Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Famille (I. Philosophique et Sociale)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 944-950).

FAMILLE. — Mariage et divorce. Puissances maritale et paternelle.

Section I. — La famille au point de vue philosophique ET SOCIAL. — § 1. Sa fonction et son utilité ; % 2. Conditions essentielles d’existence de la famille ; § 3. La famille et la religion.

Section II. — La famille dans l’histoire. — § I. La famille dans l’antiquité ; § 2. La famille dans l’ancien droit français ; § 3. La famille au.x temps modernes.

C’est par la famille que l’individu entre dans la société et, si l’on s’en tient à la période historique, toutes les nations qui ont figuré dans le monde ont connu la famille patriarcale dont les membres se groupent autour du père, centre, lien et chef à la fois. Ce fait indéniable n’est pas le résultat d’une convention entre les hommes, d’une loi faite par eux et susceptible d’abrogation de leur part. La famille est, à nos yeux, une institutionde droit naturel, aussi ancienne que l’humanité, pouvant être réglementée de façon diverse suivant les temps et les lieux, mais jamais

méconnue et niée, à peine de mettre l’ordre social en péril. Elle s’impose dans l’avenir comme dans le passé chez tout peuple qui veut prospérer ou même simplement vivre. En effet, formation aussi bien que génération de la vie humaine, la famille influera, et influera puissamment, sur les vertus ou les vices de l’individu, partant de la société. Réciproquement, les vertus ou les vices de l’individu et de la société ont sur elle un contre-coup immédiat et funeste. Il y a donc là une question de vie ou de mort pour l’avenir. Cette thèse a été cependant contestée doublement, au nom de la science, pendant le cours du xix’= siècle. On a mis en doute l’origine très ancienne de la famille patriarcale pour en déclarer la suppression possible ^ dans les temps futurs : elle constituerait une étape f dans la marche régulière et fatale de l’humanité vers le progrès ; inconnue des hommes au début du monde, elle serait appelée à disparaître dès que les besoins sociaux seraient autrement satisfaits. Mais la théorie évolulionniste, avec la horde promisque et le matriarcat comme formes primitives du groupement familial, n’est qu’une pure hvpothèso, contredite en général par l’oljservation et peu accréditée dans le monde savant : elle présuppose presque nécessairement ou 1873

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la multiplicité d’origines de l’inimanilé ou l’idée que l’homme est la résultante perfectionnée d’une longue suite d’animaux inférieurs, ce qui est loin d’être généralement admis, même dans les milieux non croyants. D’autre part, la famille a dans la société un rôle propre, dans lequel nul pouvoir humain ne la remplacerait adéquatement. Elle doit donc être énergiquement défendue contre toute attaque.

Or, jamais ces attaques n’ont été plus violentes qu’aujourd’hui. Le néopaganisme moderne la veut supprimer. Romanciers et poètes, publicistes et législateurs, sophistes et réformateurs se liguent contre elle. On veut, contrairement à la doctrine chrétienne qui avait fait la iamille grande et féconde, se préoccuper exclusivement des intérêts, matériels surtout, de Tindividu, émancipé de toute autorité autre que celle de l’Etat. Avant donc de retracer l’histoire de la famille au cours des âges, il importe de mettre en lumière sa fonction essentielle et ses conditions nécessaires d’existence.

Section I. — La famille ac point dk vue

PHILOSOPHIQUE ET SOCIAL

§ I. Sa fonction et son utilité. — La famille est une institution de droit naturel, indispensable aux progrès de l’individu, ne fût-ce qu’à raison de sa longue et absolue faiblesse pendant l’enfance, et aux progrès de la société dont elle demeure le type, le fondement et le modèle et qu’elle sert puissamment en conservant son caractère propre au sein des groupements plus étendus. Elle est d’origine divine et représente dans l’humanité l’élément traditionnel, éducateur et progressif à la fois.

La vraie fin de la famille est défaire des hommes, de produire la vie, mais aussi de la conserver ; elle doit former les générations futures. L’enfant naît : nulle créature vivante n’est aussi débile, aussi impuissante à se conserver : il a besoin de soins incessants et délicats pour assurer sa vie matérielle. Combien plus encore faudra-t-il d’efforts pour faire de cet être tout instinctif un homme, par le développement de son intelligence et de sa volonté. Les parents qui l’ont procréé sont tout indiqués pour remplir ce rôle : leur amour commun pour le fruit de leur union leur inspire le dévouement nécessaire, et leurs qualités diverses se complétant permettent de mener à bien la tâche. Il n’est pas de fonction plus haute et délicate que celle d’éducateur. Hors de la famille normalement organisée, qiii a de ce chef une mission providentielle, l’œuvre ne s’accomplira jamais complètement. Dans la famille l’enfant puisera la tradition, la vie intellectuelle et morale tout autant que la vie naturelle ; son caractère et son ànie s’y formeront.

Nécessaire à l’enfant, la famille l’est aussi aux parents, dont elle développera les meilleures qualités, les activités les plus fécondes. A raison même des devoirs qu’elle impose vis-à-vis de l’enfant, l’union sexuelle est ennoblie, la loi impérieuse de la nature animale est relevée : entre les époux s’établit une vraie union des âmes, bien autrement noble et durable que celle des corps ou des intérèts.Puis, ces devoirs étant identiques pour le père et la mère et exigeant la coopération de leurs aptitudes diverses, une égalité morale va naître dans le mariage entre ces deux êtres physiquement si inégaux, l’iiommc et la femme. C’est grand prolit pour celle ci, dégradée, asservie en dehors de la famille régulièrement organisée, égale de son mari en dignité, sinon en capacité civile, dès qu’on lui reconnaît une égalité de devoirs par rapport à l’enfant, qu’on juge avec raison son intervention aussi nécessaire pour donner au dit enfant la vie morale que l’existence physique. Mais la famille va

profiter également à tous ses membres, car elle est la grande école du perfectionnement individuel, du dévouement et du sacrifice, de l’abnégation et du travail.

Laissé à lui-même, l’individu est naturellement inerte et égoïste ; il ramène à sa personne toutes ses affections, tous ses désirs, toutes ses pensées, et c’est à titre tout exceptionnel qu’il se préoccupera de ses semblables. Aussi bien sa destinée est brève, plus courte encore sa période d’activité. Il croira donc avoir assez fait si, aj-ant, tant qu’il était valide, subvenu à ses besoins et à ses jouissances, il s’est prémuni contre les risques éventuels de la vieillesse. Tout change au sein de la famille, qui impose des devoirs multiples : pour les remplir, il faut combattre ses instincts, et dans cette lutte perpétuelle contre soi-même se rencontre ici-bas le principe de la paixvéritable. Mais chacun y trouve l’aiguillon le plusnoble et le plus puissant pour le développement de ses énergies et de son dévouement. Le père voit au delà de sa brève existence. Il travaille pour assurer le bonheur de ses enfants, c’est-à-dire de ce qu’il aime le plus au monde, de ceux qui le continueront après sa mort, dans l’espoir de leur laisser le fruit de son labeur. Du coup, voilà sa vie prolongée, son activité accrue et aussi son dévouement. Les préoccupations personnelles font place chez lui à des sentiments plus élevés, il veut laisser après lui un nom respecté et un héritage. Sans regrets il va se dépenser pour autrui, car, en vertu de cette loi naturelle que l’amour ne remonte pas et que le père aime son fils plus qu’il n’en est aimé, cet amour lui rendra facile un constant dévouement ; or le genre humain ne se perpétue que par une série héréditaire de dévouements. En même temps, la tradition familiale se resserre. Si le père vit dans ses fils et dans les descendants de ses fils, il se rattache aussi aux générations passées, tirant, comme le dit M. Barrés, sa conscience individuellide l’amour de sa terre et de ses morts. Il est « l’addition de sa race » (Blanc oe S. Bonnet) ; il se sent un simple anneau d’une longue chaîne familiale : fort de la tradition à lui transmise, il entend, et son fils le voudra après lui, la maintenir et la transmettre agrandie. Dès lors, aucun souci, aucune peine, aucun labeur ne lui semblera au-dessus de ses forces.

La société tout entière i’a grandement gagner au libre développement de la famille, dont l’infiuence, quand elle est sainement organisée. excède (le beaucoup celle d’un individu, quel qu’il soit. La famille est l’élément social par excellence, la cellule organique agissante qui constituera la nation sans se laisser absorber par elle. Au foj’cr domestique s’affermissent et se perpétuent les caractères, les mœurs et les traditions qui sont comme l’àme des peuples ; là se développent les vertus individuelles, fondement et garanties des vertus publiques ; là se groupent et se prolongent au delà des limites d’une existence humaine des forces qui seraient autrement perdues ou singulièrement énervées. Dans la société familiale, comme en un noviciat fécond, se rencontrent lautorité morale la plus incontestée parce qu’elle s’appuie sur le dévouement, et l’obéissance la plus aisée parce qu’elle est affectueuse. En se rapprochant, les individus deviennent une charge les uns i)Our les autres, et la solidité de l’édifice social est faite de la patience des citoyens à supporter cette charge, de la mesure où chacun s’oublie pour les autres ; L.mkn-NAis a pu dire avec vérité que la n société humaine est fondée sur le don naturel ou le sacrifice de l’homme à l’homme ». Si donc le sacrifice est l’essence de toute vraie société, dont les pires ennemis sont au contraire l’intérêt personnel et la passion égoïste, il n’est pas de meilleure école sociale que la famille, où la joie du 1875

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foyer est faite de l’abnégation de chacun. Formés au foyer domestique, centre des forces économiques et morales essentielles, les enfants auront appris à travailler, obéir, aimer et respecter, et ils se retrouveront tels dans la Aie publique. La patrie est la terre des pères, et l’amoiu- qu’on a pour elle est le déAeloppenient naturel des affections familiales, c’est la famille qui y rattache l’homme par ses souvenirs et ses traditions comme par son fojer et ses espérances d’avenir. Sans famille et sans tradition, l’individu est bien près d'être un sans-patrie ; il dcvient un danger pour son pays, ne fût-ce que par sa tendance à mépriser son milieu, son désir orgueilleux et injustifié de sortir de sa sphère. La nation ne saurait prospérer sans famille solidement unie, faute de déA ouement et d’amour.

D’après certains philosophes, il est A-rai, un jour A’iendrait où, l’intérêt particulier se confondant aux yeux de tous avec l’intérêt général, la famille ne serait plus utile pour assurer l'éducation morale des individus. Par l’efïet de l'éA’olution, l’intérêt altruiste remplacerait l'égoïsme indiA’iduel et la moralité universelle s'établirait naturellement, conséquence fatale du progrès social. Hélas ! les faits, autant que le raisonnement, démontrent que la moralité tant sociale qu’indiA’iduelle ne se maintient pas sans un effort continu, dépassant les simples forces humaines. Ils démontrent aussi qu’aux progrès matériels et scientifiques correspond trop souA-ent en pratique une dégression morale : l’humanité orgueilleuse de son saA’oir retombe dans la sensualité grossière et l'égoïsme brutal ; nombre d’actes instinctifs, même socialement bienfaisants, tendent à disparaître dès qu’ils deviennent conscients et réfléchis. C’est une utopie dangereuse d’attendre de l'évolution naturelle la moralisation des hommes. Demain comme aujourd’hui, briser les liens domestiques, ce sera laisser le champ libre à l’intérêt personnel et ébranler la société jusque dans ses fondements.

Mais, dit-on par ailleurs, les affections familiales ne seraient-elles pas avanlageusement remplacées par Vamoiir du pays ou, pour employer une formule aujourd’hui à la mode, de l’humanité tout entière ? Cette thèse, qui peut se recommander de Platon, est soutenue par des modernes fondant le dcvoir social sur le principe de la solidarité. Mais, à moins d espérer, avec Auguste Comtk, le triomphe dans le monde d’un A'éritable culte de l’iiumanité, il faut reconnaître que la doctrine solidariste se heurte à une résistance opiniâtre de la raison et des instincts les plus profonds chez l’homme : l’individu ne se sent pas naturellement tenu de AÏAre, de mourir au besoin, pour d’autres qu’il ne connaît même pas. Certes la solidarité est un fait d’importance au sein d’une race, d’une nation ; mais l’amour de la patrie et surtout de l’humanité n’est inné chez aucun de nous ; pour dcvcnir fort, il doit prendre racine dans l’amour de la famille. Ce dernier au contraire est chez chacun spontané, naturel, irrésistible ; le temps et l'éducation l'élargiront pour en faire le patriotisme, l’amour des concitoyens ayant même langue et mêmes mœurs, même^ droits et mêmes dcvoirs, mêmes espérances et mêmes craintes, l’amour du sol qui porte les tombes, les foyers et les berceaux. La famille enchaîne l’homme à la patrie. Sans elle la patrie, et bien plus encore l’humanité, deA’iennent de froides abstractions, peu faites pour inspirer le déA’ouement. Aussi bien, pratiquement, les indÎAidualistes convaincus, après avoir nié la famille, en A’iennent A-ite à nier la patrie, exploitation organisée, osent-ils dire, des faibles qui sont le grand nombre au profit de quelques puissants. La famille est nécessaire à l’existence et à l’unité morales de la patrie ; qui cesse de l’aimer est

en danger de perdre l’amour de la patrie, c’est-à-dire la plus grande force sociale.

§ 2. Conditions essentielles d’existence de la famille. — Bienfaisante aux personnes et à la société, la famille ne peut produire ses heureux effets que si rien ne Aient contrarier sa constitution providentielle, entraA’er son déAeloppement. Pour la maintenir en son intégrité, les mœurs sont singulièrement efficaces et, suÎAant le mot de Portalis, les lois doÎAent être adaptées au caractère et aux habitudes des peuples pour qui elles sont faites. Mais les pouvoirs sociaux doÎA’ent non seulement constater l’existence, mais apprécier le mérite des dÎA-ers éléments qu’ils rencontrent pour favoriser les bons et écarter les pernicieux. Comme tout principe faux dans la réglementation de la famille a des répercussions graves et lointaines, le Gouvernement peut beaucoup en la matière. Il doit aA-oir confiance dans la famille et consacrer sa liberté d’action. Il doit faire davantage, protéger la famille contre ses pires ennemis, l'égoïste orgueil et l’esprit d’indépendance, garantir son unité et sa perpétuité, le respect de la hiérarchie aussi bien que la dignité des faibles.

Pour conserA-er son unité et durer, la famille a besoin d’un fondement solide : elle le trouvcra dans le mariage un et indissoluble. Tout acte, toute loi, énerA-ant le lien conjugal, atteint la famille dans ses œuvres aIacs, compromet son honneur et sa stabilité. Le mariage doit reposer plus sur l’union des âmes que sur les besoins des sens ou le rapprochement des intérêts ; il faut qu’entre époux, ayant des devoirs égaux, il crée une absolue communauté d’existence, une parfaite égalité de dignité et de droits. Pas plus donc que la poljandrie, la polygamie ne saurait être admise : elle éloigne le mainage de son but moral qui est le perfectionnement réciproque des époux, et elle jette lafemmedans l’abjection matérielle et morale, la réduit à une contrainte servile ; du coup le rôle si important de la mère dans la famille ne sera plus rempli. Et la sérénité, la paix de la famille, la dignité de l'épouse, l'éducation et l’existence même des enfants seront en égal péril avec cette sorte de polygamie successive qu’est le dÎAorce ou la répudiation. Sans doute, il A" a de graA’es inconA'énients à déclarer indissolubles des unions mal assorties ; et le divorce, là surtout où il est rare, ne détruit pas irrémédiablement l’institution familiale. Mais comme, suivant la formule profonde d’Aug. Comte, « la seule possibilité du changement y provoque », le dÎAorce tend toujours à se généraliser. Dès lors, l’honneur de la société conjugale et la pureté des mœurs, tant particulières que générales, sont en baisse, la femme, menacée de répudiation quand elle cessera de plaire, perd sa dignité, et rien n’assure plus la formation des enfants, éternelles AÎctimes des dissentiments entre parents. Le mariage, tel qu’il doit être compris, comporte surtout des dcvoirs ; le législateur le déclarera donc perpétuel. Le dÎA^orce, triomphe de l'égoïsme poursuivant le bonheur personnel de l’individu, transforme l’union conjugale en une association fragile où l’enfant est oublié et trop souA^ent sacrifié ; il sera donc proscrit.

Solidement fondée sur le mariage indissoluble, la famille ne saurait AÎAre sans autorité dévouée d’une pai’t, sans respectueuse déférence de l’autre. Cette société de trois personnes, le père, la mère et l’enfant, a besoin d’une autorité unique et indiscutée aux mains d’un chef responsable. La loi doit donc consacrer Vautorifé maritale et la puissance paternelle. (Chargé de protéger la femme, l’homme a le droit et le dcvoir de lui commander, sauf d’ailleurs à dcA’oir s’inspirer de l’amour plus que de la justice. Vis-à-A-is des enfants qu’il a engendrés et doit élcA-er, le père 1877

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exerce une puissance légitime, indispensable pour raccomplissenient de ses devoirs, sans laquelle l’anarchie, régnant dans le groupe familial, le détruirait rapidement. Dans le gouvernement et l'éducation des enfants, la femme est le ministre et l’auxiliaire de l’homme, représentant spécialement le plus pur dévouement, l’amour le plus désintéressé. Si entre les parents il y a une différence hiérarchique, ils ne doivent faire qu’un au regard de leur descendance : ils sont deux en une même autorité tout naturellement respectée, car l’amour rend facile à l’enfant l’obéissance, comme au père l’exercice de l’autorité. D’instinct, l’enfant aime ceux de qui il a reçu la vie et dont, aux premiers jours de son existence, il ne saurait se passer. Les liens créés par les nécessités physiques se relâcheront sans doute peu à peu, mais ils ne seront jamais brisés si le fils, formé aux sentiments élevés et généreux, conserve un respect reconnaissant pour l’autorité paternelle dont il ressent mieux désormais les heureux effets. Le jour où l’enfant fondera à son tour une famille, ce sera un rameau sorti du tronc principal, non ébranlé mais développé au contraire. Entre les parents et les enfants la société primitive subsiste, le foyer paternel demeure le centre des solides et fécondes affections, des forces économiques et sociales. L’organisation familiale est faite de respect et de stabilité.

Sera donc funeste à cette organisation et aux intérêts multiples qui en dépendent, tout ce qui, dans la loi ou les mœurs, encouragera le déplacement, l’instabilité, développera le goût du brusque changement de fortune, de rang, de condition, voire même de lieu. L’esprit individualiste sera plus nuisible encore, supprimant dans ce groupement naturel le respect qui postule l’ambiance d’une hiérarchie sociale, le dé^ ouement et l’amour qui unissent, pour laisser aux prises des amours propres et des intérêts opposés. Si le législateur n’y met bon ordre, ou bien l’autorité paternelle, devenue despotique vis-à-vis d’enfants asservis ou révoltés, obtiendra par la force ce qu’elle ne saurait plus demander à une soumission affectueuse, ou bien elle abdiquera, et l'œuvre de l'éducation des jeunes générations sera manquée. Dans tous les cas, c’en sera fait de l’unité harmonieuse et progressive de la famille ; à vraiment parler même, il n’y aura plus de famille, le foyer domestique sera définitivement détruit.

Aussi bien l’unité, la cohésion de la famille doit persister au delà des générations présentes. Dès lors, la tradition est nécessaire, et aussi le principe (l’hérédité par lequel vertus et richesses morales se transmettent, le respect, la Gerté, l’amour des ancêtres et de la race. Tandis que les générations se succèdent, chacune préoccupée surtout de celle qui la suivra, vivant pour elle et disposant à son profit des legs de générations passées, la famille demeure, qui leur donne à toutes une force singulière de continuité et de perpétuité. Sans tradition, il n’y a plus à vraiment parler de famille. Pour que celle-ci dure, les institutions sociales doivent respecter les traditions et maintenir le i)atrimoine familial.

Malheur donc aux peuples qui, sous couleur de progrès, affectent un dédain superbe pour la tradition et les ancêtres, dont la législation bouleverse brutalement les anciennes croyances et les coutumes séculaires. Ils préparent ainsi une race de déclassés, de déracinés, d'éternels méconlents, cl consacrent la ruine de la famille. Tel sera aussi l’effet de la suppression du foyer familial, si l’on bal en bièche l’hérédité du patrimoine. C’est seulement dans les jtays de propriété personnelle et d’héritage que la famille s’est maintenue fortement organisée : là seulement elle se rencontre sous la forme monogame, avec un élat

ciA’il régulier et la transmission du nom patronymique. Sans doute la propriété et la transmission héréditaire des biens sont un élément simplement matériel de la tradition ; mais cet élément est en quelque sorte le support des autres, il fortifie la famille en même temps qu’il émancipe l’individu vis-à-vis des autorités publiques : sans foyer ni patrimoine, le groupe est voué à une prochaine et fatale dispersion. Unité et perpétuité, organisation hiérarchique et cependant protectrice de la dignité des faibles, telles sont les conditions essentielles pour rendre possible et facile à la famille son rôle nécessaire. Mais elles ne se réaliseront jamais qu’avec le secours de la religion : la famille type est la famille chrétienne et les vraies vertus familiales sont des vertus chrétiennes, même si la pensée religieuse ne vient pas s’y ajouter.

§ 3. La famille et la religion. — Société naturelle, faisant partie de l’ordre naturel, la famille ne remplira cependant sa tin propre qu’avec le secours surnaturel ; a fortiori échouera-t-elle si, connaissant ce secours, elle le méprise et le repousse. C’est en effet une loi générale, une loi sociale, que la nature, livrée à ses seules forces, est impuissante à se conserver, que sans l’ordre surnaturel les vertus et la morale, même naturelles, ne peuvent subsister intactes. Historiquement parlant, la famille a toujours eu la religion pour fondement et support ; et seule la religion vraie, le christianisme, lui a permis de prendre son complet développement. La religion pénètre la famille de toutes ses influences pour l'élever dans les plus hautes sphères et en faire une liberté féconde. Le christianisme sacre la famille dès son origine. Il en assure la durée et la dignité. Il lui assigne sa vraie fin et le seul moyen eflicace d’atteindre cette fin : le dévouement inspiré, soutenu par la foi.

1° La vie domestique est une œuvre de gratid dessein qui doit être commencée avec respect et poursuivie avec amour. Le christianisme sacre la famille des l’origine en faisant du mariage entre Iiaptisés un sacrement. Ce n’est pas qu'à un contrat naturel préexistant s’ajoute un caractère surnaturel : le contrat luimême est élevé à la dignité de sacrement. Les époux en sont les ministres, sauf à devoir remplir les conditions posées par l’Eglise pour sa validité. Le sacrement et le contrat ne font qu’un et l’un n’existe pas sans l’autre. Sans contrat il n’y a pas de sacrement, par exemple en cas de nullité du contrat d’après le droit naturel. Mais sans sacrement, pas de contrat créant des droits et des obligations de conscience. Qui donc refuse le sacrement, refuse la condition prescrite par l’Eglise pour qu’il y ait mariage et, du coup, annule son propre contrat. Ainsi, déjà grand en soi, le mariage est surnaturalisé par le christianisme qui en fait, non pas partiellement mais totalement, une chose spirituelle, surnatiu-elle, et y voit la tigure de l’alliance mystérieuse, mais très réelle, de.lésus-Christ avec l’Eglise représentant l’humanité régénérée. La famille se trouve, quant à son principe au moins, placée au-dessus de l’Etat, hors de l’atteinte des pouvoirs humains.

2° Le mariage chrétien sera un et indissoluble : la polygamie et le divorce, que la loi ancienne tolérait en rigueur de droit, sont proscrits pour la première fois par le christianisme et « pour un grand nombre d’esprits, le grand principe social de l’indissolubilité / du mariage n’a, au fond, d’autre tort essentiel que d’avoir été dignement consacré jiar le catholicisme » ] (Aug. CoMTii). Par là, la durée de la famille est garantie, en même temps que sa dignité et celle de ses membres. En ce qui concerne spécialement la femme élevée de l'état de servante ou d’objet de brutale jouissance pour l’homme à la condition de personne, la 1879

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vieille thèse de son incapacité complète, de son infériorité absolue, est condamnée. La femme est replacée au rang qui lui est dû. parce qu’entre les époux il y a égalité de devoirs envers les enfants, il doit y avoir aussi égalité de droits et de situation sociale malgré leurs aptitudes différentes qui, précisément pour cela, se complètent. Tandis que les civilisations exclusivement masculines sont dures, sèches, fermées à toute tendance progressive, la civilisation chrétienne fait de la femme l’égale de l’homme en dignité : a Erunt duo in carne iina. »

En même temps, sans doute, le principe est posé de la subordination de l’épouse à son mari, « Vir caput mulieris : suh poieslate viri eris et ipse dominabitiir titi ». Mais cette subordination n’est nullement le résultat d’une infériorité, d’une incapacité féminine : elle tend à maintenir dans la vie commune l’unité de direction indispensable à toute société qui doit durer, et elle a des limites découlant tant du but qui l’a fait établir que des devoirs propres à la femme : celle-ci doit être consultée pour tous les actes graves concernant le ménage ; en l’absence du mari, elle doit agir librement ; si l’homme abuse de ses pouvoirs, elle a qualité pour protester et réclamer ses droits, La dignité de l’enfant n’est pas moins garantie : il ne faut pas oublier que, si l’enfant a des droits, à commencer par celui de vivre, il le doit au christianisme qui les a proclamés, parce que dans l’enfant il voit une personnalité morale, une créature faite à l’image de Dieu.

Le divorce a été solennellement condamné par Notre-Seigneur. « Ceux que Dieu a unis, l’homme ne les peut séparer. L’époux qui se remariera du vivant de son conjoint est un adultère. « A l’exemple de son chef et tout à l’opposé des doctrines païennes, hérétiques ou schismatiques, l’Eglise, personnifiée par le pape, a toujours proclamé l’indissolubilité du lien conjugal entre baptisés, même en cas d’adultère d’un époux, s’il y a eu union régulière, valide et corroborée par l’usage des droits qu’elle confère. La discipline ecclésiastique est particulièrement sévère quant au mariage, et pour la maintenir contre les attaques du libertinage, comme pour assurer la défense de l’ordre naturel et de la morale, la Papauté n’a jamais hésité à entrer en lutte avec les puissants de la terre, fût-ce au prix des plus cruels sacrifices : son attitude en face de Lothaire et de Philippe Auguste, d’Henri VIII d’Angleterre et des princes protestants d’Allemagne en fait suflisamment foi. Un pape ne peut pas, même pour sauver une nation, violer une loi divine.

Il est vrai qu’un mariage existant, mais non consommé en fait, peut être annulé : l’autorité ecclésiastique peut intervenir, en certains cas, pour briser le lien avant la consommation du mariage. D’autre part, l’acte conjugal ne saurait suppléer le lien inexistant, et la législation ecclésiastique consacre un certain nombre de causes de nullité déterminées. Mais, précisément, dans ces hypothèses il n’y a pas eu mariage et ce n’est pas un divorce que l’Eglise prononce. Sans doute aussi, l’indissolubilité d’une union mal assortie aura parfois de graves inconvénients auxcp.iels la simple séparation de corps n’apporte qu’un insuffisant palliatif. Mais, d’aliord, pour les misères humaines entre époux ayant la foi, le christianisme a des remèdes religieux : il morigène, redresse, frappe au tribunal de la conscience le coupable, tandis qu’à celui qui souffre il apprend à tirer parti de cette épreuA-e pour son perfectionnement et à la supporter chrétiennement. Aux instincts de la chair l’Eglise oppose les droits et la dignité de l’àme et elle n’hésite pas à faire prévaloir sur quelques intérêts individuels les intérêts supérieurs de l’ordre

moral et social. Le mariage, contrat-sacrement, comporte un engagement perpétuel, une aliénation définitive de liberté ; librement consentie, cette aliénation est conforme à la volonté divine, une saine philosophie la déclare parfaitement valable et sa nécessité dans l’intérêt de la famille et de la société tout entière devrait inspirer à l’utilitarisme le plus strict de la reconnaissance pour le christianisme qui l’a consacrée. Si les époux ne prétendaient s’unir que pour un temps, un tel contrat, aux yeux de l’Eglise, créerait, non le mariage, mais un simple concubinat, tiirpem et exitialem concubinatum, pour emprunter le mot prononcé par Pie IX, le 27 septembre 1862, au sujet du mariage purement civil : ce serait un acte absolument nul, n’entraînant aucune obligation de conscience.

3° Le christianisme donne à la famille sa vraie fin et la fonde sur le dé^’ouement. La fin véritable de la famille, école de perfectionnement mutuel, est de procréer des hommes, des serviteurs de Dieu, qui, par leurs vertus, se rendront utiles aux individus et à la société pendant leur vie pour devenir ensuite des élus. Les parents sont pour l’enfant, afin de le rendre vertueux et non pour qu’il les fasse heureux ; ils sont pour Dieu par l’enfant. Dès lors, la famille vit uniquement d’un dévouement et d’un sacrifice perpétuel de chaque génération à celle qui la suit et qui. sans cela, serait impossible ; son plus mortel ennemi est l’égoïsme sous toutes ses formes, même sous forme de tendresse. Or ce dénouement, nécessaire pour assurer la paix, l’union, la fécondité de la famille, toutes choses indispensables à la société elle-même, s’il est fondé sur l’amour naturel, n’est cependant pleinement garanti, avec toute son efficacité et sa durée, que par la foi religieuse : par elle, il est épuré et mis à toute épreuve. L’influence chrétienne dans la famille est le gardien de la vie humaine, non seulement de la vie présente, mais de la vie à venir : elle y combat l’égoïsme, dont le triomphe menacerait la perpétuité du groupe et même du genre humain.

En effet, par une des plus étranges prérogatives laissées par Dieu à l’homme, celui-ci détermine partiellement l’action créatrice, puisque de sa liberté dépend la multiplication des Aies et partant des âmes capables de connaître et de posséder Dieu. (3r l’égoïsme humain met obstacle à cette multiplication, car, s’il veut le plaisir, les jouissances, même dans le désordre, il recule devant les embarras et les charges de la paternité. De là le célibat immoral et l’infanticide, si fréquents dans les sociétés rebelles au sentiment religieux ; de là la stérilité volontaire des mariages, fléau social entre tous. Contre de telles pratiques le législateur humain est bien impuissant ; seule la loi divine est efficace auprès de qui l’écoute. Crescite et multiplicamini, prescrit Dieu qui veut la multiplication de l’espèce, le nombre, pour faire le plus possible d’heureux élus. Ainsi le christianisme sauA’egarde et peut seul sauvegarder la vie humaine. Il la protège d’ailleurs à un autre point de A-ue. L’égoïsme, quand il donne la Aie, la transmet trop souvcnt amoindrie, altérée par le contre-coup héréditaire de ses Aices. Contre lui, en créant et épurant les mœurs au contraire, le christianisme défend la Aigueur et l’intégrité de la Aie humaine.

Mais la naissance de l’enfant est le point de départ de son éducation^ œuvre de déAouement par excellence, A’éritable esclavage pour des parents conscients de leurs devoirs, car la tâche réclame une attention de presque tous les instants. Cette capti-AÙté semblera lourde à qui recherche les jouissances mondaines, et les parents égoïstes chercheront à s’en décharger. Ils confieront leurs enfants à des domestiques parfois ; d’autres fois, ce qui Aaut mieux certes 1881

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mais n’est pas la perfection, à des maîtres, sauf à prendre ombrage à loccasion de Tinfluence de ceuxci. Même dans la seconde LypotLcse, à défaut d’un contrôle, d’une participation ellective des parents, l’œuvre demeurera incomplète, car il y manquera l’intervention de ceux qui ont par essence la mission de la mener à bien. Un christianisme très profond donnera aux pères et mères le sérieux et le courage nécessaires pour remplir leur fonction. Par lui, ils auront le dévouement indispensable et vivront pour leurs enfants. Ils s’élèveront au-dessus de l’opinion courante réduisant tout à la fortune, ou du sensualisme ambiant ramenant tout au bien-être physique, au plaisir. Par l’exemple d’abord, par une direction souple, intelligente et ferme ensuite, ils formeront l’enfant à son rôle d’homme et de chrétien, ils lui enseigneront le mépris des richesses en soi, l’amour du travail, des vertus saines et robustes, ils développeront chez lui l’initiative et le sentiment de la responsabilité. Ce n’est pas là toujours chose facile, surtout en un temps d’individualisme frondeur, rebelle à toute subordination. Il faut savoir n’être ni tyran ni camarade, et réunir avec tact la tendresse et l’autorité. Le mondejugeces deux choses opposées et, de fait, trop souvent l’autorité ruine la tendresse par sa dureté excessive ou est annihilée par une tendresse faible, incapable de supporter un caprice, de se résigner à une bouderie. Si elles se fondent au contraire sur le christianisme, la tendresse et l’autorité s’accordent à merveille et s’assurent l’une l’autre, parce qu’elles ont pour fondement commun Dieu rejirésenté par les père et mère. Ainsi la famille reçoit une force plus durable et puissante que l’attachement naturel pour résister aux attaques de 1 égoïsme. Ainsi sont geirantisle respect de l’enfant pour le père et le respect du père pour l’enfant qu’il veut et doit élever.

Bref, à nos yeux, la prospérité de la famille exige l’intervention active de la religion, de la religion véritable. Certes, tout n’est pas parfait depuis la promulgation de l’Evangile, car les défauts, les vices, les abus inhérents à la faiblesse humaine ont persisté. Du moins le christianisme a créé vme pudeur publique, relevé le principe de moralité, et donné un appui surnaturel aux bonnes volontés impuissantes par leurs propres forces.

Avant de chercher dans l’histoire de l’humanité la preuve par les faits de son action bienfaisante, réfutons quelques objections formulées contre notre thèse. On a reproché au catholicisme à la fois et ses exhortations à la multiplication de l’espèce et la jtrééminence qu’il accorde au célibat religieux. On a l>rétendu que la famille se maintenait relativement mieux dans certains pays non catholiques et l’on a dénoncé comme portant atteinte tant à la puissance maritale cju’à l’autorité paternelle l’intervention du prêtre confesseur et la vocation religieuse.

Est-il besoin, à une heure où la dépopulation de la France est constatée de tous côtés avec tristesse et elfroi, de rcfuterlesophismed’aprèslequel, si laloi de l’Eglise était partout suivie, la vie se compromettrait par sa suraljondance même, le nombre des humains excédant les moyens de subsistance ? Dieu a posé la loi, et on peut s’en remettre à lui des conséquences. D’ailleurs, en outre des causes naturelles ou violentes de destruction qui trop souvent rétal)lissent l’équilibre, le problème économique reçoit du cliristianisme, du seul christianisme, une solution admiraljle : la vir-^inité i’olonlaire, que l’Evangile met au-dessus du mariage. Le célibat ainsi i)réconisé n’est pas le célibat inquir, égoïste et lâche, du i)aganisme ancien ou moderne : il est chaste, généreux et dévoué au bien commun ; delafamille il ne supprime

que les joies présentes, non les affections et les devoirs essentiels, ilest Ihonneur de l’humanité cjui doit ranger parmi ses bienfaiteurs insignes ceux qui, consacrés plus spécialement au service de Dieu, se dévouent généreusement pour tous les hommes. En fait d’ailleurs, là où règne le vrai sentiment chrétien, on voit à la fois la population croissante et la virginité religieuse en honneur.

Mais, ajoute-t-on, la famille apparaît mieux conservée de fait chez certains peuples hérétiques ou schismatiques, alors même qu’ils connaissent et pratiquent le divorce ; n’en faut-il pas conclure que les règles du catholicisme n’ont pas la Aertu que nous signalions ? Nous répondrons d’abord qu’il ne faut pas conclure de la prospérité matérielle d’une nation à la prospérité morale et que, pour établir une comparaison entre deux peuples monogames dont l’un admet le divorce et non pas l’autre, pour rendre cette comparaison logique et probante, il faudrait prendre deux nations pareillemente : ^actes à remplir l’ensemble de la loi morale sauf quant à la question de divorce. De plus, tant qu’un virus demeure assez localisé pratiquement, ses effets sont peu sensibles dans l’organisme social. Enfin, dirons-nous, les mœurs survivent longtemps aux lois et l’àme moderne a été façonnée par le catholicisme. La moralité relative de certains i)ays héi-étiques tient à ce qu’ils ont conserAé des principes catholiques : ils ne sont pas plus moraux et n’ont pas une famille mieux préservée parce qu’ils sont moins catholiques, mais au contraire parce qu’ils sont demeurés foncièrement plus catholiques que d’autres, catlioliques de nom. C’est l’évidence même. Toutes les vertus conservatrices de la famille sont prêchées parle catholicisme ; il n’est pas pour elles d’élément plus destructif et dissolvant que le princii)e protestant de l’individualisme.

Mais l’ingérence du prêtre dans les secrets de la famille par la confession ne va-t-elle pas troubler l’union conjugale et porter atteinte à la puissance maritale ? Nous n’irons ^las jusqu’à soutenir, avec Renan (Les Apôtres), que, la confession assurant la liberté morale de la femme, le « conseiller secret qui tient la clef des consciences » doit être « plus que le père, plus que l’époux ». Mais pour quiconque admet le caractère divin, obligatoire, de la confession, l’observation de cette loi doit prévaloir sur tous les ombi-ages, et ceux-ci d’ailleurs n’ont plus de raison d’être. Il reste vrai seulement qu’à ce point de vue, comme à bien d’autres, l’inégalité religieuse des deux époux peut être jténible et périlleuse pour la bonne entente durable. Mais nomljreux sont les maris qui, ne se conformant pas à la loi religieuse, se plaisentà voir leurs femmes s’y soumettre, car ils se rendent compte qu’en général, et sauf de rares exceptions dues à la faiblesse humaine, la paix du ménage y gagnera.

Entin il est vrai que le catholicisme, garant de la famille pourtant, convie certaines âmes à s’élever librement au-dessus d’elle, et qu’en présence d’une vocation religieuse certaine chez son enfant, le père chrétien doit incliner son autorité devant l’appel de Dieu. Mais rien n’est plus logique, car cette autorité vient de Dieu, elle est donnée aux parents pour le bien de l’enfant, et une vocation privilégiée peut être pour celui-ci le bien suprême. S’il a le droit et le devoir de contrôler la réalité de la vocation, le père, n’étant ni juge des choses surnaturelles ni directeur de conscience, manque d’aptitude jiour se former à lui-même l’assurance voulue, il doit s’en remettre à ceux qui ont compétence sur ce point. Son imprudence égale son inconséquence avec sa foi quand, sous prétexte d’épreuve, il exagère les précautions à ju-endre contre une telle décision, au point de mettre en péril 1883 FAMILLE 1884

l’àme de l’enfant ; il abuse de son autorité s’il entrave une vocation nettement et moralement reconnue.