Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Droit du seigneur

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 603-606).

DROIT DU SEIGNEUR. — La légende du

« Droit du seigneur » est une des armes que nombre

d’auteurs dirigent encore contre l’ancien régime — que nous n’avons pas à défendre ici, — et contre l’Eglise elle-même. Point n’est besoin de définir cr dont tant de monde a parlé. Mais la chose, dit-on, aurait existé un peu partout, en Ecosse, d’où quelques doctes la prétendent originaire, en France, en Allemagne, en Suisse, en Italie ; il n’y a guère que l’Espagne qui aurait eu la bonne chance de n'êtrt pas contaminée. Laissant donc de côté toute définition, appliquons-nous à la critique des témoignages sur lesquels on s’est appuyé pour affirmer l’existence de ce prétendu droit.

Les témoignages doivent évidemment être nombreux ; il est à croire qu’un tel abus du seigneur contre le serf ne s’est pas introduit et surtout ne s’est pas perpétué sans de vives protestations, sans des résistances parfois violentes ; il n’est guère possible que la dignité humaine, condamnée pendant des siècles au plus sanglant outrage, n’ait pas fait arriver jusqu'à nous l'écho de ses plaintes, soit dans les satires parfois violentes où le noble n'était guère épargné, soit dans les Etats généraux où le Tiersétat était admis à présenter ses doléances ; or de tels témoignages sont encore à trouver. Les défenseurs du « Droit du seigneur », les prélibateurs, comme on les a nommés (A. de Foras, /.e Droit du seigneur), sont contraints de se rabattre sur des anecdotes, sur des témoignages suspects, sur des textes qu’ils n’ont pas conq)ris.

Parmi les droits parfois singuliers qui, au tenqis de la féodalité, modifiaient en tant de façons les rapports entre les personnes, il en est un ([u’oii trouve désigné sous différents noms : jus primæ noctis, maritagium, formariage, ou sous d’autres expressions plus réalistes. Plusieurs textes établissent, en effet, que ce droit ai)partenait à des évê(|nes, à des chanoines, à des seigueurs, et parft)is même à des ahbessrs. Etait-ce là le « Droit du seigneur », au sens qu’il a plu aux prélibateurs de donner à ces textes ?

Le Jus primæ noctis se rapporte à un précepte ecclésiastique fort resiiectable : soucieuse d’inspirer aux époux clirctiens le respect réei[)roque et la chasteté, l’Eglise avait reconuuandé ou ordonné aux 1191

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nouveaux mariés l’observation de la continence pendant un, deux ou trois jours. L’exemple en était pris de Tobie. Cette pratique, déjà recommandée au concile de Carlhag-e en l’an 898. devint bientôt générale, aussi bien dans l’Eglise orientale que dans l’Eglise latine, et jusqu’au concile de Trente certains casuisles la regai’dèrent comme obligatoire en conscience. Depuis le concile de Trente, elle a été encore recommandée, à titre de conseil, dans les Pontiiicaux ou les Rituels. Le Rituel romain de 1624 porte qu’on doit avertir les époux : « … quomodo (in mattimonio) lecte et christiane conversari debeuni diligentev iitstiuantH ? ex d’u-ina Scriptura, exemplo Tobiæ et Saræ i’erbisque angeli Raphælis eos docentis quant sancte conjuges debeant vivere. »

Cette pratique parut sans doute trop sévère à quelques fidèles, qui demandèrent à la remplacer par quelque bonne œuvre, par l’aumône, et c’est cette compensation pécuniaire que jîarfois des évêques ou des prêtres exigèrent à titre de Jus primæ noctis. De là ensuite des procès, comme celui de l'évêque d’Amiens, dont nous parlerons tout à l’heure ; mais nulle part il n’est dit ni insinué que cette aumône, analogue à celle par laquelle on satisfait aujourd’hui à l’obligation de certains jeûnes ou de certaines abstinences, ait jamais été l'équivalent du « Droit du seigneiu- », établi au profit des ministres de l’Eglise.

A l'égard du Jus primæ noctis, en tant que droit ecclésiastique, on n’apporte guère que les trois faits suivants :

Le droit des évêques d’Amiens est toujours mis en première ligne, dans le défilé de preuves qui sont censées établir l’existence du « Droit du seigneur ». L'évêque et les curés d’Amiens exigeaient en efl"et une redevance des nouveaux mariés. Cela donna lieu à des procès, et le parlement de Paris fut amené à rendre des arrêts contre l'évêque et les curés, notamment dans les années iSgS, 1401, 1^09, 1501. Or le texte de ces ai-rèts ne laisse pas planer le plus petit équivoque sur la nature du droit réclamé par les ecclésiastiques d’Amiens. « Défense à l'évêque et aux curés d’Amiens d’exiger argent des nouveaux mariés pour leur donner congé de coucher avec leurs femmes la première, deuxième et troisième nuyt de leurs nopces… chacun desdits habitants pourra coucher avec sa femme la première nurt de leurs nopces, sans le congé de l'évêque et de ses officiers, s’il n’y a empêchement canonique… Quant à non coucher de trois nurts avec sa femme au commencement du mariage, les demandeurs auront la recréunce, le procès pendant, et pourront les épousés coucher franchement les trois premières nuits avec leurs femmes. » Il s’agit donc bien d’une taxe établie en compensation de la continence des trois premiers jours du mariage, qui était devenue une loi en certains pays. Cette taxe n'était pas sans analogie avec celle que perçoit aujourd’hui l'évêque sur ceux qui lui demandent la dispense de la publication des bans.

Le cas du chantre de Mâcona été également signalé, comme tout à fait probant, dans la question du « Droit du seigneiu- ». On rappelle que les prétentions exorbitantes de ce dignitaire furent refrénées par l’archevêque de Lyon, qui lui interdit de percevoir plus de six deniers des nouveaux époux. Or si l’on recourt à la décision épiscopale, qui est tout entière citée dans du Cange, il en ressort tout simplement « que les habitants de Màcon, présents et futurs, pourront librement recevoir la bénédiction nuptiale, sans demander soit permission (?/ce/i^/rt), soit lettre (crt7-<a) dudit chantre ou de toute autre personne à son nom pour les droits et émoluments que ledit chantre avait coutume de percevoir de ceux qui voulaient se marier,

à cause desdites dispenses (raiione dictarum cartarum) ; chaque citoyen voulant recevoir la bénédiction nuptiale devra payer six deniers pour droit de la chanterie, disant publiquement : « Veez-ci six deniers parisis pour lo droit dou chantre de l'église de Mascon. » Sans qu’on s’explique bien ce droit du chantre de Màcon, il est par trop clair qu’il n’a rien à démêler avec le Droit du seigneur.

Mais il faut reconnaître que V affaire du curé de Bourges n’est pas tout à fait si limpide, si elle est authentique. Un jurisconsulte du xvie siècle, Nicolas BoHiEK, rapporte dans ses Z)ecis/o « es in Senatu Burdigalensium un souvenir qui lui aurait été personnel : « Et ego vidi in curia Bituricensi processum appellationis in quo rector seu curatus parochialis prætenJebat ex consuetudine primant habere carnalem sponsæ cognitionem, quæ consuetudo fuit annulata, et in emendam condempnatus. » (C. ix, p. 118.) L. Veuillot et A. de Foras, qui ont scrupuleusement discuté ce texte, en ont rejeté l’authenticité, et voici pourquoi. Les Decisiones de Boliier ont été publiées dix-huit ans après la mort de l’auteur. Un contemporain de Bohier, qui fut un des plus célèbres juristes de cette époque, Dumoulix, a écrit « qu’un grand nombre des décisions de Bohier, insérées pour augmenter le livre, ne sont pas des sentences de Bohier, déjà affaibli par l'âge, mais des allégations faites pai* des jeunes gens… sed allegationes juvenum ». Ces jeunes bazochiens en gaieté, remarque de Foras (Droit du seigneur, 18'j), ont peut-être inséré, à l’insu du pauvre président, ou même après sa mort, l’historiette graveleuse du curé de Bourges. Ce qui est certain, suivant une observation du même auteur (ibid.), c’est que Bohier, dans son traité Be consuetudinibus matrimon., publié de son vivant, ne mentionne aucune coutume relative au prétendu droit, bien qu’il y aborde des points comme celui-ci : an statim quod uxor cum viro suo, etc., ou y développe cette proposition : quod pro mortuariis vel benedictionibus nubentium non solvatur nisi certum quid. « Si ce curé a jamais existé, poursuit M. A. de Foras, — Bohier, qui a vu le procès, n’en donne ni le nom ni la date, — il était atteint de folie. Celui qui prétend avoir vu a certainement vu de travers, et celui qui accepte cette manière de voir devrait retourner à l'école. En effet, le curé n’a jamais été seigneur féodal ; admettons que le curé de Bourges l’ait été par exception, il n’aurait pas plaidé devant une cour ecclésiastique, mais devant un tribunal féodal. Tout homme versé dans la connaissance du droit du moyen âge sait que les deux juridictions civile et ecclésiastique avaient des limites parfaitement tracées et infranchissables. Cette raison pourrait nous dispenser d’en donner d’autres ; il est bon pourtant de faire ressortir l'énormissime improbabilité d’un curé revendiquant devant ses supérieurs ecclésiastiques un sacrilège et un adultère. Il faut avoir des yeux l)ien malades pour voir des monstruosités de cette sorte ; il y a là, sans nul doute, une discussion relatiA’e au droit des premières nuits, droit que nous admettons et dont nous revendiquons carrément l’esprit à l’honneur de l’Eglise, et pas auti-e chose. » (Ibid., p. 88.)

Après l'évêque d’Amiens, le chantre de Màcon et le curé de Bourges, le clergé, les moines, les couvents, sont encore pris à partie pour avoir joui du « Droit du seigneur », non plus en qualité de pasteurs visà-vis de leurs brebis, mais en qualité de seigneurs teiuporels vis-à-vis de leurs vassaux, et sous ce rapport ils méritent d'être englobés dans la catégorie de ces affreux privilégiés qui abusèrent pendant si longtemps de l’honneur des pauvres gens.

Tout le monde sait qu’au moyen âge le serf était attaché à la glèbe ; il faisait partie de la propriété 1103

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seigneuriale et se transmet lait avec elle. Il subissait cette condition moyennant certains avantages, jouissance de terres ou d’immeubles, qu’il compensait encore par les corvées, les dons en nature ou en argent. Tant que cet état de choses a duré, les seigneurs ont tenu la main à ce que leurs hommes ne désertassent pas les tènements féodaux, de même qu’ils se sont arrogé le droit d’empêcher un étranger de s’introduire sans leur permission sur leur domaine. Il résultait delà que leniariage entre gens qui n’étaient pas d’un même tènement était assujetti à la licence seigneuriale. Les mariages réalisés dans ces conditions furent quelquefois, en certains lieux, soumis à un impôt iqui était perçu à titre de droit de forniaricige, foris maritaginm. Le mariage entre gens d’un même seigneur donnait lieu aussi, dans quelques seigneuries, à la perception dun impôt spécial. Ce droit, que le seigneur s’attribuait sur ses hommes, s’est traduit parfois à propos de mariages par des sj’mboles quirépugnentesscntiellementà nos mœurs et choquent souverainement nos goûts ; le cuissage par exemple. Un seigneur mettait la cuisse dans la couche des nouveaux mariés pour signifier qu’il réservait ses droits seigneuriaux sur leur postérité : mais généralement toutes ces prétentions se réduisaient à un impôt léger, à des gâteaux, du porc salé, quelques bouteilles de vin. Cet impôt avait encore des équivalences gratuites : les nouveaux mariés devaient courir la quintaine, le dimanche d’après la noce, ou exécuter quelque tour de force ou d’adresse, pour l’amusement du puljlic. A l’abbaye de Saint-Georges de Rennes, les mariés qui ne pajaient pas la redevance étaient tenus d’aller à Saint-Hélier, et la jeune femme devait chanter en sautant jiar-dessus une pierre : « Je suis mariée, vous le savez bien ; si je suis heureuse, vous n’en savez rien. « En vérité, tout ceh avait fini par devenir très humiliant ; mais il ne s’agit pas d’apprécier ces usages.

C’est pour n’avoir pas compris ce qu’étaient ces droits de formariage, de mariage, de marquette, etc., qu’une foule d’écrivains ont osé parlé du « Droit du seigneur ».

Les partisans de ce système se vantent d’occuper une position inexpugnable. D’abord ils racontent l’origine du « Droit du seigneur ». Un acte de naissance ! Que peut-on exiger de plus précis ? Hector BoETHius, docteur écossais d’Aljerdeen (1516), raconte l’anecdote suivante, dans son Histoire d’Ecosse. Un roi écossais du nom d’Evenus, lequel vivait de longs siècles avant Malcolm, pronuilgua d’abominables lois, accordant entre autres aux seigneurs la faculté d’avoir plusieurs femmes et de jouir les i)remiers de la nouvelle mariée. Cette loi jeta de si profondes racines qu’il fallut, pour l’abolir, toute l’énergie de Malcolm, sotitenu par la reine son é|)ouse. Malcolm y réussit pourtant, en y substituant la Marquette (jiummiim aureuni « Marclietani » ocnnt), payable au seigneur comme rançon du droit précité. Qu’élaient-ce

« ju’Evenus, Malcolm et les lois ai)rogatoires

de Malcolm ? Si jamais il a existé en Ecosse un roi Evenus, il a ^écu, suivant Boëthius. hmga sæcuUi, plusieurs siècles avant Malcolm. Il y a eu quatif rois d’Ecosse du nom de Malcolm : le premier est mort en 968, et le ((uatrième en 1165. Ainsi, quaud bien même l’on voudrait entendre ([ue Boctliius parle du dernier et ({u’on réduirait ses longa stiecula en un seul siècle, on ne rap[)rocherail ré[)o(iue (bi règne d’Evenus que du XI’siècle. Mais c’est un [loint d’iiistoire bien certain que Guillaunu- le C()nquéranl n’a introduit les droits féodaux et les seigneuries territoriales en Angleterre que dans Irs années 1066 à 1087, et que les Ecossais les ont empruntés des Anglais. Conunent donc Evenus aurait-il accordé ce droit

loci doininis, aux seigneurs des villages, tandis qu’il n’en a pas existé avant la naissance de la féodalité ? Fût-il vrai, d’ailleurs, comme Fa cru Boëthius, que ces lois d’Ecosse sont de Malcolm II, ainsi que leur titre l’annonce, sa fable n’en deviendrait que plus absurde ; car Malcolm II est mort en io33, et, par conséquent, un demi-siècle avant que les Anglais eussent acquis une idée des lois féodales et des seigneuries territoriales. Mais déjà les savants ont remarqué que le titre de ces lois les attribue faussement à Malcolm II, fils deKennet, et cela par la même raison que le droit dont je traite ne peut être attribué au roi Evenus. Dès que ces lois parlaient de comtes et de barons territoriaux, ils n’ont pas balancé d’en conclure que Malcolm II ne pouvait en être l’auteur, parce que ces titres n’ont été connus en Ecosse que sous Malcolm II, qui monta sur le trône en io5^ et fut tué en 1098 dans une bataille. Bref, la première rédaction des lois écossaises est postérieure à l’introduction des coutumes normandes, c’est-à-dire des lois féodales, en Angleterre, et même postérieure au règne du roi David F’qui mourut le 24 mai 1 153 ; de sorte que tout ce que Boëthius raconte de ces lois de Malcolm II et de ce droit de première nuit, est d’autant i)lus falnileux que, sous Malcolm II, on ne connaissait en Ecosse ni seigneur, ni seigneui-ie, ni marcheta.

Allons plus loin. Voici cette prétendue loi de Malcolm II, qui fait partie de celles qui parurent sous Malcolm III, api-ès la mort de David I", en partie sous le faux titre de Leges Malcolnii Mac Kennet ejiis nominis secundi, et en partie sous celui de Regiam majestatem, où le titre de « Marchetes » se trouve, lib. IV cap. xxxi : De la marquette des femmes.

« 1° Il faut savoir que, selon les assises d’Ecosse, 

pour quelque femme que ce soit, ou noble, ou serve, ou mercenaire, sa marquette sera d’une génisse ou de trois sols, et de trois deniers pour les droits du sergent.

« 2° Et si elle est fille d’un homme libre et non

d’un seigneur de quelque lieu, sa marchette sera d’une vache ou de six sols, et de six deniers pour les droits du sergent.

« 3° Item, la marquette de la fille d’un thane ou

d’un ogethaire sera de deux vaches ou de douze sols, et le droit du sergent de douze deniers.

« li" Item, la marquette de la iille d’un comte

appartient à la reine et sera de douze vaches, »

En tout cela il n’y a pas l’ombre d’un droit analogue au prétendu « Droit du seigneur ». La Marchette des femmes concerne aussi bien les filles des nobles, comtes et thanes, que les filles des serfs. Il n’est pas possible d’y ^oir une compensation pour un droit qui aurait atteint toutes les filles d’Ecosse. On s’explicjue sans peine qu’avec un peu d’ignorance Boëthius ait hlfV[n’ttclvoi liegiam majestatem dans le sens du préjugé vulgaire ; mais aux yeux de la judicieuse critique, elle n’était destinée qu’à combattre les nuiuvaises mœurs. C’est aussi l’aA’is des meilleurs légistes anglais.

Quant aux témoignages sur lesquels on a prétendu api)uyer la pratique du « Droit du seigneur », il faut commencer par en éliminer un Ijon nombre ([ui n’ont aucun rapport avec ce droit, dans quchpie sens qu’on veuille l’entendre, ou qui sont faussement attribués à des érudils respectables. L. Veuillot a liuement raillé la tendance des adversaires qu’il cond)at, à se placer sous la protection de noms respectés. Ils renvoient à Du Cange, le savant, le consciencieux écrivain. On ouvre Du Cange, qui renvoie à Broukai-, on appelle Brodeau, qui, au lieu de vous entretenir du « Droit du seigneur », amène le sujel 1195

DUEL

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snr l’ahominahle et détestable coutume qui existait parmi les peuples septentrionaux et qui a été abolie par le christianisme.

Il est remarquable que les témoignages les plus favorables à l’existence prétendue du « Droit du seigneur » soient tous de date récente et d’une authenticité douteuse. C’est un seigneur de Louvie qui vient déclarer en 1538, dans un aveu conservé aux archives de Pau, « qu’il avait le droit de coucher la ])remière nuit de noces avec la mariée >.. L’aveu est rédigé en patois béarnais, lorsqu’il est constant qu’un acte de cette nature, pour revêtir les formes fe^gales, devait être écrit en latin ou en français. C’est, la même année (1538), un seigneur de Bizanos, gentilhomme gascon comme le précédent, qui crie par-dessus les toits Y Siniiqne droit de ses ancêtres sur les noui’elles mariées, et l’échange de ce droit contre une épaule de mouton ou un chapon ; le tout confirmé par la voix publique et la renommée. C’est peu sérieux ot peu concluant.

Autre fait, cité par un des plus récents prélibateurs, M. Delpit. « La coutume de Drucat au bailliage d’Amiens de l’an lôo^ » établirait que « quand aucun des subgiéts ou subgiettes dudit lieu de Drucat se mar je… le marié ne peut coulchier avec sa dame de neupces sans le congié du dict seigneur, ou que ledit seigneur ait coulchié a^ec ladite dame de neupces, lequel congié il est tenu de demander au dict seigneur et à ses officiers ; pour lequel congié obtenir le dict maryé est tenu bailler un plat de viande… et est le dict droit appelé droit de cullage ». Evidemment l’alternative défavorable au marié, dans le bailliage de Drucat, est une clause comminatoire, absurde, effrontée si l’on veut, mais une clause comminatoire seulement, impuissante à établir l’existence d’un droit comme le « Droit du seigneur », et surtout à le fonder ; le plat de viande, qui pouvait en empêcher l’exercice, étant une denrée trop commune,

Louvie et Drucat sont cependant les faits les plus graves qu’on ait produits dans la question ; Henri Martin (Hist. de France, t. V, p. 568) n’a retenu que ees deux là pour conclure modestement à la possibilité de l’existence de ce droit infâme. Les autres, en effet, trouvent tous leur explication naturelle dans la redevance exigée par le seigneur à l’occasion du mariage de ses tenanciers. Il suffira de citer les principaux, dépouillés de tout commentaire.

« A Auxi-le-Chàteau, quand aucun étranger se

allie par mariage à fille ou femme étant de la nation d’Auxi ou demeurant en icelle ville, ils ne peuvent la nuit de leurs neupches coucher ensemble sans avoir obtenu congé de ce faire du seigneur ou de ses officiers sous peine de LX sols d’amende. » (Bou-THORs. ) <( Simon de Pierrecourt fit à ses vassaux iremise d’un certain droit, quemdam redditum qui C41lagium dicebatur, videlicet très solidos quos miki singuli reddebant quando filias suas m.aritabant. »

« Au xiie siècle, écrit M. Léopold DELisLE, à Carpignet, 

l’abbesse de Cæn demandait trois sous au paysan dont la lille s’établissait au dehors de sa seigneurie. Au siècle suivant, les vilains de Verson acquittaient un droit semblable au profit des moines du Mont-Saint-Michel.

« Le vilain sa fdle marie
« Par dehors la Seignerie, 
« Le seigneur aura le culage, 
« Trois sols en a del mariage.
« Dans un aveu du fief de Trop, en 1^55, nous

voyons encore les vassaux tenus de payer le « cullage » de mariage. Dans l’un et dans l’autre de ces exemples, il ne s’agit évidemment que d’une rede vance en argent, ce qui autorise à donner une semblable interprétation au « droit de cullage quand on se marie », que le comte d’Eu avait sur ses hommes deSaint-Martin-le-Gaillard. » (L. Delisle, £<M(/es, etc.)

Il serait superflu d’allonger cette liste de témoignages. Le « Droit du seigneur » est une question jugée, après les sérieuses études de L. Veuillot et A. DE Foras en France, de Karl Schmidt en Allemagne. Aux preuves résumées ici, il ne reste à ajouter comme dernier degré d’évidence que le passage du Grand Coustumier général cité par de Foras, (p. 372) :

« Item peux et dois sçavoir et entendre par la

raison des sudite que s’il ain-ivait que le seigneur couchast avec la femme de son homme féodal ou avec sa tille qui pucelle serait ou sa parente, sachez que l’homme féodal doit à toujours être exempt de son seigneur. » C’est-à-dire qu’il devenait complètement libre.

« Par cas opposite, si l’homme féodal gisait avec

la femme de son seigneur, ou avec sa fille, pourtant qu’elle fust pucelle, sachez que l’homme féodal en ce faisant perd son fief et doit perdre ce cju’il tient dudict seigneur. Et si c’estait homme tenant en cotterie, si doit tout le sien estre mis en la main du seigneur. »

Louis Veuillot : Droit du seigneur. — A. de Foras : Le Droit du seigneur, 1887. — Karl Schmidt : Jus primæ noctis. Fribourg 1881. — R^vue des questions histor., t. I, p. 95 ; t. VI, p. 304 ; t. XIV, p. 702.

P. GUILLEUX.