Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Guérisons miraculeuses

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 216-225).

GUÉRISONS MIRACULEUSES. — Quelque subtilité que cet avertissement comporte, nous devons déclarer ici que nous n’étudions pas les Guérisons miraculeuses en tant que Mir.cles (v. ce mot), mais en tant que guérisons. En d’autres termes, n’ayant pas qualité pour enseigner la délinition du miracle, nous nous en tenons à la recherche des ressources curatrices de la Nature. En tant que l’incrédulité des sceptiques attribue à des forces naturelles, connues, présumées ou inconnues, toutes les guérisons miraculeuses dont l’apologétique tire secours, il y a intérêt à connaître les limites de la Ihéraj >eutique naturelle, limites au delà desquelles la présomption de miracle constitue à la théologie un terrain libre et réserve, limites en deçà desquelles les vagues notions de « forces inconnues », de « Suggestion » (voyez ce mot), de magnétisme doivent faire place à des concepts clairs. Une fois la théorie pourvue de principes exacts, la pratique du discernement des pseudo miracles d’avec les guérisons surnaturelles devient relativement aisée et s’applique à la solution des cas particuliers. Nous examinerons ici successivement : i. les prineii)e3 généraux qui justilient cette étude pour l’apologiste ; 2. l’aspect philosophique du problème ; 3. les notions médicales nécessaires à la délimitation des frontières de la nature ; 4. la forme sous laquelle se présentent les ditlicultés pratiques.

1. Importance, intérêt, opportunité delà question. — Œ tout temps, les guérisons miraculeuses ont été, entre les mains divines, un instrument de choix pour frapper les âmes : elles font éclater à la fois la puissance et la bonté de Dieu, elles sollicitent tout ensemble l’attention, la méditation, et la reconnaissance des hommes. L’Evangile déclare expressément leur rôle : « Lequel est le plus facile, dédire au paralytique : tes péchés te seront remis, ou de lui dire : lève-toi, prends ton grabat et marche ? — A/in donc que vous sachiez que le Fils de l’Homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, [il dit au paralytique] : lève-toi, je te le commande, prends ton grabat et va en ta maison. >' (S. Marc, II, 9-1 1. — Cf. Matth., IX, 6, et Act., iv, 6 et 1 2-1 3 etc.) Bien que tous les temps aient pu désirer et bénir une preuve aussi bienfaisante de l’existence et de la pro vidence de Dieu, notre âge en a particulièrement l’emploi. Si l’incontestable récit des miracles évangéliques sullit amplement à justifier comme à entretenir la foi, l’apparition dans la durée de nouveaux miracles pareils, de guérisons notamment, attire opportunément l’attention des incrédules, nous donne l’occasion d’utiliser leurs loyales surprises, applique à la science expérimentale de notre siècle un correctif véritablement topique, souligne enfin il’une façon spéciale l’autorité de l’Eglise et la valeur de l’intercession des saints. Pour toutes ces raisons, les sanctuaires où s’observent les guérisons miraculeuses sont, comme nous l’avons déjà indiqué ailleurs (Préface du dernier ouvrage du D^ Boissarie, Lourdes, Les Guérisons, vol. L Paris, Bonne Presse), particulièrement favorables aux succès de l’apologétique, et la méthode qui les utilise semble d’autant plus logique.

Elle a pourtant ses adversaires. S’il est avantageu. x, reconnaissent-ils, de recourir à des faits récents ou même futurs pour solliciter l’étonnement des incrédules, si l’on remplace ainsi, par une observation de quelques instants, la longue préparation nécessaire à la démonstration d’ailleurs possible de l’authenticité des miracles évangéliques, prenons garde néanmoins : nous faisons une œuvre plus aisée, mais moins sûre, nous proposons à des sceptiques d’analyser des faits passibles d’une interprétation erronée, nous cherchons excellemment des miracles actuels, mais nous pouvons, hélas ! en rencontrer de faux. Lors même qu’ils seraient vrais, ils ne sont pas de foi : n’utilisons donc pas les guérisons miraculeuses pour l’apologétique !

Cette attitude peut impliquer des intentions très louables. Nous osons pourtant inviter ceux qui s’en inspirent aux considérations suivantes : sans doute les guérisons miraculeuses qui peuvent se produire aujourd’hui ou demain, ne sont et ne seront pas de foi, mais la toute-puissance de Dieu reste et restera de foi, sa bonté aussi, et les résultats de cette puissance et de cette bonté doivent ou peuvent avoir lieu de nos jours, tels qu’ils se sont produits dans le passé. Sans doute on peut prendre pour des exemplaires de ces résultats des faits naturels ou même morbides, mais ces erreurs de fait n’empêchent pas la présomption d’éventualités miraculeuses : or, l’attitude du croyant qui refuserait de s’attendre au miracle ou d’en présumer le retour, ou d’en i)rofiter, sous le prétexte que sa foi ne leur est pas due, risquerait aussi de scandaliser le néophyte. L’Eglise elle-même, si elle n’engage pas son infaillibilité dans la critique des faits contenqiorains, nous autorise à juger miraculeuses, dans notre for intérieur, certaines guérisons actuelles, puisqu’elle nous conseille de les chercher, de préférence dans certains sanctuaires connus et bénis d’elle, puisqu’elle-mcme en cherche des exemplaires pour justifier la canonisalion de ses saints, puisque les évêques qui composent son magistère s’intéressent personnellement au jugement et à la définition de certains cas. Enfin l’attitude que nous déconseillons comporte, pour être rigoureuse, le mépris ou l’ignorance, la négligence ou la négation d’une multitude de faits qui, tout en n’étant pas de foi, sollicitent fort utilement l’attention des loyaux incrédules : tels sont, dans l’ordre habituel, les effets de la grâce sur les membres de la vraie Eglise, sur la charité des prêtres, sur la pureté des vierges, sur la fidélité des éi)oux ou la probité des marchands ; tels sont, dans la voie extraordinaire, les stigmates, les visions, ou les extases : rien de tout cela n’est de foi, entant que fait, et tout cela peut être profané ou contrefait. Il n’en est pas moins vrai qu’en omettant de remarquer ces effets de 421

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la grâce, on se prive de certaines manifestations pourtant fort éloquentes de la puissance de Dieu.

Useraitdonc fâcheux de renoncer, sous le spécieux prétexte d’une erreur possible niaisévital)le, àproliter dos bienfaits les plus surprenants, Icsplus facilement convaincants, les plus communément désirés. Ajoutons que les guérisons miraculeuses se déroulent dans un décor où, si l’on ne rencontre pas le miracle, on rencontre du moins la résignation et l’amour : pareils aux enfants du laboureur qui, en cherchant un capital, trouvent les bénétices de leur travail, ceux qui vont au sanctuaire en quête de miracles trouvent parfois utilement les innombrables revenus de l’éternel miracle : la présence de Dieu parmi nous.

11. Eléments divers de la théorie des guérisons miraculeuses. Part de la philosophie. — L’aspect théorique du problème n’est autre que celui-ci : étant donnée la délinitiou théologique du miracle, est-il facile, est-il même possible de l’appliquer à des guérisons ? Le miracle excède en effet les ressources de la nature ; or, sommes-nous en mesure de savoir en médecine où la nature finit ? Le concept de maladie s’applique à des choses fort différentes. Comment oser parler de la gravité naturelle ou de la bénignité de maux aussi divers, dont un facteur problématique nous empêche souvent de donner la formule précise ? Nous savons d’autre part que l’on obtient des guérisons naturelles surprenantes en s’attaquant àla cause, hier insoupçonnée, de certains symptômes rebelles à toute autre thérapeutique : la sérothérapie et l’opothérapie enregistrent à ce sujet des merveilles. Nous savons enfin que la cause d’un trouble en apparence matériel est parfois purement fonctionnelle (névrose) ou mentale (phobies) et qu’en atteignant cette cause on opère ou l’on opérerait des cures prodigieuses. Qui nous dit que certaines « forces inconnues » (c’est la « tarte à la crème » des adversaires de Lourdes) ne font pas tous lesjoursceprodige, suivant un mécanisme naturel ? Voilà de quelles obscurités la pathologie entoure la notion de guérison naturelle et, par contrecoup, celle de guérison miraculeuse. La simple connaissance des processus naturels de réparation, à défaut de l’analyse du mal, ajoute encore à ce mystère. Quand peut-on dire qu’un être est guéri ? Est-ce quand les cicatrisations d’une lésion sont objectivement constatées ? Mais alors on ne connaîtra rien de la guérison quand ces cicatrisations seront invisibles, ou quand la guérison consistera dans la simple reprise d’une fonction troublée ! Se Qera-t-on, pour prononcer le mot de guérison, à l’opinion subjective du malade ? Ce serait s’exposer aux pires mécomptes : on sait qu’un tuberculeux fait encore les plus beaux projets aux derniers degrés de l’hectieité, qu’un typhoïsant demande à manger dans la plus grande fragilité de sa convalescence et qu’inversement tels hypocondriaques font leur testament d’urgenceavecune santé relativement satisfaisante. Gherchera-t-on le signe objectif de la guérison ? mais ce signe n’est pas unique ni soudain. La guérison, comme toutes les crises de la vie, comme l’invasion d’une maladie, comme la puberté, comme la ménopause, comme la mort elle-même, comme les trouvailles du génie ou les entraînements de la passion, se manifeste sous les apparences d’un phénomène typique fort court, mais dure en réalité le temps d’une longue initiation et se prolonge en une suite plus longue encore de phénomènes qui la couronnent et la confirment. Comment saisir le nœud de cette crise ? et comment en disputer l’ouvrage à la nature, si on ne le saisit point ? Abordera-t-on enfin le problème du coté métaphysique ? ou, en d’autres termes, sous le prétexte qu’il est malaisé de savoir où la nature Unit,

cherchera-t-on d’abord à prouver que le fait est surnaturel en le situant sur le domaine où le miracle commence ? en arguant, par exemple, du dessein de Dieu ? Mais si l’on est averti par la foi que Dieu a une intention d’ordre moral en faisant le miracle, si nous savons par les théologiens quelles sont en général ces intentions (.lbert LE Gn.ND, Sum. th., II p., tr. vii[, q. 3-2 ; Du.s Scot, éd. Sallust., vol. V, p. 426, q. 43, art. 4 ; saint Thomas, Siinima Tlieol., III p., q. 43, a. 4 ; — cf. Marc, xvi, 18 ;./e « ", xiv, 12 ; Acl., II, 3 ; I Cor., xiii, 2, etc. —) nous ne devons paspour cela préjuger des intentions divines dans un cas déterminé ; nous avons à faire la preuve cpie la guérison n’est pas naturelle, après quoi l’Eglise, s’il y a lieu, autorise dans certains cas à la déclarer miraculeuse (cf. les décrets d’UnBAiN VIII pour les miracles obtenus par l’intercession d’un personnage même réputé saint mais non canonisé ni béatifié).

C’est ici qu’une définition philosophiquedelamaladie, qu’une analyse des conditions logiques de la guérison naturelle, n’est pas à dédaigner. Au-dessus des conceptions scientifiques indispensables, fécondes mais transitoires, nous pouvons avoir recours à des vérités issues de principes immuables, moins utiles à la pratique, mais plus fidèles aux exigences permanentes de la sécurité philosophique. C’est ce que Benoit XIV a voulu conquérir il y a cent cinquante ans en énonçant, dans son traité De la canonisation des serviteurs de Dieu, lib. IV, p. I, cap. viii, § 2, les règles du discernement des guérisons miraculeuses : ces règles sont éternelles, et les médecins de tous les temps auraient pu y souscrire, Galien comme Lacnnee, Dioscoride comme Avicenne. Un petit nombre de i>rineipes clairs font plus qu’une multitude de faits discutables, même étonnants, non seulement pour l’honneur de notre foi qui veut être raisonnable, mais pour le progrès de la science qui cherche ses limites ; un seul caractère même caché, mais reconnu incompatible avec la nature, vaut mieux que la résurrection d’un membre amputé ou d’un cadavre entier, si nos sceptiques se contentent, pour expliquer ces faits, ou d’une erreur, ou d’un mensonge des témoins, ou, quand ils en sont témoins, d’une analogie, d’un prétendu retour aneestral aux ressources des animaux inférieurs, ou enfin d’une échappatoire comme en a toujours la mauvaise foi pour dire, par exemple, qu’on ignore ce que c’est que lavieetqu’on ne sait jamais s’il y a eu mort véritable, ni, par conséquent, résurrection.

Cherchons donc les raisons philosophiques sur lesquelles on peut asseoirunedéfinition des limitesde la nature. Nousavonsdit Aéjà(oir Ilet’ue de philosophie, i"^ décembre 191 1) que, tant que le monde sera monde, il nous semble que la vie, la santé, la mal.idie et la mort seront toujours justiciables des définitions suivantes : la vie est l’harmonie spontanée d’énergies coordonnées pour une seule fin, la santé consiste dans le maintien de cette unité, la maladie est l’apparition du multiple incoordonné dans l’unité, la mortestle triomphe définitif du multiple sur l’un. C’est de la métaphysique, il est vrai, en partie du moins ; mais, sans cette part de métaphysique, on ne donne des termes susénoncés que des tautologies, plus dignes de La Palisse que du génie de Biehat ou de la science de M. Bouchard, à qui nouslesdevons néanmoins (voirRoGBn, Introd. à l’étude de la médecine, p. 3) : « la vie est l’ensemble des forces qui résistent àla mort, etc. » ou autres semblables.

La maladie étant définie par l’apparition du multiple dans l’un ou, en d’autres termes, par la désagrégation de l’unité vitale, la guérison est a priori la restauration de cette unité. Nous connaissons, à vrai I dire, quelques processus de cette restauration qui, bien que scientifiquement étudiés, ont la valeur de 423

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notions indiscutables : tels renkystement, la formation d’un cal, la pliagocytose, le cloisonnement des foyers morbides, etc., qui ont jiour but d’isoler les éléments de dissension pour les éliminer et qui témoignent de la solidarité delà monarchie organique. Mais peu importent les exemples : a priori, la guérison est et sera toujours la tendance de la nature à réparer l’unité trahie et l’on en trouvera toujours des exemples plus ou moins connus, plus ou moins précis, plus ou moins éloquents suivant les phases de la science.

Or qu’est-ce à dire ? Si l’organisme tend naturellement à réparer ses lésions ou ses fonctions, à restaurer son unité désagrégée, il s’ensuit que sa guérison lui coûtera toujours une certaine énergie et par conséquent d’abord un certain temps. En outre, comme toute énergie organique n’est que la traduction en un langage spécial, sous la forme propre aux èlres vivants, des forces empruntées au monde physico-chimique, il s’ensuit encore que la guérison doit emprunter naturellement quelque secours au dehors et constituer par suite une élaboration ; plus la maladie sera avancée, plus l’unité sera compromise et plus cette élaboration sera dillicile et douloureuse ; naturellement aussi, elle sera d’autant plus fatigante, toutes choses égales d’ailleurs, qu’elle sera plus brève ; naturellement entin, l’unité restaurée n’cfTacera pas toute trace du multiple, l’organisme réparé gardera quelque souvenir, quelque empreinte du mal antérieur, et la tendance à la récidive ou tout au moins à la rechute sera la règle générale, dont l’exception (l’immunité acquise) ne s’obtient qu’au prix évident et d’ailleurs constaté de certains reliquats pathologiques (prédisposition à l’égard d’autres maladies, cicatrices vicieuses, menaces d’accidents secondaires ou tertiaires, etc.).

Sans être prophète, on peut donc prédire que toute guérison naturelle donnera lieu aux constatations suivantes : restauration lente, laborieuse, éprouvante, avec tendance à la récidive. On comprend donc qu’il y aura toujours non seulement présomption mais certitude que la guérison n’est pas naturelle quand on la verra survenir soudainement, sans épreuve, sans reliquat, sans récidive, à la suite d’une maladie pratiquement constituée jiar la désagrégation de l’unité organique. Ce sont en elfet les principaux signes que Benoit XIV a exigés pour la constatation d’une guérison miraculeuse ; ilya joint d’autres signes qui conlirmeiit les premiers, tels que l’échec des procédés connus de guérison naturelle, la preuve de leur ineflicacité.les témoignages alarmants de la marche de la maladie, tous signes qui rendent d’autant plus diflicile la guérison naturelle et d’autant plus frappante une guérison subite. C’est ainsi que théoriquement la philosophie n’est pas inutile à la délimitation de la nature, nonobstant l’imprécision ou l’indifférence de la méthode et de la langue scientifiques. Les limites delanalureétantdoncflxées, la présomption de guérison miraculeuse s’installe ; elle fait place à une évidence quand le renversement des lois naturelles coïncide a ec l’invocation des saints, la conversion des pécheurs et la paix des âmes : car « on reconnaît l’arbre à ses fruits u.

Mais on le reconnaît aussi à ses racines. Et c’est sous la réalité des faits qu’il faut chercher, dans la profondeur des causes, de quoi identifier le miracle. Cela est encore j)hilosophique : mais si l’homme, médecin ou non, refuse en ces matières de méditer sur les causes, il faut<|u’il renonce à discuter surles limites de la nature et de la surnature. Car il n’est pasensonpouvoird’cn faire uncnotiond’observation. Ni la surprise que lui procurent les fait s, ni l’importance qu’ils revêtent ne peut suffire àposer le miracle. Avant

qu’il n’ait lieu, celui-ci présente des caractères qui permettent de l’identifier et qui résultent de l’analyse même de son concept. Pour qu’une guérison soit miraculeuse, il faudra et il suffira qu’elle procède d’une intervention directe de Dieu, d’une irruption transcendante de la Cause première dans le jeu des elfets : et cette intervention invisible se reconnaît à la suppression visible des causes secondes. Non seulement les moyens adaptés à la fin surnaturelle, les moyens apparents du moins, sont dérisoires (ainsi l’eau des piscines de Lourdes n’a aucune vertu tkérapeutique ; on peut lui comparer celle de la piscine de Bethsaïda, Jean, v, 2, le poisson du vieux Tobie, Tob., VI, 4 ; la salive, Marc, vii, 28 ; le bord de la robe du Christ, /. « c, VIII, 44, etc.), mais les reliquats naturels de la guérison font quelquefois défaut : tout récemment en 190^, àproposd’unemaladeguérieàLourdesen 189a (Mme Authier, née Marie Lemarchand, défigurée avant sa guérison par un ulcère, après sa guérison par le récit fantastique d’Emile Zola), le D’Tenxkson, médecin de l’hôpital Saint-Louis, pou ail affirmer, par la simple observation de la cicatrice, que la guérison n’avait pas été naturelle. Ladescriptionphilosoi)hique et médicale d’une guérison naturelle permet d’établir, par opposition, les signes d’une guérison qui n’est pas naturelle. A cescaractères négatifs correspondent et s’ajustent les traits positifs qui constituent, pour ainsi parler, la phjsionomie du miracle : d’une part suppression du délai naturel, de l’épreuve naturelle, des moyens naturels, des traces naturelles ; d’autre part, aveu d’une cause transcendante arraché à l’âme par l’admiration des yeux, par le prix du spectacle, par la fécondité des effets, par telles garanties célestes (cf. Behtrin, Lourdes, Apparitions et Miracles, 35" éd., Gabalda, et J. B. Estrade, Les apparitions de Lourdes).

III Délimitation des ressources naturelles de la médecine. — Mais les exigences de certains rationalistes qui, [lour admettre une cause transcendante, veulent avoir épuisé, envers et contre tout, l’arsenal des arguments fournis par l’expérience, et, d’autre ])art (il faut le dire aussi), la haine des hommes pour la vérité » (Bossuet) qui, même alors, refuse encore de s’incliner devant l’intervention du divin dans la science, voilà des sentiments qui entretiennent quelques objections auxquelles la philosophie n’est I)as seule à repondre. Force nous est d’en extraire le contenu et de l’éprouver à la pure clarté de l’expérience médicale. Nous laissons de côté l’obstination quand même, qui ne relève que de la prière, non de la dialectique.

En somme, les objections des sceptiques se ramènent à deux types. Premier type : vous ne nous présentez jias les cas qui nous convaincraient ; — second type : les casque vous nous présentez ne nous convainquent pas, car ils sont analogues à des guérisons naturelles dont le type est fort connu des psychiatres. Cette dernière analogie revêt elle-même deux formes suivant le genre d’érudition du sceptiipie : tantôt il cherche ses exemples à la Salpê-Irière, ou chez Dubois de Berne, ou chez les Nancéiens : c’est l’analogie clinique ; tantôt il cherche ses modèles dans l’histoire ou l’ethnographie, chez les eonvulsionnaires de Saint-Médard, à l’Asclépiéion d’.Vlhènes ou d’Epidaure, aux i>èlerinagcs des schismatiques ou des musulmans : c’est l’analogie historique.

§ i. Premier type d’objections (Vous ne nous présentez pas les cas qui nous convaincraient, il nous faut la résurrection d’un mort, etc.).

Nous l’avons dit tout à l’heure : ces incrédules qui 425

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se lijïiii’eiU qu’on pourrait les convaincre avec des cas plus étonnants ne s’aperçoivent pas qu’ils opposent en eux mêmes une digue au Ilot de la t, ’r ; ue. Leurs exijfences grandiraient avec la portée des l’ails contemplés, comme nous en avons montré plus haut queliiues moyens. L’obturation d’une plaie leur ferait désirer la poussée nouvelle d’un membre amputé. Obtiendraient-ils ce nouveau miracle (é idemment possible à Dieu, mais à notre avis incompatible avec la condition du spectateur humain, qui ne pourrait assister sans une insoutenable contradiction à une création de matière, c’est-à-dire dominer comme Dieu le secret de la substance et rester en même temps vaincu dans son corps par cette même matière dont son àme est voilée), obliendraient-ils, dis-je, ce nouveau miracle, qu’ils demanderaient pour plus d’étonnement la résurrection d’un mort, contemplation i)lus formidable que celle d’une suérison, mais non inlerilite, et quelquefois accordée à l’homme comme en témoignent des récits du Nouveau Testament (Miillh., xxvii, 52-53) et des traits moins certains (mais revelus encore d’une certaine autorité) de la vie des saints. Du reste la résurrection d’un mort ne convaincrait pas tout le monde, il faut se le dire. Nombreux furent les témoins des miracles évangéliques que l’intervention directe du’Verbe incarné, et sa résurrection même, cependant prévue par les Prophètes et prédite par Lui (Malt., xvil, 22, 23), ne convainquirent pas (Jean, iv, ’44).

Comment penser que des miracles d’aujourd’hui convaincraient davantage, s’ils ne renoncent pas à leur méthode, ceux qui écrivent : « A nous, médecins aliénistes, incrédules au nnracle, il nous faut l’explication naturelle d’un fait qu’on nous donne comme surnaturel… Qu’on ne parle ]) ! us de miracles dans le monde, tel est notre but. » (Rouby, La vérité sur Lourdes, p. 13 et p. dernière.) Que penser des confrères et des écrivains qui n’ont aucune idée de la foi et ne cherchent pas à savoir ce que nous entendons par là, qui présument que les médecins catholiques sont sinqdement « l’objet d’un chantage moralde Unir clientèle bigote » (Rouby, p. 65), ou que les malades erojants sont seulement le jouet d’illusions forgées par leurs évêques (Zola) ? A coup sûr, la notion de cause transcendante est tantôt redoutée (comme on peut le croire quand on voit Ciiahcot et Voisin refuser d’examiner Bernadette : cf. BoissARiE, Lourdes de iS.’jS à nos jours, pp. 68 sq. et 266), tantôt éludée et dédaignée (c’est ainsi que le D Aigner, sans quitler la Bavière, étudie les faits de Lourdes à la lumicrc de la science médicale allemande, im Liclite deutscher mediziuisclier Wissenschaft, et les explique par les effets d’un changement d’air, du soleil méridional ou du voisinage de Tarascon), tantôt insoupçonnée, comme le prouvent certaines énorniitcs du genre de celle-ci. « A quel moment précis l’eau devient-elle miraculeusement curative ! En deçà du robinet ou au delà ? » (Rouby, note p. bit.) Comme on le voit, de telles objections pensent nous atteindre sur le chapitre des causes secondes, où elles portent naïvement à faux (cf. Bkrtrin, Ce que répondent les adyers/iires de Lourdes, Paris, Gabalda, et CnB.No.N, Lourdes etc., Paris, Lethielleux).

D’autres contradicteurs se scandalisent que les guérisons miraculeuses laissent après elles des cicatrices : si ces cicatrices étaient ])athologiques, vicieuses et sources elles-mêmes d’autres unsères, on pourrait en elVet s’étonner que la main divine en fut l’auteur. Mais une cicatrice normale rentre dans les moyens naturels : or l’intervention de Dieu dans la nature n’est pas tenue île la bouleverser. Est miraculeux ce qui dépasse l’ordre de la nature, soit ; mais n’est pas moins miraculeux ce qui s’y

conforme, ce qui s’y superpose, ce qui s’y mêle dans des conditions inouïes de puissance et de rapidité. Dieu emploie à ses desseins les forces naturelles (Mgr. KAnGEs)et son intervention nese trahit quepar la façon dont il les emploie. Exiger des malades guéris miraculeusement une reslitutio in integruni sans cicatrice, est donc inutile au conoej) ! de guérison miraculeuse. Les cicatrices, du reste, témoignent de l’ancienne maladie et sont, de ce fait, utiles aux constatations ultérieures.

§ 2. Deuxième type d’objections (Les cas que vous nous présentez ne sont pas convaincants. Une analogie avec des cas notoirement naturels les explique).

A. I^’orme clinique de cette analogie (névrose, lijstérie, suggestion, failli cure, mind cure, force inconnue). — On sait que ces objections, quand elles sont faites au nom de la clinique se réduisent à ceci : <( II existe des maladies fonctionnelles, appelées névroses, consistant simplement en modifications de l’énergie nerveuse dansun corps matériellement intact. Comme le système nerveux régit tous les organes, un trouble dans son fonctionnement peut siéger en n’importe quel pointdu corps, et simuler toutes les maladies suivant que les fonctions motrices, sensorielles, trophiqiies, sécrétoires, etc., sont troublées. Mais comme, d’autre part, il n’y a aucune lésion matérielle, le trouble peut être supprimé radicalement, instantanément, dès que le courant nerveux repasse dans sa canalisation intacte, comme on voit s’ébranleruntramway en panne aussitôt qu’on rétablit le contact entre ses organes moteurs et sa source d’énergie. Or, toutes les maladies qu’on prétend miraculeusement guéries pourraient bien n’être que des névroses inaperçues, et le faux miracle s’écroulerait d’emblée au regard plus pénétrant d’un Charcot ou d’un Bernheim. » Cet argument faisait surtout fortune à l’époque où l’illustre Charcot obtenait, par l’hypnose, des désordres instantanés et graves (en apparence) sur des hystériques, et supprimait ces mêmes désordres comme par enchantement au gré d’une suggestion inverse.

Pour que l’on pût résoudre ce genre d’objections sur le terrain médical, il faudrait que les névroses, et l’hystérie en particulier, fussent définies. Or, si l’on s’accorde à penser que celle-ci est une esi)èce dont la névrose est le genre, tant s’en faut que les caractères génériques de l’une et les caractères spécifiques de l’autre soient péremptoirement différenciés (voir Hystkrie). On perdrait donc son temps à bâtir une argumentation sur des objets aussi mouvants ; en a<lmettant que l’on pirt convaincre ainsi des adversaires bénévoles, ie nouvelle conception des névroses ou de l’hystérie remettrait demain tout en question. Les symptômes des névroses, écrivait le professeur Raymond en 1907, « sont extrêmement nombreux et complexes : … ils s’étendent des fonctions les plus obscures du sympathique jusqu’aux fonctions cérébrales les plus hautes, jusqu’aux fonctions psychiques ». Et il faut que l’on ne sache pas très bien ce qu’est une névrose, puisqu’on ne s’entend pas sur ce qui est névrose : Raymond et Jankt n’englobaient dans cette division que l’hystérie et la psychasténie, Déjerine en bannit la psychasténie (voir Raymond, L’Encéphale. 1907, et Liullelin médical, 1907 : leçons recueillies, depuis, en un volume,

— et DÉJERINE, Manifest. fonctionnelles des psrclionéyroses, igi i, Masson). La notion de névrose est comme provisoire : on classe dans ce genre tout ce que l’on ne sait comment classer ailleurs, pourvu que le système nerveux paraisse, dans le trouble incriminé, coupable ou au moins victime : c’est ainsi que le nom de névrose a servi à spécifier les maux les plusdisparates, et que le nombre s’en est rétréci pro427

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gressivcment à mesure que l’on pouvait reconnaître ou suspecter la cause organique des échantillons qu’on en retranchait. U y a un siècle, Pinel.Georgkt, LouYER-ViLLEUMAY classaicnt encore clans les névroses la coqueluche et la colique de ploiub ; il y a vingt ans AxENFELU. HtCHARD, DiEiLAFOv, et, en Allemagne Oppenheim, en Italie Agostini, y faisaient rentrer : qui, la cliorce ; qui, l’épilepsie ; qui, la maladie de Parkinson ou le goitre exophtalmique, elasséjadis dans les o névroses du ca-ur » ( !), aujourd’hui reconnu d’origine glandulaire. Que l’on y fasse encore rentrer l’hystérie, cela ne prouve que l’ignorance actuelle au sujet de lacausede l’hystérie. On trouvera au mot Hystérie quelques développements à ce sujet, Disons seulement ici que le terme d’Hystérie est vague, par conséquent suspect, et qu’en ce qui concerne les guérisons miraculeuses il ne prétend les expliquer que par une part bien délinie de son contenu, par la notion de suggestibilité qu’il implique : de sorte que la prétendue explication des guérisons miraculeuses par l’hystérie se restreint à la prétendue explication par la suggestibilité, avec cette précision toutefois que la qualilication d’hystérique, appliquée aux clients heureux des sanctuaires, entend préjuger du caractère fonctionnel de leur maladie, et non pas seulement du caractère suggestionnel de leur guérison. On verra en elTet au mot Suggestion que toute guérison subite obtenue par suggestion ne peut concerner que des troubles purement fonctionnels, des troubles sans lésions, des arrêts du mécanisme organique uniquement causés par une suspension momentanée du courant vital nerveux (détachement du trolley n), non par une avarie du moteur.

Toute explication, par la suggestibilité, d’une guérison déclarée ou présumée miraculeuse revient donc à déclarer que la maladie n’était pas organique, mais fonctionnelle, selon ou malgré toute apparence, qu’il s’agissait d’une pseudo-tuberculose, d’un pseudo-cancer, d’une pseudo-fracture, etc. et c’est à ces pseudomaladies qu’on donne le nom d’hystérie ou d’hystérose (Houby). L’elTort de M. Houhy (Latérite sur Lourdes, chez Nourrit) s’est uniquement porté sur ce point : démontrer Jï/Hs tous les cas connus qu’il y a eu, sinon fraude (voir inl’ra, HI, § 2 B). du moins hystérose. c’est-à-dire contrefaçon volontaire, subconsciente ou ignorée de maladie organique, mais contrefaçon, maladie nerveuse ne consistant qu’en un fonctionnement vicieux d’organes matériellement intacts. C’est à ce phénomène que Rouby donne le nom (Vliystérose, et il caracléi-ise l’hystérose par les propriétés suivantes {op. cit.. pp. 59-62) : elle est sans lésions, elle apparaît et disparait subitement au gré des suggestions, elle revct toutesles formesetsimule tous lesaccidents, elle ne trouble nullement la santé générale. — Ce type nosologique n’est pas méconnaissable ; il existe en réalité, on peut si l’on veut lui donner le nom d’hystérose, ou d’hystérie, le premier ayant l’inconvénient d’être moins connu, compensé par l’unique avantage de rimer avec rose. Mais ce qui est peu pratique, c’est de démontrer que tous les cas connus de Lourdes sont des cas d’hystérose : cela entraîne des diagnostics à distance dont la valeur est quasi nulle malgré la science du praticien qui les pose. Et ce qui est, enfin, tout à fait illogique, c’est de croire que la notion de guérison miraculeuse sera extirpée de notre esprit parce que quelques cas (l’auteur, évidemment, ne connaît pas toute l’histoire de Lourdes) paraissent à l’auteur cité suspects d’hystérose. D’abord il est lui-même suspect d’erreur ; en outre, il est incomplet, et, enlin, lemoindre cas entaché d’interprétation vicieuse retire du crédit au reste (cf. pour plus am]>le critique van der Ei.st, lie^ue de Pliilosopliio,

! <’juillet igi i.ella Croix, 12 sept. 191 1). La question

de Lourdes sera d’ailleurs amplement traitée au mot Lourdes. — Retenons ici que toute explication par hystérose se ramène à une explication par la suggestion — et que cette explication ne vaut que pour les maladies fonctionnelles.

Mais, nonobstant M. Rouby et consorts, certains faits de Lourdes et d’ailleurs ont paru, même à des incroyants, assez étonnants, assez assurément démonstratifs d’une guérison organique subite.pour que l’école positiviste ou matérialiste se retranche sur un autre genre d’explication. Les travaux du D"^ Boissabie en France, du P. Gemelli en Italie, les observations du professeur Guinier de Honlpellier (Questions actuelles, ^6 février 1910), du professeur Duret de Lille {Bull. soc. S. Luc, 1910), les séances publiques où tous les ans, à Paris, sont exposés, avec pièces en main, par des spécialistes(D" Le Bec, M.^umus, Sabi.é, etc.), des cas de guérison soudaine de tissus lésés, ont forcé l’attention publique et ecllemême du monde cultivé et savant (D’de Grandmaison. Correspondant, 20 décembre 191 1). On a concédé que « la caractéristique » de ces guérisons est une « néoformation de tissus, à marche rapide » (Grillière. /.a7 ?ei » e, i"septembre igii. Nous avons commenté cet article dans la Croix du 12 septembre 191 1). — Mais on attribue cette néoformation à des forces inconnues. Cette solution ne saurait être critiquée, et elle offrirait à l’incrédulité un refuge de tout repos contre les conclusions mêmes du bon sens, si l’on n’avait le moyen de trouver, même dans ces forces inconnues, des contradictions avec la nature. Inconnues ou non, toutes les forces de la nature évoluent et opèrent avec constance et avec lenteur, ou, si elles opèrent exceptionnellement et promptcment, c’est, dans lepremicrcas, que quelque chose de moins s’oppose à leur action, vers laquelle elles tendent toujours, et. dans le second cas, que l’on met tout en œuvre pour les faire agir, auquel cas elles trahissent cet effort par des signes extérieurs. Il est clair, par exemple, que si une « force inconnue », comme était l’électricité il y a 200 ans, avait pu produire un phénomène quelconque, par exemple la combinaison de l’oxygène et de l’hydrogène en eau, ou l’électrolyse, la galvanisation, etc., ce phénomène de cause inconnue n’en aurait pas moins été accompagné des faits habituellement concomitants (dégagement de chaleur, etc.). Il est non moins clair que si, actuellement, des forces inconnues produisaient la prolilication immédiate d’innombrables cellules, cela représenterait une transformation d’énergies physico-chimiques en énergie vitale, en nutrition, et, par conséquent, ces énergies physico-chimiques devraient être prises quelque part et leur transformation coûter quelque chose à l’organismeépuisé. M. Grillière, qui cite des expériences où cette transformation a été extrêmement rapide (loco ci-’tat(i), a soin d’ajouter que les observateurs s’étaient servis d’une culture de rate « artificiellement stimulée n : les énergies avaient été canalisées, multipliées, couvées, mais on les avait prises quelque part. Dans les guérisons miraculeuses, on chercherait I en vain d’où sortent ces forces inconnues. Il ne suffit donc pas, comme l’a prétendu encore Ferrari contre Gemelli (l.a lolta coniro Lourdes. tp. ao4 et ig"-). de dire que la production d’un fait habituel exclut le miracle, quand il n’y a que la rareté et la brièveté deson apparition pour le caractériser miraculeux : car cette brièveté d’apparition, à elle seule, en dehors de tout emprunt d’énergie extérieure, présente avec la nature, avec toute la nature connue ou inconnue, une contradiction insurmontable. En fait, d’ailleurs, l’embarras de ces dialecticiens en mal de « forces inconnues » se traliil plus ou moinspar de pures hypothèses, des ajournements Si’/ie die, quand ce n’est pas 429

GUÉRISONS MIRACULEUSES’iSO

par des injures. Et l’argnnient des forces inconnues, en lui-même, n’élude pas le miracle, même s’il est juste : d’une part, en elFcl. il faudrait savoir defiuelles forces il s’ajjit. Est-ce de forces transcendantes ? Mais des forces transcendantes inconnues n’en sont pas moins miraculeuses. Xous sommes d’accord avec ceux « lui les invoquent : ce sont des forces inconnues. .. d’eux, des forces méconnues. D’autre part, une force naturelle agissant dans des conditions non naturelles est encore miraculeuse. (S. Thomas, Contra ifenliles, lib. III, cap. ySioo.)

Parmi les forces inconnues auxquelles on a donné un nom et un pouvoir particuliers, il faut citer le magnélisme. En tant que le magnétisme correspond à ce qu’il exprime, il n’est pas une réalité connue, mais une hypothèse ; on a supposé que certains corps, et en particulier le corps humain, pouvaient être pourvus dans certains cas, et, en particulier, chez certains individus spécialement doués, d’un fluide analogue à l’énergie de l’aimant, aux énergies des corps radio-actifs, etc. Dans ces conditions, les « magnétiseurs » opéreraient non par leur pensée, mais par leur corps. Bien qu’il s’agisse là d’une hypothèse soutenable en soi, et en tout cas fort différente de l’explication par la suggestion, nous tenons à tlire qu’il n’y a pas d’exemple de guérisons organiques opérées par des magnétiseurs, que les succès remportés par eux n’ont jamais concerné que des maladies vagues, étranges, analogues aux névroses d’aujourd’hui, et que tout le xix"’siècle (Braid, Briquet, Charcot, Lasfgie, Ru.nBT. etc.), après la découverte de l’hypnotisme, a assimilé le magnétisme à l’hypnotisme, a vu dans les magnétiseurs des précurseurs de l’hypnotisme, dans les magnétisés des hypnotisés inconscients, et dans leur gnérison subite une manifestation suggestionnelle. Si le maguélisnie est autre chose en soi, l’essentiel ici est qu’il n’a à son actif aucune cure péremptoire de maladie organique. C’est donc une de ces n forces inconnues » auxquelles il est peu scientilique d’accorder un pouvoir qui n’a jamais fait ses preuves, et cette force inconnue reste d’ailleurs soumise aux lois générales de la nature, telles que nous venons de les exposer.

La failli-cure et la mind-cnre ne sont que la suggestion en anglais. En tant qu’elles se prévalent de succès organiques, obtenus par rites ou prières, cf. infrn B, c, On.

Xous ne parlons pas ici des prétendues cures spiriles, qui seraient dues non pas à l’action d un esprit sur l’esprit (suggestion) ni d’un corps sur un corps (magnétisme), mais à l’action d’un esprit agissant surlecorps humain. Il estclairen efl’et que cette hypothèse relève impitoyablement du dilemme suivant : ou l’esprit qu’on invoque (démon ou àme d’un défunt) n’opère point, et il s’agit d’une supercherie ou d’une illusion, auquel cas le bienfait qu’on en recueille est purement imaginaire et suggestionnel et, parconséquent, limité aux ressources habituelles de la suggestion ; — ou l’esprit qu’on invoque se manifeste réellement, auquel cas ce ne peut être que le démon : cela n’est pas du ressort de la science, et, si la foi nous enseigne que Dieu peut permettre cette réponse à une sollicitation toujours interdite (péché de magie), il est clair qu’on n’en peut attendre aucun miracle. Aussi n’a-t-on cité aucun cas de guérison obtenue par cette voie. Xi la science ni la foi ne peuvent en craindre la conséquence, qui leur paraît à toutes deux également chimérique, surtout en tant que bienfaisante. En revanche, on a cité nombre de cas où le spiritisme avait causé un a traumatisme psychique » grave (Charcot, Gilles delà TorKETTE). et tous les médiums scientiliquement étudiés ont passé pour des hystériques ou des névropathes (Gras set, L’occultisme hier et aujourd’hui, 1908 ; FloirxoY, de Genève : L’si>rils et médiums, igio). (Voir

OCCILTISME.)

B. Forme historique de celle analogie. — L’analogie par riiistoire est-elle plus efficace ? Elle consiste en ceci : « Vous niez qu’une guérison organique subite soit naturelle, disent en substance nos adversaires : soit ! elle est miraculeuse. Mais ce miracle parait s’observer chez des païens, des musulmans, des schismatiques, des hérétiques : vous voilà forcés de le déclarer naturel, sous peine de porter un miracle au crédit de l’erreur, et de le faire nuire à la gloire de Dieu et de son Eglise. »

Xous pourrions répondre à ce raisonnement par un défi : si de tels miracles existent, qu’on les montre ! Convaincus, d’une part, que la guérison subite d’un mal organique n’est pas naturelle, assurés d’autre part que le miracle ne peut glorifier l’idolâtrie, le schisme ni l’hérésie, nous combinons logiquement ces deux conclusions en une seule, et nous jugeons que le miracle thérapeutique ne peut pas, en tant qu’il oriente la foi vers la vérité, se produire en dehors des sanctuaires catholiques. L’affirmation contraire exige l’exhibition d’un miracle qui nous donne tort. Mais celle sorte de défi vaut-elle un argument ? A la certitude a priori de l’impossibilité d’un tel miracle, ne vaut-il pas mieux substituer la preuve qu’il n’a pas eu lieu ? Cela vaut mieux en droit ; mais, en fait, démontrer que quelque chose n’a pas eu lieu implique la connaissance de tout ce qui a eu lieu, l’omniscience intégrale des faits : or, qui pourrait se targuer d’un tel privilège ? On se doute que nous n’y prétendons point I Reste à parcourir les lieux où l’on s’est le plus communémenelTorcé d’exhiber ces miracles, suscités, par hypothèse, à la requête des prêtres musulmans, schismatiques etc., et obtenus avec succès en faveur de fidèles du même culte. Si l’on envisage les sanctuaires les plus illuslres, les plus fréquentés, les [ « lus. vénérés, si l’on interroge les pèlerins les plus convaincus, les plus nombreux, les plus fidèles, et si, après cette enquête aussi complète que possible, on ne trouve aucun cas de guérison miraculeuse obtenue par les dits pèlerins dans les dits sanctuaires, on n’aura ^jas prouvé, sans doute, qu’un tel cas soit impossible : mais on aura montré qu’il est introuvable. Et l’on aura ainsi, non seulement acquis la conviction qu’un cas si inipro » bable équivaut pratiquement à l’impossible, mais désarmé ceux qui n’ont que cette analogie à nous opposer, puisque, en fait, elle n’existe pas. Parcourons en elTel successivement les sanctuaires païens, musulmans, schismatiques. hérétiques, et voyons ce qu’ils nous offrent en manière d’analogie :

a) Infidèles. — Xous ne remonterons pas, comme le D’GRiLLif ; RK(Z, fl Revue, 1" septembre 19 1 1), jusqu’à 1 homme des cavernes, présumant que le lecteur ne voit, dans les manifestations artistiquesde ce lointain ancêtre, pas autre chose que la preuve d’un sentiment religieux naturel, nullement une indication de faveur surnaturelle sollicitée ou obtenue. Nous nous bornerons à chercher, dans l’antiquité païenne, les seuls faits de pèlerinages connus, et nous ne croyons pas qu’on les trouve ailleurs que dans les temples d’Esculape. Là venaient, en effet, des pèlerins malades, mus par un sentiment religieux. Sans doute ce sentiment de dévotion ne saurait être comparé, dans son mécanisme, dans ses tâtonnements, dans sa stérilité, au sentiment logique, délibéré, vivifié par la grâce, que nous appelons la foi. Sans doute il se mêlait à la naïve dévotion des clients d’Esculape des superstitions qui paraissent d’ailleurs inséparables des commencements de la science médicale dans tous les pays (cf. Bouché-Leclercq, Histoire de la 421

GUERISON’S MIRACULEUSES

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Difinalion dat’s l’Antiquité ; Michelet, /.a Sorcii’re, i"p. ; et Tissot-Amkro, Contrées mrstérienses, etc., p. éSg), ou qui du moins, en l’absence d’un intermédiaire infaillible, sont des déviations banales et inévitables d’un sentiment de juste et naturelle confiance de l’bomnic dans son Créateur (voir Occultisme).

Dilïérenciées par leur objet, par les coutumes des faux cultes, les démarclies médicales des dévots d’Epidaure étaient animées du même esprit que les premières tentatives de la médecine patriarcale, dont on a soutenu que la méthode fut conquise par révé’ation (DlMBEnT-GorRBEYRE. Discours prononcé à l’Ecole de médecine de Clennonl-Ferrnnd, dans Les Stigmatisations, o. II, sui fiiieni). — Quoi qu’il en soi ! , rien n’empêche d’admettre le caractère reli{fieux des intentions d’Irène, lorsque, d’après La Bruyère, elle « se transporte à grands frais en Epidaure ». Et cela même est en soi respectable. Mais autre chose est de concéder qu’on alla religieusement en Epidaure ; autre chose, qu’on en revint miraculeusement guéri. Puisque c’est là le fait qu’on tente de nous opposer, notre tâche ici se borne à montrer que le fait est imaginaire. MM. les D’Gril-LiÉRE (lac. ci/., pp. 38-89) ^’RouBY (op. cit., part III), si difficiles en matière de preuves quand il s’agit de cas qu’ils connaissent ou pourraient connaître, sont promptement convaincus qu’au temple d’EscuIape ou Asclépieion, soit à Athènes, soit à Epidaiire, des boiteux ont recouvré l’usage des membres, et des aveugles l’intégrité de leur vision. Que dis-je ? Ils paraissent même croire à la réalité de cures organiques : ulcères et tumeurs (Grili.ièpe), ascite (Rolby, p. io5 : « nierons-nous le miracle, l’opération, peut-être ; la cure, non i>). Les choses étant ainsi présentées, on pourrait considérer comme « certaine "

« la parenté de tels faits » avec ceux de Lourdes

(Grillikre, p. 3g : « Les malades ne séjournaient que deux ou trois jours, puis s’en retournaient, guéris ou non ») Malheureusement pour MM. Rouby et Gnir.LiÈnE, qui n’ont d’ailleurs qvie rajeuni l’opinion du Britisli médical Journal du 18 juin 1910, de Gaud (thèse de Lyon, 1907), de Coirtois Suffit (Arcliiies générales de médecine, 1891), cités par Voubch (f.a Foi qui guérit, Bordeaux, igii, chap. v, et enfin de Charcot (dans sa Faith-Healin^) ; malheureusement MM. Rouby et Grillière concluent sans prémisses.

En effet, à part les ex-voto d’où une induction hardie tire la preuve de la réalité des guérisons, mais qui ne sont, pour un regard plus scientifique, que des olTrandes gratuites, ou des reproductions (le mains dans l’attitude du serment, ou des motifs décoratifs, ou des amulettes contre le « mauvais œil » (cf. W. IlousE, Greek 'oti>e offerings, Cambridge, 1 902 ;

— ToUTAiN, Hutl. archéo. 1906 ; — Daufresne, thèse de méd., Paris, 1909, p. W ; — P. Girard, I, ’Asclépieion d’Athènes, 1881, pp. 20, 90, 98 ; — Hor.-LANDRR. Plastik und Medizin, Stuttgart. 1912, p. 176 sq. et 219), les témoignages que nous avons de l’AscIépieion sont connus et précis ; on peut les vider assez rapidement de leur contenu. Les textes anciens n’abondent pas sur les pèlerinages d’EscuIape. Dans les œuvres de Polybe, d’AppiBX, de Diodore et des autres historiens grecs réunis, l’crudite nomenclature du professeur Bertrix n’en relève pas une dizaine (La Croix, ic) avril 191 1) ; on peut y joindre une scène d’AnisTOPUANE, aussi peu concluante que copieusement exploitée par MM. Rouby et Grillière (que diraient pourtant ces confrères, si nous cherchions dans Regnard ou dans Goldoni un argument en faveur de Lourdes ?). Quant aux documents épigraphiques récemment exhumés, ils sont tous recueillisdansDErRAssEctLKonAT (Epidaure, in-folio, iSgS) : ceux qui concernen t l’AscIépieion d’Athènes ont fourni

à P. Girard, en 1881, la matière de sa thèse célèbre de doctoral es lettres (Paris, chez Thorin : L’AscIépieion d’Athènes, eic), et les recherches de CAVVAnivs sur l’AscIépieion d’Epidaure ont été commentées par Salomon Reinach (Rer. archéoL, 1883, p. 199 sq. — Traité d’Epigraphie grecque, p. 7.5 sq.). Or l’imagination seule peut voir dans ces textes un exemple de guérison subite d’un mal orgauifjue ; mais la science médicale n’y peut rien observer de péremptoire, comme on doit s’en douter quand on songe à la difficulté de faire un diagnostic même à deux ou trois centsansde distance, pour des maladies historiques ; donc, nulle certitude de guérison organique ne nous est fournie par l’examen des faits d’Epidaure ou d’Athènes, donc enfin nulle analogie avec Lourdes ; en revanche, nous avons de très sérieuses présomptions que maintes maladies étaient de pures névroses (telle cette grossesse qui dure cinq ans, cf. Salomon Reinach, loc. cit.) guéries par suggestion dans le somnambulisme ou dans un sommeil provoqué par un narcotique (Daufresne, Epidaure, thèse citée, p. ^0 : tous les clients d’Epidaure dorment quand on les guérit, et ils « songent >) ; en outre, les prêtres de l’AscIépieion usaient de « tous les moyens dont disposait la science médicale de leur temps » (VoURcn, toc. cit., p. 122), et n’opéraient, par conséquent, que des guérisons chirurgicales ou médicales qui exjiliquent sans miracle le peu de cas où l’on ne reconnaisse pas une névrose (cf. D"" Briau, article Asklépion du Dictionnaire des Antiquités de Daremberg et Saglio, — et O. Weinreich, Antike //eilungs » under, Giessen, 1909, 11= p., cli. 11) ; enfin, pour achever de nous (Mer toute présomption de miracle, les grotesques exigences du dieu (telle l’offrande d’un cochon ci’argent, S. Reinach, toc. cil.) portent la marque de la contrefaçon diabolique. L’intervention du démon n’est pas moins présumable en raison de ces scandales et promiscuités dont témoignent certaines guérisons (de stérilité), certains tableaux (cf. Defrassf-Leciiat, op. cit., p. 128, note), certaines offrandes (à Aphrodite, cf. Hôllaxder, op. cit., p. ai(j) et certains textes anciens (Tite-Live cité par D. Lataste, 3’lettre théologique, Paris, 17^0, p. 35). Ce n’est pas tout : le remède apporté à certaines maladies qui, si elles étaient vraies, seraient seules miraculeuses à l’exclusion de leur guérison, ce remède postule la fraude en plus d’un cas : après sa grossesse de cinq années, Cleo délivrée par le dieu accouche, en dormant, d’un bel enfant du même, àge. Or, le délire de grossesse est assez banal ; la « grossesse nerveuse » est plus rare, mais non introuvable (cf. iwynEiM, Hrpnotis7ne, Suggestion et psychothérapie) ; quant à la délivrance amenant à la lumière du jour unenfant de cinqansenchair et en os, nonseulemenl elle n’a rien de commun avec une guérison miraculeuse, étant clairement malfaisante et même inévitobleiuent meurtrière, mais elle est surtout irapossiblcn’étant pas au-dessusdela nature mais contrenaturc, et elle ne peut s’expliquer, si on la simule réellemcnl. cpic par la fraude. Voilà donc tout le bilan d’EscuIape : tlélires. somnambulisme, risée, fraude ; on n’a que le loisir de présumer la bienfaisance de l’intention. /’).Musulmans et Bouddhistes. — En ce qui concerne les pèlerinages de l’Islam, nous ne connaissons pas de prétention au miracle (cf. Mahomet cité par Benoit XIV, op. cit., 1. IV, p. I, ch. iii, 18, et Vourch, Foi qui guérit, i^i etsq.) : le pèlerinage de La Mecque a un caractère national ; les musulmans s’y rendent pour se sentir frères, plus encore que pour y adorer Dieu ; leur démarche n’est pas utilitaire, mais nécessitée, non de luxe, mais de précepte. Les derviches qui ont mêlé à l’islamisme des pratiques magiques ont I)rétendu accomplir des miracles ; mais il semble que 433

GUÉRISOXS MIRACULEUSES

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ces cas soient intiouvaliles, car les savants, cbréliens ou non, de l’Oct-iclent ne sont pas invités au contrôle des laits. Les aïssiitiahs de l’Afrique du Nord ont été vus mangeant du verre, etc., et se flattent d'être invulnérables. Mais outre qu’il ne s’agit point là de guérisons proprement dites, les prodiges acconii) ! is par ces fanatiques ne les exemptent d’aucune des conséquences naturelles de leur témérité (cf. Foncin, in RAMB.VID, Fiance coloniale, p. 4^). Le peu de guérisons observées en pays musulman ont été interprétées dans un sens naturaliste : par exemple les cas do vitiligo relatés par Podiapolsky (lteiie de l’hypnotisme, 1908, pp. 809 et 335) cité dans la tlièse de Daufrksne. En outre les derviches mêlent aux pratiques sacrées des procédés naturels, d’ailleurs également entachés de superstition et de magie, mais sullisamment reconnaissables pour éliminer a priori la présomption de miracle (V’oiRcn). Pareille observation s’impose en ce qui concerne les fakirs (cf. Occultismk), ou les disciples des derniers musulmans d’Espagne (saluda dores, cf. Ribet, Mystique, 111, 362).

c) Hérétiques. —Tout autre serait le moindre miracle obtenu par des hérétiques pour témoigner que Dieu leur donne raison, autrement dit qu’il condamne l’Eglise, son interprète infaillible. Cela serait aussi troublant que de s’apercevoir que deux et deux font cinq, et n’a pas davantage été constaté. C’est danscet esprit de révolte que les convulsionnaires de SaintMédard (voir Convi’lsionxaires) ont sollicité des miracles ; les camisards en avaient fait autant, etc. Dans de tels cas (cf. Ribet, Mystique divine, 111' volume, Les contrefaçons diaboliques, Bizouard, Itapports de l’homme avec le démon, livre XI, 1" chap. ; et livre XV, ch. x^I ; et Hipp. Blanc, l.e Merveilleux dans le Jansénisme, etc., et L’inspiration chez les Camisards, Paris, 1855) il ne saurait y avoir guérison miraculeuse, mais il se mêle du diaboliqueàla nature. Le prince des ténèbres n’est pas intéressé à laisser sans résultat des demandes qui ont nettement pour but de gloriûer l’hérésie ; ne pouvant d’autre part leur répondre par le miracle, il yrépond, avec la permission mystérieuse mais non sur l’ordre de Dieu, par des faits assez étonnants pour séduire, assez limités pour rester en deçà du miracle, et auxquels on décerne l'épithcte de préternaturels, car ils ne sont ni naturels ni surnaturels. Ces faits correspondent de tous points à ce que la théologie nous enseigne sur le pouvoir du démon (cf. Lataste, Lettres théolo^., Paris, i^^o, I. iii, passim, et 1. VlU, § x) : leur principal caractère est d'être troublants, quelquefois grotesques, généralement obscènes, toujours négatifs : il e^l en effet au pouvoir d’un ange déchu d’agir, et surtout de paraître agir sur la nature assez pour suspendre un maléflce ou endormir une douleur, etc. Mais des actes positifs, bienfaisants et miraculeux (cicatrisation instantanée, etc.), sont hors de sa portée. Le catalogue des faits recueillis par Carré DE Mo.NTGERo.N et auti’es apologistes des convulsionnaires montre que le jansénisme n’a pas obtenu de guérison miraculeuse pour se justifier. Pareille contrefaçon du surnaturel est tout ce qu’ont pu brandir les Réformés, camisards, etc. (voir Oci : iltis.mk). — Mais l’observation que nous allons faire pour les schismatiques s’applique aussi aux hérétiques de bonne foi. Et nous pensons que des protestants contemporains, ne demandant pas la guérison miraculeuse, comme leurs ancêtres, pour justifier leur erreur, mais avec l’humble confiance de chrétiens involontairement égarés, pourraient adresser avec succès à la Providence une prière uniquement dirigée vers Sa gloire. Une faveur obtenue dans ces conditions n’aurait rien, croyons-nous, d’inconcevable. Mais nous

n’en avons trouvé aucun exemple. Ce n’est pas faute d’avoir cherché dans un document doublement favorable, nous voulons parler de la thèse du pasteur BoRDREUiL, docteur en médecine (Heligion et /Psychothérapie, ihése, Toulouse, 1911). En effet les cas de guérison les plus « miraculeux n cités par le pasteur Bordreuil sont ce que nous appelons simplement des guérisons providentielles : si l’action divine s’y traduit, c’est par l’intervention habituelle des causes secondes. Au nombre de ces causes secondes nous est présentée la foi, simplement comme un ressort moral assez analogue à ceux que la psychothérapie utilise. , ux mains du Christ lui-même, tel que M. Bordreuil se le représente, ce ressort n’est qu’une

« puissance extrêmement développée », non illimitée, donc non divine. Voulons-nous plus de précision ? M. Bordreuil conclut ainsi sur le Christ : « Il

n’est pas irrationnel de supposer chez un honmie(s(t) une énergie psychique sullisante pour modifier l'étal de ce que nous appelons la matière brute » (p. 99). Cette doctrine (peu exigeante) voisine sans indignation avec celle de Flournoy, qui hésite entre les noms de suggestion, de persuasion, de magnétisme, à décerner à la puissance du Christ (p. io5, ibidem) : d’un pareil résidu il est dillicile d’extraire un concept de guérison miraculeuse comme nous l’entendons. Les faits pourraient être plus générevix et plus riches : mais ils manquent également. Le pasteur Jouaxen, consulté (p. 128) sur l’efflcacité des interventions du pieux protestant Vignes, son paroissien réputé thaumaturge, avoue qu’il « ne connaît pas de malades ayant été guéris par lui » ; et M. Bordreuil ne cite que deux observations de protestants ajant essajé de mettre en œuvre la « foi » si précaire dont on a lu plus haut l’analyse : or ces deux malades ont obtenu une sédation subite de la douleur, symptôme fonctionnel, mais l’amélioration des symptômes organiques a été chez eux lente et progressive, donc assurément naturelle. De ce mélange de religion et de psjcbolhérapie ne résulte qu’un sentiment humain et naturel, religieux par son inspiration, thérapeutique par ses effets, sentiment dont il sulTirait de connaître mieux le mécanisme pour qu’il fût constamment efiieæe, mais qui n’est pas miraculeux, même aujourd’hui qu’il est inconstant (voir notre commentaire in Revue de philosophie. i"' a^Til 1912). Xous ne pouvons donc citer de cas de guérisons miraculeuses ayant favorisé à la fois les protestants et le protestantisme. Nous en pourrions citer, en revanche, qui, concernant d’anciens protestants, ont tourné à la gloire de Dieu et de l’Eglise catholique, telle la guérison du jeune Boothman, présente par le Dr Boissabie à la réunion des miraculés du 2O novembre 191 1 (Journal de la Grotte, l^ février 1912). Quant aux sectes américaines (Christian science, faith cure, etc.), ce qu’on retire des rares travaux sérieux qui leur sont consacrés (liev. hebd., juin 1909) et des témoignages les plus qualifiés (D' L. Demokchy, de Paris et de New-Vork, professeur à l’Ecole de psychologie), c’est l’impression que les partisans de ces sectes visent à des résultats rituels, constants, donc au mystère plutôt qu’au miracle, et n’obtiennent que des succès naturels ou des insuccès. d) Schismatiques. — M. Voi-rch fait quelques réserves pour les sanctuaires schismatiques, où il pense que des guérisons miraculeuses ont pu être observées ; nous avons montré ailleurs (Itevue pratique d’apologétique, i^' septembre 191 1) que ces réserves sont peut-être exagérées, d’après le grand psj-chiàtre russe Bechterew (La suggestion et son rôle dans la vie sociale, p. 63) : cela pour la question de fait. Le témoignage de P. Gir.vrd. op. cit., p. 128, sur les guérisons miraculeuses aux sanctuaires grecs 435

GUERISONS MIRACULEUSES

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modernes est vague et peu encourageant. RounY (op. cit., p. 92-93) cite un cas de « lupus russe » d’après la Médecine mvderiie (15-1-1900) mais la guérison est progressive. — En droit, comme nous l’avons dit aussi (cf. A’ïff^/es, 5 novembre 191 i), la reserve de M. Vourcli est plausible pour des scliismali(iues qui adorent le vrai Dieu et vénèrent sa Mère ; les faveurs du sanctuaire s’expliquent si elles répondent à des intercessions aussi louables : ce n’est pas en tant que séparés de l’Eglise que les bénéficiaires les obtiennent, et par conséquent l’on ne voit pas pourquoi leur seraient déniés des bienfaits qu’ils n’utilisent pas contre la vérité. (Cf. Albeht le Grand, loc. cit., S. Thomas, Summa TheoL, 11= II’"', 178, art. 2, invoquant S. Paul, I Cor., XIII, 2, et commenté par D. Lataste, lue. cit.. et Benoît XIV, op. cit., lib. IV, p. 1, cap. m et iv.)

IV. Dans la pratique, comment discernex" les guérisocs miraculeuses ? — En fait, la ([uestion se pose quelcjnefois à propos d’un cas connu, présumé miraculeux. Si le fait est obtenu par l’intercession d’un personnage non canonisé ni béatifié, l’enquête fait partie des procès de canonisation (voir Saints). Pour prouver que le fait est obtenu par l’intercession de la sainte Vierge ou des saints, ou par l’intervention directe de Dieu, apparaissant, par exemple, sous les traits de son Verbe incarné, l’enquête doit préciser les points suivants : a) La maladie était-elle connue ? S’il reste un doute sur son essence, était-elle du moins de nature évidemment organique ? {Luc, XIV, 2 ; xviii, 12) ; — b) Les moyens humains avaient-ils été employés ? avaient-ils échoué ? (Luc, viii, 43) ; — () La guérison al-elle été soudaine ? (Marc, I, 31 ; vii, 35 ; Matth., xii, 13) ; — A-telle présenté les caractères d’une guérison organique ? (Marc, iii, il ; Matth., iii, 13). A- 1- elle été totale ? — d) La guérison s’est-elle maintenue (yeon, v, i^), et pendant combien de temps ? Il faut en principe qu’on puisse répondre positivement à ces questions pour que l’enciuête aboutisse : encore les évêques chargés déjuger apportcnl-ils à leur verdict la considération d’éléments surnaturels (tels que prière, fruits de conversion, etc.), dont la constatation n’est pas de la compétence médicale, mais contirme la certitude du caractère miraculeux du fait jugé. Lorsque l’enquête a lieu pour signaler, par un nouvel exemple, la puissance de la Vierge immaculée au sanctuaire de Lourdes, la procédure vise à éclaircir tous les témoignages, à les idcntilier, à les ordonner, à parfaire, en un mot, l’insutlisancede l’examen médical improvisé au sanctuaire. L’intervention de Pie X à ce sujet (cf. BoissARiE, L’crinre de Lourdes, chap. xvi, et P. Teiliiard de Chardin, Les miracles de Lourdes et les Enquêtes canoniques. Etudes, 20 janvier igoy)a suscité de subtiles enquêtes, véritablement scientifiques, complétant parlesressources physiques, chimiques, bactériologiques, etc., des laboratoires et par la confrontation de témoignages cliiii(iues [ilus nombreux, les documents hâtivement recueillis au cours d’un iièlerinage. Cette procédure comporte l’avis d’un évêqneinstituant une commission composée de théologiens et de pliilosophes et nommant un médecin ex|iert, lequel s’adjoint ordinairement des confrères et s’clt’orcc de démontrer les quatre points susdits. Les théologiens èludientct discutent le rapport, questiennent les médecins sur les points les plus délicats, citent les témoins signalés par l’enquête coiiiuie compétents sur tel ou tel point de détail, puis se réunissent sous la présidence de l’évêquc dans une session où tous, médecins et théologiens, sont liés par le secret canoniciue, après serment prêté sur l’Evangile (l’e.’ccommunication est la sanction du parjure). L’évcque a seul autorité, les théologiens n’ont que

voix consultative ; l’un d’eux fait toutefois un rapport doctrinal où il présente ses conclusions d’après les certitudes ou présomptions de fait fournies par l’enquête médicale. L’évêque peut prononcer le jugement de miracle, même si l’un des points est resté douteux, par exemple s’il y a eu récidive, car la guérison même miraculeuse n’empêche pas la nature humaine de resteràl’avenir tributaire de la maladie ; mais en général la démonstration des quatre points susdits est exigée. Certains faits peuvent apparaître miraculeux dès le seuil du sanctuaire, ou dans le lieu (profane ou sacré) qui en est le théâtre ; mais, quand il s’agit d’une guérison comme lorsqu’il s’agit d’un autre fait, l’allirmation du miracle n’est pas dans les attributs des témoins laïcs. Les médecins, en particulier, ont qualité pour dire ([u’une guérison n’est pas naturelle, non pas pour dire qu’elle est miraculeuse ; encore ne peuvent-ils sans examen ni sans peine allirmer que la guérison n’est pas naturelle : car cela est rarement évident. C’est une des raisons pour lesquelles, sans doute, l’organisation médicale est le plus souvent si rudimentaire, là où les guérisons miraculeuses sont le plus invoquées. Les attaques assez injustiliées qui se produisent à ce sujet se brisentcomiilètemcntcontre les enquêtes minutieuses par lesquelles on supplée à l’insuflisance des constatations immédiates, et contre les mesures prudentes de l’épiscopat.

Certains faits récents ont été (tel le cas des fistules stercorales de Mlle Horrel en 1907) l’objet d’un rapport de ce genre et d’une semblable décision épiscopale (S. G. Mgr de Mende, igii) ; également pour le cas de sœur Julienne, de Brive, S. G. Mgr de Tulle a conclu à une guérison miraculeuse, et son jugement a été publié avec le rapport tliéologique du président de la commission (Mgr Farges) et avec le rapport scientifique du médecin expert (Brive, Imp. cathol., et Paris, Beaucliesne, 1912).

On voit que la notion de guérison miraculeuse n’est pas seulement un concept, mais une certitude basée sur des réalités actuelles, sur des vérités philosophiques éternelles (cf. A. Castelein, S. J, £e surnaturel dans les apparitions et dans les f ; uérisr>ns de Lourdes, chap. v, — et Mgr Farces, Cours de Phil. scoL, 1. 1, 4’" p-, cité par S. T., la Croix’du 10 mars 19 12), et sur des témoignages jalousement multipliés. Les membres delasociété deSainl-Lue(D’LEBKc, professeur A’iNc.ENT, D’Dauchez, Df Leroux, etc.), les professeurs de la Fac. cathol. de Lille (D" Duhet, Desl’LATs, Dei.assus, L.4.vnAND) et leurs élèves (D’ISabjlé, Plev), les médecins membres du clergé (D"’Abbé Maumus, de l’Institut Pasteur, U. P. Gemelli, ancien agrégé de Pavie, D’Abbé Ségaix) ont puissamment contribué, sous l’impulsion du président du Bureau des constatations de Lourdes (D’Boissarie) à présenter des observations scientifiquement inexpli cables, et non moins certaines, qui forcent l’attention du monde savant. Le sanctuaire de Lourdes n’est sans doute pas le seul où se produisent ces guérisons miraculeuses, mais il est certainement celui où l’étude de ces guérisons est le plus savamment et le plus régulièrement préparée. Nous n’en parler(ais pas ici plus longuement, renvoyant le lecteur à l’article Lourdes pour plus de précision. Mais nous ne saurions omettre de conclure que les guérisons miraculeuses sont un monopole, un privilège de Dieu ; que les faits qui en accréditent la notion glorifient tous l’Eglise catholique ; qu’il ne leur manque même pas, pour attirer l’attention et le respect des croyants et des incrédules, la C(Uilrefaçon intéressée, doneélo(iuenle, des puissances infernales. Dans ces conditions, les guérisons miraculeuses sont de puissants auxiliaires de l’apologétiipie. Et nous 437

HALLEY (COMÈTE DE)

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connaissons des cas où le bien (d’ailleurs considéial >le) procuré par elles à des corps a pu paraître iiisijrniliant, relaliveiiient aux conséquences qui en sont résultées pour l’introduction, le maintien ou la réintégration des âmes dans la voie royale du salut.

(Cf. Henri Lasserre, crtuTes diverses ; — Jnnales de jV. D. de /.., IV, 1 1 1 etc. — Boissahie, op. cit. in col. 1120, vol. I et II, fin, et A. Cuarry, Petite histoire d’une âme, Pion, igii.)

D’Iloberl Van der Elst.