a été consacrée par plusieurs décisions du magistère ecclésiastique.

Décrétale d’iNNOcisNT III : cas d’un Juif qui, en danger de mort, avait cru pouvoir se baptiser lui-même. Le pape répond qu’un tel baptême est nul et doit être réitéré. D’ailleurs le catéchumène, s’il était mort, eût été sauvé proptersacramenti /idem, etsi non propter /idei sacramentum. L. III, Decr., tit. XLii, c. 4-Décrétale d’iNNocKNT III : cas d’un prêtre dont le baptême avait été, après sa mort, reconnu invalide. Le pape répond qu’on ne doit pas avoir d’inquiétude pour le salut de son âme. L. III, Decr., tit. xLiii, c. 2. Concile de Trente, sess. vi, cap. 4. De iinti/icatione, Denz.. 796 (678), sur le passage à l’état de grâce : quæ quidem trunslatio post Erangeliuni pioniiilgatuni sine lavocro regeneratitmis aut eius voto /ieri non potest, sicut scriptum est, lo., iii, 5. — Cf. sess. VII, can. 4> De sacramentis, Denz., 847 (729) ; sess. XIV, cap. 4. l>e contritione (et attritione).

Propositions de Baius, condamnées par saint Pik V, r’oct. 1667 : 31 (Denz., io31 ij) : Caritas perfecta el sincera, quæ est de corde puro et conscientia bona et fide non /icta (I Tim., i, 5), tant in cutechumenis quant in pænitentibus potest esse sine rentissione peccatorum.

33. (Denz., io33 [913|) : Catechtimenus iuste, recle et sancte vivit el mandata Dei obsertat ac legem implet per caritafein, ante obtentam remissionem peccatorum, quæ in baptismi lavocro demum percipilur.

En finissant, nous indiquerons très brièvement la dilTérence qui paraît exister, quant à l’efficacité, entre le baptême de sang et le baptême de désir.

A comparer ces deux suppléances de notre baptême d’eau, il paraît incontestable que, selon la pensée des Pères, la première l’emporte sur la seconde, non seulement par la gloire inhérente à une confession sanglante, mais aussi par une vertu qui lui est propre, en vue de la rémission des péchés.

D’où vient au baptême de sang cette vertu singulière, qui en a fait comme le succédané — le principal succédané — du baptême d’eau ? Les textes scripturaires que nous avons cités plus haut insistent 823

INQUISITION

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principalement sur le grand amour dont le martyre ost le gage, et sans nul doute cet amour est — après le bon plaisir divin — la raison de l’efllcacité surnaturelle du martyre.

« Nul n’a plus d"amour, dit Xotre-Seigneur en saint

Jean (xv, iS), que celui qui donne sa vie pour ses amis. » Dès lors, la complaisance divine doit se reposer spécialement sur le martyr, qui donne de son amour, de son dévouement à Dieu, le gage suprême.

Est-ce à dire que l’efficacité propre du baptême de sang se réduit à celle d’un acte intérieur d’amour ? Il ne semble pas. La tradition des Pères donne plutôt l’impression d’une efficacité inhérente à l’acte même de la mort endurée pour Dieu, d’une sorte d’ellicacito ex opère operato, comme disent les théologiens parlant des sacrements. Associés à la passion du Christ, les mart3rs trouvent dans cette participation le gage d’une éternelle vie avec le Christ. Cette explication s’impose au moins dans le cas des enfants mis à mort pour Dieu, sans avoir dans cette mort aucun mérite propre, ex opère operantis. Or l’Eglise a toujours vénéré dans les saints Innocents de vrais martyrs de Jésus.

Telle est la pensée de saint Thomas, In IV, d. 4. q. 3, a. 3 ad ! ""> : Baptismus sangiiinis niin haliet hoc (liberare ab omiii culpa præcedente et puenii) tantnm ex opère operato… Sed lioc habet e.r imilalione />assionis Clirisli ; iinde de mnrtyribus dicitur (Apoc, VIT, 14) : l.averiiii’stolds suas in sanguine --ign’. Et ideo piieri, quamvis llberum arbitriiim non halieant, si ocridantiir pro Ckristo, in siin sanguine buptizali salvantur. Voir encore p. III, q. 66, a. 12. — Le rôle du Ijaptême de sang est comparable à celui de l’absolution sacramentelle, qui purilie toute àme où elle ne trouve pas d’obstacle, p. III, q 87, a. i ad 2""^ : l’assio pro Christo suscepta… obtinet fini baplismi : et ideo piirgat ab omni culpa et veniali et mortali. nisi actualiter iolantatem peccato invenerit inhærentem. Le rôle du baptême de désir est celui de l’acte de charité parfaite, qui justifie hors du sacrement.

La question du baptême de désir, dans ses relations avec la question générale du salut, est étudiée par L. Capéran. Le problème du salut des infidèles, Paris, 191 a. Voir cirdessous, article Salut.

A. D’ALliS.