Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Dolet (Etienne)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 600-601).

DOLET (ETIENNE). — Etienne Dolet est né à Orléans, en 1509, d’une lamille estimée dans la province, mais qui n’y a laissé aucune trace ; il a été brûlé par jugement du parlement de Paris, sur la place Maubert, le 3 août 1546, juste trente-sept ans après sa naissance. Sa vie est très connue ; elle a été écrite par Ainelot de la Houssaje, Niceron, Née de la Rochelle, tous les auteurs de Biographies ou de Dictionnaires. On s’est avisé dans ces derniers temps d’en faii’e un martyr. M. J. Boulmier a consacré tout un volume à son apologie ; œuTe sans critique, comme l’auteur nous en prévient loyalement : « Je ne suis pas un greffier ; je suis un avocat, et Dolet est mon client… Dolet est mon homme ; j’épouse toutes ses haines, je m’enfièvre de toutes ses colères, je m’exalte de tous ses enthousiasmes. » — (^Etienne Dolet ; sa vie, ses œuvres, son martyre. Paris, 1857, in-8°. Proème, p. xiv.) Ce n’est pas là qu’il faut chercher la vérité, pas plus qu’au pied de la statue de la place Maubert.

Un court résumé de sa vie va nous la dire. Etienne Dolet commença ses études à Orléans au moment lie l’épanouissement de la Renaissance. A douze ans, on l’envoya à Paris, tout plein d’amour déjà pour Cicéron, et il y suivit le cours d’éloquence latine de Nicolas Bérauld, un autre Orléanais, qui avait été précepteur des Coligny. De là, il alla en Italie, séjour obligé de tous les humanistes ; il resta trois ans à la célèbre Université de Padoue. où professait Simon de Villeneuve, dont il fut le disciple et l’ami. Il suivit à Venise Jean du Bellay, le futur cardinal, ambassadeur de France, et lui servit de secrétaire. Il } prit une maîtresse, qui s’appelait Helena et lui laissa de tendres et douloureux souvenirs, ([u’il célébra en vers latins, cultivant en même temps la muse française, avec la manière semi-latine ou grecque de tant de poètes du temps.

Puis il vint à Toulouse, pour étudier le droit. Mais sa sulîisance, son caractère difiicile, ses attaques virulentes contre les étudiants d’Aquitaine ou les Parlements, lui suscitèrent beaucoup d’ennemis, et il se fit expulser. Il avait Aàinement concouru aux Jeux floraux et se plaignait de l’injustice des hommes.

Il se rendit à Lyon, où il critiqua sans raison Erasme et Scaliger, et fit paraître en 1535 son grand ouvrage intitulé : Commentarii linguæ latinae. L’année suivante, il se lit imprimeur ; et nombre de liTes savants sont sortis de ses presses ; mais, en même temps, il se mit à poursuivre de quolibets la religion et ses ministres, se représentant comme Stoïcien, ou Epicurien, surtout comme libre-penseur : Libère vivere, vivere est

Il venait d’avoir, à la fin de 1536, une aventure malheureuse : il tua dans une querelle un peintre nommé Compaing, fut condamné, emprisonne, et gracié par François I^"", auquel il avait adressé une pièce de vers. Mais, étant venu à Paris, il fut mis à la Conciergerie, accusé par la Sorbonne d’avoir 1185

DROIT DIVIN DES ROIS

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traduit « la saincte Escripture en langue vulgaire ». Le crédit de Pierre du Chàtel, évêque de Tulle, le sauva, et il recou-vTa sa liberté ; mais on brûla treize <le ses ouvrages. L’arrêt du Parlement est du 14 février 1543.

De retour à Lyon, un nouvel esclandre le fît encore arrêter ; et cette fois, il réussit à s'échapper, et se réfugia en Piémont, où il composa son Second Enfer. Ses épîlres étaient dédiées au duc d’Orléans, au cardinal de Lorraine, à la duchesse d’Estampes, à la reine de Navarre, « la seule Minerve de France ». Pour son malheur, il voulut revenir à Lyon imprimer encore quelques livres de doctrine très douteuse. Il fut appréhendé, conduit à Paris, déclaré hérétique le 5 novembre 1544 pai' la faculté de théologie, et condamné deux ans après par le Parlement à être brûlé vif.

On lui reprocliait de nier l’immortalité de l'àme, et on incriminait cette traduction d’un dialogue de Platon, arrangé par lui : « Après la mort, tu ne seras rien du tout. « Autrefois, il avait écrit dans une épilre à son ami Cottereau (Carm.l, 15. 1533) :

Ne mortis hotre spicida, quæ dahit Sensu carere, vel melioribus

Locis tegi, et statu esse læto,

Elysii est nisi spes inanis.

Assui'ément la peine était dure. Mais Dolet ne fut pas condamné sur ces seuls textes. Il avait depuis ([uinze ans attaqué constamment les hommes et les institutions. Il s'était plu à violer les lois de son pays. Cinq fois poursuivi, ayant un meurtre sur la conscience, de l)ienveillantes influences l’avaient délivré. En dernier lieu, François I" lui avait accordé, enjuin 1543, une lettre de rémission, signée àVillersCotlerets, confirmée le " août suivant et imposée en quelque sorte au Parlement, par laquelle il lui eflaçait toutes ses accusations, y compris celle de l’homicide de Conipaing, « à la condition qu’il abjvirera ses erreurs ». (Catalogue des actes de François /", t. IV, p. 460, 4 ; 8 et 503.) Il ne tint compte d’aucun avertissement. Intelligent, instruit, ayant étudié les lois, il savait de plus, par expérience, à quoi il s’exposait. Tous les gouvernements condamnaient alors l’hérésie, ou l’attaque aux croyances religieuses professées par l’universalité. C'était dans les habitudes d’un temps où on ne connaissait pas la tolérance. Il fallait suivre la religion du prince, ou du moins ne pas la battre en brèche. La Réforme commençait ; et, dans toute l’Europe, on la combattait par les mêmes moyens.

Plus tard, les protestants appliquèrent ces mêmes lois aux catholi(pu’s. là où ils furent les plus forts. En Angleterre, Elisabeth et Jacques I" en usèrent non moins (hiremcnt contre les Puritains. C’est peut-être en France qu’on trouve chez les soiivcrains le plus dexemi » Ies de modération et d’indulgence. Etienne Dohl ne ])eut être nommé un martyr : il n’avait aucune foi ; il ne défendait aucune croyance ; c'était un sceptitpie, un frondeur et un rebelle. On l’appela relaps dans son temps ; aujourd’hui, on l’appellerait seulement récidiviste. On ne trouve pas dans les livres ou mémoires de l'époipie une réclamation ou même une pitié pour sa condamnation dernière.

— On | » cut consuitci' sur lui un ouvrage intéressant de M. Ricliard Copliy Christic (Et. Dolet, London, Macniillan, 1880). cl une biljliographie très conq)léte des écrits de Dolet, dans l'édition française remaniée, traduction C.Stryicnski, in-8'Fischbacher, 1886. — Le Procès d Etienne Dolet, par A. Taillandier. Paris, 1836, in-B ».— Un article, relativement modéré.

dans la nouvelle édition de la France Prolestante t. V (1885).

Comte G. Baguexault de Pcchesse.