Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Grecs (Religion des)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 204-216).

GRECS (RELIGION DES).

I. Histoire : 1° Les origines, 2° Homère, 3° Hésiode, 4° du VIP siècle à la fin du V avant Jésus-Christ, ô° le commencement de la décadence, 6° la fin de la religion grecque.

IL Culte.

I

HISTOIRE

La religion grecque n’a point été une doctrine ou un ensemble de rites cristallisés pendant des siècles en un système tixe. Si quelques traits se retrouvent identiques aux différentes périodes de son existence, beaucoup d’autres ont profondément varié. Pour s’en faire une idée exacte, il est nécessaire de les étudier dans leur développement historique. Nous distinguerons six périodes principales : i" les origines ; 2" Homère ; 3" Hésiode ; 4" du vu’siècle à la lin du V’avant Jésus-Christ ; 5" le commencement de la décadence ; 6 » la lin de la religion grecque.

I. Les origines. — Remonter au delà d’Homère eût semblé chimérique, il y a cinquante ans. On croyait avec Fénelon que l’Iliade et l’Odyssée nous représentaient au vif la simplicité du monde naissant. Pourtant cet inconnu a tenté de hardis explorateurs, et nous savons maintenant que, sous la Grèce des temps homériques. il existait une civilisalion mycénienne déjà brillante (environ lôooà iioo). Les découvertes archéologiques de l’Allemand SciiLiEMANN à Hissarlik, l’antique Ilios (1871), à Mycènes (187’, -1876), à Tyrinthe (1884-188ô), nous ont révélé ce passé antérieur à Homère. Sur d’autres points, des recherches analogues ont été entreprises : à Santorin, lalysos, Spata, surtout dans l’ilc de Crète : le chef de la mission archéologique anglaise, sir Arthur Evans, y a déblayé le palais de Cuosse, et comme les parois en étaient ornées à profusion de doubles haches (en lydien, lairy.s), il a proposé d’y reconnaître le « Labyrinthe » ou palais de la Hache, où la fable grecque faisait régner le roi Rlinos. Ces fouilles, et celles de M. Halbuiîrr à Phæstos. ont l>ermis de remonter dans l’histoire de la civilisation jusqu’au delà de l’an 2000 avant Jésus-Chrisl. (Les résultats de ces recherches viennent d’être clairement et brillamment exposés par M. René Drssvii », Les civilisations prèhelléniques dans le bassin de la mer Egée, Paris, 1910 : cet ouvrage complète heureusement celui du R.P. Lagrange. La Crète ancienne, Paris. igo8.)

De toutes ces découvertes, l’histoire de la religion grecque devait naturellement tirer prolit. Les savants ont cherché à lixer (jnelques traits de ce culte ancien, qui précéda Homère. Dans la Grèce historique, grâce aux fouilles ic Délos, Delphes, Eleusis. Epidaure, Dodonc, ils ont étudié plus minulieuscmenl les rites locaux, cherché jusiiu’où ces usages pion397

GRECS (RELIGION DES)

398

.-aient leurs racines dans le passé. Il faut reconnaître pourtant que « dans la détermination des éléments primitifs de la religion ^ecque, nous en sommes encore aux premiers essais i>.(CnAXTEPiE oe i.v Sacssaye, Manuel d’Histoire des Religions^, trad. franc, Paris, 1904, p. 492.)

Les positions de la critique se sont sensiblement raodilîces depuis vinf^t-oinq ans. Pour s’en convaincre, il sulUt de lire, dans l’A>terliimsi : sscii.’<chalt de KnoLL (Leipzig, iyo5), l’article de Bloch résumant révolution de la sciencede 18y5 à 1900, — ou lelivre <le Gni’PPE. Vie myihologische Literatur ans den Jahren IS98-1005 (Leipzig, 1908). — De nos jours, les philologues ont, pour la plupart, renoncé aux tentatives de Max Miiller de reconstituer, d’après la grammaire comparée, une religion indo-européenne, a Si l’on met à part, dit M. Meillet, les astres, comme le soleil, la lune, ou les phénomènes naturels, comme l’aurore, le tonnerre, le feu, etc., qti, sous leur nom ordinaire, sont tenus pour divins dans l’Inde et la Grèce antique, pas un nom de dieu n’est indo-europ ? en commun… Tout ce que la linguistique enseigne sur la religion indo-européenne, c’est l’existence d’une certaine conception de la divinité. » Le nom indo-européen « dieu » ou « divin r, qui se retrouve en sanscrit, lithuanien, vieux prussien,-v ieil islandais, gaulois, vieil irlandais, latin et grec, signifie u brillant », et ne saurait être séparé du « jour i^, du

« ciel lumineux » souvent divinisé (grec ZrJ- : , latin

(lies). Par opposition aux hommes, qui sont appelés les a mortels a ou les « terrestres », les dieux apparaissentcomrae les êtres célestes et immortels. Quant aux rapprochements plus précis, tentés entre les ilieux grecs et les dieux des Vedas. Hermès et Sarameias, Erinys et Saranyu, les Centaures et les Gandharvas, et même Ouranos et Varuna, ils sont généralement abandonnés, la linguistique indoouropéenne ne pouvant apporter à la mythologie comparée « aucun témoignage solide ». (Maillet, Introduction à l’étude comparat’ive des langues indoeurop-’cnnes, Piir’is. 1908, p. 363-365.)

Ceci soit dit, à s’en tenir strictement aux seules données de la philologie, et encore peut-on trouver que, par réaction contre Max Miiller, beaucoup minimisent à l’excès l’apport de la linguistique. Bien que plusieurs le contestent, l’équivalence du sanscrit /hâus pitur, grec Zt., i-y-cp, latin fuppiter, germain ; /f(H, rend extrêmement vraisemblable chez les Indo-Européens la conception d’un dieu de la lumière et du ciel, régent suprême du monde et des autres divinités. De plus, si l’on compare non plus seulement les noms divins, mais les mythes, les idées religieuses elles-mêmes et les attributs de la divinité, on ne peut nier l’origine comnmne d’un grand nombre de ces conceptions, remontant à une période ancienne de la race indo-européenne : culte j des morts et croyance à la survie, sacriûce, hommages aux dieux, idée du Destin, sans que ces conceptions plus élevées excluent nécessairement des éléments inférieurs de superstition animiste ou de ma--ic. (Sur ces questions, voir ScnRADER. Arran Heli

: in dans Hastixgs, Encyclopædia of Heli^ion and

vV//ji’cs, vol. II, p. II sqq., 1909 ; Hirt, Die Indogermannn, 1907 ; Ed. Meyer, Geschiclite der Altertums, 2’édit.. 1907 ; L. DE LA V.4LLÉE PofssiN, Zc Védisme, 1908 (Bloud) ; A. Carxov, La Religion des Indo-Européens, dans Christus, Manuel d’Histoire des Religions (J.}liB). Paris, 1912.)

En descendant en Grèce par le nord, les Hellènes trouvèrent le paj’s déjà occupé, et ils subirent l’influence des peuples qu’ils soumettaient ou poussaient devant eux. Ces questions d’influences sont loin d’être tranchées : la facilité qu’avaient les Grecs,

comme les Celtes, de s’assimiler leurs emprunts, en rend le discernement dillicile. Pourtant, on peut attendre des découvertes Cretoises quelque lumière sur ces problèmes complexes. Déjà, un certain nombre derapprocliements ont été signalés avec l’Egypte et les civilisations orientales : présence, parmi les motifs de décoration, de la double hache, de la croix gammée ou svastika, autels avec cornes de consécration, rôle proéminent du taureau dans les sacrifices, etc. — Reste à déterminer la limite, souvent incertaine, de ce qui peut être analogie ou emprunt direct.

Si délicate que soit la tâche, essayons pourtant de dessiner les grandes lignes de la religion grecque primitive, autant que l’histoire ou la « protohistoire » peut les atteindre.

Dans cet exposé, nous utiliserons les résultats des fouilles faites en Crète et dans les iles de la mer Egée, bien que cette civilisation Cretoise semble antérieure à l’invasion des Hellènes proprement dits. Mais, suivant la remarque du R. P. Lagr.vnge, « si l’archéologie reconnaît, entre les temps minoens et les temps helléniques, vme transformation qui accuse la présence d’un peuple nouveau, elle proclame plus encore les affinités internes des deux civilisations ». (f.a Crète ancienne, p. 135.)

Pour commencer par les formes religieuses les moins relevées, nous pouvons noter comme très ancien le culte des pierres. En Crète, on a signalé des piliers sacrés, mais il n’est pas certain que ces piliers fussent honorés pour eux-mêmes, comme les bétyles asiaticjues, indépendamment de l’insertion ou de la suspension d’un emblème religieux, tel que la double hache. (Voir R. Dissaid, Les civilisations préhelléniques, p. 2 1 2 sqq.) Dans la Grèce historique, on retrouve de nombreux vestiges du culte des pierres (cf. DE WissER, De Græcorum diis non referentihus speciem humanam, Leyde, 1900 ; — Ch. Michel, Les survivances du fétichisme dans les cultes populaires de la Grèce ancienne, dans la Revue de l’Histoire des Religions, septembre 1909). En 405 avant J.-C, une pierre qu’on croyait tombée du ciel devenait aussitôt un objet de vénération pour les habitants de Clicrsonèse. Théophraste (Caractères, xvi) nous dépeint le superstitieux s’agenouillant devant ces pierres que la dévotion du peuple a consacrées aux carrefours, et versant sur elles toute l’huile de sa fiole. Au Ile siècle après J.-C, Pausaxias signalait encore, dans les temples grecs, de ces pierres sacrées, les unes brutes, les autres taillées en forme de cippe et de pyramide, ou surmontées de têtes de dieux. Ainsi à Thespies on vénérait une pierre, emblème dii, culte d’Eros, une autre dans le temple d’Héraklès à Hj-etle en Béotie, trois dans le temple des Charités à Orchomène, trente à Pliaræ en Acha’ie. Patisanias et ses contemporains regardaient la plupart de ces pierres comme des symboles ou des statues, à peine ébauchées, de divinités : dans la pierre d’Hyelle, c’est Héraklès qu’on adorait. Parfois ces rites étaient expliqués par quelque légende ou mythe. La pierre de Delphes, que chaque jour on arrosait d’huile et qu’en des occasions plus solennelles on entourait de bandelettes de laine (Pausan., X, xxiv, 6). passait pour être la pierre même que Kronos avait dévorée au lieu de son fils Zeus. La conception primordiale semble avoir été, — au moins en certains cas,

— celle d’un culte fétichiste : l’aérolithe était regardé comme animé de « pielque esprit surnaturel ; qui le possédait, se trouvait nanti d’un talisman contre la pluie, les orages ou les maladies.

A ce culte des pierres, les anciens Grecs ont-ils joint celui des arbres ? Si nous consultons les usages des époques qui suivirent, nous constatons que beau399

GRECS (RELIGION DES)

4C0

coup J’arljres y étaient tenus pour snrrés. Sans parler de ceux qui agréaient davantage à telle ou telle divinité, — le chêne à Zeus, l’olivier à Athéna, le laurier à Apollon, — d’antres étaient vénérés comme résidences des dieux eux-mêmes. A Carye, en Laconie, Artémis habitait un noyer, à Boiæ un myrte, à Orchomèneun cèdre. Les Hamadryades se fixaient dans les chênes, les Mélies dans les frênes. Suivant la conception la plus commune, incorporées à l’arbre, elles vivaient et mouraient avec lui. Ce culte remontait à des temps très anciens. Homère, il est vrai, ne connaît point la dénomination d’Hamadryades, mais avec les divinités des sources et des fleuves, il mentionne, sous le terme générique de Nymphes, les déesses qui peuplent les prairies et les bois oml>reux. De même, en Crète, le culte des arbres est attesté par de nombreux monuments, beaucoup plus nettement que le culte des pierres : le palmier, le pin, le cyprès, la vigne, le figuier, l’olivier étaient tenus pour sacrés. Gruppe rattache le culte des arbres à un autre culte très antique, celui du feu. La vénération serait remontée du foyer aux arbres servant à l’alimenter. La relation n’est point évidente. Le culte des arbres peut s’expliquer plus simplement par la tendance à prêter une personnalité vivante aux forces productrices, souvent mystérieuses, du monde végétal. D’ailleurs, à mesure qu’on s’éloigne des origines, des légendes se forment pour expliquer ce culte des arbres, et le rattacher à quelque épisode de Ihistoire divine ou héroïque : c’est ainsi qu’à Trézène, Pausa-NiAS vil un myrte sacré, dont chaque feuille était percée d’un trou. Ces trous, disait la fable, provenaient des coups d’épingle à cheveux que Phèdre y avait donnés quand elle se consumait d’amour pour Ilippolyle.

Les Grecs connurent aussi les animaux sacrés, comme l’attestent les survivances du culte à l’époque historique. Entre tous, les serpents élaienl un objet de vénération : tel le serpent de Démétcr à Eleusis, le serpent de l’Acropole d’.Vthènes, à qui l’on offrait chaque mois des gâteaux de miel. Les serpents étaient spécialement associés au culte d’Asclcpios ; le dieu de la médecine se plaisait à emprunter leur forme pour se manifester à ses fidèles. Les autres dieux avaient leurs animaux favoris : l’aigle est l’oiseau de Zeus, la colombe csl dédiée à Aphrodite, la chouelle à Athéna. D’ailleurs, ce domaine n’est pas exclusif, et le même animal, par exemple le dauphin, pourra appartenir ù.pollon comme à Poséidon. Tantôt CCS préférences sont fondées sur les attributs de la divinilé, tantôt elles sont ducs à des circonstances purement fortuites : c’est ainsi que la chouette ne semble avoir été associée définitivement au culte d’.Vthéna, que parce que les Athéniens l’adoptèrent comme frappe monétaire, à la fin du vii « ou au début du vi" siècle avant Jésus-Christ. (Cf. PoTTiiiu, rSulletin de correspondance hellcniqiic, novembre-décembre 1908, p..5-29 sqq) Dans les représentations, on juxlaiiosait d’ordinaire le dieu et l’animal qui lui était consacré. Parfois |)ourtant, les formes humaines et les formes animales se mêlent pour donner des êtres monstrueux, qui font songer aux Horus ou aux lois de l’Egypte. La Crète a fourni une ample série de sceaux ou d’empreinles. portant des représentations de minotaures, déesse-lionne, déesse-aigle, etc. Des figurines féminines à tête de vache ou de brebis, — de date relativement récente,

— ont été aussi exhumées à Lycosoura, en Péloponnèse. On n’est pas encore arrivé à déterminer exactement le caractère de ces étranges personnages : il semble pourtant qu’on doive les ranger, non dans la catégorie des divinités proprement dites, mais dans celle des esprits, des ôai’wjys ; , que la supersti tion populaire redoute et vénère (cf. Karo, Arch. fiir Beliiiionsivissenschaft, 190^, p. 153-154). Salomon Reixach s’est appuyé sur ces faits et d’autres du même genre pour allirmer l’existence du totémisme dans la Grèce antique. La plupart des historiens des religions n’ont point cette assurance : Holwerda, Farnell, Van Gexnep, Hubert et Mauss, Toutain se tiennent sur la réserve, trouvant l’hypothèse plus ingénieuse que solide. Dans son étude sur les survivances du fétichisme en Grèce. Ch. Michel s’est prononcé nettement contre, ajoutant que « Frazer, qui a tant fait pour la connaissance ilu totémisme, est arrivé pour la Grèce à une conclusion identique ». (Revue de l’histoire des lieligions, t. LX, septembre 190g, p. 159.)Sans recourir au totémisme, le culte des animaux peut s’expliquer par la croyance soit à des incarnations < occasionnelles » de la divinité dans certains animaux plus redoutables ou moins connus, soit à la présence permanente d’un esprit mystérieux, dont on ne s’approche qu’avec respect et qu’on prend garde d’irriter. Comme le culte des pierres et des arbres, le culte des animaux ne serait qu’une forme de la croyance en des forces surnaturelles, logées dans des objets matériels.

Montons d’un degré, nous atteignons le culte des morts. L’archéologie nous fournit des détails assez précis sur la civilisation créto-mycénienne. De nombreux sépulcres de types divers, tombes à coupoles, tombeaux à puits ou creusés dans le roc, ont été retrouvés en Crête et sur divers points de la Grèce continentale, à Mycènes, à Vaphio (Laconie), à Menidi (Attique), à Orcliomène (Béolie), à Dimini(Tliessalie). Plusieurs faits rcssortent de ces découvertes. Les cadavres ont été inhumés, d’ordinaire sans embaumement, et, contrairement à l’usage homérique, sans avoir été brûlés. Les Grecs croyaient à une survivance, au moins partielle, de leurs morts, et ils les honoraient par de nombreuses offrandes. Les os et les cornes de taureaux, mouton- : , chèvres, etc., trouvés à l’intérieur ou à l’entrée des sépulcres, ne peuvent être que des restes d’holocaustes. Dans le vestibule ou dromos des tombes rupeslres de Mycènes, les ossements humains sont même en si grand nombre, que Perrot admet l’hypothèse de sacrifices de captifs ou d’esclaves : à qui s’en étonnerait, il suffit de rappeler, dans l’Iliade, Achille immolant douze Troyens sur le tombeau de Patroclc (//., xxiii, i^5176). Aux sacrifices se joignaient de multiples dons, qui constituaient au mort tout un mobilier funéraire : armes, bijoux, ’vases en or et en argent. Ces offrandes ne se bornaient pas à la seule cérémonie des obsèques, mais elles étaient fréquemment renouvelées. Ce culte avait un cai-actêre familial ; à Mycènes, comme l’a remarqué M. ïsountas, les tombes ne sont point éparses, mais forment des groupements séparés ; au centre, un autel en grosses pierres servait aux sacrifices. Il semble légitime de voir dans ces rites funéraires une des origines du culte des héros, destiné à prendre un si large développement à partir du VII’siècle.

Au terme de notre progression ascendante, nous arrivons aux dieux de l’anthroporaorphisine. Ces dieux, conçvis comme des hommes magniliés, nous apparaissent, dans Homère, dessinés d’un trait vif et précis. Cette religion épique avec ses légendes supposées connues des lecteurs, ses dieux nettement différenciés par des formules stéréotypées, n’a point émergé spontanément de la pensée du poète ; comme l’épopée, elle supi)<)se une lointaine élaboration. Les trouvailles archéologiques prouvent que, longtenijis avant Homère, on prêtait à la divinité des formes humaines. En Crète, on a exhumé des statuettes de déesses dont quelques-unes, qui représentent peut401

GRECS (RELIGION DES)

402

être la Torrc mère des dieux cl des lioniiues, renionteiil j>is([u’à 2600 avant Jésus-Clirist. Les statuettes de dieux mâles sont fort rares ; en revanche, on rencontre souvent, comme emblèmes religieux, la douille lir.clie ou bipenne, et le bouclier en huit. « La hache double et le bouclier en huit semblent représenl <’r le même dieu céleste ; la hache double concenlrant i>lus spécialement cette force divine qu’est la foudre, tandis que le bouclier était en relation avec le tonnerre. A l’époque des palais minoens et mycéniens, c’est bien le grand dieu céleste, le Zeus Krétagénès pour l’appeler du nom qu’il portera plus tard, qul manifeste sa puissance multiple par ces divers attributs. Doit-on envisager qu’en des temps plus reculés, les forces célestes étaient conçues comme des entités distinctes, indépendantes de la figure du grand dieu, c’est-à-dire qu’on adorait la hache (la hache double ne devait pas encore être en usage) en elle-même, ou l’esprit de la hache ?… C’est possible, mais nous ne pouvons le déduire de nos itocumcnts. Dès qu’ils apparaissent, la double hache, le bouclier en huit… sont les attributs des grandes ligures divines. i> (11. Duss.iun, op. cit., p. 20’ ;.)

Nul doute aussi qu’avant Homère, lesGrecs n’aient distingué les dieux de l’Olympe et les dieux chthoniens. Ces derniers semblent avoir été spécialement honorés par les groupes béotiens et doriens. Dans Homère, qui représente avant tout la civilisation ionienne, les dieux de l’Olympe allirment nettement leur hégénuinie et les dieux chthoniens passent à l’arricrc-plan. L’elTacementsera transitoire. Le cvilte des divinités de la terre et de la végétation, avec ses rites d’une saveur archaïque, seconservera dans la religion populaire, au sein des populations agricoles. Les M.vstères lui donneront une nouvelle vie : l’adoration des divinités chlhoniennes et productrices sera » le fond de tous les mystères grecs, et en particulier de ceux d’Eleusis ». (Lkîsormant, dans le Dictionnaire de.i antiquitcs grecques et latines, art. Eleusinia, p. 544-)

Dans cet exposé, pour plus de clarté, nous sommes allés du moins parfait au plus parfait. Il ne faudrait pas en conclure que dans la réalité historique les Grecs ont passé graduellement des forces inférieures du fétichisme à une conception plus haute. Ce que l’on constate, c’est la juxtaposition de ces l’ormes du sentiment religieux, non l’évolution. Aussi loin que l’ethnologie, l’archéologie ou la linguistique remontent, nous trouvons des dieux adorés conimedes êtres célestes et immortels. Et psychologiquement, on ne prouvera jamais que l’homme a dû commencer par s’imaginer les êtres su])érieurs dont il se croit dé|)endant, comme enfermés dans des pierres, des arbres ou des animaux, et ensuite, jiar un travail de réllexion successive, les ait conçus à l’analogie des êtres humains, avec des passions, des intentions et des formes humaines. C’est un procédé trop naturel à l’homme de tout concevoir à son image et ressemblance, pour que l’on ait le droit de supposer ici ré olulion, bien que d’ailleurs il ait pu mettre un certain temps à trouver les formes d’art concrètes, qui exprimassent ses idées religieuses. Et pour ce qui est des Grecs, la conception d’un dieu du ciel, dont la foudre est le principal attribut, est une de celles qui s’allirment comme les plus anciennes et primitives’.

Aux partisans d’un évolulionnisme radical, qu’il nous soit permis d’opposer en terminant les sages

1. Dans la o* édition altemaiijedii yîannct de Ch.vntf-Pir DELA Saussayf, Holwkrda reconnaît que cette idée A’nn dieu du ciel, régent suprême du inonde, peut remonter très loin dans les temps préhelléniques (p. 21)4).

réflexions, que suggère à M. U. Dissaud l’élvule des civilisations les plus anciennes de la Grèce : « Aussi haut que nous puissions remonter, c’est-à-dire dès l’époque néolithique, les Egcens ont conçu certains dieux sous forme humaine… La conceiition des divinités sous forme hunuiine est inqmrtante à constater aux plus hautes époques, des la prise de possession des lies grecques par l’homme. Les théories sur l’évolution religieuse en cer régions n’en tiennent généralement pas un conqite suffisant. La conce|)tion anthropomor[)lie n’exclut pas la conception des divinités sous forme animale ou sous la forme d’un arbre, d’une pierre ; ces conceptions ne sont pas antérieures l’une à l’autre ; elles coexistent. Il faut prendre garde, quand on parle des progrès de l’anthropomorphisme, que ces progrès ne doivent s’entendre que des représentations Ogurées. A certaines époques, le développement des arts i)lastiques s’est répercuté sur le matériel du culte ; mais il n’y a pas eu introduction d’une notion nouvelle. La preuve en est fournie par les idoles néolithiques, qui, bien q>ie plus anciennes, sontcependant plus voisines du type humain que les idoles des îles, dites en violon. » (R. Dussaud, op cit., p. 220, 223.)

II. Homère. — W. Cuhist place la composition de l’Iliade entre 850et 780 ; celle de l’Odyssée, entre 800 et 720. Maurice Croiset place l’Iliade au ix’siècle, l’Odyssée, fin du ix’et première moitié du vin’. Hieii que la thèse contraire ait ses partisans, il semble bien que les poèmes homériques nous ont gardé de nombreux vestiges de l’époque mycénienne, dont la civilisation cessa vers l’an 1100, après les invasions des tribus doriennes.

L’Iliade et l’Odyssée ne sont point un traité didactique de mythologie, l’œuvre d’une intelligence soucieuse de coordonner les légendes et de les exi)liquer méthodiquement. Et pourtant, l’épopée homérique, lue et relue par les générations, a exercé sur les idées religieuses des Grecs une influence capitale. La religion d’Homère, c’est l’efflorescence de l’anthropomorphisme. A peine si, de temps à autre, quelques épitliètes, quelques vers isolés nous font souvenir que cet anthropomorphisme dérie de conceptions naturalistes : la Terre est tantôt la déesse au large sein, tantê)t la déesse aux larges voies, Ilestia, la déesse du foyer, ne semble pas nettement dislingiu’e du feu, et au chant, xxi’de l’Iliade, nous voyons le dieu-tleuve Xanthos, au beau coiirant, s’enllammer de colère contre.chille, qui remplit son lit de cadavres. A part CCS lointains rappels d’une religion de la nature, les dieux se présentent modelés d’après un anthropomorphisme bien défini, qui s’imj)Osera désormais à l’esprit grec comme la forme nécessaire de ses inventions mythologiques. Après Homère, la fantaisie grecque ne sera point cristallisée. Toujours active, ellecréerade nouvelles légendes, mais toutes auront ce trait commun d’être frappées à l’empreinte anthropomorphique. Cette mythologie, née du désir de constituer aux dieux ïine histoire, et parfois aussi du besoin d’expliquer des rites anciens, devenus inintelligibles, se développera avec une fécondité incomparable. Par sa valeur esthétique, elle préparera l’alliance de la religion avec l’art, mais sa luxuriance même sera un danger pour le sentiment religieux proprement ilit. Des dieux si complaisants aux caprices de l’imagination humaine finiront par être traitéscomnu’les sinq)les jouets de cette imagination, et la vénération primitive ferajjlace au dilettantisme d’une pensée brillante et légère.

Les dieux d’Homère sont donc des hommes idéalisés. Des simples mortels, ils ont la forme, le visage, les membres, mais plus afTmés ; dans leurs veines, 403

GRECS (RELIGION DES)

404

court un lUiide luysléi’ieux, lX'^-’l’ii’es entretient dans l’immorlalité. Ils sont plus puissants que les héros, plus rapides dans leurs mouvements, ils peuvent, à volonté, se rendre visibles ou invisibles ; immortels, ils habitent dans le ciel les palais bâtis par Hépliaistos. demeures splendides où ils mènent une douce existence dans un printemps éternel. Tout i ;  :-andis qu’ils sont, ces dieux n"en restent pas moins des êtres imparfaits. Us ont commence dans le temps, et leur vie reste soumise au rythme des jours, des mois et des années. Pour vivre, il leur faut des aliments, l’ambroisie ou le nectar : à la suite de Zeus. tous s’empressent au festin que Icurolîrent les Ethiopiens irréprochables. A l’abri de la mort, ils demeurent accessibles aux blessures et à la douleur : Dioniède blesse dans le combat Aphrodite et Ares, qui rentrent gémissants dans l’Olympe.

Au moral, la limitation est aussi sensible. Les dieux ont leurs passions, leurs amours, leur patriotisme local. Tous se mêlent avec ardeur aux luttes humaines, et les traits que leur prête Homère ne sont point toujours à leur honneur. Apollon tue Patrocle par trahison. Athéna trompe lâchement Hector. Dans le vif du combat, Apollon lance à Ares les cpithètes de « lléau des hommes, souillé de meurtres, brigand de grand chemin ». Hélène pourrait invoquer, comme excuse de son inlidélité, l’histoire d’Ares et d’Aphrodite, si populaire que le poète la rappelle deux fois.

Cet Olympe, Homère l’organise en monarchie. Au sommet, domine Zeus, le dieu souverain, dont un froncement de sourcils ébranle le monde. Au-dessous s’échelonnent les autres dieux et déesses : Héra, l’épouse de Zeus ; Athéna, sa fille de prédilection ; Ares, le dieu de la guerre : Phoibos Apollon ; Hermès ; Hépliaistos, le forgeron boiteux et habile ; Aphrodite la dorée ; Poséidon et Hadès, les deux autres Kronides, se partagent la souveraineté des mers et du monde souterrain, mais s’inclinent devant Zeus. leur suzerain. Homère ne mentionne qu’incidemment Dionysos et Déméter ; il ne connaît point les conceptions religieuses, centralisées autour de Dionysos, Démêler et Koré, d’où sortiront plus tard les mystères d’Eleusis.

Juxtaposé ou plutôt superposé à la puissance des dieux, Homère mentionne un autre pouvoir, la Moira. l.a question a été souvent posée : quelles relations unissent Zeus et la Moira ? C’est là un problème obscur. Il ne faut point s’en étonner dans un poème, qui n’est point un traité didactique, ni, en son entier, l’œuvre du seul Homère.

A prendre les textes dans leur ensemble, la Moira se présente comme la puissance qui fixe la destinée des êtres, plus spécialement la destinée de chaque homme, surtout l’heure et le genre de sa mort. De là, l’union fréquente de Msr/sa et de Oy. : v-’^i {[L, iii, ici ; V, 83 ; XVI, 33^, 853 ; XVII, 4/8, 672 ; xx, ! i-^-j ; as.i, 11 ; XXII, 436 ; XXIV, 132). En d’autres passages, le mot de M-Apy. n’exprime que l’idée concrète, particulière, de mort inévitable : ainsi le traduit le l.exicon Homericuin d’EuELiNG, //., vi, ^88 ; xii, 116 ; xviii, 420 ; Ooîvs., XI, 560 ; xxiv, 29.

Cette destinée qui pèse, irrésistible, sur les misérables mortels, qui l’a fixée ?Est-eUe une force personnifiée’.’Est-ce la loi édictée par Zeus, dans sa souveraine volonté ?

La plupart des modernes, après Welcker, identifient la Moira à la volonté des dieux, surtout de Zeus. Plus d’un passage, où la Moira est unie au nom de Zeus ou d une autre divinité IL, xvi, 849 ; xviii, 119 ; XIX, 87 ; XIX, 4 10) cadre avec cette interprétation. Pour les héros, la Mort est tantôt le décret inévitable de la Moira (//., vi, 488-489), tantôt le

décret, non moins inéluctable, des dieux. L’antinomie s’évanouit, si l’on admet l’identité de la Moira et des décrets divins. Pourtant cette théorie ne résout pas toutes les difficultés : comment se fait-il que Zeus paraisse si craintif en face de la Moira, que pratiquement ils’incline devant elle, et n’ose dérober à la mort Hector et Sarpédon, ces deux hommes I chéris » ? Le moyen de tout concilier serait de considérer la Moira comme un plan de Providence que Zeus s’est fixé une bonne fois, et dont, par res-pect pour l’ordre établi, il ne veut plus se départir. Mais n’est-ce point prêter à Homère trop de profondeur de philosophie et de netteté de conception ? N’ous inclinons à penser que les Grecs, sans examiner à fond le problème, ont i u dans la Moira cette loi qui domine la vie des misérables mortels et s’oppose aux volontés contradictoires des Immortels, une Règle supérieure aux dieux, et non dérivée de leur essence ou de leur volonté.

Il nous reste à indiquer un dernier caractère de la religion homérique : l.i croyance à la vie future. Vouloir coordonner tous les détails en une harmonieuse synthèse est tâche impossible : comme les légendes, les croyances ont subi des relouches ou des additions disparates. Des it scholars n aussi pénétrants que MoNno renoncent à accorder entre elles les deux Nékyias (Odyssée, xt et xxiv). Essayons simplement de dégager quelques idées plus foncières.

Les Grecs des temps homériques se figuraient l’àme, i-j/f : , comme un principe matériel, un air subtil, attaché au corps jusqu’au moment de la mort. Le trépas survenu, l’àme s’échappe, conservant la forme et l’image du défunt, mais une image pâle, exsangue, insaisissable aux vivants. Ce fantôme se rend vers les demeures d’Hadès. Pour qu’il en franchisse les portes, il est de toute nécessité que le corps ait été enseveli. Seule, la seconde Xékyia présente une opinion discordante : les ànies des prétendants arrivent dans la prairie d’asphodèles, où habitent les ombres (OJys., xxiv, 13-14), bien que leurs corps gisent sans sépulture dans le palais d’Ulysse (Odys., XXIV, 187). L’ensevelissement effectué, l’àme voit s’ouvrir les portes des Enfers. L’Odyssée les place très loin, dans l’ouest, au delà du pays ténébreux lies Cimmériens, aux limites du profond Océan. Ce séjour est sous terre : les expressions /Jo^yôJiityvi (Il., VI, 4’0.’"= yiM-’n /j-ir.i IL, XXII, 482 ; Odys., xxiv, 204) l’indiquent clairement. Pourtant la première Nékyia a prêté sur ce point à discussion. L’auteur ne dit pas nettement si l’Erébe est une région souterraine, ou simplement extra-solaire, proche du rivage où a débarqué Ul.vsse. La première opinion, admise par RoHDK. Martin, Mairice Croisbt, Bérard, semble plus probable.

Quelle est la condition des àræs dans l’Erèbe ? Rien ne la met en plus vif relief que la plainte d’Achille à Ulysse : « J’aimerais mieux être sur terre serviteur d’un païuTc hère, que roi de tous les morts. » {Odys., XI, 489). De l’être humain, il ne reste qu’une ombre, un eiôv/^v mince et vague, sans mémoire, sans intelligence, traînant une existence indécise. Pour que quelques pensées s’agitent encore sous sa face décolorée, il lui faut manger la chair fraîche ou boire le sang desanimaux noirs (Odys., xi). Dans la seconde Nékyia, de composition postérieure, les âmes des héros ont gardé conscience et souvenir : Achille et Agamemnon devisent du passé dans la prairie d’a-^pliodèles.

Quelle qu’ait été leur vie terrestre, l’Hadcs ne réserve aux âmes ni châtiments ni récompenses personnelles. Trois criminels seulement nous sont signalés comme soumis à des supplices extraordinaires : Tityos (Odys., xi, 076), Tantale (Odys., xi, 682) et '.05

GRECS (RELIGION DES)

406

Sisyphe (Oclvs., xi, SgS), tous trois cliàlics vraiscmMablenicnt pour des iiltentats conlre les dieux. De, séjour liienlieureux, il n’est fait inenlion qu’une l’ois (Ods.. IV, 6(Ji-5(18). Protee annonce à Ménélas ((u’il lie mourra pas, mais sera transporté, corps et àine, par les dieux, à la plaine él, scenue, aux contins de la terre, où déjà réside le blond Uliadamanthe. « La vie y est très douce aux hommes : point de neige, d’hiver on de pluie, mais toujours l’Océan exhale la douce haleine du zéphyre qui les rafraîchit. » La raison de ce traitement privilégié n’est point la vertu héroï(pie de Ménélas, mais s.i parenté avec Zens :

« Tu as épousé Hélène ettu es gendre de Zeus » (Oïlys., 

iv.SGg). Les autres mortels, qui ne peuvent se prévaloir d’alliances aussi illustres, sont destinés, péleluêle, à l’existence lamentablement terne et monotone

« le l’Erèbe.

m. Hésiode. — Nous entendons sous ce nom les poèmes dits hésiodiques, i)rincipalement la Théogonie. Christ en place la composition vers l’an-oo. Croiset dit [)lutôl 800.

Après Homère, les poètes épiques s'étaient appliqués à fixer et à ordonner les légendes héroïques, diffuses dans le monde grec, de façon à jirésenleraux Hellènes le cycle complet de ces merveilleuses histoires. La Thétgonie répond aux mêmes velléités scientifiques, aux mêmes désirs d’ordre et d’arrangement : c’est un essai de synthèse des légendes divines. Dans une icnvre didactique, raide d’allures, l’auteur classe les généalogies des dieux, depuis le eomnieni’ement des choses, jusqu’iiu régne actuel de Zeus.

A l’origine, quatre êtres : le Chaos, ])robablenienf l’espace vide, Gaia ou la Terre, le Tartare dans les profondeurs de la terre, enfin Eros (l’amour). Du Chaos sortent Ercbos (les ténèbres) et Nyx (la nuit), de Nyx et d’Erebos, Héméra (le jour) et Ether (l’air lumineux). Gaia enfante Ouranos (le ciel), les montagnes et Pontos (la mer). De son union avec Ouranos, naît une multitude de dieux, les Titans, les Cyclopes, les Géants aux cent bras. Survient une première révolution : Ouranos, se montrant cruel envers ses enfants qu’il ensevelissait dans les profondeurs de la terre, est délrt>né par Ki-onos..près cet épisode, le poète dévide à nouveau le cycle des générations divines. L’on voit apparaître les Parques, la Mort, le Sommeil, les Songes, la Vieillesse et mille autres abstractions, dont le nombre pouvait accroître indéfiniment la mythologie grecque..-Vux Nymphes gracieuses succèdent les Monstres, Harpies, Chimères, Gorgones, Spliinx. Dans cette foule bigarrée, deux familles se détachent plus nettement : les Titans et les Kronides, nés de Rhéa et de Kronos. Elles se disputent un instant la royauté de l’Olympe. Zeus, qui a renversé son père Kronos, voit son empire menacé par les Titans..Vidé par les Géants aux cent bras, il précipite ses ennemis dans le Tartare. Une dernière victoire sur le monstre Typhée assure son triomphe, et le poète n’a plus qu'à nous dire la naissance des derniers Olympiens.

t^ette Théogonie, d’une rigidité un peu fruste, a son importance dans l’histoire delà religion grecque. Elle nous apparaît comme le i)remier essai de cosmogonie, essai d ailleurs très rudimentaire, où l’imagination lient plus de place que la raison ])hilosophique. Pourtant, derrière le déroulement des généalogies, il semble qu’on entrevoie l’idée d’un progrès vers l’harmonie et la lumière. Par cet essai, le poète frayait la voie à ces^îî/c’yci, qui, au vu' et au vi" siècle, spéculeront sur la nature des dieux et l’origine des choses et identifieront les principes et éléments de l’univers (i/.ç/'Ai) avec des divinités déterminées. I.a Théogonie avait encore le mérite de ramifier.

aux yeux des Grecs, l’arbre généalogique de leurs multiples divinités, et elle resta pour eux un répertoire souvent consulté.

IV. Du 'Vir â la fla du 'V siècle avant J.-C. — .Vvec Homère, ranthropomor[ihisnie s'était nettement allirmé, et les dieux Olympiens avaient prévalu sur les dieux Chthoniens. Ces deux caractères se maintiendront dans la littérature classique et dans l’art. De cette inilucnce artistique, il résultera une mythologie commune, ollicielle, comprise de tous les Grecs dans ses grandes lignes. Ce panthéon panhellénique ne se constitua pas sans compromis entre les dieux Olympiens et les divinités locales et elithonieunes. Souvent, les Olympiens ont emprunté aux dieux détrônés des éléments qui leur étaient primitivement étrangers : ainsi Héra, divinité céleste dans Homère, était adorée à Olympiecomme divinité clitlionienne. Ailleurs les dieux vainqueurs dans cette lutte pour la vie gardent comme surnom ou È7ri>// ; Ti ; le nom du dieu qu’ils absorbent. Le culte d’Artémis en oll’re de nombreux exemples : dans les dénominations d’Artémis Britomartis, Artémis Eileithyia, Artémis Hécate, Artémis l[)higencia, les éjiithètes, ajoutées à Artémis, nous rappellent les noms d’anciennes divinités, qui se sont fondues avec elle.

Les Grecs ne se sont point préoccupés, dans ce mélange d'éléments divers, d'éliminer toute contradiction, d’harmoniser les légendes disparates. Il n’y avait point chez eux d’autorité imposant une profession de foi uniforme, de clergé enseignant une théologie précise. De là, beaucoup de flottement dans leurs conceptions, et une grande lil)erté, laissée à la fantaisie individuelle ou nationale. Sur le lieu de naissance de Zeus, que de divergences ! Les uns lui assignaient le mont Dicté, d’autres le mont Ida en Crète, d’autres le mont Ida en Troade, Naxos, le Tmolos, le Sipylos. Les épithètes, attribuées à une même divinité, variaient tellement que les Grecs eux-mêmes ne se reconnaissaient pas dans cette multiplicité : « N’y a-t-il ipi’une seule Aphrodite ou en exisle-t-il deux, l’Aphrodite vulgaire et l’Aphrodite céleste, je l’ignore », disait Socrate. (XÉxoPHOX, Banquet, viii, 9.) Au sein du même peuple, les individus ne se croient jioint liés à une interprétation uniforme de la mythologie. Les légendes sont altérées pour satisfaire l’orgueil aristocratique, la fantaisie des artistes, les conceptions des philosophes. Des conservateurs de vieille roche, comme Eschyle et Pindare, ne se font point scrupule de ces changements. H est un point, cependant, sur lequel les Grecs se montraient intransigeants : l’observation des rites traditionnels. " La doctrine était peu de chose ; c'étaient les pratiques qui étaient l’important ; c'étaient elles qui étaient obligatoires et impérieuses. » (FusTELUE CoULANGES, Cité antique, p. igS.) Qui pratiquait ces rites sviivant les usages des ancêtres, était religieux ; qui voulait les modifier ou les détruire, était accusé d’impiété, et exposé à la sévérité des lois.

En songeant à cette liberté d’interprétation, à cette création infatigable île mythes, on comprend combien il est dillicile de faire la synthèse des attributs d’une divinité, surtout de les rattacher à une idée unique, germe de toutes les légendes postérieures. Des mythologues naturalistes, comme Dechahmb, l’ont tenté : c'était se condamner à des prodiges d’ingéniosité. « L’extension de la sphère d’action d’un dieu, a dit Henri Weil, tient souvent à des causes accidentelles. Une tribu, une cité qui s’est habituée à regarder un dieu comme son patron spécial, l’invoquera en toute circonstance, lui demandera de protéger les moissons, les troupeaux, de veiller à la 407

GRECS (RELIGION DES)

'.08

fécondité des femmes, à la santé des hommes, à la prospérité du commerce et des industries, au succès des entreprises privées et publiques, sans s’inquiéter de savoir si tout cela s’accorde avec la notion primitive de cette divinité et ne rentre pas dans le domaine d’autres dieux '. u Contentons-nous donc de présenter sous leurs aspects les plus saillants les principales divinités de la Grèce liistorique.

Zeus est le dieu par excellence de l’iiellénisme, celui que le culte comme la poésie ont exalté au rang suprême. Maître du ciel, il habite l'étlier au-dessus des nuages, et il aime à être adoré sur le sommet des claires montagnes. De la région lumineuse où il réside, il régit les phénomènes célestes, il fait neiger et pleuvoir ; armé de la foudre que lui forgent les Cyclopes. il déchaîne les orages. Au moral, il est orné des qualités, qui conviennent au père des dieux et hommes. Il est le dieu qui protège les naissances, le foyer, la famille, les villes, il est le dieu de l’amitié, de l’hospitalité, le dieu des armes et des triomphes, le dieu purilicaleur et vengeur, le dieu doux, refuge des suppliants. H est tout-iiuissant et sage, il connaît l’avenir et le signilie par ses oracles. Cette majesté, dont la statue de Zeus, sculptée par Phidias, était aux yeux des Athéniens le magnilique symbole, se voilait pourtant de bien des ombres. Comme tous les dieux grecs, Zeus a son histoire, il est né, a grandi, est arrivé au pouvoir par la violence. Depuis lors, bien des épisodes ont varié sa vie ; les récits antiqties et populaires abondaient en aventures amoureuses d’une révoltante immoralité. Chez les philosophes et les poètes d'àme plus haute, l’idéal s’allina avec le temps, si bien que dans l’hymne de Cléanthe (ut' siècle avant J.-C.)Zeus représente le dieu unique de la philosophie stoïcienne.

lille de Kronos et de Uhéa, Héra est la sœur et l'épouse de Zeus, dont elle partage la puissance. Elle était tonte désignée pour être la divinité protectrice du mariage. C’est le trait dominant de son culte, qui fleurit à Argos et dans le Péloponnèse.

Plus en honneur chez les Ioniens, surtout en Attique, apparaît.théna. la fille favorite de Zeus. Les hymnes homériques la font jaillir, tout armée, de la tête du i)ère des dieux. Quelques mythologues ont voulu découvrir « sous la légende le caractère primitivement naturaliste de la déesse. Pour les uns, Athéna aurait été la divinité des orages, de l'éclair qui fend le ciel nuageux, pour d’autres, la déesse de l'éther lumineux ou troublé. De cette conception, il ne reste dans son culte aucun souvenir précis. Les attributs, dont l’a enrichie l’imagination grecque, sont d’ordre moral et polititjue..lhéna est honorée comme la divinité poliade par excellence, la protectrice des cités et des acropoles. Vierge guerrière, elle reçoit le butin des lances triomphantes. A l’intérieur de la cité, elle veille sur les affaires publiques, le commerce, l’industrie, les arts. En Attique elle protège la culture de l’olivier, la grande richesse du pays. C’est à Athènes que le personnage d’Athéna a pris son plus magnilicpie développement. Les marins, rentrant au Pirée, pouvaient apercevoir sa colossale statue dominant l’Acropole, et la saluer comme la personnilicalion idéale de leur cité intelligente et active.

Avec Athéna,.poIlon, fds de Zeus et de Latone, est une des divinités les plus puissantes du monde grec, cl réunit en lui de multiples attributs. Dans les campagnes les plus isolées, en Arcadie et en La . Journal des Saranh, ISHi), p. 279. Le passage de lu vie ngricole à la vii> de cilé a <lù olre imc des causes pnncqiales de la, super|>osil.on d’attributs moraux assez divers aux atlriliuls natunls.

conie, il est le dieu des bergers et des pâturages. Les Ioniens de Délos saluent en lui le dieu de la poésie et des arts, qui conduit le choeur des Muses et des Grâces. Il apparaît tantôt distinct de Ilélios, le dieu du soleil, tantôt identilié avec lui, mais seulement à partir du v' siècle avant Jésus-Christ. — A Delphes, il est le prophète toujoursccouté, rendant les oracles ipie lui dicte Zeus en personne. C’est au vn= siècle qu’Apollon devient par excellence le dieu des oracles, et commence à se réserver le monopole presque exclusif (le la mantique : « Il ne faut d’ailleurs point considérer la mantique inspirée comme issue du culte d'.pollon, mais de celui de Dionysos ; elle a pris naissance chez les fidèles de Dionysos, qui dans l’ivresse de leurs états extatiques croyaient entrer en communion intime avec leur dieu. » (BoxLEn, flulletin de rinstitut catliolique de Purix. décembre iqio p. 170.) ' '

Comme Apollon, Artémis, du moins d’après les traditions épiques et lyriques, est lille de Latone et, pour faire pendant à son frère, on l’identiGa avec Hécate et Séléné, les déesses lunaires. Roscher cite Eschyle comme premier témoin de cette fusion. — Les traits primitifs sont ceux d’une déesse de la fécondité, patronne des campagnes et des animaux. Elle parcourt en chasseresse les bois et les montagnes ; vierge, elle protège la chasteté et les amours légitimes. Au contact d’Astarté et de Cybèle, son culte devait s’altérer en Asie-Mineure, ct’l'Artémis d’Ephèse s’appropria les rites sensuels des divinités orientales.

Cette influence de l’Orient se manifeste plus profonde encore dans le culte d’Aphrodite, si souvent assimilée à l’Astarté sémitique, et aussi dans l’emprunt, fait aux Phéniciens, du mythe d’Adonis (le Tammouz des Babyloniens), le bel adolescent aimé par.phrodite, qui meurt et renaît chaque année, comme la végétation qu’il personnifie.

Parmi les grands dieux, il faudrait encore citer .rès, le dieu de la guerre, probablement d’origine thrace, Hermès, dieu des troupeaux et de la fécondité, devenu au xxiV chant de l’Iliade le héraut de Zeus, et au xxiV chant de l’Odyssée, le conducteur des âmes vers les enfers ; Hadès et Perséphone, le dieu et la déesse des morts, enfin les divinités qui présidaient aux mystères d’Eleusis, Déméter, la déesse de la terre nourricière, Koré sa fille, et Dionysos, dans lequel il ne faut voir primitiement ni un dieu du viii, ni un dieu de la bière, mais le génie de la végétation. On lui consacre le lierre, parce qu’en hiver cette plante toujours verdoyante semble le refuge de la puissance végétative. (Cf Paul PerDuiziiT, Ciilles et mythes du Pangée, Paris et Nancy, '9'0 ;) — Sur mer régnait Poséidon. Pour les uns' c'était, à l’origine, un dieu des forces soulerraineset des tremblements de terre ; d’autres y voient un dieu des eaux, devenuplus siiécialement le dieu des mers, quand ses adorateurs se lancèrent dans les courses maritimes.

Au-dessous des grands dieux, fourmillent des dieux secondaires, divinités terribles comme les Furies, divinités gracieuses. Nymphes des bois, des sources et des fleuves, les cinquantes Néréides et les trois mille Océanides, dieux n'émergeant qu'à demi de la bestialité. Pan et les cortèges de Silènes et de Satyres. Peut-être quelques-uns de ces êtres hybrides ne sont-ils que les surivances d’anciens démons de la pério<le mycénienne aux formes à demi animales.

Au VU" et au vi « siècle, l’histoire constate l'éi)anouisscmenl du culte des héros. L'épopée avait grandi, idéalisé ses personnages, peut-être aussi rabaissé certains dieux en décadence ; le culte des 409

GRECS (RELIGION DES)

410

morts avait dislingue dans sa vénération les ancêtres les plus illustres. De là, à en faire des. Surlumiines », intermédiaires entre l’humanité et la divinité, il n’y avait qu’un pas qui fut vile franchi. Les événements politiques favorisèrent ces sortes d’apothéoses, lin Grèce, les peuples se constituaient en groupements distincts, des colonies se fondaient sur les côtes d’Asie Mineure, de Chersonèse, de Tlirace, en Sicile, en Grande Grèce. Les nouvelles cités se cherchèrent des ancêtres glorieux, et, in)ur illustrer davantage leurs généalogies, elles divinisèrent leurs aïeiix prétendus. Diomède eut ses sanctuaires et ses fêles à Argyrippe et Métaponte en Grande Grèce, Adraste à Sicyone, Hélène et Ménélas à Sparte, Thésée en Allique, Achille sur les cotes de la mer Noire’. Le plus célèbre de tous fut Héraklès, le héros national des Doriens.

Pendant que la poésie et l’art s’intéressaient surtout aux dieux Olympiens, que le patriotisme local gloriliait les héros, le culte des divinités clilhoniennes et des morts restait très vivace, et se manifestait en de nombreuses fêles d’un caractère nettement populaire. Les paysans de l’Attique célébraient en l’honneur de Uéméter les Haloa à la récolte des fruits, les Proerosia avant les labours, les Chloeia, quand les moissons commençaient à mûrir. Les autres cantons de la Grèce avaient des fêles analogues, au temps des semailles, de la floraison ou des vendanges. (Cf. Nilsonn, Griecliische Feste… mit Jiisscliliiss der attischeii, Leipzig, 1906.) Partout aussi on retrouve le mythe du bel éphèbe, génie de la végétation, Karnos, Uyakinthos. Daphnis, Hylas, Linos, etc., dont le trépas raclièle à la jalousie des dieux la prospérité de la récolte. La religion populaire avait aussi gardé le souvenir de ces Jicii.r fuiictioiis, qui jouaient un si grand rôle chez les Romains. Parmi les dieux de la végétation, on pcul mentionner Pkytios, qui fait pousser les plantes, l’horhos qui est préposé aux pâturages, Paiidrosas, qui envoie la pluie printanière, Erechleus, qui brise les mottes de la glèbe, Triptulémos, qui accomplit un triple labour, Sminthios, qui chasse les souris des champs, Maléato^, qui fait mûrir les pommes… etc. D’autres président à la vie humaine : £ros, dieu de l’amour, I.éclio qui protège les femmes en couches, Kourotroplios qui prodigue ses soins aux nourrissons… etc. — Difficiles à distinguer de ces petits dieux spéciaux, sont les démons qu’a créés l’imagination populaire. « Citons, par exemple, les esprits qui protégeaient les diverses professions, 1 comme Eunostos, adoré par les meuniers et dont l’image se trouvait dans tous les moulins ; et comme cestXémonsvsbestos, Syntrips, Omodamos, Smara^os, et Sabakiès, que craignaient les potiers pour les dangers dont ils menaçaient la cuisson des vases ; ceux i que l’on invoquait dans les jeux publics, comme I Taraxippos, qui faisait peur aux chevaux, et ceux qui présidaient aux événements les plus ordinaires’de la vie, comme Matton et Keraon, qu’on honorait à

1..u V* siècle, certaines cités célèbrent non seulement des ancêtres lointains et mythiques, mais des personnages presque contemporains : le Spartiate Brasidas, mort à Amphipolis en 422, y est honoré comme fondateur ; Milliade reçoit aussi un culte dans la Cliersonèse de Tlirace.

— Des amateurs danalogies superficielles ont rapproché le culte des héros et le culte des martyrs chrétiens. « Si le recours aux uns et aux autres a quelque chose de commun et s’inspire d’un sentiment analogue, tpii est la confiance ingénue dans un monde surnaturel etdivin, le mode d’invocation diffère sensibleutent. Les païens ofîraicnt des sacrifices à leurs héros tulélaires. Jamais les chrétiens ne firent oflîciellement cette injure à leurs martvrs. * |E. VacaNDARD, Les Orif ; incs du culte <les Saints, dans la Revue du Clergé français, 1" novembre 1910, p. 314.)

S|)arte dans les banquets publics, et que l’on peut rapprocher de Deipneus, qui recevait, en Achaïc, des honneurs identiques… » (Ch. Michel, Les esprits dans les cruyances populaires de l’ancienne Grèce, dans Hevue d’Histoire et de Littérature religieuses (nouvelle série), 1910, 1, p. 200.) A cette catégorie, il faut encore rattacher les démons des maladies, et tous ces esprits étranges et terribles, rangés autour d’Hécate : Kères, Stryges, Lamies, Erinyes, et les fantômes, tels que Mormo, Akko, Empousa, dont les Grecs modernes n’ont pas encore oublié les terriliantes ligures.

Quant aux morts, malgré la tradition poétique qui les reléguait dans un monde souterrain, séparé lies vivants, le peuple continuait de les honorer, comme s’ils résidaient dans les tombeaux. Le So’jour de chaque mois leur était consacre : en ce jour, ainsi qu’aux anniversaires de leur naissance et de leur trépas, les tombes étaient arrosées de libations de viii, de lait, de miel ou de lait et de miel mélangés (y^/ixoy.rs »). Le troisième jour des Anlhesléries (en février) leur était aussi réservé : on leur offrait des pots de légumes cuits, puis on les priait solennellement de se retirer : survivance, semble-t-il, de conceptions populaires, qui regardaient les morts comme des êtres malfaisants, des revenants dangereux. (Comparer les Lémures à Rome.)

Enfin le vi’siècle voyait se développer, à côté de la religion nationale, de plein air, des religions secrètes, ouvertes aux seuls initiés. Aux âmes grecques, s’éveillanl à la philosophie et à la science, la mythologie traditionnelle parut insuflisante. Les Mystères et l’Orphismc se présentèrent comme la réponse à cette curiosité intellectuelle et à ces aspiralions religieuses. (Cf. article Mystères.)

V. Le commencement de la décadence. — Qui eût parcouru Athènes au milieu du v* siècle, contemple les monuments que Phidias, Mncsiclès et letinos élevaient sur l’Acropole à la gloire de Zens et d’Alhéna, ne se fût point douté que cette floraison artistique coïncidait avec une certaine décadence delà mythologie traditionnelle. Et pourtant l’antique religion commençait à branler, aU moins dans les esprits cultivés. La lutte contre la mythologie vint des philosophes.

Dès ses débuts, la philosophie grecque brisa, en fait, avec la tradition sacrée, et construisit ses systèmes, sans se préoccuper d’y intégrer la religion. A la différence des civilisations orientales, où de puissantes écoles de théologiens comme celles deBabylone ou d’Héliopolis renouvelaient et vivifiaient la pensée religieuse, la mythologie grecque, à l’époque classique, ne devait point profiter du travail de la réflexion philosophique. Les penseurs, qui ne l’attaquent pas, en sont à tout le moins indépendants. Dès lors, la religion, privée de toute sève féconde, devait peu à peu se réduire à un pragmatisme sec, à un ensemble de rites, vides de signification. El Cu.mont a pu dire : ic Jamais peuple d’une culture aussi avancée n’eut religion plus enfantine. « (Les Lieligions orientales dans le paganisme romain-, Paris, lyog, p. 48.)

Les premiers Ioniens, Th.lks, Anaximakdre et .

aximkne, l’Ecole Pythagoricienne avaient gardé une certaine neutralité. L’Ecole Eléate, au contraire, se montranetlemenl agressive. XÉNOPUANEnie expressément la conception anthropomorphique de la divinité, pour y substituer celle de l’Un, indevenu et impérissable. Ce mouvement, commencé dès levi’siècle, fut repris dans la seconde moitié du v* par les sophistes. Sous leur influence, se répandait dans les cercles distingués d’Athènes, parmi la jeunesse dorée du temps, un scepticisme banal qui ne pouvait épar411

GRECS (RELIGION DES)

412

gner la religion. Protagoras proclamait nettement l’agnosticisme : « Sur les dieux, je ne pviis rien dire, ni qu’ils sont, ni qu’ils ne sont pas. » Gorgias posait des principes qui conduisaient au pur nihilisme :

« Il n’y a rien ; s’il y a quelque chose, ce quelque

chose est inconnaissable. »

La poésie, qui avait puissamment contribué à implanter les légendes mytiiologiques, à concilier les diverses traditions, devenait dans les pièces d’EuRipiDE l’auxiliaire de la sophistique. Tantùt le poète attaque les légendes divines ou héroïques qui lui paraissent contredire le bon sens ou la morale, tantôt il laisse planer sur toute la religion un scepticisme vague. Rien de plus flottant que sa conception de Zeus, le dieu principal de la religion hellénique. Parfois, il semble le confondre avec la nécessité, ou l’intelligence des mortels, ou l’éther lumineux et inlîni qui enveloppe le monde,.ailleurs, un fragment de Mélanippe la philosophe insinue l’agnosticisme : ce pourrait bien être le fond de sa pensée.

Ces attaques produisirent dans les esprits grecs des réactions diverses, qu’il est intéressant de noter. Les uns, comme Pindare, restent attachés à la mythologie traditionnelle, tout en essajant de fortifier ses points faibles. Certains mythes déplaisants sont supprimés, l’idéal de perfection di ine se purilie, se spirilualise. Les idées sur la vie future sont en progrès, la sanction dans l’autre monde apparaît, bien qu’imparfaite. Eschyle, lui aussi, reste profondément religieux. Il ne se lasse pas d’exalter Zeus, « le Seigneur desSeigneurs, bienheureux entre tous les bienheureux, puissant au-dessus de tous les puissants ». Pourtant si l’on songe au vers célèbre de Pindare :

« Qu’est Dieu ? Que n est-il pas ? C’est le Tout » 

(fragment 117), et au fragment eschylien des Hcliades :

« Zeus est l’éther, Zeus est la terre, Zeus est le

Ciel, Zeus est le Tout et encore au-dessus du Tout » (fragment 3^5), on croit entrevoir dans l’esprit des deux poètes un courant profond, qui les entraîne au panthéisme naturaliste, on pressent le monisme stoïcien. D’autres gardaient une sérénité que ne traversait aucun nuage. Sophocle, « l’heureux Sophocle « , nous apparaît comme le type de ces âmes, tranquillement reposées dans les doctrines héréditaires. Et sans doute, dans le peuple d’.thènes, le nombre de ces esprits conliants était grand au v’siècle. Cette foule permet bien à Aristoi-hane de rire de ses dieux, elle n’admet pas qu’on les nie. Les passions religieuses et politiques restent facilement inllaniniablcs contre quiconque est réputé novateur. En 415, un décret mettait à prix la tête de Diagoras, pour cause d’athéisme ; en 411, Protagoras était banni d’Athènes et ses livres brûlés sur l’agora ; en 3g’_),.SocRATE était condamné à boire la ciguo.

Aussi élait-ec jeu moins dangereux d’allier à la libre spéculation philosophique le respect des usages établis. Ainsi lit Platon, qui conserva le culte et même les oracles dans sa cite idéale, ainsi tirent plus tard Epicure, les stoïciens, et même les sceptiques, tels que Carnéaoe, sans se soucier de l’illogisme de leur conduite. Le culte restait la grande force de la religion grecque, l’un des signes essentiels du loyalisme envers l’Etat ; de ses rites et de ses fêtes, il enserrait toute la vie de l’individu.

l. La fin de la religion grecque. — Avec les conquêtes d’.Vlexandre le Grand, la religion grecque pénètre plus avant en Asie et en Egypte. Les dieux grecs l’ureul accueillis avec une spéciale faveur à Alexandrie. Leur culte s’y accrut de celui d’.Vlexandre et des Ptoléinées, rois et reines, divinisés. La nouvelle dynastie héritait ainsi des hommages, rendus jadis aux Pharaons. Les Séleucides à Antioche,

les Atlalides à Pergame suivirent cet exemple. Ces apothéoses se faisaient d’autant mieux accepter, qu’elles cadraient avec des théories, très répandues dans le monde érudit : Evhiïmèrb avait appris aux savants alexandrins que tous les dieux, à commencer par Ouranos, Ivronos et Zeus, n’étaient que des mortels divinisés. Dès lors, déitier les rois « sauveurs* et bienfaiteurs » pouvait passer pour un acte de traditionalisme.

A son tour, la Grèce s’ouvrait aux influences étrangères. Avant la conquête macédonienne, les dieux étaient étroitement liés à la vie de la cité, de la ro/i ; , dont ils étaient les fondateurs ou les protecteurs. La cité finissant, le culte ])erd de son exclusivisme. Les dieux égyptiens, jusqu’alors honorés dans les ports grecs par quelques associations privées (ùix :  ; t, cîKvîi), composées en majeure partie d’étrangers, recrutèrent de nombreux adeptes dans le monde hellénique. Les adorateurs d’isis et de Sérapis se multiplièrent dans les îles de la mer Egée, eu Grèce et en Sicile, d’où la propagande égyptienne gagna l’Italie. Les autres cultes orientaux eurent moins de succès, n parce que les mystères helléniques, surtout | ceux d’Eleusis, enseignaient des doctrines analogues, et sullisaient à la satisfaction des besoinsreligieux ». (CuMONT, op. cit., p. 32^, note 23.) Les Grecs, qui avaient accueilli Cybèle dès le v* siècle, ne purent se défaire de leur répulsion pour son parèdre équivoque, le dieu phrygien, ltis ; la déesse syrienne Alargatis ne trouva d’adorateurs fervents cjue parmi les marchands de Délos. Quant à Mithra, si puissant dans les provinces latines à l’époque impériale, il ne réussit pas à entamer le domaine hellénique ; tout au plus signale-t-on une dédicace tardive trouvée au Pirée, et quelques mithréums sur les côtes de Phénicie et d’Egypte, à.radus, Sidon et Alexandrie. Cette rareté des monuments mithriaques est sans doute à expliquer par l’absence de soldats romains sur le territoire grec, et aussi par ce fait que la i>opulation servile y était indigène.

Mais, en même temps qu’elle gagne en extension, la religion perd en sérieux et en profondeur. Suivant la remarque de J. Iværst (Gescliichle des hellenistischen Zeitalters, 11’Bd., Das ll’esen des Heltenismiis, Leipzig, 190g, p. 207), les dieux grecs sont moins les dieux d’un pays, d’un territoire, que les dieux d’un peuple, d’un groupement. Ils vivent dans la cité qui les honore. La cité se dissolvant et les tendances individualistes venant à triompher, les dieux voient s’affaiblir leur vie personnelle, cessent de jouer leur rôle historique. Le culte ofliciel subsiste, il est vrai, avec ses l’êtes, souvent magniti(pies, mais comment pourrait-il exercer une profonde influence sur la vie des individus, alors que l’Etat qu’il personnifie est souvent si inqiuissant ? Il se maintient à titre de décor qui encadre agréablement la vie ; ce n’est plus la source intime et profonde du sentiment religieux. On voit s’accentuer le divorce de la vie religieuse et de la vie civile : seul, plus tard, le culte des empereurs continuera à les unir étroitement. Au culte public et aux organisations ollicielles se juxtaposent de nombreuses associations privées, où les femmes et les esclaves tiennent une place importante.

Dans toutes ces transformations et révolutions, qui marquèrent le règne d’Alexandre et des diado 1. Ce titre de « sauveur » implique d’ailleurs une conception toute diiTércnle de la conception chrétienne. Datis la religion royale ou impériale, « le jwrïi’a n’est po s celui qui sauve l’Ame, qui la délivre du péché, du mal, dn démon : c’est celui qui sau%o ou qui protège la cité, le royaume, l’empire n. J. Lebheton. /.es origines dn dogme de îu TiiniU, Paris, 1910, p. IG.

413

GRECS (RELIGION DES)

411

ques, (le nouvelles forces entraient en jeu, reprcsentées par de puissantes individualités, non plus comcenti’ées dans des groupes solidaires. C’est à ces individus que vont les lioniuiages, à eux dont l’action se fait sentir sur le cours des événements humains, beaucoup plus que la puissance problémati que des dieux, relégués dans l’Olympe. C’est le trionipUe de l’anthroponiorpliisnie le plus radical, de la dépendance totale reconnue d’homme à homme. C’est aussi, du nuiins en riy : ueur de logique, la ruine du sentiment religieux, que ces apothéoses de souverains : car ces rois, si grands qu’ils soient, ne sont que des hommes, la déilioation ollicielle ne change pas leur nature intime, et, au fond, l’homme est moins dépendant de son dieu que celui-ci ne l’est de l’homme : — si l’homme fait les dieux, c’est aussi lui qui les défait. En même temps, le mythe, déjà u rationalisé » par Euripide, achève de perdre son caractère d’histoire sainte, puisque, d’après l’explication d’Evhémère, le passé des dieux s’explique par l’histoire présente : comme les Ptolémées ou les Séleucides, ils n’ont été que des bienfaiteurs humains, vivant dans le souvenir des hommes.

Si la limite entre l’humain et le divin se volatilise, on voit de même s’estomper les distinctions entre les diû’crenles divinités. La mythologie grecque ^’altère, les physionomies des dieux perdent de leur netteté, les traits individuels s’obscurcissent, les attributs se déplacent capricieusement d’une divinité à l’autre. Déjà, dans les temps antérieurs, la iiiuUii)licité même des dieux, la personnification des a.livités naturelles et hunuiines, le cai’actère indécis .i.- certaines divinités avaient préparé ce mouvement syncrétiste, que retenait la puissance traditionnelle de la cité. Kien n’y met plus obstacle, dans cette fusion des idées et des races, qui caractérise l’hellénisme. Ce syncrétisme, — moins puissant sur les divinités, étroitement liées à un groupe social bien déterminé, comme Athéna, — atteint surtout les dieux à physionomie universelle, tels que Zeus, ou en rapport plus intime avec les grandes forces naturelles, comme Dionysos ou Déméter. Les inscriptions attestent l’assimilation fréi]uente d’isis avec Démêler, Aphrodite, — d’Osiris avec Dion}S08, Adonis,

— de Sérapis avec.sclépios, Zeus, Dionysos, — de la déesse thrace lîendis avec Artémis, Hécate, Perséphone, — des Cabires de Samothrace avec les Dioscures. On identifie même le Dieu des Juifs avec Z£Ù4 vUi-’ji. Ce serait pourtant une erreur de croire que ce mouvement syncrétiste ait abouti à un monothéisme strict, surtout dans les classes populaires :

« Les idées, dit M. Faumxl, deviennent moins distinctes, 

mais il n’en sort pas une idée unique de la divinité. Ce syncrétisme a détruit la vie de la sculpir. re religieuse ; il n’a rien fait pour le monothéisme, ..ais il a fait beaucoup pour le scepticisme et pour ii’s superstitions les plus grossières. » (Tlie cuits of lliii Greek States, Oxford, 18y6, I, p. 83.) Dans les plnlosophies néo pythagoricienne et néo-platonIl icnne, on sent l’elTort pour organiser la hiérarchie d"s dieux sous un chef suprême, — Zeus ou Osiris, peu importe le nom ; — on ne trouve pas la transrendance, nettement reconnue, d’un Dieu unique. (liez les Stoïciens, cette transcendance relative est encore compromise par le panthéisme du système ; il n’y a qu’un dieu, parce qu’il n’y a qu’un monde harmonieux, dont ce dieu n’est que l’âme, éternelle omme le monde qu’elle pénètre et vivifie. — Bien que favorisant la curiosité religieuse, ce syncrétisme sera un des principaux obstacles à la dill’usion du Christianisme. Uien de plus opposé aux idées courantes, que l’exelusivisnu^ doctrinal de la religion chrétienne, son intransigeance morale, son horreur

de tout compromis avec les cultes païens. Le chrétien devait vivre au milieu du monde, au milieu même de sa famille, comme n’en étant pas, et, suivant la parole austère du Maître, iienlre son àme pour la sauver.

Par un phénomène remarquable qui a fait coml )arer la période alexandrine à la llcnaissance (, I. IvAEnsT, op. cit., p. 2/17), cette épo(iue de civilisation rafiinée est toute pénétrée de superstition. Le culte abstrait de la Fortune (’l~<Jy : ^i) i)rend un développement extraordinaire, comme si hs bouleversements qui avaient suivi la conquête macédonienne, eussent excité dans l’homme un sentiment plus vif de sa dépendance vis-à-vis du Destin. xVlors que dans Homère la Moira représentait la destinée régulière, assignant à l’homme sa place dans l’ordre universel, Tyelié est la destinée instable et capricieuse, s’imposant d’autant plus aux esi)rits que la croyance en une règle absolue de justice s’alfaiblit davantage. L’astrologie chaldéenne, de plus en plus envahissante, renforce ces tendances fatalistes. Les papyrus, qtii ont survécu aux destructions systématii |ues, ordonnées par les empereurs, nous révèlent l’inlluence grandissante de la nuigie. Enfin, le culte des démons prend une singulière extension. Nous l’avons vu, la dcmonologie n’était pas absente de la religion populaire : elle y tenait même une place, dont les textes anciens ne nous permettent peut-être pas d’apprécier toute l’importance. Cette croyance aux démons avait déjà été recueillie par des poètes, comme Hiisiouiî, cjui intercalait entre les dieux et les hommes une catégorie d’êtres intermédiaires, distincts des héros. Des vestiges de cette même conception se retrouvent plus tard chez les Pythagoriciens et Platon. Xkxocrate, disciple de Platon, introduisit celle doctrine dans l’Académie, et la systématisa. Au temps de l’Hellénisme, elle fut reprise et obtint un succès extraordinaire, peut-être sous rinlluence des idées orientales. Plutahque s’en fit le principal interprète. Pour lui, les démons sont des êtres invisibles, aériens, habitant l’espace entre la terre et la lune, intelligents, mais sujets aux passions et à l’erreur, les uns mauvais, — et c’est à eux que s’adressent les rites et les fêles lugubres, — les autres bons, comprenant même des âmes justes, dégagées de tout élément matériel, messagers et serviteurs des dieux auprès des hommes, et qu’il est utile de se concilier par des prières et des sacrifices. Ce culte, agréable au Dieu suprême, légitimait toutes les cérémonies populaires, et, d’autre part, l’existence de démons mauvais permettait de défendre la mythologie, en mettant au compte de ces êtres pervers les fables qu’il était difficile d’attribuer aux dieux. Celte conception du rôle intermédiaire des démons entre Dieu ou les dieux et les honmies se retrouvera, plus accentuée encore, chez Maxime de ÏVH (ne siècle après Jésus-Christ), plus minutieusement exposée chez Porphyre : avec l’école néo-platonicienne, le culte des dénions, sous l’influence du Mazdéisme, finira par dégénérer en Ihéurgie et en cérémonies magiques.

Ces quelques remarques sur le développement du fatalisme et de la démonologie nous ont déjà fait pénétrer dans lapériode romaine. Celle-ci, en effet, devait continuer les errements de l’époque alexandrine, servilisme, flatterie, inquiétude superstitieuse. Comme ils avaient déifié.lexandre et les dynasties qui lui succédèrent, les Grecs d’Asie et d’Europe, vaincus par les Romains, transformèrent en adoration l’obéissance à leurs nouveaux maîtres. Dès le début du second siècle avant Jésus-Christ, d’un élan spontané, ils organisaient un véritable culte, avec temples, fêtes et jeux, en l’honneur de la déesse 415

GRECS (RELIGION DES)

416

Rome, peut-êli-e du dieu Sénat, certainement des magistrats et des généraux, qui personniliaient la puissance romaine. (Cf. Toitain, Les ailles païens dans l’empire romain, Paris, 1907, I, p. 2^.)

Désormais le sort de la religion grecque est lié à celui du paganisme dans le monde romain, à ses luttes avec le Clirislianisme, et à sa défaite linale. A cette dernière pliase répondent les essais les i)lus sérieux de rénovation païenne, qu’ait connus le monde antique : syncrétisme de Plutarque et de Maxime de Tyr, découvrant sous la multiplicité des noms divins, grecs et barbares, une seule et identique divinité, — tentatives des Stoïciens pour harmoniser leur philosophie et la religion populaire par l’exégèse allégorique d’Homère et des légendes traditionnelles, — synthèse néo-platonicienne de Porphyre, opposant le bloc païen, mythes et oracles, aux dogmes révélés et aux Saintes Ecritures. Ni ces cll’orts de la pensée, ni la persécution, sanglante sous Dioctétien ou légale avec Julien TApostat, ne purent arrêter le Christianisme dans son élan triomphal. En 3g2, l’cdit de Théodose fermait les derniers temples païens.

Si, en terminant, nous cherchons à apprécier la valeur de la religion grecque, il nous est facile de reconnaître ses mérites artistiques. La mythologie des Grecs est une des plus riches, des plus variées, et en même temps des plus claires et des plus lumineuses que nous connaissions. La vie du dehors, a dit M. Maurice Croiset, était venue à eux jileine d’images et de sensations, elle sortait d’eux et elle retournait aux chosespleine de dieux. » (llistuire de la liltéralure grecque, Paris, 1896, 1-, p. 5.)

C’est cet esprit d’imagination vif et précis, qui a porte leur drame et leurs beaux-arts à un si haut degré de perfection. Dans la vie de la cité, il suscita ces fêtes magniliques, qui entretinrent et développèrent le patriotisme, exaltèrent la légitime fierté de la race grecque, l’unirent plus étroitement dans l’adoration de dieux communs.

Mais cette souplesse même a compromis la valeur religieuse et morale proprement dite, d’autant plus qu’elle n’était point contrebalancée par ce sérieux, cette gravité que nous constatons à Rome. « O fourbe, menteur, subtil et insatiable en ruses, qui te surpasserait en adresse, si ce n’est peut-être un dieu ? » dit complaisamment la déesse Pallas à l’une des incarnations les plus réussies de l’esprit grec, l’Ulysse d’Homère. L’imagination toujours active, que ne bridait point un sens moral ailiné, s’est complu en une végétation luxuriante de mythes souvent immoraux. D’esprit alerte, les Grecs ont pu saisir la vérité, ils ne se sont point préoccupes de s’y attacher et surtout de la réaliser avec une persévérante intensité. Tout à la joie de vivre, les dons de la Vénus terrestre leur sullisent, et plus d’un vieillard n’a de regrets que pour les symposies, les roses et les femmes. Pour reprendre une formule célèbre, l’homme a été pour eux la « mesure de tout », et encore ont-ils souvent oublié de purifier et de spiritualiser cet idéal. Rien ou presque rien, qui révèle dans la plupart d’entre eux, au moins d’une manière profonde, quehpie chose de ces tristesses viriles que font naître la disproportion entre l’idéal et la réalité, la fugacité de nos bonheurs branlants ou la vue compatissante des douleurs et des faiblesses humaines. Et c’est un déficit, « puisque tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions ne valent pas le moindre mouvement de charité ». (Pascal.)

Enfin, quand on se reporte à l’histoire religieuse des autres peuples, même païens, on est surpris de

constater combien l’unité de Dieu est restée voilée aux yeux de cette nation intelligente, au point que, sous ce rapport, les Pygmées ou les Négritos d’Afrique eussent pu en remontrer aux Hellènes. La Grèce, pourtant, a connu de merveilleux penseurs, de forte et saine intellectualité, qui ont écrit d’admirables pages sur Dieu, sur la justice absolue, sur le perfectionnement de l’individu par l’imitation de la Divinité. Mais ni Platon ni Aristote ne sont parvenus à modifier profondément l’Athènes de leur époque, aucun d’eux n’a été un entraîneur de peuples, comme Mahomet ou le Bouddha. Il semble que, sur ce point, les Grecs aient payé la rançon de leurs facultés esthétiques. Préoccupes beaucoup plus d’un idéal de beauté plastique que de justice et de sainteté spirituelle, ils avaient tellement concrétisé et, pour ainsi dire, matérialisé leurs dieux dans le marbre ou le drame, qu’au jour où les philosophes se présentèrent, qui parlaient de Diinité immatérielle, ils ne purent secouer le joug de la tradition artistique et littéraire : si bien que la philosophie dut se séparer de la religion, lui enlevant ainsi sa force vivifiante et son principe de progrès. Peut-être faut-il aussi ajouter, avec M. Faguet (Po.vr (^H’o/i lise Platon, Paris, 1905, p. 281 sqq.), qu’à cetic pensée platonicienne, si Uère d’elle-même, il a manqué la bonté qui attire les foules. Il était réservé à une religion, qui serait tout à la fois pensée et amour, de recueillir ce qu’il y avait de vital dans la philosophie grecque, et de l’intégrer dans la synthèse chrétienne.

II

Primitivement, les Grecs se passaient de temples.

« En Crète, dit l’archéologue Karo, on adorait les

dieux dans des grottes à ciel libre, dans des enceintes sacrées ou de petites chapelles à l’intérieur des maisons. » On les priait encore dans les bois sacrés ou sur le sommet des montagnes. Pour les sacrifices, on élevait un autel de pierres ou de mottes de gazon : on y déposait les offrandes ou on les suspendait aux arbres d’alentour. Au Pergamos d’Hissarlik, à Mycènes et à Tyrinthe, on n’a relevé non plus aucune trace de temple. A Tyrinthe, dans la cour du palais, se dressait un autel, oii le roi offrait les sacrifices.

« Ces chapelles reléguées dans un coin du palais, ces

autels distribués dans les cours, donnaient aux demeures royales un caractère sacré d’autant plus marqué qu’on ne distinguait vraisemblablement pas entre fonctions civiles et fonctions religieuses des chefs. » (R. Di’ssviu, op. cit., p. 200.)

L’époque homérique connaît les temples, abritant la statue d’un dieu. L’Iliade mentionne le temple d’Apollon à Chrysé (i, 89), d’Athéna à Athènes (11, 54g), d’Apollon (v, /146, vii, 83) et d’Athéna (vi, 88, 297) à Ilios. Pourtant les dieux sont jilus souvent honorés dans des enceintes sacrées avec autel à ciel ouvert.

A l’époipie historique, les temples se multiplièrent, mais les Grecs gardèrent toujours beaucoup d’enceintes (t : >£v5 ;) et de bois sacrés (ôy ;  ;  ;  ;). Les temples étaient placés autant que possible en dehors du tumulte de la vie humaine. Les dieux olympiens, surtout Zeus, préféraient les hauteurs, les dieux chthoniens, les plaines. L’habitation du dieu (vyo ; ou ï/.zo ;) était environnée d’une cour fermée par un mur{Ép/oi ou r= ; 51)35/o ;) ; cet espace jouissait assez souvent du droit d’asile. Au fond du tenq)le, précédé ordinairement d’un portiqiie ou npmvoi se trouvait la statue du dieu (à/c./.uK), faisant face à l’entrée. Quelques sanctuaires renfermaient un réduit sacro-saint (kJutov ou jiiyy.p’yv), ouvert aux seuls prêtres à des 417

GRECS (RELIGION DES)

418

jours fixés. Aux temples les plus imporlanls étaient attenantes des dépendances (irijSoôoy.05), où étaient gardées les riclicssesdu dieu, offrandes et revenus de ses biens. Ces richesses étaient considérables ; en a’jg avant J.-C, un inventaire évaluait la fortune totale des temples déliens à 5.501.9’j8 drachmes (environ 6.336.890 francs).

Les dimensions des temples étaient fort variables : l’un des plus grands, le temple d’Arténiis à Ephèse, mesurait lo^m.Sg de lon^ ; - sur 4y ni. g8 de large ; le l’arthénon avait 6y m.51 de long, 30m. 86 de large el 14 mètres de haut. Beaucoup étaient de dimensions restreintes, exiguës. On ne s’en étonne point, si l’on songe que, dans l’antiquité, le temple est fait exclusivement pour le dieu : c’est en dehors du temple, en plein air, que se font les holocaustes.

On honore les dieux par la prière, par des offrandes variées, précieuses ou non, flûtes, pinceau, filet, armes, suivant la profession du donataire, objets d’art, animaux et niènie des courtisanes à Aphrodite. Aux offrandes s’ajoutaient les sacrifices : sacrifices non sanglants, fruits, gâteaux, libations, encens, — sacrifices sanglants de brebis, chèvres, porcs, taureaux, bœufs, etc. Les animaux blancs étaient réservés aux dieux olympiens, et olferts le matin. Aux dieux chthoniens, aux héros et aux morts, on immolait des animaux noirs : le sacrifice avait lieu le soir, el les assistants ne se réservaient ordinairement aucune part de la vielime.

Les sacrifices humains, de caractère expiatoire, furent aussi en usage chez les Grecs des temps reculés. Puis les anciennes coutumes furent adoucies ou éludées. Pourtant les sacrifices humains ne disparurent pas complètement. On les constate chez les Ioniens au vi’siècle. Avant Salaniine, Thémistocle dut immoler trois prisonniers perses. Au temps de Pausanias (11’siècle après J.-C), des victimes humaines étaient encore sacrifiées en Arcadie à Zeus Lycéen.

Parmi les fêtes consacrées aux dieux, les unes étaient panhelléniques (Olj’mpiques, Pythiques à Delphes, Isthmiques à Corinthe, Néméennes près de Sicyone), les autres nationales. A Athènes, où elles nous sont mieux connues, elles étaient nombreuses et magnifiques. Chaque mois renfermait une série de jours consacrés à des divinités déterminées.

La garde des temples était confiée à des prêtres ou prêtresses. Les prêtres en Grèce ne formaient pas un clergé hiérarchisé, mais étaient indépendants les uns des autres. Leur fonction était exclusivement de vaquer aux cérémonies du culle, sans prédication ni enseignement doctrinal. Leur coopération était requise pour accomplir un oflice religieux dans le

« anctuairc. Hors de là, les magistrats pouvaient se

passer d’eux pour sacrifier sur les autels publics. Les prêtres se recrutaient de différentes façons : hérédité, élection, tirage au sort, achat. La durée de leurs fonctions était variable. Le renouvellement annuel était surtout en usage dans les cultes plus récents, et chez les populations démocratiques ; dans les cultes plus anciens, où les fonctions étaient héréditaires, le

« accrdoce était souvent à vie.

Enfin les Grecs, comme la plupart des peuples antiques, pratiquaient la divination. Les songes, le vol des oiseaux, l’observation des entrailles des victimes, les prodiges devenaient matière à présages. On avail surtout recours aux oracles. Les trois principaux étaient ceux de Zeus à DoJone, de Zeus Ammou en Egypte, d’Apollon à Delphes. A Dodoue, la volonté divine se manifestait dans le souffle mystérieux qui agitait les feuilles d’un chêne..vcc le temps, de nouveaux modes de consultation furent découverts : on interprétait le murmure d’une fontaine sacrée, les

Tome II.

résonances de bassins d’airain suspendus autour du chêne de Zeus, etc. En Egypte, la statue du dieu était portée sur les épaules tles prêtres, en procession solennelle ; à ses oscillations, les devins apprenaient à connaître la volonté divine. A DeljjUes, les oracles étaient rendus par la Pythie, sous l’inspiration immédiate d’Apollon. « Après avoir fait des ablutions avec de l’eau puisée à la fontaine de Kastalia, qui jaillit au pied du Parnasse, et respiré de la fumée de laurier, la prophétesse se revêtait d’un costume théâtral, pénétrait dans l’adyton, où elle buvait de l’eau gazeuse de la source Kassotis. Enfin elle prenait place sur le trépied doré, une feuille de laurier à la bouche et une branche de laurier à la main ; bientôt elle était atteinte du délire prophétique et tombait eu extase ; le dieu l’avait envahie. Elle proférait alors des sons inarticulés, des cris incohérents, beaucoup plus rarement des paroles ayant un sens suivi. Les prêtres qui l’assistaient recueillaient ses éclats de voix, en tiraient un sens approprié à la situation, et rédigeaient, presque toujours en hexamètres, la réponse du dieu. Ils latransniettaient aux consultants, qui durant la séance étaientdemeurés dans une salle voisine. Ceux-ci ne comprenaient pas toujours les conseils du dieu ; aussi allaient-ils souvent en demander l’explication à des exégètes attitrés, qui habitaient aux environs du temple, n (Boxleh, Bulletin de l’Institut catholique de Paris, décembre 1910, p. -)i.) L’oracle donnait des conseils de sagesse pratique : « Connais-toitoi-méme », etc., de préférence aux prédictions proprement dites, et dans les cas embarrassants il s’en tenait prudemment à quelque réponse ambiguë. Bien qu’il commençât à perdre de son prestige dès l’époque classique, il resta pourtant l’oracle le plus consulté du monde grec, et ne disparut qu’au temps de Constantin.

Bibliographie. — Il existe trois grands dictionnaires, traitant toutes les questions relatives aux religions grecque et romaine :

Daremberg et SugUo, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines. En cours de publication depuis 1873 (Paris). Pauly-Wissowa, Real-Encyclopiidie der classischen Altertumsuissenschaft. En cours de publication depuis 1894 (Stuttgart). Roscher, Ausfûhrliclies Lexikon der griechisclien and rijmischen Mythologie. En cours de publication depuis 1884 (Leipzig).

On peut ajouter comme études générales : Chantcpie de la Saussaye, Manuel d’Histoire des Ileligions-, trad. franc., Paris, 1904 (article de Lchmann ) ; — 3" édit. allemande igoS (article de Holwerda). Gruppe, Griechische Mythologie and lleligionsgeschiclile (diins le Ilandbuch d’Iwan von Millier), 2 vol., Miinchen, 1906 (d’un rationalisme tendancieux, mais prodigieux recueil de faits). L. R. Farnell, The cuits of the Greek States, 4 vol., Oxford, iSgô-igo’ ;. Preller-Roberl, Griechische .Mythologie, Berlin, 18g’4. Deeharme,.1/)Y/(o/o^ie (/e la Grèce antique, Paris, 1879 ; — La critique des traditions religieuses chez les Grecs. Paris, 1904. J. Girard, /.e sentiment religieu.v en Grèce d’Homère à Eschyle^, Paris, 1 88 ;. E. Rohde, Psyché. Seelenkull und Unsterhlichkeilsgluube der Griechen’, ïiibingen, 1907. J.E.IIarrison, Prolegomena to the sludv of Greek lieligion, Cambridge, 1903 ; — Religion of ancicnl Greece, London, 1907. "Toutain, Etudes de mythologie et d’histoire des religions antiques, Paris, 1908..l)bé BoxUt, /.a religion grecque^ ùans le Bulletin de l’Institut catholique de Paris, année igio. Abbé O. Habert. La religion de la Grèce antique, Paris, 1910 ; J. Huby, La religion des Grecs, dans Christus, Manuel d’histoire des religions,

14 419

GUÉRISONS MIRACULEUSES

420

Paris, 1912 (reproduit cet article, sauf développements sur rOrpliismc cl les Mystères).

Sur la philosophie des Grecs et ses rapports avec la reliyion, outre les histoires de la philosophie deZeller, Ueberveg-Heinze, etc., on peut consulter : Th. Gomperz, Les Penseurs de la G ; èce (trad. Reymond, 3 vol., Lausanne, 1904-1910) ; Ahlié Louis, Doctrines religieuses des philosophes grecs, Paris,

1909 Sur le milieu hellénique, au moment où parut le Christianisme, on lira avec iirofit : J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité (chap. 1"), Paris, igio ; B. Allô, O. P., L’Evangile en face du Syncrétisme païen, Paris, 1910 ; P. Wendland, Die hellenistisch-ràmische Kulturin iliren Beziehungen zu Judentum und Christentum. Tiibingen, 1907 ; J. Kærst, Geschichte des hellenistischen Zeitallers, 2’Uand, Das Wesen des Hellenismus, Leipzig, ’909 Les institutions religieuses sont expliquées dans

les manuels d’antiquités grecques : voir spécialement Stengel, Die griechisclien Kultusallertiimer (dans le Ilandbuch d’Iwan von Millier), Miinchen, 1898.

Joseph HuBY.