Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Evangiles canoniques (I. Origine)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 807-850).

ÉVANGILES CANONIQUES

sommaire I. — ORIGINE DES ÉVANGILES.

I. Epoque de composition des Evangiles.

1. — D après la critique externe. Les manuscrits (1).

La tradition à la lin du ne siècle (S-8). La tradition au milieu du 11’siècle (9-12). La tradition entre 140 et 96 (13-Sl).

2. — D’après la critique interne.

La langue des Evangiles (S2). Le contenu doctrinal des Evangiles (S3). Le contenu historique des Evangiles (S4-27). Conclusion (S8-33).

II. Authenticité intégrale du texte actuel des

Evangiles.

i. — Texte reçu et texte critique {3’i-39). 2. — Authenticité générale du texte grec actuel (40).

3. — Principaux passages dont l’authenticité est

discutée. Finale de saint Marc (41). Episode de la sueur de sang (48). Episode de la femme adultère (43-44). La formule trinitaire du baptême (45). L’attribution du Magnificat à Marie (46). L’ange de la piscine probaticiuc (47).

III. Le rapport des trois premiers Evangiles entke eux.

i. — Etat de la question (49-51).

2. — Dii’erses solutions proposées. Hypothèse d’une dépendance mutuelle ou

d’une utilisation réciproque (52-53). Hypothèse d’une dépendance commune, à

l’égard de la tradition orale (54). Hypothèse d’une dépendance commune à

l’égard de documents écrits (55-58). Hypothèse mixte : dépendance à l’égard de

Marc et des Logia (59-62).

3. — Appréciation et conclusions (63-70).

IV. Les auteurs de nos Evangiles.

1. — L’auteur du second Evangile, saint Marc. D’après la critique externe (71-82). D’ai)rès la critique iiilcrne (83-94). Opinions des critiqucs (95-96).

2. — L’auteur du troisième Es’angile, saint L.uc. D’après la critique externe (97-99). D’après la critique interne (100-113). Opinions des critiques (114-115).

3. — L’auteur du premier Evangile, saint Muttliicu.

D’après la critique externe (116-126). D’après la critique interne (127 133). Opinions des criticiues (134-135).

4. — I. auteur du quatrième Eyangih’.saint Jean. D’après la critique externe (136-146). Confirmatur : Le séjour de saint Jean à Ephèse

(147158). D’après la critique interne (159-180). Conp’rmatur : Le témoignage des Epitres johan niques (181183). Oi)ini<)ns des criti<|ues (184-186). 1599

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II. — VALEUR HISTORIQUE DES TROIS PRE-MIERS EVANGILES.

I. Valeur historique pour l’exsemble du contenu 1. — Xos éi’arigélistes sont sincères. Pi-euve générale (187). PreuA-es particulières (188-194).

2. — Ils sont, dans l’ensemble, bien informés. Leur bonne information d’ensemble est garantie par ce que l’on sait de leur origine (198201).

Elle se vérilie sur un certain lumibrede points où elle peut être contrôlée (208-207).

II. Valeur historique POUR le contenu surnaturel. j. — Exposé général des systèmes employés à

partir de Strauss pour l’élimination du surnaturel évangélique. Système de Strauss (208-SlS). Système de la plupart des critiques indépen lants actuels (213). Retour exceptionnel aux positions de Strauss (214-216). 2. — Critique générale de l’interprétation rationaliste appliquée aux Evangiles {218-228) in. — VALEUR HISTORIQUE DU QUATRIÈME EVANGILE.

Opinions des critiques (226-234).

I. Le quatrième Evangile n’est p.s une composition artificielle en forme d’allégorie.

1. — Pour les récits et les faits.

Le cadre chronologique et topographique

(235-236). Les récits de miracles (237-253). Les autres récits communs aux Synoptiques

(254-259). Le jour et l’heure de la mort de Jésus (260 267).

2. — Pour les discours et les idées. Style et procédé littéraire (268-272). Uniformité et caractère sjjécial des idées (273 274). Rapport des idées avec les idées et les faits

postérieurs à Jésus (275-283). L’idée du Verbe incarné (284).

II. Le quatrième Evangile contient une tradition

HISTORIQUE.

1. — Pour les récits et les faits. L’évangéliste a voulu établir la foi par l’histoire (285-287).

L’examen du livre révèle une tradition historique (288-306).

2. — Pour les discours et les idées.

Les discours et leur liaison avec les récits

(307-314). Les idées et leur rapport avec la réalité de

l’histoire (315-322). Conclusion (323-325).

Nota. — Les chilTres gras mis entre parenthèses correspondent aux chiffres insérés dans le corps de 1 article pour le diviser.

Les Evangiles canoniques sont les documents que la tradition nous a transmis et que l’Eglise nous présente comme le recueil autorisé des actes et des paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Méritent-ils pareille considération ? Aux yeux des fidèles, la simple autorité de l’Eglise, se démontrant par des arguments indépendants du témoignage des Evan giles, en est une garantie suffisante. A ces croyants mêmes, cependant, il importe de prouver, jjar les moyens généralement employés à l’égard des ouvrages ordinaires, la valeur historique prfipre à nos documents. Sur un point aussi capital la foi ne saurait être trop assurée. A l’égaicl des non croyants, ce genre de démonstration est le seul qui puisse être utilisé. Et Ton conqnend sa nécessité pratique, qu’il s’ai ; isse de justifier la tra<litinn et l’enseignement de TEglise, ou que l’on ait en vue d’amener à la foi ceux qui n’ont pas le bonheur de croire. De l’historicité de nos écrits dépendent, en grande partie, poiubeaucoup de gens, l’idée qu’on doit se faire des origines de la religion chrétienne et de son I)ien-fondé, la créance qu’il convient d’accorder aux prétentions surhumaines de son Fondateur, à ses œuvres miraculeuses, à ses institutions.

La grande question qui va nous ccuper est donc celle de la valeur historique de nos Evanjjiles. Nous la traiterons, pour les trois premiers d’aixn’d, qui sont étroitement apparentés entre eux, pour le quatriènie ensuite, qui offre une physionomie à part.

Mais l’examen définitif de cette question devra être précédé par l’étude d’une autre, qui lui est préalable, savoir celle de l’origine de nos documents. Nous rechercherons donc en premier lieu à quelle époque remontent ces quatre Evangiles et à cruels auteurs il faut les attribuer.

I. — ORIGINE DES ÉVANGILES

I. Epoque de composition des Evangiles

1. — Daprés la critique externe

1. Lorsqu’on cherche à déterminer l’époque à laquelle remontent nos Evangiles, on songe d’abord à consulter l’âge de leurs manuscrits. Ces manuscrits, au nombre de près de 4-ooo, ont été classés siècle par siècle, d’après les moyens fournis par la paléographie. Or, les plus anciens, qui aient été conservés, remontent seulement aux V et iv^ siècles (n. 36). Avant cette époque, le papyrus tenait généralement lieu de parchemin, et les manuscrits rédigés sur une matière si friable n’ont pu résister à l’usure rapide du temps.

Mais, antérieurement à ce iV siècle, l’existence des Evangiles est attestée par de nombreux ouvrages ecclésiastiques qui les citent dans leur langue originale ou déjà traduits. C’est particulièrement autour de l’an 200, au début du m’siècle et au dernier quart du II*’, que les témoignages se présentent à la fois nombreux et intéressants.

1° La tradition à la fin du II’" siècle. — 1° Etat des documents. — Entre l’an 170 et l’an 200, les Evangiles sont partout connus et utilisés dans les nombreuses Eglises qui bordent le grand lac romain de la Méditerranée et sont déjà florissantes à cette époque.

2. Tatienif^b*’).— En Syrie, T.tien, vers 175, rédige en syriaque, pour l’usage des fidèles d’Edesse, une sorte d’harmonie ou de fusion des quatre Evangiles canoniques, à laquelle on a donné le nom de Diatessaron. ou Evangile formé des cpiatre. — C’est aussi à cette époque, et même à quelques années avant, que paraissent remonter les plus anciennes versions syriaques des Evangiles séparés : la Peschitlo : la Curetonienne, trouvée et publiée en 1858 par le savant anglais Cureton ; la Sinaïtique, découverte en 1892, au mont Sinaï, par Mme Leavis et sa sœur.

3. Clément d’Alexandrie (190").— En Egypte, Clément d’Alexandrie compose, entre 190 et 203. ses Stromates et ses Jlypotyposes. Là licite fréquemment 1601

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nos quatre Evangiles ; il les donne comme de tradition ancienne, seuls reconnus dans l’Eglise, u Cette parole, dit-il à un gnostique qui lui allègue une citation d’apocryphe, ne se lit pas dans les quatre Evangiles que nous a transmis la tradition, mais dans celui des Egyptiens. » Strom., Ill, xiii.

Ailleurs, il précise qu’on les tient pour œuvres d’apôtres ou de disciples immédiats des apôtres, et cite à ce sujet le témoignage de ses prédécesseurs dans l’école d’Alexandrie : « L’ancien disait que les premiers Evangiles dans l’ordre de la composition sont ceux qui contiennent les généalogies (c’est-à-dire ceux de saint Matthieu et de saint Luc). Voici à quelle occasion fut rédigé celui de Marc. Lorsque Pierre eut prêché publiquement le verbe à Rome, et promulgué l’Evangile sous l’inspiration de l’Esprit, beaucoup de ses auditeurs exhortèrent Marc, qui depuis longtemps l’accompagnait et savait par cœur ce que l’apôtre avait dit, à mettre par écrit ce qu’il avait entendu. Marc composa donc son Evangile et le donna à ceux qui le lui demandaient. Ce qu’ayant appris, Pierre ne s’opposa point au dessein de son disciple, mais ne lit rien non plus pour l’encourager. Quant à Jean, le dernier de tous, conime il vit que les autres évangélistes avaient fait connaître l’histoire corporelle du Christ, à la demande de ceux qui vivaient avec lui et inspiré par l’Esprit-Saint, il écrivit l’Evangile spirituel. )iIIypotrposeon, lib. Vil, dans Euskbe, Hist. eccl., VI, XIV ; cf. il, XV.

4. Tertiillien {200*). — Dans l’Afrique septentrionale, à Carthage, entre 190 et 220, Tertullikn tisse ses écrits de citations des Evangiles et fait allusion à une version latine déjà ancienne et largement usitée dans sa région. De monogamia, c. xi ; Adv. Praxeam, c. v. Comme Clément d’Alexandrie, il croit que les quatre Evangiles du canon, et ceux-là seulement, sont en possession de lusage ecclésiastique depuis le temps des apôtres, et il oi)pose cet argument de prescription juridique aux hérétiques contre lesquels il disserte. Ads Marcion., IV, v.

Il tient également pour un fait indiscutable que l’Eglise jouit de ses quatre Evangiles depuis l’âge apostolique et les regarde comme œuvres respectives de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean. « Nous soutenons avant tout, dit-il, que l’instrument évangélique a pour auteurs les apôtres, auxquels le Seigneur a contié la charge de promulguer l’Evangile ; ou, si ces auteurs sont des disciples d’apôtres, ils n’ont i)u l’écrire seuls, mais avec les apôtres, et d’après les apôtres. La prédication des discii>les, en elfet, aurait pu devenir suspecte de vaine gloire, si elle n’avait été assistée de l’autorité de leurs maîtres. Enfin, d’entre les apôtres, Jean et Mattliieu nous donnent la foi ; d’entre les disciples, Marc et Luc nous la renouvellent. » Adv. Marcion., IV, 11.

5. >'. Irénée (180*). — Dans les Gaules, saint Iuknf.e, évêque de Lyon, publie entre 177 et 189 son grand Traité contre les hérésies. Lui aussi se réfère si fréquemment au texte des Evangiles que l’on pourrait presque reconstituer la totalité de nos documents à l’aide de ses citations. Lui aussi tient le nombre de quatre Evangiles pour définitif et en quelque sorte sacramentel : il n’y a et « il ne peut y avoir que quatre I^^nngiles, ni plus ni moins » ; c’est « ^E^angile fjuadiiforme, qui est dominé ])ar un seul Esj)rit », et qui est figuré ])ar les quatre vents qui souHlent sur la terre, les quatre ])aities du monde, les quatre figures des animaux d’Ezéchiel. Contra Ilæres.. III, XI, 7-9, etc.

Lui aussi insiste auprès des hérétiques sur ce fait que l’usage de nos quatre Evangiles et la croyance en leur origine apostolique sont un legs de la tradition.

« Parmi les Hél)rcux, dit-il, Matthieu écrivit, dans

^

leur propre langue, l’Evangile, tandis que Pierre et Paul prêchaient à Rome et fondaient l’Eglise. Après leur départ (yîTà ôi tvj-oj-zwj Èçiôsv), Marc, disciple et interprète de Pierre, mit aussi par écrit la prédication de Pierre. A son tour, Luc, compagnon de Paul, publia en un livre l’Evangile prêché par celid-ci. Enfin, Jean, le disciple du Seigneur, celui qui avait reposé sur sa poitrine, donna lui aussi son Evangile, tandis qu’il résidait à Ephèse, en Asie. » Contra Ha ères., III, I, I.

6. Canon de Miiratori (d*). — A Rome, le document généralement appelé Canon de Muratori (du nom du savant italien qui l’a découvert et publié en 1740), et <’l’on trouve énumérées les Ecritures du Nouveau’lestainent, telles qu’elles étaient lues dans l’Eglise romaine entre 170 et 200, atteste que dès cette époque, en cette contrée, les quatre Evangiles faisaient partie du recueil biblique. La pièce, mutilée, débute par la mention de l’Evangile de saint Luc, mais désigné expressément comme le troisième. « En troisième lieu, l’Evangile selon Luc. Ce Luc, médecin, après l’ascension du Christ, avait servi de compagnon à Paul dans ses vojages. Il écrivit en son propre nom, avec ordre, sans pourtant avoir lui-même au le Seigneur en sa chair ; mais, selon qu’il put se renseigner, il commença son récit à la nativité de Jean. En quatrième lieu, l’Evangile de Jean, d’entre les disciples. Celui-ci, exhorté par ses condisciples et évêques, leur dit : Jeûnez avec moi, aujourd’hui et ces trois jours, et ce qui aura été révélé à chacun, nous le reproduirons chacun pour notre part. La même nuit, il fut révélé à André, d’entre les apôtres, que Jean fît de toutes choses une relation en son nom, qui serait ensuite approuvée de tous. >- E. Preuschen, Analecta, p. 12g ; Th. Zahn, Geschichie des neutest. Kanons, t. II, p. iSg.

7. l’Appréciationdes témoignages. — Ce qui ressort de ces nombreux documents, c’est que, dans toutes les Eglises du monde romain à la fin du 11’siècle : 1° nos quatre Evangiles canoniques sont connus et employés d’une manière intense : ils sont lus officiellement dans les assemblées chrétiennes, témoin le Canon de Muratori ; ils sont lus couramment par les fidèles, témoin le Diatessaron, les anciennes versions syriaques et l’antique version latine ; ils sont cités abondamment par les écrivains ecclésiastiques, témoin les œuvres de saint Irénée, de Clément d’Alexandrie, de Tertullikn ; — 2° on les tient pour un patrimoine sacré dans les Eglises, et, en se basant sur la tradition même, on les croit et on les proclame iiautenient d’origine ajiostolique, à la différence des apocryphes.

Or, un usage aussi universel et aussi solidement établi, une croyance aussi générale et aussi sûre, |)iésentée aux hérétiques mêmes comme croyance traditionnelle des Eglises, ne se comprendraient évidemment i>as, si les Evangiles étaient récents à cette époque. L’état de la tradition au dernier quart du 11’siècle oblige, de toute rigueur, à les rapporter à une époque déjà éloignée, au moins à la seconde, sinon à la troisième génération antérieure, c’est-à-dire au moins à la fin du 1" siècle.

8. Cet argument prend une signification encore plus spéciale, si l’on observe que la tradition des Eglises, au cours du 11’siècle, n’était pas quelque chose de vague et de vaporeux, mais au contraire de précis et de bien assuré. On n’était, en cflVt, qu’à un siècle des temps apostoliques ; l’histoire des Eglises j>arliculières ne se ])erdait ])as dans la nuit d’un long passé ; la tradition y était vivante ; les presbytres ou anciens en étaient les dépositaires et les gardiens ; rien n’était plus facile que de suivre les courtes étapes de cette tradition jusqu’aux origines. On savait,

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à Rome, dans quel ordre précis s’étaient succédé les pontifes, successeurs de saint Pierre. S. Iréxjîe, Contra Hæres., III, ii-iv. A Alexandrie, Clément se réfère à son maître Paxtène, disciple immédiat des presbytres qui entendirent les apôtres. Strom.^ I, i. En Gaule, saint Iréxée invoque le témoignage des anciens qu’il a connus en Asie, que ses contemporains, et des hérétiques comme Florinus, ont connus aussi bien que lui ; il se réclame de saint Polycarpe, évêque de Smyrne ; il se réfère à Papias, évéque d’Hiérapolis, et à d’autres presbytres asiates, disciples de l’apôtre Jean et héritiers directs de ses enseignements. Cuntra Hæres., l, i-xi ; II, xxii, 5 ; III, m, 4 ; IV, xxvii^ i ; V, xxxiii, 3, 4 ; xxxvi, 2 ; Eusèbe, H. E., V, XX.

Une tradition dont on pouvait si aisément remonter le cours jusqu’à sa source première et qu’il était, d’autre part, si facile de contrôler en comparant les souvenirs des différentes Eglises, offre une garantie de sécurité qui semble de premier ordre, quand on songe à l’importance que l’on attachait dès cette époque à la question de l’origine des Evangiles reçus dans les chrétientés.

Ainsi, la seule tradition constatée Aers les années 176-200 suffit à établir d’une façon très solide l’ancienneté des Evangiles et leiu’antériorité au 11* siècle. Mais cette tradition reçoit une confirmation précieuse des témoignages plus anciens qui s’échelonnent de la fin du 11* siècle à la fin du i".

2° La tradition au milieu du ir siècle. — Eiat des duciiments. Au milieu du 11’siècle, deux écrivains ecclésiastiques nous fournissent un renseignement de valeur. L’un représente, à la fois, la Palestine, dont il est originaire, l’Asie Mineure où il a été converti, et Rome où il enseigne à la tête d’un didascalée : c’est saint Justin. L’autre appartient à l’Asie Mineure : c’est Papias, évéque d’Hiérapolis en Phrygie.

9. S.Justin (150*). — Saint JusTix, dans son Z>mZoo’ « e avec Trvphon (150-160) et surtout ses Apologies du christianisme, adressées (vers 150-152), l’une à l’empereur, l’autre au sénat romains, mentionne des livres, qu’il désigne généralement sous le nom de « Mémoires des apôtres », mais qu’il appelle aussi ailleurs <( les Evangiles ». I JpoL, xxxiii, lxvi, lxvix, c, etc. Ces livres sont si estimés des chrétiens qu’on a coutume, nous apprend-il, de les lire, le dimanche, dans les assemblées des fidèles, concurremment avec les écrits des prophètes. I Apol., lxvu.

Etaient-ce les quatre Evangiles que nous trouvons consacrés quelque vingt ou trente ans plus tard par l’usage universel des Eglises ? A priori, la chose est au plus haut point vraisemblable. En fait, si l’on examine les renseignements fort nombreux que saint Justin nous donne sur les œuvres ou sur les enseignements de Jésus, on constate que le plus grand nombre — quelques-uns seulement paraissent empruntés à la tradition orale ou à des sources extracanoniques — sont dus à nos quatre Evangiles.

C’est de l’Evangile de saint Matthieu qu’il parait tenir maintes paroles du Sauveur, comme aussi ses références à la conception virginale, à l’adoration des mages, à la fuite en Egypte, à la tentation au désert, à l’entrée dans Jérusalem, à la garde du tombeau. Dial., xvii, xlix. li, lui, lxxvui, gui. cviii, cxxv ; lvpoL, xv.xvi, xxxv. — Il semble emprunter à l’Evangile de saint Luc ses informations sur la naissance de Jean-Baptiste, l’annonciation, le recensement de Quirinius, la circoncision, la prédication à trente ans sous Tibère et Ponce-Pilate, l’institution de l’Eucharistie, l’agonie de Gethsémani, la comparution devant Hérode, les dernières paroles de Jésus

en croix. I Apol., xiii, xxxiii, xxxn-, lxvi ; Dial., lxvii, Lxx, Lxxvin, Lxxxiv, Lxxxviii, ciii, cv, cxvi. — Ce qu’il dit du métier de charpentier exercé par Jésus, des surnoms conférés par le Christ au chef des apôtres et aux fils de Zébédée, de l’endroit où était attaché l’àne sur lequel devait monter le Sauveur, parait venir de l’Evangile de saint Marc, dont il connaît jusqu’à la finale deutéro- canonique. I Apol.,

XXXII, XLV, cf. XVI ; Z)m/., LXXXVIII, cvi, cf. LXXVI, c.

— Enfin, bien qu’il ne cite pas formellement l’Evangile de saint Jean, sa christologie est toute johannique, et nombreuses sont chez lui les formules qui ne permettent pas de nier sa dépendance à l’égard de ce quatrième Evangile. 1 Apol., xxii, xxxii, lxi, cf. LXAi ; Dial., xlv, lxiii, lxix, lxxxiv, lxxxviii, c,

cv, cf. LXXVI.

On peut en conclure que le témoignage de saint Justin touchant la considération de l’Eglise de son temps pour les « Mémoires des apôtres » s’applique directement à nos Evangiles de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean.

10. Papias (i^o*). — Papias d’Hiérapolis avait consigné, dans ses Fxégèses des discours du Seigneur (135-150), dont Eusèbe nous a conservé quelques fragments, deux notices concernant l’origine des Evangiles de saint Marc et de saint Matthieu.

La première est attribuée à un personnage que Papias nomme l’Ancien, et qui très probablement, nous le verrons, s’identifie avec lapôtre saint Jean,

« L’Ancien disait encore ceci : Marc, étant devenu l’interprète

de Pierre, a écrit avec soin tout ce dont il se souvenait ; cependant il n’a pas écrit avec ordre ce qui a été dit ou fait par le Christ ; car il n’avait pas entendu le Seigneur et ne l’avait pas suivi ; mais plus tard, comme je l’ai dit, il avait accompagné Pierre, qui enseignait selon le besoin, mais sans exposer avec ordre les discours du Seigneur ; en sorte que Marc n’a fait aucune faute en écrivant ainsi certaines choses selon qu’il se les rappelait ; car il n’avait qu’un souci, celui de ne rien omettre de ce qu’il avait entendu, et de n’y introduire aucune erreur. » — La notice sur saint Matthieu venait sans doute de la même source ; elle est ainsi cor.çne : « Matthieu avait écrit en langue hébraïque les discours du Seigneur, et chacun les interprétait comme il pouvait. » Eusèbe, //. E., III, xxxix, 15, 16.

Les critiques se sont demandé si l’évêque d’Hiérapolis appliquait ses notices à nos deux premiers Evangiles, tels que nous les avons aujourd’hui, ou à des écrits antérieurs qui auraient seulement servi à composer ces deux ouvrages. Il suffira de noter en cet endroit que l’opinion qui tend à devenir générale est que les deux notices, dans la pensée de Papias et dans celle de son garant, se rapportent bien à nos Evangiles actuels de saint Matthieu et de saint Marc.

11. On reconnaît également de plus en plus que Papias a dû connaître noire Evangile de saint Jean,.

— Cela paraît résulter d’abord de la teneur de la notice fournie sur le second Evangile : l’appréciation de l’Ancien sur l’Evangile de Marc se comprend au mieux, s’il entend expliquer les divergences de cet écrit par rapport à l’Evangile johannique. Renan, L’Eglise chrétienne, 1879, p. 49 ; Bousset, Die OfJ’enharung Johann is. 5’éd., 1896, p. 47 » note 2 ; Harnack, Die Chronologie der dltchristlichen Literatur bis Eusebius, t. I, 1897. p. 691. — Cela résulte aussi de ce que Papias, au témoignage d’Eusèbe, H. E., III, XXXIX, 17, utilisait la I""’Èi)ître de saint Jean : or le quatrième Evangile est au moins contemporain de cette Epître, et lui est plutôt antérieur ; il appartient, d’autre part, au même milieu et lui est étroitement apparenté pour la doctrine ; on ne comprendrait guère que Papias eût connu l’un de ces écrits sans 16C5

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l’autre. — EnOn, c’est dans l’ouvrage de Papias que saint Irénée a dû puiser certains dires des presbytres qui paraissent dépendre de l’Evangile de saint Jean, savoir : le dire sur làge du Christ, qui aurait été de cinquante ans, cf. Jean, viii, b-j ; et celui concernant le grand nombre des demeures chez le Père céleste, cf. Jean, xiv, 2. Irénée, Contra Jlæres., II, XXII, 5 ; V, xxxvi, 2. Harnack, Chronologie, t. I, p. 356, 658 ; Juelicher, Einleititng in das 3. 7’.. 5’et 6* éd., 1906, p. 366-367 ; Dri’Jimond, Jn Inquiry into the Character and Autliorsliip of tlie Foiirth Gospel, igo3, p. 2^7, 248.

A-t-il connu l’Evangile de saint Luc ? On ne peut le déduire des fragments conservés de ses œuvres ; mais cela est rendu hautement probable par le fait qu’il a connu nos autres Evangiles, y compris les plus anciens.

IS. Marcion, les montanistes, les gnostiques (ldo").

— A la même époque, nous trouvons utilisés dans plusieurs sectes hérétiques, soit le troisième Evangile, soit le quatrième. — L’Evangile que Marcion, entre 144 et lô^, avait donné à sa secte, n’était qu’une édition mutilée de l’Evangile de saint Luc. Irénée, Contra Hæres., I. xxvii, 2 ; III, xii ; Tertullien, Ad%’. Marcion., IV, 11, iii, iv. Cf. Zahn, Geschichte des neutest. Kanons, t. L p. 67^ sq. ; Bebb, art. Luke, , Gospel of, dans le Diciionary of the Bible, de Hastings, t. III. p. 169.

Les montanistes, dont le mouvement prit naissance en Phrygie, autour de 156-157, s’appuyaient sur le quatrième EAangile, considéré comme écrit apostolique, pour prétendre qu’ils réalisaient le règne duParacIet annoncé en ce document, Jean, xiv, 26 ; XV, 26 ; XVI, 12-1 5.

Le quatrième Evangile était également exploité par les écoles gnostiques. En juirticulier l’on rattache communément au prologue de saint Jean les quatre couples d’éons dont, à Rome, vers)35-160, Valentin composait son ogdoade.

13. 3° La tradition entre 140 et 95. — i^" Etat des documents. — Si nous remontons à la première moitié du 11’^ siècle, les documents se font plus rares et moins précis. Ce sont, en général, des écrits de circonstance et d’un caractère particulier, où l’on n’avait guère occasion de citer nos ouvrages. D’autre part, il ne faut pas oublier qu’à une époque où vivaient encore ceux qui avaient connu les apôtres ou leurs disciples, la tradition orale restait prépondérante, et l’on sentait moins le besoin d’en appeler aux écrits. Le témoignage néanmoins très réel que ces divers documents rendent à nos Evangiles n’en est que plus signilicatif.

II’Epitre de S. Clément (i^o- ! Jo’). — Vers 1301 50, l’ancienne homélie, dite II* Epitre de saint Clément, cite tliverses paroles évangéliques, dont le texte paraît emprunté à saint Matthieu ouà saint Luc. II r/e/ »., Il, /( ; IV, 2 ; VI, I ; IX. II ; xiii, /(.

14. l.e Pasteur (i ib-tbo"). — Vers i 15-150, le Pasteur d’HERMAs, sans citer expressément les textes évangéliques, a un certain nombre de passages (]ui ])araissent en ètredes léminisccnces. Ils’est inspiré, semblet-il, de saint Marc et de saint Matthieu. Vis., iii, 6 ; Sim., V, 2, 5 ; ix, 20, 25. 29 ; Mand., iv, 1. Il offre même avec le quatrième Eangile des rapports d’idées et d’expressions assez frapjjants, qui perinctlent de croire au moins à une iniluence exercée sur l’auteur paj cet Evangile. Sim., ix, 12, 2^ ; Mand., III, /|.

15. Epitre de S. Barnabe (ioo-130*). — Vers 1001 30, l’Epitre dite de Barnabe cite comme Ecriture la parole, que l’on trouve en saint Matliiieu. sur le grand nombre des appelés et le petit nombre des élus.

Barnab., iv, 14 ; cf. Matth., -k^, 6 ; xxti, i^. Ses allusions à la passion rappellent également le texte du premier Evangile. Barnab., vii, 3, 5, 9 ; cf. Matth., xxvii, 30, 34, 48, 54. On peut même attribuer à l’influence du quatrième Evangile le fait que l’auteur de l’Epître interprète le serpent d’airain comme symbole du Christ en croix, et qu’il emploie des formules johanniques, telles que « venir en chair »,

« apparaître en chair », « vivre à jamais ». Barnab., 

V, 6, 10 ; VI, 7, 9, 14 ; XII, 5-7 ; XIV, b.Zxiiy, Einleitung indus N. T., 1900, t. II, p. 448 ; Sanday, The Crilicism of the Fourth Gospel, 1905, p. 241.

16. Evangile de Pierre (1 io-13a*). — Vers i io-130, l’évangile apocryphe appelé Evangile de Pierre exploite notre Evangile de saint Jean et paraît lui emprunter, en particulier, ce qu’il rapporte du jardin de Joseph, du crurifragium, et même ce qu’il croit pouvoir dire de Jésus assis au tribunal de Pilate. Ev. de Pierre, 7, 14, 24 ; cf. Jean, xix, 13, 32, 41.

17. La iJidachè (So-iio’). — Vers 80-130, laDioACHÈ ouDoclrine des douze apôtres, a un certain nombre de citations évangéliques en rapport étroit avec le texte de notre premier Evangile. Did., vni, ix, xv. Plusieurs passages semblent combiner le texte de saint Matthieu avec celui de saint Luc. Did., i, xvi. Les prières eucharistiques contenvies en ce document ont une saveur toute johannique, mais qui peut être due à l’influence de la liturgie primitive, elle-même apparentée à la tradition de saint Jean.

18. >'. Polrcarpe (108-1 18’). — Vers 108-118, saint PoLYCARPE cite comme paroles du Seigneur diverses sentences qui tigurcnt en des termes très approchants dans nos Evangiles de saint Matthieu et de saint Luc. Philip., II, 3 ; iv ; vii, 2. Ilénonce également plusieurs sentences qui sont visiblement empruntées à la I" Epitre de saint Jean. Philip., i, 1 ; iii, 3 ; ix, 2 ; v, 3 ; VII, 1. On doit en conclure que l’Evangile de saint Jean existait lui-même à cette époque, et l’on peut estimer avec une haute vraisemblance que saint Polycarpe l’a connu, aussi bien que l’Epitre, Cf. Philip., V, 2 ; XI, I. Harnack, Chronologie, t. I, p. 658 ; Zahn, Einleitung in das A. T., t. ii, p. 465 ; LoisY, Le quatrième Evangile, igoS, p. 7.

19. *’. Ignace (107-117*). — Vers 107-117, saint Ignace, allant subir le martyre à Rome, écrit ses sept Epitres, reconnues aujourd’hui [jarfaitement authentiques. On y trouve plusieurs passages qui font allusion au texte de saint Matthieu et de saint Luc. Eph., VII, 2 ; XIV, 2 ; XVII, i ; xviii, 2 ; Trall., xi, i ; Sniyrn., I, 1, 2 ; Pol., II, 2 ; Magn., ix, 2. Sa théologie se rapproche, sur beaucoup de points, de celle du quatrième Evangile, et noml)re de ses expressions et formules rajipellent celles de ce document. Magn., viii, 2 ; Boni., VII, 1-3 ; Philad., vii, i.

D’après quelques critiques, cette aflinité pourrait être due à un séjour prolongé de l’auteur dans une communauté chrétienne influencée par la pensée johanni (iuc. Von oer Goltz, Ignatius von Antiochien als Christ und Theologe, 1894, p. 118-144, 197-206 ; Harnack, Chronologie, t. I, p. 396 sq., 674, "ote i.

Les autres, au contraire, estiment qu’elle ne saurait s’expliquer que parune véritable familiarité de saint Ignace avec le ([uatrième Evangile lui-même. « Il parait évident. déclare M. LoisY, Le quatr. Evang., y.67, bien (w plusieurs le contestent, qu’Ignace d’Antioche dépend, dans sa chrislologie, de l’Evangile johannifiue. » Bien plus, « il a du le connaître assez longtemps avant d’écrire ses Epitres, pour s’être pénétré de sa doctrine et de son esprit au degré que nous voyons. Il concilie la tradition synoptique avec la théologie johannique ; autant qu’on en peut juger, il emprunte à la jjremière l’histoire de Jésus et à la seconde l’idée qu’on doit se faire du Christ et de sob 1607

EVANGILES CANONIQUES

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œuvre ». Cf. Zahn, Geschichte des neiitest. Kanons, t. II, p. goS sq. ; Drummond, An Inqain :.., p. 268 ; Vernle, Die Anfange unserer Religion, 2^ éd., 1904, p. 4ô5 ; Oxford Society of historical Theolog-y, The jVen’Testament in Apostolic Fathers, igoô, p. 83.

50. ! > Clément de Rome (9^*). — Enfin, vers 96, saint Clkment de Rome, dans son Epîlre aux Corinthiens, allègue des sentences du Seigneur qui sont en relation étroite avec nos Evangiles de saint Matthieu et de saint Luc. 1 Clem., xiii, i, 2, 7 ; xlvi, ’].

51. 2° Appréciation des témoignages. — Résumons la portée de ces témoignages. D’abord, en ce qui concerne le quatrième Evangile : nous pouvons suivre les traces de ce livre dans l’ancienne tradition jusqu’autour de l’an iio ; et l’emploi que, vers cette époque, saint Polycai-pe fait delà I" Epître johannique, à laquelle notre Evangile doit être antérieur, la familiarité que saint Ignace montre avec les idées caractéristiques de notre document, la dépendance qu’ont à son égard les dires des presbytres entendus par Papias vers le même temps, nous assurent que l’Evangile johannique, non seulement était en circulation en l’an iio, mais qu’il avait déjà alors un certain nombre d’années d’existence, et devait dater des dernières années du i" siècle.

Quant aux trois premiers Evangiles, nous en trouvons également des traces suffisamment reconnaissablés jusqu’au début du 11= siècle et même dés l’an g5 : nous pouvons en conclure qu’ils ont vu le jour avant la fin du 1" siècle. C’est ce que garantissait déjà l’état de la tradition constatée au dernier quart du n" siècle. Et c’est aussi ce que force à admettre l’ancienneté assignée à l’Evangile de saint Jean. De l’aveu de tous les critiques, en effet, les trois premiers Evangiles sont antérieurs au quatrième : celui-ci suppose la tradition synoptique l)ien connue de ses lecteurs ; il y fait même allusion à plusieurs reprises : Jean, iii, 24 ; xviii, 13 ; xx, 2. Si donc le quatrième Evangile appartient aux dernières années du 1" siècle, les Sjnoptiques eux-mêmes ne peuvent être (] d’antérieurs à l’an 90.

2. — D’après la critique interne

La vérité du témoignage ainsi fourni par l’histoire jteut se contrôler à l’aide du témoignage de nos écrits eux-mêmes. Que l’on examine, en effet, soit la langue, soit le contenu, doctrinal et historique, des Evangiles, par comparaison avec ce que nous savons de l’époque à laquelle le témoignage de l’histoire les fait remonter, et l’on trouvera un accord parfait avec ce témoignage.

28. 1° La langue des Evangiles. — Rien de plus caractéristique que la langue de nos Evangiles. Les philologues en ont fait l’objet d’études approfondies ; ils en ont analysé toutes les phrases, déterminé toutes les constructions, classé tous les mots ; et l’on a rédigé lexiques et grammaires des Evangiles, par comparaison avec les lexiques et les grammaires des autres documents de l’antiquité chrétienne. Or, de tous ces travaux me conclusion se dégage, irrécusable : c’est que le lexique et la grammaire des Evangiles ont, sous la forme giecque, un caractère essentiellement sémitique. On n’y trouve jias seulement çà et là quelques mots conservés de la langue araméenne, parlée au temps du Christ, tels que Corhan, Raca, Ephpheta, Thalitha cumi. Eloi Eloï lamnia sahactani. Nombre de locutions ne sont intelligibles qu’en faisant appel à l’hébreu ou à l’araméen. La tournure des phrases, la liaison des propositions, la construction des mots, portent habituellement la marque de l’esprit sémitique.

C’est donc un fait que nos Evangiles sont l’œuvre de chrétiens familiarisés avec la langue juive. Bien plus, nous le verrons, leurs auteurs, à l’exception peut-être de l’auteur du troisième Evangile, et y compris celui du quatrième, sont eux-mêmes des Juifs d’origine.

Or, cela nous reporte au premier âge de la foi chrétienne, à cette époque primitive où l’Eglise sortait à peine de la synagogue et comptait parmi ses membres principaux des Juifs convertis.

53. 2° Le contenu doctrinal des Evangiles. — Le contenu des Evangiles accuse la même ancienneté. Si l’on se place au point de vue de la doctrine, nos écrits peuvent se comparer aux écrits chrétiens du II’siècle et de la tin du 1". Or, de cette comparaison il ressort qu’ils n’offrent aucune trace de dépendance à l’égard des mouvements d’idées les plus saillants qui s’accusent dans ces ouvrages.

Cela est vrai du quatrième Evangile lui-même, le plus récent d’entre eux. Baur prétendait y voir une sorte de compromis entre le gnosticisme dans tout son développement et la tradition chrétienne primitive. Aujourd’hui l’on s’accorde à reconnaître que notice Evangile est complètement étranger au mouvement gnostique ; la sobriété remarcpiable de sa spéculation, sa simplicité hardie et puissante, tranchent sur la fantaisie extravagante et échevelée qui caractérise la gnose ; il ne montre même pas la moindre intention de la réfuter, ni de la concilier avec la tradition, mais lui paraît entièrement indifférent. Or, cette absence de tendance antignostique, cette parfaite sécurité à l’égard de la gnose hétérodoxe, semblent une preuve positive que l’ouvrage a été écrit avant que ce mouvement eût commencé d’être un danger pour l’Eglise. Juelicher, Etnleitutig in das N. T., p. 324 ; J. RÉVILLE, Le quatrième Evangile, son origine et sa valeur historique, 2= éd., 1902, p. 3a632" ; LoisY, Le quatr. Evung., p. 40, 95.

54. 3" L3 contenu historique des Evangiles.

— Au point de vue du contenu historique, nos Evangiles n’ont également rien qui trahisse une époque postérieure au i^r siècle.

1° En ce qui regarde le quatrième Evangile. — Jadis l’Ecole de Tubingue trouvait des allusions à l’insurrection juive de Barkochba (132), dans ces passages de l’Evangile de saint Jean, v, 43 : « Si un autre vient en son propre nom, vous l’accepterez » ; vii, 34 :

«. Vous me chercherez et vous ne me trouverez plus x ; 

XVI, 2 : « Le temps vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu. » Aujourd’hui, c’est à peine si ces prétendues allusions sont encore signalées comme possii)les par quelques critiques. Elles sont déclai-ées par la plupart dépourvues de probabilité. Von Soden, Urchristliche JAternturgeschichte (die Schriften des A T.), 1906, p. 225 ; Loisy, Le quatr. Evang., p. 4’6, 518.

D’autre part, les critiques mêmes, pour qui notre Evangile serait une composition théologique représentant la foi et les institutions de l’Eglise à l’époque de l’auteur, estiment présentement que la a ie ainsi réfléchie dans notre document est tout au plus celle de l’Eglise à la fin du 1" siècle. « Jean, dit M. Loisy, est déjà un témoignage ecclésiastique, et qui représente la foi de l’Eglise, le mouvement religieux chrétien, vers la fin du premier siècle. » Le quatr. Evang., p. 56, cf. 74, 4 » 9 S3.’2'^ En ce qui concerne les Synoptiques. — Si nous en venons aux Synoptiques, on a cru trouver certains rapports entre les données du troisième Evangile et celles de l’historien Josèphe, et l’on a supposé que notre évangéliste avait lu l’écrivain juif (vers 95). 1609

ÉVANGILES CANONIQUES

1610

Cette dépendance, admise parlvEiM, Hacsrath, Holtz-MANX, surtout Krexkel, Josep/iiis iind I.iikas, 18g/|, a été contestée depuis i)ar les critiques les plus en vue, ScncERER, Harxack, Zaiin.Wellhausex. Cf. V. Stantox, The Gospels as historical Documents, t. II, if)09, p. 263-2’y4 ; E. Jacquier, Hist. des livres du N. T., t. III, 1908, p. 101-108. Salomon Reinach, Orpheas, 6" éd., 1909, p. 3-25, se contente de dire : « Notre Luc atteste la connaissance des.4 « //VyH/7e.s de Josèplie, publiées en yS, ou, du moins, d’une source de cet ouvrage. »

S6. Les allusions à la ruine de Jérusalem. — Le seul événement postérieur aux temps é^angéliques auquel les Synoptiques fassent véritablement allusion est la ruine de Jérusalem, accomplie en l’an’^o. Mais on peut encore se demander si la façon dont ils en parlent oblige à renvoj er leur composition après cet événement accompli, ou si elle ne peut se comprendre de leur part auparavant. L’allusion à la destruction de la ville sainte se présente, dune part, dans le grand discours eschatologicjue. prononcé, la dernière semaine, sur le mont des Oliviers, et reproduit avec des variantes par les trois Synoptiques, Matth., xxiv, 2, 15 sq. ; Marc, x » ii, 2, 14 sq. ; Luc, xxi, 6, 20 sq. ; d’autre part, dans la parabole du festin nuptial, rapportée par saint Matthieu, xxii, i-14, où il est dit que le roi, irrité du mauvais accueil fait à ses envoyés, lance ses armées contre ceux qui les ont mis à mort, les fait périr à leur tour et livre leur ville aux flammes.

Or, de l’aveu des critiques, l’allusion contenue dans le discours eschatologique, tel que le relaient saint Marc et saint Mattliieu, revêt une forme très générale et imprécise, qui se comprend diflicilement sous la plume d’écrivains composant avec le souvenir des faits accomplis. — L’allusion est beaucoup plus netle dans la rédaction du discours faite par saint Luc, et dans le texte delà parabole reproduite par saint Matthieu ; mais il s’agit d’une prédiction du Christ : la précision relative des détails ne peut-elle s’attribuer au Sauveur lui-même, et est-il impossible d’admettre que ses déclarations ait été consignées, sous cette forme autlienti([ue, avant la réalisation du fait ?

S7. La description du monde palestinien. — Si l’on a égard à la description du monde palestinien faite dans les Evangiles, on peut être assuré que nos écrits ont vu le jour à une époque très rapprochée de l’an ^o, sinon antérieure. Cette date de 70 est, en effet, capitale dans l’histoire judéochrétienne dui" siècle : elle marque la séparation entre deux mondes très distincts, entre deux ordres de choses tout à fait dilTérents.

Le monde palestinien, antérieur à 70, était un monde à part, au point de vue politique, social et religieux. La Judée, d’abord gouvernée (4 av. J.-C6 ap. J.-C.) par le roi Archélaiis, fils d’Hérnde le Grand, est ensuite administrée par un procurateur romain, placé sous la défiendance du légat im{)érial de Syrie, tandis que la Galilée obéit à Hérode Anlipas, le télrar([ue vassal de Rome, et à ses successeurs. L’administration romaine laisse une certaine autonomie aux institutions locales ; le sanhédrin juif garde en partie ses attributions judiciaires. C’est une situation extrêmement complexe ([ue créent les rapports des deux pouvoirs, vassal et suzerain ; le mélange même de la civilisation étrangère avec les mœurs héréditaires de la nation juive se traduit en des détails très [>arlicularisés. Surtout, la ville de Jérusalem a une physionomie extrêmement personnelle, si l’on peut ainsi dire, avec ses nombreux monuments profanes et religieux, avec son temple magnilique, reconstruit par Hérode, avec ses grands prêtres si influents, avec ses castes si remuantes de sadducéens, phari siens et scribes, avec sa vie religieuse incomparablement intense autour des parvis sacrés.

Mais voilà que ce monde palestinien, si minutieusement caractérisé, disparait tout d’un coup, en 70. La Palestine est saccagée par les armées romaines ; les cités populeuses sont dévastées ; Jérusalem est, après un long siège, brûlée et détruite de fond en comble ; de ses monuments il r.e reste que des ruines ; de son temple et de sa vie liturgique, plus qu’un souvenir.

Or, il est remarquable que le monde palestinien, reflété en nos Evangiles, n’est pas celui qui succéda à la ruine de Jérusalem, mais bien celui qui précéda la catastrophe. Ce qu’on retrouve dans nos écrits, c’est la situation politique, sociale et religieuse, contemporaine du Sauveur, telle qu’elle a été reconstituée par la critique moderne. Nous y saisissons sur le vif les relations délicates du pouvoir romain et des autorités juives, le conflit des attributions judiciaires du sanhédrin avec celles du procurateur de Rome. Pharisiens, sadducéens et scribes s’agitent bien vivants autour de la personne de Jésus. Jérusalem nous y apparaît avec ses monuments encore debout, avec ses grands prêtres révérés, avec sa vie religieuse en plein exercice.

Un tel état de choses ne se comprend que dans deux hypothèses. Ou bien les rédacteurs évangéliques sont des Palestiniens qui ont connu eux-mêmes la Palestine contemporaine de Jésus ; ou bien, s’ils utilisent des souvenirs, des traditions, des documents se rattachant à la première génération chrétienne, ils ont eux-mêmes composé leur œuvre très peu de temps après cette première génération, à une époque où ils pouA’aient encore avoir des renseignements extrêmement précis et décrire avec une exactitude parfaite un monde aussi compliqué et tout à coup disparu. Il faut, en effet, se souvenir que les anciens n’avaient point le sens archéologique ; les habiletés de l’art moderne leur faisaient totalement défaut pour la reconstitution dupasse. Des évangélisles postérieurs à’yO, et sans attache étroite avec la jiériode antérieure, n’auraient jamais pu s’abstraire suflisamment des conditions de leur temps pour que leurreprésentation du monde ancien n’en fût nulle part influencée. Cela est d’autant plus significatif que le tableau évangélique du monde contemporain de Jésus n’est rien moins qu’intentionnel, mais résulte d’une multitude de traits épars, jetés sans ordre tt sans dessein, au fur et à mesure des circonstances les plus variées.

Dans l’une et l’autre hypothèses, nous devons dé^ clarer la rédaction de nos premiers Evangiles, sinon antérieure à l’an’^o, du moins de très peu postérieure à cette date. ^ ii. ^rgg-- s.,.

28. Conclusion. — L.e qualricme Evangile date des années HO-lOlK — Le témoignage interne des Evangiles s’accorde donc avec le témoignage externe de l’histoire pour reporter d’abord l’époque de la composition de nos documents avant le commencement du il’siècle.

C’est là un point que l’on peut dire reconnu aujourd’hui par l’unanimité des criti(pies, s’il s’agit des trois premiers Evangiles. — En ce qui concerne le quatrième, le plus récent, les critiques actuels s’accordent généralement à donner l’an 125 comme la limite extrême que l’on ne saurait dépasser, quand on veut fixer l’Age de cet écrit, et ils opinent volontiers pour la période 1 00-1 10 comme la plus tardive à laquelle on puisse songer. Des critiques de marque etdes plus indépendants, comme MM. IIarnack, Loisy, etc., vont encore plus loin et estiment que l’ouvrage a vu le jour entre 80 et no, plus probablement entre 90-100. C’est exactement la date que lui a toujours ICll

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assignée la tradition et que lui assignent aujourd’hui la plupart des partisans de l’authenticité johannique.

S9. Les trois premiers Evangiles datent de la période 50-70, — Peut-on préciser, plus que nous ne l’avons fait, la date de composition des Synoptiques ? Les critiques rationalistes ou protestants libéraux ne font généralement jias difficulté de placer la date de saint Marc près de’jo, mais tendent à reculer le plus possible à la (in du i’"' siècle celle de saint Matthieu et de saint Luc. A leur sens, en effet, saint Luc, dans son prologue, semble supposer un temps notable écoulé depuis la lin de la généi-ation apostolique ; d’autre part, ce que cet évangéliste et saint Matthieu nous disent de la naissance virginale du Christ, et des circonstances qui ont marqué sa résurrection, suppose une élaboration légendaire qui n’a pu se produire qu’assez longtemps après la génération des premiers témoins.

Mais ces raisons sont très fragiles. Le prologue de saint Luc n’insinue d’aucune façon que la génération apostolique appartienne à un passé lointain ; il donnerait même ])lutôt à entendre que les témoins immédiats du Clirist sont encore vivants, qu’en tout cas l’évangéliste les a connus et s’est informé auprès d’eux, tout comme ses devanciers. Quant aux prétendues légendes de nos deux Evangiles, elles n’appal’aissent telles que du point de vue du j^réjugé rationaliste, nullement recevable a priori. j

30. Rien donc n’oblige à renvoyer aucun des trois i premiers Evangiles aux dernières années du i" siècle. Par contre, leur description du monde palestinien in- I vite positivement à les rapprocher de îan ^o, et l’on peut même dire que leur manque d’allusions claires et précises aux événements de cette année ^o et à la situation qui s’ensuivit, est une raison sérieuse de placer leur rédaction avant cette époque..

Un fait tend à le confirmer. De l’aveu de tous les critiques, le troisième Evangile est du même auteur que le livre des Actes et est antérieur à cet écrit. Or le livre des Actes se termine brusquement sur le récit de l’arrivée de saint Paul à Rome en 62, avec la simple mention que la captivité de l’apôtre dura deux ans, sans qu’un mot soit dit de sa seconde captivité j ni de sa mort. La meilleure explication de ce fait semble bien être que le livre des Actes a été écrit peu après les derniers épisodes racontés, c’est-à-dire vers 62-6^. Le troisième Evangile, étant encore plus ancien, aurait donc été écrit vers l’an 60, et les Evangiles de saint Matthieu et de saint Marc auraient paru Aers la même époque, peut-être quelques années plus tôt. M. Harnack lui-même déclarait récemment que la critique devait être disposée à regarder une telle hypothèse comme plausible. Die Apostelgeschichte, 1908, p. 221. Cf. P. Batiffol, Orpheus et V Evangile, 1910, p. 182.

31. Cette hypothèse s’accorde assez bien avec le témoignage fourni à ce sujet par les anciens écrivains ecclésiastiques, en particulier par Clément d’Alexandrie et saint Irénée.

Saint Irénée (ci-dessus, n’^ S) ne précise pas la date de composition des Evangiles, mais laisse entendre qu’elle eut lieu de bonne heure rsaintMatthieu aurait composé le sien parmi les Hébreux, c’est-à-dire dans la Palestine ou quekpie région voisine, tandis que Pierre et Paul allaient porter l’Evangile aux contrées étrangèreset païennes et jusqu’à Rome ; après que Pierre et Paul eurent ainsi quitté la Palestine (tel paraît être le sens de « ctk rr.-j toùtm s^oSw. si l’on a égard au contexte : l’auteur vient de dire que Matthieu a composé son Evangile chez les Hébreux ; tout à l’heure il dira que Jean a rédigé le sien à Ephèse ; il doit entendre maintenant que les Evangiles selon Pierre et selon Paul ont été rédigés après

que ces deux apôtres eurent quitté leur patrie, pour aller évangéliser Rome, laissant Matthieu aux convertis du judaïsme palestinien), Marc aurait mis par écrit l’Evangile prêché par Pierre, et Luc l’Evangile liréché par Paul.

Clément d’Alexandrie spécifie que l’Evangile de saint Marc fut, en efïet, rédigé du vivant de saint Pierre, donc avant l’an 6^ (ci-dessus, n° 3).

En somme, nous pouvons mettre en fait que nos quatre Evangiles sontde la seconde moitié du 1’= siècle ; le quatrième Evangile a dû paraître dans les années 80-100 ; les trois premiers, dans la période 60-70.

Le tableau suivant indiquera les opinions particulières des critiques à ce sujet.

32. Opinion s des critiques. — Rationalistes et protestants libéraux. — Renan, Vie de Jésus, 1863 ; 13° édit., it^G^ ; Les Evangiles, 1877, faisait composer saint Marc, à peu près vers 76 ; saint Matthieu, vers 84 ; saint Luc, vers 9^ ; saint Jean, vers 100-125. — D’après H. J. Holtzmann, Einleitung in dus N. T., 1885 ; 3*^ éd., 1892, les trois Synoptiques seraient de 70-100 ; Jn. de <oo-133. — D’après A. Juelicher, Einleitung in das N. T., 189^ ; 5’éd., 1906, Me. serait de 70-100 ; Mt. de 81-96 ; Le. de 80-120 ; Jn. d’au delà de 100. — D’après P. W. Schmiedel, art. Gospels et John, Son of Zebedee, dans VEncrclopædia hiblica de Cheyne, t. H, 1901, Me. aurait été composé vers 80 ; Mt. vers 90 ; Le. vers loo-iio ; Jn. avant 140. — D’après A. Harnack, Chronologie, t. L’897, Me. serait de 06-70 ; Mt. de 70-86 ; Le. de 78-98 ; Jn. de 80-110. Dans son récent ouvrage Die Apostelgeschichte, 1908, p. 221, M. Harnack laisse entendre que Le. pourrait être du commencement de la période 60-70, et Me. encore plus ancien. — D’après H. VON SoDEN, Urchristliche Literaturgeschichte (die Schriflen des A’. T.), 1906, Me. serait des environs de 70 ; Mt. et Le. de 80-100 ; Jn. d’autour de 1 10. — D’après A. LoisY, Le quatrième Evangile, 1908 ; Les Evangiles synoptiques, 1907-1908, Me. aurait a’u le jour vers 76 ; Mt. vers loo ; Le. entre 90-100 ; Jn. entre 90-100. — D’après S. Reinach, Orpheus, 6’éd.. 1909, p. 821, Me. daterait des années 60-70 ; Mt. des environs de 70 ; Le. de la période 80-100 ; Jn. des environs de l’an 100.

Protestants conservateurs. — B. Weiss, Einleitung in das A’. T., à’éd., 1897, place la composition de Me. en 69 ; celle de Mt. en 70 ; celle de Le. en 80 ; celle de Jn. en 96. — D’après Th. Zahn, Einleitung in das N. T., t. II, 1889, Me. serait de 64 ; Mt. araméen de 62, et sa traduction grecque de 86 ; Le. de 76 ; Jn.de 90-100. — D’après V. Stanton, art. Gospels, dans le Dictionary of the Bible de Hastings, t. II, 1899 ; The Gospelsas historical documents, t. II, 1909, Me. serait antérieur à 70 ; Mt. et Le. de 70-80 ; Jn. antérieur à 100.

Catholiques. — Le P. Cornely, Lntroductio in utriusque Testament i libros sacros, t. III, 1886, place Me. en 62-62 ; Mt. en 40-50 ; Le. en 5g-63 ; Jn. en 96-’98. — D’après Belser, Einleitung in das N. T., 1901 ; [ 2* éd., 1906, Me. serait de 44 ; Mt. araméen de lti-^2, et Mt. grec de 69 ou 60 ; Le. de 61-62 ; Jn. de 92-96. — D’après Mgr. Batiffol, Six leçons sur les Evangiles, 4’éd., 1897 ; Jésus et Vhistoire, 2°éd., 1904, Me. aurait été composé vers 60 ; Mt. vers 66-70 ; Le. vers 66 ; Jn. ACrs g6. — D’après E. Jac()Uier, LIistoire des livres du N. 7.. t. II, 1906 ; t. IV, 1908, Me. serait de 64-67 ; Mt. d’avant 70 ; Le. de 60-70 ; Jn. de 98-1 17. — D’après A. Brassac, Manuel biblique, t. III, 1910, Me. serait de 60-70 ; Mt. araméen de 60-67, et Mt. grec légère I

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ment postérieur ; Le. probablenient d’avant 62-63 ; Jn. de 85-95.

33. A CONSULTER. — R. GoRXELY, Iiitroductio in utriusque Testamenli libros sacros^ t. III, 1886 ; L. GoNDAL, La proi’enance des E^’angiles, 1898 ; E. Jacquibr, Histoire des libres du N. T., t. II (Les Evangiles synoptiques), 1905 ; t. IV (Les écrits johanniques), igoS ; A. Brassac, Manuel biblique, t. III, 1910.

II. Authenticité intégrale du texte actuel des Evangiles

I. Texte reçu et texte critique. — Avant d’exa- miner à quels auteurs particuliers sont dus nos Evangiles canoniques, plusieurs questions intermédiaires se posent. En premier lieu, il faut nous demander dans quelle mesure le texte des Evangiles, que nous avons aujourdliui entre les mains, correspond à celui que nous savons remonter au i" siècle. Est-ce un texte authentique dans toutes ses parties, conservé dans sa pleine intégrité ? Ou bien a-t-il été retouché, remanié, altéré dans la suite des âges ? C’est la question que nous allons résoudre brièvement.

34. 1° Texte reçu. — Le texte grec des Evangiles dont l’usage a été courant jusqu’à ces dernières années, et qui porte le nom de « Texte reçu », remonte aux Elzévirs. Ces célèbres imprimeurs hollandais publièrent, en 1633, à Leyde, un texte grec du Nouveau Testament, qu’ils présentèrent, dans leur préface, comme « le texte reçu par tous », texte d’une correction et d’une fidélité absolues. En réalité, c’était une reproduction de la 3’édition de Robert Estienne ( 1 550), revisée d’après les éditions subséquentes de Théodore de Bèze (1565-1582).

. leur tour, les éditions de Robert Estienne et de Théodore de Bèze avaient pour base principale le texte du Nouveau Testament grec, dont Erasme avait donné, en 1516, une édition princeps, à Bàle, et dont plusieurs autres éditions, légèrement améliorées, avaient paru dans la suite. C’est ainsi que la 3’édition de Robert Estienne (1550), sur laquelle fut fondée celle des Elzévirs, reproduisait la 5° édition d’Erasme, publiée en 1535, sauf à l’amender par un petit nombre de corrections, les unes empruntées à l’édition princeps d’Alcala, qui avait été entreprise, avant celle d’Erasme, par le cardinal Ximénès et vit le jour en 1520, les autres puisées dans des manuscrits de la bibliothèque royale de Paris, non utilisés jusque-là, et coUationnés par Robert Estienne au nombre d’une quinzaine.

Le texte d’Erasme fait donc en réalité le fond de notre Texte reçu. Sa valeur est bonne ; les corrections que lui ont aj)portécs Robert Estienne et Tiiéodore de Bèze l’ont rendu meilleur encore. Néanmoins ce n’est pas un texte parfait : les manuscrits utilisés étaient relativement jjcu nondjreux et de qualité secondaire.

2° Texte critique. — Depuis lexvm" siècle, les critiques se sont cllorcés d’obtenir un texte meilleur, reproduisant de plus prés le texte authentique, forcément altéré dans les détails au cours îles siècles.

33. 1° Méthode suivie pour la restitution du texte jirintilif. — Le procédé suivi dans ce travail est aisé à comprendre en théorie.

Consultation des manuscrits. — Il s’agit d’abord de recueillir le plus grand nombre possible de manuscrits ; de déterminer leur âge — les plus anciens ayant généralement plus de chance de contenir un texte i)lus j)ur ; — de les classer par familles, en groupant enscndile ceux qui dé^jcndent les uns des

autres ou d’un type commun ; puis de comparer les textes, et, quand ils diffèrent, de déterminer aussi justement que possible la leçon qui a le plus de chance de reproduire le texte primitif.

Le nombre des manuscrits grecs du Nouveau Testament, connus jusqu’à ce jour, est de près de 4-ooo. Le plus grand nombre sont écrits en caractères cursifs, ou minuscules : ils sont postérieurs au ix° siècle ; 127 sont écrits en caractères onciaux, ou majuscules : ils sont antérieurs au xi’siècle, et les plus anciens remontent au iv siècle.

Les principaux sont : le Sinaiticus, K, du iv’siècle, découvert au couvent du mont Sinaï par Tischendorf, et actuellement à Saint-Pétersbourg ; l’Alexandrinus. A, du v* siècle, qui se trouve au Musée britannique de Londres ; le Vaticanus, B, duiv° siècle, à la Bibliothèque du Vatican ; le Coder Ephræmi rescriptus, C, du v’siècle, à la Bibliothèque nationale de Paris ; le Codex Bezae, D, du vi* siècle, à l’Université de Cambridge.

36. Consultation des versions anciennes. — Il importe ensuite de consulter les versions anciennes de nos documents.

A lépoque où furent rédigés les plus anciens manuscrits grecs conservés, c’est-à-dire à la lin du ive siècle, saint Jérôme publiait la version latine qui est devenue la Vulgate actuelle : c’était une revision de l’antique Vulgate latine, usitée jusqu’alors, revision faite à l’aide des meilleur » manuscrits grecs que le saint docteur put consulter. On conçoit le prix exceptionnel d’une telle version, et quel avantage peut offrir sa comparaison avec nos plus anciens manuscrits grecs, ses contemporains. Mais c’est à la condition de reconstituer au préalable, le plus parfaitement possible, le texte de cette Vulgate hiéronj^mienne, à l’aide des meilleurs manuscrits qui nous en restent, en particulier : VAmiatinus (am., viMiii^ siècle), le Fuldensis (fuld., vi’siècle), le Forojuliensis (for., vi’vii’siècle). — Auiv*ou au v’siècle remontent également les versions gothique, éthiopienne, arménienne.

Dans la période antérieure, nous trouvons : au iii « siècle, les versions égyptiennes ou coptes ; au milieu du 11^ siècle, trois versions syriaques, étroitement apparentées, la Peschitto, la Curelonienne, la Sinaïtique ; enlin, à la même époque, les premières versions latines, africaine, antique italique. Ici encore, cela va sans dire, il faut commencer par reconstituer tant bien que mal le texte original de ces versions, à l’aide des manuscrits existants. Les principaux manuscrits de l’ancienne version italique sont : le Vercellensis (a, iv° siècle), le Corhiensis (ff, iv siècle), le Veroneusis (b, iv’-v*^ siècle), le liobiensis (k, IV’ou v" siècle), le Palatinus (e, v° siècle).

37. Consultation des anciens écrivains ecclésiastiques. — Enfin, après les manuscrits et les versions, il y a lieu de consulter les citations des Pères, ou des anciens écrivains ecclésiastiques.

Les citations des auteurs du iv* siècle et des siècles suivants peuvent servir à déterminer, par comparaison avec les manuscrits connus de la même époque, le texte usité dans leur milieu respectif. Celles des écrivains grecs nous renseignent sur l’état du texte grec ; celles des auteurs latins, syriaques et autres, sur l’état des tliverses versions.

Les citations des auteurs du ni" et du n* siècle servent à apprécier l’état du texte grec ou celui des versions dans la i)ériode antérieure aux manuscrits conservés. Ainsi, à l’aide des œuvres d’Origène, de Clément d’Alexandrie, de saint Irénée, nous pouvons reconstituer à peu près le texte grec de nos Evangiles pour le m" siècle et la lin du 11’ ; à l’aide des citations de saint Cy[)rien et de Tcrtullien, le texte des antiques versions latines, usitées à la même époque. 1615

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Mais il ne faut pas perdre de vue qu’au préalalile’il est nécessaire d’établir aussi parfaitement que possible le texte authentique de ces écrivains, dont nous ne possédons plus que des manuscrits postérieurs. La difticulté de restitution est toute spéciale en ce qui concerne les citations bibliques : grande a été la tentation des copistes de remplacer telle ou telle citation oïiginale par un texte que consacrait un usage relativement récent. D’autre part, il faut bien dire que les Pères n’ont pas toujours voulu faire des citations littérales ; souvent ils ont cité de mémoire, par à peu près, ou bien ont fusionné plusieurs passages analogues.

38.2° Résultats. Les principales éditions critiques.

— L’établissement du plus ancien texte des Evangiles exige donc un travail extrêmement long et minutieux, exécuté avec un esprit de discernement très exercé et une sagacité consommée. Les éditions critiques, rédigées plus ou moins parfaitement d’après ces principes, sont déjà nombreuses aujourd’hui, sans qu’aucune puisse néanmoins prétendre à être définitive.

Les plus remarquables sont, chez les protestants, celles de Griesbach (1774-177^ et 1796-1806), de Lachmax.n (1842-1860), les nombreuses éditions de TiscHEXDORF (1841-1872), cellcs pIus récentes de Westcott et HoRT, 7’lie A’ew Testament in the original Greek, 1896, de de Weymouth, The résultant Greek Testament (1886 ; 3’éd., 1906), de B. Weiss, Das Neue Testament (i 894-1 900). — Parmi les meilleures éditions catholiques, on peut citer celles de ScHOLz (1830-1838), de IIeithmayr (1847-1861), de Braxdscheid (1898, 1906-1907), de Hetzenauer (1896).

— Y, &Novum Testamentum græce, publié par Nestlé, 8’éd., 1910, a été établi à l’aide des textes critiques, estimés par lui les plus parfaits, savoir : celui de Tischendorf, d’après la 3" édition mineure publiée par Oscar de Gebhardt, 1896, ceux de Westcott-Hort, de De Weymouth et de B. Weiss.

39. II. AUTIIEXTICITÉ GÉNÉRALE DU TEXTE GREC

ACTUEL. — Detoutesles recherches effectuées sur lesanciens manuscrits, les versions, les écrivains ecclésiastiques, et dont les résultats ont été consignés dans ces éditions critiques, il résulte d’abord que le texte grec du Nouveau Testament ne nous est pas parvenu sous une forme unique, invariable, qui en garantirait la fidélité intégrale et absolue. Nombreuses sont les variantes d’auteur à auteur, de manuscrit à manuscrit. Et cela se conçoit aisément. A moins d’un miracle, auquel Dieu n’était pas tenu, il était impossible que le texte passât par un si grand nombre de mains sans être altéré dans ses détails. Les copistes sont plus ou moins soigneux, plus ou moins habiles : ils omettent un mot, parfois une ligne, les changent de place, écrivent un nom pour un autre, surtout quand ils ont affaire à un texte mal écrit, ou en mauvais état ; il leur arrive même de corriger volontairement leur texte, de substituer à un passage qu’ils jugent obscur, à une expression qu’ils estiment vieillie, des termes qui leur semblent meilleurs ; ils vont jusqu’à amender le texte sous l’influence de préoccupations doctrinales ou de préjugés personnels.

Mais un fait non moins certain, c’est que les corrections tendancieuses sont rares et d’ordinaire facilement reconnaissables ; le plus grand nombre des variantes sont sans importance. La plupart affectent de menus détails, qui n’intéressent pas le sens véritable des textes. Quand elles modifient le sens, il est généralement aisé de distinguer, à la comparaison, celles qui doivent reproduire le sens normal et authentique de celles qui sont exceptionnelles et fautives. Pour se rendre compte du caractère secondaire de la plupart des variantes, il sufiit de mettre en

parallèle, d’un côté les textes critiques les plus réputés, de l’autre le texte reçu, ou notre Vulgate latine : on verra que les passages dont l’authenticité se trouve douteuse ou qui ont subi une modification de quelque importance, sont réellement rares.

A la vérité, les recherches de la critique textuelle ne peuvent aujourd’hui atteindre le texte des Evangiles tel qu’il était aux premières années de sa diffusion, mais seulement à partir du moment où il est cité, avec abondance et des garanties suffisantes d’exactitude littérale, par les écrivains ecclésiastiques, c’est-à-dire à partir de la fin du 11’siècle. Mais l’on peut être assuré que cette forme, la plus ancienne qu’ait pu rétablir la critique, correspond elle-même très étroitement au texte sorti de la plume de nos écrivains sacrés.

Ce qui donne, en effet, pleine confiance à la fidélité de cette reproduction, c’est, d’une part, le peu de temps écoulé entre l’époque de saint Irénée, de Clément d’Alexandrie, de saint Cyprien, et le moment où ont paru nos Evangiles : les transcriptions de ces écrits ont dû être relativement peu noml)reuses dans cette période primitive ; les chances d’altération par les copistes en sont diminuées d’autant. — C’est, d’autre part, le culte dont l’Eglise a de bonne heure entouré nos documents : vers 150, saint Justin déclare que déjà, dans la lecture des assemblées chrétiennes du dimanche, les Evangiles sont placés à l’égal des Prophètes (n° 9) ; dès l’an 130, sinon auparavant, l’Epitre dite de Barnabe introduit une citation du premier Evangile par la formule réservée aux textes sacrés : « L’Ecriture dit » (n° 15). Cette estime de nos écrits a sûrement contribué à en faire conserver religieusement le texte.

40. III. Principaux passages dont l’authenticité EST discutée. — Les passages un peu importants dont l’authenticité a été mise en question, à cause des variantes que présentent à leur sujet les manuscrits ou les anciens auteurs, sont d’abord trois fragments, contestés par les protestants du xvi’siècle, et que le concile de Trente paraît avoir a isés spécialement lorsqu’il a prescrit de tenir pour sacrés et canoniques tous les livres de l’Ecriture, avec toutes leurs parties : 1°) la finale de saint Marc, 2°) le passage sur la sueur de sang et l’ange de l’agonie, dans saint Luc, 3") l’épisode de la femme adultère, dans saint Jean.

Ce sontensuite d’autres fragments assez menus, tels que, en saint Matthieu, l’ordre de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; en saint Luc, l’attribution du Magnificat à Marie ; en saint Jean, les versets relatifs à l’ange de la piscine probatique.

41. Finale de saint Marc, XVI, 9-20. — Au point de vue de la critique externe. — La finale canonique de saint Marc manque dans un certain nombre de manuscrits grecs anciens, surtout dans K et B, du iv siècle, et dans un manuscrit de la Vulgate antérieur à saint Jérôme, le Codex bobiensis, k, du v’siècle, qui la remplace par une autre finale plus courte. Elle ne figure pas dans la version arménienne, ni dans 1.1 ersion syriaque du Sinaï. Au témoignage d’Eusèbe, Quæst. ad Mar., i, elle faisait déjà défaut dans un grand nombre de manuscrits de son temps.

— Cependant, on la trouve dans les manuscrits onciaux les plus anciens, autres que N et B. Saint Jérôme l’a conservée dans sa Vulgate. Tous les manuscrits de la Vulgate préhiéronymienne, à l’exception de k, la contiennent ; et de même les anciennes versions syriaques, Peschitto et Curetonienne. Enfin, elle était connue, au 11’siècle, de saint Irénée, Contra Hæres., III, x, 6, de Tatien, qui lui a donné place dans son Diatessaron, de saint 1617

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Justin, I Apol., xlv, très probablement du Pasteur d’Herraas, Sim., ix, ib, peut-être même de l’Epitre aux Hébreux, ii, 3-4. Tn. Zaun, Einleitimg in das N. T., t. II, 2^ éd., 1900, i>. 227.

Au point de vue de la critique interne. — Au point de vue de la critique interne, on remarque que l'Évangile, terminé àxvi, 8, finit court : il n’a pas de conclusion. — D’un autre côté, la finale canonique ne se relie pas très bien à ce qui précède, et, avec ses phrases serrées, a l’air d’une compilation ; on a même pensé qu’elle avait été simplement extraite des parties parallèles des autres Evanj^iles. — On ne connaît pas par ailleurs d’autre finale qui olTre de meilleures garanties. La linale plus courte que présentent certains manuscrits n’a pas d’attestation aussi ancienne chez les écrivains ecclésiastiques et est communément rejetée. La finale trouvée, en 1907, par M. Freer, dans un manuscrit du y" ou du vi" siècle, acquis au Caire, et qui est identique à celle que saint Jérôme lisait en quelques manuscrits de son temps, a toutes les apparences d’une composition artificielle, fabriquée après coup. C. R. Gregory, Das Freer-Logion, 1908 ; cf. Resue bibl., 1908, p. 450-4Ô2.

Conclusion. — Dans ces conditions, — en mettant hors de question linspiration divine du morceau — que penser de son origine littéraire ? Il est possible que le texte original de saint Marc ait fini à xvi, 8 ; cela expliquerait bien que la finale actuelle manque en un si grand nombre de manuscrits anciens, sans que l’on voie à cette omission tie motif tendancieux ni de cause accidentelle possible. Le brusque arrêt de l'évangcliste a pu être motivé par une nécessité d’ordre matériel et parce qu’il se réservait de compléter ultérieurement son œuvre par le récit des apparitions du Christ que ses données premières faisaient directement entrevoir. Si l’ouvrage a été mis d’abord en circulation dans cet état, on comprend que bientôt on ait désiré le voir poiu-vu d’une conclusion sortable. Cette addition a dû être faite par un homme autorisé : elle n’est pas un simple abrégé des autres récits évangéliques, mais contient des traits spéciaux et personnels. Rien n’enqiêche qu’elle ait été rédigée par l’auteur même de l’Evangile, en supplément à sou œuvre première. En tout cas le supplément est très ancien et a été ajouté de fort bonne heure à l’ouvrage : il doit reproduire à tout le moins une tradition primitive authenticjue. Cf. Knabkms.vufu, /// Marc, 189^, p. 444-4âi ; Mangenot, art. Marc (E^'ungile de S.), dans le Dictionnaire de la Bible, t. IV, 1908, col. 725-7^5 ; Van Kastbrkn, L'épilogue canonique du II' E’angile. dans la Revue biblique, 1902, p. 240-255 ; H. B. Swete, T/ie Gospel uccording to St Mark, 1902, p. cxin ; F. Salmond, art. Mark (^Gospel of), dans le Dictionary of tfie liible. t. iii, 1900, p. 252.

48. Episode de la sueur de sang, Luc, xxii, 43 44- — Au point de vue de la critique e.rterne. — Ce passage est omis en un certain noml)re de manuscrits, entre autres A etB ; ilmanfque ilans un njanuscrit de la Vulgate préliiéronymienne, /, et dans la version sjriaciue duSinai. Au temps de saint Jérôme, Adv. Pelag., II, 16, il était absent de « la plupart des exemplaires latins et grecs ».

Par contre, le morceau se trouve dans les deux anciens manuscrits onciaux, X et D ; dans tous les manuscrits de la VuIgatc latine ; dans ceux de la Vulgate préliiéronymienne, autres que /" ; dans la version syriaque curetonienne, la Peschitto, etc. Il ligure également dans des écrits fort anciens : dans le Diatessaron de Talien, dans saint Irénée et jusque dans saint Justin, Dial., cui.

Au point de vue de la critique interne. — Si l’on compare ces versets au reste de l’Evangile ou au livre des Actes, non seulement on n’y trouve rien qui tranche sur la manière littéraire propre à saint Luc, mais au contraire on y remarque plusieurs particularités qui semblent spéciales à cet auteur. Le verbe in^yùra ne se lit que dans notre passage et dans Act., IX, 19 ; l’idée de la prière prolongée, exprimée par iy.Tîjé—sp'-yj, se retrouve d’une façon identique dans Act., XII, 5 et xxvi, 7 ; àJj.ô/ ; àk y.ù-zôi est une expression affectionnée de notre écrivain : cf. Luc, i, 11 ; ix, 31 ; xxtv, 3') ; Act., II, 3 ; vii, 2, 26, 30, 35 ; ix, 17 ; xiii, 31 ; XVI, 9 ; xxvr, 16.

Conclusion. — Il est donc probable que les deux versets ont été supprimés dans les manuscrits où ils manquent : on aura sans doute trouvé indignes du Christ cette sueur de sang qui l’accable et cet ange qui vient le réconforter. — Aussi, le passage, déclaré par Westcott-Hort interpolé, est-il maintenu comme authentique par Tischendorf, Nestlé, Scrivener. D’après M. Loisy, Les Evangiles synoptiques, 1908, t. II, p. 574, l’hypothèse d’une suppression des versets est « non moins aisée à admettre que celle d’une interpolation ». Le critique ajoute : « La considération du style et l’emploi d’expressions qui appartiennent en propre à Luc, rendent peut-être plus probable l’hypothèse de l’authenticité. »

Cf. L. C. FiLLiox, Essais d’exégèse, 1884, p. loi sq. ; E. Mangenot, Luc (Evangile de S.), dans le Dict. de la Bible, t. IV, 1908, p. 386-391 ; A. Brassac, Manuel biblique, t. III, 1910, p. 99-100.

43. Episode de la femme adultère, Jean, vii, 53-viii, II. — Difficultés objectées à son authenticité. — Ce passage manque dans les plus anciens manuscrits grecs, ceux des IV* et v" siècles, N, A, B, C ; dans les plus anciens manuscrits de la Vulgate antérieure à saint Jérôme, a, f, l, q ; de même dans les plus anciens manuscrits des versions coptes et syriaques.

Au point de vue de la critique interne, on objecte que le morceau ne se relie pas bien au contexte : dans le discours qui suit, Jésus est censé s’adresser aux mêmes interlocuteurs que précédemment, et ce sont les pharisiens qui répondent ; or les pharisiens qui accusaient la femme adultère semblent, viii, g, s'être tous retirés jusqu’au dernier. Ce qui est dit, VIII, 2-3, de Jésus assis pour enseigner dans le temple, des scribes associés aux pharisiens, paraît convenir aux Synoptiques, non au quatrième Evangile. La démarche du Sauveur au mont des Oliviers, son retour, le luatin, au temple, où la foule se presse pour l’entendre, vni, 1-2, rappelleraient également la pure tradition synoptique. M. Loisv, Le quatrième Evangile. Hjo3, p. 534-535, ajoute que ce récit ne ])eut être jolianniiiue, parce qu’il a un cachet franchement historique et, comme tel, tranche sur le synd)olisme général île notre document.

Le texte est regardé comme interpolé, par Westcott-IIorf, B. Weiss, Nestlé, IL J. lloltzmann, Loisy, et mènu> [)ar les commentateurs protestants conservaleuis, tels que Westcott, Godet, Zahn.

Preuves de l’authenticité. — Au point de vue de la critique e.rterne. — On a cepenchint de très bonnes raisons de croire à son authenticité. Au point de vue de l’histoire, il n’y a pas de conclusion bien ferme à tirer de ce que la péricope maniiue dans les plus anciens manuscrits conservés. Ces nuinuscrits sont du v' ou du iv* siècle : or, à cette époque, le morceau était lu dans le texte de saint Jean par divers auteurs ecclésiastiques. Saint Ambroise, Apol. David., Il, I ; Ep. xxvi, 2, et saint Augustin, Conjug. adult., II, 6 ; In Joan., tr. xxxui, 3-8, le tiennent pour authentique. Saint Jérôme, y/c/w, Pelag.., II, 17, 1619

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rapporte qu’il se trouvait dans beaucoup d’exemplaires de la Vulgate latine et de manuscrits grecs. Luimême l’a maintenu dans sa Yulgate, revisée sur les meillevirs textes anciens. Quant aux manuscrits des trois premiers siècles, leur état est difficile à apprécier d’après les écrits des Pères contemporains : la plupart n’avaient pas occasion de citer notre passage. M. LoisY, op. cit., p. 536, convient lui-même qu’on a dû le lire « en Occident dès le m* siècle, peut-être même dès la fin du ii’». Cf. Les Evang. syn., 1. 1, p. 15 ; B. Weiss, Das Johannes Evangelium, ge éd., ig02, p.314 ; Zxiis. Einleif. in das.Y, T., t. ii, p. 558.

Une chose tend à assurer que la pièce a plutôt été enlevée des manuscrits qu’elle ny a été ajoutée : c’est le caractère même de Tépisode qu’elle contient. Saint Augustin, loc. cit., parle de maris faibles dans la foi ou ennemis de l’orthodoxie, qui auraient enlevé cette histoire de leurs textes, par crainte de voir enseigner à leurs femmes l’impunité de l’adultère. On peut surtout supposer des chefs d’Eglises qui auront supprimé, dans les exemplaires destinés à la lecture publique ou à l’usage ordinaire des fidèles, un passage qui pouvait donner lieu à quoique interprétation fâcheuse.

Au contraire, l’interpolation ne s’explique pas. Ou bien la pièce ne comprenait que le corps du récit actuel, viii, 3-1 1, sans la petite notice qui l’introduit, A’ii, 53-vni, 2 : dans ce cas, rien n’invitait à la mettre en rapport avec le quatrième Evangile, et l’on ne conçoit pas que le récit isolé ait été pourvu d’une introduction destinée à l’insérera cet endroit de notre écrit, surtout qu’on n’ait pas mieux fait la suture du morceau avec le contexte précédent, ni modifié l’introduction du discours suivant de façon à obtenir une correspondance exacte avec les données du récit interpolé.

Ou bien l’histoire se présentait déjàpourvue de son introduction : dans ce cas, il faut supposer qu’elle faisait partie d’un document étendu, lequel, à en juger par tout le morceau, ne pouvait être qu’un Evangile ; mais alors on ne s’explique pas mieux que le récit ait pu jirendre place dans l’Evangile de saint Jean. La petite notice qui l’introduit, et où l’on voit Jésus se retirer à la montagne des Oliviers, puis revenir de l)on matin au temple oîi il enseigne la foule qui se presse vers lui, pendant que les y)harisiens se préparent à lui poser des questions insidieuses, rappelait tout naturellement les incidents que les Synoptiques rattachent à la dernière semaine : Luc, XXI. 3^-38 ; XX, 20 sq. et parallèles. On était donc positivement invité à joindre la péricope aux pi-emiers Evangiles ; tout détournait de l’ajuster au quatrième.

Renan avait bien raison de dire, Vie de Jésus, 13’éd., 1867, p. 501, qu’on comprend « beaucoup mieux qu’un tel passage ait été retranché qu’ajouté ».

44. ^iii point de’ue de la critique interne. — Au point de vue interne, le morceau n’offre rien qui autorise à suspecter son authenticité. — S’il paraît moins symbolique que le reste du quatrième Evangile, c’est qu’on ne veut pas lui appliquer la même méthode d’interprétation. — Si Jésus enseigne assis, non debout comme en d’autres endroits (vu, 3^ ; x, 23-24). cela peut tenir à ce qu’il se trouve justement dans la partie du temple où il était permis aux docteurs de s’asseoir. Cf. viii, 20 et Marc, xii. 41- — H n’est pas certain que, dans le meilleur texte, à côté des pharisiens figvirent «. les scribes » ; des témoins très autorisés portent à leur place « les princes des prêtres » ; si la mention des scribes est authentique, elle a pu être motivée spécialement par le cas donné : il s’agit d’une interprétation de la loi concernant le châtiment

de l’adultère ; cela était de leur ressort. — L’analogie des démarches attribuées au Sauveur avec celles que lui i)rètent les Sj’noptiques, la dernière semaine, se conçoit fort bien : le même péril devait lui inspirer les mêmes précautions à l’occasion de la fête des Tabernacles qu’à la Pàque suivante.

Quant au rapport de la péricope avec le contexte, voici ce que l’on constate : la péricope supprimée, on n’obtient pas de meilleure suite entre le discours de VIII, 1 1 sq. et le récit de vii, 45-52, qui précéderait immédiatement : Jésus est censé s’adresser aux mêmes interlocuteurs ; or la scène antérieure se passe hors de la présence du Sauveur, dans le sanhédrin. Au contraire, si l’on maintient la péricope, on y trouve bien comme interlocuteurs de Jésus les pharisiens : il n’est pas nécessaire de penser que tous soient partis au loin à la tin de l’incident ; rien n’assure d’ailleurs que le discours suivant soit prononcé aussitôt après la scène précédente, sans que de nouveaux pharisiens, ou les mêmes, aient eu le temps de venir se joindre à l’auditoire.

Bien plus, on peut trouver que la péricope est, pour ainsi dire, réclamée par le contexte. Le retour des émissaires et la séance du sanhédrin ont leur place toute marquée au soir du dernier jour de la fête ; les discours du chapitre viii viendraient tout à fait en surcharge, s’ils étaient prononcés à la suite, et non le lendemain, comme le marque la notice de viii, 2 ». Il y a une correspondance assez remarquable entre le détail sur Jésus enseignant « assis », viii, 2, et la réflexion, annexée au discours suivant, sur la trésorerie du temple, viii, 20 ; entre le jugement de l’adultère, et le reproche que Jésus fait ensuite aux pharisiens de juger seulement sur les dehors, viii, l’j ; entre le péché dont les pharisiens réclament le châtiment, et celui que le Sauveur va leur reprocher à eux-mêmes, viii, 21, 24 ; cf. 34, 46 ; ix, 4 Enfin, on trouve dans notre morceau plusieurs particularités de style qui offrent un air de parenté assez sensible avec des formules afTectionnéesde saint Jean : au v. 2, 7ra/(v (cf, i, 35 ; IV, 3, 46 ; viii, 12 ; x, ; , ig, 40 ;

XI, ;  ; xxi, i) ; auA’. 5, /t^â^siv (cf. x, 31, 32, 33 ; xi, 8) ; ojv ; v. j, ergo ; au v. 6, « ils disaient cela en le tentant » (cf. VI, 6 ; II, 21 ; VI, ’J2 ; vii, 3g ; xi, 13, 51 ;

XII, 6, 33 ; xxi, ig. 23) ; au v. 11, /j.r, xézt Ku-y-prciL-je (cf.

V, 14).

Dans ces conditions, on est autorisé à regarder la péricope de l’adultère comme un morceau authentique du quatrième Evangile. Cf. Renan, T7e de Jésus, 13’éd., iSô’j, p. 500-501 ; Fillion, EEvangile de S. Jean, 1887, p. 1O4-166 ; Knabenbauer, Commentarius in Evangelium secundum loannem, 18g7, p. 271273 ; Mangexot, art. Jean 1 Euingile de S.) dans le Dicf. de la Bible, t. III, igo3, col. 1 1 75-1 182 ; Calmes, L’E^-angile de S. Jean, igo4, p. 276-284 ; Lepin, La s’aleur historique du quatr. Evang., igio, t. II, p. 62-8g.

45. La formule trinitaire du baptême, Matth., xxviii, ig. — Oh/ections à iautliciiticiié. — On a remarqué que la formule : ’i les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », manque dans les citations du passage faites ])ar Eusèbe, antérieurement au concile de Xicée, et l’on a conjecturé qu’elle devait être absente des manuscrits consultés à cette époque par l’évêquc de Césarée ; cela permettrait de croire qu’elle avait été interpolée après coup dans le texte authentique de saint Matthieu. Conybeare, Tlie Eusebian Form of the text Matth., xxviii, ig, dans la Zeitschrift ftir die neutest. ffissenschaft, igoi, p. 275-288. — D’après M. Loisy, Autour d’un petit lii’re, igo3, p. 23 1-232, le discours, débarrassé de cette formule, se présenterait dans un meilleur équilibre, et nous aurions probablement affaire à 1621

ÉVANGILES CANONIQUES

1622

une glose suggérée par la liturgie baptismale. Cf. Les Evang. syn., t. II, p. 762, note i.

Réponse. — Mais les citations anormales d’Eusèbe n’ont pas la signilication défavorable qu’on leur prête : ce sont des citations obrégées ; l'écrivain veut prouver la royauté et la puissance universelles du Christ ; il ne reproduit du texte de saint Matthieu que ce qui va à sa thèse. Il est certain que la partie omise est citée ailleurs par l'évêque de Césarée. Bien plus, elle se trouve chez des auteurs plus anciens : au milieu et au début du 111° siècle, elle figure dans Origène, Scholia in E^'. secundum Malt lia eu ni, xxviii, 18 ; dans saint Cyprien, Liber Testinioniuruni, lib. II, c.xxvi ; Ep.-s.iLii, n. 3 ; dansTertullien, Z)e baptisnio, xiii ; Liber de præscriptionihus, xx ; au dernier quart du 11' siècle, elle est citée par saint Irénée, Contra Ilæres., III, XVII, I ; enlin, on la rencontre jusque dans la Didacké, vii, i. Aussi M. Loisy lui-même a-t-il cet aveu. Les Es’ang. syn., t. II, p. 731 : « Son emploi est attesté par la DidacJié, vii, i, et l’on peut croire qu’elle était universellement reçue dans les Eglises au commencement du second siècle. »

D’autre part, le contenu de la formule n’indique aucunement une époque récente. La doctrine trinitaire qu’elle exprime se retrouve équivalemment dans la I" Epitre de saint Clément, vers g5 : I Clem., L.in, 2, et même dans saint Paul, II Cor, , xiii, 13 ; cf. I Peir., I, 2. Le fait que dans les Actes des apôtres nous voyons les fidèles baptisés au nom deJésus, Christ et Seigneur, n’empêche pas non plus que le premier évangéliste ait pu rapporter comme parole du Sauveur la sentence en question : la formule des Actes a pu n'être pas regardée dès les premiers jours comme devant être employée immédiatement et en toute occasion ; mais il est fort possible aussi qu’elle ait été dès lors réellement employée : la formule : « baptiser au nom de Jésus-Christ » ou de « Jésus Seigneur », indiquerait simplement que les baptisés faisaient profession de croire en la glorification messianique de Jésus et lui étaient désormais consacrés. Cf. H. B. Swete, dans VExposilor, oct. 1902 ; l’Iie LIoly Spirit in the vYeu' l’estament, 1909 ; ïh. Riggi : mîacii, l)cr Trinitarische Taufbefehl nacli seiner arspninglichen Textgestalt und seiner Antlieritie untersucht, 1908 ; F. E. Chase, The Lord' s command to baptize, dans le Journal of theological Studies, 1906, p. 481-521 ; J. Lebretox, Les origines du dogme de la Trinité, 1910, notcE.

46. L’attribution du Magnificat à Marie, Luc,

I, ! (j. — (Jb/i’ctioiis à l’authenticitf. — Dans ([uelques textes anciens, le Magnificat se trouve attribiu', non à Marie, mais à Elisabeth. Ainsi trois manuscrits de la Vulgate antérieure à saint Jérôme, a, b, l, ont la leçon : Et ait Llisabeth. On trouve la même leçon dans deux manuscrits tardifs (codex Claromontanus, ix' siècle, codex Vossianus, xiv' siècle) de la version latine de saint Irénée, Contra Hæres., IV, vii, i. A la fin du IV' siècle, saint Xicéla, évêque de Rémésiana en Dacie, nous montre le Magnificat chanté dans son Eglise comme canliiine d’EIisabelh : <i Cum Elisabeth Dominum aniiiui noslra magnificat. » Enfin. ; iu milieu du m" siècle, Origène, dans une de ses iiomélies sur saint Luc, In Luc. honi. au, conservées dans la traduction latine de saint Jérôme, fait allusion à un groupe de manuscrits où la prophétie de Marie est mise dans la bouche d’Elisabeth.

Cette leçon excci)tionnelle a été approuvée par quelques critiques : IIarnacic, Das Magnificat der Elisabeth, dans les Sitzun^sberichte der koniglichen preussischen Akademie der IVisscnschaft, 1900, p. 538-556 ; A. Loisv, lievue d’histoire et de littérature religieuses, 1897, p. 424-^32 ; Les Evang. syn., 1907, 1. ! , p. 302-303.

Réponse. — Au point de vue de la critique externe. — Il semble cependant certain que la leçon authentique doit être la leçon commune. En efi’et, au point de vue de l’histoire critique du texte, la leçon exceptionnelle est au moins sensiblement inférieure en jtrobabilité à la leçon ordinaire.

Même à l'époque la plus ancienne où nous trouvons attestée la leçon : Et ait Elisabeth, nous voyons que cette leçon est constamment, par rapport à la leçon : Et ait Maria, une leçon exceptionnelle, généralement négligée et rejetée. Ainsi, auxv et iv’siècles, les principaux Pères de l’Eglise latine, saint Ambroise, saint Augustin, saint Jérôme, attribuent invariablement le Magnificat à la Sainte Vierge et semblent ignorer la variante dont témoigne saint Nicéta. Il en est de même des Pères de l’Eglise grecque, à la même époque, saint Epiphane, saint Basile, saint Athanase. Les manuscrits grecs, conservés de ce temps, N, A, B, C, D, portent la leçon commune, comme tous les manuscrits grecs postérieurs, sans exception. Même unanimité chez les Pères de l’Eglise syriaque, saint Ephrem, saint Apliraate.

Si du IV* siècle nous nous reportons au 111°, nous constatons un phénomène semlalable. Origène, qui est seul à nous parler des manuscrits portant la leçon divergente, traite cette leçon comme anormale et négligeable : toute son homélie viii n’est qu’un commentaire du Magnificat présenté sans restriction comme cantique de Marie.

Au delà d’Origène, nous ne rencontrons plus aucune allusion à la leçon disparue. En revanche, nous trouvons des témoignages très formels en faveur de la leçon ordinaire : dansTertuUien, Lib. de anima, XXVI ; en deux endroits incontestablement authentiques de saint Irénée, Contra Hæres., III, x, 2 ; IV, VII, I ; enfin dans le /Jiatessaron de Tatien.

Au point de vue de la critique interne. — Si maintenant nous considérons le rapport avec le contexte, c’est-à-dire avec la situation respective d’Elisabeth et de Marie, telle que la décrit saint Luc, la leçon ordinaire s’impose véritablement. Envisagé à ce point de vue, en efi’et, le Magnificat choquerait étrangement, placé dans la bouche d’Elisabeth et contredirait toute son altitude dans la scène. Rien de i)lus remarquable que la manière dont Elisabeth s’humilie et s’anéantit en présence de Marie, s’oubliant et s’elTaçant elle-même devant la Mère de son Sauveur ; or, tout à coup, par un complet changement d’attitude, elle passerait à louer Dieu de la faveur personnelle qu’elle a reçue ! Ses pensées cesseraient de converger vers Jésus et sa Mère pour se porter sur elle-même ! Elle vient de saluer Marie bénie entre toutes les femmes, elle s’est abîmée devant la Mère de son Seigneur : et brusquement elle s’appliquerait à elle-même, en renchérissant encore sur les expressions, ce qu’elle vient d’adresser à l’auguste Vierge, en parlant des grandes choses que le Tout-puissant a accomplies en elle, et du concert de louanges que feront retentir en son honneur toutes les générations ! Une telle attitiule ne siéerait point à Ellisabcth dans la circonstance ; un tel langage détonnerait sur son petit discours antérieur, il ne serait point dans la situation. — Au contraire, le Magnificat coin ient tout à fait dans la bouclie de Marie et s’harmonise exactement avec le reste de la scène.

Cette observation a une portée décisive : il s’agit (le l'économie fondamentale du récit évangélique. Jointe aux argiuuents fournis par l’histoire critique du texte, elle oblige à conclure à l’authenticité de l’attribution du Magnificat à Marie. Cf. A. Durand, L’origine du Magnificat, dans la Revue bibl., 1898, p. 74-77 ; O.BAiu)EMiEWKn, Ist Elisabeth dieSangerin des Magnificat.' dans les Liiblische Studien, t. VI, 1623

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p. i-ii, p. 189-200 ; P. Ladeize, dans la Revue d^ histoire ecclésiastique, igoS, p. 023-644 ; Lepix, Le Magnificat doit-il être attribué à Marie ou à Elisabeth ? dans L’Université catholique, 1902 ; L’origine du Magnificat. Réponse aux nouvelles observations de M. Loisv. Ibid., 1903, p. 290-296.

47. L’ange de la piscine probatique, Jean, v,

3<’-4. — Objections à l’authenticité. — Le texte grec ordinaii-e porte à cet endroit,. 3’, que les malades, couchés sous les portiques, étaient « attendant le mouvenienl de leau ». Et il ajoute, v. 4 : « Or, un ange du Seigneur descendait de temps en temps dans la piscine et agitait l’eau ; le premier donc qui entrait après le mouvement de Teau, se trouvait guéri, de quelque maladie qu’il fût atteint. » — Le v.’if^ seul manque dans les manuscrits AL ; le v. 4 seul manque dans le codex D et un certain nombre de manuscrits latins ; le tout manque dans N, B, C et la version syriaque curelonienne.

Le passage entier est rejeté en marge dans les éditions deTischendorf, ^Yestcott-Hort, Nestlé. M. Loisy, Le quatr. Evang., p. 389, croit également à une interpolation destinée à combler une lacune apparente du texte primitif.

Réponse. — Cependant l’authenticité du morceau est établie par des raisons critiques du plus grand poids. Il figure dans la Vulgate latine, dont nous connaissons la haute valeur ; on le trouve dans la plupart des manuscrits de la Vulgate antérieure à saint Jérôme ; il était déjà connu de Tertullien.

Au point de Aue interne, il ne renferme rien qui détonne sur le reste du quatrième Evangile. Au contraire, la digression amenée par l’explication qui vient s’insérer dans le récit est tout à fait conforme à la méthode ordinaire de l’auteur. — On trouve même un cachet franchement johannique dans la proposition : « le premier donc qui entrait… » — Enfin, le passage paraît exigé par le contexte : le renseignement qu’il fournit, en efïet, semble une explication nécessaire du v. 7, où le malade dit à Jésus :

« Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la

piscine quand l’eau a été agitée ; et pendant que j’y vais, un autre descend avant moi. »

Il est donc probable que le passage a été omis, non sans doute par une suppression A’olontaire et tendancieuse, mais d’une façon accidentelle, dans un manuscrit type qui en aura influencé un bon nombre d’autres aux m’et iv* siècles.

L’authenticité du morceau, rejetée par quelques auteurs catholiques, comme Brassac, Manuel biblique, t. III, 1910, p. 173 ; et en partie Calmes, L’Evangile selon S. Jean, 1904, p. 220, est reconnue, au contraire, de Strauss, Nouvelle vie de Jésus, 1864, t. ii, p. iBg ; Reuss, La théologie johannique, 1870, p. 167 ; H. J. HoLTr » MANX, Das Evangeliuni des Johannes, 2* éd., 1893, p. 88 ; 3° éd., refondue par W. Baueb, 1908, p. 118 ; Maxgenot, art. Jean (Evangile de S.), dans le Dict. de la Bible, t. III, 1903, col. 1173-117Ô.

48. A CONSULTER. — Jacquier, IListoire des livres dui. T., t. II, p. 486-607 ; t. IV, p. 278-280 ; Brassac, Manuel biblique, t. III, 1910, p. 79, 99, 171 sq.

III. Le rapport des trois premiers Evangiles entre eux

Avant d’aborder la question des auteurs de nos Evangiles, il nous faut encore traiter une question préalable, celle du rapport qui existe entre les trois premiers d’entre eux. La détermination de ce rapport est, en effet, nécessaire pour apprécier l’ordre dans lequel ont paru les documents, leur dépendance ré ciproque, et par là même intéresse la question de savoir s’ils sont bien des auteurs auxquels on les attribue.

49. I. Etat dk l.v question. — Ressemblances des trois Evangiles. — La comparaison de nos Evangiles révèle entre les trois premiers des ressemblances étroites. Tandis que le quatrième s’attache à reproduire le ministère de Jésus en Judée avant la dernière semaine, se bornant presque à supposer son ministère galiléen, les Evangiles antérieurs racontent le seul ministère de Jésus en Galilée, à la suite du baptême et de la tentation au désert, et ne conduisent le Sauveur à Jérusalem que quelques jours avant la Pàque finale. Leur plan général est donc identique.

On y trouve aussi, pour une bonne part, les mêmes éléments, les mêmes miracles, les mêmes anecdotes, les mêmes discours, souvent groupés de la même manière, présentés de la même façon, parfois avec des coïncidences extraordinaires au point de vue du style et des expressions.

30. Leurs différences. — Cependant, à côté de ces ressemblances très remarquables, il y a des différences non moins évidentes. Des parties considérables manquent dans un Evangile et se trouvent seulement dans les deux autres : ainsi, les récits relatifs à l’enfance de Jésus sont particuliers à saint Matthieu et à saint Luc, et ils diflerent de l’un à l’autre de ces Evangiles ; les discours, abondants en saint Matthieu et en saint Luc, sont presque nuls dans saint Marc. — D’autres parties sont exclusivement propres à tel ou tel de nos documents. Saint Marc est seul à raconter la guérison du sourd-muet de la Pentapole, celle de l’aveugle de Bcthsaide ; il reproduit également seul la parabole de la semence qui croit d’une façon insensible et celle du maître qui laisse sa maison à la garde de ses serviteurs. On ne trouve que chez saint Matthieu les récits de l’adoration des mages, de la fuite en Egypte, du massacre des Innocents, les paraboles de l’ivraie, des ouvriers envoyés à la vigne, des dix vierges, etc. Saint Luc seul nous a conservé les récits de l’annonciation, de la Visitation, de la présentation au temple, les épisodes deZachée, du bon larron, de l’apparition aux disciples d Emniaiïs, les paraboles du bon samaritain, de l’enfant prodigue, du pharisien et du publicain, etc.

Si l’on combine entre eux les récits des trois Evangiles, on peut dire que les deux tiers des détails sont comnmns aux trois ; saint Matthieu possède en propre environ 1/6 de son Evangile, 330 versets ; saint Luc envii’on i/4 du sien, 54 1 versets ; saint Marc seulement 1/ 10, ou 68 versets.

Il n’y a pas moins de Aariété en ce qui concerne le groupement et la liaison des diverses parties, les détails fournis dans les récits, le choix des termes et les constructions. Saint Marc a environ un quart de ses mots qui se retrouvent chez les deux autres Evangiles, la moitié qui lui sont communs avec saint Mattiiieu, le tiers avec saint Luc ; saint Matthieu et saint Luc ont en commun un quart de leurs mots.

SI. La question synoptique. — Pour saisir d’un coup d’œil ressemblances et divergences, on dispose les trois premiers Evangiles sur trois colonnes parallèles, en faisant correspondre leiu-s parties communes. On obtient ainsi une Synapse (rJvo’^ic), ou

« vue d’ensemble » du contenu évangélique, tel qu’il

résulte de ce triple document. De là le nom de Synoptiques donné à nos trois premiers Evangiles.

Le problème que pose à la critique le mélange extraordinairement complexe de ces ressemblances et de ces divergences est appelé lui-même le Problème synoptique. 1025

ÉVANGILES CANOxXIQUES

1626

Ce problème a reçu les solutions les plus variées ; on peut dire qu’on a proposé tour à tour, ou à peu ])rès, toutes celles qui se peuvent imaginer. Nous nous bornerons à indiquer les principales d’entre elles, en insistant sur celles qui obtiennent plus généralement faveur aujourd’hui, et nous tâcherons de tirer ensuite les conclusions les plus probables.

II. Diverses solutions proposées. — Les solutions proposées se ramènent à trois. Ou bien les Evangiles dépendent les uns des autres, les auteurs plus récents aj’ant utilisé l’œuvre de leurs devanciers : c’est l’hypothèse delà dépendance mutuelle, ou de l’utilisation réciproque. Ou bien ils dépendent d’une source commune, et cette source elle-même peut être : soit di tradition orale, soit un ou plusieurs c/ocwmen/s écrits primitifs.

32. I I. — Hypothèse d’une dépecdancs mutuelle, ou d’une utilisation réciproque. — Dans cette hypothèse, les évangélisles se sont connus les uns les autres, et les plus récents ont utilisé l’œuvre de leurs devanciers. Les combinaisons possibles sont avi nombre de six, suivant que l’oniilace tel ou tel des Evangiles en premier lieu, et tel ou tel autre en second. Toutes ont été mises en avant. Trois surtout ont rallié des sulTrages autorisés.

i" forme. — L’une fait apparaître les Evangiles dans l’ordre où ils sont rangés présentement dans le Canon : saint Matthieu aurait écrit le premier ; saint Marc se seriiit servi de son Evangile ; saint Luc les aurait eus tous deux entre les mains. L’hypothèse avait été suggérée par saint Augustin, cjui. parlant de saint Marc, observe qu’il senil)le avoir suivi saint Matthieu, « tanquam pedissequus et brevialor ejus » {De consensu evang., i, ii, l^). Elle a été reprise et développée par de nombreux critiques catholiques : HuG, Danko, Patrizi, UE Valroger, AVallox, Schanz, Baguez.

2’forme. — La seconde adopte l’ordre suivant : Matthieu, Luc, Marc. Elle a été proposée par Gries-BACH, Commentatio qua Marci Eyangelium totume Maithæi et l.ucæ commentariis decerptum esse nionstratur, 1789, 1790. Saint Matthieu aurait écrit le premier son Evangile en grec, d’après ses propres souvenirs ; saint Luc aurait utilisé saint Matthieu en le complétant par la tradition orale ; saint Marc aurait fait un extrait de saint Matthieu et de saint Luc, en j’mêlant quelques informations particulières.

3* forme. — La troisième suit l’ordre : Marc, Matthieu, Luc. Elle a été soutenue i)ar Koppe, Marcus non epitomator Maithæi, 1782 ; Storr, L’eber den Zi’eck der e^’angeliscfien Gesciticlite des Johannes, 1786 ; De fontibus E^’angeliorum Mattliæi et J.ucae, 1794. Pour lui, saint Marc aurait mis d’abord par écrit la prédication de saint Pierre ; saint Matthieu et saint Luc, chacun de leur côté, auraient utilisé ce premier Evangile, en le complétant d’après leurs propres informations.

Cette dernière hypothèse est combinée aujourd’hui par un grand nombre de critiques avec l’hypothèse documentaire, comme nous le verrons tout à l’heure.

53. Modifications récentes de la 1" forme. — Divers critiques récents ont renouvelé la première de ces hypotlièses, en lui faisant subir une moditication importante. — Dès le xvi’siècle, Grotius, Annot. in tit. jMattli., avait émis l’idée que saint Marc s’était servi de l’original hébreu de saint Matthieu, cl qu’à son tour le traducteur grec de saint Matthieu s’était servi de saint Marc. Celte combinaison a élc reprise par Th. Zahn, Kinleitung in das.V. T., t. H. 1899. D’après ce critique, Matthieu aurait d’abord écrit son Evangile cnaraméen ; Marc aurait utilisé ce Matthieu

araméen, en l’abrégeant ; à son tour, le traducteur grec de Matthieu se serait inspiré du second Evangile, au i)oint de vue de la forme seulement ; Luc aurait utilisé Marc et des sources secondaires.

La même hypothèse a été adoptée, avec quelques modifications encore, par plusieurs critiques catholiques. — D’après Belser, Einleitung in das ^eue Testament, 1901, Marc dépendrait de Matthieu araméen et de la prédication de saint Pierre ; Luc aurait utilisé Marc, Matthieu araméen et grec, et la tradition orale. — Le P. Bonaccorsi, / tre primi Vangelie la critica letteraria ossia la Questione sinottica, 1904, adopte à peu près le système de Zahn.

— Le P. Calmes, Comment se sont formés les Evangiles, 1899, l’amende d’une façon sérieuse, en supposant que la réaction de Marc sur Matthieu n’a pas eu lieu seulement pour la forme littéraire, mais aussi pour le fond, c’est-à-dire que Marc aurait servi en partie de source pour la composition même de Matthieu canonique. L’hypothèse ainsi complétée se rapi>roche de l’hypothèse documentaire que nous aurons à exposer ci-après.

54. S 2. — Hypothèse d’une dépendanca commune â l’égard de la tradition orale. — Dans cette seconde hypothèse, nos Sjnoptiques auraient pour source commune la tradition orale, ou la catéchèse évangélique, prêchée d’abord par les apôtres, puis par les missionnaires chrétiens. Les apôtres racontaient la vie de Jésus-Christ et répétaient ses principaux enseignements : leur prédication ne tarda pas à se fixer dans un cadre assez uniforme ; à force d’être répétés aux fidèles, les discours du Sauveur, et même le récit de ses œuvres, prirent une forme presque invariable, et en quelque sorte stéréotypée. Missionnaires et catéchistes ne purent mieux faire que de s’assimiler cette prédication apostolique et de la reproduire à leur tour le plus fidèlement, par conséquent le plus uniformément, possible. C’est cette catéchèse qui aurait été utilisée, à des degrés divers et suivant des points de vue différents, par nos trois premiers évangélisles.

L’hypothèse a été énoncée d’abord par Herder, Vom Erlôser der Menschen nach den drei ersten Evangelien, 1796 ; Regel der Zusammenstimmung unserer Evangelien, 1797. Son patron principal a été Gieseler, Historisch-hritiker J’crsuch ùber die Entstehung und die frûhesten Schicksale der schriftlichen Evangelien, 1818. — Elle a été adoptée de nos jours par un grand nombre de critiques : soit prolestants, comme ^YESTcoTT, Godet, Wrigut, Veit ; soit catholiques, connue Kaulex, Cornely,

KXABE.NBAUER, FoUARU, Le CaMUS, FiLLION, ctC.

§ 3. — Hypothèse d’une dépendance commune à l’égard de documents écrits. — Dans cette troisième hypothèse, les raiq>orls constatés entre nos Synoptiques seraient dus à leur utilisation d’un ou de i)lusieurs documents communs.

55. Un Evangile primitif. — D’après les uns, il y aurait eu à l’origine une sorte d’Evangile primitif, qui aurait été utilisé par les auteurs de nos trois j>remiers Evangiles. Mais cette hypothèse même a été soutenue sous des formes assez variées.

In Evangile primitif araméen. — D’après Lessing, Aeue Hypothèse iiber die Evangelisten als bloss menschliche Schriftsteller betrachtct, 1778 (publié, en 1784, dans Theol. Nachlass) la source connnune serait un protévangile araméen. dont nos Synoptiques ne seraient que des extraits, traduits en grec. La même hypothèse paraît avoir été reprise par Ber-TiiOLi), liistor. krit. Einleitung in die Schrifien des A. 1627

ÉVANGILES CANONIQUES

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und X. T., 1812, et Bleek, Einleitung in das X. T., 1862.

Une traduction grecque de l’Evangile primitif. — EiciiHORX, après avoir rattaché d’abord les Sjnoptiques au protévangile aramcen, AUgemeine Jîihliuthek der biblischen Literatur, t. V, 1794 » corrigea ensuite son système, Einleitung, t. I, 180/|, et établit que nos évangélistes avaient utilisé le protévangile déjà traduit en grec, et morne qu’ils avaient eu de cette traduction grecque des recensions plus ou moins remaniées et complétées.

Un Evangile primitif en uraméen et en grec. — Les Synoptiques se seraient servis, soit du protévangile araméen, soit de sa traduction grecque, d’après Marsh, Translation of Micliælis Introduction to the N. T., t. III, 1803, et Gratz, Neuer Versuch die Entstehung der drei ersten Evangelien zu erklaren, 1812.

56. Modifications récentes de la 1" hypothèse. — Ces dernières années, A. Resch, Die I.ogia Jesu nach dem griechischen und hehrdischen Text tviederhergestellt, 1898, a soutenu l’hypothèse d’un protévangile rédigé, non plus en araméen, mais en hébreu proprement dit. C était un recueil de récits et de discours, rédigé par l’apôtre Matthieu, et comprenant à peu près toute la matière qui se trouve comnuine aux trois Synoptiques, celle qui est commune à deux d’entre eux. et même un bon nombre des éléments propres à chacun. Marc l’aurait utilisé, le preiuier ; Luc et l’auteur do Matthieu canonique l’auraient exploité à leur tour, en se servant également de l’Evangile de Marc. M. Resch a essayé de reconstituer le texte hébreu du protévangile supposé, sous le titre de : Dibrê leshoua’, « Paroles (et actes) de Jésus ».

Plus récemment encore, R. -A. Hoffmann, Das Marcusevangelium und seine Quellen, 190^, est revenu à l’hypothèse d’un Evangile primitif, rédigé en araméen, mais qui aurait existé sous deux formes : l’une plus courte, l’autre plus développée ; la première aurait servi de source à Matthieu ; la seconde formerait le fond de Marc et aurait été utilisée également pai* Luc.

57. Des sources multiples. — Ce ne serait pas un seul document, mais un grand nombre de petits écrits, soudés ensend>le, qui seraient à la base de nos Synoptiques, d’après Schleiermacher, Ueber die Schriften des Luhas, ein kritischer Versuch, iSi’j.

58. Deiix sources fondamentales : un proto-Marc et des T-ogia de Matthieu. — Le même Schleiermacher émit plus tard une opinion qui devait faire fortune, Ueber die Zeugnisse des Papias von unserer beiden ersten Eangelien. dans les Theol. Studien und Kritiken, 1882, p. SSô-^GS. Ce que Papias nous dit (n° 10) de l’Evangile de saint Marc se rapporterait, non à notre Marc canonique, mais à un Marc primitif, ou proto-Marc, moins complet, moins bien ordonné, qui aurait seulement servi de source à notre Marc actuel. Ce qu’il dit de l’Evangile de saint Matthieu conviendrait, non à notre Matthieu canonique, mais à un simple recueil de discours de Jésus, écrit par saint Matthieu en araméen, c’est-à-dire un proto-Matthieu.

L’hypothèse ainsi émise a été adoptée par un grand nombre de critiques modernes. D’après eux, notre Evangile canonique de saint Marc aurait pour base le proto-Marc, dont il serait comme une édition retouchée et remaniée. Les deux autres Evangiles, saint Matthieu et saint Luc, seraient essentiellement une combinaison du proto-Marc avec le proto-Matthieu, c’est-à-dire du recueil primitif de récils avec la collection primitive de discours.

Tel est, sauf les variantes, le système soutenu par

Credxer, Das X. Testament nach Zweck, Ursprung und Inhalt, iSli’d ; H. J. Holtzmanx, dans ses Sr ?ioptischen Evungelien, 1863, et dans la 1" édition de son Einleitung in das X. T., 18-8 ; A. Réaille, Etudes critiques sur l’Evangile de S. Matthieu, 1862 ; Jésus de Xazareth, 1897 ; Rexax, dans sa Vie de Jésus, 1863 ; 13" éd. définitive, 1867 ; Weizsakcker, Untersuchungen ùber die evangelische Geschichte, 1864, 1’éd., igoi ; Beyschlag, Leben Jesu, 1885 ; Reuss, Histoire évangélique, 1876.

On retrouve quelque chose de cette hypothèse dans l’opinion de P. ^V. Schmiedel, art. Gospels dans VEncycl. biblica, t. II, 1901, et de J. Weiss, Das atteste Evangelium, 1903, d’après laquelle l’Evangile de Marc n’aurait pas encore eu sa rédaction pleinement arrêtée lorsqu’il servit de source à Matthieu et à Luc, mais aurait acc{uis sa forme définitive après les deux autres.

59. § 4. — Hypothèse mixte, de Marc et des Logia. — Le plus grand nombre des critiques qui aujourd’hui se rangent à l’hypothèse des deux sources, la proposent avec une modilication importante par rapport au système iirécédent. A la base des Evangiles de saint Matthieu et de saint Luc, ils conservent le recueil de Logia, mais, au lieu d’un proto-Marc, placent le Marc canonique actuel. Nous avons dès lors une combinaison de l’hypothèse de l’utilisation avec l’hypothèse documentaire : Marc aiu’ait été utilisé par les deux autres Synoptiques, et en même temps ces deux derniers Evangiles dépendraient du document appelé Recueil de Logia.

Telle est, dans son ensemble, l’hypothèse proposée d’al)ord par Weisse, Die evangelische Geschichte kritisch und philosopitisch behandelt, 1838 ; soutenue depuis par H. J. Holtzmaxn, dans ses plus récents travaux, Einleitung in das N. T., 2’éd., 1892 ; Die Synoptiker (Iland-Commentar zum X. T.), 3’éd., 1901 ; Renax, dans Les Evangiles, 1877 ; B. Weiss, Das Marcusevangelium und seine synoptische Parallelen, 1872 ; Das Matthausevangelium und seine Lucas-Parallelen, 1876- ; I.ehen Jesu, 1882, 3’éd., 1888 ; Einleitung in das X. T., 1886, 3* éd., 1897 ; Wendt, Die Lehre Jesu, 1886, 1’éd., 1901 ; Weizsæcker, Das apustulische Zeitalter der christlichen Kirche, 1886, 2* éd., 1892 ; Rœhrich. La composition des Evangiles, 1897 ; Harxack, Die Chronologie der dltchristl. Literatur bis Eusebius, t. I, 1897 ; Spriiche und Reden Jesu, 1907 ; Wernle, Die synoptische Frage, J899 ; Juelicher, Einleitung in das A’. T., 189^, 5° éd., 1906 ; SoLTAU, Unsere Evangelien, ihre Quellen und ihr Quellemvert, 1901 ; O. Holtzmaxx, J.eben Jesu, 1901 ; vox SoDEN, Urchristliche LAteraturgeschichte : die Schriften des X’. T., 1906 ; Wellhausex, Einleitung in die drei ersten Evangelien. 1905 ; Loisy, Les Evangiles synoptiques, 1 907-1 908 ; Nicolardot, Les procédés de rédaction des trois premiers évangélistes, 1908 ; Staxtox, The Gospels as historical documents, t. II, ’909 Un certain nombre d auteurs catholiques se sont

rangés à cette hypothèse, ces dernières années. Tels, Mgr Batiffol, ^’(.r leçons sur les Evangiles, 1897, p. 66 sq. ; Eenseignenient de Jésus, 1905, p. ix ; V. Ermoni, /e noyau primitif des Evangiles synoptiques, dans la Bévue bibl., 1897, p. 269-264 ; le P. Lagrange, Jésus et la critique des Evangiles, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, igo^, p. 19 ; Mgr Barnes, Origin of the Gospel according to S. Matthe^v, dans le Journal of theological Studies, igoo, p. 188 sq. ; F. Gigot, Studies on the Synoptics, dans la Xe^v-York Bevie » ; t. I, II et III ; Camerlynck et CopPiETERS, Evangeliorum secundum Matthæum, Marcum et Lucam Synopsis, 1908, p. xiii, xxi-xxiii. 1629

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60. Points discutés parmi les tenants de cette hypothèse. — i" Luc, dépendant de Marc et des Logia, dépend-il aussi de Matthieu ? — Les divergences notables qui existent entre les textes du premier et du troisième Evangile, dans les passages, étrangers à saint Marc, qui leur sont communs, ne permettent pas de supposer que les deux évangélistes se soient copiés, ni même utilisés dune façon tant soit peu considérable. Néanmoins un certain nombre de critiques ont pensé que saint Luc s’était inspiré de saint Matthieu, d’une façon accessoire, et à tout le moins l’avait connu. C’est l’opinion soutenue par Simoxs, Hat der dritte Evangelist den kanonischen Mutthâus benutzt ? 1880 ; AVeizsakcker, Z^as apostolische Zeitalter, 1886, 2’éd., 1892 ; Wendt, Die I.ehre Jesu, 1886, 2° éd., 1901 ; H. J. HoLTZMAXN, Einleitung, 2’éd., 1892 ; O. HoLTZMANN, Lebeu Jesu, 1901.

Quelques auteurs se liornent à conjecturer que Luc a pu connaître Matthieu, avant que ce premier Evangile ait reçu sa forme détinitive, c’est-à-dire dans une édition antérieure qui n’aurait pas contenu les récits de l’enfance de Jésus, ni quelques autres morceaux, comme la promesse du Christ à Simon Pierre. Ainsi pensent Schmiedel, art. Gospels ; "SV. SoLTAU, insère £i-angelien.

Mais la plupart des critiques, à l’heure actuelle, proclament l’indépendance complète de saint Luc par rapport à saint Matthieu. Rexan, Les Evangiles ; B. Weiss, op. cit. ; iuEi.iCïiER, Junleit. ; Wernle, Die synopt. Frage ; vox Sodex, L’rclu-istl. Literat. ; Loisy, Les Evang. srn.. Camerlyxck et Coppieters, Synopsis ; etc.

61. 2" Le recueil de Logia, qui, a’ec Marc, a servi de source à Matthieu et à Luc, donne lieu à plusieurs questions.

A) Quel était au juste son contenu ? — La plupart des partisans de la théorie des deux sources regardent le recueil de Logia comme ayant été essentiellement une collection de discours, introduits seulement par de courtes notices historiques.

Cependant quelques-uns estiment que le recueil a pu contenir de véritables récits, mêlés aux discours. H. J. Holtzmanx, Liinleitung, 2’éd., p. 350.B. Weiss, op. cit., va plus loin. D’après lui, ce document primitif aurait contenu, outre les discours, un assez bon nombre de récits, et déjà comme une esquisse du ministère public de Jésus. — Rexax, Vie de Jésus, et Evangiles, y voyait même un véritable Evangile, ressemblant beaucoup à notre Evangile grec de saint Matthieu, sans lui être pourtant identique.

B) Sous quelle forme le document a-t-il été connu respectivement de Matthieu et de Luc ? — D’après quelques critiques, Matthieu, et peut-être même Luc, auraient connu et exploité le recueil de Logia en araméen. — Le plus grand noml » re pensent que les deux évangélistes ont travaillé sur ce document primitif déjà traduit en grec, et que même ils ont dû le posséder en des recensions dilKérentes, ce qui expliquerait en partie leurs divergences dans la manière de présenter les éléments cpi’ils lui ont empruntés. Tel est l’avis de Ueuss, A’erxle, Jueliciier, vqnSode.n,

SOLTAU, LOISY.

C) Ce recueil de L.ogia était-il un écrit original, ou bien avait-il lui-même des sources ? — Prcscpie tous les i)artisans de la théorie des deux sources ont jusqu’ici envisage le recueil de Logia comme un document original, primili ement rédigé en liél)reu, ou plutôt en araméen, et bientôt traduit en grec. Ainsi,

ReNAX, ReISS, II. J. IIoi.TZMANN, HaRX.A.CK, JuELICHEH, VON SODE.N, W’klLHAUSEX.

Exception est faite à présent par MM. Scumiedix et LoiSY, d’après lesquels le recueil de Logia, utilisé par nos Sjnoptiques, serait probablement dérivé

d’un document plus ancien, peut-être araméen, moyennant des combinaisons rédactionnelles intermédiaires, dont la série est d’ailleurs impossible à reconstituer. Schmiedel, art. Gospels, dans l’Z/Jc^c/. biblica, t. 11, col. 1862-1869 ; LoisY’, Les Evang. syn., t. 1, p. 142-ii^3. Cf. Strauss, Nouvelle vie de Jésus, t. 1, p. 60, 149-1Ô2.

68. 3" Xotre Evangile actuel de Marc, qui a servi de source à Matthieu et à Luc, est-il lui-même un document de première main, ou dépend-il de sources écrites ? — Les critiques, nous l’avons vu, semblent présentement s’accorder à reconnaître que notre Marc actuel ne vient pas d’un proto-Marc, c’est-à-dire d’un Evangile proprement dit, de contenu assez semblable, quoique non identique, à notre Marc canonique, et dont celui-ci serait un simple remaniement. Ils ont néanmoins continué de se demander si notre Evangile actuel de Marc était une œuvre pleinement homogène.

Jusqu’ici, la plupart ont admis l’unité et l’originalité de cet Evangile, exception faite pour le discours escliatologique du chap. xiii, qui serait une petite apocalypse, répandue d’abord dans la communauté chrétienne et utilisée plus tard par notre évangéliste. Telle est l’opinion de Re.nax, H. J. Holtzmann, Har XACK, JUELICHER, ^^’ER^LE, SoLT..U.

D’après quelques critiques, l’auteur de Marc aiu-ait connu le recueil de Logia et s’en serait un peu inspiré. Weizsæcker, b. Weiss, O. Holtzmaxn, etc. — D’autres, plus récents, prétendent que Marc ne se serait pas seulement inspiré des Logia, mais qu’il en dépendrait A’éritablement pour une bonne partie de ses matériaux. Ainsi, J. "NVeiss, Uas atteste Evangelium, J903 ; Nicoi^vrdot, Les procédés de rédaction des trois premiers évangélistes, p. 215 sq. ; LoisY, Les Evang. srn., t. I, p. 82.

Au sentiment de M. Loisy’, ibid., p. 118, le second Evangile aurait eu encore, comme source principale de ses récits, une sorte d histoire abrégée du ministère du Christ, ou de narration évangélique fondamentale, peut-être composée en araméen et à Jérusalem. Ce document narratif n’aurait pas embrassé l’ensemble de la vie publique, ce n’aurait pas été un Evangile abrégé, une sorte de proto-Marc, mais seulement une source partielle pour la composition ultérieure de notre Marc canonique. Il n’aurait pas davantage contenu, avec les récits, un ensemble de discours, coipme B. ^Veiss l’a conjecturé pour le recueil primitif de Logia, mais aurait constitué une source distincte du recueil des discours. En résumé, Marc aurait eu, à l’exemple de Matthieu et de Luc, une double source : l’une narrative, savoir un document historique, pris comme fond de narration ; l’autre, qui lui est commune avec les deux autres Synoptiques, le recueil de Logia. Cf. E. Wexdlino, i’r-.Varkus, 1906 ; Die Entstehung des Marcus-Evangeliums, 1908.

III. Appréciations et conclusions. — Voici ce que l’on peut dire de Ans probable sur les hypothèses que nous venons d’exposer.

63. 1° — L’hypothèse de la dépendance à l’égard de la tradition ora/c est insullisante à expliquer l’ensemble (lu problême synoptique.

Elle fait sans douté fort bien comprendre que chacun de nos Evangiles ait des parties qui lui sont propres, et elle rend bien compte des divergences qui se constatent dans les parties communes à nos trois documents, soit récits, soit discours : nos évangélistes auraient consigné des traditions dillérentes et des catéchèsesde contenu varié. On peut même penser que là se trouve en effet, la vraie raison d’un grand nombre des particularités propres à nos divers écrits.

Lhypothèse oIVre également une explication assez 1631

ÉVANGILES CANONIQUES

1632

plausible de la ressemblance généi-ale de nos documents, au point de vue du fond : nos Evangiles reproduisent la même partie du luinistère de Jésus en Galilée, souvent les mêmes faits, les mêmes discours, parce que tel était devenu l’objet courant de la catéchèse prêchce dans les Eglises.

Mais, ce que l’on ne comprend pas, dans cette hypothèse, c’est que les trois Synoptiques s’accordent parfois à grouper les faits dans le même ordre et au moyen d’une liaison tout artilicielle. Qu’il suffise de citer en exemple le récit de la décollation de Jean-Baptiste, rattaché à la mention de l’opinion qui avait cours auprès d’Hérode Antipas sur Jean-Baptiste ressuscité, opinon uîanifestée elle-même à l’occasion des miracles opérés par Jésus : Marc, vi, 14 sq. = Matth., xiA-, I sq. Cf. Luc, iii, 19-20 ; ix, 7 sq.

Ce que l’on ne s’explique également pas, c’est que, tandis que nos EAangiles relatent avec des variantes assez notables les paroles du Sauveur qui auraient dû être reproduites avec le plus de fidélité — par exemple, le texte de la prière dominicale, les expressions employées dans l’institution de l’eucharistie

— ils s’accordent, au contraire, çà et là, pour rapporter les mêmes détails historiques de peu d’importance, pour mêler à leur narration la même observalion d’ordre très secondaire, pour citer l’Ancien Testament d’une façon identique, et cependant différente de l’hébreu et des Septante, parfois pour introduire ou relier entre eux leurs récits par des formules fort semblables. Exemples : Marc, i, 3 ^ Matih., iii, 3 = Luc, iii, 4 ; Marc, 1, iG = Matth., iv, 18 ; 3Larc, I, 21 = : Matth., IV, 31 ; Marc, i, 32 =^Matth., viii, 16

: =Luc, IV, 40 ; Marc, ix, 36 =^ Matth., xviii, 2-3 : =

L.itc, IX, 47-48 ; Marc, xiv, 43 = Matth., xxvi, 4 ; = Luc, XXII, 47.

Ces particularités, et d’autres encore, ne semblent pouvoir s’expliquer quepar une dépendanceà l’égard de textes écrits : des Evangiles plus récents à l’égard des Evangiles antérieurs, ou des trois à l’égard de documents primitifs.

64. 2° — L’hypothèse de l’utilisation mutuelle de nos Evangiles ne fournit pas, non plus, une explication adéquate du problème.

Elle ne rend pas compte des divergences nombreuses et importantes qui se constatent entre nos documents, soit au point de vue du contenu général, soit au point de vue de l’ordre des récits et des discours, soit au point de vue des détails et des formules rédactionnelles. Si nos évangélistcs s’étaient servis du travail les uns des autres, on devrait le reconnaître d’une manière bien autrement sensible, à la comparaison de leurs écrits.

En particulier, il est difficile de croire que saint Matthieu et saint Luc se soient connus l’un l’autre : comprendrait-on le peu d’accord qu’offrent leurs récits de l’enfance de Jésus, l’absence chez l’un de discours ou de paraboles rencontrés chez l’autre, alors que tous deux attachent manifestement tant de prix aux enseignements du Seigneur, enfin la différence complète de Tordre dans lequel ils reproduisent ceux qu’ils ont en commun et de la liaison qu’ils leur donnent avec les événements de la vie de Jésus ?

Il est également improbable que saint Marc ait connu l’un ou l’autre des deux autres Synoptiques : on ne s’expliquerait pas qu’il en ait négligé les plus touchantes paraboles ; il n’a pas voulu, en effet, se borner systématiquement au récit de l’histoire, puisqu’on n’est pas sans trouver chez lui des paraboles et des discours. Saint Marc n’a d’ailleurs rien d’un abréviatcur, même en ce qui regarde les récits : sa narration est souvent plus développée et plus circonstanciée que celle des deux autres.

Enfin, que saint Marc ait servi de source à saint

Matthieu et à saint Luc, c’est une supposition qui l)eut valoir seulement pour la partie narrative de ces deux derniers évangélistcs ; aussi est-elle généralement combinée avec l’hypothèse d’une deuxième source, le recueil "de Logia. Même restreinte à la partie narrative, elle ne laisse pas de présenter de sérieuses difficultés, comme nous le verrons en parlant de l’hypothèse mixte,

65. 3° — L’hypothi’se documentaire, nécessaire après l’élimination des deux précédentes, satisfait difficilement au problème, si l’on se maintient à la supposition d’un seul document ou Evangile primitif, qui aurait contenu la matière de nos trois Synoptiques et aurait été exploité successivement par chacun d’eux. — Pourquoi saint Marc en aurait-il éliminé les discours ? Pourquoi la partie narrative de ce second Evangile serait elle souvent i>lus déAcloppée que chez les deux autres ? Pourquoi les discoiu’s apparaîtraient-ils sous une forme si divergente et dans un ordre si différent, en saint Mattliieu et en saint Luc ?

66. 4° — ^(i supposition d’une multitude de petits documents écrits, qui auraient servi de sources à nos écrivains, explique très bien les divergences de nos Evangiles. Dans cette hy])othèse, combinée avec celle de la tradition orale, doit se trouver, en particulier, l’explication de ce que chacun d’eux a de propre, en fait de récits, de sentences ou de discours. Mais cette hypothèse, prise isolément, rend malaisé de comprendre l’accord remai’quable que les Synoptiques montrent, sous leurs divergences, dans leur plan général, le choix des matériaux, l’ordre dans lequel ils sont présentés, parfois la façon très spéciale dont ils sont groupés.

67. 5° — LJexplication qui paraît répondre le plus complètement aux données du problème est celle qui, tout en faisant une part assez large à l’influence de la tradition orale, ou des souvenirs personnels, et à celle des sources écrites particulières, rattache l’ensemble de la matière narrative des Synoptiques à un premier document écrit, et l’ensemble de leur matière discursive, surtout celle de saint Matthieu et de saint Luc, à un deuxième document.

A cette explication revient l’hypothèse mixte, qui, combinant la théorie de l’utilisation avec la théorie documentaire, présente Matthieu et Luc comme utilisant Marc et dépendant en même temps d’un recueil antérieur de Logia. Sous cette forme, nous l’avons vu, l’hjpothèse est soutenue aujourd’hui par le plus grand nombre des critiques. Elle est, de ce chef, une hypothèse des plus autorisées : l’on doit en tenir compte dans la controverse actuelle au sujet de l’origine de nos Evangiles.

68. Est-ce à dire que ce soit une hypothèse pleinement prouvée et que l’on doive considérer comme définitive ? Il est permis d’en douter.

En elTet, on ne trouve d’abord nulle part, entre saint Marc et les deux autres Synoptiques, une identité absolue. Or, si son texte avait été utilisé par eux, l’un ou l’autre, semble-t-il, devrait contenir des récits entièrement pareils, des phrases littéralement semblables. On prétend que Mattliieu et Luc ont retouché le style de Marc : il serait bien surprenant qu’ils l’eussent retouché d’une façon si complète.

Il y a d’ailleurs des péricopes de Marc qui sont omises, soit par Matthieu (Marc, i, 21-28 ; xii, 41-44)> soit par Luc (Marc, vi, 45-46 ; vii, 24-viii, 21 ; x, 1-12, 35-45 ; XII, 28-34 ; xiv, S-g), soit par les deux (Marc, 111, 20-21 ; IV, 26-29 ; "^"’31-37 ; VIII, 22-26 ; XIII, 34-37 ; XIV, 51-52). Or, dans l’ensemble, on ne voit jias de motif à ces omissions ; on se les explique malaisément de la part de nos deux évangclistes. s’ils prennent comme fond de leur ouvrage l’Evangile de Marc. 1633

ÉVANGILES CANONIQUES

1634

D’autre part, dans les morceaux où les trois Synoptiques marchent de front, on remarque parfois des divergences dans les expressions, les détails, ou le groupement des sentences reproduites, qui paraissent peu conciliables avec l’hypothèse d’une utilisation de l’un par les deux autres. Cf. Marc, xiii. 9-1 3 = Matth., XXIV, 9-1 4 = J.iic, XXI, 12-19. — Ailleurs, Matthieu et Luc s’accordent pour donner un texte plus court, et sans qvi’on voie encore de motif à leur abréviation commune, comme s’ils dépendaient d’une autre source que notre second Evangile. Marc, ix, 13-28 = Mattli., xvii, 14-20 = Luc, ix, 87-44^. Cf. Marc, XIV, 30, 72 = Matih., xxvi, 34, ^5 = Luc, xxii, 3/J, 61 ; Marc, xvi, '^^Matth., xxviii, 7 = Luc, xxiv, 7. — D’autres fois, le texte de Marc, notablement plus court que celui des deux autres Synoptiques, ou bien, avec celui de Luc, notablement plus court que celui de Matthieu, a tout l’air d’un abrégé par rapport à un document antérieur plus développé. Marc, i, 12-13 : = : ^ Matth., IV, i-ii 3 : 1 Luc, iv, i-13 ; Marc, xii, 38-40 = Luc, XX, 4^-47 = Matth., xxiii, 1-89. Cf. Marc, xii, 35-37 = ^"f> ^^' ^i-^li = Matth., xxii, 4 1-46 ; Marc^ xiii, 82-37 ; = Luc, xxi, 34-36 =z Matth., XXIV, 36-5 1. En particulier, Marc, iii, 22 (calomnie des scribes sur le pouvoir de Jésus à l'égard des démons) paraît supposer quelque chose comme Matth., XII, 22-24 =^ Luc, XI, 14-15 (expulsion actuelle d’un démon).

Ces divers phénomènes requièrent, semble-t-il, comme source des Synoptiques, un document plus ancien que Marc, et dont ce second Evangile dépendrait comme les autres. — L’induction est confirmée par ce fait que certains passages communs à Marc et à Matthieu paraissent, malgré leur parallélisme général, indépendants. Si l’on compare, par exemple, Marc, VII, 1-2^ = Matth., xv, 1-20, on constate des transpositions de sentences, et une précision de certains détails en Matthieu, qui se conçoivent mal du premier évangclisle utilisant le second. Comparer également Marc, iii, ii-13 avec Matth., xvi, i-4. Dans Matth., xx, 22-28, et xxi, 20, on comprend, au contraire, difficilement l’omission de détails contenus dans les passages parallèles, Marc, x, 88-89, ^^ XI, 21.

69. 6° Des observations antérieures il semble donc résulter, que Matthieu et Luc, non seulement n’exi)loitent pas Marc dans la mesure et de la manière que l’on attendrait, s’ils le prenaient comme fond narratif de leur Evangile, mais encore qu’ils dépendent, pour les récits, d’un document différent de Marc, tout en lui étant analogue, et que Marc luimême dépend de sources écrites antérieures. Dans ces conditions, les rapports constatés entre nos trois Synoptiques pourraient s’exvliquer par leur dépendance, non plus à l'égard de Marc et des I.ogia simplement, mais à l'égard de sources narratives et de recueils de discours, antérieurs au second Evangile lui-même. Cf. SpiTTA, Streitfragen zur Geschichte Jesu, 1907.

Il ne serait aucunement surprenant que la rédaction de nos Evangiles canoniques ait été ainsi précédée et préparée par une série de travaux plus ou moins complets, tendant plus ou moins parfaitement à la forme d’Evangiles. Cela s’accorde exactement avec le témoignage que saint Luc place en tête de son livre, Luc, i, i.

Les apôtres, en effet, commencèrent par prêcher oralement l’Evangile ; mais on ne dut pas tarder à mettre cette prédication par écrit : à mesure que l’on avançait, il devenait plus précieux de ne i)as laisser perdre le souvenir précis et fidèle des témoins. Bien plus, sitôt que l’Eglise franchit les bornes de la Palestine, quand de simples convertis, parfois des étrangers, furent établis missionnaires de la bonne

nouvelle, il devint pour ainsi dire nécessaire de consigner pour leur usage l’essentiel des souvenirs gai-dés par les disciples de Jésus : d’abord les principaux discours, les éisisodes les plus instructifs ; puis, à mesure que l’on s’intéressait davantage à la vie terrestre du Sauveur, une esquisse des principaux faits de sa vie, un tracé plus complet de l’ensemble de sa carrière, tel qu’on avait coutume de le présenter dans la catéchèse publique aux iidèles, sans compter les récits spéciaux relatifs à son enfance. Ainsi ont pu se constituer, en particulier, un document nai-ratif résumant, à l’usage des missionnaires chrétiens, la vie publique du Sauveur d’après la catéchèse des apôtres et tout spécialement de saint Pierre (n" 86) ; d’autre part, un recueil de ses discours jugés les plus utiles à l’instruction des fidèles. Inutile de dire qu'à une époque où l’on pouvait encore si facilement consulter les témoins, les mêmes documents ont dû. rapidement se diversifier dans le détail, se compléter et se répandre en des recensions différentes.

Nos trois Synoptiques ont fort bien pu être basés sur un ou plusieurs de ces documents primitifs, ou Evangiles partiels, qu’ils auront diversement traités, abrégés ou développés, suivant leur point de vue personnel, leur but propre, et aussi leurs sources d’information spéciales sur les points particuliers.

Ce doit être la tâche de la critique de chercher à déterminer avec plus de précision la nature et le nombre des travaux antérieurs, supposés par nos Evangiles canoniques. Mais y parviendra-t-elle jamais ?

70. A consulter. — L. C. Filliox, Lntroduction générale aux Evangiles, 1889 ; Th. Calmes, Comment se sont formés les Evangiles ? 1899 ; E. Jacquier, Histoire des livres du A T., t. ii, 4' éd., 1906 ; Camerlynck et Coppieters, Evangeliorum secundum Matthæum, Marcum et Lucam Synopsis, 1908,

IV. Les auteurs de nos Évangiles

Après avoir déterminé l'époque de composition de nos quatre Evangiles, l’authenticité des textes actuels, le rapport des trois Synoptiques entre eux, nous pouvons maintenant aborder la question importante des auteiu-s auxquels nous devons nos documents sacrés.

Pour plus de commodité, nous examinerons la question, en premier lieu, pour les Evangiles attribués à des disciples : saint Marc et saint Luc ; ensuite pour les Evangiles attribués à des apôtres : saint Matthieu et saint Jean.

1. — L’auteur du 11^ Evangile, saint Marc 1. D’après la critique externe

I. Etat du témoignage traditionnel. — A la fin du II* siècle, la croyance est établie dans l’Eglise que notre second Evangile a été composé par saint Marc, disciple de saint Pierre, à Rome.

71. TertuUien. — C’est ce qu’atteste Tkbtullien, à Cartilage : « D’entre les aiiôtres, dit-il en s’adressant à l’hérétique Marcion, Jean et Matthieu nous donnent la foi ; d’entre les disciples, Luc et Marc nous la renouvellent. » Adv. Marcion., IV, 11 (ci-dessus, n" 4).

Clément d’Alexandrie. — Clément d’Alexandrie cite également notre second Evangile sous le nom de Marc, Liher Quis dives salvetur : ' y ; Aduml/rationes ; et r.iconte dans quelles circonstances le discijjle de saint Pierre entreprit de mellre par écrit, pour les fidèles de Rome, la prédication de son maître (cidessus, n° 3). 1635

ÉVANGILES CANONIQUES

1636

S. Irénée. — A Lyon, saint Irknke attribue, lui aussi, notre Évangile à Marc, interprète et compagnon dePierre. Contra Ilæres., 111, x, 6 ; V, vni. C’est ce qu’il déclare, en particulier, nous l’avons vu (ci-dessus, n"* 5 et 31), dans la notice qu’il consacre aux quatre A^vangiles.

Canon de Muratori, Taiien. — Il est tout à fait à croire qu'à la même époque, le Canon de Muratori (a° 6), qui reconnaissait seulement quatre Evangiles, dontceux desaintLuc etde saint Jean, pour la lecture publique des Eglises, et le Diatessaron de Tatien (n° S), composé à l’aide de nos quatre nvangiles canoniques, tenaient également le second Evangile iiour l'œuvre de saint Marc.

Papias. — Enfin, la tradition, ainsi constatée à la (in du 11° siècle, se trouve attestée jusque dans la première moitié de ce u' siècle, chez Papias, héritier de la tradition des anciens (n" 10).

II. Valeur de ce témoignage. — Les principaux témoins du ii' siècle attribuent donc formellement notre second Evangile à saint Marc, disciple de saint Pierre, sans que l’on trouve aucune contradiction à leur témoignage. Quelle est la valeur d’une telle tradition ?


78. 1° On ne peut faire valoir contre la tradition aucune difficulté qui s’impose a priori. — On objecte sans doute que notre Evangile est une œuvre de seconde main, basée sur des documents antérieurs ; d’autre part, que les souvenirs historiques s’y trouvent transformés, parfois reuîplacés par des interprétations, des corrections, des compléments, dus au travail de la pensée cluétienne, et en particulier à l’influence des spéculations théologiques de saint Paul. LoisY, Les Evang. syn., t. I, p. 82, 84, 112. — Mais ces objections n’ont pas la portée qu’on leur suppose.

Bien que les anciens témoins se contentenle de dire notre Evangile composé d’après la prédication de saint Pierre, leur témoignage s’accommode sans peine de l’hypothèse d’après laquelle l'évangéliste aurait néanmoins utilisé des documents antérieurs. On peut parfaitement concevoir, en effet, que saint Marc ait exploité pour son travail des sources écrites, déjà consacrées en quelque sorte par l’usage ecclésiastique, et les ait complétées, arrangées, adaptées à son but, d’après les enseignements recueillis de la bouche du prince des apôtres. Peut-être même la source principale exploitée par lui et par les deux autres Synoptiques (n° 69) était-elle déjà la catéchèse de saint Pierre, circulant dans l’Eglise en diverses recensions : il a pu l’avoir sous une forme plus développée, ou la compléter et préciser lui-même à l’aide de la prédication orale de son maître.

73. Le paulinisnie de notre Evangile, si paulinisme il y a, s’expliquerait, de son côté, fort bien, dans l’hypothèse hautement probable que saint Marc, disciple de saint Pierre, I Petr., v, 13, a été également disciple et compagnon de saint Paul, n'étant autre que ce Jean Marc, qui fig.re, au livre des Actes, comme cousin de Barnabe, associé à celui-ci et à l’Apôtre dans leur voyage à Chj’pre, Act., xii, 12, 26 ; XIII, 13 ; XV, 3^-89, identique enfin à ce Marc que saint Paul lui-même pésente comme son auxiliaire au moment où il écrit plusieurs de ses Epîtres, Col., IV, 10 ; Pliilem., 24 ; II Tim., iv, 11. — Ces traces de théologie paulinienne sont d’ailleurs très douteuses, ce que l’on appelle de ce nom étant le plus souvent, en réalité, une tendance commune aux prédicateurs chrétiens de la génération apostolique, et se rattachant à l’enseignement authentique du Sauveur Jésus lui-même.

Quant au départ que l’on prétend établir entre les souvenirs historiques et les transformations apportées par le travail progressif de la foi, il dépend à peu près entièrement de l’idée qu’on se fait, à l’avance, de l’histoire évangélique, et, en particulier, du préjugé que l’on a à l'égard de son contenu surnaturel (n" S18). On ne peut l’opposer en principe à la thèse de la composition de l’Evangile par un disciple direct de saint Pierre.

2° Examinée en elle-même, et sans idée préconçue, l’attribution duII’EvangileâsaintMarc par la tradition du II" siècle, présente, au contraire, une valeur de premier ordre.

74. i*" La qualité du personnage choisi. — La qualité du personnage choisi est, à elle seule, une garantie de vérité,

J.^ attribution à saint Marc suppose un rapport réel entre ce personnage et la composition de l’Evangile. — La tradition, en effet, regarde l’Evangile comme ayant été rédigé à l’intention des fidèles de Rome, et contenant les souvenirs du chef des apôtres. Pourquoi l’a-t-on attribué à un personnage aussi obscur que Mai’c, un simple disciple, et qui ne figure même comme tel que dans une brève mention de lai" Epître de saint Pierre, v, 13 ? Pourquoi n’en avoir pas fait honneur à Pierre lui-même ? On devait s’y sentir fortement incliné, si l’on en juge par la tendance des apocryphes les plus anciens, du pseudo-Evangile de Pierre, en particulier. Voir art. Apocryphes (Evangiles) ci-dessus, col. 179-180. Seule, semble-t-il, la vérité de l’histoire a pu motiver l’attribution au disciple obscur plutôt qu’au maître glorieux. La parole de Renan, Les Evangiles, 2° éd., p. II 4, n. I, demeure tout à fait juste : « Marc n’eut pas assez d’importance pour qu’on ait cru relever un écrit en le lui attribuant. »

La mise du 11* Evangile au nom de Marc paraît donc supposer de toute nécessité un rapport réel entre ce disciple de saint Pierre et la composition de notre document.

75. Ce rapport doit être celui d’une composition intégrale de l’Evangile par saint Marc. — A en croire A. LoiSY, ce rapport ne serait pas celui d’une composition intégrale et définitive ; Marc aurait seulement rédigé vin premier document, qui plus tard aurait servi de source au rédacteur final (n° 68). « Si un disciple de Pierre, dit-il, a eu part à la composition du second Evangile, ce ne peut être le dernier rédacteur, c’est-à-dire le véritable auteur de ce livre, mais l’auteur de la notice concernant la prédication et la mort de Jésus, c’est-à-dire l’auteur du document exploité par l'évangéliste, et où l’on peut reconnaître un écho du témoignage apostolique, spécialement des souvenirs de Pierre. » Les Evang. syn., t. I, p. 1 13. « S’il y a au fond du second Evangile une relation qui représente la tradition de Pierre, et si cette relation a été écrite par un disciple de l’apôtre, qui avait nom Marc, ce sont deux hypothèses qui pourraient aider à concevoir le travail légendaire d’où est sortie la notice qu’Eusèbe a trouvée dans Papias. » Itnd., p. 27. Cf. VON SoDEN, L’rchristliche Literaturgeschichte, 1906. p. 71 sq., 77 sq.

Cette conjecture ne peut guère se soutenir. On ne voit pas bien, en effet, que, dans l’Eglise même de Rome, où l’Evangile a été publié, la tradition ait pu laisser immédiatement dans l’ombre le rédacteur proprement dit de l’Evangile, pour mettre en évidence l’auteur d’un simple document partiel ayant servi à sa composition. N’est-ce pas à l’auteur définitif qu’on devait surtout s’intéresser ? Et n’est ce pas ce rédacteur final qu’il était leplusfacile d’identiQer ? Si l’on avait songé àl’auteur responsable d’une som-ce 1637

EVANGILES CANONIQUES

1638

antérieure, ne serait-on pas allé jusqu’à saint Pierre lui-même ? Aussi bien conçoit-on dillicilcment un Evangile, publié à Rome fort peu de temps après la mort du chef des apôtres, sinon auparavant, et qui n’aurait pas été rédigé par un héritier immédiat et autorisé de sa tradition, mais aurait seulement été basé siu" le travail d’un de ses disciples.

76. M. Loisy se rend compte de l’invraisemblance de l’hypothèse, et il en vient à insinuer une explication toute dilférente. « Ce peut être, dit-il, … à sa qualité d’ancien évangile romain, plutôt qu’à l’origine d’une de ses sources, que le livre doit son attribution à un disciple du prince des apôtres. » Ibid., p. 119. Le criticjue laisse même entendre que l’on aurait imaginé tout exprès à cette intention le rapport de Marc avec saint Pierre. « Au livre se rattachait, dit-il, le nom de Marc, et ce Marc, qui était censé avoir été compagnon de Paul, on tenait surtout à ce qu’il fût regardé comme compagnon de Pierre. » Ibid.. p. 27. Et ainsi s’expliquerait la notice transmise par Papias (n" 10). De son côté, « la mention de Marc clans l’Epitre de Pierre n’est peut-être pas sans rapport avec l’attribution du second Evangile à un disciple du prince des apôtres : ce serait une mention intéressée, comme le dii’e de Jean l’Ancien ». Ibid., p. 113.

Mais ces suppositions ne sont pas plus soutenables que la précédente. On ne comprendrait vraiment pas qu’on eût songé, pour le patronage de l’Evangile romain, à un disciple de Paul qu’il aurait fallu prendre la peine de transformer en disciple de Pierre : est-ce que Pierre n’avait pas laissé des disciples très authentiques à qui on pût rapporter aisément cet écrit ? Et, si l’on agissait si librement à l’égard des faits, que n’a-t-on, encore une fois, publié l’ouvrage sous le couvert de l’apôtre lui-même ?

La tradition du 11’siècle, prise dans son ensemble, requiert donc une réelle participation d’un disciple de saint Pierre, nommé Marc, à la composition du II’Evangile, et cette participation n’a pu être que la rédaction proprement dite et définitive de notre Evangile actuel.

77. 1° Le témoignage de Papias. — C’est ce que nous garantit tout particulièrement le témoignage de Papias (n° 10).

Le renseignement de Papias lui a été fourni par

« le Presbytre ». — L"éêque d’Hiérapolis déclare tenir

son renseignement, touchant l’origine du 11’Evangile, d’un personnage qu’il appelle « le Presbytre » ou « l’Ancien ». Qu’élait-ce ce personnage ?

Le Presbytre de Papias est le presbytre Jean d’Ephèse. — A en juger par le titre même que Papias lui donne, de Presbjtre par excellence, ce devait être un homme considérable, un représentant très autorisé de l’antique tradition.

D’après Euskbe, qui a eu son ouvrage entre les mains, le personnage que Pai)ias qualiliait de la sorte dans son livre et dont il reproduisait fréquemment le témoignage, s’appelait Jean, a II se donne lui-même, dit-il, en parlant de l’évêque d’Hiérapolis, //. E., iii, XXXIX, pour auditeur d’Aristion et du Presbytre Jean ; du moins il insère leurs traditions dans ses commentaires, en les mentionnant souvent par leur nom. »

Or, ce presbytre Jean, s’il était une des principales

autorités de Papias, a dû vivre non loin d’Hiérapolis,

en Asie Mineure. Ce ne [teut être que le fameux Jean,

I fpii vécut à Ephèse à la (indu i" siècle et impressionna

I si fort toute la tradition asiatique du 11’(n°149s(j.). le Jean sous le patronage duquel se [)lace l’Apocalypse, ouvrage d’Asie Mineure, celui dont se réchinuiit Polycarpe, à l’époque où il avait pour auditeurs Irénéc et Florinus (n" ISO), celui enfin dont Polycrate

affirme qu’il a son tombeau à Ephèse et qu’il garantit l’usage particulier des Eglises d’Asie concernant le jour de la célébration de la Pàque (n" 149). Mais c|ui est ce Jean le Presbytre d’Ephèse ?

78. Le piesbytre Jean d’Ephèse est i apôtre saint Jean. — A la lin du 11’siècle, Tkrtulliex (n" 148) et Clément d’Alexandrie (ibid.) Aoient en lui l’apôtre Jean, iils de Zébédée. Polycrate (n° 149), évêque même d’Ephèse, vers igo, l’identifie au disciple qui reposa sur la poitrine de Jésus, c’est-à-dire à l’apôtre saint Jean. Saint Irémîe (n° ISO), dont les relations avec l’Asie Mineure sont connues, a la même attitude, et il croit que tel était le témoignage de son maître Polycarpe, disciple immédiat de ce Jean. A l’époque de saint Polycarpe, saint Justin (n" ISS), converti à Ephèse, identitie le même Jean d’Asie Mineure, auteur de l’Apocalypse, à « Jean, l’un des douze apôtres du Christ ». En résumé, un ensemble de témoignages on ne peut plus imposants nous amène à voir dans le fameux Jean d’Ephèse l’apôtre saint Jean (n° 147 sq.).

C’est donc l’apôtre saint Jean que devait viser Papias par « le Presbytre ». De fait, saint Irénée, qui avait son ouvrage entre les mains et était en mesure de le bien interpréter, appelle Papias u compagnon de Polycarpe » et « auditeur de Jean », savoir de Jean « le disciple du Seigneur », celui qui reposa sur la poitrine de Jésus à la dernière Cène. Contra Hæres., V, xxxiii, 3, 4 ; IH, i, I.

79. Témoignage contradictoire d’Eusèbe, et objection tirée d un passage de Papias. — Ensèbe, il est vrai, s’inscrit en faux contre cette assertion. Après avoir rapporté le témoignage de lévêque de Lyon, il ajoute, //. E., III. xxxix : « Voilà ce que dit Irénée. Mais Papias, dans le prologue de ses Logia, ne se présente pas comme ayant vu et entendu les saints apôtres ; il atteste simplement avoir reçu de leurs disciples les choses qui ont rapport à la foi. » En particulier, Ensèbe donne à entendre que le presbytre Jean, dont Papias se déclare l’auditeur direct et dont il se plaît à insérer les traditions dans ses commentaires, est un i)resbytre différent de l’apôtre de ce nom.

Pour l’établir, Eusèbe cite un morceau du prologue de Papias, dont voici le passage essentiel :

« S’il survenait quelqu’un qui eût fréquenté les

presbytres, je consultais les dires des presbytres (-5v ; Tôiv TzpesC-jriprjiv àvéxocjov)d-/oit :) : qu’ont dit (t<’… ùzi-j) André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean, Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur ? et ce que disent (â Ts…)éyoj17rj) Aristion et le presbytre Jean, disciples du Seigneur. » Dans ce j)assage, fait remarquer Eusèbe, on trouve cité à deux reprises le nom de Jean : une première fois avec Pierre, Jacqiies, Matthieu et les autres apôtres : c’est évidemment le Iils de Zébédée ; une seconde fois, en compagnie d’Aristion, et avec les simples titres de disciple du Seigneur et de presbytre : ce doit être un personnage différent. « Ainsi, ajoute-t-il, apparaît vraie la relation de ceux qui ont alTirmé que deux personnages du même nom ont vécu en Asie, et qu’à Ephèse se trouvent deux tombeaux qui, maintenant encore, sont ajjpelés l’un et l’autre : tomiteau de Jean. A quoi il est nécessaire de prêter attention, car il est vraisemblable que l’Apocalypse, inscrite sous le nom de Jean, a été révélée au second, si l’on ne veut pas du i)reniier. »

80. Critique de l’argumentation d’Eusèbe. — Maisil semble impossible que cette opinion tardive <l’Eusèbe puisse ]>révaloir contre l’affirmation primitive de saint Irénée. — Tout d’abord, il faut convenir qu’elle est ins[)irée par un préjugé. Eusèbe a quelque difficulté à reconnaître la pleine canonicité de l’Apoca1639

ÉVANGILES CANONIQUES

1640

lypse. dont les millénaristes abusent, et il la refuserait assez volontiers à l’apôtre saint Jean. H. E., III, xxiv, XXV. C’était déjà, au m* siècle, et pour le même motif, Tattitude de Denys d’Alexandrie. Aussi, venant à parler de ce Père, Eusèbe s’étend-il longuement à dire comment il avait conjecturé que l’Apocaljpse pourrait être d’un Jean, autre que l’apôtre, sans doute un de ses homonymes, ayant vécu aussi en Asie, peut-être même à Ephèse, car « on dit qu’à Eplièse il y a deux tombeaux, qui tous deux sont appelés : tombeau de Jean ». H. E., VII, xxv. C’est à cette opinion de Denys qu’Eusèbe fait manifestement allusion, à la suite de son interprétation personnelle du passage de Papias. Il est Aisible que la distinction entre le Presbytre et l’Apôtre, dans ce passage, l’intéresse surtout parce qu elle fournit une conlirmation et une précision à la conjecture générale de Denys touchant un second Jean, auteur possible de l’Apocalypse.

D’autre part, on ne peut pas ne pas être frappé de la faiblesse de largumentation d’Eusèbe. Il tenait à trouver dans l’histoire la mention concrète de l’individu que Denys s’était borné à conjecturer, et que l’on pourrait substituer à Jean l’apôtre dans la composition de l’Apocalypse. Or, si l’on excepte le vague

« on dit », relatif aux deux tombeaux de Jean, qu’Eusèbe

emprunte à Denys et qui est sans portée appréciable, l’évêque de Césarée n’invoque, en faveur de l’existence d’un second Jean, que le passage de Papias, dont il est contraint de faire l’exégèse. On peut en inférer avec certitude que, dans les nombreux documents du iii « et du ii<= siècle qu’il avait eus entre les mains, Eusèbe n’avait rencontré aucun témoignage capable de corroborer ou d’éclairer celui-ci. Bien plus, on peut être assuré qu’il n’a trouvé, dans le reste de l’œuvre de Papias, aucune indication qui pût établir plus clairement que le presbytre, dont se réclamait î’évéqued’Hiérapolis, était un autre que l’apôtre Jean.

En résumé, c’est du seul passage cité de Papias, interprété uniquement d’après son texte, sans lumière complémentaire venue du reste de l’ouvrage ni de la tradition, qu’Eusèbe a tiré l’existence d’un presbytre Jean, distinct de l’apôtre de ce nom.

81. Explication du passage de Papias. — Nous avons donc le droit de reprendre pour notre compte l’examen du texte de Papias : nous sommes à son égard exactement dans l’état d’information où se trouvait Eusèbe ; nous avons, pour l’interpréter, les mêmes ressources et les mêmes moyens, sans avoir le même préjugé. Or, il n’est pas du tout évident que, dans ce texte, Papias entende mentionner deux personnages différents sous le nom de Jean ; on a même les plus sérieuses raisons de penser qu’il mentionne en réalité à deux reprises un seul et même personnage.

Le second Jean, en effet, reçoit le qualificatif de

« presbytre > ; et, conjointement avec Aristion, de
« disciple du Seigneur ». Or, dans les lignes immédiatement-précédentes, 

on Aoit Papias appeler « presbytres » et « disciples du Seigneur » les apôtres, donc en particulier l’apôtre Jean. Il serait bien singulier qu’à si peu de distance il entendit présenter un homonyme de l’apôtre, sans prendre la peine de l’en distinguer d’une façon expresse, bien plus en le désignant par des qualificatifs exactement semblables. D’autant que, à en juger par la teneur de notre passage et par le contexte du début du prologue, Papias entend, par les personnages qu’il nomme, les dépositaires premiers de la tradition, les témoins immédiats de Jésus : le presbytre Jean serait donc un disciple direct, au même titre que l’apôtre : mais, encore une fois, il serait bien étrange que, ni en cet endroit ni ailleurs, Papias n’eût distingué nettement entre deux homonymes si parfaitement semblables.

Au contraire, on s’explique bien la double mention du nom de Jean, si, de part et d’autre, il s’agit du même personnage. Papias examine et compare — c’est le sens précis de KJé/.pi-jo-j, employé avec de simples comjjléments directs : rij ; /sysj ; et v. te)iyoj7cj, ainsi que l’ont compris saint Jérôme et l’auteur de la version syriaque — deux catégories d’informations : celles qu’il a recueillies par l’intermédiaire de visiteurs ayant entendu les disciples immédiats de Jésus, et celles qu’il tient personnellement de ces disciples eux-mêmes : on comprend qu’il mentionne le nom de Jean l’apôtre dans la première série, avec les autres apôtres, si l’un ou l’autre de ses visiteurs avait prétendu reproduire son témoignage, et l’on comprend encore qu’il le cite de nouveau, en compagnie d’Aristion, si, avec ce dernier, il avait été ouï directement par lui-même, ainsi qu’il le fait entendre dans le reste de son livre, au témoignage d’Eusèbe.

On est donc sérieusement fondé à croire que le presbytre Jean, mentionné par Papias, ne se distingue pas de l’apôtre Jean. Son titre de « presbytre », loin de le différencier des apôtres, tend plutôt à l’en rapprocher, puisque ce titre paraît synonyme de témoin immédiat. La manière toute spéciale, et l’on peut dire éminente, dont ce titre lui convient, fait entendre qu’il a été regardé dans la région, et par Papias lui-même, comme « l’Ancien » par excellence : sans doute aura-t-il surAécu aux autres membres de la génération apostolique, et aura-t-il été, à une époque, le dernier représentant de la première tradition. Or, ce personnage ne peut, semble-t-il, être que l’apô-I tre Jean, dont parle tout le reste de la tradition asiaj tique au ii* siècle, et dont Eusèbe lui-même ne conteste aucunement le séjour authentique à Ephèse.

88. Conclusion. — Dans ces conditions, le témoignage d’Eusèbe doit être laissé hors de considération, et il faut s’en tenir à celui de saint Irénée, d’ailleurs beaucoup plus rapproché de Papias et mieux à même d’interpréter ses informations sur ce point. Le presbytre Jean, auquel se réfère l’évêque d’Hiérapolis, est en réalité l’apôtre Jean, iils de Zébédée.

C’est donc de Jean l’apôtre que Papias tiendrait son renseignement au sujet de l’Evangile de saint Marc. En fait, la teneur de la déclaration, qui est une appréciation motivée touchant l’exactitude du second évangéliste, paraît bien dénoter un juge particulièrement autorisé, comme pouvait l’être l’apôtre Jean, témoin oculaire. Bien plus, le jugement du Presbytre sui- Marc se comprend au mieux, s’il est’prononcé du point de vue de l’Evangile johannique, où l’on trouve effectivement une disposition plus régulière et une chronologie plus précise. Cela s’explique bien, si le presbytre ne se distingue pas du quatrième évangéliste lui-même. Renax, EEglise chrétienne, p. ^g ; Harxack, Chronologie, 1. 1, p. 691 ; BoussET, Offenbarung, 1896, p. ! ’j, note 2. Et nous verrons que cet évangéliste est précisément à identiiier avec l’apôtre saint Jean (n° 166).

Importance du témoignage de Papias. — On saisit dès lors la valeur exceptionnelle du renseignement foui’ni par Papias. Comme le reconnaît hypothétiquement M. Loisy, Les Eang. srn., t. I, p. 24 : « Si Jean l’Ancien était l’apôtre Jean, Ois de Zébédée, le compagnon de Pierre et de Matthieu, il pouvait être et il était bien instruit touchant les actes et l’enseignement de Jésus, les rapports de Marc avec Pierre, la valeur du second Evangile, l’œuvre littéraire de Matthieu ; et les renseignements que Papias tient de lui sont de tout premier ordre : il n’y a qu’à les contrôler par l’examen de nos Evangiles, pour être assuré que ceux-ci correspondent bien à l’idée qu’en avait le dernier survivant du collège apostolique. » 1641

ÉVANGILES CANONIQUES

1642

2. D’après la critique interne

Au témoignage de la tradition, le second Evangile a été composé, à l’intention des chrétiens de Rome, par saint Marc, disciple de saint Pierre. S’il est vrai, comme il est tout à fait probable, que ce personnage est identique au Jean Marc, cousin de Barnabe, dont la mère, nommée Marie, possédait à Jérusalem une maison, où Pierre s’abrita au sortir de la prison d’Hérode, Act., xii, 12(n°73), l’auteur de noire Evangile aurait donc été un Juif d’origine palestinienne. Dans quelle mesure ces divers renseignements sont-ils conlirnics par l’examen interne du document ?

83- 1° Le second Evangile a été rédigé par un disciple de saint Pierre. — Passages relatifs ù saint Pierre, communs au second Evangile et aux deux autres. — Si l’on examine le second Evangile, en le comparant aux autres au point de vue de la manière dont la personne de saint Pierre se trouve représentée, on constate d’abord que la plupart des passages où figure le chef des apôtres lui sont communs avec les deux autres Synoptiques : Marc, i, 16 sq. ; 29 sq. ; iii, 16 ; v, 87 ; viii, 29, 32-33 ; ix, i sq. ; X, 28 ; XIV, 29, 33 sq., 54, 66 sq. — Ces passages, nombreux, montrent que saint Pierre a, parmi les disciples, joué un rôle prépondérant ilans l’histoire évangélique, et que ce rôle était particulièrement souligné dans la catéchèse primitive, qui se trouve à la base de nos Evangiles actuels. — Cependant il est digne de remarque que ces récits ne font pas précisément valoir la i^ersonne du chef des apôtres.

£4. Lorsqu’il est l’objet d’un privilège de la part de Jésus, comme à la résurrection de la fille de Jaïre, v, 37, à la transliguration, ix, i sq., à l’agonie de Gethsémani, xiv, 33 sq., il est associé à deux autres apôtres, Jacques et Jean, et son rôle n’a rien de bien glorieux : dans le premier épisode, aucun trait ne le met au-dessus de ses deux compagnons ; à la transfiguration, il exprime le désir que l’on établisse trois tentes sur la montagne, et l’évangéliste note que le saisissement l’empêchait de bien savoir ce qu’il disait, IX, 5 ; à Gethsémani, il s’endort comme les autres, et c’est à lui que Jésus adresse le reproche de n’avoir pu veiller un moment avec lui, xiv, 3^.

85. Dans les autres circonstances, le rôle qu’il joue est, le plus souvent, loin d’être àson honneur : ainsi, lorsqu’il veut contrarier le dessein de la Passion et se voit repoussé par le Maître comme un satan, viii, 32-33 ; lorsqu’il fait valoir que les Douze ont tout quitté pour suivre le Sauveur et demande quel sera leur salaire, x, 28 ; lorsqu’il proteste, avec présomption, (le sa fidélité, xiv, 29 ; qu’il se borne à suivre son maître de loin, xiv, 54, et le renie par trois fois, XIV, 66 s([.

Ailleurs il est parlé de lui très simplement : il fut appelé par Jésus, en compagnie d André, son frère, I, 16sq. ; sa belle-mère fut guérie par le Sauveur, 1, 29 sq. ; il reçut le surnom de Piei-re, iii, 16 ; dans la circonstance même où, parlant au nom des Douze, il exprime leur foi commune au sujet du Christ, on ne rai)i)orle pas l’accueil fait par le Sauveur à sa déclaration, VIII, 311 ; t<)nq)arcr à Mullli., xw, 18-19.

86. Cette faç<m de décrire le lôle de Pierre, avec une juste impartialité, et même, semble-t-il, un certain soin à mettre en luiui< re ses défauts, sans qu’il y ait là cependant de paili pris et sans ([ue l’apôtre laisse d’être maintenu au picmier rang qu’il a eu dans la réalité, se comprend pailicnlièrement bien de la part du chef des apôln-s lui-même. Il est même tel récit, i)ar exemple celui du reniement, qui n’a pu être fourni ([ue par Pierre en personne et n’est entré dans la tradition que par lui.

La conclusion doit être que la tradition fondamentale, placée à la base de nos trois Synoptiques, se trouve en rapport étroit avec saint Pierre, et sans doute reproduit sa catéchèse, devenue promptement la catéchèse habituelle, et en quelque sorte ollicielle, des Eglises (n" 69). Cf. Loisy, Les Es’ong. syn., t. I, p. 114. Or, on conçoit bien que Marc, disciple de saint Pierre, ait basé son Evangile sur cette catéchèse, sauf à la compléter et préciser d’après l’enseignement recueilli par lui de la bouche même de son maître.

87. Traits spéciaux du récit de saint Marc dans les passages communs. — Si l’on compare effectivement le second Evangile aux deux autres Synoptiques, pour la partie qui leur est commune, on remarque d’une façon générale que ses récits sont plus détaillés et plus circonstanciés : l’auteur précise les temps, les lieux, l’impression produite sur la foule par les actes et les paroles de Jésus, les dispositions des disciples et celles des adversaires, les sentiments du Maître lui-même. Or, on n’a pas de peine à s’expliquer ces détails particuliers, ces traits pittoresques, dans l’hypothèse où notre Evangile s’inspire des renseignements personnels du j^rince des apôtres. Renan s’en exprimait justement en ces termes : « Il est plein d’observations minutieuses, venant sans nul doute d’un témoin oculaire. Rien ne s’oppose à ce que ce témoin oculaire, qui évidemment avait suivi Jésus, qui l’avait aimé et regardé de très près, qui en avait conservé une vive image, ne soit l’apôtre Pierre lui-même, comme le veut Papias. » Vie de Jésus, p. lxxxiii.

« La forte impression laissée par Jésus s’y retrouve

tout entière. On l’y voit réellement vivant, agissant ». Les E’angiles, p. 116. « Tout est pris sur le vif ; on sent qu’on est en présence de souvenirs ». Ibid., p. 118.

88. Passages relatifs à saint Pierre, propres au second Evangile. — Dans la partie qui est spéciale au second Evangile, trouve-t-on, par comparaison, des indices plus positifs d’un rapport particulier avec le chef des apôtres ?

Marc a quatre passages propres, où figure saint Pierre : i, 36 ; xi, 21 ; xiii, 3 ; xvi, 7. Dans les quatre passages, l’apôtre est mentionné d’une façon indifférente : il paraît à la tête du collège apostolique, mais sans que rien de particulier soit signalé à sa louange.

De leur côté, les autres évangélistes ont maints récits où il est question de Simon-Pierre, indépendamment des parties communes à saint Marc. Ainsi, Matth., XIV, 29 sq. ; xv, 15 ; xvi, 17 sq. ; xvii, 28 ; xviii, 21 ; Luc, v, 3-9 ; viii, 45 ; xii, 41 ; xxii, 8, 31 ; XXIV, 12, 34 ; Jean., 40-42 ; vi, 68-70 ; xiii, 6-9, 24, 36 ; XVIII, II, 1 5 ; xx, 2-6 ; xxi, 2, 7, 11, 1 5-2 1. Or, l’on constate que la plupart de leurs traits particuliers sont à l’honneur du chef des apôtres. Ainsi, la manière dont Jésus lui impose d’abord son surnom, Jean, i, 40-42 ; la pêche miraculeuse, qui signale son appel définitif, Luc. v, 8-9 ; le privilège que Jésus lui confère après sa confession à Césarée, Matth., xvi, 17 sq. ; sa marche sur les eaux, Matth., xiv, 29 sq. ; sa pêche du poisson au statêre, Matth., xvii, 28 sq. ; son rôle à la dernière Cène,./< ?^// ?, xiii. 6-g. 2^ ; le privilège quc le Christ lui renouvelle, à son apparition auprès du lac, et la prédiction qu’il lui fait ensuite, Jean, xxi, 2 sq.

Conclusions. — Cette teneur respective des documents semble favorable à la thèse de la composition du second Evangile par un disciple de saint Pierre.

— Que ce disciple, en effet, ait omis un certain nombre de traits concernant son maître, comme il s’en rencontre dans les autres Evangiles, cela n’a rien de surprenant : ce n’est pas seulement à Rome que l’on s’intéressait au chef des apôtres, et Pierre n’était pas 1643

EVANGILES CANOxNIQUES

1644

le seul à raconter les incidents auxquels il avait été mêlé. On peut même penser que d’aiitres témoins étaient plus empressés que lui à relater son rôle dans les scènes évangéliques : les traits propres auxautres évangélistes doivent remonter à ces témoins particuliers, — Mais, ce qui semble bien accuser dans le second Evangile un accord tout spécial avec la prédication personnelle de saint Pierre, c’est que notre auteur s’abstient de relever ce que les autres racontent de plus glorieux pour le prince des apôtres, et que ses traits propres cadrent exactement, pour le caractère et la portée, avec les traits qu’il a en commun avec les deux autres Synoptiques, c’est-à-dire avec le fond de tradition qui doit provenir de la catéchèse même de Pierre.

2° Le second Evangile a été écrit pour des Romains. — Si maintenant nous recherchons, d’après la teneur générale du livre, les procédés didactiques de l’auteur et les pai’ticularités de son langage, à quels lecteurs l’ouvrage a été d’abord destiné, nous nous rendons compte qu’il a été composé pour des Gentils, plus spécialement pour des Latins et des Romains.

89. L’ouvrage a été composé pour des Gentils. — Il les suppose, en effet, ignorants de la langue, des mœurs et des coutumes juives.

Il reproduit des paroles du Sauveur, en araméen : Boanergès, iii, 17 ; talitha koumi, v, ^i ; corban, vii, 11 ; ephphata, vii, 34 ; Bartimee, x, 46 ; Abba, xiv, 31 ; Eloi, Eloi, lamma sabachtani, xv, 34 ; mais il a soin de les traduire aussitôt, sauf les termes, probablement plus connus, de rabbi, ix, 15, xi, 21, xiv, 45, et de rabboni, x, 51. — Est-il question du reproche adressé aux disciples de Jésus au sujet des ablutions qu’ils omettent, il prend la peine d’expliquer que les pharisiens et tous les Juifs ont, par tradition, coutume de se laver les mains avant de manger, de se baigner au retour du marché, de purilier leurs coupes, leurs ustensiles d’airain, leurs lits, vii, 3-4. Vient-il à parler de la Préparation, il spécifie que c’est la veille du Sabbat, xv, 42,

90. Ces Gentils, destinataires du livre, étaient des Latins et même des Romains. — On en trouve un premier indice dans les particularités linguistiques de l’ouvrage. Le grec de notre auteur est semé d’expressions et de tournures latines.

Un certain nombre, il est vrai, se retrouvent dans les autres Evangiles, et la raison en est qu’avec la domination de Rome s’était forcément produite une certaine infiltration de la langue latine, dans la langue des pays soumis. Cela est particulièrement vrai des termes militaires et administratifs, tels que orcjv.pio’j, xvîvaoç, /-ytojv, ~ py.Lr’J> piov, fpr/.’/e/jooi.

Mais, ce qui est à remarquer, c’est que le second Evangile renferme de ces latinismes un nombre plus considérable que n’importe quel écrit du Nouveau Testament, et qu’il en a de tout spéciaux. Tandis que les autres Evangiles et les Actes des apôtres appellent constamment l’oiricier commandant cent hommes k/.v-ojTv.pycç : ou ky.y-o-JTCf.pyt)-., notre auteur le désigne toujours par le mot xîvrv/siwv, c’est-à-dire centurie, xv, 39, 44. 45 ; comparer les passages parallèles, Matth., XXVII, 54 : = Luc, XXIII, 3^. Le garde auquel Hérode prescrit de lui apporter la tête de Jean-Raptiste, reçoit chez notre écrivain le nom de TTrszov/arw/î, c’est-à-dire spiculator, vi, 27. Les Aases que purifient les Juifs sont désignés sous le nom de f^T/ ;  ; , corruption du latin sextarius, vii, 4- Les expressions : èiXoiTUi ï’/ji->, V, 23, ixxvàv roisfv, XV, 15, sont calquées sur les expressions latines : in extremis esse, satis facere. Cf. vox Sodkn, Urchristliclie Lileraturgeschichte, p. 82-83.

Pareillement, notre auteur se représente ses lecteurs comme plus au courant de la monnaie romaine que

de la monnaie grecque. Dans l’épisode de la veuve aux deux liards, saint Luc, xxi, 2, qui a ce passage en commun avec lui, dit que la pauvre femme glissa dans le tronc du temple oùo /.smv.-, notre écrivain dit la même chose, mais en ajoutant que les deux menues pièces de monnaie grecque équivalent à un quadrans romain, le quart d’un as : / « nrà ous, S ^artv xo^oavTrjç, XII, l-2. — Quand il vient à parler de la résidence du procurateur, il la désigne par son nom vulgaire, « v>/ ; mais a soin d’indiquer aussi le nom spécial, sous lequel la connaissent plutôt les Romains, î iiri-j T.cy.izdipio-J, XV, 16.

Enfin le second évangéliste suppose ses lecteurs familiarisés avec des personnages qu’il nomme, et que nous avons de bonnes raisons de croire des Romains. Simon de Cyrène, dit-il, est le père d’Alexandre et de Rufus, xv, 21. Ces deux personnages sont censés bien connus des destinataires de l’Evangile. Or, l’un d’eux, Rufus, a un nom essentiellement latin ; d’autre part, c’est à un chrétien du même nom que saint Paul adresse un salut particulier, dans son Epltre aux Romains, xvi, 13 : « Saluez Rufus, élu dans le Seigneur, et sa mère, qui est aussi la mienne. » Comme l’apôtre n’avait pas encore visité Rome, lorsqu’il écrivait cette lettre, il avait donc connu Rufus et sa mère ailleurs. La chose s’explique bien, si le Rufus établi à Rome vers l’an 56 s’identifie au Rufus dont le second évangéliste mentionne le père à Jérusalem vers l’an 30 ; saint Paul aura été en relations avec lui et sa inère, en Palestine. S’il en est ainsi, les lecteurs de l’Evangile, qui sont supposés bien connaître ce personnage, quelques années après que saint Paul signale sa présence à Rome, sont donc des Romains. Th. Zaiix, Einleitung in das N. T., t. ii, p. 241-242.

Cette particularité même tend à corroborer notre conclusion précédente, à savoir que l’Evangile rédigé pour les fidèles de Rome a été composé d’après la tradition du chef des apôtres.

Ainsi le témoignage interne du livre confirme le témoignage de la tradition sur deux points importants et très caractéristiques : le second évangéliste s’adresse à des Romains et il dépend de la tradition de saint Pierre.

Mais l’étude de l’ouvrage nous permettra de préciser encore davantage.

91. 3° L’auteur du second Evangile est un Juif palestinien, et même biérosoliimitain. — Cest un Juif d’origine. — La langue de notre évangéliste, en eflet, trahit un Juif d’origine. — On trouve d’abord sous sa plume des hébraïsmes assez nombreux. Un certain nombre, sans doute, lui sont communs avec les autres évangélistes et peuvent être attribués aux sources utilisées ; mais d’autres lui sont propres, comme àvo 3ùo, vi, ’j ; r.py.- : i^/t npy.71v.t, vi, !  ; , S/ry.7yr, uiy.i ii).(/.7yr, aiïv^ III, 28. L’emploi habituel de la conjonction yy.i, pour relier ses phrases et introduire ses récits (80 sur 88), doit être également mis à son compte personnel et accuse un auteur familiarisé avec la manière simple et rudimentaire du style hébreu. — Chose plus significative, nous avons vu que l’évangé liste aime à citer des paroles du Sauveur dans leur langue araméenne et qu’il sait en donner l’interprétation exacte à ses lecteurs (n° 89).

98. Ces diverses particularités autorisent à penser que l’auteur du second Evangile était Juif. La façon dont il parle des Juifs en plusieurs endroits, vii, 3, XII, 9, s’explique par le doul)le fait qu’il s’adresse à des chrétiens étrangers au judaïsme, et que lui-même n’appartient plus au judaïsme, étant devenu chrétien. On trouve un langage tout semblable chez saint Paul : I Cor., 1, 22 sq. ; ix, 20 ; II Cor., xi, 24 ; Gal., 1645

ÉVANGILES CANONIQUES

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II, 13 sq. ; I Tliess., ii, i/5 ; Act., ii, 5 ; ix, 22 sq. ; x, 22 sq. ; XII, 3, etc. — « Juif d’origine, à ce qu’il semble, et bien au courant des choses juives, dit à ce propos M. LoisY, /.es Ks’Cing. srn, , t. I, p. 116, il n’est point judéoclirétien et il a pris décidément parti contre les Juifs. >i

93. C’est un Juif palestinien et hiérosolvmilain. — Quelle était au juste sa patrie ? — Un détail permet de conclure que, bien qu’écrivant à Rome, il était originaire de Palestine et s’était trouvé à Jérusalem lors de la mort de Jésus. Depuis longtemps les critiques ont remarque un trait particulier au second Evangile dans le récit de la Passion. Après avoir raconté la scène de l’arrestation à Getlisémani et comment tous les disciples s’enfuirent en abandonnant le Sauveur, notre évangéliste continue, xiv, 51-52 : « Et seul un jeune homme le suivait, n’ayant qu’un drap sur le corps ; ils le saisissent, mais lui, lâchant le drap, s’enfuit nu. »

94. En vain a-t-on essayé de trouvera ce petit détail une explication en dehors de l’histoire. M. LoisY y a AU « un trait conçu par ap[)lication de prophétie ».

« Justement, dit-il, il y a un texte d’Amos qui, à

propos de fuite, parle d’un homme nu. L’interpT-étation messianique de ce passage pouvait suggérer ce que Marc raconte. » Les Es’ang. syn., t. II, p. 5g 1 ; cf. S. Reixach, Orpheus, 6’éd., 1909. p. 819.

Mais cette explication est tout à fait invraisemblable. Le texte grec d’Amos, 11, 16, parle d’une poursuite :

« L’homme nu sera poursuivi ce jour-là. » Il

faudrait penser que l’évangéliste s’est inspiré du texte hébreu, où il s’agit directement d’une fuite :

« Le plus robuste parmi les vaillants s’enfuira nu ce

jour-là. » Cette supposition même ne peut se soutenir. Le trait prophétique figure dans une description du jugement de Dieu contre Israël, et tend à montrer la terreur que ce jugement inspirera aux plus braves. Or, quel rapport y a-t-il entre le jugement de Dieu contre son peuple et l’arrestation de Jésus à Getlisémani ? Quelle relation, entre le guerrier saisi d’effroi, qui n’a pas la force de revêtir son armure, ou la jette pour fuir plus aisément, et ce jeune homme qui ne paraît pas du tout venu pour combattre, et qui s’enfuit nu, simplement parce qu’on le saisit par son drap ? Les deux situations manquent d’analogie. Il semble impossible que le premier trait ait donné l’idée du second.

Le plus grand nombre des interprètes voient à bon droit dans le détail en question un petit épisode strictement iiistorique. L évangéliste doit avoir sur ce point un renseignement personnel : il semble bien connaître le jeune homme qu’il met en scène ; comme néanmoins il ne le nomme pas, les critiques en concluent que ce jeune homme ne se distingue pas de lui-même.

Mais, s’il en est ainsi, le second évangéliste se j trouvait donc à Jérusalem, au temps de la Passion, et tout donne à croire qu’il y avait sa résidence. C’est un indice très signilicatif en faveur de l’identilication de notre auteur avec ce Jean Marc dont la mère avait les lidèles de Jérusalem réunis dans sa maison, lorsque saint Pierre s’évada tle la prison d’Hérode Agrippa (n" 73, 82). Rkxax, Vie de Jésus, p. 4t » 6 ; /.es Ks’ungiles, p. ii/|, n. 2 ; 126, n. 4 ; R-Weiss, Dos Marcuse<, ’angeliuni und seine synoptisclie Purallelen, p. 228 ; Kinleitung in dus N. T., p. [^()b, Zaun, Hinleitung in dus X. T., t. II, p. 2^3 sq. ; II.-J. IIoLTZMANX, Die Synoptiker, 3éd., p. 176. Cf. J. Wkiss, qui, tout en distinguant le jeune homme de l’évangéliste, l’identifie à Jean Marc, Dus atteste Evangeliuin, 1903, p. 305 sq., 407 sq.

Conclusion. — En somme, les particularités internes du second Evangile confirment d’une manière très

caractéristique le témoignage de la tradition au sujet de l’origine de l’ouvrage. L’auteur écrit pour des Romains, il dépend de la tradition personnelle de saint Pierre, il est Juif d’origine, palestinien et même hiérosolymitain : cela s’accorde exactement avec ce que les plus anciens témoins nous disent de Marc, disciple de Pierre, rédigeant son Evangile pour les fidèles de Rome. Si l’on a égard à cette remarquable concordance, et si l’on se rappelle les garanties très spéciales qu’offre la tradition, en particulier du côté du témoignage transmis par Papias et de la qualité obscure du personnage auquel l’œuvre est attribuée, on peut, semble-t-il, proclamer avec une véritable assurance la pleine authenticité de l’Evangile de saint Marc.

93. Opinions des critiques. — Cette authenticité, niée par Strauss et, à sa suite, MM. Schmiedel et LoisY, qui estiment notre Evangile tout au plus fondé sur un écrit primitif de saint Marc (n°68), est reconnue, non seulement par les critiques catholiques, en général, mais encore par l’ensemble des protestants conservateurs, tels que R. Weish, Einleit., p. ^91 sq. ; F. Godet, introduction au A’. T. Les trois premiers Evangiles, 1897, p. 383 sq. ; Zahn, Einleit., t. II, p. 2^0 sq. ; E. GouLD, The Gospel according to St. Mark (Tlu’international critical Commentarr), 1899 ; H. B. SwETE, The Gospel according to St. Mark, 1902 ; S. D. F. Salmond, avX.Mark (Gospel of) dans le Dict. ofthe Bible, t. III, p. 256 sq. ; V.H. Stanton, The Gospels ashistorical Documents, t. ii, 1909, p. 180-203 ; etc. Bien plus, elle est admise par la grande majorité des critiques libéraux : Renan, Les Evangiles, ^. i ! i sq. ; H. HoLTZMAXN, Einleitung in das IV. T., 3° éd., 1892, p. 383 ; A. Juelicher, Einleitung in das iV. T., 5" éd., 1906, p. 274 sq. ; A. Harnack, Chronologie, t. I, 1897, p. 652 ; etc.

96. A consulter. — "Wallon, De la croyance due à l’Evangile, 2’éd.. 1866 ; Cornely, Introductio specialis in singulosy. T. lihros, 1886 ; Compendiuw, 1889 ; L. C. Fii.i.ioy, Evangile selon saint Marc, 1879 ; F. Vic. ouroux. Les JAvres saints et la critique rationaliste, IP partie, livre V ; 3*éd., t. V, 1891 ; I. Knabexbauer, Comment, in Evangelium secundum Marcum, 1894 ; P. Batiffol, Six leçons sur les Evangiles, 1897 ; L.GoNDAL, La provenance des Evangiles, iSijS ; Fouahd, Sdint Pierre et les premières années du christianisme, eh. XX ; V. Rose, Evangile selon saint Marc, 1904 ; E. Ja( : ()Uier, Histoire des livres du X. T., t. II, 1906 ; Brassac, Manuel biblique, t. III, 1910.

2. — L’auteur du III^ Evangile, saint Luc

I. D’après la critique externe

97. 1. Etat nu témoignage traditionnel. — A la fin du m" siècle, la croyance attestée par les principaux écrivains ecclésiasticjues est que le troisième Evangile est l’œuvre de saint Luc, disciple et compagnon de saint Paul, le « très cher médecin » dont celui-ci parle dans son épître aux Colossicns, iv, 14 ; cf. II Tim., IV, II.

Clément d’Alexandrie. — C’est ainsi que Clément d’Alexandrie cite notre Evangile sous le nom de Luc, Pædagogus, II, i ; Strom., i, xxi.

Saint /renée. — Saint Irénée fait de même à dierses reprises. Contra Uæres., lU, s., 1 ; xi, 7 ; xiv, 1 ; IV, VI, i.Dans sa notice sur l’origine des Evangiles, III, I, I, on lit qu’ « à son tour, Luc, compagnon de Paul » — ailleurs, III, xiv, i, il l’appelle « le collai>oraleur des apôtres, surtout de Paul », et signale que 164^

ÉVANGILES CANONIQUES

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le grand Apôtre en parle dans ses Epîtres, — « publia dans un livre l’Evangile prêché par celui-ci » (n*" S).

TertulUen. — Tertulliex cite également le troisième Evangile, en l’attribuant à Luc, Adv. Marcion., IV, v. Xous avons vu (n" 4) que, dans sa notice sur les Evangiles, ibid., IV, ii, il joint le nom de Luc à celui de Marc, comme étant tous deux disciples des apôtres et, à ce titre, confirmant, dans leurs Evangiles, la foi d’abord fondée sur le témoignage direct des apôtres.

Canon de Muratori. — Enfin, le Canon de Muratori (no 6) présente expressément le troisième Evangile comme composé par le médecin Luc, devenu compagnon de saint Paul en ses missions.

98. IL Valeur de ce témoignage. — ° Le témoignage traditionnel, ainsi constaté, ne se heurte à aucune difficulté sérieuse qu’on puisse lui opposer a priori.

— Sans doute, s’il fallait admettre que le livre a été composé seulement aux environs de l’an loo, l’époque paraîtrait un peu tardive pour l’activité littéraire d’un compagnon des missions de Paul, rien n’autorisant à supposer que l’auteur a écrit dans un âge particulièrement avancé. Mais, nous l’avons vu (n" S931), aucun argument plausible ne force à reculer la date de composition de l’Evangile longtemps après’^o ; au contraire, il semble qu’on soit contraint de la placer au moins très peu après cette époque ; bien plus, de bons arguments inA itent à se porter plus haut encore et à mettre la rédaction de l’ouvrage avant l’année 62.

99. 2° Pris en lui-même, le témoignage de la tradition présente des garanties de yérité qu’on peut dire irrécusables. — D’un côté, en effet, ce témoignage se trouve très répandu, très assuré, nullement contesté, à une époque où l’on n’était pas encore très loin des temps apostoliques, et où il était aisé, dans chaque Eglise, de remonter aux premiers anneaux de la chaîne traditionnelle.

Surtout, la qualité du personnage auquel est attribué l’Evangile est capable d’inspirer une pleine confiance. — Ce personnage est des plus obscurs ; il n’a joué dans l’histoire qu’un rôle très effacé : ce n’est donc pas une intention suspecte qui a pu lui faire rapporter notre document. « Luc, dit fort bien Renan, n’avait pas assez de célébrité pour qu’on exploitât son nom en ^^le de donner de l’autorité à un livre. «  Les Efang., p. 252. N’aurait-on pas bien plutôt mis l’ou^Tage sous le couvert d’un nom illustre, de saint Paul, par exemple, dont on disait justement que cet Evangile était la prédication mise par écrit ? Etant donné qu’on songeaitseulementàun disciple du grand Apôtre, n’aurait-on pas choisi de préférence un de ses disciples les plus en vue, destinataire de quelqu’une de ses Epîtres, tel que Tite ou Timothée ?

L’obscurité du personnage de Luc garantit donc son rapport réel avec l’Evangile qui lui est attribué. Or, on ne comprendraitpas que la part prise par ce disciple à la composition de l’ouvrage se fût bornée à la rédaction d’un simple document partiel, utilisé ensuite par un rédacteur final inconnu : c’est au rédacteur final que la tradition a dû avant tout s’intéresser ; c’est cet auteur qu’il lui a été le plus facile d’identifier. Si, pour donner crédit au livre, on avait aouIu le faire passer tendancieusement comme œuvre d’un disciple de Paul, qui en réalité aurait été seulement responsable d’un document exploité par l’évangéliste, on ne se serait pas, semble-t-il, arrêté en si l)eau chemin et on aurait mis l’Evangile sous l’autorité du grand Apôtre lui-même.

2. D’après la critique interne

Le seul témoignage de la tradition à la lin du 11’siècle suffit donc à nous assurer que le troisième Evan gile est l’œuvre du médecin Luc, disciple et compagnon de saint Paul. Ce témoignage est d’ailleurs confirmé de tous points par l’analyse interne du livre.

100. 1° L’auteur du III’Evangile est un disciple de saint Paul. — 1° Comme saint Paul, l’auteur du troisième £vangile a une préférence marquée à l’égard des Gentils. — Il dédie son œuvre à un personnage nommé Théophile, i, 3 ; mais dans ce personnage, et au delà, il doit viser des lecteurs placés dans des conditions semblables et ayant les mêmes besoins. Or, ces lecteurs ne peuvent être que des chrétiens étrangers à la Palestine et au judaïsme. L’évangéliste, en effet, s’abstient de leur citer ces termes araméens, dont la catéchèse grecque avait gardé le souA’enir et que l’on retrouve dans les autres Evangiles : Luc, VIII, 54, comparé à Marc, v, 41 ; Luc, xviii, 41, comparé à Marc, x, 51 ; Luc, xxii, 42, comparé à Marc, XIV, 36 ; Zîfc, xxii, 33, comparé à Marc, xa’, 22., Au lieu de rabbi, il met oiod’7y.y.’/-, ox k-t^ry.z’y., ou encore /.’jpis : Luc, IX, 33, comparé à Marc, ix, 5 ; Luc, xviii, 41, comparé à Marc, x, 51. Au lieu de Hosannah, il dit : « Gloire dans les hauteurs » : Luc, xix, 38, comparé à Marc, xi, 9-10. Enfin licite peu les prophéties anciennes et s’abstient en général d’allusions détaillées à l’Ancienne Loi : Luc, vi, comparé à Matthieu,. v-vi.,

Ce n’est pas tout. Notre éAangéliste, sans supprimer le côté de l’Evangile qui regarde les Juifs, aime à montrer celui qui est favorable aux Gentils. Il rattache la généalogie du Christ à Adam, et non plus seulement à Abraham. Parmi les faits qui ont rempli la vie de Jésus, et parmi les discours que le Sauveur a prononcés, il choisit et met en valeur ceux qui sont le plus expressifs de la bienveillance du divin Maître à l’égard des pécheurs, spécialement des païens, et du caractère universaliste de son Evangile. Luc, II, 30-32 ; III, 6 ; iv, 26-2^ ; vii, g, 50 ; x, i sq. ; >

XIII, 29 ; XIX, 10 ; XXIV, 4".

C’est bien ainsi que saint Paul devait comprendre la vie et la doctrine du Sauveur. En ce sens l’on peut dire que le troisième Evangile répond au caractère spécial de la prédication de l’Apôtre ; il lient de sa manière de Aoir et est héritier de son esprit.

Il faut aller plus loin.

101. 2° Sotre troisième Evangile a, au point de vue documentaire et au point de vue littéraire, des affinités remarquables avec les écrits du grand Apôtre. — Son récit de la Cène, Luc, xxii, 17-20, ressemble de très près à celui de I Cor., xi, 23-25. Il est seul, ’avec saint Paul, à mentionner l’apparition du Christ ressuscité à Simon Pierre : L.uc, xxiv, 34 ; I Cor., xv, 5 Comparer également Luc, x, 7, 8 avec I Tint., v, 18 ; Luc, XII, 35 avec Eph., vi, 14 ; Luc, xviii, i aveciT I Thess., V, 17 ; Z « c, XXI, 34 avec Rom., xiii, i i-14.

On a relevé 176 mots jiarticuliers aux deux écrivains. Nombreuses sont les expressions ou les parti- j eularités de construction qui leur sont communes. Par exemple, ce sont des détails très ressemblants que l’on retrouve dans les passages suivants : Luc, i, 36 et II Cor., i, 3 ; Luc, vi, 39 et Rom., 11, ig ; Luc, X, 8 et I Cor., x, 27 ; Luc, iv, 22 et Col., iv, 6 ; Luc, VI, 28 et I Cor., IV, 12 ; /.wc, vi, 37 et Rom., 11, i ; Luc, IX, 56 et II Cor., x, 8 ; Luc, xviii, i et II Thess., i, 11 ; Luc, XX, 17 et Rom., ix, 33 ; Luc, xxi, 36 et Eph., vi, 18 ; etc. ; Harnack, LAïkas der Arzt, der Verfasser des dritten Evangeliums und der Apostelgeschichte, 1906. p. 14-15.

lOS. 3° L’auteur a dû être disciple personnel rfe| saint Paul. — Ces alfinitcs de tendances et de doctrine, * cette parenté de tradition, ces ressemblances dej stj’le, ne proviennent point d’un commerce de l’auteur du troisième Evangile avec les écrits de saint] 1649

ÉVANGILES CANONIQUES

1650

Paul : nulle part, dans l’Evangile ni dans les Actes, on ne trouve d’emprunt, même discret, à ses Epîtres ; on a même pu contester qu’il les ait connues. Ces particularités ne s’expliquent bien que par des relations personnelles et intimes entre l'évangéliste et l’Apôtre.

Et en effet, l’on peut établir, par ailleurs, que notre auteur n’a pas été seulement, à l'égard de saint Paul, un disciple au sens large, mais un disciple assidu et un compagnon de ses missions,

2" L’auteur du III' Evangile a été compagnon de saint Paul dans ses missions. — Cette conclusion résulte de ce double fait, que notre évangéliste est en même temps l’auteur du livre des Actes, et que l’auteur des Actes a été en effet compagnon des missions de saint Paul.

103. 1° Tout d’abord, V auteur du troisième E<, 'angile est aussi l’auteur du lii’re des Actes. — Les deux ouvrages, en effet, débutent par un prologue semblable, avec dédicace au même Théophile. — Dans le prologue du second livre, Act., i, i-4, l’auteur mentionne qu’il a déjà écrit un livre premier, où il a raconté tout ce que Jésus a fait et enseigné jusqu’au jour où il est monté au ciel, après avoir promis à ses apôtres de leur envoyer l’Esprit-Saint : cette description convient exactement au troisième Evangile. — D’autre part, les deux livres se font suite, comme les deux tomes d’un même ouvrage sur les origines chrétiennes. Ils se soudent, en quelque sorte, l’un à l’autre par le récit de l’ascension, résumé à la fin de l’Evangile. XXIV, 50-53, repris avec des traits identiques, mais plus développés, en tête des Actes, i, 4-12.

Les rapports ainsi constatés sont si particuliers, en même temps si naturels et si simples, qu’il est impossible de les attribuer aune imitation littéraire tendancieuse, dont on ne verrait dailleurs pas' bien le motif intéressé. Ce quiconlrijjue à rassurer pleinement sur ce point, c’est que, d’un bout à l’autre, les deux livres offrent d’intimes ressemblances au point de vue des idées, surtout des procédés littéraires, du vocabulaire et de la syntaxe. Ils sont visiblement de la même main. Comparer en particulier : Luc, i, i et Act., XV, 24, 25 ; Luc, i, 89 elvct., i, 15 ; Luc, 1, 66 et Act., XI, 21 ; Luc, iii, 10, 12, 14 et Act., 11, 3'j, iv, 16 ; Laic, XII, 14 et Act., ii, 27 ; Luc, ^v, 20 et Act., XX, 3^ ; Z, « r, xxiv, 19 et Act., vii, 22 ; etc.

L’unité d’auteur du troisième Evangile et des Actes est, en fait, admise par l’unanimité des critiques.

104. 2° Or, Vauteur des Actes a été un compagnon de saint Paul. — C’est ce qui ressort, en effet, dej^lusieurs passages du livre, où l’auteur, racontant des voyages de l’Apôtre, emploie la première personne du pluriel : Act., xvi, 10-17, "voyage en Macédoine ; XX, 5-1Ô, voyage en Asie Mineure, de Troas à Milet ; xxi, i-18, voyagedeMilet à Jérusalem ; xxvii, i-xxviii, 16, voyage de Jérusalem à Rome. L’explication la plus naturelle du langage adopté par l'écrivain est qu’il a fait partie dos Aoyages racontés en ces endroits et a été compagnon de saint Paul.

105. Objections à cette interprétation. — « Il paraît diflicile, olijecte M. Loisv, Les Evaiig. syn., t. I, p. 172, d’admettre que l’auteur des Actes ait été lui-même un disci[)le de Paul : il se montre conqjilateur en des occasions où il devrait savoir ; lui qui j>araît si près de Paul pendant les dernières années de celui-ci, se montre presque étranger à sa pensée ; il néglige la théologie tles Epilres ; en telle circonstance capitale dans la vie de rA[)ôtre, notamment dans la relation de la querelle sur les ol)servances légales, et de l’arrangement pris à Jérusalem entre Paul et les apôtres galiléens, il donne un récit de convention qui correspond fort mal à ce qu’on lit dans rEi)ilre aux Ca lâtes (cf. Act., XV, et Gal., 11, i-4), et qu on n’imagine guère avoir pu être écrit par un disciple et un compagnon assidu de Paul. »

106. En conséquence, M. Loisy reprend une hypothèse déjà mise en avant par divers critiques, en particulier par Strauss (n" 211). Le passages où se trouve employée la première personne du pluriel seraient bien d’un compagnon authentique de Paul : « la précision des renseignements ne laisse pas le moindre doute à cet égard », dit-il, Les Evang., syn., t. I, p. 171 ; et il n’y a pas de raison de contester que cet individu ne soit Luc. Mais les passages ainsi rédigés par Luc, compagnon de l’Apôtre, pourraient avoir constitué un document antérieur au livre des Actes, et que l’auteur de ce dernier livre aurait simplement inséré dans sa compilation. « Le maintien du nous, déclare M. Loisy, est parfaitement compatible avec cette hypothèse, soit qu’on l’impute à une sorte de paresse du rédacteur, qui n’aurait pas pris la peine de modifier en ce point la forme du récit qu’il exploitait, soit qu’on l’attribue à l’arrière-pensée d’un écrivain qui n’aurait pas été fâché de communiquer par ce moyen à l’ensemble de son œuvre l’apparence d’un témoignage tout à fait direct et autorisé, ou bien même qui aurait eu l’intention de faire passer cette œuvre sous le nom du personnage apostolique dont il possédait l'écrit original. ^> Op. cit., p. 171. « S’il a voulu se faire passer pour le disciple de l’Apôtre, la dédicace à Théophile pourrait n'être qu’un moyen artificiel d’exprimer ses intentions en se conformant aux habitudes littéraires du temps. >> Ibid., p. 174.

107. lié panse aux objections. — Mais, tout d’abord, les difficultés opposées a priori sont l(, in d'être péremptoires. — On ne peut guère préciser dans quelle mesure l’auteur des Actes se montre compilateur, quels faits il pouvait raconter d’expérience personnelle, ou seulement d’information orale, quel usage il avait à faire dans son livre de la théologie des Epitres. Les discours qu’il place dans la bouche de saint Paul, à Antioche de Pisidie, à Athènes, à Milet, conviennent parfaitement à l’Apôtre dans les circonstances données. Par ailleurs les renseignements si nombreux et si détaillés qu’il fournit sur sa vie et sur ses missions, offrent les meilleures garanties de bonne et exacte information. — Quant aux divergences constatées entre son récit du chap.xvet celui de saint Paul dans l’Epitre aux Galates, elles ont reçu des explications que les meilleurs juges estiment très satisfaisantes. Cf. F. Ciiase, TJte Credibility of tlie book of tlie Acts of the Apostles, 1902, p. gS sq. ; G. Rescii, Dus Aposteldekret nacit seiner aussercanonischen Texlgestalt, igoô ; A. Seebkug, Die beiden Wege und das Aposteldekret, 1906 ; H. Coimmeters, Le décret des Apôtres, dans la Bévue bibl., 1907, p. 34-58 ; 218-239 ;..IIauxack, Die Apostelgeschicitte, 1908, p. 190 ; E. Jacquier, IList. des livres du A. T., t. iii, 1908, |i. 132-141. — On ne peut donc opposer à l’idenlilicalion de l’auteur des Actes avec un compagnon de saint Paul rien de décisif.

108. Par contre, // semble absolument nécessa’re d’identifier l’auteur du prétendu journal de voyage avec le rédacteur final du livre. — En elfet, les morceaux en question, comparés au reste de l’ouvrage, ne présentent aucune différence littéraire, mais au contraire une parfaite ressemblance de pensée et de style. — M. Ilarnack a fait remarquer lemploi fréquent des participes, de oj ; comme particule de temps, de £1 dans le sens de è-£(', de d avec l’optatif, de èrt avec l’accusatif pour marquer le temps, et d’autres expressions familières, comme /to/i ; , Travrwç, âj-vw, /.K/.ùdiv, TK vûv, xkO ' 4'v T ! 5-îv, ctc. Ou trouvc dans nos morceaux 63 mots qui leur sont communs avec le reste des xctes, 44 avec le reste des Actes et le troiJ.G51

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sième Evangile, et qui ne se rencontrent pas clans les autres Evangiles. Par exemple, dans Act., xvi, lo, on trouve : w ; temporel, qui ne figure jamais dans les deux autres Synoptiques, mais se rencontre environ 48 fois dans le troisième Evangile et les Actes ; aufjL^iC’y. ::o’jr !  : , particulier à Act., ix, 22 et xix, 33 ; npc^y.é/.’/yiTv.t, au parfait moyen, spécial aux Actes, xvi, 10, et avec à &- : di ou K’Jpidc comme sujet, ce qui paraît seulement dans Act., xiii, 2 et 11, Sg ; £vK//=/(7aT^at

« ÙTîv ; , expression inconnue des autres évangélistes, 

et qui se trouve huit fois dans le troisième Evangile et quinze fois dans les Actes, Cf. F. Godet, Introduction an N. T., 1900, t. II, p. 582 sq. ; Harnack, I.ukas der Arzt, p. 19-60 ; Jacquier, Histoire des livres du jV. t., t. III, 1908, p. 9-19. — Le journal de voyage n’offre donc aucunement le caractère d’un document étranger, utilisé par le rédacteur du livre. Il paraît évident qu’il est de la même main que le reste de l’ouvrage.

109.Dira-t-on que le rédacteur a pu retoucher un document antérieur et lui imprimer sa marque propre ? — Il faudrait dans ce cas admettre qu’il l’a complètement retravaillé et transformé, jusqu’à l’unifier parfaitement avec son œuvre personnelle. Mais alors, il devient impossible d’insinuer que l’auteur se sera abstenu de le démarquer par « une sorte de paresse ». Est-il vraisemblable que, se montrant si soucieux, partout ailleurs, d’équilibrer son récit, et, ici même, d’adapter à sa manière propre les documents utilisés, il n’ait pas pris la peine de changer la forme personnelle donnée à son journal par le compagnon de saint Paul ?

Cela se conçoit si peu que M. Loisy en vient à soupçonner notre auteur d’avoir agi intentionnellement, afin de donner à son œuvre l’apparence d’un témoignage autorisé. — Mais cette hypothèse est encore plus insoutenable. Supposer, en effet, que le rédacteur a maintenu à dessein le nous, en s’efforçant d’harmoniser les morceaux d’emprunt aA’ec le reste, c’est lui imputer un véritable faux littéraire. Or, d’où vient que ce faussaire est en même temps si réservé, qu’il insère les fragments à leur place, le plus naturellement du monde, en quelques parties seulement des voyages de l’Apôtre, et sans attirer autrement l’attention du lecteur ? Pourquoi ne fournit-il pas la plus petite indication sur l’identité de ce personnage qu’il suppose en compagnie de saint Paul, et qu’il veut faire prendre pour l’auteur proprement dit du livre ? Les faussaires anciens ne nous ont pas habitués à tant de discrétion. Il y a là un mélange de réserve et d’audace qui déconcerte.

110. L’hypothèse est particulièrement inconcevable, si l’on a égard que le rédacteur dédie son nouveau livre, comme le premier, à Théophile. — M. Loisy insinue que « la dédicace aurait été pour l’auteur un moyen de déguiser son identité, si le nom de Théophile devait évoquer celui de Luc, dont le rédacteur aurait voulu prendre le personnage ».

— « Mais, a-t-il soin d’ajouter, ce ne serait qu’une hypothèse. » Op. cit., t. I, p. 276. On n’a pas, en effet, le moindre indice que le nom de Théophile ait été capable d’évoquer celui de Luc.

D’un autre côté, M. Loisy pense que « ce Théophile devait être un homme assez haut placé ». « L’épithète honorifique jointe à son nom, dit-il, conviendrait peu à une personnalité fictive, au chrétien idéal. On ne Aoit pas pourquoi le Théophile de Luc serait moins réel que les personnages mentionnés par les écrivains de ce temps dans leurs dédicaces. » Ibid., p. 2’j4’— Or, comprend-on que l’écrivain, dédiant ses deux ouvrages à un personnage connu, avec lequel il paraît avoir été en relations intimes, ait en même temps voulu se faire passer à ses yeux pour ce qu’il n’était

pas, un disciple et compagnon authentique de saint Paul ? Une telle supposition n’est pas sérieuse.

111. Conclusion. — La conclusion s’impose : l’auteur des Actes, dans les parties de son œuvre où il emploie la première personne du pluriel, utilise ses propres souvenirs ; il a été personnellement en compagnie de saint Paul dans les voyages qu’il raconte de la sorte. C’est dire que l’auteur du troisième Evangile est bien un disciple et un compagnon de l’apôtre des Gentils.

3* Ce compagnon de saint Paul doit être saint Luc.

— La tradition l’identifie à Luc : on n’a aucune raison de la suspecter sur ce point secondaire, alors qu’on la trouve pleinement justifiée pour le principal.

— Au surplus, des quatre compagnons de saint Paul que nous connaissons, Timothée, Tite, Silas et Luc, le premier est exclu par le fait que l’auteur le mentionne nommément en xvi, i-19etxx, 4, alors qu’aussitôt après il se met lui-même en scène sous la première personne du pluriel. Silas est également mentionné d’une façon objective, en xa’, 22, et même dans un morceau du journal de voyage, xvi, ig. Seul, au contraire, Luc était à Rome avec saint Paul pendant ses deux captivités : Col., iv, 14 ; Pliilem., 24 ; II Tim.,

IV, II.

Enfin, ce qui nous garantit que nous avons bien affaire à saint Luc, c’est que l’Apôtre, nous l’avons A’u, le présente comme médecin : or, nous pouvons précisément nous rendre compte que tel était bien notre auteur.

112. 3° L’auteur du III’Evangile témoigne d’une culture littéraire et d’une science médicale telles qu’on peut les attendre d’un médecin. — 1° L’éi’angéliste témoigne d’abord d’une s’ériiuOle culture littéraire. — Il a voulu, en effet, faire œuvre d’historien. A la façon des grands historiens grecs, Hérodote, Thucydide, Polybe, il déclare, au début de son livre, comment il l’a composé, dans quel but, et d’après quelles sources. Toutes les fois qu’il le peut, il replace les épisodes dans leur cadre chronologique, rattache les discours aux circonstances qui les ont ^ provoqués. Ses récits sont composés avec art : il sait leur donner un air de simplicité et de grandeur, exprime avec bonheur le caractère et les sentiments de ses personnages, porte sur eux ou sur les événements des jugements pleins de finesse.

Malgré le grand nombre d’hébraïsmes que contient son langage, et qu’il doit aux sources utilisées, il écrit généralement un grec meilleur que celui des autres Evangiles. Son vocabulaire est beaucoup plus riche : on y relève 3^3 mots qu’ignorent les autres écrits du Nouveau Testament. Les substantifs et surtout les Aerbes composés sont fréquents sous sa plume. Son prologue enfin se compose d’une belle phrase classique qui tranche sur le reste de son livre et montre que, là où il ne dépend pas de documents antérieurs, il sait écrire à la manière d’un véritable Grec.

Ainsi, notre évangélisle possède une culture littéraire spéciale. Cela s’accorde bien avec le témoignage de la tradition qui en fait un médecin.

113. 2° // n’est même pus sans faire preuve d’une r compétence spéciale en matière médicale. — On le dirait familiarisé d’abord avec les ouvrages de médecine les plus en vue : du moins son prologue offre de grandes ressemblances aA-ec ceux du traité Ils/s’àpya.rfii î-nzpiy.f, ç, attribué à HiPPOCRATE (460-350 aA-. J.-C.), et du De materia medica de Dioscorides, prol )ablement contemporain de notre auteur.

Chose plus significatiA-e, on trouve dans son ouA’rage beaucoup de termes médicaux, dont un certain nombre se rencontrent presque exclusivement 1653

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dans les traités de médecine anciens, connus de son temps. En particulier, rrj-jiy^ij.irr, -jpfxôi ij.t/y.’jw^ Luc, iv, 38, comparé à Marc, i, 30 ^ Mattli., viii, l T : v.pixJ.ù : jiJ.é.iOi, Luc, v, 18 ; k-~c h pj^u tîO v.ifjLv.ro : , Luc, VIII, 44 j ùSpuTTiy.oi, Luc, XIV, 2 ; kx’lùyifj, Act., , 5, 10 ; jZ01/> ; z(5e^’jjTî5, Act., XII, 28 ; /.y.Or/pvj, 6r, p(oy, Tliimpv.^Sy.i, y.y-y-ir.T-i-J, Act., XXVIII, 3-6 ; -j^ïTOf ; zai ^jis.vzipi’ji rj-jf/oij.tvw, Act., xxviii, 8 ; ^orfi-ta.^ Act., XXVII, 17 ;

« Tt-ria, Act., XXVII, 2 1 ; yziTct Starû.sTzs, Act., xxvii, 33 ; 

cf. Act., ni, 7 ; IX, 18 ; etc. — Cf. Hobart, , The médical language of saint Luke, 1882 ; Harxack, Lnkas der Arzt, p. 122-137 ; Zahx, Einleit. in das ?>’. T., t. II. p. 435 sq. ; Jacquier, LIist. des livres du N. T., t. II, p. 445 ; t. III, p. 28.

Conclusion. — La confirmation ainsi apportée par la critique interne du livre au témoignage de la tradition est si complète et si caractéristique, s’étendant à la fois au rapport personnel de l’auteur avec saint Paul et à sa qualité spéciale de médecin, que, se joignant à la preuve déjà hautement rassurante du témoignage traditionnel, elle garantit avec une véritable certitude la composition de notre troisième Evangile par le disciple et compagnon de saint Paul, nommé Luc.

114. Opinions des critiques. — Contestée par Strauss (n" SU) et bon nombre de critiques liliéraux, tels que H. Holtz.manx, A. Juelicher, P. W. ScH.MiEDEL, A. LoisY (u’^ 106), Cette authenticité parfaite est revendiquée d’une façon générale par les critiques catholiques.

Elle est également soutenue par les protestants conservateurs, comme B. Weiss, Einleitung in das y. r., p. 530 sq. ; F. Godet, Introduction au 3’. T. Les trois premiers Evangiles, p. 602-610 ; Th. Zaiix, Einleitung in das N. T., t. II, p. 426 sq. ; F. Blass, Acta Apostolorum, sive Lucæ ad Tlieophilum Liber aller, 1895 ; J. M. Bebb, art. Luke (Gospel of), dans le Dict. of ihe Bible, t. III, p. 162 sq. ; A. Plummer, Acritical and e.regetical Commentary on the Gospel accord ing ta S. Luke, 3* éd., 1900 ; IÎackham, TIte Acts of the Apostles, igoi ; V. H. Stantox, The Gospels as historical Documents, t. II, 190g, p. 240-322.

Enlin elle est admise par un certain nombre de critiques libéraux, des plus indépendants, tels que Rbnax, Les Evangiles, p. 202 ; Harxack, Lukas der Arzt, der Verfasser des dritten Evangeliums und der Apostelgeschichte, 1906 ; Die Apostelgeschichte, 1908.

113. A consulter. — Wallon, Corxely. Vigou-Roux, Bai II- lOL, Gonoal, Jacquier, Brassac, op. cit., {n" 96) ; Fillion, Evongile selon saint Luc, 1882 ; Kxabe.xb.vueh, Comment, in Evangelium secundum Lucam, 1896 ; Girodo.v, Commentaire critif/ue etmoral sur l’Evangile selon saint L.uc, 1908 ; V. Rose, Evangile selon saint L.uc, 1904.

3. — L’auteur du I^r Evangile, saint Matthieu

I. D’après la critique externe

116. I. Etat du témoigxack traditionnel. — i’Vers la fin du W siècle. — Vers la fln du second siècle, la tradition reçue dans les diverses Eglises du monde ciirétien est que notre premier Evangile est l’œuvre de l’apùtre saint Mattliieu.

Clément d’Alexandrie. — Clément d’Alexandrie le cite sous ce nom à diverses reprises, Strom., i, xxi ; l.ibcr Quis dives salvctur ? xvn.

Tertullien. — Tertullien, qui le cite fréquemmenl, introduit expressément telle ou telle de ses citations <n les présenlant comme paroles de Matthieu, Adv. ^Lardon., IV, xxxiv, xl ; LJe carne Christi, xxii.

S’adressant à Marcion, il associe le nom de Matthieu à celui de Jean, et rappelle que les Evangiles de ces deux apôtres sont le premier fondement de la foi. Adv. Marcion., IV, 11 (no 4).

S. Lrénée. — Nombreuses sont aussi les citations de saint Irénée, et c’est sous le nom du même apôtre que telle ou telle d’entre elles est présentée, Contra Hæres., III, ix, i ; IV, vi, i. L’évêque de Lyon ajoute ce renseignement que saint Matthieu publia son Evangile chez les Hébreux, et dans leur langue. Contra LLæres., III, i, 1 (no 5).

117. 2" Au milieu du w" siècle. — Papias. — Au milieu du second siècle, Papias parlait déjà de cet Evangile hébreu composé par saint Matthieu.

« Matthieu, disait-il, avait écrit en langue hébraïque

les Logia et chacun les interprétait comme il pouvait » (n" 10). — On a beaucoup discuté pour savoir si, dans la pensée de l’évêque d’Hiérapolis et dans celle des anciens de qui il tenait sans doute ce renseignement, le recueil de Logia, ainsi attribué à saint Matthieu, comprenait seulement des sentences, ou bien un ensemble de récits et de discours, comme nous le trouvons dans l’Evangile qui porte aujourd’hui son nom. Les critiques les plus en vue tendent maintenant à reconnaître que la notice de Papias vise, en réalité, notre Evangile actuel.

En effet, le mot / « /ta n’a pas chez les anciens auteurs ecclésiastiques le sens restreint de « discours », mais peut s’appliquer aussi à des récits : S. Irénée, Contra LLæres., i, viii, 1, 2 ; S. Clément de Rome, Ad Cor., LUI. Papias lui-même, à propos de l’oeuvre de saint Marc, parle de tJvtk ; u twv y.jpicf./.Civ Iv/iwj, tout en prenant soin d’observer que Marc avait écrit soit les paroles soit les actes du Christ, rà i>T.b roxi Xpi^-rcO h iiyfjijzv.’n T<py.yOi-j-y.. Renan, Les Evangiles, p. 7g, note ; Loisv, L.es Evang. svn., 1. 1, p. 27-28.

D’ailleurs, ceux qui ont eu l’ouvrage de Papias entre les mains, comme Eusèbe et saint Irénée, ont appliqué sans hésitation ce qu’il dit du premier ouvrage hébreu à notre Evangile grec : or, il est tout à fait à croire qu’ils y étaient autorisés par l’exemple même de l’évêque d’Hiérapolis. Celui-ci, en effet, ne devait pas ignorer notre premier Evangile grec, depuis longtemps en circulation à son époque. A voir sa notice, on dirait que ses lecteurs eux-mêmes sont supposés bien savoir que saint Mattiiieu a écrit un Evangile, et qu’il se contente de leur apprendre que l’apôtre a commencé par écrire en liébreu. S’il n’avait pas rapporté de quelque manière à lEvangile grec ce qu’il disait du travail hébreu de saint Matthieu, on ne s’expliquerait pas qu’aussitôt après, la tradition soit unanime à attril)ucr à rai)ôlre lEvangile grec lui-même. Il est donc tout à fait à croire que l’Evangile hébreu de saint Matthieu, dont parlait Papias, était regardé et présenté par lui, sur la foi des anciens, comme l’original de notre premier Evangile grec.

M. Loisy le reconnaît. « On admet maintenant », dit-il en parlant de cette notice sur saint Matthieu,

« que, dans la pensée de Papias (Holtzmann, Einleitung

in das N, T., p. 477) et même de ses répondants (J^ELiciiER, Einleitung in das i. T., 1906, p. 269), elle concerne notre premier Evangile. >i L.es L^vang. syn., t. I, p. 27. Cf. Harnack, Spriiche und Lieden Jesu, 1907, p. 124 ; VON Soden, Urchristliche Literaturgcschichte, p. 70 ; Tu. Zahn, Einleitung in das.. T., t. II, p. 254 sq.

118. II. Valeur de cb témoignage. — La tradition, ainsi constatée à la tin et au milieu du 11° siècle. seinl)lo bien posséder une très sérieuse valeur. — Tout d’abord, elle assure qu’il doit y avoir, au point de vue de l’origine, un i’api)ort réel entre notre Evangile et l’apôtre auquel il est attribué. 1655

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1° // doit y ai oh- un rapport réel d’origine entre notre premier Evangile et saint Matthieu. — On ne voit pas, en effet, en dehors de l’histoire, ce qui aurait pu perler les premières communautés chrétiennes à mettre l’écrit sous un tel patronage. Aucune donnée du livre n’invitait à lattribuer à saint Matthieu plutôt quà un autre. Sans doute, le premier Evangile ne se borne pas, comme les deux autres Synoptiques, à nommer Matthieu dans la liste des Douze, X, 3 = Marc, iii, i^ =^ Luc, vi, 15 ; il le mentionne encore sous ce nom dans le récit de sa vocation, IX, f), alors que les autres évangélistes parlent à cet endroit de Lévi, lils d’Alphée, Marc, ii, 14 =^ Luc, V, 2y. Mais ce récit est aussi impersonnel dans saint Mattiiieu que dans saint Marc et saint Luc ; pas un mot ninsinue que le publicain soit à identiiier avec l’auteur. On ne peut évidemment songer qu’une particularité aussi peu suggestive ait inspiré de mettre le livre au compte de saint Matthieu.

En réalité, cet apôtre n’a. dans l’Evangile même qui porte son nom, qu’une place insignitiante ; nombre d’autres personnages y jouent un rôle beaucoup plus important, à commencer par Pierre et les deux fils de Zébédée. Dans l’histoire de l’Eglise primitive, le personnage est encore plus effacé. Somme toute, nous avons affaire à un apôtre d’ordre secondaire. Jamais, semble-t-il, on n’aurait songé à lui pour patronner l’ouvrage, si l’on n’y avait été amené par la vérité du fait. Le sentiment pieux, l’intérêt doctrinal ou apologétique, auraient incliné naturellement à mettre l’Evangile sous le couvert d’un grand nom, par exemple sous celui de saint Pierre, qui est précisément en haut relief dans ce document. Seul un témoignage historique très spécial a dû motiver l’attribution à l’apôtre obscur qu’est saint Matthieu. JuELicuEH, Einleitung in dus S’. T., p. 268 ; Zahx, Einleit. in dus X. T., t. II, p. 264.

119. Objection. — M. Loisy insinue que cette attribution pourrait provenir du rédacteur lui-même. A l’entendre, la substitution de Matthieu à Lévi dans l’histoire du publicain indiquerait que l’évangéliste prenait un intérêt particulier à l’apôtre et trahirait une certaine intention de recommander son œuvre du nom de Matthieu. Pourquoi aurait-il choisi cet apôtre ? « Il est possible, dit M. Loisy, à la suite de Strauss, que Matthieu ait été publicain, ou qu’on ait raconté qu’il l’était ; cette seule circonstance, qui faisait de lui un demi-païen, pouvait lui faire donner la préférence sur les apôtres que leurs antécédents ne permettaient guère de présenter comme auteurs d’un livre composé en grec. » Les Evang. syn., t. I. p. 142 ; cf. Stracss, Souv. vie de Jésus, t. I, p. 102 (n’J 211).

Réponse. — Mais ce sont là des suppositions gratuites, et de plus invraisemblables. — La manière dont saint Matthieu est représenté dans le premier Evangile, le fait qu’il n’y joue pas d’autre rôle que dans saint Marc et saint Luc, si l’on excepte le récit de son appel, d’ailleurs tout à fait impersonnel, rendent impossible d’imaginer que le rédacteur ait eu l’intention de faire prendre cet apôtre pour auteur du livre. Voulait-il justiUer la langue grecque de cet Evangile ? Il aurait songé beaucoup plutôt à tel apôtre important, André, Philippe, dont précisément le nom était grec et pouvait suggérer l’idée de familiarité avec la langue grecque. A supposer qu’il eût, pour un motif quelconque, préféré le nom de Matthieu, n’aurait-il pas eu soin de mettre cet apôtre fréquemment en scène, de souligner son personnage, d’insinuer de quelque façon son identitication avec l’auteur du livre ? « La première précaution des écrivains pseudonymes, a écrit fort justement M. Loisy lui-même, Le qnatr. Evang., p. 126, est de mettre en

plein jour le nom dont ils se parent. » Cf. Tu. Zahx, Einleit. in das A’. T.. t. II, p. 204.

Il faut donc le reconnaître, l’attribution du premier Evangileà saint Matthieu requiert un rapport authentique entre l’apôtre et l’œuvre qu’on lui attribue. — Ce rapport est-il celui d’une composition directe et intégrale ?

150. 2° Ce rapport consiste dans la rédaction proprement dite de n.itre premier Evangile par saint Mattiiieu. — Opinion contraire de beaucoup de critiques. — Un grand nombre de critiques, estimant, pour des raisons d’ordre interne, que notre premier Evangile ne peut être l’œuvre immédiate de saint Matthieu, pensent qu’à la base de la donnée traditionnelle doit se trouver seulement ce fait que l’apôtre aura rédigé un document primitif, simple recueil de Logiu, ou Evangile rudimentaire en araméen, entré plus tard dans la composition de notre Evangile grec. — Ainsi, d’une façon générale, les auteurs déjà mentionnés comme partisans de la théorie des deux sources (n°S9, cf. 53 lin). En outre W. C. Allex, A critical and excgetical Commentarr on the Gospel according to St. Matthe^v (International Critical Commentarr), 1907, p. lxxix-lxxxiii ; A. Plummer, An exegetical Commentarr on the Gospel according to St. Matthci’, 190g, p. vii-xi.

Quelques auteurs, comme MM. Schmiedel et Loisv, contestent même que le recueil de Logia, utilisé par le premier évangéliste, ait été l’œuvre directe de saint Matthieu, et pensent qu’il était tout au plus basé sur un ancien document comi>osé par cet apôtre (n° 61).

Voyons d’abord si les raisons opposées à la rédaction proprement dite de l’ouvrage pao" saint Matthieu s’imposent a priori.

151. A) // n’y a pas de raisons péremptoires qui interdisent d’attribuer notre premier Evangile à saint Matthieu. — 1" objection et réponse. — Il n’est pas vraisemblable, dit-on. qu’un apôtre, pour écrire la vie du Maitre dont il a été le témoin, se soit servi de documents déjà écrits et ait même basé son travail sur celui d’un simple disciple comme Marc.

Mais il n’est pas certain cpie notre premier Evangile soit basé sur le second : il semble [)lutôt, nous l’avons vu, que l’un et l’autre exploitent des sources communes. Or, que des sources écrites aient été utilisées par l’apôtre aussi bien que par le disciple, cela tlevient moins surprenant quand on réllèchit que ces documents primitifs, ensemble de récits et recueil de discours, formaient déjà la base de la catéchèse des Eglises et représentaient comme la substance consacrée de la tratlition apostolique (n°^ 69 et 86). Pourquoi saint Matthieu n’aurait-il pu s’emparer de ces premiers documents et les compléter, suivant son dessein propre, à l’aide de ses souvenirs et de ses autres renseignements, pour en former un Evangile suivi ?

ISS.’2"= objection et réponse. — On objecte encore que notre premier Evangile a dû être écrit directement en grec : il ne peut être la traduction d’un original araméen ; et, comme l’assertion la plus caractéristique du témoignage traditionnel porte sur le fait que saint Matthieu aiu-ait rédigé son Evangile en hébreu, la valeur de ce témoignage, en ce qui regarde le rapport essentiel de l’ouvrage avec l’apètre, est par là même grandement diminuée.

Mais rien n’autorise à a llirmer d’une façon absolue que notre premier Evangile ne peut être la traduction grecque d’un original sémitique. Il est certain qu’une partie considérable de son contenu, les discours et sentences de Jésus, a existé à l’origine dans la langue araméenne, parlée par le Sauveur : on le devine encore à maintes expressions et tournures spéciales du texte grec actuel. Qu’en d’autres endroits 1657

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les expressions et tournures laissent transparaître moins nettement l’original sémitique et offrent un cachet plus spécitiquement grec qu’en saint Marc, par exemple, cela peut se comprendre même dans l’hypothèse d’une traduction : pourquoi un traducteur direct de lEvangile araméen n’aurait-il pas fait subir immédiatement aux expressions et tournures de l’original une transformation littéraire, analogue à celle que la parole de Jésus a certainement subie dans les sources grecques dont on veut que nos Evangiles dépendent ? — Et, si l’Evangile araméen lui-même se trouvait basé sur des documents antérieurs, identiques ou parallèles à ceux qui ont été exploités par les deux autres évangélistes, pourquoi notre traducteur n’aurait-il pas utilisé ces documents primitifs, dans les versions ou recensions grecques qui en avaient été publiées antérieurement à la rédaction des Synoptiques ?

Par ailleurs, ce traducteur a pu être, ou un disciple de saint Matthieu, travaillant avec l’approbation de son maître, ou saint Matthieu lui-même, qui, en sa qualité de chef d’octroi dans la ville cosmopolite de Gapharnaiim, devait bien connaître le grec, et, après avoir écrit pour les chrétiens de langue araméenne, aura ensuite adapté son œuvre à d’autres communautés, plus familiarisées avec le grec qu’avec l’hébreu.

183. S’objection et réponse. — Finalement, on trouve étonnant, si l’auteur du premier Evangile est saint Matthieu, que son récit soit généralement moins circonstancié que celui de saint Marc ; qu’on y trouve fréquemment, au lieu de renseignements précis, des indications générales et vagiies ; que les discours, au lieu d’être rattachés à des occasions déterminées, soient souvent détachés de leur contexte historique et groupés suivant un ordre piu-ement didactique.

Mais ces particularités se conçoivent sans peine de la part de l’apôtre, pour peu qu’on lui accorde une méthode personnelle et un l)ut particulier. Il est visible quel’évangéliste a eu un dessein principalement didactique : sauf dans les derniers chapitres, xxvixxviii, relatifs à la passion et à la résurrection, il glisse rapidement sur les faits, s’abstient de préciser leur chronologie, groupe ceux qui sont analogues, réduit leurs détails au strict nécessaire, pour mettre, au contraire, en pleine évidence les discours du Seigneur. On ne voit pas pourquoi ce dessein et cette méthode n’auraient pu convenir à tin apôtre tel que saint Matthieu. L’intérêt des premières communautés se portait de préférence sur les enseignements du divin Maître ; ses sentences et ses discours faisaient l’objet principal de la catéchèse des Eglises : quoi d’étonnant si l’apôtre Matthieu a conçu le plan d’une œuvre, mi-historique, mi-doctrinale, où l’intérêt de l’histoire se trouve subordonné à celui de l’enseignement ? Tu. Zaux, Einleit. in das N. T., t. ii, p. 303-305.

124. B) Le témoignage traditionnel doit s’entendre de la rédaction proprement dite de notre premier Evangile canonique par saint Matthieu. — La critique interne ne fournit donc pas de raisons péremploircs qui interdisent d’attribuer notre premier Evangile à saint Matthieu. Le témoignage traditionnel doit être apprécié en toute iiidcix’udance. — Or, à envisager ce témoignage en lui-même, il paraît certain qu’il entend ai)pli([ucr à notre premier Evangile, dans son ensemble, le bénélice de la composition par saint Matthieu.

Les plus anciens Pères, qui avaient en mains le premier Evangile grec et gardaient le souvenir d’un Eangile hébreu ou araméen, n’ont jamais fait de distinction entre l’un et l’autre, au point de vue de

l’origine directement apostolique : ils disent que saint Matthieu a écrit d’abord en hébreu, et c’est notre Evangile grec qu’ils citent sous son nom, comme si cet Evangile grec était l’équivalent de l’Evangile hébreu et procédait aussi complètement de l’apôtre saint Matthieu. Le témoignage même de Papias n’autorise pas à restreindre le travail de l’apôtre à la rédaction d’un simple recueil de Logia : nous avons vu que lui aussi se rapporte beaucoup plutôt à notre premier Evangile dans son état actuel (n° 117). Cf. Zaun, Einleit. in das JV. T., t. II, p. 206 sq.

133 C) Ce témoignage offre de sérieuses garanties de vérité. — Tout bien considéré, le témoignage traditionnel du u* siècle doit donc s’entendre de la composition proprement dite de notre premier Evangile canonique par l’apôtre saint Matthieu. — Or, ce témoignage olïre de sérieuses garanties de vérité. Dans l’hypothèse, en effet, où saint Matthieu serait seulement l’auteur des Logia, on ne s’expliquerait pas bien que la tradition du II’siècle lui ait attribué notre premier Evangile, et non le troisième, étant donné que, d’après les critiques, le recueil de Logia se trouve exploité aussi largement, sinon plus largement, dans le troisième que dans le premier (n°’39, 61).

126. On ne s’expliquerait pas, non plus, très bien que ce recueil, s’il était l’œuvre de saint Matthieu, se soit aussitôt perdu. Le cas n’est pas le même que pour les documents que nous avons supjjosés à la base de nos Evangiles synoptiques (n° 69) : ces documents, rédigés pour la catéchèse ordinaire, devaient circuler sans nom d’auteur dans les Eglises ; leur fortune a été absorbée par celle des écrits nouveaux. Evangiles complets que garantissaient des noms autorisés. Ici il s’agirait de l’écrit d’un apôtre, de l’apôtre saint Matthieu : cet écrit n’a pas été purement et simplement inséré dans le premier Evangile, comme le montrent les emprunts qu’a pu lui faire encore saint Luc ; on ne comprend pas qu’il ait été éclipsé si complètement par l’Evangile nouveau, à moins que celui-ci n’ait été également garanti par l’apôtre.

127. Pris en lui-même, le témoignage de la tradition a tout ce qu’il faut pour inspirer confiance.

— Au temps de saint Irénée, à l’époque plus ancienne de Papias, on était à peu de distance de l’âge apostolique. Cet espace de moins d’un siècle était couvert, dans les diverses Eglises, par les attestations des presbytres, dépositaires de la tradition laissée par les fondateurs de ces chrétientés, eux-mêmes disciples, souvent directs, des apôtres. Cette chaîne traditionnelle n’avait qu’un petit nombre d’anneaux : il était facile de les compter et d’en vérifier la solidité. L’attribution si ancienne du premier Evangile à saint Matthieu a donc toutes chances de reposer sur des renseignements bien établis, c’est-à-dire svu- une attestation de l’apôtre lui-même ou de ceux qui reçurent son ouvrage et le mirent en circulation dans les Eglises.

128. Le témoignage de Papias offre, en j)artuulier, une garantie de premier ordre, si, comme il est hautement probable, l’évèquc d’IIiérapolis tenait son information touchant l’origine du premier Evangile, comme touchant celle du second, de Jean l’Ancien, lequel ne doit pas se distinguer de l’apôtre saint Jean

(n"82).

Contrôlons ce témoignage de la tradition par rcxamen interne de notre Evangile.

2. D’après la critique interne

An témoignage de l’aïuiennc tradition, le premier Evanyile est donc l’œuvre de saint Matthieu, apôtre direct de Jésus, et il a été composé à l’intention des 1659

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Juifs, c’est-à-dire probablement des Juifs convertis ou des judéo-chrétiens. Or l’examen interne du livre confirme ce témoignage sur plusieurs de ses points essentiels.

129. 1° L’auteur est Juif d’origine. — Tout d’abord, l’auteur paraît être, comme l’était en effet saint Matthieu, un Juif d’origine. — Sous l’enveloppe de la langue et du style grecs qui recouvre actuellement son ouvrage, on se rend compte qu’il sait l’hébreu : ainsi, parmi les citations de l’Ancien Testament, qui sont destinées à montrer l’accomplissement des prophéties en diverses circonstances de la vie de Jésus, et qui par conséquent sont propres au rédacteur de notre EAangile, trois sont empruntées au texte hébreu : ii, 15 ; aiii, 17 ; xxvii, 9, 10 ; quatre sont une combinaison de l’hébreu et des Septante : IV, 15, 16 ; XII, 18-21 ; XIII, 35 ; XXI, 5.

L’auteur sait donc l’hébreu. « Il est donc très probablement né juif. » La conclusion est de IM. Loisy lui-même, Les FA’ang. syn., t. I, p. 143. C’est d’une façon toute gratuite que le même critique ajoute :

« mais il n’est pas d’origine palestinienne ». Rien, 

absolument rien, n’invite à penser que ce Juif n’est pas un palestinien.

2° Il écrit pour des Juifs convertis. — En second lieu, si, à l’aide des indications du livre, on cherche quels en étaient les destinataires, on découvre que l’ouvrage a dû être composé pour des Juifs convertis.

130. 1° Ses lecteurs connaissent l’araméen. — Sans doute, les lecteurs de notre Evangile actuel avaient pour langue familière le grec : néanmoins, il semble bien qu’ils n’aient pas ignoré complètement la langue juive. L’auteur leur explique plusieurs expressions araméennes, conservées dans le texte grec, telles que Emmanuel, 1, -i.Z ; Golgotha, xxvii, 33, Haceldama, xxvii, 8 ; EU, Eli, lamma sabachtani, xxvii, 46 ; mais on peut croire que ces interprétations figuraient déjà dans les sources grecques que le traducteur paraît avoir utilisées pour sa traduction : on devait, en effet, traduire immédiatement, dans les catéchèses, les expressions araméennes spéciales dont on jugeait bon de garder le souvenir. En tout cas, notre auteur conserve diverses autres locutions d’origine araméenne, qu’il présente à ses lecteurs sans leur fournir aucune explication, comme si elles leur étaient suffisamment intelligibles : ainsi, non seulement rabbi, xxiii, ^, 8 ; xxvi, 26, 49 ; mais encore raca, , 22 ; mammona, vi, 24 ; gehenna, , 22, 29, 30 ; X, 28 ; XVIII, 9 ; XXIII, 15, 33 ; corbona, xxvii, 6.

Il montre l’ange justifiant le nom de « Jésus » par la raison que l’enfant ainsi appelé sauvera son peuple, sans indiquer que ce nom signifie précisément

« Sauveur » : i, 21. Son récit du reniement de

saint Pierre semble supposer ses lecteurs à même de comprendre les particularités qui distinguent le parler galiléen de celui de la Judée proprement dite : XXVI, ^3, comparé à Marc, xiv, 70 ^ Luc, xxii, 59.

De ces simples observations, on peut conclure que les destinataires de notre premier Evangile grec n’étaient pas sans une certaine connaissance de la langue juive. Or, cela invite tout à fait à les croire des convertis de la synagogue. On s’expliquerait bien qu’un Evangile, d’abord composé en araméen pour des Juifs palestiniens convertis, ait été traduit ensuite en grec pour l’usage de chrétientés judéo-chrétiennes analogues, situées hors de Palestine en des contrées de langue grecque. Th. Zaiin, Enleit. in dus N. T., t. II, p. 288.

La façon dont l’auteur parle des Juifs, en xxviii, 15, ne contredit aucunement cette conclusion : le

terme de Juifs est pris ici par opposition au groupe chrétien (n » 92).

131. 2" Ils sont pénétrés des idées juives. — La destination de notre Evangile à des convertis du judaïsme est d’ailleurs confirmée très solidement par d’autres particularités tirées du fond même du livre, et Aalant soit pour notre Evangile grec, soit pour son original araméen.

Tout d’abord, de la partie narrative du premier Evangile il ressort que l’auteur a eu pour dessein principal de prouver que Jésus de Nazareth était le Messie, fils de David. C’est dans ce but qu’en tête de son ouvrage il dresse l’arbre généalogique qui montre le Sauveur descendant de David et filsd’Abraham,

I, 1-17. C’est dans le même dessein qu’à chaque pas de ses récits il a soin démontrer comment l’histoire de Jésus accomplit les prophéties anciennes, i, 22 ; 11, 5, 15, 17-18, 23 ; III, 3 ; IV, 1 4-1 6 ; VIII, 17 ; xii, 17-21 ; xiii, 35 ; XXI, 4-5 ; xxvi, 56 ; xxvii, 9-10, 35. — Or, un tel but, et surtout une telle méthode d’argumentation, ne se conçoivent bien qu’à l’adresse de chrétiens familiarisés avec les Ecritures et portant intérêt aux traditions juives, c’est-à-dire à l’adresse de Juifs convertis.

On arrive à une conclusion semblable, si l’on considère les discours, en les comparant avec ceux du troisième Evangile. On voit noire auteur reproduire avec soin, du Sermon sur la montagne, les passages, omis par saint Luc, qui concernent l’Ancienne Loi et la nouvelle interprétation que Jésus donne à ses commandements, v, 17-44- ^on content de souligner les malédictions portées contre les pharisiens et les scribes, xxiii, 13-36 (cf. Luc, xi, 39-52), il accorde un développement tout spécial aux discours par lesquels le divin Maître flétrit la conduite hypocrite de ces personnages, comme s’il eût été encore nécessaire de prémunir les lecteurs de l’Evangile contre le scandale que ces faux dehors de sainteté pouvaient créer à leur foi, V, 20 ; vi, 1-18 ; xxiii, 1-12.

132. 3° Ils sont au courant des choses juives et palestiniennes. — Enfin, diverses particularités semblent montrer qu’il suppose ses lecteurs bien au courant des choses juives, et même palestiniennes. II parle des ablutions légales, xv, 2 (cf. Marc, vii, 2-5), du jour de la Préparation, xxvii, 62 (cf. Marc, xv, 42 = Luc, XXIII, 54), sans explication aucune. A plusieurs reprises, il désigne Jérusalem sous le nom de’( la ville sainte », « la cité du grand roi », iv, 5 ; v, 35 ; xxvii, 53 ; af. xxiv, 15, comparé à Marc, xiii, 14. Certaines de ses indications géograpliiques ne sont intelligibles qu’à des gens familiarisés avec la distribution de l’antique Palestine entre les douze tribus d’Israël : Bethléem est appelée « Bethléem de Juda »,

II, i, 5, 6 ; Capharnaiim est signalée comme sise sur les confins deZabulon et de Nephthali, iv, 13. Enfin, le renseignement sur le nom de Haceldama que l’on continue de donner au champ payé par l’argent du traître, xxvii, 8, semble supposer chez les lecteurs, aussi bien que chez l’auteur, un intérêt particulier pour les choses hiérosolymitaines.

3 J L’évangéliste doit être saint Matthieu. — Mais, si la criti((ue interne nous montre, dans l’auteur du premier Evangile, un Juif d’origine, écrivant pour des Juifs convertis, elle confirme donc le témoignage de la tradition sur deux points importants et essentiels. C’est une présomption sérieuse que la tradition n’est pas moins fondée en ce qui regarde le nom précis de cet auteur, et son identification avec l’apôtre Matthieu.

133. De cette identification, l’Evangile contient d’ailleurs, sinon des preuves, du moins des indices, qui paraissent significatifs à la lumière du témoignage traditionnel. 1661

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L’apôtre Matthieu était préposé à l’octroi de Capharnaiiin : or il semble bien que notre évangéliste témoigne d’une compétence assez spéciale en matière d’impôts, XVII, 24-26 ; XXII, 19, comparé à Marc, xii, 15 = Luc, XX, 2^.

D’autre part, la façon dont il parle de cet aj^ôtre tranche sur celle des autres évangélistes. — Dans le récit de son appel, tandis que saint Mai-c et saint Luc le désignent par le nom juif, qu’il avait dû porter tout d’abord, de Lévi lils d’Alphée, Marc, 11, ! = Litc, V, 27, notre auteur lui donne le nom de Matihieu{Bieudonné), qui servit sans doute à le désigner, après son appel par Jésus, dans le collège apostolique, et devint pour ainsi dire son nom chrétien. — Dans la liste des Douze, tandis que les autres Synoptiques, Marc, III, 'j : ^Luc, i, 15 nomment Matthieu avant Thomas, lui le place après et en rappelant expressément son ancienne qualité de publicain, X, 3. — Ces divergences, sans avoir rien de tendancieux (11° 118), semblent accuser une estime particulière de l'évangéliste pour le nom chrétien de l’apôtre, et comme une intention de rappeler la condescendance du Maître à son égard, par le souvenir de son ancienne profession. Elles ont bien leur meilleure explication dans le fait que l’apôtre et l'évangéliste sont le même personnage.

Conclusion. — En résumé, l’authenticité de l’Evangile de saint Mattliieu, bien que prêtant à des diflicultés spéciales et s’appuyant sur des arguments moins typiques que celle des deux autres Synoptiques, a néanmoins pour elle un ensemble de preuves, d’ordre externe et interne, d’une très sérieuse valeur.

Sans doute, on peut continuer à se demander quel rapport précis existe entre notre Evangile grec actuel et l’Evangile hébreu d’abord composé par l’aijôtre : en est-il une simple traduction, ou bien une édition remaniée et adaptée ? Et de quelle nature a été ce remaniement ou cette adaptation ? Mais, de l’examen du témoignage traditionnel et de l'étude directe du livre, il semble bien résulter que saint Matthieu est responsable de l'œu^Te délinitive comme de l'œuvre initiale, soit qu’il l’ait exécutée également lui-même, soit qu’il l’ait seulement couverte de son autorité, soit qu'à tout le iiioins on ait jugé dès l’origine le nouvel ouvrage essentiellement conforme à celui qu’il avait authentiquement publié.

134. Opinions des critiques. — Un grand nombre de critiques ne reconnaissent à notre premier Evangile ([u’unc authenticité partielle. Les nombreux partisans de la théorie des deux sources, en effet, le regardentcoinme une combinaison de l’Evangile de saint Marc avec un recueil primitif de Lugia. Or, d’après MM. Scumiedel et Loisy, tout ce qu’on pourrait admettre est que ce recueil de Logia, entré en composition de l’Evangile, dépendait peut-être d’un ancien document rédigé par saint Matthieu (n° 61, ISO). D’après le plus grand nombre cependant c’est le recueil de Logia lui-même quc l’apôtre aurait composé, de telle sorte qu’il faudrait reconnaître à notre Evangile une authenticité itartielle considérable, qui continue de lui assurer une grande valeiu' (n’SS, ISO). Nous avons vu que des critiques catlioliques très en vue se sont ralliés à cette théorie (n° S9, cf. 53 lin.) — L’authenticité subslanlielle du premier Evangile, avec les réserves faites i)lus haut sur la part jirise par saint Matthieu à la traduction de son Evangile araméen et le caractère d’adaptation que l’on doit reconnaître à cette traduction, est admise i)ar la majorité des critiques catholiques et par quelques protestants conservateurs, comme ] Th. Zaiin, Einleituiig in das N. T., t. II, 1900, p. 262 , sq. ; Das Evangeliuin des Matthæus, igo3.

135. A consulter. — Wallox, Cormîly, VigouRoux, Batiffol, Gondal, Jacquier, Brassac, op. cit., (n" 96) ; Fillion, E-angile selon saint Matthieu, 1878 ; Knaiîexbauer, Comment, in Eiangelium secuiidum Mattliæum, 1892 ; V. Rose, Evangile selon saint Matthieu, 1904 ; E. Mangenot, art. Matthieu (Evangile de S), dans le Dict. de la Bible, t. IV, 1908, col. 877880.

4. — L’auteur du IV Evangile, saint Jean I. D’après la critique externe

I. La tradition a la FI>f du ne SIÈCLE. — A la

lin du second siècle, toutes les Eglises tiennent le quatrième Evangile pour l'œuvre de l’apôtre Jean, le disciple bien aimé, qui l’aurait composé à Ephèse tl’Asie mineure, où il mourut, à un âge très avancé, sous le règne de Trajan,

136. i°En Occident. — TertulUen. — En Occident, en effet, Tertulliex attribvie notre Evangile, comme l’Apocalypse et la I"= Epitre johannique, à Jean, le disciple bien-aimé et apôtre du Seigneur : Adv. Praxeam, xv, xxi, xxiii, xxvi ; De carne Christi, m ; Adv. Marcion., IV, xxxv ; cf. III, viii, xxiv ; De præscript. hæret., xxii, xxvi ; Liber de anima, l. Nous savons comment ce même écrivain associe Jean à Matthieu, en déclarant que la foi a pour fondements principaux leurs deux Evangiles (11° 4).

Canon de Muratori. — Le Canon de Muratori montre le quatrième Evangile lu à Rome comme Evangile « de Jean d’entre les disciples », c’est-à-dire, à n’en pas douter, de Jean l’apôtre, « témoin oculaire et auditeur direct… des merveilles du Seigneui* » (no 6).

137. 2° En Orient. — Clément d’Alexandrie. — En Orient, mômes attestations. Clément d’Alexandrie cite notre Evangile, avec l’Apocalypse et la I" Epitre johannique, sous le nom de Jean : Pædagogus, I, vi ; Excerpta ex Theodoto, vi. Il s’agit incontestablement de l’apôtre : cf. Strom., Y, xi ; Excerpta ex Theodoto, xLi ; Quis dives salvetur, xlii. Dans sa notice sur les Evangiles, le même auteur, nous l’avons au, déclare que « Jean, le dernier de tous.., composa un Evangile spirituel ». Hypotjp., dans Eusèbe, //. E., VI, XIV (n° 3).

Théophile d’Antioche. — Théophile d’Antioche (180-1 85) allègue les premières paroles du quatrième Evangile, en les attribuant d’une façon toute naturelle à Jean : Ad Autolycum libri très, II, xxii. La manière dont il suppose ce personnage bien connu, comparée à tout l'état de la tradition asiatique à son époque, ne permet pas de douter que, pour lui aussi, il ne s’agisse de l’apôtre de ce nom.

Actes de Jean. — Les Actes de Jean (160-180), apocryphe gnostique, mettent en scène Jean l’apôtre. Or on le voit s’identifier avec le disciple bien-aimé, dont parle le quatrième Evangile, et s’approprier la conclusion de cet Evangile, xx, 30 et xxi, 26, comme s’il n'était autre que l'évangéliste lui-même. Lipsius-BonNKT, Actti apostolorum aporrypha. II" partie, 1898, t. I, p. 194, 195.

138. >. Irénée. — Saint Irénée, évêque de Lyon, mais originaire d’Asie Mineure et demeuré en relations étroites avec son pays d’origine, résume, pour ainsi dire, les deux traditions orientale et occidentale. Il cite fréquemment le quatrième Evangile, en le rapportant à « Jean, le disciple du Seigneur », qu’il api)elle aussi « l’apôtre » : Contra Ilæres., II, 11, 5 ; XXII, 3 ; III, viii, 3 ; xi, i, 9 ; xvi, 5 ; IV, 11, 3 ; vi, 1 ; X, 1 ; V, xviii, 2. Cf. I, IX, 3 ; II, xxii, 4j Lettre au 1663

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pape Victor, dans Eusèbe, //. E., V, xxiv. Dans la notice consacrée aux quatre Evangiles, il précise davantage encore : « Jean, le disciple du Seigneur, qui reposa sur la poitrine du Seigneur, donna, lui aussi, son EAangile, alors qu’il résidait à Ephése en Asie, » Contra Hæres., III, i, i (n" 5).

139. L’opinion des Aloges. — Une seule note discordante se fait entendre dans ce concert unanime de témoignages : c’est celle des Aloges, qui, autour de 165, par opposition aux montanistes qui prétendaient appuyer sur le quatrième Evangile leur doctrine de l’elTusion du Saint-Esprit, rejetèrent cet Evangile et l’attribuèrent à Cérintlie, hérétique contemporain de saint Jean. Iréxée, Contra Hæres., III, XI, g ; Epiphane, Hæres., li, i-35 ; cf. Philastrius, Hæres., lx.

Appréciation de cette opinion. — Mais l’opinion des Aloges n’entame en rien la valeur de la tradition générale qui a cours de leur temps. — Pour nier, en effet, l’authenticité de l’Evangile johannique, ils ne s’appuient point sur une tradition personnelle et également autorisée. Ils s’inspirent d’une préoccupation polémique, la préoccupation d’enlever tout crédit à l’erreur propagée par les montanistes. Quant aux arguments apportes à l’appui de leur hj^pothèse, ils sont tirés exclusivement des caractères internes de l’Evangile, comme si la tradition historique leur était entièrement défavorable. — Prise en elle-même, l’opinion des Aloges est complètement discréditée par ce fait que, ne voulant pas attribuer le quatrième Evangile à saint Jean, ils ne trouvent rien de mieux que de le mettre au compte de Cérintlie, l’hérétique combattu par l’apôtre : hypothèse jugée par tous les critiques inadmissible, et même extravagante.

Conclusion. — La tradition générale, constatée au dernier quart du n" siècle, ne reçoit donc aucun préjudice de la contradiction isolée des Aloges. Répandue dans les Eglises les plus diverses, et attestée par des écrivains en relations étroites avec l’Asie Mineure, où le livre a pris naissance, elle a évidemment une très haute valeur. Mais nous pouvons en suivre les traces encore plus haut.

140. Il La TUADITION VERS LE MILIEU DU 11* SIÈCLE,

— 1° Dans les sectes hérétiques. — Les montanistes. — La conduite des Aloges, qui attribuent le quatrième Evangile à Cérinthe, pour réfuter plus efficacement les montanistes, paraît bien attester que ces derniers hérétiques s’appuyaient sur notre Evangile comme sur l'œuvre de l’apôtre saint Jean. Or le mouvement montaniste a ses origines autour des années 1 56- 157.

Les gnostiques. — A la même époque, les gnostiques, disciples de Basilide et de Yalentin, exploitaient le quatrième Evangile comme une source apostolique autorisée et le tenaient pour l'œuvre de saint Jean.

— Ainsi Ptolémée, dans un fragment de commentaire du prologue johannique, cité par saint Irénée, se réfère nettement à « Jean, le disciple du Seigneur ». Contra Hæres., l, vni, 5 ; cf. ix, 3. Dans sa Lettre à Flora, conservée par saint Epiphane, Hæres., xxxiii, 3 sq., le même Ptolémée cite le début de notre Evangile comme assertion de « l’apôtre », — Un autre disciple de Valentin, HÉRACLÉo>f, avait composé un commentaire du quatrième Evangile, dont Origèxe reproduit quelques fragments ; pour lui, le verset 18 du prologue johannique est parole « non du Baptiste, mais du Disciple ». Origène, In Joan., t. VI, 2. — On sait que d’autres gnostiques, un peu postérieurs, comme le ValentinienTHÉODOTE, citaient le quatrième Evangile sous le nom de Jean l’apôtre. Clément d’Alex., Excerpta ex Theodoto, vi, xl ; cf. xxxv.

Mais si les disciples de Yalentin et de Basilide

s’accordaient ainsi à reconnaître notre Evangile comme œuvre de saint Jean, n’est-il pas à croirequ’ils suivaient en cela l’exemple donné par leurs maîtres ? C’est l’opinion de J. Réville, Le quatrième Evangile, 2' éd., 1902, p. y4- A ce compte, l’origine johannique de notre document aurait été adnùse dès les années 125-140, où dogmatisaient les grands chefs du gnoslicisme.

141. 2° Dans la grande Eglise. — La croyance que nous constatons dans les sectes hérétiques leur était-elle particulière ? Ce n’est pas vraisemblable. Les montanistes n’ont dû prendre le quatrième Evangile comme appui autorisé de leur hérésie que parce que déjà il avait cours dans l’Eglise et était tenu pour œuvre apostolique. Loisv, Le quatrième Evangile, 1903, p. 18, 63. Leur attitude irait donc jusqu'à attester la croyance même de l’Eglise contemporaine en l’apostolicité de notre document.

La conduite des gnostiques doit avoir une signiûcation semblable : il est impossible de penser que l’Eglise orthodoxe ait accueilli avec tant de faveur un Evangile nouveau, qui aurait d’abord circulé dans les milieux gnostiques, et qu’elle ait emprunté à ces gnostiques mêmes sa croyance en la composition de l’ouvrage par saint Jean.

14â. "S. Justin. — De fait, nous avons des indices que l’origine johannique de notre écrit était déjà admise dans la grande Eglise, au milieu du 11 siècle. — Saint Justin y puisait la doctrine christologique qu’il mêlait à l’histoire tirée des autres Evangiles (n° 9) : l’ouvrage avait donc à ses yeux une égale valeur ; il y a tout lieu de penser qu’il y voyait, comme dans l’Apocalypse, l'œuvre de Jean l’apôtre. Harnack, Chronologie, t. I, p. ù-jlf, 683.

Papias. — Nous avons Aii(n°*10, 88) comment le Presbytre, dont Papias rapporte la notice sur Marc, parle des faits évangéliques avec compétence, en se plaçant au point de vue du quatrième Evangile, qui semble être son œuvre propre ; comment, d’autre part, ce Presbytre est à identifler avec Jean l’Apôtre (n"^ 7788). Cela fait préjuger quelle devait être l’opinion de Papias lui-même sur l’auteur de notre document.

5. Polrcarpe. — Telle devait être aussi la croyance de saint Polycarpe, si l’on en juge par le témoignage de saint Irénée, son discij)le, et par ce que celui-ci rapporte dans sa Lettre à Florinus. Saint Irénée rappelle à son compagnon d’enfance comment Poljcarpe exposait jadis devant eux les traditions qu’il tenait des a témoins oculaires de la Aie du Verbe », en particulier de « Jean », « le tout conforme aux Ecritures » (n* 150) : ces expressions semblent bien employées par allusion au quatrième Evangile, peutêtre aussi à la P^ Epître johannique, considérés comme œuvres de l’apôtre Jean ; elles doivent correspondre à une habitude de Polycarpe de présenter sous le nom de saint Jean les écrits johanniques.

III. Le témoignage de l’appendice de l’Evangile. — Enfin, nous pouvons remonter à la publication même du quatrième Evangile. Le dernier chapitre du liA-re, considéré comme un appendice, ajouté après coup par ses éditeurs, — nous l’envisagerons plus tard comme partie intégrante de l’Evangile, ce qu’il est en réalité, — contient la preuve que l’ouvrage a été publié dans les Eglises et reçu immédiatement, c’est-à-dire dès le début du 11' siècle, comme œinre de l’apôtre saint Jean.

143. Hattestation du chapitre xxi, 24. — En effet, le A-. 2^ de ce chapitre xxi est ainsi conçu : « C’est ce disciple » — savoir le disciple bien-aimé, dont il Aient d'être question, celui qui a reposé à la Cène sur la poitrine du Seigneur — « qui rend témoignage de 1665

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ces choses et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai. » — Quelles sont d’abord les choses qui sont censées attestées et écrites par ce disciple ?

144. 1° Le disciple bien-aimé est déclaré fauteur de tout l’Evangile. — Il est difRcile de supposer avec le P. Calmes, L’Evangile selon saint Jean, p. 34, ^72, que ce soient seulement les récits contenus dans ce chapitre final. — A son avis, les disciples de l’apôtre Jean auraient, après sa mort, trouvé écrit de sa main ce qui fait le fond de notre chapitre xxi, les versets 2-13 et 15-23, et ils l’auraient ajouté en supplément à son œuvre, moyennant l’addition de quelques versets, destinés à la soudure littéraire, et d’une nouvelle conclusion, vv. 24-25, où ils attesteraient que lui-même avait mis par écrit les deux récits qui précèdent, et où ils se porteraient garants de la vérité de son témoignage. — Mais la plupart des critiques estiment, avec raison, peu vraisemblable que les presbytres éphésiens, s’ils ont ajouté l’appendice, aient entendu restreindre à ce seul appendice le certificat d’origine johannique ; peu vraisemblable aussi qu’ils aient trouvé parmi les papiers de l’apôtre les récits dont ce chapitre est composé. D’ailleurs, à se placer dans cette dernière hypothèse, la garantie d’authenticité, fournie par les éditeurs, tout en visant directement le chapitre final, se rapporterait indirectement à l’Evangile entier, puisqu’ils le regardent comme étant du même auteur.

Au jugement de la généralité des critiques, le a*. 2^ est une certification directe de tout l’écrit, présenté comme œuvre du disciple que Jésus aimait. Weiz-SAECKER, Das Apostolische Zeitalter der cJiristlichen Kirche, 1902, p. 516 ; Rexax, Vie de Jésus, 13’éd., 1867, p. 537 ; L’Eglise chrétienne, 187g, p. 62 ; H. È-OLTzyixys, Einleitung in das A’. T., p. 455 ; Har-NACK, Chronologie, t. I, p. 679 ; J. Réville, Le quatr. Evang., p. 306, n. a ; Loisy, Le quatr. Evang., p. 124, 132, gSo.

Quel est maintenant le disciple qui est ainsi présenté comme auteur de l’Evangile ?

148. 2" Ce disciple est identifié à Jean d’Ephèse, c’est-à-dire à l’apôtre Jean. — Les rédacteurs de l’appendice le supposent Inen connu dans le milieu où se publie l’ouvrage : là, on se demande s’il ne doit pas vivre jusqu’à la venue du Seigneur,. 23. Or, de l’aveu général des critiques, l’Evangile a été publié en Asie Mineure — c’est la pensée de la tradition à la fin du 11° siècle ; ses plus anciens témoins, saint Justin, les montanistes, saint Polycarpe, Papias et ses presbytres, saint Ignace, appartiennent à cette contrée ou sont en relations étroites avec elle ; l’Apocalypse, que l’on reconnaît être au moins du même cercle littéraire, sinon du même auteur, se présente comme l’œuvre d’un Asiate et s’adresse à des Asiates, I, I, 4î 9 ; ii> ! " —’^ès lors, on ne peut douter qu’il ne s’agisse du fameux personnage d’Ephèse, connu de toute la tradition asiate du 11’siècle comme ayant été, à la fin du i", le dernier représentant de la génération aposloli((ue, sous le nom de Jean.

On rapporte une i)arole que le Sauveur aurait dite au sujet de sa longue vie : il passe donc pour un contemporain et un disciple direct de Jésus, Bien plus, les rédacteurs l’identifient au « disciple que Jésus aimait » ; or, ce disciple, à prendre l’Evangile dans son sens obvie, ne peut être qu’un apôtre et un des principaux apôtres : il assiste à la dernière Cène, il a le privilège de reposer à côté de Jésus, partout on le voit en relations intimes avec Simon Pierre. Dans l’intention des éditeurs, le Jean d’Ephèse, présenté comme auteur de l’Evangile, doit donc être identitié par les lecteurs à l’apôtre saint Jean. A. Jublichkr, Einleitung in das N. T., 1906, p. 370 sq. ; Schmiedel,

avi.John, à&n^VEncrcl. biblica, t. II, col. 2552 ; Loisy, Le quatr. Evang., p. 124, 132, 926.

Ce fait, incontestable, éclaire singulièrement toute la tradition du 11* siècle. Les critiques reconnaissent que le quatrième Evangile ne s’est répandu dans l’Eglise que muni de son dernier chapitre ; il en était pourvu dès le moment de sa publication, donc au début du 11° siècle, et même à la fin du i". Or, l’attribution de l’œuvre au disciple aimé de Jésus, et l’identification de celui-ci, d’un côté avec Jean d’Ephèse, de l’autre avec Jean l’apôtre, y apparaissaient d’une façon si claire, que ses jjremiers lecteurs durent immédiatement le recevoir et, à leur tour, le communiquer, comme Evangile de l’apôtre saint Jean. Ainsi s’expliquent l’ancienneté et la fermeté de la tradition constatée sur ce point, et ce fait étonnant qu’un Evangile, venu assez longtemps après les autres et notablement divergent à l’égard des autres, ait pu néanmoins d’aussi bonne heure, et sans que l’on voie d’abord trace d’opposition, prendre sa place à côté des Synoptiques, pour constituer avec eux le tétramorphe sacré.

146. 3° Cette identification ne peut être suspectée.

— C’est donc le témoignage du dernier chapitre de l’Evangile qui a dû infiucncer toute la tradition postérieure. Peut-on suspecter un tel témoignage ?

Dans l’hypothèse où nous nous sommes placés, le témoignage en question serait fourni par les presbytres qui ont publié notre Evangile, à Ephèse, à la fin du 1" siècle. Il ne pourrait donc être récusé qu’en portant contre les éditeurs du livre l’accusation de fiction littéraire ou de faux : pour assurer le succès du livre, les presbytres éphésiens l’auraient fait passer indûment pour une œuvre apostolique. Loisy, J.e quatr. Evang., p. 132. — Mais comment croire qu’à Ephèse même, aussitôt après la mort du fameux Jean, sinon de son vivant, on ait prétendu, d’une façon aussi ouverte, lui attribuer faussement la rédaction du quatrième Evangile, alors qu’il était si aisé de savoir si, oui ou non, il avait été disciple de Jésus, s’il avait eu des renseignements personnels sur sa vie, s’il était pour quelque chose dans la composition de l’ouvrage publié dans ce milieu ? Et comment croire, dans l’hypothèse où cette prétention aurait été contraire à la vérité, que la fraude, si facile à reconnaître et à confondre, ait, au contraire, si pleinement réussi, qu’elle aurait influencé immédiatement et unanimement la tradition locale ?

— De telles suppositions ne peuvent se soutenir sérieusement.

Le témoignage de l’appendice, même mis au compte des éditeurs du livre, offre donc, à raison du temps et du lieu où l’Evangile a été édité, et en le rapprochant de l’ensemble de la tradition asiate, les plus fortes garanties de vérité.

Ce témoignage peut d’ailleurs être contrôlé, non seulement par la critique interne de l’Evangile, comme nous le verrons bientôt, mais encore par l’examen d’un point d’histoire important et gros de conséquences pour l’authenticité de notre document. Il s’agit de la question du séjour de l’apôtre saint Jean à Ephèse.

Confirmation historique du témoignage de la tradition : l’apôtre Jean résidait â Ephèse à la fin du I’siècle.

147. Importance de la question. — Le quatrième Evangile a été publié à Ephèse, à la fin du i" siècle, et il est attribué à l’apôtre saint Jean : est-ce que l’apôtre Jean, palestinien d’origine, est venu effectivement en Asie Mineure, et résidait à Ephèse, à l’époque où l’ouvrage qu’on lui attribue a vu le jour ?

53 1667

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On comprend l’importance exceptionnelle de cette question. Si saint Jean n’est jamais venu en Asie Mineure, c’en est fait de la tradition qui lui rapporte la composition du livre. Mais si, au contraire, il y a passé les derniers temps de sa vie, c’est une présomption des plus solides en faveur du bien-fondé du témoignage qui, à Ephèse même et de si bonne heure, le présente comme l’auteur de notre document.

— Or, c’est ce qui peut être établi avec une véritable certitude.

I. La tradition a la fin du ii* siècle. — Que l’apôtre saint Jean soit venu et soit mort à Ephèse, c’est une crojance générale de l’Eglise au dernier quart du n’siècle, c’est-à-dire moins de cent ans après le fait en question. Et cette croyance n’existe pas seulement loin de la contrée où l’apôtre est censé avoir résidé, mais on la trouve fermement établie en Asie Mineure et dans la ville même d’Ephèse.

148. 1° Hors de l’Asie Mineure. — Hors de l’Asie Mineure, la tradition est attestée par Tbrtul-LiKX de Cartilage, Clément d’Alexandrie, et les Actes de Jean, dont le lieu d’origine est incertain.

TertuUien. — Tertullien, dissertant contre les hérétiques, en appelle au témoignage des Eglises fondées par les apôtres. Or, parmi elles, il mentionne spécialement l’Eglise d’Ephèse et celle de Smyrne, comme se réclamant de l’apôtre saint Jean. « Parcourez, dit-il, les Eglises apostoliques, où l’on voit encore à leur place d’honneur les chaires des apôtres… Pouvez-vous gagner l’Asie, aous avez Ephèse. » De præscript. hæret., xxxvi. « Voulons-nous connaître la tradition des apôtres ? II sullit de constater ce qui est regardé comme sacré dans les Eglises qui remontent aux apôtres… Or, nous avons toujours les Eglises filles de Jean ; car… c’est à Jean que, dans ces Eglises, aboutit la série des évêques remontée jusqu’à l’origine. » Adv. Marcion.^ IV, v. Que les hérétiques

« produisent les origines de leurs Eglises ; 

qu’ils déroulent la série de leurs évêques, et montrent, par leur succession ininterrompue, si le premier d’entre eux a eu pour garant et pour prédécesseur l’un des apôtres, ou un homme apostolique en relation avec les apôtres. C’est de cette sorte, en effet, que les Eglises apostoliques présentent leurs titres ; c’est ainsi que l’Eglise de Smyrne revendique Poljcarpe comme établi par Jean ». Be præscript., xxxii.

Clément d’Alexandrie. — Clément voit, lui aussi, en Jean l’apôtre le fondateur des Eglises d’Asie et il le représente résidant dans la région éphésienne jusqu’à la plus extrême vieillesse. A son sujet, il raconte une histoire bien connue : l’apôtre Jean, rcvcnu de l’ile de Patmos à Ephèse, après la mort de Domitien, visitait les Eglises voisines ; dans l’une d’elles, un jeune homme lui plut par sa figure avenante et la pureté de son regard ; il le recommanda à l’évêque du lieu. Mais le jeune homme, d’abord instruit et fait chrétien, se laissa séduire et devint chef de A^oleurs. Saint Jean, « rentré à Ephèse », ne l’eut pas plus tôt appris qu’il se rendit au repaire des brigands. En l’apercevant, le jeune homme cherche à s’enfuir ; mais Jean, « oubliant son grand âge », court de toutes ses forces après l’enfant prodigue et finit par le ramener au Seigneur. Liber Quis dives salvetur, xlii.

Actes de Jean. — Les Actes de Jean (n’^ 137) supposent expressément le séjour du fils de Zébédée à Ephèse. C’est à Ephèse qu’on voit l’apôtre saisi par les soldats de Domitien ; à Ephèse qu’il rcvient après l’exil de Patmos ; à Ephèse qu’il accomplit les miracles et prononce les discours qui remplissent la plus grande partie du livre. Lipsius-Bo.nnet, Acta apos- 1 tolorum apocrypha, II « part., t. I, p. 153-155.’149. 2° En Asie Mineure. — La tradition, ainsi constatée hors d’Asie Mineure, mérite déjà la plus sérieuse considération, à raison de son ancienneté et à raison des rapports intimes entretenus par les témoins qui la représentent avec les Eglises d’Asie. Mais c’est une tradition beaucoup plus précieuse encore, une tradition locale, que nous trouA’ons en Asie Mineure, à la même époque, et sans aucune contradiction.

Polycrate, évêque de la ville d’Ephèse, et saint Irénée, originaire d’Asie Mineure et demeuré en relations très particulières avec son pays d’origine, nous fournissent à ce sujet des témoignages formels.

Polycrate. — Polycrate, évêque d’Ephèse, écrit au pape Victor, Acrs igo, au nom des évêques d’Asie, , une lettre destinée à défendre l’usage qu’ont les Eglises asiates de célébrer la Pàque au 14’jour du premier naois lunaire, comme les Juifs, au lieu de la renvoyer au dimanche suivant, comme les chrétiens de Rome. A l’appui de cet usage quartodéciman, Polycrate fait valoir au pontife qu’on le tient de haute tradition, car l’Asie se réclame des personnages les plus recommandables. « C’est, dit-il, Philippe d’entre les douze apôtres, qui s’est endormi à Hiérapolis, avec deux de ses filles, qui ont vieilli dans la virginité ; son autre fille, qui a vécu selon l’Esprit-Saint, dort à Ephèse. C’est encore Jean, celui qui reposa sur la poitrine du Seigneur, qui fut prêtre, portant la lame d’or, martyr et docteur ; lui aussi repose à Ephèse. » Dans Eusèbe, H. E, , V, xxiv.

150. S. Irénée. — Saint Irénée, dans sa controverse avec les hérétiques, en appelle, de son côté, à la tradition des apôtres : elle est facile à constater, , dit-il, dans les Eglises dont les listes épiscopales se rattachent manifestement aux apôtres. Telle est, en premier lieu, l’Eglise de Rome, fondée par saint Pierre et saint Paul. Telle est aussi « l’Eglise d’Ephèse^ fondée à la vérité par Paul, mais où Jean est demeuré jusqu’à l’époque de Trajan ». Contra Ilæres., III, iix^ 4. C’est là que « Jean, le disciple du Seigneur, celui qui reposa sur sa poitrine, publia son Evangile »., m, I, i.

Les garants de S. Irénée : Polycarpe et ses autres auditeurs. — En parlant ainsi, saint Irénée ne prétend pas seulement faire écho à la tradition générale : il déclare avoir entendu jiersonnellement saint Polycarpe, évêque de Smyrne, se réclamer de Jean et des autres qui avaient vu le Seigneur. C’est ce qu’il rappelle à un compagnon d’enfance, nommé Flori-Nus, comme lui auditeur de Polj’carpe, et qui s’est laissé gagner à l’hérésie. « Ces opinions, lui écrit-il^ ne sont pas celles que te transmirent les anciens qui nous ont précédés et qui avaient connu les apôtres. Je me souviens mieux des choses d’alors que de ce qui est arrivé depuis, car ce que nous avons appris dans l’enfance croît avec l’àme et s’identifie avec elle ; si bien que je pourrais dire l’endroit où le bienheureux Polycarpe s’asseyait pour causer, sa démarche, ses habitudes, sa façon de vivre, les traits de son corps, sa manière d’entretenir l’assistance, comment il racontait la familiarité qu’il avait eue avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur. Et ce qu’il leur avait entendu dire sur le Seigneur, sur ses miracles et sur sa doctrine, Poljcarpe le rapportait, comme l’ayant reçu des témoins oculaires de la vie du Verbe, le tout conforme aux Ecritures. Ces choses, par la bonté de Dieu, je les écoutais dès lors a^ec application, les consignant, non sur le papier, mais dans mon cœur, et toujovu-s, grâce à Dieu, je me les remémore fidèlement. Or, je peux attester, en présence de Dieu, que si ce bien-heureux et apostolique vieillard avait entendu quelque chose de semblable à tes doctrines, il se fût. 1669

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bouché les oreilles et se serait écrié selon sa continue :

« O Dieu bon, à quel temps m’a^ez-vous
« réservé, pour que je doive supporter de tels discours ! 

» Et il eût pris la fuite de l’endroit où il les aurait ouïs, v Dans Eusèbe, //. E., V, xx.

ISl. En dehors de Florinus, l’évêque de Lyon connaissait d’autres auditeurs de Polycarpe dont le témoignage concordait avec le sien. « Il en est, dit-il, qui ont entendu raconter à Polycarpe comment Jean, le disciple du Seigneur, étant venu aux bains à Ephèse, et ayant aperçu Cérinthe à l’intérieur, sortit aussitôt sans s’être baigné, disant : Fuyons, de peur que la maison ne s’écroule, pour abriter ainsi Cérinthe, l’ennemi de la vérité. » Contra Hæres., III, iii, 4 L’illustre docteur en appelle, en particulier, aux souvenirs de ceux qui ont entendu Polycarpe, à Rome, se réclamer auprès du pape Anicet, de ses relations avec l’apôtre Jean. Ainsi fait-il dans sa lettre au pape Victor, écrite, en même temps que celle de Polycrate d’Ephèse, à l’occasion de la querelle des Quartodécimans. « Comme le bienheureux Polycarpe se trouvait à Rome sous Anicet, il s’éleva entre eux sur divers sujets quelque controverse ; mais ils firent aussitôt la paix, sans s’être beaucoup mis en peine de cette question de la Pàque. Car, ni Anicet ne put amener Polycarpe à abandonner une coutume qu’il avait toujours oljservée avec Jean, le disciple de Notre-Seigneur, et les autres apôtres ; ni Polycarpe ne put la faire accei)ter d’Anicet, qui estimait devoir retenir l’usage reçu des anciens qui l’avaient précédé. Les choses étant ainsi, ils entrèrent en communion ; Anicet céda à Polycarpe l’honneur d’offrir l’Eucharistie dans l’Eglise et ils se séparèrent en paix, lacomnumion de l’Eglise universelle demeurant assurée et à ceux qui observaient la coutume et à ceux qui ne l’observaient pas. » Dans EUSÙBE, //. E., V, xxiv.

158. 3’^ Valeur de cette tradition. — Chose très digne d’attention, aucune voix discordante ne contredit ces nombreux témoignages. Les chrétiens d’Asie Mineure appuyaient leur pratique quartodéciniane sur l’exemple laissé par saint Jean : or, on ne soit pas qu’aucun de leurs nombreux contradicteurs ait essayé de les combattre sur ce terrain. Les Aloges eux-mêmes, si prompts à enlever aux montanistes l’appui des écrits johanniques, ne trouvèrent rien de mieux que d’attribuer ces écrits à Cérinthe, l’adversaire bien connu de saint Jean à Ephèse : ils ne songeaient donc pas à contester que l’apôtre fût venu eu Asie (n° 139).

Une tradition qui se présente dans des conditions telles, semble impossible à mettre en doute. Elle porte sur un fait public, durable, qui a eu de nombreux témoins et a dû faire dans toute la région une impression ineffaçable, savoir, le séjour de l’apôtre Jean à Ephèse. D’autre part, elle est attestée par des témoins de première valeur, indépendants les uns des autres, plusieurs appartenant à la région même qui a été théâtre du fait en question.

153. Valeur du témoif ; nage de saint Irénée. — Saint Ihknke est on ne peut mieux informé sur le fait qu’il rapporte. Le saint docteur tient ses renseignements d’un disciple immédiat de saint Jean, saint Polycarpe. Or, les détails qu’il donne à Florinus montrent qu’à l’époque où il entendit l’évêque de Smvrne, il était capable de bien observer et de bien comprendre. S’il estime que Polycarpe se réclamait de Jean l’apôtre, c’est qu’en effet Polycarpe présentait son maître Jean comme un témoin oculaire et un disciple direct de Jésus.

A supposer qu’il se fût trompé sur ce point, son erreur eût été promptement rectifiée.’Toute son

œuvre montre combien ouvertement il parlait de Jean d’Ephèse et l’identifiait à l’apôtre Jean, en se référant à la croyance publique des Eglises d’Asie Mineure et aux souvenirs de ceux qui avaient entendu comme lui Polycarpe. Les rectifications lui seraient sûrement venues de toutes parts. — Avant d’émigrer dans lesGaules, il put consulter en Asie Mineure, son pays d’origine, maints chrétiens qui avaient connu l’évêque de Smyrne ou d’autres disciples du fameux Jean. — A Lyon même, il ne vécut point isolé de l’Asie : l’évêque de cette ville, saint Pothin, et nombre de ses chrétiens, tels que Attale de Pergame, Alexandre de Phrygie, étaient des Asiates. La lettre des Eglises de Lyon et de Vienne, où ces personnages sont mentionnés, est elle-même adressée « aux fidèles d’Asie et de Phrygie ». Elle montre bien les rapports intimes qui unissaient le milieu habité par saint Irénée avec l’Asie Mineure. Eusèbe, //. E., , i. Et c’est ce que montre pareillement lalettre que saint Irénée écrit, quelques années plus tard, au pape Victor, en faveur îles Quartodécimans asiates. — Enfin, il est encore un endroit où saint Irénée se trouva en contact avec des auditeurs directs de saint Polycarpe : c’est à Rome, où l’évêque de Smyrne était venu au temps du pape Anicet, vers iS/J- Saint Irénée y vint lui-même, en 178, porter au pape Eleuthère la lettre que les chrétiens lyonnais lui adressaient de leur prison, en même temps qu’ils écrivaient à leurs frères d’Asie. Eusèbe, //. / :., V, iv. Nous avons vu également que, quelques années plus tard, vers 190, il envoyait au j)ape Victor un mémoire sur la querelle quartodécimane, dans laquelle était intéressée l’autorité même du Jean d’Asie Mineure (n>' 151).

Les occasions ne manquèrent donc pas à l’évêque de Lyon pour contrôler ses souvenirs au sujet du Jean dont se réclamait Polycarpe. Ces moyens de contrôle étaient des plus variés ; ils l’entouraient de toutes parts et s’imposaient comme forcément à son attention. Il est impossible que saint Irénée ait identifié par erreur le maître de Polycarpe avec Jean l’apôtre et qu’il ait persévéré si fermement dans cette erreur.

154. Valeur du témoignage de Polycrate. — Le témoignage de Polycrate, indépendant de celui de saint Irénée, n’est pas nujins décisif. C’est le témoignage de l’éAêque même de cette ville d’Ephèse où a vécu le Jean qui a si fortement impressionné la tradition asiate. Polycrate parle de ses cheveux blancs ; il a, dit-il, « soixante-cinq ans dans le Seigneur ». A supposer qu’il faille compter ces années à partir de sa naissance, et non, — comme il paraît plus jyroba])le — de son baptême, il a dû naître aiilour de 126 ; ses souvenirs peuvent donc se reporter facilement vers les années 140-150, alors que vivaient les propres disciples de Jean d’Ephèse, Polycarpe de Smjrne, Papias d’Hiérapolis, d’autres encore.

Polycrate n’est d’ailleurs pas un isolé : il appartient à une famille riche en traditions chrétiennes ; sept de ses proches, dit-il, ont été évêques. Eusèbe, //. E., V, XXIV. Enfin, la lettre où il parle du tombeau de l’apôtre Jean à Ephèse est un document public, adressé au pape, au nom des évéques d’.Asie : nul doute que, sur ce point capital, il ne reproduise la pensée de ses collègues et la croyance générale ayant cours autour de lui.

155. II. La tkadition au milieu nu ii’^ siècle. — La tradition, observée dans des conditions si exceptionnelles au dernier quart du ii* siècle, peut d’ailleurs être suivie beaucoup plus haut. Et d’abord, autour de l’an 150.

, S’. Justin, les Montanistes. — A cette époque, en effet, saint Justin attribuait expressément l’Apoca1671

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lypse à l’apôtre Jean. « Chez nous, écrit-il, l’un des apôtres du Christ, nommé Jean, a prophétisé, dans la Révélation (1" Apocalypse) qui lui a été faite, que les fidèles de notre Christ passeraient mille ans à Jérusalem, et qu’après cela auraient lieu la résurrection simultanée, générale et définitive, de tous les hommes, et le jugement. » Dialog. cuin TnpJwrie, lxxxi. — Les Montanistes devaient partager la même opinion, car ils s’autorisaient de l’Apocalypse comme d’un écrit apostolique et inspiré.

Or, le Jean qui, dans l’Apocalypse, s’avoue auteur de l’ouvrage, i, i, 4> 9 ! xxii, 8, se présente nettement aux chrétiens d’Asie comme un compagnon de souffrances et un frère, i, 4) 9^ i’j il connaît intimement leurs Eglises et peut en parler avec une autorité incontestée, ii, m. Ni saint Justin, ni les Montanistes n’ont pu s’y méprendre : ils ont sûrement vu dans ce personnage un Asiate. Si donc ils l’identifient à l’apôtre Jean, c’est qu’ils admettent le séjour de cet apôtre en Asie.

On ne saurait trop insister sur l’importance de ce témoignage. Il confirme péremptoirement celui de Polycrate et de saint Irénée, auquel il est antérieur. Une valeur toute spéciale lui vient de ce que saint Justin, originaire de Xaplouse, a été converti au christianisme à Ephèse même, vers l’an 130, et doit reproduire la croyance qu’il a puisée dans cette ville au temps de sa conversion.

156. III. TÉMOIGXAGES DE LA FIN DU I^r SIÈCLE.

L’Apocalypse. — Indépendamment du témoignage de saint Justin, l’Apocalypse (de l’an 96, au plus tard) semble, par ses seules données, attester le séjour de saint Jean en Asie Mineure. Elle se donne, avons-nous dit, pour l’œuvre d’un chrétien, nommé Jean, lequel apparaît manifestement comme un Asiate. Or, ce Jean d’Asie Mineure, auteur avoué de l’Apocalypse, ne peut être vraisemblablement que l’apôtre. Il se suppose bien connu de ses lecteurs, à qui il se désigne simplement par son nom de Jean ; il sait à merveille les secrets des Eglises d’Asie ; il leur parle avec une autorité absolue, à la façon d’un chef éminent et incontesté. Il s’agit évidemment du fameux Jean d’Ephèse ; et la manière simple dont il se désigne, comme l’autorité exceptionnelle qu’il s’attribue, s’accorde bien avec toute la tradition subséquente qui identifie ce Jean d’Ephèse à l’apôtre saint Jean.

157. Le chapitre xxi de l’Evangile. — C’est un témoignage plus précis et décisif que nous ofi’re enfin le dernier chapitre du quatrième Evangile. — L’auteur de ce chapitre, nous l’avons vu (n^ 145), présente à ses lecteurs asiates le personnage bien connu, regardé comme le dernier survivant de l’âge apostolique, qui est le fameux Jean d’Ephèse, et il l’identifie expressément avec le disciple, c’est-à-dire l’apôtre, qui a reposé, à la dernière Gène, sur la poitrine de Jésus. Qu’est-ce à dire ? Sinon que l’auteur de ce chapitre identifie Jean d’Ephèse à Jean l’apôtre, et par conséquent admet le séjour de l’apôtre Jean à Ephèse.

Dans l’hypothèse même où ce chapitre aurait été ajouté à l’Evangile, au moment de sa publication, c’est donc dès la fin du 1" siècle, et en Asie Mineure, que nous trouvons attesté le séjour de saint Jean en cette contrée. Or, il est impossible de soupçonner avec M. Loisy, Le qiiatr. Evang, , p. 182, un faux commis par les éditeurs, dans l’intention de donner crédit à leur livre. Comprendrait-on qu’à Ephèse même, immédiatement après la mort du personnage bien connu de cette ville, sinon auparavant, on ait eu l’audace de le faire passer pour l’apôtre Jean, alors que tout le monde aurait bien su qu’il ne l’était pas ? Et comprendrait-on que, dans ce milieu, à cette

époque, la fraude grossière eîit si bien réussi que toute la tradition asiate en aurait subil’influence, sans que l’on trouvât trace de la moindre contradiction ? La chose est simplement incroyable.

158. Conclusion. — En résumé, le séjour de saint Jean à Ephèse est un fait attesté aussi sérieusement qu’il est possible. L’historien doit l’admettre avec une confiance absolue. Rexan, E Antéchrist, 1878, p. 558 sq. ; Wei/sahcivEr, Das Apostolische Zeitalter der christlichen Kirche, ’à' éd., iyo2, p. 477-482 ; Jueli-CHER, Einleitung in das. T., 6’éd., igo6, p. 323 sq., 339-340 ; CoRssEX, W’aruni ist das yierte Ei’angeliiini fur ein Werk des Aposlels Johannes erklàrt worden ? dans la Zeitschrift ftir die neiit. IVissenschaft, 1901, p. 207, 21 1 ; Harnack, Chronologie, 1897, t. i, p. G78, n. 3 ; Drummond, An Inquiry into the Character and Autkorship of the Fourth Gospel, 1903, p. 21 3-235. Cf. Lepin, L’origine du quatrième Es’angile, 1907, p. 73-177.

Or, nous l’avons dit, c’est une garantie de premier ordre en faveur de la tradition qui attribue à Jean l’apôtre notre Evangile d’Asie Mineure.

2. D’après la critique interne

L’argument de témoignage traditionnel, si probant par lui-même, trouve dans l’examen interne du quatrième Evangile une confirmation très significative et péremptoire. De l’examen attentif du livre, en effet, il ressort que cet Evangile, composé en grec et publié en Asie Mineure, a néanmoins pour auteur un Juif d’origine, connaissant intimement la Palestine contemporaine du Sauveur, et qui s’identifie lui-même au disciple que Jésus aimait, c’est-à-dire à l’apôtre saint Jean, dans des conditions qui ne permettent pas de suspecter le bien-fondé de cette identification.

159. I. L’auteur du ive Evangile est ux Juif d’origine. — Il a pour langue maternelle l’hébreu ou Varaméen. — Sa langue, en effet, offre, sous le vêtement grec, la manière caractéristique du parler sémitique : pas de liaisons savantes entre ses membres de phrase, mais des suites de propositions très simples, presque constamment reliées par la conjonction et, et souvent accouplées d’une façon sj métrique, qui donne à la phrase quelque chose de cadencé. — L’auteur connaît d’ailleurs très bien l’hébreu et l’araméen : il en cite de nombreux termes qu’il interprète très correctement à ses lecteurs : i, 38, 4’» 4’-^ ; V, 2 ; IX, 7 ; XIX, 13, 17 ; XX, 16.

// connaît bien les usages juifs. — Avec la langue, il connaît les usages des Juifs : les fêtes, de la Pàque, II, 13 ; vi, 4 ; xi, 55 ; xii, 12 ; xiii, 1, des Tabernacles, VIII, 2, de la Dédicace, x, 22 ; la loi du sabbat, V, 9, 10 ; XIX, 31, 42 ; celle de la circoncision, VII, 22, 23 ; la coutume des ablutions aux repas, 11, 6 ; les usages concernant la fréquentation des édifices païens, xviii, 28, et les relations avec les Samaritains,

IV, g ; VIII, 48.

// est familiarisé ai’ec les idées juives. — Il n’est pas moins familiarisé avec les idées juives, surtout celles qui regardent le Messie, son origine et sa destinée : I, 20, 21, 45, 49 ; VI, 14, 15, 27, 42, 52 ; VII, 31 ; XII, 34 ; xviii, 33 sq. Il est au courant de la Loi, de son rapport avec Moïse, de ses diverses prescriptions : I, 17, 4Ô ; V, 46 ; VII, 51 ; viii, 17 ; XIX, 7. Surtout l’Ecriture est pour lui l’autorité par excellence :

V, 39 ; X, 35 ; il lui emprunte la figure du serpent d’airain et la comparaison de la manne : iii, 1 4 ; vi, 31 sq. ; il la cite pour justifier les prétentions de Jésus, l’idée de sa naissance à Bethléem, l’attitude des croyants et des incroyants à son égard : vi, 4^ ; vii, 1673

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42 ; X, 34 ; XII, 38, 4’ ; il rapporte à ses oracles prophétiques les événements de la passion et de la résurrection : vii, 38 ; xiii, 18 ; xix, 24. 28, 36, 37 ; XX, 8.

Un écrivain d’Asie Mineure, à ce point familiarisé avec la langue, les usages et les traditions religieuses des Juifs, ne peut être lui-même qu’un Juif d’éducation et d’origine. — Sa manière de parler des Juifs, comme d’étrangers et d’adversaires, 11, 13 ; v, i ; vi, 4 ; vii, 2 ; XI, 55 ; XIX, 40, etc., se comprend sans difficulté de la part d’un Juif de naissance, devenu chrétien, et écrivant pour des chrétiens d’Asie Mineure, du point de vue <le sa foi nouvelle et de son entourage présent (cf. n" 98).

160. II. L’auteur connaît intimement la Palestine CONTEMPORAINE DE JÉSUS. — 1° Il coiinaît intimement la Palestine. — f^a Galilée. — Notre évangéliste connaît fort bien la Galilée. Il n’est pas seulement capable de faire figurer dans son récit les bourgs galiléens déjà familiers aux Synoptiques, comme Nazareth, patrie de Jésus, i, 45, 46 ; Bethsaïde, patrie de Simon, d’André et de Philippe, i, 45 ; xii, 1 1 ; il est seul à parler, et d’une façon très expresse, de Cana, qu’il a soin d’appeler « Cana de Galilée », ii, i, II ; IV, 46 ; XXI, 2, pour la distinguer d’autres villes du même nom situées hors de cette province ; et il précise avec beaucoup d’exactitude qu’il faut « descendre » pour aller de cette Cana, située en effet dans la région montagneuse, à Capharnaiim, dans la basse plaine qui avoisine le lac, ii, 12 ; iv, 47. 49> 51. — Le lac de Génésareth lui semble particulièrement familier ; il connaît les villes qui sont sur ses bords, Capharnaiim, 11, 12 ; iv, 46 ; vi, 17, 24, Sg ; Tibériade, VI, a3 ; sa largeur, vi, ly (cf. Marc, vi, ^7 : ^ Matth.^ xiv, 24) ; la montagne qui le borde au nord-est, vi, 3. 15.

161. La Samarie. — Les renseignements personnels qu’il donne sur la Samarie sont aussi exacts que précis : sur la route de Judée en Galilée, passant par la Samarie, se trouve le puits de Jacob, non loin (à I kil., en effet, au S.-O.) du village de Sj’char (aujourd’hui Askar), iv, 5, 6, à l’entrée de cette fertile vallée de Sichem où les disciples peuvent contempler les blés en herbe dans les champs, iv, 35, au pied de ce mont Garizim sur lequel les Samaritains ont construit leur teuqile et que la femme de Samarie, sans le nommer, montre de la main au Sauveur, iv, 20.

La L’érée et la Judée. — Notre évangcliste a aussi une information particulière surlaPéréeet la Judée.

— Il localise le second témoignage de Jean-Baptiste à Aïnùn, près de Salim, un endroit bien pourvu d’eau, où le Précurseur pouvait baptiser aisément ceux qui venaient à lui en grand nombre, iii, 23. — Après rémoi causé par la résurrection de Lazare, il fait retirer Jésus dans la contrée voisine du désert, en un lieu appelé Ephraim, xi, 5’]. — Il connaît une Béthanie au delà du Jourdain, premier théâtre du baptême de Jean-Baptiste, i, aS (cf. x, 40). et semble la distinguer expressément de l’autre Béthanie, village de Marie et de Marthe. Olie-ci était, dit-il, près de Jérusalem, à 15 stades environ, xi, 1, 18 ; xii, i ; cl c’est, en efTet, la distance qu’il est aisé de vérilier encore aujourd’hui.

168. Jérusalem. — Si nous i)énétrons, à la suite de l’auteur, dans Jérusalem même, son information n’ajjparait pas moins rcmar<iuable. — Seul, il nous fait connaître les deux piscines de Bétliesda. v, 2, et de Siloé, xi, 7, dont la seconde est particulièrement bien identifiée. — Il parle du leinph-, en homme bien au courant des lieux. Il emploie d’une façon toute naturelle l’expression : « monter au temple », vu.

14. qui convient exactement à la situation de l’édiûce, dominant la ville du haut de ses terrasses superposées. La rencontre de l’aveugle-né avec Jésus a lieu aux abords dvi temple, et l’on sait, en effet, qu’aux abords du temple se tenaient habituellement les inûrmes et les estropiés demandant l’aumône, ix, 8 ; cf. Act., iii, 2. Lors de la fête de la Dédicace, comme c’était la mauvaise saison, Jésus se promène sous le portique de Salomon, x, 22, 23. A l’occasion de la fête des Tabernacles, le Sauveur parle dans la salle du temple appelée « le Trésor », viii, 10.

Seul, notre auteur signale, et avec une parfaite exactitude, le torrent du Cédron, séparant la ville du jardin de l’arrestation, xviii, 1-2, alors qu’il néglige de mentionner le nom de Gethsémani, fourni par ses devanciers. — Il sait que le prétoire est la résidence du gouverneur, un édifice païen où les Juifs se gardent de pénétrer, de peur de contracter souillure, xviii, 28. — Seul il mentionne le lieu que dominait le tribunal de Pilate, et il le décrit fort exactement comme un emplacement élevé (Gabhaiha). pavé en mosaïque (lvthostrotos), xix, 13. — Seul enfin il précise que Tendroit du crucifiement était à proximité de la ville et qu’un jardin se trouvait tout auprès, XIX, 20, 4’163. 2° Il la connaît d’expérience personnelle.

— Un écrivain capable de mêler à ses récits une topographie aussi détaillée et aussi précise, indépendamment des Synoptiques et des autres écrivains du Nouveau Testament, ne peut qu’avoir connu la Palestine d’expérience personnelle ; il a même dû entrer en contact intime avec les divers théâtres du ministère de Jésus. — Cela est particulièrement manifeste dans l’épisode de la Samaritaine, où les détails topographiques, très minutieux (n" 161), sont engagés d’une façon extrêmement naturelle dans la narration, fournis au fur et à mesure de l’entretien, parfois même, comme le trait concernant le Garizim, indiqués par une simple allusion. Benan a eu raison de dire : « Un Juif de Palestine, ayant passé souvent à l’entrée de la A’allée de Sichem, a pu seul écrire cela. » Vie de Jésus, p. 493,

164. 3° Il la connaît telle qu’elle était du vivant de Jésus. — D’autre part, la Palestine ainsi connue par l’auteur est la Palestine antérieure à la guerre judéo-romaine, telle qu’elle était à l’époque du Sauveur. Or, il n’est pas vraisemblable qu’un Juif, habitant E[)lit’se à la lin du 1" siècle, soit allé, depuis la catastrophe de l’an 70, visiter la Palestine et l’étudier dans ses diverses régions, d’une façon aussi complète et aussi minutieuse. La contrée était demeurée ilévastée, prescpie déserte ; la ruine complète de la ville sainte avait même mis fin aux pèlerinages annuels des Juifs de la Dispersion. D’ailleurs, c’est seulement avant la grande guerre que l’auteur a pu o’v Jérusalem debout, avec son temi)le, le prétoire, le Lithosti’otos, dont il parle avec une compétence si spéciale. — On est ainsi amené à conclure que notre auteur a connu personnellement les lieux où a vécu le Christ, dans l’état où ils étaient du vivant du Sauveur, et non depuis la grande catastrophe palestinienne.

163. lntj)orlance de ces constatations. — Le témoignage interne du livre se bornàt-il à ces deux points, savoir (jne le quatriènie évangélisle est un Juif d’origine, et qu’il connaît d’expérience directe la Palestine contemporaine de Jésus, nous aurions déjà une conlirmation exlrènuMnent remarquable du témoignage fourni par la critique externe. A Ephcse, à la lin du i" siècle, y avait-il, en dehors de l’apôtre Jean, un seul Juif qui eût connu de cette façon les diverses 1675

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1676

parties de la Palestine ancienne, et qui fût capable de composer un Evangile où les détails topographiques se trovivent mêlés d’une façon si naturelle et si vraisemblable aux épisodes de la vie de Jésus ?

Mais le livre nous offre un dernier témoignage d’une précision et d’une sûreté qui ne laissent rien à désirer.

166. 111. L’ÉVANGÉUSTB s’iDKXTIFIE AU DISCIPLE AIMÉ DE JÉSUS, c’EST-A-DIRE A l’APÔTRE SAINT JeAN, ET DANS DES CONDITIONS QUI NE PERMETTENT PAS DE SUSPECTER LA VÉRITÉ DE CETTE IDENTIFICATION. 1" L’évangé liste s’identifie au disciple aimé de Jésus. En deux endroits : xxi, 24 et xix, ’6ï).

1° En XXI, ’2'i. — En xxi, i ! , nous lisons : « C’est ce disciple », savoir le disciple bien-aimé, dont il a été question plus haut, v. 20, « qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai ».

Interprétation proposée par certains critiques. — La première pensée qui vient à propos de ce passage est ciue la parole y est tenue par d’autres que le disciple bien-aimé, présenté comme auteur de l’Evangile. Il est. en effet, question de lui d’une façon impersonnelle ; le verset précédent fait allusion à sa mort, et l’allusion se comprendrait bien après la mort déjà survenue ; on garantit la vérité de son témoignage, et cette garantie, exprimée à la première personne du pluriel, semble provenir d’un groupe, non d’un individu. Aussi a-t-on attribué ce témoignage aux presbytres éphésiens, éditeurs du livre (n"" 143-146). Mais ce témoignage lui-même ne peut se séparer du récit qui précède ; il fait corps avec le dernier chapitre du livre, qui a d’ailleurs toutes les apparences d’un appendice. On en est donc venu à penser que tout ce dernier chapitre avait été ajouté par les éditeurs.

Arrivé là, il semble impossible de s’arrêter à l’opinion du P. Calmes (n" 144), qui essaie de maintenir une certaine authenticité johannique à l’ensemble du chapitre final. Au jugement de la généralité des critiques, si l’appendice a été ajouté par les éditeurs, il doit être l’œuvre de ces éditeurs eux-mêmes ; et si l’on n’admet pas que Jean d’Ephèse soit Jean l’apôtre, ni qu’il ait composé notre document, les éditeurs ont dû ajouter tout exprès leur morceau pour ailirmer, par un artifice littéraire, la composition de l’Evangile par Jean d’Ephèse et l’identité de ce Jean d’Ephèse avec l’apôtre Jean. H. Holtzmann, Einleitting in das.. 7’., p. 455 ; Das Evangelium desJohanness p. 227 sq. ; J. Réville, Le quatr. Evang., p. 305 sq. ; Schmiedel. art. John, dans VEncycl. hibl., t. II, col. 2543 ; LoisY, Le quatr. E-ang., p. 926 sq. ; S. Rei-NACH, Orpheus, p. 3 18.

C’est dans cette hypothèse que nous avons accepté de nous placer jusqu’ici. Mais le moment est venu de la discuter, et à l’examen il ne semble pas qu’elle puisse se soutenir.

167. L^n réalité, le chapitre xxi est tout entier du même auteur que le reste de l’Evangile. — Le chapitre XXI est certainement de la même main que les vingt premiers. — Il est d’abord en connexion étroite aACC le reste de l’Evangile, au point de vue de l’ensemble des idées et des divers traits historiques. L’épisode de la pêche miraculeuse se relie à l’histoire précédente par la transition expresse : « Après cela, Jésus se manifesta encore », xxi, i, et par la remarque finale : « C’est ainsi que Jésus se manifesta, pour la troisième fois, après sa résurrection d’entre les morts », XXI, 14 Les deux disciples qui jouent le rôle principal dans cette scène. Pierre et le bien-aimé, sont précisément ceux que le quatrième Evangile associe le plus fréquemment et dans le même rap port : xiii, 23 sq. ; xviii, 15sq. ; xx, 2 sq. A côté d’eux, sont mentionnés, xxi, 2, Thomas, avec son surnom purement johannique de Didyme, et Nathanaël, qui ne figure sous ce nom que dans notre document ; ce dernier personnage est même présenté comme étant de Cana de Galilée, et ce renseignement est en harmonie intime avec le récit de sa Aocation, coïncidant avec le premier voyage de Jésus à Cana, i, 45 sq. Pierre est interpellé par le Sauveur : Si’uwv "Iwayjv, a Simon, fils de Jean », xxi, lô-i^, comme dansi, 42, au lieu du Siyojv Ba/nwvâ de Matth., xvi, 1-.

168. Beaucoup plus étroites et plus significatives sont les liaisons de notre chapitre avec le reste de l’Evangile, au point de vue de la langue et du style.

— Nombre de particularités littéraires, constructions de mots, tournures de phrase, qui sont caractéristiques du style des vingt premiers chapitres, se retrouvent dans l’appendice. Ainsi, èfocvipuztv îa^rcv, xxi, i (cf. vil, 4) ; à « ’ ; y à/j-VJ /r/w lot, XXI, 18 (cf. III, 5, I I ; XIII,

38) ; , uiévzoi, XXI, 4 (cf- IV, 27 ; VII, 13 ; xii, 42 ; xx, 5) ; ûii oÎjv, XXI, g (cf. IV, i, 40 ; xi, 6 ; xviii, 6 ; xx, 11) ; Sre oliv, XXI, 15 (cf. 11, 22 ; vi, 24 ; xiii, 12, 31 ; xix, 6, 8, 30) ; S(, uwv çiv llizpoi, XXI, 7 (cf. xi, 20 ; xaiii, 3). Il y a une correspondance exacte entre xxi, 1 1 et xii, 3 ; , pour l’emploi du génitif absolu a^ec le pronom TSTiOro ; suivi d’une proposition négative ; entre xxi, 16 et IV, 54, pour l’association de-a/o à C£^t£oî> ; entre XXI, 12 et XIII, 28, pour la façon de séparer oiSet’i du substantif par le verbe. Il y a encore un rapport très étroit entre xxi, 4 et xx, 1 4 ; entre xxi, 24 et xix, 35 ; entre xxi, aS et xx, 30. Comme l’auteur de l’Evangile, l’auteur de l’appendice aime à ouvrir des parenthèses, à fournir des explications, des précisions, suivant des procédés et parfois avec des formules tout à fait semblables. Comparer xxi, 7 avec iv, 44 1 45 (et vii, 5, 39 ; XIX, 31) ; xxi, 20 avec vi, 22-24 (et XI, 1-3) ; XXI, 8 avec xi, 18(et xviii, i-3) ; xxi, igavec II, 21 (et VI, 6, 72 ; VII, 3g ; viii, 6 ; xi, 13, 51 ; xii. 6, 33) ; XXI, 8, 23 avec xi, 51 (et xi, 30 ; xii, 6, 16 ; xiii, 18) ; etc.

Il paraît absolument impossible d’attribuer à une imitation réfléchie, ou à une certaine parenté littéraire, des accords aussi multiples, aussi complexes, dans le choix des expressions, dans la spécialité des formules, dans la liaison des mots et des phrases, dans la manière générale et les procédés particuliers d’exposition.

169. Enfin, il est souverainement invraisemblable que des éditeurs aient ajouté à l’Evangile qu’ils publiaient un appendice de cette nature. Leur conduite serait contradictoire. D"un côté, ils voudraient présenter le disciple bien-aimé comme auteur de lEvangile, y compris le chapitre final, puisqu’ils prennent soin de le bien relier à ceux qui précèdent, soit pour le fond, soit pour la forme, et le pourvoient d’une nouvelle conclusion visiblement imitée de la première. D’un autre côté, ils commettraient cette maladresse étrange de donner à leur addition toutes les apparences d’un appendice, puisqu’ils laissent sub sister la première conclusion du livre, au Heu de la supprimer ; bien plus, de parler de ce disciple, auteur de lEvangile, comme d’un tiers, en le présentant d’une façon objective, et en emploj’ant pour leur part la première personne du pluriel. La contradiction qu’il faudrait supposer est si incroyable qu’elle condamne décisivement l’hypothèse.

170. C’est dune l’és-angéliste qui, au f. 2’i, s’identifie au disciple bien-aimé. — Le chapitre xxi étant ainsi reconnu du n^me auteur que le reste de l’Evangile, il faut donc en venir à supposer que c’est Tévangéliste lui-même qui. au v. 24, se déclare discrètement le disciple aimé de Jésus et garantit la sincérité de son propre témoignage. 1677

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Rien ne contredit d’abord cette hypothèse. — Le A-. 23 envisage la mort du disciple comme possible, non comme déjà survenue. Or, si Jésus avait réellement adressé au disciple la déclaration qui est rapportée, si le rapprochement de cette parole avec l’annonce faite au chef des apôtres avait donné lieu à l’interprétation excessive qui avait cours parmi les frères, on peut parfaitement comprendre que le bienaimé a tenu à rétablir lui-même dans sa teneur exacte la parole du Seigneur. Il semble même que seul il était capable défaire alors cette rectification. En tout cas, la réserve avec laquelle elle est présentée lui convient beaucoup mieux qu’à ses disciples écri-A ant après l’événement. Qu’est-ce qui aurait empêché un écrivain postérieur de faire expressément allusion au fait survenu ?

171. Le V. 24 se comprend lui-même très bien sous la plume du disciple bien-aimé, auteur de l’Evangile.

— L’aoriste /iSKia ; ne marque pas nécessairement une action depuis longtemps passée, mais convient parfaitement à la rédaction qui s’achève : c’est ce disciple qui a écrit ce qui vient précisément d’être écrit.

— Le présent s ij.y.prjpw se comprend on ne peut mieux du disciple rendant présentement témoignage dans l’Evangile, et ne conviendrait pas du tout pour exprimer un témoignage qu’il aurait rendu dans le passé.

— Comme dans l’Evangile, l’auteur se place par la pensée en face des Odèles auxquels il destine son ouvrage, et il se donne d’une façon objective pour celui qu’ils ont accoutumé de nommer et d’entendre nommer le disciple aimé de Jésus. Un cas analogue se rencontre sous la j)lume de saint Paul : II Cor., xii, 2sq.

178. Que le même auteur parle ensuite à la première personne du pluriel et garantisse la vérité de son témoignage, cela paraît d’abord plus étonnant ; mais il est remarquable qu’au verset inamédiatement suivant, le langage est à la première personne dvi singulier : on ne comprendrait guère ce mélange, si l’appendice était ajouté par un autre écrivain ou un groupe d’éditeurs postérieurs. Au contraire, le v. 26, qui contient un témoignage sur le grand nombre des œuvres accomplies par Jésus, ne se conçoit bien que de la part d’un témoin autorisé, tel qu’était l’auteur de la première conclusion du livre, xx, 30-31. D’autre part, la comparaison des Epîtres johanniques, qui sont incontestablement de la même main (n" 181), montre que justement notre auteur se plaisait à employer la première personne du pluriel pour la première personne du singulier, comme une forme de langage à la fois plus mystique et plus solennelle : I Jean, 3-4, comparé au, 1 ; v, 13. En particulier, la III Epitre a le mélange des premières personnes du singulier et du pluriel dans les mêmes versets g-io, et l’auteur y parle de son témoignage en termes analogues à ceux qui nous occupent : III Jean, 12, comparé à 1-8 et 1 3- 14. Cf. Jean, i, 14 ; iii, 1 1 ; ix, 4 ; Matth., III, 15 ; H. IIoLTZMAN.v, Einleitang in das.V. T., p. 455 ; has Evangelium des Joliannes, p. 229-230 ; Juelicher, Einleitung in das i. T., p. 325, 338.

La phrase peut donc se transposer ainsi : « C’est ce disciple qui rend présentement témoignage de ces choses et qui vient de les écrire, et je sais que son témoignage est vrai (ry^r/jr, ^). » Cette dernière atlirmation convient tout particulièrement, et même exclusivement, au discii)leen question, s’il s’agit, non précisément de la vérité objective de son témoignage, mais plus directement, comme il semble I)ien, de sa sincérité. Seul, en elFct, le disciple peut savoir que sa parole est sincère ; en disant : « /e sais que son témoignage est véridi(iiie », l’évangéliste montre qu’il n’est autre que ce discii)le lui-même.

L’interprétation (jiu^ nous venons d’exposer est confirmée de tous points par l’examen d’un passage

analogue, mais beaucoup plus significatif, qui se trouve dans le corps même de l’Evangile, xix, 35.

173. 2’En XIX, 35. — Le passage est ainsi conçu :

« Et celui qui l’a vu », savoir le fait de l’eCTusion du

sang et de l’eau à la suite du coup de lance, « en a rendu témoignage (u- ; j.y.prJpr, /.vj’), et lui sait qu’il dit vrai (/.y.’i ixùjoi oIÔî-j ôrt vJrfir, /r/st), afin que vous aussi vous croyiez ». — De l’avis général, ce témoin ne peut être que le disciple bien-aimé, mentionné au V. 26 comme présent non loin de la croix.

Ce passage est Lien authentique. — Impossible de voir dans ce verset, avec le P. Calmes, L Evangile selon saint Jean, p. Lo, cf. 443, une interpolation des éditeurs. Il porte le cachet du style johannique : cf. Jeun, XX, 31 ; vi, 29 ; xiii, 19 ; xvi, 4, 33 ; IJean, 1, 3, 4 ; ii> i ; v, 13. Il est supposé nettement par le contexte. La formule du v. 36 : « car ces choses arrivèrent, afin que l’Ecriture fût accomplie », ne peut pas se relier immédiatement au v. 34. qui raconte le coup de lance ; à en juger par tous les passages analogues (xii, 38 ; xviii, 9, 32 ; XIX, 24), l’évangéliste se serait abstenu de la reprise : « ces choses arrivèrent » ; le « car » n’a lui-même de sens que comme fournissant la raison de la foi, dont parle le v. 35 : l’épisode a efficacité pour fonder la croyance, parce qu’il s’est réalisé en accomplissement des Ecritures. Le verset ne peut donc absolument pas se supprimer : il est évidemment authentique.

174. L’auteur s’y identifie réellement au disciple bien-aimé. — Or, dans ce verset, l’évangéliste s’identifie au disciple témoin. Il affirme, en effet, que le témoin « sait qu’il dit vrai ». Mais rien n’est plus essentiellement subjectif que le fait d’avoir conscience de quelque chose. Un étranger aurait pu dire :

« Il affirme qu’il dit vrai », « je crois qu’il dit vrai » ; 

mais il ne saurait garantir : « lisait qu’il dit vrai, il a conscience d’être sincère ". En protestant de l’état de conscience du témoin, l’évangéliste montre qu’il ne se distingue pas de ce témoin lui-même.

L’emploi du verbe’/i’/n au présent le confirme. Ce présent n’est pas contredit par le parfait ij.tii.r/.p-jç, r : /.vj, car ce dernier peut fort bien s’entendre d’un témoignage que le disciple a déjà rendu et qu’il continue de rendre. Le présent /£/£( garde sa pleine signification. Or, il ne peut s’entendre d’un témoin que l’évangéliste contemplerait hors de lui-même dans le passé ; il ne se conçoit bien que si le témoin qui dit présentement la vérité n’est autre que l’évangéliste écrivant son témoignage actuellement.

La finale du verset achève de justifier cette interprétation. L’auteur déclare que le témoignage du disciple a pour but de donner la foi. A qui ? Aux lecteurs de l’Evangile. Or, c’est exactement le langage que l’évangéliste tient dans sa première conclusion, quand il veut exprimer le but de son Evangile même : xx, 31 ; cf. I Jean, 1, 3 ; v, 13. On ne comprend cela que si le témoignage du disciple s’identifie au récit de l’évangéliste. c’est-à-dire si le disciple ténu)ignant pour donner la foi aux destinataires de l’Evangile, est l’évangéliste lui-même écrivant pour former ses lecteurs à la foi.

Chacune de ces indications, prise à part, est très significative ; leur réunion constitue une preuve qu’on a le droit de déclarer péremptoire. Rknan, Vie de Jésus, p. 537 ; L’Eglise chrétienne, p. 52 ; Juelichkr, Einleitung in das N. T., p. 326 ; E. A. Abbott, art. Gospels, dans VEncycl. bibl., t. II, col. 1795 ; P. Wkrnlb, Die Anffinge unserer Religion, 2 « éd., 1904, p. 456 ; Die Quellen des Lebens Jesu, p. 13 ; LoisY, Le quatr. Evang., p. 889-890.

Il est donc établi que l’évangéliste a l’intention de 1679

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se faire prendre pour le disciple que Jésus aimait. Quelle est la personnalité exacte de ce disciple que l'évangéliste prétend être ?

175. 2° Le disciple aimé de Jésus est l’apôtre saint Jean. — i" Le disciple bien-aimé n’est pas un simple type allégorique, mais un personnage réel. — Quelques critiques, ne pouvant se résoudre à admettre que l’auteur du quatrième Evangile soit en réalité un disciple de Jésus, l’apôtre Jean, et trou-Aant difficile de soupçonner en l’identification si discrète de l’auteur l’artifice d’un faussaire, ont prétendu que le bien-aimé auquel il veut s’identifier serait un disciple purement idéal, un témoin spirituel du Christ, le type du croyant parfait conçu dans son âme mystique et en lequel il s’incarne pour ainsi dire fictivement. J. Réville, Le quatr. Evang., p. 316-318 ; LoisY, Ze quatr. Evang., p. 126-129.

176. C’est une hypothèse insoutenable. — Il est certain, en effet, que, dans l’appendice, le bien-aimé est regardé comme un personnage très réel. Ce n’est pas d’un type figuratif qu’on peut se demander s’il doit mourir ou non. Le disciple paraît d’ailleurs bien connu dans le milieu où se publie l’Evangile, et l’on reconnaît volontiers que ce doit être le fameux Jean d’Ephèse (n° 145). Or, l’appendice est de la même main que le reste de l’Evangile (n" 167 sq.). On ne peut évidemment songer que l’auteur ait envisagé le personnage comme réel dans le dernier chapitre, et comme fictif dans les vingt premiers.

A prendre seulement ces vingt premiers chapitres, on remarque que le plus grand nombre, la presque totalité des personnages sont les mêmes qui figurent dans la tradition historique des Synoptiques. Ce sont les apôtres bien connus, Pierre, André, Philippe, Thomas, Jude, Judas ; c’est Jean (Baptiste), Marie de Magdala, Marthe et Marie deBéthanie, Joseph d’Arimathie, Anne, Caïphe, Pilate, Barabbas, sans compter la mère de Jésus, Joseph son père, et ses frères. Tous ces personnages apparaissent aussi vivants que dans les premiers Evangiles, avec des renseignements non moins précis sur leur lieu d’origine, leur famille, et les traits distinctifs de leur individualité. Impossible de les prendre pour de purs symboles. Or, est-il à croire que l'écrivain ait mêlé à ces personnages très réels et qu’il ait mis en relations familières avec eux une simple figure allégorique ?

De fait, qu’on examine les différentes scènes où parait ce disciple, il ne se montre nulle part avec les caractères du type symbolique, partout au contraire comme un personnage très vivant. Il ne peut être le gnostique idéal, ni à la dernièi-e Cène, xiii, 22-25, où il est obligé, sur l’invitation de Pierre, d’interroger le Sauveur pour connaître le traître ; ni au pied de la croix, XIX, 25-35, où la mère de Jésus ne saurait être prise pour la sj’nagogue juive confiée à l’Eglise chrétienne ; ni dans la démarche au tombeau, xx, 2-10, où il est averti par Marie-Madeleine, laisse Pierre pénétrer le i)remier dans le sépulcre, ne croit à la ])arole de Marie qu’après avoir constaté de ses yeux l'état des linges et du suaire, et ne semble pas songer encore aux Ecritures qui prédisent la résurrection. — C’est sans doute encore le bien-aimé qu’il faut voir dans le disciple qui participe à l’appel d’André, i, 35-40, et dans celui qui accompagne Pierre dans la cour du grand-prêtre, xviii, 15-16 : or, dans le premier épisode, il paraît en anonyme et ne joue aucun rôle ; dans le second, il est appelé simplement « l’autre disciple », et se contente de négocier avec la portière l’entrée de Simon dans la cour du palais. Un personnage ainsi présenté n’est évidemment pas conçu par l'évangéliste comme un type figuratif.

Il faut donc, avec le plus grand nombre des criti ques, maintenir comme certaine la réalité historique du disciple bien-aimé. Qui était ce personnage ?

177. 2'^ Le disciple bien-aimé est un des apôtres.

— Quelques critiques ont prétendu y voir, non un apôtre, mais un simple disciple du Sauveur. Hugo Delff, Bas vierte E’angelium wiederhergestellt^ 1890, p. 12 sq. ; BocssET, Die Offenbarung Johannis, 1896, p. 44-47 ; ^'ON SoDEX, Urchristliche Literaturgeschichte, igoô, p. 217-220.

C’est là une hypothèse sans probabilité. Le bienaimé est présenté, soit dans l’appendice, soit dans le corps de l’Evangile, comme ayant participé à la dernière Cène. Or l’examen du quatrième Evangile, comme des Synoptiques, montre que seuls les apôtres assistèrent à ce dernier repas : Marc, xiv, i^, 20 ; Mat t h., -s.-Kyi, 20 ; Luc, xxii, 14, 'io ; Jean, xiii, 16, 18 ; XV, 16 ; XVII, 18, 20 ; cf. VI, 71. D’ailleurs, le bienaimé n’occupe pas une place quelconque au Cénacle : il paraît à côté de Pierre, tout auprès du Sauveur. Dans tous les autres épisodes où il figure, on le voit en relation spéciale avec les principaux d’entre les apôtres, comme faisant partie du même groupe, et se trouvant sur le même rang, dans la compagnie la plus intime du Maître. Il nest pas possible qu’un tel personnage ait été un simple disciple, demeuré par ailleurs complètement inconnu.

A considérer donc les données les plus profondes du livre, aussi bien que les premières apparences (n° 148), le disciple aimé de Jésus ne peut être qu’un apôlre, et même, pour être associé de la sorte à Simon Pierre, un apôtre éminent.

178. 3° Ce doit être un des fils de Zébédée. — Or, on ne voit que les fils de Zébédée sur qui le choix puisse se porter. Ils sont, avec Pierre, au premier rang dans l’histoire synoptique : Marc, i, lô-rg ; iii, 16 ; v, 37 ; IX, I ; X, 35 ; xiii, 3 ; xiv, 33, et parallèles. Dans le quatrième Evangile, ils ne sont nulle part nommés, si l’on excepte la mention coUective : « les fils de Zébédée », au chap. xxi, 2, tandis qu’on y voit figurer expressément les principaux apôtres, Pierre, André, Philippe, Thomas. Ce double fait invite à chercher notre disciple dans l’un ou l’autre de ces deux apôtres.'

Ce qui y invite également, c’est l’association probable du bien-aimé à André, lors de leur appel, i, 35-40. Les premiers disciples de Jésus, en effet, paraissent en relation d’origine les uns avec les autres : André trouve en premier lieu son frère Simon et l’amène au Sauveur, i, 4 ' ; il trouve en second lieu Philippe, qui était du même village de Bethsaide, i, 44 ; à son tour, Philippe trouve Nathanacl, qui était de Cana de Galilée, i, 45 ; xxi, 2. Cela donne à penser que l’anonyme lui-même était en relation étroite avec André, et sans doute aussi son compatriote. Tout s’explique, s’il est un de ces fils de Zébédée qui avaient coutume de pêcher sur le lac de Galilée, en compagnie d’André et de Pierre, Marc, i, 16-20.

Le récit final de la pêche miraculeuse donne une impression semblable. Le bien-aimé est représenté, expressément cette fois, dans la barque de Pierre. D’autre part, l’auteur énumère en tête de son récit les divers personnages de la scène : ce sont Simon Pierre, Thomas, Nathanaël, « les fils de Zébédée », et « deux autres disciples » anonymes, xxi, 2. Dans cette énumération doit sûrement être compris le personnage qui joue avec Pierre le rôle principal, savoir le disciple que Jésus aimait. Or, il n’est pas vraisemblable qu’il faille le chercher parmi « les deux autres disciples » anonymes : on ne comprendrait pas que l’auteur l’ait renfermé dans cette fornmle générale, associé à un autre disciple inconnu, au lieu de le pi'ésenter séparément et dès l’abord avec le titre spécial sous lequel il figure dans la suite du récit. Il est 1681

EVANGILES CANONIQUES

1682

l)ien plulôl à chercher parmi « les fils de Zébédée » : si le bien-aiiué, en effet, est un de ces deux frères, on s’explique sans peine que l’auteur, au lieu d’employer la formule singulière : a le- disciple que Jésus aimait et son frère Jacques », ait préféré dire simplement :

« les lils de Zébédée ».

179. 4" // n’est autre que l’apôtre Jean. — Entre Jacques et Jean le choix ne saurait être douteux. Jacques périt de bonne heure, par ordre d’Hérode Agrippa, Jet., xii, 2. Dans l’histoire des premiers jours de l’Eglise, c’est Jean qui se trouve particulièrement associé à Pierre, comme si déjà leur sort avait été étroitement uni par le Maître : Act., i, 13 ; iii, i, 3. 13 ; IV, 13, 19 ; VIII, 14 ; cf. GaL.u.^.

Ainsi l’on est conduit, d’une manière qui semble rigoureuse, à allirmer que, dans la pensée du quatrième évangéliste, le l)ien-aiiné est identique au plus jeune des lils de Zébédée, à Tapùtre saint Jean.

Cette conclusion reçoit une confirmation décisive du fait que, dans le dernier chapitre, le bien-aimé est identifié clairement au fameux Jean d’Ephèse.ce qui équivaut à son identification expresse avec l’apôtre saint Jean. RE ?fAN, Vie de Jésus, p. lxv, lxvii ; LEglise chrétienne, p. 52 ; Zes Evangiles, p. 429 ; L’Antéchrist, p. 568 ; Harnack, Chronologie, t. 1, p. 6~5 ; Abbott, art. Gospels, dans VEncycl. hihl., t. II, col. 1794.

180. 3" On ne saurait suspecter la vérité de cette identlûcation. — L’auteur du quatrième Evangile s’identifie à l’apôtre saint Jean. Peut-on voir dans cette identification l’artifice d’un faussaire ? Cela semble impossible.

Les mêmes difficultés qui s’opposent à ce que les éditeurs du livre aient fait passer indiiment l’ouvrage pour l’œuvre de Jean d’Ephèse, identifié à Jean l’apôtre (n" 146), empêchent de supposer que l’évangéliste, s’il n’était pas en réalité cet apôtre, censé bien connu de ses lecteurs asiates, ait tenté de se faire prendre pour lui, et y ait réussi si parfaitement. Il ne s’agit pas, qu’on le remarque l>ien, d’une production apocryi)he quelconque, qui aurait été j)ubliée sous le couvert d’un personnage totalement étranger à la région, dont nul en cet endroit n’aurait connu au juste l’activité littéraire. Il s’agit d’un Evangile, présenté sous le nom de l’apôtre Jean, à ces mêmes chrétiens d’Ephèse qui ont au et entendu le fils de Zéliédée, qui savent très l)ien et peuvent très facilement contrôler si, oui ou non, l’apôtre a composé et transmis cet écrit. Dans ce milieu et à cette époque, il ne semble pas qu’on puisse concevoir la tentative audacieuse qu’il faudrait supposer, et encore moins son succès.

Ce n’est pas tout. L’iiypothèse de la fiction est encore (contredite par la façon extrêmement discrète dont se présente l’identification de l’évangéliste avec l’apôtre témoin. Les auteurs des Evangiles apocryphes ont soin de mettre en évidence ia marque de l’origine qu’ils veulent attribuer à leurs écrits, et en quelque sorte la signature des apôtres sous les noms desquels ils prétendent les faire passer (cf. n° 119). Un faussaire qui aurait voulu présenter le lils de Zébédée comme auteur de l’Evangile, ne l’aurait pas fait a])paraître dans le récit d’une manière si constamuu’ut objective ; encore moins comprendrait-on de sa pjirt la façon si délicate dont les passages xix, 35 et XXI, 2/1 laissent transparaître l’attestation du discii)lo témoin.

Le témoignage du livre ne saurait donc cire suspecté. L’évangéliste est en réalité celui qu’il prétend être : le disciple aimé de Jésus, l’apôtre saint Jean.

181. CoM-iKMATiH. — Le témoignage des Epî tres johanniques. — Notre conclusion se trouve confirmée par ce que nous pouvons établir de l’origine des Epîtres johanniques.

Les Epitres johanniques sont du même auteur que le quatrième Évangile. — Les Epîtres sont sfirement de la même main que le quatrième Evangile, tant de part et d’autre les idées sont semblables, les particularités littéraires identiques : mêmes antithèses, de Dieu et du monde, du Christ et du diable, de la vérité et du mensonge, de l’amour et de la haine, de la lumière et des ténèbres, de la vie et de la mort ; mêmes associations d’idées, très spéciales (comparer I Jean, i, 6, avec Jean, iii, 21 ; I Jean, 11, l^, avec Jean, xiv, 21, 23 ; I Jean, iii, 16, avec Jean, xv, 13 ;

I Jean, v, 3, avec Jean, xiv, 15) ; même manière de déAelopper l’idée en une série de propositions courtes et incisives, en forme de parallélisme explicatif, ou plus souvent antithétique (comparer I Jean, 11, 10, aec Jean, xi, 10 ; I Jean, 11, 23, avec Jean, v, 28 ; lJean, v, 12, avec Jean, iii, 36) ; même habitude de commencer une phrase par un pronom démonstratif et de la relier à une proposition subordonnée par une conjonction (comparer I /ea « , iii, 8, 11, 16, 28, avec Jean, iii, 19, etc.) ; même façon de revenir en arrière sur les membres antérieurs d’une phrase, par une série de reprises qui en mettent en relief les divers points de vue (comparer I Jean, iii, i-io, avcc Jean, xv, 12-17). — L’unité d’auteur de ces écrits est admise des critiques libéraux les plus réputés : Renax, Vie de Jésus, p. 538 ; L’Eglise chrétienne, p. 50-51, 7g ; Harnack, Chronologie, t. I, p. 658, n. 2 ; Abbott, art. Gospels, dans VEncyl. hihl., t. II, col. 1818 ; JuKLiciiER, Einleitung, p. 194-196, 199-200.

188. Or, elles sont l’œuvre de l’apôtre saint Jean.

— L’auteur de la I" Epître se donne pour un témoin oculaire du Christ : I Jean, i, i-5 ; iv, 14. Dans les deux autres, il se nomme « le Presbytre » ou « l’Ancien » par excellence : II Jean, i ; III Jean, i. Etant donné le milieu asiatique où ces Epîtres ont été publiées, ce Presbytre ne peut être, semble-t-il, que l’illustre Ancien d’Ephèse connu sous le nom de Jean, et que nous savons identique à l’apôtre de ce nom.

183. Impossible ici encore de supposer une fiction littéraire. — La façon dont l’auteur de la 1"= Epilre se borne à rappeler, dans les premiers Aersets, sa qualité de témoin du Verbe de a ie, n’est pas d’un écriA’ain qui aurait a-ouIu se faire prendre pour Jean l’apôtre ; et comment croire que le ton si pénétrant, de tendresse paternelle et de douce autorité, qui caractérise cette Epître, soit après tout l’œuvre d’un faussaire ?

L’hypothèse est encore moins soutenable en ce qui concerne les deux petites Epîtres. — Ce sont, en effet, des lettres adressées à des destinataires précis. A supposer qu’il faille Aoir, dans la « Dame Elue », à laquelle est écrite la seconde, le qualificatif symbolique d’une chrétienté, il ne s’agit jjas d’une chrétienté purement idéale, mais d’une communauté concrète et bien déterminée, comme le montrent les détails du A-. 12, où l’auteur exprime son espoir de Aisiler bientôt en personne ceux à qui il se contente pour le moment d’écrire. Il n’est d’ailleurs aucunement établi qu’il s’agisse d’une Eglise : la mention des <i fils » de la Dame Elue et des lils de sa ( sœur »,

II Jean, i-13, semble s’opposer à une telle interprétation. Il est encore plus difficile de Aoir dans Gains, le destinataire de la troisième Epître, un jjersonnage typique ou imaginaire : au A’. 9, Gains paraît expressément distingué de l’Eglise ; au A’. 1 4, les salutations sont tout à fait personnelles. — Or, peut-on croire que des lettres ainsi conçues et ainsi adressées soient des faux littéraires ? Qui donc aurait osé usurper l’autorité du fameux Presbjtre, en publiant sous 1683

ÉVANGILES CANONIQUES

1684

son nom, dans le milieu même où il était si aisé de vérifier les choses, des lettres adressées à des communautés connues et à des personnes déterminées ? Est-il d’ailleurs possible de songer à une composition apocryphe pour de simples billets, si peu tendancieux, presque entièrement composés de détails personnels, très vivants ? II Jean, 12-13 ; 1Il Jean, 9-10,

I2-l4.

Les Epitres johanniques sont donc en réalité du Presbytre, témoin oculaire du Seigneur, sous le patronage duquel elles sont mises, c’est-à-dire de l’apôtre saint Jean. Tel est donc aussi le cas du quatrième Evangile, qui a le même auteur.

184- Conclusion. — Rassemblons les données acquises tant par la critique interne du livre que par la critique externe.

Le quatrième Evangile, publié en Asie Mineure à la fin du i" siècle, prétend avoir pour auteur l’apôtre .lean, censé bien connu de ses lecteurs. Toute la tradition, même la tradition asiate, du ii*’siècle, l’a tenu précisément pour l’œuvre de cet apôtre. — De fait, la façon délicate dont l’évangéliste s’identifie à saint Jean, bien difierente de la manière ordinaire des faussaires, est de nature à inspirer confiance. D’autre part, il est historiquement démontré que Jean l’apôtre résidait à Ephèse vers l’époque à laquelle remonte l’ouvrage qu’on lui attribue. Il n’est pas moins certain que le rédacteur de l’Evangile est un Juif, et ([u’il connaît intimement la Palestine ancienne où s’est passée la vie de Jésus. Enfin, notre écrit est tle la même main que les Ej^itres johanniques, et celles-ci se réclament de l’apôtre saint Jean, sans qu’on puisse faire l’hypothèse d’une fiction littéraire.

Quiconque rapprochera ces faits les uns des autres et en pèsera la signification, ne pourra moins faire, semble-t-il, que d’être convaincu de l’authenticité joliannique de notre document.

188. Opinions des critiques. — Cette authenticité a été niée d’une façon absolue par Baur, Kritische Untersuchangen ùher die kanonischen Evangelien, 18^7 ; Strauss, Das Leben Jesu fur das deiitsc /ie Volk bearbeitet, 1864 ; et à leur suite, par J. RÉviLLK, Le quatrième Evangile, son origine et sa valeur historique, 1901, 2’éd., 1902 ; P. W. Schmie-DEL, art. John, son of Zebedee, dans l’Encycl. biblica, t. II, 1901, col. 2501l-2562 ; A. Loisy, Le quatriinne E’angile, igo3. D’ajjrès ces critiques, le quatrième Evangile n’aurait aucun rapport d’origine avec l’apôtre saint Jean, qui ne serait jamais venu en Asie (n°’227, 229). — Le plus grand noinl)re des critiques libéraux reconnaissent à notre document une authenticité partielle : il contiendrait un fond traditionnel, plus ou moins considérable, remontant au fils de Zébédée. Ainsi Renax, Weizsæcker, Harnack, Moffatt, p. Gardxer, E. X. Abbott, JuELicHER, Heitmueller, ctc. (n° 230). — Quelquesuns vont jusqu’à supposer une sorte de document primitif, qui aurait été rédigé par l’apôtre, retouché ensuite et complété par un de ses disciples : Wendt, Soltau, Briggs (no 231).

Les critiques catholiques tiennent généralement pour l’authenticité proprement dite de notre Evangile. P. ScHANz, Esangeliani des heiligen Johannes, 1885 ; CoRNKLY, Ilistorica et critica Introductio in U. T. libros sacros. Lntrod. spec., t. 111, 1886 ; Knabexbauer, Comment, in Evangelium secundum loaniiem, 1897 ; L. C. FiLLioN, Evangile selon saint Jean, 1887 ; E. Maxgenot, art. Jean (Evangile de S.), dans le Dicf. de la Bible, t. III, 1908, col. 1167-1172 ; P. Batiffol, Six leçons sur les Evangiles, 1897 ; Th. Calmes, IJEvangile selon saint Jean, 190/4 ; Fouard, Saint

Jean et la fin de l’âge apostolique, 1904 ; A. Nouvelle, L’authenticité du ÎV^ Evangile et la thèse de M. Loisy, 1906 ; C. Chauvin, Les idées de M. Loisy sur le quatrième Evangile, 1906 ; M. Lepin, L origine du quatrième Evangile, 1907 ; E. Jacquier, Histoire des Livres du y. T., t. IV, 1908 ; A. Brassac, J/a « f<eZ biblique, t. III, 1910. — Cette authenticité est également admise par nombre d’auteurs protestants : F. Godet, Comment, sur l’Evangile de saint Jean, 1881, 4* éd., 1904 ; B. Weiss, Einleitung in das 2Y. T., 3’éd., 1897 ; Uas Johannes-Evangeliuni, 9’éd., 1902 ; A. Resch, jiussercanonische Paralleltexte zu den Evangelien, iv Heft : Paralleltexte zu Johannes, dans les Texte und Untersuchangen, t. X, part. 4> 1896 ; Th. Zahn, Einleitung in das X. T., 2 « éd., t. II, 1900 ; Das Evangelium des Johannes, 1908 ; Reynolds, art. John (Gospel of), dans le Bict. of the Bible, t. II, 1899 ; V. Stanton, The Gospels as historical Documents, t. 1, 1908 ; J. Drummond, An Inquiiy into the Character and Authorship of the fourth Gospel, 1908 ; W. Sanday’, The Criticism ofthe fourth Gospel, 1900.

186. A consulter. — Fouard, Nouvelle, Chauvin, Jacquier, Brassac, Lepix, op. cit. (n" 188).