Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Evangiles canoniques (II. Sur les trois premiers Evangiles)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 850-860).

II. — VALEUR HISTORIQUE DES TROIS PREMIERS EVANGILES

L’origine de nos Evangiles une fois déterminée, il devient facile d’apprécier leur valeur historique.

Nous traiterons la question, d’abord pour les trois Synoptiques, dont la condition, au point de vue documentaire, est à peu près semblable, ensuite pour le quatrième Evangile, dont la teneur est sensiblement différente.

Pour les Synoptiques mêmes, on peut étudier leur historicité : i" quant à la substance, ou à l’ensemble du contenu, telle qu’elle est admise par la généralité des critiques ; 2" quant à leurs parties spéciales, c’est-à-dire à leurs éléments surnaturels, telle qu’elle fait ijIus communément difficulté.

I. Valeur historique des Synoptiques pour l’ensemble du contenu

Lorsqu’on veut juger la valeur historique d’un ouvrage, on se pose généralement deux questions : 1° L’auteur est-il sincère, veut-il loyalement dire la vérité ? 2° Est-il exactement renseigné sur les faits qu’il rapporte ? Dans la mesure où l’on se rend compte de cette bonne foi et de cette bonne information, on j prononce que le témoignage de l’écrivain vaut en 1 histoire.

Or, quand il s’agit de nos trois pi’emiers Evangiles, on peut se convaincre : 1° que leurs auteurs sont d’une loyauté au-dessus de tout soupçon ; 2° qu’ils sont, dans l’ensemble, parfaitement informés.

I. — Nos évangélistes sont sincères

187. Preuve générale. — La sincérité de nos évangélistes ressort avec évidence de l’examen de leurs écrits. Quiconque lit les Evangiles est frappé de. la simplicité et de la naïveté du récit. On se sent en 1 présence, non de compositions artificielles, mais de I chroniques loyales, où les auteurs consignent ce qu’ils savent, ce qu’ils ont appris ou ce qu’ils ont vii, sans artifice et sans commentaire. C’est un ton de fran-i chise qui ne peut se définir, mais qui inspire tout naturellement confiance.

188. Preuves particulières. — Cette impression devient une persuasion raisonnée, si l’on porte l’examen de la sincérité des évangélistes sur plusieurs

points importants où elle est particulièrement aisée à constater, et où elle se constate, en effet, avec une précision remarquable.

1° Le portrait des apôtres. — Prenons d’abord le portrait des apôtres. Nos évang-élistes écrivaient à une époque où la personne des apôtres était relevée auplus haut point dans l’estime de l’Eglise chrétienne ; eux-mêmes, ou tout au moins les témoins dont ils dépendent, avaient été en relations étroites avec ces disciples du Christ. Or le portrait synoptique des apôtres est loin d’être flatté : on nous fait connaître minutieusement leurs vices comme leurs vertus, leurs fautes comnie leurs bons mouvements, leur faiblesse comme leur générosité ; on nous dit leur basse extraction, leur inintelligence des paroles du Maître, leur opposition à ses vues, leurs résistances à son action, leur lâcheté au jardin des Olives, avi prétoire, au Calvaire, leur découragement après la mort du Sauveur, enlin leur lenteur à croire à sa résurrection. Marc, VI, ’i-) ; VII, 1^ ; viii, 4, 16-21, 32-33 ; ix, 6, 9-1 1, 28, 32, 34, 38 ; X, 13, 28, 32, 35 sq. ; xiv, 4, 29-31, 3^-40, 66-72 ; xvi, ii-14 ; etc. Un tel taldeau ne peut être que d’écrivains sincères, qui ne veulent rien dénaturer ni rien dissimuler, mais relater simplement la vérité de l’histoire.

189. 2° La peinture de V idéal messianique. — A ce même point de vue, la manière dont se trouve çà et là représenté l’idéal messianique, conçu autour de Jésus, mérite d’attirer l’attention. Les disciples, tout comme le commun des Juifs, attendent un Messie national, roi terrestre et conquérant ; ils se figurent son royaume semblable aux royaumes de ce monde ; ils se disputent pour savoir qui y aura la première place. Marc, ix, 34 ; x, 37 ; viii, 31-33 ; ix, 30, 31 ; etc. Tout autres étaient cependant les idées chrétiennes, au moment où furent rédigés nos Evangiles, et dès le temps où s’élabora la tradition qui est à leur base : les Epîtres de saint Paul le montrent sufliSamment. Rom., -s.iy, 17 ;  ! Cor., vi, 9-10 ; xv, 50 sq. ; GaL, v, 12 ; I Thess., i, l’i s(i. ; ll rhess., i, Il sq. ; etc. Sur ce point encore, nos auteurs font donc preuve d’une incontestable lojauté.

190. 3° L’idée de la proximité du royaume. — En ce qui regarde l’époque de l’avènement du royaume, ils reproduisent avec iidélité nombre de déclarations où le Sauveur semble annoncer son avènement comme prochain et immédiat. Marc, i, 15 ; ix, 1 ; xiii, 30 ; Matth., X, 23 ; etc. Ils ne se préoccupent pas de la didiculté d’accorder ces déclarations avec le retard subi en réalité par l’événement, encore moins de supprimer ces déclarations premières pour mettre en évidence celles qui concernent l’incertitude et l’éloignement du dernier jour, et qui cadreraient seules apparemment avec les faits constatés.

191. 4° fe portrait du Christ Jésus. — Que dire de la façon dont est figurée la personne même de Jésus ? Les Epîtres de saint Paul l’attestent. <les les premiers jours l’Eglise se représenta Jésus comme le Clirist, Fils de Dieu, venu du ciel, où il préexistait au sein du Père, sur la terre, participant de la nature de Dieu et vrai Dieu, associé depuis sa résurrection à la gloire de son Père et assis à sa droite, en attendant la lin des temps où il viendra pour juger les vivants et les morts. liom., i, 3 ; viit, 3, 32 ; ix, h ; I Cor., i, 15, 24. 30 ; Il Cor., IV, 4 ; V. 19 ; VIII, 9 ; Gal., iv, 4-6 ; Philip.. II, 5-7 ; Cul., II. 9 ; Iléhr., I, 2, 3, 10 ; II, 14, 17, Pl<*. Or c’est un fait que la préexistence céleste du (Jhrist se trouve à peine insinuée dans les Evangiles ; sa divinité proprement (Mte, bien que transparaissant partout à qui considère bien ses actes et examine à fond ses discours, n’y est aucunenu’nt mise en relief, ni même expressément et foi-mellement déclarée, si bien que Ton a pu, sans paraître aller trop ouverte ment contre la teneur générale des textes, nier que les Synoptiques contiennent une manifestation réelle de la divinité de Jésus.

198. Au contraire, nos Evangiles accusent en haut relief l’humanité du Sauveur. « Le Christ synoptique, déclare M. Loisy, est un être de chair et d’os, qui traite avec les hommes comme l’un d’entre eux, nonobstant la conscience qu’il a de sa haute mission, ou peut-être à cause de cette conscience ; il parle et agit en homme ; il s’assied à la table du pharisien et du publicain ; il se laisse toucher par la péclieresse ; il converse familièrement avec ses disciples ; il est tenté par le démon ; il s’afllige dans le jardin de Gethsémani ; il fait des miracles par pitié, les cachant plutôt qu’il n’en tire parti pour autoriser sa mission ; il est calme et digne devant ses juges, mais il se laisse battre et injurier ; le cri qu’il pousse avant de mourir est un cri de détresse et d’agonie ; si l’on sent partout dans ses discours, dans ses actes, dans ses douleurs, je ne sais quoi de divin qui l’élève au-dessus de l’humanité commune, même la meilleure, tout ce qu’il dit est profondément humain, tout pénétré d’actualité humaine, s’il est permis de s’exprimer ainsi, et, malgré la puissante nouveauté qui est au fond, dans une correspondance étroite et naturelle avec le temps et le milieu où il a vécu. » Le quatrième Lis’angile, 1903, p. 72.

193. Ce n’est pas tout. Nos évangélistes prêtent au Sauveur nombre de paroles qui, à première vue, semblent dinicileinent conciliables avec l’idée de sa divinité. Le Christ synoptique se désigne très habituellement par le titre de « Fils de rhoinme » (Marc, II, 10, 28 ; Matth., XI, 19 ; XII, 32, 40 ; xiii, 37, 4’; x, 23 ; etc.), que ne lui donnent jamais les évangélistes dans le discours qui leur est propre, et qu’on ne lui trouve appliqué nulle part ailleurs, si ce n’est en de rares passages (.4t7., vii, 56 ; Apuc, i, 13 ; xiv, 14 ; EusÈBE, /I. E., II, xxiii : fragment d’Hégésippe sur le martyre de saint Jacques), où il est fait allusion à ses propres paroles (Luc. xxii, 69 ; Matth., xxvi, 64), ou au texte de Daniel, vu. 13. Il se tient devant son Père dans l’attitude d’un inférieur et d’un suppliant : Marc, VII, 34 ; XIV, 35-36, 39 : = Matth., xxvi, 39, 42, 44 = Luc, xxii, 42 ; Matth., xiv, 23 ; xxa’i, 53 ; Lue, vi, 12 ; IX, 18, 28 ; XI, I, XXII, 43 ; xxiii, 46. Il établit une opposition entre le blasphème contre lui-même. Fils de l’homme, et le blasphème contre l’Esprit-Saint opérant en lui : Matth., xii, 32 ; cf. Marc, iii, 29. II déclare accomplir ses exorcismes parla Aertu de l’Esprit de Dieu et attribue ses guérisons miraculeuses à Dieu : Marc, v, 19-20 : = J.uc, viii, 39. Il paraît ignorer le jour du jugement : Marc, xiii, 32. On dirait qu’il refuse positivement le titre de bon, comme n’étant dû qu’à Dieu seul, Marc, x, 17 sq. A Gethsémani, il parle de sa propre volonté et la soumet humblement à celle de son Père : Marc, xiv, 36= Matth., XXVI, 89 = : Z/tr, XXII, 42. Sur la croix enfin, il seini )le se croire abandonné de son Dieu : Marc, xv, 34 = Matth., XXVII, 46.

1Q4. Conclusion. — Cette fidélité à s’abstraire de la foi présente de l’Eglise et à se tenir indépendants de leurs tendances personnelles, pour reproduire le fait historique en ce qu’il offre, semide-t-il, de moins conforme aux exigences nouvelles de la croyance et de plus déconcertant, accuse la sincérité de nos écrivains avec une évidence que l’on ne saurait trop souligner.

Ces preuves de bonne foi, il importe de le remarquer, ne valent pas seulement pour les rédacteurs lu-oprement dits de nos Evangiles, mais encore pour la tradition et les témoins dont ils dépendent. Qu’il s’agisse, en effet, de l’estime accordée aux apôtres, du caractère de l’idéal messianique, de l’allente du dernier avènement, ou de la foi au Christ Fils de 1687

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Dieu, ces premiers dépositaires delà tradition étaient dans les mêmes conditions que nos évang-élistes, et, pour leur avoir transmis des témoignages semblables à ceux qu’ils ont consignés, ils ont dû également se dégager de leurs idées propres et de leurs tendances.

C’est donc avec une conQance absolue en la sincérité de leurs auteurs et de leurs sources, que l’historien peut accepter le témoignage de nos Evangiles synoptiques. Les critiques semblent aujourd’hui s’accorder sur ce point. Tout l’intérêt de la question se porte donc sur l’information de nos écrivains.

2. — Nos évangélistes sont, dans l’ensemble, bien informés

195. 1" La bonne information des Synoptiques e3t garantie, dans l’ensemble, par leur origine.

— La bonne information des Synoptiques ressort de C2 que nous savons au sujet de l’origine et du mode de composition de ces documents. Restreinte au contenu naturel des Evangiles, elle est admise aujourd’hui par l’ensemble des critiques, même par les plus libéi-aux. El il est aisé de se rendre compte pourquoi.

i" La i’aleur documentaire du second E-angile. — D’après lagénéralilé des critiques. — Le second Evangile est regardé par la plupart des critiques indépendants (n" 95) comme rédigé par saint Marc, disciple de saint Pierre, d’après la prédication du chef des apôtres, recueillie par lui directement. L’auteur n’a donc pas été un témoin oculaire des faits qu’il rapporte, à l’exception peut-être des événements de la Passion, ou de l’arrestation de Jésus, à laquelle il paraît avoir assisté. Cf. Marc, xiv, 5 1-62 ; Act., xii, 12 (n" 93). Mais il tenait ses renseignements d’un témoin immédiat, du chef même du collège apostolique, qu’il avait accompngné à Rome et dont il était devenu l’interprète. On comprend l’importance d’un tel document.

« Pierre savait à peine le grec, dit Renan ; Marc

lui servait de drogman ; des centaines de fois il avait été le canal par lequel avait passé cette histoire merveilleuse. » Les E^’angiles, 1’éd., 1877, p. k- L’écrit, bien que composé en dehors de Pierre, était « en un sens l’œuvre de Pierre ; c’était la façon dont Pierre avait coutume de raconter la vie de Jésus. » Ibid. Cet Evangile attache une grande importance aux miracles du Sauveur : ainsi devait faire le chef des apôtres.

« Pierre semble avoir été principalement frappé

de ces prodiges, et il est permis de croire qu’il insistait beaucoup là-dessus dans sa prédication. » Ibid., p. 118.

Telle est l’opinion que doivent se faire du second Evangile ceux qui l’estiment composé, d’après les souvenirs de saint Pierre, par saint Marc, son disciple.

196. D’après certains critiques radicaux. — Certains critiques, comme MM. Schmiedkl et Loisy, à la suite de Strauss, tiennent notre Evangile pour rédigé à l’aide die documents antérieurs, dont le principal seulement, un récit abrégé de la prédication et de la mort de Jésus, pourrait être l’œuvre de saint Marc et dépendre immédiatement des souvenirs du prince des apôtres (n" 95). Ces critiques mêmes sont contraints d’accorder à notre écrit une grande valeur documentaire. Le document narratif placé à la base de l’Evangile serait bien dérivé de la prédication de Pierre, et aurait été rédigé de bonne heure par un de ses auditeurs immédiats.

« Il est fort possible, dit M. Loisv, et même très

probable que cette source, comme les Logia, soit antérieure à la mort des apôtres Pierre et Paul. » Les Ei-angiles synoptiques, t. I, 1907, p. 118. D’autre part, « rien n’empêche d’admettre qu’un disciple

de Pierre a recueilli de la bouclie même de l’apôtre cette série de souvenirs ». « On s’explique ainsi plus facilement l’origine de la tradition concernant l’origine du second Evangile. » ^^ Il est certain, en tout cas, que Simon Pierre a eu une part prépondérante dans la formation de la catéchèse apostolique, et que par là au moins la tradition fondamentale de l’histoire évangélique procède de lui. » Ibid., p. ii/J.

197. 3° La valeur documentaire du premier Evangile. — D’après le plus grand nombre des critiques. — Le premier Evangile, d’après la plupart des critiques indépendants, serait une combinaison de l’Evangile de saint Marc avec un recueil de discours de Jésus, probai>lement introduits par de courtes notices historiques, peut-être même mêlés de récits proprement dits (n" » 59, ISO, 134). Cet Evangile a donc, pour la partie narrative qui lui est commune avec saint Marc, la même valeur historique que ce premier document. Pour le reste, dont la plus grande, partie vient du recueil de Logia, sa valeur dépend de celle qui est propre à ce recueil même. Or, aux yeux du plus grand nombre, le recueil de Logia appartiendrait à la génération apostolique et aurait été rédigé par un disciple immédiat de Jésus, probablement jiar l’apôtre saint Matthieu, dont le nom s’est attac’ue ensuite à l’Evangile entier. La valeur de ce second document n’est donc pas moindreque celle du premier.

Sur ce point, les critiques partagent dans l’ensemble l’opinion de Renan : « Matthieu mérite éA’idemnient une conliance hors ligne pour les discours ; là sont les Logia, les notes mêmes prises sur le souvenir vif et net de l’enseignement de Jésus. » Vie de Jésus, 13’éd., 1867, p. Lxxxi. « Ce qui faille prix de l’ouvrage attribué à Matthieu, ce sont les discours de Jésus, conservés avec une fidélité extrême, et probablement dans l’ordre relatif où ils furent d’abord écrits. » Les Evangiles, Y>. 212 ; A. Harnack, Sprïiclie und Reden Jesu, 1907, p. 172 sq. Cf. P. Batiffol, Orpheus et l’Evangile, igio, p. 189-194.

198. D’après quelques critiques radicaux. — Pour les critiques qui, à la suite de Strauss, comme MM. ScHMiEDEL et LoisY, voient dans le recueil de Logia, exploité par l’évangéliste, une œuvre de seconde main, basée sur un document plus ancien, peut-être rédigé en araméen par saint Matthieu (n"* 61, ISO), ce recueil ne laisse pas d’avoir une haute valeur. Dans son fond, il remonterait à la génération apostolique, et, si le rapport avec saint Matthieu est fondé — comme oblige à le croire, semble-t-il, le rattachement du nom de cet apôtre à l’Evangile — il serait l’œuvre d’un témoin direct. Même dans la rédaction qu’a utilisée l’évangéliste, il serait très rapproché de l’époque des apôtres, « La dépendance de Marc à l’égard de ce document paraît incontestable », déclare, en effet, M. Loisy, Les Evangiles synoptiques, t. I, p. 82, à la suite de J. Weiss ; or, d’après ce même critique, Marc remonte » probablement aux environs de l’an 70 », ibid., y). 82 ; le recueil définitif de Logia serait donc antérieur à cette époque : il aurait été rédigé « au plus tard entre l’an 60 et l’an 70, par quelque disciple des apôtres ». Ibid., p. 1^3. Ainsi le recueil de Logia, exploité par notre évangéliste, serait dans la même condition que lEvangile de Marc, avec lequel il est combiné : comme lui, il serait basé sur un document antérieur, datant au plus tard des années 60-64 et probablement d’avant l’an 60 ; il serait même plus autorisé, puisque le document primitif, qui lui sert de base, au lieu d’être l’œuvre d’un simple disciple, dépendant de la prédication orale de saint Pierre, aurait été rédigé directement par l’apôtre saint Matthieu, d’après ses propres souvenirs.

199. 3" La valeur documentaire du troisième 1689

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Evangile. — D’après les critiques qui n’admettent pas son authenticité. — Le troisième Evanj, àle, aux yeux mêmes de ceux qui n’admettent pas son authenticité (n° 114), aurait dans l’ensemble une valeur égale à celle de l’Evangile de saint Matthieu. Il aurait, en effet, pour base principale les deux ïvièmes documents, l’Evangile de Marc et le recueil de Log a. dans une recension, sinon identique, du moins très semblable. « L’autorité de Luc, en tant que source de l’histoire évangélique, dit M. Loisy, est à peu près la même que celle de Mattliieu. » Les Evangiles synoptiques, t. I, p. 164 Cependant, pour les parties qui lui sont propres, notre Evangile pourrait dépendre, non seulement du recueil de Logia, qu’il exploiterait plus largement que Mattliieu, mais encore de la source narrative de Marc, qu’il aurait connue et parfois spécialement utilisée. Loisy, op. cit., t. I, p. 144, 146 » '471 160-162. Surtout il tiendrait d’autres sources écrites particulières certains de ses éléments : ainsi, l’histoire de la pécheresse, avec la parabole des deux dél)iteurs, vii, 36-50 ; le renseignement touchant les femmes qui accompagnaient le Sauveur dans ses tournées de prédication, viii, i-3 ; l’anecdote des Samaritains inhospitaliers, ix, 51-56 ; la comparution du Christ devant Hérode, xxiii, l{-ib ; les récits relatifs à la naissance de Jean-Baptiste et à celle de Jésus, i-ii. Loisy, op. c/^, p. 145-170. Cf. P. Batiffol, Orplieus et l’Evangile, p. 1 83- 18g.

Quelle était la valeur de ces diverses sources ? Dans son prologue, l'évangéliste assure qu’il s’est informé soigneusement de tout depuis l’origine, i, 3. Sa bonne foi n’est pas mise en doute. Mais était-il renseigné aussi bien qu’il le pensait ? Les critiques, pour qui cet auteur serait autre que saint Luc et écrirait seulement à la tin du 1" siècle, font des réserves importantes sur l’autorité des documents qu’il a pu avoir entre les mains. Néanmoins ils reconnaissent qu’il a pu leur emprunter et leur a emprunté, en etfet. maint renseignement de valeur.

SOO. D’après les partisans de son authenticité. — Ceux qui, au contraire, admettent la pleine authenticité de notre Evangile, et qui le font rédiger, peu après 70, sinon auparavant, par saint Luc, disciple direct de saint Paul et son compagnon de missions {n" 114), reconnaissent que l’auteur a été des mieux placés pour recueillir, comme il en avait le dessein, des traditions authentiques et utiliser des documents primitifs autorisés.

Il était en compagnie du grand Apôtre, en Macédoine vers l’an 50, en Asie Mineure vers 53, en Palestine vers 56, à Rome vers 60. Cela résulte de l’identiiication de l’auteur de l’Evangile, en même temps auteur du livre des Actes, avec l’auteur des récits de voyage insérés à la première personne du pluriel dans ce dernier document : Act., ^yi, 10-17 ; xx, 5-15 ; xxi, 1-18 ; xxvii, 1 ; XXVIII, 16 (no 104). Il a donc vécu dans la génération qui a connu les apôtres, et où vivaient encore nombreux les propres témoins du Sauveur. Soit en dehors de la Palestine, à l’occasion de ses diverses missions, soit en Palestine même, lors du voyage qu’il Gt avec son maître, de Milet à Jérusalem, en passant par Césarée, et sans doute d’autres encore où il n'était pas avec l’apôtre et qu’il I n’entrait pas dans son plan de raconter, il s’est trouvé l nécessairement en contact, non seulement avec les I auditeurs immédiats des apôtres, mais encore avec

: les représentants directs de la tradition évangélique.

Etant donné que lui-même était devenu missionnaire de la foi, on ne peut douter qu’il n’ait mis à profit ces occasions pour s’informer sur l’histoire de Jésus, àla ; quelle son œuvre témoigne qu’il s’intéressait si pariiculièrement. L'évangéliste a donc été dans les meil leures conditions pour se bien renseigner ; il y a mis tous ses soins : cela donne une véritable confiance à l’ensemble de ses informations.

« Luc, dit Renax, a eu sous lesyeuxdes originaux

que nous n’avons plus. C’est moins un évangéliste qu’un biographe de Jésus…, mais c’est un biographe du premier siècle, un artiste divin, qui, indépendamment des renseignements qu’il a pris aux sources les plus anciennes, nous montre le caractère du fondateur aA ec un bonheur de traits, une inspiration d’ensemble, un relief que n’ont pas les deux autres synoptiques. » Vie de Jésus, p. lxxxvii. Cf. A. Haknack, Lukas der Artz, igo6, p. iv ; Die Apostelgeschichte, 1908, p. 207 sq.

SOI. Conclusion'. — En résumé, si l’on prend l’opinion des critiques indépendants, nos trois premiers Evangiles auraient pour base fondamentale — soit les souvenirs de témoins directs de Jésus, recueillis par leurs auditeurs immédiats : telle la catéchèse de saint Pierre, recueillie par saint Marc, et formant le fond narratif de nos trois documents ; telles aussi les traditions orales particulières dont chacun d’eux peut tenir les renseignements qu’il a en propre — soit des documents écrits, rédigés par les témoins eux-mêmes : tel le recueil de Logia, composé par saint Matthieu ; telles les autres sources écrites que saint Luc paraît avoir eues entre les mains, en dehors de ses sources orales.

Les récits et les discours, présentés par nos Synoptiques, remontent donc, dans leur ensemble, à la première génération chrétienne, aux propres témoins du Sauveur. C’est dire que nous avons affaire à des informations très autorisées. Comme on est assuré, d’autre part, que les évangélistes n’ont pas voulu altérer la vérité, qu’au contraire ils ont respecté manifestement la réalité de l’histoii-e, là même où elle paraissait heurter davantage leurs idées personnelles et leurs tendances, il s’ensuit que nos Synoptiques doivent être déclai-és, d’une façon générale, des documents historiques dignes de foi.

2" La bonne information des Synoptiques se véx’ifie sur les points où elle peut être contrôlée. — A cette conclusion on peut apporter une série de confirmations importantes. Sur tous les points où l’historicité de nos Evangiles peut, en effet, être contrôlée, elle est mise en évidence d’une manière significative.

S03. 1° Comparaison avec les monuments de l’histoire pour la chronologie. — Tout d’abord, leurs nombreuses données concernant la chronologie de la vie de Jésus et les conditions de la Palestine à son époque, sont en harmonie exacte avec ce que nous connaissons par les historiens profanes, le latin Tacite, surtout le juif Josèphe, la partie la plus ancienne du Talmud, les médailles, inscriptions, et autres monuments de l’histoire de ce temps.

Signalons seulement, au point de vue de la chronologie, le récit de la naissance du Christ, placé à la fin du règne d’IIérode le Grand, peu a^ant l’avènement au trône de son fils Archélaiis : Luc, i, 5 ; Matth., II, i, ig-aa ; cf. Josicimik. Ant. jud., XIV, xiv, 4-5 ; XVI, 1-4 ; XVII, viii, i ; xi, 4 ; >^iii> 2 ; liel.jud., I, XIV, 4 ; XVII, g ; xviii, i-3 ; xxxiii, 8 ; l’inauguration du ministère de Jean-Baptiste et, peu après, de celui de Jésus, en la quinzicme année de Tibère, Ponce Pilate étant procurateur de la Judée, Hérode Anlipas tétrarcjue de Galilée, Philippe, son frère, dont il avait éj)ousé la femme en mariage adultère, tétrarque de riturée et de la Trachonitide, Lysanias enfin tétrarque de l’Abilène : Luc, iii, i ; Marc, vi, 17-29 ; cf. Dion Cassics, Hist., lv, 20 ; Josèpue, Ant., XVII, 1691

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xiii, 2 ; XVIII, V, 2 ; autobiographie, i ; Corpus inscript, græc, n* 452 1 ; addenda, p. iiy^ ; la mort du Sauveur sous le gouvernement de Ponce Pilate et le pontificat de Caïphe : cf. Tacite, Ann.^ XV, xliv ; JosÈPHE, Ant., XVIII, III. 1, 2,

SO3. ie recensement de Quirinius. — C’est à peine si l’on révoque en doute la justesse du renseignement fourni par saint Luc, ii, 1-2, sur la coïncidence de la naissance de Jésus avec un décret de César Auguste, prescrivant un recensement général de l’empire romain, lequel aurait été exécuté pendant que Quirinius était légat de Sjrie. Renan, Vie de Jésus, p. 20, n. 4 ; LoiSY, Les Evangiles synoptiques, t. I, p. 343-346. L’évangéliste, dit-on, aurait anticipé d’une dizaine d’années, pour expliquer la naissance du Christ à Bethléem, le recensement authentique connu par les Actes, v, 3^ et par Josèphe, Ant., XVIII, I, I. — Slais, de ce que nous ne sommes pas en mesure actuellement d’identifier avec certitude le premier recensement dont parle l’évangéliste, il ne faut pas se presser de conclure à sa non réalité. Naguère aussi, Stracss prétendait que le Lysanias, mentionné par saint Luc comme tétrarque del’Abilène au début du ministère de Jésus, était un prince de Chalcis, portant le même nom, et qui aurait vécu quelque soixante ans auparavant. Vie de Jésus, t. I, p. 35535’j. Aujourd’hui cependant il est reconnu qu’il y avait en réalité un Lysanias, tétrarque de l’Abilène, à l’époque indiquée par le troisième évangcliste, au temps de l’empereur Tibère. Cf. Renan, Mémoires de V Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, t. XXVI, II, p. 67 ; Mission de Phénicie, p. 317 sq. ; Vie de Jésus, p. xiii, lxxxiv, n. 5 ; Schuerer, Geschichte des jiidischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, 3’éd., t. I, 1901, p. 716-720.

Notre évangéliste, étant en même temps l’auteur du livre des Actes, connaît exactement le recensement qui eut lieu, dix ans après la naissance de Jésus, l’an 6 de notre ère, après la déposition d’Archélaiis, et qui fut signalé par la révolte de Judas le Galiléen, Act., v, 37. Il serait étrange que, par erreur sur sa date précise, ce soit ce mêine recensement qu’il entende faire coïncider a^ec la naissance de Jésus, l’anticipant ainsi de dix ans. Il est bien plutôt à croire que l’opération de recensement, mentionnée dans l’Evangile, est différente de celle qui est mentionnée dans les Actes. Commencée sous Sentius Saturninus (9-6 av. J.-C), selon le témoignage de Tertullien, Adi’. Marcion., IV, xix, elle se sera terminée sous Sulpicius Quirinius, que l’on sait avoir été une première fois légat de Syrie, de l’an 3 avant Jésus-Christ à l’an 3 après Jésus-Christ : Mommsen, Bes gestæ D. Augusti, 2* éd., p. 161-162 ; sans préjudice du recensement qui fut exécuté, dix ans plus tard, par le même Quirinius, pour la réglementation de l’impôt, et qui, parce qu’il signifiait l’incorporation définitive de la Judée à l’empire, excita la révolte de Judas le Galiléen.

Par le fait, la tournure employée par l’évangéliste est remarquable : au point de vue de la grammaire et de la logique, sa phrase ne peut que se traduire ainsi : « Ce premier recensement eut lieu, Quirinius étant légat de Syrie », ou bien : « Ce recensement est le premier qui eut lieu sous Quirinius légat de Syrie. » Cf. J. "Weiss, Ei’. Luc, 8’éd. du Commentaire de Meyer, 1892, p. 323. II est donc expressément question d’un « premier » recensement : il serait vraiment étrange que notre écrivain parlât de la sorte, s’il n’en connaissait qu’un seul ; tout porte à croire qu’il entend le distinguer de celui qu’il mentionne ensuite dans les Actes ; et il était en mesure, mieux que nous, d’être renseigné sur ce point. Cf. Marucchi, art. Cyrinus, dans le Dict. de la Bible de

Vigouroux ; R.-S. Bour, L’inscription de Quirinius et le recensement de saint L^uc, 1897 ; AV. Ramsay, fVas Christ born at Bethleheni ? 1898 ; et ci-dessus, Jalabert, art. Efigraphie, col. 1 424-1 428.

204. 3° Comparaison avec les monuments de l histoire pour la description de la vie palestinienne. — Nous ne pouvons songer à énumérer ici les multiples détails des Evangiles qui ont trait à la vie palestinienne. Comme nous avons déjà eu loccasion de le dire (no S7). on y trouve, disséminés dans les récits et fournis au fur et à mesure de l’occasion, maints détails sur la situation politique, administrative, sociale et religieuse, de la Judée à l’époque du Sauveur : sur le rôle du procurateur romain, l’autorité laissée au sanhédrin juif ; les diverses classes ou les divers partis en présence, scribes et docteurs de la Loi, pharisiens et sadducéens, anciens du peuple ; les idées religieuses, les opinions relatives au Messie, le culte du temple, les usages liturgiques. Or, tous ces renseignements, si multiples, si variés, portant sur une réalité si spéciale et si complexe, sont reconnus en harmonie parfaite avec les plus sûres informations possédées par ailleurs. Cf. Sciiurrer, Geschichte des jiidischen Volkes, 3’éd., t. II, 1898 ; Stapfer, La Palestine au temps de Jésus-Christ, ô’édit., 1892 ; Edersheim, La société juive à l’époque de Jésus-Christ, traduit de l’anglais par Roux, 1896.

SOS. 3" Comparaison avec les Epitres de saint Paul pour les données sur la vie et renseignement de Jésus. — Une confirmation toute spéciale peut être demandée aux Epitres de saint Paul. Ces Epitres sont aujourd’hui, à l’exception de l’Epitre aux Hébreux, et sauf discussion au sujet des Epitres pastorales, tenues par la grande majorité des critiques pour œuvres authentiques de l’Apôtre, rédigées entre les années 48 et 60. Elles nous renseignent, par conséquent, sur la teneur de la tradition et l’état de la théologie chrétienne, vingt ou trente ans après la mort du Sauveur, au sein même de la génération apostolique. Il est intéressant de comparer leurs données avec celles de nos Evangiles. Or, voici ce qu’à ce point de vue on constate.

Saint Paul revient constamment sur les grands faits de la passion, de la mort, de la résurrection de Jésus-Christ, et la façon dont il en parle suppose une réalité semblable à celle que nous décrivent les Synoptiques. Dans ladernière Cène avec ses disciples, la nuit même de sa trahison, Jésus a institué l’Eucharistie, I Cor., XI, 23-29. Il a été livré à mort pour nos péchés. Boni., iv, 26 ; v, 6, 9, 10 ; a’iii. 32, 34 ; ou plutôt il s’est livré lui-même pour nous. Gal., 11, 20. Il a rendu témoignage sous Ponce Pilate, I Tim., vi, 13. Immolé au temps de la Pàque, il est devenu ainsi lui-même notre Agneau pascal, I Cor., v, 7. Condamné au supplice de la croix. Boni., vi, 5, 6 ; I Cor., I, 17, 23 ; II, 2, 8 ; II Cor., xiii, 4 ; Gal., iii, 13 ; Philip., m, 18 ; Col., II, 14 ; enseveli. Boni., vi, 4 ; x, 7 ; I Cor., XV, 4 ; Eph., IV, 9 ; Col., II, 12 ; il est ressuscité le troisième jour, Born., iv, 24 ; xiv, 9 ; I Cor., xv, 4 ; et il est apparu ensuite à un grand nombre : à Pierre, aux Onze, à plus de cinq cents frères ensemble, à Jacques, et de nouveau à tous les apôtres, I Cor., xv, 6-7.

L’Apôtre confirme également, sur un certain nombre de points, les enseignements de Jésus rapportés par nos Evangiles. Il se réfère expressément à ce que le Seigneur a réglé touchant l’indissolubilité du mariage, I Cor., VII, 10 ; cf. Marc, x, 9. La manière dont il parle de ravènement final du Christ, de l’incertitude de son jour, de la nécessité de se tenir prêt, I Thess., IV, 12-17 ; V, i-ii ; II Thess., i, 6-10 ; ii, I sq., etc., comme aussi de la bienveillance à garder vis-à-vis des persécuteurs, de la charité pour le prochain, de nos rapports avec Dieu Père, enfin du 1693

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salaire dû à l’ouvrierde l’Evangile, Rom., xii, 14 ; xiii, 8-10 ; VIII, 15-17 ; Gal., IV, i-j ; 1 Cor., ix, 14, suppose des discours de Jésus pareils à ceux qui sont consignés dans nos documents. Cf. R.-J. Kxoavling, The Testimony of St. Paul to Christ ^newed in some of iis aspects, 1906 ; P. Batiffol, Orpheus et l’Es-angile.

P- 87-99 Mais c’est surtout, si l’on peut dire, par contraste que les Epîtres de saint Paul font ressortir l’authenticité des discours que les Synoptiques mettent dans la bouche du Sauveur. — Que l’on compare, en effet, ces discours du Christ synoptique avec ceux de l’Apôtre, au point de vue du fond, et l’on constatera une profonde différence. Les discours de saint Paul contiennent déjà une théologie développée ; la christologie y est beaucoup plus explicite ; les préceptes de morale, plus détaillés, adaptés aux conditions nouvelles de l’Eglise. Comparés aux enseignements de Jésus, ils en font ressortir, d’une manière très sensible, la primitivité, et partant l’authenticité. — Plus net encore est le contraste au point de vue de la forme. Les discours de Jésus demeurent uniques par leur simplicité, leur usage constant de la comparaison et de l’image, le tour exquis qui y est donné aux paraboles, la façon énergique et saisissante dont proverbes et sentences y sont frappés. C’est ici, évidemment, la forme originale, en quelque sorte archaïque, fidèlement conservée.

206. fi° Comparaison avec les Actes des apôtres, au point de vue des discours. — La comparaison des discours tenus par les apôtres dans le livre des Actes conduit à une constatation semblable ; et une remarque contribue à donner à cette constatation une signification particulière. C’est que le rédacteur du livre des Actes est en même temps l’auteur du troisième Evangile. D’où A^ient l’accord exact des discours qu’il attribue à Jésus avec ceux des autres Synoptiques ? D’où vient leur cachet primitif si bien accentué, leur différence absolue d’avec les discours mis dans la bouche des apôtres, sinon de la fidélité de l’évangéliste à reproduire ses sources et de la conformité générale de sa relation avec la réalité de l’histoire ?

5° Comparaison avec les Evangiles apocryphes. — Enfin, c’est le contraste même des Evangiles apocryphes qui tend à faire ressortir l’historicité de nos Evangiles canoniques, comme la comparaison du faux met en évidence les caractères de la vérité. Cf. Evangiles apocryphes et Evangiles canoniques (collection Science et Religion), et dans ce Dictionnaire, art. Apocryphes (Evangiles).

S07. Conclusion. — L’historicité substantielle des Synoptiques est donc un fait qui s’impose de la manière la plus scientifique et la plus certaine.

Cette vérité n’est niée que par certains écrivains qui, tout en se réclamant de la rigueur scientifique, sacrifient inconsciemment le témoignage des faits à l’esprit de système et jugent de la valeur de nos écrits d’après le préjugé ({ue leur inspire a priori leur contenu surnaturel. A entendre, par exemple, M. S. Reinach, « les Evangiles, abstraction faite de l’autorité de l’Eglise, sont des documents inutilisables pour l’histoire de la vie réelle de Jésus », Orpheus, 1909, p. 828 ; « le Jésus historique est proprement insaisissable ». Ihid., p. 332. M. C. Gi’igne-BERT n’est guère moins excessif : à son sens, « il n’est point exagéré de dire qu’en l’état actuel de nos sources, il nous est impossible de nous représenter la vie de Jésus avec une probabilité suffisante d’exactitude )), Manuel d’histoire ancienne du christianisme, 1906, p. 156 ; « l’inévitable conclusion où nous conduise l’examen des documents, c’est… que la vie de

Jésus est pour nous impossible à saisir ». Ibid., p. 198. De telles appréciations, étroitement apparentées aux conclusions de la vieille école de Tubingue (cf. Strauss, n° S09), sont formulées à l’encontre du sentiment général des critiques actuels les plus indépendants.

Ces critiques sont si impressionnés par les garanties de vérités propres aux Evangiles synoptiques que, pratiquement, ils admettent comme historique tout ce qui, dans nos documents, ne heurte pas d’une façon trop directe le préjugé rationaliste.

Renan résumait son oi)inion, à leur sujet, en déclarant les admettre « comme des documents sérieux », auxquels on ne peut songer à comparer les apocryphes. Vie de Jésus, p. lxxxi-lxxxviii ; /.’Eglise chrétienne, 1879, P’^o^’M. Harnack a formulé ainsi ses conclusions : « Les Evangiles ne sont pas des écrits départi, et ils ne sont pas non plus, d’une façon appréciable, l’œuvre de l’esprit grec. Dans leur contenu essentiel, ils appartiennent à la période primitive du christianisme, à sa période judaïque, à cette courte époque que nous pouvons regarder comme l’époque paléontologique… La langue grecque est posée légèrement sur ces écrits, dont le contenu peut être traduit en hébreu ou en araméen sans beaucoup de peine. Il est incontestable que nous avons affaire là à une tradition originelle. » Bas U’esen des Christentums, 1900, p. i^.

C’est dans le même sens que M. Juelicher écrit :

« Les Evangiles synoptiques sont d’une valeur inappréciable, 

non seulement comme livres d’édification religieuse, mais encore comme documents autorisés pour l’histoire de Jésus. » Einleitung in das N. T., 1906, p. 828.

Telle est également l’opinion de critiques comme A.-B. Bruce, art. Jésus dans VEncycl. bibl., t. II, 1901, col. 2437 ; O. HoLTZMANN, Leheu Jesu, 1901, p. 6-60 ; W. BoussET, M’as wissen wir von Jésus ? igo/i, p. 27-62 ; VON SoDEN, Urchristliche J.iternturgeschichte, 1906, p. 76 ; P. "VVernle, Die Quellen des Lebens Jesu, 1906, p. 69-70, 81-87 ; ^*^*^ II. Valeur historique des Synoptiques pour le contenu surnaturel

Autant les critiques indépendants reconnaissent volontiers l’historicité des Evangiles synoi)tiques pour l’ensemble des données, autant ils sont unanimes à nier que cette historicité s’étende au contenu intégral de nos documents. Ce qui fait difficulté à leurs yeux, ce sont les éléments surnaturels de ces écrits. Beaucoup de données évangéliques sont inexplicables par les seules lois de la nature, et requièrent nécessairement un principe d’ordre surnaturel : or le surnaturel est déclaré inadmissible par la critique rationaliste ; il doit donc être exclu impitoyablement de l’histoire.

Cependant ce discernement même et cette élimination du surnaturel évangélicjue ne sont pas opérés d’une manière uniforme. A ce point de vue, l’on peut distinguer plusieurs méthodes ou plusieurs systèmes, que nous allons exposer aussi exactement que possible. Nous comiuencerons par le système de Strauss, qui a exercé une si grande influence sur les critiques rationalistes vcnusai)rès lui et qui se retrouve encore en nuiintes de leurs théories.

I. — Exposé général des systèmes employés,

à partir de Strauss,

pour l’élimination du surnaturel évangélique

SOS 1 " Système de Strauss. — Subordination I de la question de valeur documentaire à celle de non1695

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historicité du surnaturel. — Strauss subordonne d’une façon à peu près absolue la question d’autbenlicité et d’iiistoricité des Evangiles à celle de la non-existence du suinaturel. « Il n’y a pas de sentiment nettement historique, dit-il, tant que l’on ne comprend pas l’indissolubilité de la chaîne des causes finies et l’impossibilité des miracles. » Vie de Jésus ou Examen critique de son histoire, traduit de l’allemand sur la 3’édition, par E. Littré, 2’éd. 1853, t. I, p. 91. « Notre doctrine fait régner les mêmes lois dans tous les cercles des existences et des phénomènes ; par conséquent, elle déclare, de prime abord, non historique tout récit où ces lois sont violées. » Ihid., p. 102. « Les Evangiles, considérés comme de vraies sources historiques, rendent impossible une vue historique de la vie de Jésus. » Aou^elle vie de Jésus, traduite de l’allemand par A. NefTtzer et Ch. Dollfus, s. d., 1. 1, p. 47. « Par cela seul qu ils rapportent des faits surnaturels, il est clair qu’ils ne sauraient être des documents historiques. » Ibid., p. 33.

S09. La « Vie de Jésus ». — Sous l’influence de ce préjugé, Strauss entreprend sa Vie de Jésus (Das LebenJesu, 1835). Là, il commence par dire un mot du témoignage de la tradition ancienne au sujet de nos documents : on ne peut, en effet, laisser ce témoignage de l’histoire entièrement hors de considération ; mais il est visible que, pour lui, la question est secondaire, et décidée en quelque sorte d’avance. A peine, sur les quinze cent trente pages qui composent ses deux volumes, lui en consacre-t-il sept (t. I, p. 82-89), où. il la résout dans le sens le moins favorable à l’historicité des documents, de manière à conclure que les témoignages extrinsèques, étant insuffisants, laissent « aux raisons intrinsèques la décision entière du problème ». Vie de Jésus, t. I, p. 81.

Les garanties d’historicité que les Evangiles pourraient tenir de leur origine étant ainsi mises de côté, Strauss procède à l’examen direct des récits évangéliques : il les passe en revue les uns après les autres, s’attachant à y discerner ce qui est naturel de ce qui est surnatiu’el, à montrer que les explications proposées par Paulusl et d’autres pour réduire ce dernier élément à une interprétation naturaliste sont invraisemblables et inadmissibles, à conclure enfin que ce surnaturel est dû au mythe, c’est-à-dire à la fiction, généralement non réfléchie, des premières générations chrétiennes ; cette fiction inconsciente se serait élaborée sous l’influence de divers facteurs : la foi en la messianité de Jésus, la préoccupation de voir accomplies en sa personne les prophéties messianiques, le besoin de fournir des réponses plus décisives aux adversaires de la foi dans les controverses naissantes.

— Strauss lui-même esquissait ainsi son plan : « Tout l’auvrage que je soumets au lecteur n’a pas d’autre but que d examiner, à l’aide de raisons intrinsèques, la croyance que mérite chacun de leurs récits en particulier, et par conséquent la vraisemblance ou l’invraisemblance de leur rédaction par des témoins oculaires, ou du moins par des gens bien informés. » Ihid. ; cf. Nouvelle Vie de Jésus, i.l, p. 33-34, 122.

Exécutée sur ce plan, la Vie de Jésus était un ouvrage tout d’analjse, et aussi, l’on peut dire, tout de conclusions négatives. L’auteur laissait bien subsister un certain fond d’histoire dans ce que racontent les Evangiles, mais il s’attachait surtout à en montrer les éléments mythiques et donnait l’impression que la partie historique de nos documents formait un noyau assez exigu, largement recouvert par la légende.

SIO. La « Nouvelle Vie de Jésus ». — Dans sa N’ouvelle Vie de Jésus (Das Leben Jesu fur das deutsche

Volk hearbeitet, 1 864), Strauss entreprit de compléter l’œuvre primitive, en adoptant la marche inverse, c’est-à-dire la méthode synthétique et positive. « Aujourd’hui, écrivai.t-il en faisant allusion à son premier ouvrage, nous savons à tout le moins, aA’ec j certitude, ce que Jésus n’a été point et ce qu’il n’a point fait. Il n’a été rien, il n’a rien fait qui fût au-dessus de l’homme et de la nature. » Nouvelle vie de Jésus, t. I, p. 211. Il s’agissait maintenant de définir ce que Jésus avait été et ce qu’il avait fait, et d’expliquer comment ce que les Evangiles lui prêtent en dehors de cette réalité historique avait pu s’élaborer et se construire.

De là les deux livres qui se partagent Touvrage le premier, consacré à tracer l’esquisse historique de la vie de Jésus : t. I, p. 317-421 ; le second, à décrire la raison et le mode de formation du mythe superposé à l’histoire, c’est-à-dire le travail d’idéalisation progressive accompli autour de la personne et de la vie historique de Jésus : t, II, p. 1-4^4 Le tout se trouve précédé d’une introduction, consacrée en bonne partie à l’étude des Evangiles comme source de la vie du Christ : t. I, p. 47-190. Mais il est visible que cette étude n’est placée en tête de l’ouvrage que pour une raison de logique spéculative. Si l’on tenait compte de la marche réellement suivie par Strauss et qui lui était imposée par sa méthode, elle devrait venir en dernier lieu, n’étant presque en son entier qu’une systématisation après coup des conclusions obtenues au préalable par sa critique rationaliste des faits évangéliques.

SU. Opinion de Strauss sur l’origine des Synoptiques. — L’appréciation portée sur l’origine des Synoptiques y est exactement semblable à celle qui avait été ébauchée dans la Vie de Jésus : et à cela rien d’étonnant, puisqu’elle est influencée et gouvcrnée par la même nécessité logique. L’auteur continue donc de prétendre que la rédaction de nos Evangiles n’est guère antérieure au milieu du 11° siècle et que jusqu’à cette époque ils n’ont cessé de recevoir des transformations et des accroissements légendaires., Ibid., 1. 1, p. 75.

Comme Baur, il juge l’Evangile dit de Matthieu <.< le, plus ancien en date et le plus digne de foi ». Ibid., p. 147, cf. 178. Néanmoins, à son sens, le fond seul de cet écrit peut être primitif ; sorti vraisemblablement des traditions des communions chrétiennes de la Galilée, il aura été remanié dans la suite à plusieurs reprises et accommodé aux progrès du dogme. Il n’est nullement certain que même ce fond original soit de saint Matthieu : le nom de cet apôtre a dû être accolé au document, sans qu’il soit pour rien dans la com])osition d’une de ses sources. « D’après un bruit recueilli par plusiem-s Pères de l’Eglise, Matthieu passait pour un de ceux qui avaient annoncé l’Evangile aux Juifs, et, en sa qualité d’ancien publicain, il paraissait plus propre que personne à manier la plume. C’en était assez pour attacher son nom à l’Evangile, n’en eût-il pas écrit une ligne. » Ibid., p. 152(cf. n°119). Le troisième Evangile, d’après Strauss, doit être postérieur au premier. Il appartient donc à une époque à laquelle un compagnon de Paul ne pouvait plus guère écrire ni vivre. Ce n’est donc pas à lui qu’il faut rapporter la première personne du pluriel employée dans certaines parties de son autre ouvrage, le livre des Actes ; mais il aura « introduit assez négligemment dans sa rédaction des extraits de mémoires de quelque compagnon de Paul, dont il a oublie de nous apprendre le nom. » Ibid., p. 164 (cf. n° 106)-L’Evangile attribué à Marc serait également une œuvre de seconde main, et postérieure aux deux autres Synoptiques. D’après Strauss, l’auteur s’est contenté de faire un abrégé de ces deux premiers docu1697

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ments, en embellissant son extrait par une masse de menues additions dont l’unique but est de rafraîchir les couleurs du récit, et en le complétant à l’aide de traits puisés soit à des sources particulières, soit dans son imagination. Ibid., p. 171, 175. Pourquoi l’ouvrage a-t-il été mis au nom de Marc ? « Paul avait Luc parmi les évangélistes ; il fallait bien que Pierre eût aussi quelque représentant de ce genre : on prit Marc. Un homme qui avait suivi successivement Paul et Pierre paraissait comme fait exprès pour porter la paternité d’un Evangile marqué au coin de la neutralité. » /blcL, p. 178 (cf. n° 76).

313. Son appréciation sur l’historicité des Synoptiques. — En résumé, ce que nous offrent nos trois premiers Evangiles, d’après Strauss, est le produit d’un long travail d’idéalisation opéré autour d’un noyau historique primitif. Le principal facteur de ce travail a été la tendance progressive à éclairer la vie terrestre de Jésus des retlets de la gloire céleste du Christ. La vie de Jésus, violemment abrégée, n’avait nullement répondu aux espérances nationales des ilisciples. De là une vive inqiatience qui, dans la première communion chrétienne, tournait les esprits et les cœurs vers le prochain retour du Messie, comme vers la contrepartie de l’obscurité de la première existence humaine. Quand ces espérances furent refroidies, quand on trouva que le retour du Messie se faisait attendre, alors seulement on s’avisa de regarder en arrière, et de chercher dans le passé le gage de l’avenir et les preuves de la grandeur de Jésus. « De là ces épisodes rayonnants, tels que les scènes du baptême, de la transliguralion, de l’ascension, oùla gloirede celui qui devait descendre du ciel perce et brille déjà, à travers les voiles obscurs de son existence terrestre. » Ihid., p. iyQ-180. Parallèlement à ce besoin inconscient et spontané de glorilier la Aie humaine de Jésus, agissaient d’ailleurs les nécessités delà controverse et les progrès de la dogmatique. Ihid., p. 150-15(. ; 81, 203…, 4fcKi :  ! i _ : ^3 ^^t^

213- -2' Système du plus grand nombre des critiques indépendants : Renan, Holtzmann, Harnack, etc. — (k-peudant le long intervalle que requérait le système mytliique de Strauss, entre les temps apostoliques et la rédaction définitive de nos Evangiles synoptiques, est devenu une hypothèse de plus en plus dilhcile à soutenir, à mesure que l’on a étudié plus sérieusement les garanties qu’olFrent riiistoire et les caractères internes de nos documents en faveur de leur ancienneté. Dès lors que la critique était amenée à placer la composition des trois premiers Evangiles avant la lin du 1" siècle, et à la faire dépendre en majeure partie de docunuMits remontant avant l’an Oo, ilseml)lait devenu impossible de maintenir l’iiléalisation mythi([ue elle-même dans la mesure si considéral)le que Strauss avait supposée.

On comprend, en particulier, que les conjectures du professeur de Tubiiigue aient paru insoutenables aux nombreux critiques indépendants qui admettent la rédaction immcdialii du second Evangile par saint Marc, disciple de saint Pierre (n" 95), qui rapportent directement à saint Matthieu le recueil de discours utilisé dans le i)remier et le troisième Evangiles {n"' 59. ISO), enfin qui reconnaissent dans ce troisième I'2angile l'œuNre anthenti([ue de saint Luc, compagnon de saint Paul (n° 114).

Ces criliqiuîs ne [jcuvent moins faire fjue d’accorder à nos Synoptiques, à raison de leur origine, une très grande valeur documentaire. D’un autre côté, ils jugent impossible d’admettre, au point de vue philosophi<[nc, leur historicité intégrale, soit qu’ils soient rationalistes purs et panthéistes, comme IIiînax, soit que, protestants libéraux, croj-ant à un Dieu person nel et au Christ médiateur, ils adoptent néanmoins à l'égard du miracle l’attitude rationaliste, comme

H. IIOLTZMANX, O. HOLTZMANX, A. JUBLIGHER, A. HaR NAGK, etc.

Leur méthode se ramène dès lors essentiellement, et sauf de multiples divergences dans le détail, à la combinaison d’un double elFort, ou d’une double préoccupation : la préoccupation de sauvegarder dans la plus grande mesure possible l’historicité de nos Evangiles, dont on juge les garanties objectives extrêmement sérieuses, et celle d'éliminer néanmoins de l’histoire le surnaturel ou le miracle, que le préjugé philosophique empêche d’accepter. Ainsi, on les voit maintenir à nos Evangiles une grande valeur documentaire, reconnaître l’authenticité et l’historicité de leur contenu dans une mesure beaucoup plus considérable que ne l’avait fait Strauss ; et malgré tout, ils ne sont guère moins préoccupés que le docteur de Tubingue d'écarter de la vie de Jésus le miracle proprement dit, de nier sa conception virginale, sa résurrection corporelle, sa divinité ; et pour ce faire, ou bien ils essaient d’interpréter les données, reconnues authentiques, dans un sens qui les ramène aux proportions de faits naturels, ou bien, quand ils jugent l’interprétation naturelle par trop impossible, ils recourent momentanément à l’hypothèse du mythe proposée par Strauss.

514. 3° Retour exceptionnel aux positions de Strauss : Brandt, Schmiedel, Loisy, etc. — Les conclusions adoptées par l’ensemble des criti({ues indépendants touchant l’authenticité et l’historicité de nos Evangiles rendent bien malaisée l’application du principe rationaliste : si nos documents sont en rapport aussi étroit avec la génération apostolique et les témoins directs de Jésus, peut-on encore recourir à l’hypothèse mythique dans une mesure suilisanle pour expliquer la masse considérable de leurs données qui impliquent le surnaturel ? Et comment reconnaître pour authentiques la plus grande partie des déclarations mises dans la bouche de Jésus et le plus grand nombre des faits qui composent sa vie, sans s’obliger à trouver le miracle dans sa personne et dans sa destinée ? Cette dilliculté a été profondément sentie d’un certain nombre de critiques récents, comme Braxdt, Scumiedkl, ConyBKARE, Loisy.

Mettant au-dessus de tout la nécessité d'éliminer de l’histoire ce qui dépasse la nature, animés d’un parti pris rationaliste aussi absolu, aussi rigoureux que celui de Strauss, ces auteurs sont revenus purement et simplement aux positions du docteur de Tubingue, sauf à adapter çà et là sa criti([ue aux conclusions qui se sont imposées depuisaux savants, et à la faire bénélicier de quelques hypothèses nouvelles, aptes à la compléter ou à la préciser sur certains points particuliers.

515. Altitude de M. Loisy, en particulier. — Sa méthode rationaliste. — Ainsi, M. Loisy fait à Strauss un mérite d’avoir « subordonné la critique des Evangiles à la criti([ue de l’histoire évangélique ».

« Si les récils concernant le Christ étaient des mythes, dit-il, ils ne pouvaient émaner de témoins oculaires ni de gens bien informés, et la question de

conqiosition n’avait plus qu’une importance secondaire. » Les E’angiles synoptiques, t. I, p. 65 ; cf. Schmiedel, art. Gospels, dans VEncycl. bihl., t. II, iQOi, col. 1872. C’est exactement le procédé que M. Loisy a suivi lui-même.

Bien ([ue, à l’exemple de l’anleur de la Vie de Jésus, il fasse précéder son examen du contenu des Synopti([ues d’une longue étude sur l’origine et la composition de chacun d’eux (/-es Evangiles synop1699

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tiques, Introduction, chap. iii, iv, et v), il est n^anil’este que cette dernière étude a, dans son travail, comme dans celui de son prédécesseur, suivi la première, qu’elle dépend de la première, qu’elle ne fait qu’utiliser les résultats censés obtenus par la critique interne des textes ; et il n’est pas moins clair que celle-ci est gouvernée avant tout par le parti pris d’exclure de l’histoire tout ce qui implique franchement le surnaturel ou pom-rait y conduire.

Il y a donc, entre les diverses parties de l’œuvre de M. Loisy et celles du travail de Strauss, une correspondance exacte. La longue analyse de l’histoire évangélique, qui remplit la Vie de Jésus du docteur Strauss, a son pendant dans le Commentaire détaillé que M. Loisj- donne des Synoptiques ; la synthèse de l-a. Nouvelle vie de Jésus, dans la longue Introduction mise en tête de ce Commentaire. Dans cette Introduction même, ce que le critique français dit de lu Carrière et de VEnseignement de Jésus, d’après les Evangiles synoptiques (chap. vii, a’iii, ) correspond à la I" partie du second ouvrage de Strauss, intitulée Esquisse historique de la vie de Jésus ; ce qui est dit du Caractère et du développement de la tradition évangélique (chap. vi), correspond à la II’partie de la Nouvelle vie de Jésus, intitulée le mythe ; enfin, ce ([ui regarde l’Origine et la composition des trois Synoptiques (chap. I, iii-v) correspond k l’Introduction de Strauss sur les Evangiles comme sources de la vie de Jésus.

Mais M. Loisy ne s’est pas borné à emprunter au professeur de Tubingue son cadre, il en a adopté aussi largement l’esprit et les idées. C’est la même manière d’apprécier l’historicité des faits évangélicjues d’après lem- rapport avec le surnaturel ; et c’est aussi la même rigueur à appliquer l’hypothèse de l’idéalisation légendaire, dans une mesure que réprouvent le plus grand noml^re des critiques indépendants.

S16. Son appréciation touchant l’origine et l’historicité des Synoptiques. — Toutefois, en ce qui concerne l’ancienneté des Synoptiques et leur rapport mutuel, M. Loisy ne pouvait s’en tenir simplement aux positions du Aieux critique allemand. D’après Strauss, la rédaction définitive de nos Evangiles ne serait guère antérieure au milieu du ii" siècle ; le plus ancien serait celui de Matthieu ; le plus récent, celui de Marc, simple abrégé des deux précédents. Ces hypothèses ne sont plus aujourd’hui soutenues de personne. M. Loisy n’a pu que se ranger, sur ces divers points, à l’opinion communément reçue parmi les critiques indépendants, à savoir que nos Synoptiques sont tous les trois du i" siècle (n° 32), que Marc n’est pas un abrégé des deux autres, mais est, au contraire, le plus ancien, et a été utilisé lui-même par les deux plus récents (n° 59).

Povu" assurer, malgré tout, la possibilité du recours nécessaire à l’hypothèse mythique, M. Loisj’, fidèle à l’esprit de Strauss, tâche de placer le plus grand écart possible entre les témoins autorisés de la première tradition évangélique et la composition de nos documents, La rédaction du second Evangile est rapportée approximativement à l’an’j5 ; celle des deux autres aux dernières années du i" siècle (n°38). Aucun d’eux ne serait d’un apôtre, ni d’un disciple direct des apôtres, ou d’un homme qui aurait eu souci de recueillir le témoignage certain de ceux qui avaient vu et entendu le Seigneur (n" 61, 68, 106). Dès lors, entre les faits évangéliques et les écrivains qui prétendent les rapporter, on retrouve une distance un peu analogue à celle que Strauss supposait, et l’on peut s’en autoriser pour reprendre les hypothèses niêmes qu’émettait le professeur de Tubingue, touchant la formation graduelle du mythe. Le grand

travail d’idéalisation que l’auteur de la Vie de Jésus croyait devoir prolonger jusque vers l’an 150, doit trouver sa i)lace entre l’an 30, date de la mort du Sauveur, et le dqji-nier quart du i" siècle.

Pour M. Loisy, comme pour Strauss, les Evangiles sont donc « avant tout, des livres d’édification » où le critique doit démêler « ce qui est souvenir primitif de ce qui est appi’éciation de foi et développement de la croyance chrétienne ». Autour d’un petit livre, 1908, p. 44- Ce sont des écrits de propagande où s’est cristallisé ce qui a formé la tradition apostolique, et qui n’a été autre chose qu’une « élaboration constante et progressive des impressions reçues et des souvenirs gardés » Les Evangiles synoptiques, t. I, p. 175. Même dans Marc, le plus ancien de nos Evangiles, ce que l’on trouve est « un résidu plus ou moins hétérogène de la tradition historique de l’Evangile et des interprétations, des corrections, des compléments, qu’y avait introduits le travail de la pensée chrétienne, soit le travail anonyme de la foi dans les premières communautés, soit l’inlluence individuelle de maîtres tels que Paul, soit les ré- 1 flexions personnelles des rédacteiu"s évangéliques ». Ibid., ]). 112, cf. p. 141, 172.

51 7. Les interprétations rationalistes concernant les points qui, dans les Evangiles, intéressent particulièrement la foi. — Pour mieux connaître l’attitude des rationalistes relativement au contenu surnaturel des Evangiles, et pouvoir la critiquer plus eflicacement, il y aurait avantage à exposer ici, avec quelque détail, les positions qu’ils ont prises à l’égard des principaux points qui, dans nos documents, intéressent la foi. Ce sont : la conscience et la manifestation messianiques de Jésus ; les miracles, preuves de sa mission ; la prévision qu’il a eue de sa mort et l’oflrande qu’il en a faite en sacrifice ; sa résurrection corporelle ; sa divinité proprement dite ; enfin sa naissance virginale.

Le trop de place que demanderait cet exposé dé^ taillé nous oblige à renvoyer aux articles spéciaux du Dictionnaire. On le trouvera au complet dans la Bévue pratique d’Apologétique du i"septembre 1910, ; t. X, p. 815-842.

2. — Critique générale de l’interprétation rationaliste des Evangiles

518. 1" D’une façon générale, la critique rationaliste de l’historicité des Evangiles est commandée par le préjugé. — Du simple exposé des théories i-ationalisles, il ressort clairement que le procédé par lequel les critiques soi-disant indépendants discernent et éliminent les éléments non historiques des Evangiles est essentiellement arbitraire, gouvcrné par le préjugé philosophique, nullement par un examen objectif des garanties de A’érité que possèdent nos documents.

L’a priori est évident chez les représentants de la critique radicale, tels que Strauss et Loisy. Ils ont beau placer en tête de leurs ouvrages l’étude de l’origine et de la valeur documentaire des Evangiles, il est clair que leur appréciation de l’histoire et leurs conclusions touchant le travail mythique qui s’est exercé autour d’elle ne découlent pas de constatations impartiales faites d’abord sur les documents, mais résultent du ])artipris. La preuve en est que M. Loisy, tout en ayant, sur l’origine de nos Synoptiques, des idées très dill’érentes de celles de Strauss, et tout en tenant, par exemple, l’Evangile de saint Marc pour le plus ancien et celui qui servirait de fond narratif aux deux autres, tandis que d’après Strauss c’était le plus récen t et un simple abrégé des deuxpremiers, émet 1701

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cependant des appréciations et des conclusions qui, dans l’ensemble et dans la plupart des détails, sont identiques. C’est que, malgré des apparences qui sont un vrai trompe-l’œil, ces critiques ont commencé par faire abstraction de la valeur documentaire des Evangiles, pour en passer immédiatement le contenu au crible d’un rationalisme aveugle et intransigeant.

Or, un tel procédé paraît bien être le rebours de la méthode véritablement critique. En bonne logique, quand il s’agit de livres tels que nos Evangiles, l’étude de leur origine doit venir avant celle de la crédibilité de leur contenu. La question d’authenticité prime, ici comme ailleurs et plus qu’ailleurs, la question d’historicité. Renax l’a dit avec beaucoup de raison : a A quelle époque, par quelles mains, dans quelles conditions les Evangiles ont-ils été rédigés ? Voilà… la question capitale d’où dépend l’opinion qu’il faut se former de leur crédibilité. » Vie de Jésus, p. xlviii.

S19. Pour être moins excessif, le préjugé n’est guère moins réel chez les critiques qui entendent bien déterminer au préalable les chances d’historicité que les Evangiles tiennent de leur origine, mais se guident ensuite dans le détail sur des considérations tout autres que celle de la valeur objective des documents. Il est visible, en effet, que dans leplus grand nombre, sinon la totalité des cas, s’ils se prononcent contre l’authenticité d’un texte, c’est pour une raison tirée de l’idée pliilosophicp^ie préconçue. Rexan l’avoue d’une manière assez cynique : « Ce n’est pas parce qu’il m’a été préalablement démontré que les évangélistes ne méritaient pas une créance absolue que je rejette les miracles qu’ils racontent ; c’est parce qu’ils racontent des miracles que je dis : les Evangiles sont des légendes ; ils peuvent contenir de l’histoire, mais certainement tout n’y est pas historique. » Vie de Jésus, p. vi.

330. Une critique véritablement indépendante ne peut, semble-t-il, qu’éprouver de la défiance à l’égard d’appréciations ainsi commandées et réglées par le parti pris, sous le couvert d’un esprit prétendu hautement impartial et pvirement scientifique.

On dira que l’application de l’interprétation surnaturelle aux Evangiles suppose elle-même un préjugé, savoir la croyance préalable au surnaturel. Mais, à bien considérer les choses, la position de l’exégète croyant est encore plus logique et plus scientifique que celle de l’exégète rationaliste : tandis que ce dernier sacrifie purement et simplement l’histoire à sa philosophie, en refusant systématiquement toute valeur historique aux documents de contenu surnaturel, le premier ne tient de sa jihilosophie que la croyance à la possibilité du surnaturel, et il garde son entière indépendance pour vérifier simplement si les documents qui l’attestent en fait sont, au point de vue historique, suffisamment garantis.

221 2° Le système radical de Strauss et de M. Loisy est rendu impossible par ce que l’on sait de l’origine de nos documents. — Le système radical de Sthauss et de M. Loisv n’est pas seulement établi a priori, indépendamment d’une appréciation objective des Evangiles, il est en contradiction positive avec ce que l’on sait par ailleurs de l’origine de ces documents, et ce qui est reconnu par l’ensemble même des critiques indépendants.

Ce système était à peine soutenable dans l’hypothèse de Strauss, qui prolongeait jusque vers le milieu du second siècle le travail de dévcl()pi)cnient et de transformation légendaire (m aurait abouti à la rédaction finale des Synoi)ti(iues. Il scml)le devenu impossible depuis que les plus intransigeants ont été contraints de reconnaître que la rédaction définitive de nos écrits est antérieure au second siècle, et qu’ils

reposent siu* des documents remontant à la première génération chrétienne. Le travail si considérable d’idéalisation que ce système suppose se con » prendrait, à l’extrême rigueur, s’il avait eu un certain nombre de générations, pour s’élaborer, mais il est invraisemblable au cours de la seconde génération, à plus forte raison au sein de la première. A qui lui eût allégué que nos Livres saints ont de bonnes garanties d’authenticité, Strauss accordait avec raison que « cet argument serait en effet décisif s’il était prouvé que l’histoire biblique a été écrite par des témoins oculaires, ou du moins par des hommes voisins des événements. Car, bien qu’il puisse s’introduire, par le fait de témoins oculaires même, des erreurs, et, par conséquent, de faux rapports, néanmoins la possibilité d’erreurs non préméditées (la tromperie préméditée se fait, du reste, reconnaître facilement) est circonscrite dans de bien i^lus étroites limites que lorsque le narrateur, séparé des événements par un plus long intervalle, en est réduit à tenir ses renseignements de la bouche des autres ». Vie de Jésus, t. I, p. 80.

222. 3’j Le système plus modéré des autres critiques indépendants n’accorde pas aux Evangiles l’historicité nécessaire, et n’aïuive pas â, les vider de tout surnaturel. — Le système, relativement modéré, adopté par la plupart des critiques indépendants ne saurait davantage satisfaire.

D’un côté, il n’accorde pas à nos Evangiles la mesiu-e raisonnable d’historicité qu’oblige à admettre, semble-t-il, l’origine que ces critiques mêmes reconnaissent à nos documents. Si l’Evangile de saint Marc a réellement été rédigé par le disciple de saint Pierre d’après l’enseignement direct du chef des apôtres, si l’Evangile de saint Luc a poiu* auteur le compagnon de saint Paul qui a connu la première génération chrétienne et a été en rapport avec les régions où vivaient les propres témoins, si dans l’Evangile de saint Matthieu se trouve exploité un recueil de discours composé par l’apôtre de ce nom, on ne peut sans grave invraisemblance mettre au compte de l’idéalisation légendaire tout ce que le principe rationaliste oblige ces auteurs à rejeter comme évidemment miraculeux ou impliquant trop étroitement le surnaturel.

223. D’un autre côté, l’ensemble considérable du contenu éAangélique dont ces critiques moins intransigeants se sentent contraints d’admettre l’authenticité, ne saurait, sur beaucoup de points, au jugement des rationalistes plus conséquents et plus rigoureux, recevoir d’explication naturelle satisfaisante. — Si, par exemple, l’on accorde que Jésus a réellement prononcé les déclarations où il apparaît comme le Fils, au sens absolu, à côté du Père, s’il a réellement prétendu remettre les péchés de sa propre autorité, revendiqué le privilège de l’infaillibilité poiu- ses oracles, annoncé qu’il serait un jour le juge des vivants et des morts et assis à la droite de Dieu (cf. les aveux des critiques, ûansla liet-ue pratique d’.-lpologélique. t. X, p. 837 ^l*) ? il ^^^^^ convenir qu’il s’est cru au-dessus de l’humanité ordinaire cl a proclamé vérital >lement sa divinité ; et comme on ne saurait attribuer de telles prétentions à l’impostvue ni à l’illusion, tant l’une et l’autre dépasseraient les bornes de la vraisemblance et tant elles sont contredites par l’ensemble de sa vie, de son caractère et de ses œuvres, force est bien de conclure qxi’il est en réalité ce qu’il a déclaré être. — De même, s’il a prévu en quelque manière sa destinée douloureuse et s’est néanmoins rendu à Jérusalem, si la veille de sa mort il a présenté la Cène prise avec ses disciples comme son dernier repas, le pain et le vin comme le symbole de son corps immolé et de son sang répandu, avec re1703

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commandalion de reproduire le même rite en mémoire de lui, s’il a soulTert enfin la mortelle agonie que les Evangiles racontent à la pensée de sa passion imminente (cf. ibid., p. 822 sq.), il faut bien lui reconnaître également une prescience d’ordre miraculeux et une véritable liberté dans son sacrilice. — De même encore, s’il est vrai qu’il a subi le supplice déconcertant de la croix, que son cadavre a été enseveli dans un tombeau, que néanmoins très peu après, à Jérusalem, à proximité de ce tombeau et du Golgotha, les apôtres ont été convaincus de la résurrection de leur Maître, au point de la proclamer en pleine ville sainte, à la face des Juifs et d’obtenir là le succès prodigieux que nous savons (cf. ihiJ., p. 83 1 sq.), force est Ijien d’accorder que le fait de la résurrection a pour lui les preuves les plus solides, et que ce fait surnaturel par excellence est aussi un fait historique bien constaté.

Ainsi, la critique rationaliste semble acculée fatalement à l’une ou l’autre de ces deux extrémités : ou de nier a priori l’historicité des Evangiles, au mépris des garanties incontestables qu’ils offrent du côté de leur origine scientilîquement considérée ; ou d’admettre l’historicité des documents dans une mesure qui rend impossible de réduire raisonnablement leur contenu à l’interprétation purement naturelle.

SS4. /( L’hypothèse, essentielle à toute interprétation rationaliste, d’un travail considérable d’idéalisation mythique est en contradiction avec plusieurs faits certains. — Que l’on prenne d’ailleurs le sj’stème radical de Strauss et de M. Loisy, ou que l’on s’en tienne au système plus modéré de la plupart des critiques indépendants, on n’arrive à éliminer le surnaturel des Evangiles que par l’hypothèse d’un travail considérable d’idéalisation mythique qui se serait opéré sur l’histoire-. Or, cette hypothèse, indépendamment de la question de l’origine réelle de nos documents, se trouve en contradiction avec un certain nombre de faits, nullement hypothétiques, mais certains, et dont la signification est très claire.

Lorsque nous avons voulu établir la sincérité de nos évangélistes (n°* 188-194), nous avons mis en avant que ces écrÎA’ains ont su faire abstraction de leurs idées personnelles, des tendances de leur milieu, des croyances de l’Eglise de leur temps, pour reproduire l’histoire dans sa pure vérité, sur plusieurs points importants, tels que le portrait moral des apôtres, la peinture de l’idéal messianique des disciples de Jésus, la personne même du Sauveur. Or, ces faits ne nous assurent pas seulement la sincérité de nos auteurs : ils nous garantissent également leur indépendance à l’égard d’un travail inconscient d’idéalisation.

Si quelque perspective ancienne risquait, en effet, d’être déformée sous l’influence des nouvelles conceptions, c’étaient assurément la condition imparfaite et grossière des apôtres du vivant de Jésus, l’état d’esprit des disciples par rapport à la destinée du Maître et à la nature du royaume, la condition humaine du Fils de Dieu aux jours de sa vie terrestre. Fatalement, sendjle-t-il, prédicateurs et catéchistes devaient incliner à laisser dans l’oubli ce qui était si fort en opposition avec les idées récentes, à voiler et dissimuler ce qui paraissait n’être plus en harmonie avec la foi actuelle, sinon à le corriger et remplacer par des réalités mieux en rapport avec les exigences du temps présent.

Rien cependant de mieux constaté que l’indépendance de nos évangélistes, et de la tradition qui est à leur base, à l’égard de telles préoccupations. Même les faits ou les déclarations synoptiques que Strauss et M. Loisy jugent particulièrement significatifs de

la divinité du Christ (cf. Re’ue prat. d’Apolog., t. X, p. 834 s<l-)> loiri d’infirmer cette constatation, ne font que la renforcer. Quelque expressifs, en eftet, que ces traits soient en réalité, ils n’en sont pas moins étonnamment discrets quand on les compare à la croyance attestée dans les Epîtres de saint Paul, et il demeure tout aussi incontestable que l’humanité du Sauveur est accusée, au contraire, dans nos Evangiles avec un relief très accentué.

Il reste donc vrai que les Synoptiques se tiennent indépendants de la foi nouvelle de l’Eglise, dans une mesure qu’on a le droit de trouver remarciuable. Et cette immunité de nos écrits par rapport aux idées ambiantes, sur des points où leur influence devait se faire sentir si puissamment, est extrêmement significative. La fidélité des évangélistes à s’abstraire des conditions présentes pour reproduire la vérité de l’histoire se constate là justement où on peut la contrôler d’une manière un peu précise : c’est une constatation qui rassure pleinement sur leur fidélité pour l’ensemble.

285. Critique des interprétations rationalistes portant sur les principaux points qui intéressent la foi. — Il nous faudrait maintenant critiquer directement les positions prises par les rationalistes à l’égard des principaux points des Evangiles qui intéressent la foi, savoir : la messianité de Jésus, ses miracles, sa prévision de sa mort et l’offrande qu’il en a faite en sacrifice, sa résurrection, sa divinité, sa conception virginale (n° 217). En nous plaçant sur leur terrain, nous pourrions nous rendre compte que leurs hypothèses, radicales ou modérées, destinées à éliminer de l’histoire évangélique les éléments surnaturels, sont sans fondement sérieux, et qu’au contraire l’historicité de ces éléments s’impose au point de vue même d’une critique strictement scientifique.

On trouvera cette critique détaillée dans la Revue pratique d’Apologétique, novembre 1910, t. XI, p. 166 sq., ou encore dans les articles spéciaux du Dictionnaire.