Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Culte chrétien

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 424-434).

CULTE CHRÉTIEN. — I. Les objections. — II. Xotionssur le culte chrétien. — III. Caractères du culte chrétien. — Origines. — IV. Influences juives et païennes. — V. Evolution du culte et magistère.

I. Les objections. — Le culte chrétien a été l’objet d’attaques diverses. On reconnaît assez volontiers cpie, dans son ensemble, le culte chrétien est touchant, qu’il parle au cœur, qu’au point de vue esthéticiue il exprime des conceptions élevées et grandioses, qu’il est bien fait pour les foules. Les pages de Chateaubriand n’ont pas encore perdu leur portée, et la liturgie serait plutôt, sous cet aspect, pour l’apologétique un argument dont on n’a pas encore assez tiré parti. Mais on reproche au culte chrétien d’être trop humain, de s’être surchargé en route d’éléments étrangers, juifs et païens. Le Christ n’avait établi aucun culte, ou plutôt il proscriA-ait le culte extérieiu ", et ne A’oulait d’autre culte que le culte intérieur. 833

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l’adoration du cœur, in spiritu et veritate, il veut une religion sans prêtre et sans autel et n’admet d’autre temple que celui de l’àme. Tout cet ensemble compliqué, qui forme la liturgie catholique, ne serait pas d’origine chrétienne, et devrait être condamné au nom d’un christianisme plus pur.

Ces objections ont d’abord été formulées par les protestants du XVI* et du xvii* siècles, qui attaquèrent avec violence les cérémonies de l’Eglise, comme entachées d’idolâtrie et de paganisme, et surtout la messe. Elles ont été reprises de nos jours surtout, encore par des protestants. En effet, on peut dire que, si le protestantisme était logique, il arriverait, comme y arrivent les i)rotestants liljéraux, à cette conclusion que le culte doit être purement individuel, privé. Chacun doit se faire son culte, comme sa religion et son credo, d’après les principes du libre examen. Les âmes fidèles « arrivent à trouver le culte pur du Dieu intérieur, qu’on cherche vainement au dehors et qu’on lînit par découvrir en soi ». (Sabatif.h, Esquisse d’une philosophie de la religion, iqoS, p. 5.)

Mais encore dans ce système est-on amené par la force des choses, et non sans quelque contradiction, à reconnaître que ce culte intérieur peut devenir extérieur et social, grâce à cette parenté religieuse des âmes, à cette communion de pensée, d’inspiration, qui ne peut venir que de la présence en chacun du même Dieu intérieur, ’< l’ébranlement donné à une àme retentissant dans toutes les âmes sœurs, qui se mettent à Aibrer et à rendre le même son ». (Ibid., p. 54, sq.)

Parmi les plus célèbres de ces attaques contre le culte catholique, nous citerons Middleton, dont la lettre, souvent réimprimée, et du reste sans aucune valeur scientifique, est devenue une arme de combat aux mains des protestants. C est un pamphlet sans critique, écrit par un protestant radical et sectaire qui trouve idolâtrique le culte rendu à l’Eucharistie : les saints peints en rouge rappellent les dieux païens peints delà même couleur, les croix placées aux carrefours sont un c « *uvenir païen, comme Ovide en fait foi, les flagellants sont une imitation des prêtres de Bellone, etc. (Voir à hi bibliographie.)

Les mêmes objections ont été reprises et développées sous toutes les formes dans les ouvrages ou les dissertations que nous citons dans la bibliographie. Ces objections ne sont pas restées sans réponses, et les controversistes catholiques ont écrit sur ce sujet des ouvrages dont quelques-uns ont une vraie valeur, notamment celui de Marangoxi, (Voir aussi la bibliographie.)

II. Notions sur le culte chrétien. — Pour procéder avec ordre, nous donnerons d’a])ord les notions essentielles sur le culte chrétien.

On définit d’ordinaire le culte : un hommage ( « o/a submissiunis, une marque de soumission) en reconnaissance de la supériorité et de l’excellence de quelqu’im, nota suhniissionis où agnitarn excellentiain alterius. C’est la définition la i)lus généraU- du culte, donnée par saint Jkan Damascknh, et adoptée ensuite par la plupart des théologiens. (J. D.^.masc., Orat. III de imaginihus, n. 26, P. G., t. XCIV, col. iS^G ; Cf. Lessius, de virtulihus moralihus, 1. II, c. xxxvi, Louvain 1605, p. 4^2 ; db Lugo, De Incarnatione, disp. XXXIII, sect. i, Venise, 17 18, p. 802 ; De justitia et jure, disp. XIV, sect. i, Venise, 1718, p. 288 ; Fhan-ZBLiN, de Verbo incamato, th. xlv, Rome, 1894, p. 4^6. Cf. A. CiioLLKT, nid. de théol. catholique, au mot Culte en général.) On comprend que, sous cette forme très générale et comme imprécise, le culte peut admettre divers degrés d’intensité ou de valeur, et s’adresser à des cires de catégories très différentes.

Il y a le culte d’un héros, le culte du père dans la famille, ou du chef dans la tribu, et enfin le culte religieux qui s’adresse à Dieu.

Le culte dont nous nous occupons ici est entendu dans un sens plus spécial, c’est le culte chrétien. Il pourrait être défini : L’hommage rendu à Dieu, à Notre Seigneur, à ses saints, et d’une façon générale aux êtres ou aux objets qui ont avec Dieu certains rapports spéciaux. Ici encore ce culte comprend des degi’és. S’il s’adresse directement à Dieu, c’est un culte supérieur, absolu, suprême, et, comme disent les théologiens, un culte d’adoration ou de latrie, Otozi^-iy. ou ly.tpiiv.. Si cc culte ne s’adresse qu’indirectement à Dieu, s’il a pour objet la vénération des martyrs, des anges ou des saints, c’est un culte subordonné, dépendant du premier, relatif, désigné par les théologiens sous le nom de culte de dulie, Sovsiv., qui exprime cette dépendance’. La vierge Marie ayant parmi les saints un rang tout à fait à part et absolument suréminent, le culte qui lui est rendu reçoit le nom d’hyperdulie, ùzspôoy/iiy.. (Sur le sens de ces termes et leur histoire, cf. Suicer, Thésaurus ecclesiasticus, 1728, sous ces mots.)

D’après ces principes, on comprend qu’un certain culte peut être rendu même à des objets inanimés, comme les reliques d’un martyr, la croix du Sauveur, la couronne d’épines, ou même la statue ou l’image d’un saint ; il n’y a pas ici confusion, ni danger d’idolâtrie, car ce culte est subordonné, dépendant. On vénère la relique par suite du lien qui l’unit à une personne adorée ou vénérée ; ou même, comme dans l’image et la statue, on voit dans cet objet un rapport conventionnel avec une personne qui a droit à notre hommage, un symbole qui nous la rappelle. (Voir Dict. de théol. catholique, au mot Adoration, t. I, p. 437 sq. et les auteurs cités à la bibliograi)hie.)

Ces distinctions étaient nécessaires pour la clarté de l’exposition qui va suivre. On peut dire qu’elles dominent toute cette discussion, et c’est pour l’avoir oublié cjue tant d’objections contre le culte chrétien se présentent avec une apparence spécieuse et peuvent égarer un esprit non préparé 2.

III. Caractères du culte chrétien : origines. — Jésus n’abolit pas d’un coup les cérémonies et les rites du culte juif. Quand on afïirme qu’il s’est contenté d’un culte tout intérieur, condamnant par là même le culte extérieur, c’est une affirmation purement gratuite et même démentie par les faits. Il est certain au contraire que N. S. va au temple pour la prière, qu’il célèbre la pàque et les fêtes juives ; il reçoit le baptême de Jean, s’astreint au jeûne, impose les mains aux malades, bénit les pains en rendant grâces, chasse les démons avec exorcisme et donne aux disciples le pouvoir de les chasser en son nom ; il est à peu près certain ([u’il a dû se soumettre à toutes les prescriptions du culte juif. Car une dérogation sur un point ou sur l’autre eût sûrement entraîné des protestations dont un écho se serait conservé dans les évangiles. Le seul point où se manifeste une protestation de ce genre, est l’observation du sabbat et de certaines prescriptions que les Pharisiens gardaient avec un esprit trop étroit.

Les apôtres et les disciples à Jérusalem continuèrent

1. Le mot SouÀsi’x signifiant servitude, on a aussi entendu cc terme comme s’il s’ap|)liquait aux saints eux-mêmes qui sont les serviteurs de Dieu, SoOmi, Cf. Giiollet, loc. cit., col. 2’j07.

2. II y aura dans ce Dictionnaire des articles spéciaux sur le culte de Marie, le culte du Sacré-Cœur, celui des Reliques, celui des Saints, le culte de la Croix, le culte des Morts, etc. Nous laisserons donc de côté ces aspects de la’question.

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à aller au temple, comme nous le voyons dans les Actes des ai)ôtres(.4c/., ii, 46, 47 ; iii, i ; v, ai ; v, 42 ; etc.).

Quant au culte en esprit et en vérité, dont parle N. S., et qui va se substituer à l’ancien culte, il faut voir ici moins la forme d’un culte nouveau, que l’esprit dans lequel le culte doit être entendu. Au lieu d’adorer à Jérusalem ou à Garizim, on adorera partout ; le croyant adorera dans son cœur, à quehjue nation qu’il appartienne, qu’il soit juif, samaritain ou même gentil. Et il n’adorera pas, comme les Juifs et les Pharisiens, d’un cvilte purement extérieur, du bout des lèvres, d’une manière formaliste et hypocrite, mais d’un culte vrai, sincère, qui suppose et inq^lique une vie pure, une conduite honnête.

Mais il faut bien reconnaître que, s’il n’attaquait pas de front le culte ancien, Jésus y substituait un culte nouveau, qui devait peu à peu et comme naturellement remplacer le culte juif.

C’était d’abord le Baptême, qui peut avoir été plus ou moins clairement figure par les ablutions et le baptême des juifs, mais qui prend dans l’Evangile un caractère nouveau et qui est vraiment un nou-seau rite. C’est le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. (Cf. nos Origines liturgiques, p. 154 sq.)

C’était surtout l’Eucharistie, la Cène du Seigneur, qui fait rentrer dans l’ombre les sacrifices anciens, l’eucharistie qvii de bonne heure s’enchâsse dans le service juif des synagogues, en modifie profondément le caractère, et entraîne aussi par concomitance la substitution du dimanche au sabbat.

Les rites de la pénitence, l’onction des malades, la cérémonie du lavement des pieds, l’imposition des mains sur les ministres, quelques Ijénédictions, des invocations, les exorcismes, suivent de près, et sont déjà mentionnés dans le Nouveau Testament. L’office divin et les diverses formes de la psalmodie sont en germe déjà dans les plus anciennes sjnaxes chi’étiennes. Le culte des martyrs viendra bientôt, avec les cérémonies pour l’ensevelissement des morts.

Le dimanche, et bientôt le mercredi et le vendredi, constituent une semaine chrétienne, complètement différente de la semaine juive dont le sabliat formait le pivot. Pâques et la Pentecôte deviennent le noj’au d’une année liturgique. (Cf. nos Origines liturgiques, p. 128, 15ê, 62 sq.)

Mais ce nucleus, qui est à peu près tout ce que nous connaissons de la liturgie chrétienne primitive, date de la première génération chrétienne. Comme nous le disions ailleurs, « ce résidu auquel on arrive par des éliminations successives et en remontant les siècles, est chrétien, exclusivement chrétien, quelles que soient les analogies que l’on poui-rait trouver a^ec des cérémonies juives, car, chez les chrétiens, ces rites, en particulier l’eucharistie, le l)aptême, le service du dimanche, ont une signification tellement déterminée que iiersonne ne peut s’y tromper ». Je crois que ce premier point nous sera facilement concédé par ceux qui ont étudié un peu attentivement nos origines. Il est chrétien en ce sens que ces premières et essentielles institutions ont pour autevir le Christ et ses apôtres, et se laissent découvrir dans l’Evangile, les Epîtres et les Actes.

Enfin il faut reconnaître dans ce culte chrétien un caractère nouveau qui lui est essentiel et achève de lui donner sa physionomie propre. C’est l’objet même de ce culte.

Le culte des juifs s’adressait au Dieu un, tout-puissant, magnifique, souverain, roi des rois, seigneur des seigneurs, Dieu des dieux, mais sans distinction de personnes. On s’adresse à lui dans la prière comme au Dieu vivant, au Seigneur Dieu d’Israël, au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, au Dieu de nos pères, ou simplement au Seigneiu", à notre Dieu. Cette for mule de prière au Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, demeure même en usage parmi les chrétiens. Mais d’ordinaire Dieu sera désormais invoqué par les chrétiens sous d’autres titres et avec une autre forme.

Jésus, dans le culte qu’il rend à Dieu, nous le présente comme Père, il l’adore comme son Père, Confiieor tibi, Pater, Domine cæli etterræ (Mt. xi, a5 ; cf. Luc, X, 21) ; Abba, Pater, si possibile est, transfer a me calicem hune (Me. xiv, 36) ; Pater, sancti/ica me, Pater, claripca me… Pater sancte, Pater juste (Joa. xvii), etc.

Déjà il semble réclamer pour lui-même un culte d’adoration égal à celui qui est donné au Père. Si duo ex vobis convenerint super terram, de omni re, quamcumque petierint, fiet illis a Pâtre meo, qui i ?t cælis est. Ubi enim sunt duo vel très congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum (M t. XAiii, ig, 20). Les apôtres, et même ceux qui ne sont pas ses disciples, le prient de son vivant : Domine, si tu es, jubé me venire ad te (super aquas)(Mt. xiv, 30). Domine, saU’a nos, périmas (Mi. viii, 25). Domine, salvum me fac (Mt. xv, 33). Domine, si vis, potes me mundare (Mt. viii, 2 ; cf. Me. 1, 40, Le. y, 12). Miserere mei, Domine ; et adoravit eum (Chananea) dicens : Domine adjuva me (Mt. xv, 22, 25), etc.

Il ordonne que le baptême soit donné en son nom, aussi bien qu’au nom du Père : Baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti (Mt. xxviii, 18-19). Les exorcismes, les impositions des mains et les onctions aux malades seront faits en son nom : In nomine meo dæmonia ejicient… super aegros manus imponent (Me. xvi, i’j-18).

Dans saint Jean, cette idée est présentée avec insistance : Ut omnes Jionori/tcent Filium sicut honorificant Patrem (v, 23). Quodcumque petieritis Patrem in nomine meo, hoc faciam, ut glorificetur Pater in Filio. Si quid petieritis me in nomine meo, hoc faciam (xiv, 13, 14). Amen, amen^dico vobis, si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis ; usque modo non petistis qaidquam in nomine meo. In illo die in nomine 7neo petetis (xvi, 23, 24, 26).

A peine est-il monté dans sa gloire, qu’il devient à côté du Père, et par suite de son égalité avec lui, l’objet du culte des premiers chrétiens.

Omne quodcumque facitis (S. Paul vient de parler de la prière) in verbo aut in opère, omnia in nomine Domini Jesu Christi, gratias agentes Deo et Patri per ipsum (Col. iii, 17), ce qui semble la finale même de nos oraisons.

Il paraît probable que la prière pour le choix de Mathias est adressée à lui directement : Tu Domine, qui corda nosti omnium (Act. 11, 21-26). Son nom devient consacré pour la prière, sous cette formule : In nomine Domini nostri Jesu Christi (Act. iv, 10) ; per nomen sancti Filii tuiJesu (Act.w^ 23-30). Saint Etienne le prie en ces termes : Domine Jesu, suscipe spiritummeum {Act. vii, Sg, 60). C’est aussi ensonnomque sont formulés les exorcismes iPræcipiotibi (Satana) in nomine Jesu Christi, exire ab ea (ma li ère) (Act. xvi, 18). Si bien que les exorcistes juifs essaient eux-mêmes pour leiu’s exorcismes de se servir de ce nom : Tentaverunt quidam de judæis exorcistis… invocare saper eos nomen Domini Jesu dicentes : adjuro vos per Jesum quem Paulas prædicat (Act, xix, 13).

Dans saint Paul, les expressions comme celles-ci : Gratia vobis et pax a Deo Pâtre nostro et Domino Jesu Christo… Gratias ago Deo meo per Jesum Christum. .. Gloriamur in Deo per Dominum nostrum Jesum Christum… (Christas) qui est saper omnia Deus benedictus in sæcula (ad Boni.). Obsecro vos, fratres per nomen Domini nostri Jesu Christi, et autres semblables, sont si nombi-euses que nous renonçons à les rappeler ici. 837

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Elles abondent aussi dans l’Apocalypse, d’ordinaire sous forme de doxologie, par exemple : Sedenti in throno et Agno : benedictio, et honor et gloria et potestas insæcida sæcidorum. Ainen{Apoc., 13, 14).

Les Pères apostoliques et les écrivains des premiers siècles, nous fourniraient une moisson abondante de foruiules. Nous nous contentons de renvoyer à nos Moniimenta Liturgica (t. I, Paris, igoo-igoa) où on les trouvera réunies par ordre chronologique (voyez notamment les n"’612, 627, 6^9, 653, 654, 656, etc. Cf. aussi notre Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, t. I, col. 61 4 et 654).

Des règles même furent fixées de bonne heure pour les formules où le Christ était invoqué. Fulgexce de Ruspeécrit : Benenosti nonnunquam dici : per sacerdoteni aeterniim Filium tiiiini D. N. J. C…, sed in conclusione orationis : per J. C, F. T. D. A. dicimus ; per Spiritum vero Sanctuni nullatenus dicimus… Cuni dicimus{Deo Patri) : qui tecum vivit et régnât, ostenditur Patris et Filii una non esse persona, cum vero in unitate Spiritus Sancti dicimus, unani naturani Spiritus Sancti cum Pâtre Filioque monstramus (Epist. XIV, P. L., t. LXV, col. 424, 426).

Le IIP Concile de Carthage (a. 897, c. 24) insiste sur la nécessité d’une règle en matière de doxologie : ut nemo in precihus s’el Patrem pro Filio, vel Filium pro Pâtre nominet. Et quum altariadsistitur, semper ad Patremdirigatur oratio{aj). Mansi, Concilia, t. III,

col.

i).

D’après la coutume la plus ancienne dans l’Eglise, comme on le voit dans saint Paul et dans les autres formules que nous avons citées, on s’adressait au Père par le Fils, on offrait à Dieu le Père toutpuissant per Filium. Les Ariens tirèrent avantage de ces formules pour s’efforcer de démontrer l’inégalité des personnes dans la Trinité. Fi’lgexce, que nous venons de citer, est obligé d’étal^lir contre eux que le sacrilice n’est pas offert seulement au Père, mais à toute la Trinité (Ad Monimum, 1. II, c. iii-v, P. L., t. LXV, col. 180, 183, 184). Néanmoins il est bien certain que, de bonne heure, on eut la coutume d’adresser directement des oraisons au Fils, comme avait fait déjà saint Etienne. Les vieilles formules mozarabes et gallicanes offrent surtout un grand nombre de ces exemples.

D’un autre côté, le concile d’Ephèsc, définissant l’unité personnelle du Christ dans la dualité de nature, défend de séparer dans l’adoration la nature humaine et de l’isoler en quelque sorte de la personne du Verbe. Mais il faut « honorer l’Emmanuel d’une seule adoration, et lui déférer une seule doxologie, puisque le Verbe s’est fait chair ». Le IP Concile de Constantinople revient dans ses analliématismes contre ces i erreurs sur le culte du Christ. (Sur ces questions des erreurs dogmatiques concernant le culte et sa nature voir A. CnoLLET, art. cité, col. 2416-2417 ; Denzinger, Enchiridion’", n. 216 (i"5) ; 221 (180) etc., et encore Dict. de théol. catholique, t. I, col. 1243, 1296-1299.) En vertu du même principe, et de l’égalité des personnes divines dans la Trinité, le Saint Esprit devint aussi rol)jet du culte clirétien. La formule du Baptême est donnée, on l’a vu. au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Dans les doxologies, le Saint Esprit prend aussi j)lace à leur suite (voir Thimté).

A la messe, le.Saint Esprit intervient à VEpiclèsc (voir Euchahistie) où la troisième personne de la I Trinité est interpellée directement et appelée à parachever lesacriflce.

MgrDucHFSNK, dans ses Origines du culte chrétien, définit ainsi le rôle du Saint Esprit dans la liturgie primitive : « Après l’Eucharistie, des personnes inspirées prennent la pai-ole et manifestent devant l’assemblée la présence de l’Esprit qui les anime. Les

prophètes, les extatiques, les glossolales, les interprètes, les médecins surnaturels, s’emparent à ce moment de l’attention des fidèles. Il y a comme une liturgie du Saint Esprit après la liturgie du Christ, une Araie liturgie avec présence réelle et communion. L’inspiration est sensible : elle fait vibrer les organes de certains lidèles privilégiés ; mais toute l’assistance est émue, édifiée, et même plus ou moins ravie et transportée dans les divines sphères du Paraclet. Si fréquents que fussent ces phénomènes sacrés, ils n’en étaient pas moins exti*aordinaires… ils disparurent bientôt (dès le commencement du ii « siècle) », Origines du culte chrétien, éd. 1898, p. 47-48.

Les Montanistes qui, au W siècle, prêchèrent et attendirent l’avènement du Saint Esprit qui devait prendre la place du Fils et annoncer un évangile plus parfait, en firent l’objet d’un culte exagéré et exclusif, que l’Eglise dut réprimer. Mais elle revendiqua cependant l’adoration du Saint Esprit, et en 380 les anathématismes portés par le pape Damase dans le IV<’Concile romain, condamnent quiconque refusera de dire que le Saint Esprit doit être adoré comme le Elis et le Père, par toute créature. 5/ quis non dixerit adorandum Spiritum Sanctum ah omni creatura sicut Filium et Patrem. anathema sit. Denzinger, EJnchiridion, n. 80 (43). Ces anathématismes furent renouvelés par Célestix I" et Vigile, et en 38 1 le Concile œcuménique, dans son symbole qui prit place dans la liturgie, formula sa foi à l’Esprit Saint, qui cum Pâtre et Filio simul adoratur et conglorificatur, ’j-jij.-rrjOT/.-jv’^-Ju.vjyj y.y.l rjviîîla^oVsvsv. Ces expressions indiquent l’unité d’adoration du Père, du Fils et du Saint Esprit. C’est-à-dire que l’une ou l’autre personne dans la Trinité peut être adorée séparément, mais non pas à l’exclusion des deux autres.

IV. Influences juives et païennes. — Ces caractères, qui constituent au culte chrétien sa physionomie particulière, sont assez importants pour nous autoriser à conclure qu’il est original, autonome et, si l’on peut dire, autochtone.

Dès lors, on le comprend, les analogies que l’on pourra trouver entre le culte chrétien et les autres cultes n’auront pas la même importance ; elles ne porteront que sur des points de détail.

Les importations même et les emprunts n’auront pas la signification qu’on leur donne, et ne modifieront pas sensiblement le caractère du culte.

A. Influences juives. — On ne s’étonnera pas que l’Eglise ait gardé l’empreinte de la religion juive. La Synagogue en était une préparation. Le culte chrétien aura donc naturellement certains caractères communs avec le culte des juifs. Cependant il faut bien reconnaître que, même de ce côté, l’originalité et l’indépendance du culte chrétien s’afiirnient hautement.

D’abord l’Eglise rejeta la Circoncision, qui était le grand sacrenient du judaïsme, et comme son signe distinctif. Les prophètes, qui avaient attaqué tant de rites inutiles ou de pratiques étroites, n’avaient pas touché à la circoncision. On sait quil fallut vaincre des résistances acharnées, mais la circoncision n’en fut pas moins irrémédiablement condamnée, et dès le principe.

Le Temple de Jérusalem, capitale religieuse du judaïsme, fut aussi bien vite déserté par les chrétiens ; si quelques-uns y reviennent encore, le centre de leur culte est dans ces maisons privées, où l’on se réunit pour la prière, l’exhortation et la fraction du pain. Du reste, dès l’an 70, le Temple était brûlé, saccagé de fond en comble, et de ce côté, toute tentation de judaïser, supprimée.

Les fêles des juifs furent également condamnées. 839

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Ni la fête des Tabernacles, ni la fête des Lumières, ni celle de la Dédicace, ni celle des Pourim ne laissèrent aucune trace dans le calendrier chrétien. Pàque et la Pentecôte, qui gardèrent leur nom juif et leur place, changèrent d’objet, lune devenant la fête de la résurrection, l’autre celle de la descente du Saint Esprit. Bien plus, fait plus capital encore, l’Eglise rejeta le sabbat, et lui substitua le dimanclie ; du même coup, comme nous l’avons dit, la semaine chrétienne était constituée ; et, comme pour affirmer cette victoire, le mercredi et le vendredi durent au souvenir de la Passion de prendre à l’origine une place prépondérante dans la semaine.

Enfin la distinction liturgico-sociale des animaux purs et impurs fut abolie, on sait en quelles circonstances (Act., xv).

On voit donc que, sur ces questions essentielles et vitales, l’Eglise s’empressa daffirmer son indépendance. (G. Hermann, Essai sur l’origine du culte chrétien dans ses rapports avec le judaïsme, Fischbacher, Paris, 1886, a soutenu la thèse opposée ; mais son étude est fort superficielle. Cf. aussi à la bibliographie. )

Ce que l’Eglise emprunta à la Synagogue et garda soigneusement, ce sont ses Livres saints, qui jouirent auprès des chrétiens de la même importance, et devinrent les premiers livres liturgiques. Dans les synaxes chrétiennes on lut, comme dans les assemblées juives, les livres de la Loi et les Prophètes, à côté des Evangiles ou des Epîtres des Apôtres.

L’Eglise emprunta encore aux juifs la forme de leurs assemblées. Les juifs de la Dispersion, qui ne pouvaient pas venir au Temple, se réunissaient le jour du sabbat dans leurs sj-nagogues pour chanter des psaumes, lire les Livres saints, écouter une exhortation. Cette réunion, avec ses cérémonies, devint le cadre, à peine modifié, de la synaxe chrétienne, qui est connue sous le nom d’avant-messe ou messe des catéchumènes. (C’est ce que nous avons essayé de démontrer dans nos articles sur les Origines de la messe, cf. nos Origines liturgiques, p. 817.)

Voilà à peu près à quoi se réduisent les influences juives.

B. Influences p.a.ïex.es. — Peut-être est-ce chez Renan que la thèse des emprunts de la liturgie chrétienne au paganisme se trouve le plus fréquemment formulée : il y revient à vingt reprises différentes dans ses Origines du Christianisme.

Selon lui, la liturgie catholique doit tout ou presque tout au gnosticisme, notamment les amulettes, le culte des anges, celui des martyrs, les onctions, la plupart des fêtes de la Vierge ou des Saints, le culte des images, etc. Le gnosticisme aurait en quelque sorte servi de pont entre le paganisme et le christianisme.

« Une liturgie entourée de secrets offrait aux fidèles

de ces singulières églises (gnostiques) les consolations sacramentelles en abondance (Iren. I, ch. xxi) ; la vie devenait comme un mystère dont tous les actes étaient sacrés. Le baptême avait beaucoup de solennité et rappelait le culte de Mithra. La formule prononcée par l’initiateur était en hébreu (Bv.7-y.’y.-/y.’j/ : 77r, jSa. tKvosa… où l’on déchiffre clairement nlîODn 01^2 » ou nom de Hachamoth. Irknée ne comprend déjà plus cette formule, cf. Lucien, Alex., 13), et après l’immersion venaient des onctions de baume, qui furent plus tard adoptées i)ar l’Eglise (Epitaphe gnostique dans Corpus Inscript. Græc., n. 9695, a, t. IV, p. Sg’.-ôgS).

« L’extrême-onction pour les mourants était aussi

administrée dune façon qui devait faire une vive impression et que l’Eglise catholique a imitée. Le

culte chez ces sectaires était, comme le dogme lui-même, plus éloigné de la simplicité juive que dans les églises de Pierre et de Paul. Les gnostiques admettaient plusieurs rites païens, des chants, des hymnes, des images du Christ, soit peintes, soit sculptées (Ir. I, XXV, 6).

« Sous ce rapport, l’influence des gnostiques dans

l’histoire du christianisme fut de premier ordre. Ils constituèrent le pont par lequel une foule de pratiques païennes entrèrent dans l’Eglise… c est jjar le gnosticisme que l’Eglise lit sa jonction avec les mystères antiques et s’appropria ce qu’ils avaient de satisfaisant pour le peuple. C est grâce à lui qu’au iv’siècle le monde put passer du paganisme au christianisme sans s’en apercevoir, et surtout sans se douter qu’il se faisait juif… L’orthodoxie reçut d’eux une foule d’heureuses idées de dévotion populaire. Du théurgique, l’Eglise fit le sacramentel.

a Ses fêtes, ses sacrements, son art, vinrent pour une grande partie des sectes qu’elle condamnait… La première archéologie chrétienne est gnostique » (Renan, Origines du christianisme, t. VI, p. 154-156 ; t. VII, p. 142-145 sq. Cf. Matter, Hist. du Gnosticisme, t. II, p. 489 sq., G.vrrucci, Dissert, archéol., t. II,

P- 79)

« Les évangiles apocrj’phes sont pour u.e bonne

moitié l’ouvrage des gnostiques. Or les évangiles apocryphes ont été la source d’un grand nombre de fêtes et ont fourni les sujets les plus affectionnés de lart chrétien, « Le culte des images serait aussi venu par les gnostiques. « Nul livre n’a eu autant de conséquences pour la liturgie, pour l’art chrétien, et pour l’histoire des fêtes chrétiennes que la Genna Marias et l’évangile apocryphe. Naissance de Marie… L’Assomption naissait, comme tant d’autres fêtes, du cycle des apocrjphes. » (Renan, loc.cit., t.VII, p. 1^5 ; t. VI, p. 609 ; t. VI, p. 513. J’ai fait remarquer ailleurs que l’Assomption, dont Renan fixe ici l’origine au u^ siècle, remonte tout au plus au iv’.) Ce sont aussi, selon lui, les gnostiques qui fondent l’art chrétien : « L’origine gnostique de ces images se voit avec évidence dans les peintures des catacombes, la statue de l’hémorroïsse paraît gnostique, l’art chrétien et l’iconographie sont nés hérétiques « (loc. cit., t. VII, p. 540545 ; cf. t. VI, p. 172 note). Par le culte des saints, le paganisme se refit sa place dans l’Eglise (loc. cit., t. VII, p. 525).

Il n’y a ici que des assertions sans preuves ; d’analogies qu’il relève entre le christianisme et le gnosticisme, Renan conclut à un emprunt de l’Eglise au gnosticisme ; ce n’est pas scientifique. (Cf. nos Origines liturgiques, p. 58 sq.)

Matter, dans son histoire très solide du gnosticisme, à laquelle du reste Renan fait à peu près tous ses emprunts, adopte justement la thèse opposée ; c’est à l’Eglise que le gnosticisme aurait pris en grande partie ses pratiques liturgiques. (Matter, Hist. du gnosticisme, 2’éd. surtout t. ii, p. 358, 887, : 446, cf. aussi p. 334 sq. Même thèse dans Probst, Sacrament., p. 11, 12, 13, 160 sq. ; Liturgie, p. SgS, 894 sq.) De son côté, Mgr Duchesne, dans ses Origines du culte chrétien (éd. anglaise, p. 336), est du même avis que Matter, et trouve que la thèse de Renan manque absolument de base.

Quant aux origines de l’art chrétien, elles sont tout autres ; il n’y a pas en réalité d’art gnostique. (Cf. DomLECLERCQ, J/a/ît/eZ d’archéol. chrétienne, 1. 1, p. 179, 180.)

Nous-même dans nos Origines liturgiques, loc, cit., et dans nos articles sur les Origines du culte catholique (Revue pratique d’Apologétique, 15 novembre 1906, p. 21 5) avons démontré plus longuement que la liturgie gnostique a emprunté de toutes mains, 841

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et sa liturgie est le plus souvent bizarre, parfois immorale ; on ne peut démontrer que le christianisme lui ait emprunté aucun de ses rites essentiels. Nous avons aussi essayé de démontrer que la thèse des emprunts que la liturgie aurait faits au paganisme gréco-romain n’est pas mieux appuyée que la précédente.

On admet généralement que ce ne serait pas avant le iv^ siècle que l’Eglise lui aurait fait ces emprunts, au moins dans le domaine liturgique.

Car c> comme la philosophie grecque aA’ait influencé la croyance chrétienne à partir de l’an 130, un nouveau stade de l’hellénisation commence vers 220-280. Alors les mystères et la civilisation grecques, dans toute l’ampleur de leur développement, agissent sur l’Eglise, mais non la mythologie et le polythéisme. Dans le siècle suivant, l’hellénisme tout entier, avec toutes ses créations et acquisitions, s’établit dans l’Eglise catholique. Là aussi, il y evit des réserves, mais elles ne consistèrent souvent qu’en un changement d’étiquette, la chose étant prise telle quelle ; et dans le culte des saints naît un christianisme de bas étage ». Harnack, Das IVesen des Christentums. Berlin, 1900, p. 126, iS^-iSS, 148. (Cf. Loisy, L’Evangile et V Eglise, p. 178, 179.)

Je ferai remarquer tout d’abord que cette influence serait bien tardive. Au iv<’siècle, la liturgie est déjà bien avancée dans son développement, elle possède ses organes essentiels.

Il est incontestable qu’à ce moment une révolution se produisit. C’était une révolution de voir après des siècles de luttes l’empire romain déposer les armes et signer sa paix avec l’Eglise, qui jusqu’alors, et quoi qu’on en ait dii-. était le piisilliis grex, le petit troupeau, comparée à l’énorme foule anonyme que comptait l’empire. Forcément il devait se faire une adaptation dans la liturgie, comme sur les autres terrains. Peut-être étudierai-je un jour cette intéressante question delà transformation liturgique au iv’siècle. Je dirai seulement aujourd’hui que ce développement de la liturgie fut normal et logique ; je veux dire que les rites se développèrent suivant leurs lois ; on ne fit que tirer des conclusions de prémisses posées au i « r siècle. On donna surtout aux rites plus de solennité, plus de pompe ; la liturgie, jusqu’ici austère, devint magnifique ; le service eucharistique, l’office divin, le cycle de l’année chrétienne, les cérémonies du baptême, tout se développa. Mais on n’eut pas besoin de puiser à des sources empoisonnées. Je ne voudrais pas affirmer qu’aucune pratique, aucune cérémonie ne trouve son équivalent dans le paganisme ; que lorsque tout danger d’idolâtrie fut passé, on ne put laisser sui-vivre telle coutume désormais inoffensive. Comme on l’a dit justement, « supposé que l’on puisse démontrer l’origine païenne d’un certain nombre de rites chrétiens, ces rites ont cessé d’être païens, lorsqu’ils ont été acceptés et interprétés par l’Eglise’». Xkwmax avait résolu l’objection dans le même sens, montrant, dans sa thèse sur le développement du dogme, la puissance assimilalrice de l’Eglise qui purifie, assainit, en se les incorporant,

1. Loisy, L’Evangile et l Eglise, p. 186. C’est le mot de

« aint, lgusti.n’ : « Nous avons certaines clioses communes

avec les païens, mais notre but est difTérent. » (Contra Faust…, 1. XX, c. xxiii.) J. Rkvillf. éciit do son côté :

« Aux adorateurs des idoles, elle (l’Eglise) prend quelques-uns

de Icuis types et de leurs symboles pour leur donner une signification clirélienne… elle s’incorpore les pratiques païennes, elle en fait la cliair de sa chair, se les assimilant si bien que Tonne larde pas à ne plus reconnaître leur origine étrangère. » (L « r<r/jWo71 à Home sout les Séi/ère, p. 29’i.)

les rites, les usages des gentils, aussi bien que les systèmes de la philosophie profane’.

Mais encore avons -nous le droit d’exiger une preuve historique, et non de simples rapprochements qui, en ces matières, ne prouvent rien. Or, jusqu’ici, si je ne me trompe, les faits de ce genre qu’on a relevés ne tiennent pas à l’essence de la liturgie, ou seulement à ses parties vitales, il les faut chercher sur les frontières. On cite des fêtes païennes devenues chrétiennes, des temples païens consacrés au culte du vrai Dieu, des fontaines, des statues de dieux, baptisés et devenant des patrons chrétiens.

C’est tout, et ce n’est pas assez pour dire, comme on l’a fait, que le paganisme est entré dans le christianisme, ou plutôt que le christianisme s’est superposé au paganisme, qu’il est surtout une religion de M superposition »,

La lutte contre le paganisme continue du iv’au VII* siècle, même sur le terrain liturgique, et ce serait un côté intéressant à étudier. Je l’ai fait pour un point spécial, le 1" des Calendes de janvier. (Voir Origines liturgiques. Appendice, p. 300. Cf. Beugnot et CiiASTEL, le premier dans son livre Histoire de la destruction du paganisme en Occident, Paris, 1835 ; le second dans son Histoire de la destruction du paganisme en Orient, Paris, 1850.) Mais ce n’est pas le lieu ici. Je me contenterai de montrer qu’étant donnée l’opposition des principes, les deux religions ne pouvaient guère se faire d’emprunts.

Les caractères essentiels du paganisme, j’entends le paganisme gréco-romain, par lequel le christianisme se serait laissé imbiber, se réduisent à deux ou trois.

Le premier, c’est que les païens reconnaissaient beaucoup de dieux, à peu près égaux entre eux. Les termes de monothéisme et de polythéisme ont été bien inventés et s’appliquent assez justement, le premier à la religion du Dieu unique et vrai, — l’autre aux religions païennes, quelles que fussent au fond les pensées de tels ou tels philosophes.

Le second caractère, c’est que, quoi qu’en pussent penser certaines âmes plus élevées, ou certains intellectuels, ces dieux habitaient dans des temyles, et les statues d’argent, ou d’or, ou même de bois, qui leur étaient consacrées, étaient moins des représentations que le dieu lui-même. En un mot, c’était le fétichisme — l’idole est le dieu, et la briser c’est profaner le dieu. Voilà bien au fond, et en dépit des distinctions plus ou moins subtiles, ce qu’était le paganisme aux premiers siècles du christianisme.

De là chez les fidèles une piété grossière, étroite, ignorante. L’àme, partagée entre le culte de tous ces dieux, ne savait auquel se vouer. Et comme ces dieux, pour autant qu’on les connaissait, étaient tous plus dissolus les uns que les autres, parfois grotesques, non seulement l’àme du fidèle ne trouvait dans ce culte aucun moyen de perfectionnement — mais souvent, on en a des exemples, la religion païenne était une école de pei-Acrsion. Je n’insiste pas.

De cette conception fétichiste découle encore cette conclusion, que la religion était une chose purement extérieure et momentanée, qui demandait un culte extérieur, des sacrifices pour apaiser le dieu, des dons d’argent, devin et d’autres comestibles pour le rendre favorable, des observances extérieures,

1. On peut dire que c’est le sujet de la deuxième partie de son Essay on t/ie derelopnienl of Christian Doctrine, (éd. 18’J’i (neuvième’, p. 169 S(i.). Voyez cependant plus S|>écialcnient le chapitre vm Pouvoir assiniilaleur de la grâce sacramenlelle, le chapitre ix (Culte des saints, dos anges, de lu Vierge), et surtout le chapitrexii, qui est à médilei-. La même idée se représente dans d’autres ouvrages de Xewman,

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prières à haute voix, encens, prostrations devant la statue du dieu.

Mais une fois sorti du temple, où l’on laissait son dieu, tout était fini. On était quitte envers lui. Il n’avait plus rien à dciuandcr. La piété en% ers les dieux n’avait pas d’influence sur la forme de la vie. Il n’y a pas dans le paganisme de vérital)Ie vie intérieure. En somme, pas de vraie religion.

Le christianisme lit sur ce point une réolution complète. Dieu, le seul Dieu, le vrai Dieu, le Dieu unique, maître tout-puissant et éternel, veut des fidèles qui l’adorent en esprit et en vérité — non pas sur le mont Garizim ou sur celui de Sion, mais dans l’intérieur de l’ànie.U veut un culte qui consiste, non dans quelques i)ratiques extérieures, prières, encens, ou tout ce que vous voudrez imaginer, mais un culte fondé sur l’amour, sur la charité, le désintéressement, et qui entraîne avec lui la réforme de l’individu.

Or ce cuite est au fond de toute liturgie chrétienne. C’est le culte du Dieu un et véritable par le Christ. Le culte de la Sainte Vierge ou des Saints ne le contredit pas, parce que, tout en les honorant, nous les honorons seulement dans la mesure où ils ont été les serviteurs de Dieu.

Il faut en dire autant des formules, des prières et des pratiques de la liturgie. Nous savons qu’elles n’ont de mérite qu’autant quelles viennent du cœur et qu’elles s’adressent au vrai Dieu.

Nous savons qu’un signe de croix ne serait qu’un vain simulacre dénué de tout mérite ou de toute efficacité, si, en même temps que la main le trace, il n’y avait pas dans le cœur un acte de foi au Père, au Fils et au Saint Esprit. Ainsi des autres rites. On pourrait les étudier l’un après l’autre, on trouvera toujours qu’ils sont le signe extérieur d’une chose intime et véritable, comme la parole parlée est le symbole extérieur d’une pensée de l’esprit.

On dénichera peut-être aussi quelques usages qui peuvent procéder des mêmes préoccupations que certains usages païens. Est-ce à dire que notre culte est païen ? Tout ici dépend du principe d’action, qui est diamétralement opposé ; l’analogie n’est qu’apparente. Mais disons-le hardiment : ce que j’appellerai l’àme de la liturgie, est monothéiste ; elle est chrétienne ; notre liturgie est originale, elle n’a ni père ni mère en dehors de l’Eglise et du Christ ; elle sort des entrailles mêmes du christianisme. S’il y a eu, et s’il y a encore chez nous quelques abus, que prouvent-ils ? sinon qu’au fond des âmes grossières de quelques paysans convertis, il y a toujours un penchant à la superstition et à l’idolâtrie, que rien ne saurait supprimer et que nous sommes les premiers à déplorer.

On voit donc à quoi se réduisent ces emprunts. On relève des analogies entre les rites païens et les rites chrétiens ; mais il ne faudrait pas conclure, comme on l’a fait trop souvent, de rapprochements plus ou moins ingénieux à un emprunt.

Il est à craindre que les nombreux mécomptes, survenus dans ces exercices, ne corrigent pas les savants ; on se rappelle qu’à un moment l’épitaphe d’Abercius a été considérée comme celle d’un prêtre païen de Cybèle ou de toute autre divinité ; Jacolliot retrouvait dans la religion des brahmines tout le christianisme et l’enseignement de Jésus. Aujourd’hui c’est l’Eucharistie que saint Paul aurait tout simplement empruntée à Corinthe aux mystères d’Eleusis ; cet autre cherche des analogies à l’Eucharistie dans la religion des Aztèques, dans celles des Bédouins, ou des dévots de Dionysos Sabazios, enfin dans Mithra (voir à la bibliographie).

On ne saurait trop rappeler qu’analogie ne suppose pas forcément un rapport de filiation. L’oubli d’un

principe si simple, en archéologie, a égaré pour longtemps les critiques ; il a fallu des efforts prolongés pour rappeler la vraie méthode’. Il en est de même en liturgie, et il faudra se défier sur ce point des études superficielles.

Mais enfin, en supposant que ces analogies, au lieu de n’être que de simples rencontres, fussent véritablement des emprunts faits aux cultes païens, faudrait-il en conclure que, i^ar cette porte, le paganisme est entré dans l’Eglise ? Je ne le crois pas. Un rite est un signe, un symbole. Comme la parole, il représente une idée ; mais, de même que la parole, il peut être employé à divers usages et en divers sens. J’ai essayé d’expliquer ailleurs (cf. les art. cités. Revue d’Apologétique, p. 223) comment l’élément liturgique employé dans le culte, comme l’huile, l’eau, les cendres, l’imposition des mains, etc., sont des symboles usités presque dans toutes les religions avec une signification déterminée. On devrait en conclure que tout élément est indifférent en soi, et peut être employé à diverses fins. Pour en avoir le sens complet, il faut donc l’étudier dans sa synthèse, c’est-à-dire avec ses formules, et le sens précis que l’Eglise leur donne. Si, par exemple, l’eau a été employée par les païens pour leurs lustrations et purifications, ce n’est pas à dire que l’idée du baptême leur a été empruntée par les chrétiens, le contraii-e est du reste démontré par l’histoire. Le baptême a sa signification bien déterminée par un ensemble de rites et de paroles ; une vague ressemblance ne saurait suflire poiu* nous faire conclure à un emprunt. En discutant cette thèse, dans un article du reste bienveillant sur nos Origines liturgiques, un critique protestant de la Theologische Literaturzeitung, 1908, n. 4> col. 115, P. Dre ws, nous oppose, comme absolument concluant, un exemple tiré des rites du baptême en Egypte et en Espagne. Le néophyte devait fouler pieds nus une peau de bête. Cet usage rappellerait la crojance païenne que les démons se revêtent de peauxde bêtes. (Cf. RouDE, Psyché’^ II, p. ^5.) Que penser de cet exemple ? Nous n’irons pas, avec certains théologiens, chercher l’origine de cette coutume jusque dans la peau qui couvrait les épaules de Jean le Baptiste. Tout d’abord nous avons formellement reconnu que certains abus ou usages superstitieux ont pu se glisser dans le culte de telle ou telle église. On en trouvera des exemples recueillis patiemment dans deux ouvrages d’érudits catholiques, L’Histoire critique des pratiques superstitieuses, du P. Le Brux, de l’Oratoire, 4 vol., Paris, 1850, et le Traité des superstitions, de l’Abbé Thiers, 4 vol., 4° éd.. Avignon, 1777. Quand nous rencontrons des abus de ce genre, nous sommes les premiers à le déplorer et à les réprouver. L’Eglise, dans les canons de ses conciles dont on pourrait faire à ce seul point de vue une collection bien instructive, a cent fois condamné des pratiq^ies superstitieuses ou idolâtriques. Mais de quelques exceiitions on ne saurait faire la règle, ni rendre l’Eglise responsable de ces abus. Nous ne serions pas trop sévère pour le cas qui nous est cité. Une église particulière a pu accepter comme courante cette opinion des païens que les démons se revêtent de peaux de bêtes. Pour montrer sous un symbole plus frappant qu’il renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres, et méprise désormais ses attaques, il piétine cette peau, qui est le symbole dont il se couvre. Ailleurs on avait le rite de la sputation, et le néophyte crachait pour

I.Lacombe, L’histoire envisagée comme science, p. 238 ; Brutails, L’archéologie du moyen âge et ses mcthodes. Pans 1900, p. 32, 37 sq. Mêmes mécomptes dans les comparaisons que Ton pourrait faire entre la religion juive et la’liturgie chrétienne. (Voir nos Origines liturgiques, p. 194.) 845

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montrer son mépris contre Satan. Nous ne voyons pas trop ce qu’on en peut conclure.

V. Evolution du culte- — Il nous semble que, la question des influences extérieures une fois réglée, on sera forcé de reconnaître que l’évolution des rites obéit à d’autres lois que celle des milieux.

La liturgie, dans ses caractères essentiels, forme une synthèse dont toutes les parties sont coordonnées conformément à une idée mère ; elle n’est pas faite de pièces d’emprunts, ni de morceaux rapportés (cf. notre article cité, p. 280) ; ce qui frappe quand on l’étudié, c’est l’unité de but et de principe. Voilà pour le côté théorique.

Au point de vue historique, rien de plus logique que le développement des rites.

Cette évolution est dominée par une idée intime ; l’influence des événements et des milieux étrangers au christianisme s’y fait bien peu sentir, encore que la liturgie plonge en pleine histoire. Nous avons dit à quoi se réduisent les caractères de cette liturgie, dont les rites et les formules composent aujourd’hui un ensemble si riche et si complexe ; en la ramenant à ses origines, sa synthèse est d’une simplicité qui étonne. Quelques rites essentiels, quelques formules brèves et sim2)les, c’est tout ce que nous connaissons de la liturgie primitive. Et c’est le noyau dont sortiront la plupart des cérémonies dans la suite. Pour quelques-uns de ces rites (baptême, messe, année liturgique, prière publique), on peut suivre cette évolution, marquer presque de siècle en siècle leurs accroissements, leurs développements, qui obéissent à une force intime plutôt ^u’à des influences étrangères.

La même démonstration pourrait se faire sur les ordinations, qui admettent des formules nouvelles, des sjiuboles, des rites adaptés à chacun des nouveaux degrés, mais qui évoluent sous l’impulsion d’un principe de vie initial.

Cette question de l’évolution des rites est encore toute nouvelle, et je ne connais pas de liturgiste qui l’ait étudiée ; mais elle est des plus intéressantes, et maintenant qu’elle est posée, il faut espérer qu’on cherchera avec plus d’attention à découvrir les lois qui la régissent.

il faudra y procéder méthodiquement et prudemment. On devra suivre chacun des rites depuis son origine jusqu’à ses derniers développements, et c’est alors que l’on pourra noter au passage les emprunts étrangers. Jusque là, on le comprend, les analogies que l’on découvre peuvent avoir leur intérêt, mais on ne saurait, connue on l’a fait, en tirer des conséquences générales sur la formation et l’origine du culte chrétien.

Ces quelques rites, que nous admettons à l’origine, forment une syntlièse entre les mailles de laquelle il ne sera pas facile de glisser des cérémonies étrangères.

Le baptême prend le converti, il l’initie à une vie nouvelle qui est celle du chrétien ; la cène eucharistique est la nourriture spirituelle de cet homme régénéré, contirmé dans l’Esprit ; la prière est son occupation principak’. L’exorcisme et la pénitence sont presque hors cadre, le premier, parce qu’il n’intervient que dans des cas qui, quchpie ficquents qu’ils puissent être, ne <loient pas être considérés comme ordinaires ; la secomle, parce que telle est la sainteté des premiers clirétiens, l’intensité de leur vie spirituelle, qu’elle n’intervient aussi, à l’origine, qu’à l’état d’exception.

Oui ne voit que ces premiers rites sont unis entre eux, qu’ils découlent les uns des autres, qu’ils sont soumis à quelques principes qui les inspirent ? le

chrétien est un disciple du Christ, un autre Christ ; il naît à cette vie par le baptême, il doit vivre de sa vie, se nourrir de sa substance ; il vit en union avec ses frères les chrétiens, disciples comme lui du Christ, se nourrissant du même pain, membres du même corps ; l’Eglise de Dieu qui les unit, les apôtres, le I)rêtre, l’évêque président à ces réunions, sont les ministres de ces sacrements. S’il tombe, la pénitence pourra lui rendre ses privilèges perdus. Il prie par le Christ, dans le Christ, avec le Christ ; par lui, il rend grâces à Dieu le Père, dans l’unité du Saint-Esprit ; il lui rend le culte raisonnable, seul digne du Père, au jour établi, et souvent selon des formules déterminées. Les martyrs triomphent avec Lui et les morts reposent en Lui, attendant la résurrection.

Telles sont à peu près les lignes de cette synthèse.

Or il me semble que, sauf de très rares exceptions, tous les développements postériem-s rentrent dans ce cadre, et découlent de ces propositions principales par voie de conséquence logique.

Que si cette démonstration paraît d’un caractère trop théorique, nous croyons que l’histoire ne nous donnera pas de démenti quand nous descendrons sur son terrain pour étudier la marche d’un rite.

Ici, naturellement, on n’attend pas que nous fournissions la preuve dans le détail pour chacun de nos rites. C’est ce que nous faisons dans notre Dictionnaire d’archéologie et de liturgie.

Mais voici à peu près les lignes principales de cette évolution des rites.

Le rite va du simple au composé. Très simple à l’origine, et d’un caractère que j’appellerai tout intime, il contient en intensité tous les développements futurs. A mesure que la petite communauté se développe, qu’elle admet un plus grand nombre de membres d’une culture plus variée ; quand on passe de Jérusalem à Antioche, d’Antioche à Rome, de Rome en Afrique, en Gaule, en Espagne, il devient nécessaire de donner plus de relief à la cérémonie.

A ce point de vue, la révolution pacifique du iV siècle, qui fit entrer dans l’Eglise, presque tumultueusement, des foules païennes, eut une influence considérable sur le développement de la liturgie. A vrai dire, c’est à cette circonstance que l’on doit les additions les plus notables qui furent faites au cérémonial et au rituel catholique ^.

Mais on aurait tort de croire qu’elle sortit des voies de la tradition.

Chateaubriand avait déjà compris cette transformation :

« L’encens, les fleurs, les vases d’or et d’argent, 

les lampes, les couronnes, les luminaires, le liii, la soie, les chants, les processions,.les époques de certaines fêtes, passèrent des autels du vaincu à l’autel triomphant. Le paganisme essaya d’emprunter au christianisme ses dogmes et sa morale ; le christianisme enleva au paganisme ses ornements 2. »

Une autre raison devait amener le rite à se parer en quehiue sorte de nouveaux atours. Le rite, connue tout signe, perd à la longue, par l’usage, une partie de sa signiiicalion. De même que pour la monnaie qui a eu cours longtemps et dont l’image s’oblitère, il devient nécessaire de lui donner une nouvelle frappe ; si l’on ne peut frapper le rite à nouveau, on peut lui donner un relief plus grand.

Les premiers qui reçurent le bain de l’eau par le baptême, comme l’eunuque de la reine d’Ethiopie, au

1. On peut consulter sur ce point les deux ouvrages de Belgnot et de Ciiastel, cités dans la note suivante.

2. Etudes historiques, t. II, p. 101, passage relevé à la fois par Beugnot, Histoire de ta destruction du paganisme en Occident, t. II, p. 265 sq., et par Ciiastel, ///sCotVc de la destruction du paganisme dans l’empire d’Orient, p. 352 8^.7

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nom du Père, du Fils et de l’Esprit, en durent garder une impression ineffaçable et en réaliser toute l’ellicacité.

Quatre siècles plus tai’d, on avait une longue préparation au l)aptéme. Le rite s’était entouré d’un appareil magniljque ; il avait appelé à lui tout un symbolisme éloquent, des cérémonies compliquées, la tradition du Pater, du Sjinbole, des évangiles, les exorcismes, l’insufflation, les onctions d’huile, le ciei’ge, la toge blanche.

Il en était de même pour la plupart des sacrements ; on avait senti la nécessité de les expliquer, de les détailler en quelque sorte. A la synthèse succédait l’analyse.

De leur côté, les hérésies forçaient le rite à s’affirmer en face d’elles par réaction ; les erreurs trinitaires en particulier exercèrent sur la liturgie une inlluencc considérable. (Cf. notre article Ariens, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie.)

Les fornmles suivaient la même loi.

Pour le Baptême, pour l’Eucharistie, les paroles essentielles suffirent à l’origine, du moins autant que nous le savons. Mais qiiand la direction de la cérémonie et la parole furent données à des hommes éloquents, pleins de doctrine, avec la liberté d’improviser une prière, ils en usèrent largement. La formule essentielle fut comme enveloppée de prières, d’invocations, d’admonestations, de discours, dont quelques-uns peuvent nous paraître prolixes, dont beaucoup sont des chefs-d’œuvre, comme le Te Deum, la Préface, VExsultet et tant d’autres que l’on pourrait citer.

De là sortit une littérature fort riche, et dont l’étude est une des tâches les plus importantes du liturgiste.

Quelle est parmi ces pièces innombrables, écloses les unes à Antioche, à Jérusalem, à Alexandrie, à Edesse, d’autres à Rome, en Gaule, en Espagne, en Afrique, en Germanie, quelle est. parmi ces milliers de formules, celle qui porte un caractère païen ? Il est regrettable que Sabatier, ou Renan, ou Harnack. qui ont eu si vite fait de condamner notre liturgie, n’aient pas pris la peine de jeter même un regard sur ces livres.

D’autres causes historiques, qu’il est assez facile de délinir. ont amené soit la flxation du i-ite dans une formule et un cérémonial invariable, soit ime simpli-Gcation nécessitée par des circonstances nouvelles.

Dans tout ceci, nulle trace d’inlluences étrangères au christianisme ; l’évolution du rite obéit aux lois ordinaires de la société chrétienne.

Il est un élément que jusqu’ici nous n’avons pas fait intervenir dans la question de l’évolution du rite, c’est le magistère de l’Eglise.

Il est incontestable cependant que sur ces cjuestions, comme sur celles qui toiichaient au dogme. l’Eglise ne laissait pas à l’aventure le développement des rites. Les exemples de son intervention sont nombreux ; nous en avons cité un au sujet du culte du Saint Esprit (col. 838). Le canon du IIP Concile de Carthage, après avoir proscrit de la liturgie certaines exjjressions ajoute : Etquicumcjue sihi j.reces aliiinde describit, non eis ntalur, nisi priiis ea ctim instructioribus fratribus coniulerit. Le Concile de Milève est encore plus explicite : Plaçait enini… ut preces te/ orutiones seu missae, quæ probatæ færint in conci-Ho, si-e præfationes, sii-e comniendationes, seu manus impositiones, ab omnibus celebrentur. Nec aliæ omniiio dicantur in ecclesia, nisi quæ a prudentioribus tractatæ teZ comprobatæ in svnodo fuerunt, ne forte aliquid contra /idem, el perignorantiani vel per unius studium sit composituni. (Concil. Cnrth., Mansï, t. III, col. 884 ; Concil. Miles’it., ib., t. IV, col. 330 sq.)

Nous pourrions en citer un grand nombre d’autres exemples, mais ce sujet sortirait de notre cadre. Nous nous contenterons de renvoyer à Dom Guérax-GER, le liturgiste cjui. selon nous, a le mieux mis en relief le magistère de l’Eglise en matière de liturgie à travers les siècles. (Instit. liturgiques, 3 vol. 8°, éd. 1880, Paris, Palmé.)

Bibliographie. — Ouvrages protestants contre le culte catholique :

Middleton (Conyers), ^ Letter from Borne shon’ing an e.ract conformity betneen Poperr and Paganisni. London, 1729, in-4’^. Les éditions se succèdent en 1^33, 174’(avec des additions), 1742, 1812 (n’/7/( ndditional proofs by Publicola), 1841, (à Dublin), en 1847, en 1868, en 1869, sous ce titre : The protestant ma nu al (hy Cochrane) ; traduction française : Lettre écrite de Home montrant la conformité du Paganisme a^’ec la Papauté ; cette traduction est faite sur la 4’édition, celle de 174’. et contient le discours préliminaire et le postscriptum. Une réponse à ce pamphet : A plain Ansiver to Dr.Middleton’s Letter in nhich the gross misrepresentations contained therein are exposed… by a friend to truth, London, 1741, in-8°. Warburton, protestant lui aussi et ami de Middletox, a jugé son entreprise de trouver dans le culte catholique des emprunts au paganisme, utterly mistaken. une complète méprise. Cf. De Diyina L.egatione .Voysis, t. II, pars i, p. 355. Lesley préparait une réponse à ce pamphet, mais elle n’a jamais paru.

Nous ne donnerons ici qu’une bibliographie abrégée des autres ouvrages protestants, suffisante cependant pour montrer que le sujet n’est pas nouveau :

Meier (D.), De papatu per ethnicismum imprægnato, Francfort, 1634, in-4° ; Valkenier (L), Borna paganizans, Franecq., 1656, in-4° ; Munck (J. P.), Papismus-geniilismus, Cob., 1664, in-4° ; Jones (S.), De origine idololatriæ apud gentiles et christianos, Lugd., 1708, inT4° ; Hérold (A.), De manifesta idololairia in Bomana ecclesia, Lips., 17 12, in-4° ; Reindjold (F. M.), Patres primorum sæculorum, idololatriæ Bomanensium judices, Hamb., 1736. in-4" ; Inke, L’ebereinstimmung des Papstliunis mit dem ILeidentlium, Lips., 1738, in-8^ ; Daillé, De cultibus religionis I.atinorum, Genève, 1671 ; Starck (I. A.), De tralatitiis ex gentilismo in religionem christianam, Regiom., 1774- in-4° ; Hamberger (G. C), Bituum, quos Bomana Ecclesia a majoribus suis Gentilibus in sua sacra transtulit enarratio, Gott., 1781. in-4°. — On voit que les dissertations sur ce sujet étaient à l’ordre du jour pour les docteurs d’Outre-Rhin au xvii* et au xviii siècle. — Blumberg (C. G.), Suspiria Johannea contra superstitiones ex nomine, igné et herbis ut i’ocant Joanneis, ductas, SchneU, 1690. 111-4° ; Dreuil (A.), Du culte de S. J. B. et des images profanes qui s’y attachent, Amiens, 1846 ; Balthasar (J. IL), Iixempla superstitiosi cultus S. ^Lichælis, Gryph., 111-4" (s. d.). Mais ces dernières dissertations se rapportent à des cas particuliers, les fêtes des Saints, et il existe sur ce sujet un grand nombre d’études C{ue nous ne citerons pas.

Ouvrages des catholiques pour défendre le culte et la liturgie contre ces accusations : l’ouvrage de Marangoni, le plus complet et le plus intéressant, a pour titre : Délie cose gentilescee profane trasportate ad usoe ad ornamento délie Chiese. 1 vol. in-4°, Roma, 1744- Je signale surtout les chapitres suivants : ch. xxiii. Somma diligenzae attenzione délia Chiesa catholica nel purifîcare da ogni super840

CULTE CHRETIEN

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sfizione gentilesca tutti i sacri sitoi riti : cli. xxv, Belle processioni praticate da gentilie da noi : e de qiiellu in specie délia purificazione délia B. V. ; ch. XXVI, Di alcuni riti, e cerinionie ci<, ’ili deiis’ati dal Geniilesimo nelC Eseqate de’nostri defoiiti : ch. XXVII, XXIX, XXXI, XXXII, XXXIII, Se alcuni iesli ecclesiastiche derii-ate siano nella c/iiesa da quelle de gentili, e/c. On cite encore DomGiustiniani(i -26) du Mont-Cassin, qui a laissé, au rapport d’Arinellini, un ouvraj^e : De variis gentilium ritibus quua christiana ecclesia ftanctficat atque in suum usant coiu-ertit ; P. Lazeri, De fnlsa veterum Christianoruni rituuni a ritibus ethnirorum origine diatriba, Rome, 1777, in-4°. Cf. aussi Franck (H. A.), De sacris Eleusiniis, cuni sacris christianis non coniparandis, Erf., 1772, 4°. et plus récemment Grisar, Belazione f’ra alcune feste cristianee alcune usanze pagane, Ciyiltà Cattul., 1900, p. /t50-458.

Sur la compénétration en archéologie des types chrétiens par les lyi)es païens, la substitution des saints aux dieux païens, cf. les articles de Dom H. Lcclercq, Anges, Ames, Athènes, dans notre Dict. d’arcliéol. clirét. et de liturgie.

Ch. Bayet, />t’titulis Atticæ clir’stianis anliquissimis, 9>", Paris, 1898 ; Foucart(P.), Mémoire sur les ruines et l’hist. de Delphes, dans Archi^’cs des missions scientifiques, 1865 (2’série, t. ÎI, p. 5-8) ; Hertzberg (G. F.), Hist. de la Grèce sous la domination des Romains, Paris, 1888, etc. ; Petit de Julleville, Recherches sur Ven^placement et le vocable des églises chrétiennes en Grèce, dans Archives des missions scientifiques, 2" série, t. Y, Paris, 1868, p. 621 et 525 sq.

La même question, de rinlluence du paganisme sur la Liturgie, a été reprise de nos jours sous des formes diverses ; nous citerons entre autres :

Harnack (Th.) Christl. Gemeindegottesdienst, Erlangen, 1854 ; Yi.a..c{V^.), Influencesof greek ideas and usages upon the Christian church, Londres, 1890, 8" ; Anrich (G.), Das antike Mysterienwesen in seinem Einfluss auf das Christenth., Gott., 1894, 8" ; et : Die Anfange des Ileiligenkultus in der Christl. Kirche, 1904, 8° ; Wobbermin(G.). Studien zur Frage der Beeinflussungdes l’rchrist. durcit das antike Mysterieiwesen. Berlin, 1896, 8" ; Lucius, Die Anfange des Jleiligenkultus in der christl. Kirche, Tubingen, 1904.

Mourant-Brock, Croix païenne et Croix chrétienne, Leroux, 2" éd., Paris, prétend que le culte de la croix est d’origine païenne, voyez notre art. sur la Croix, Catholic Encyclopedia,. Cross, et ici même l’art. Choix ; Dufourcq, Le Christianisme des foules ; étude sur la fin du paganisme populaire et sur les origines du culte des saints, Paris, 1908 (extrait de la Revue d’htst. et de littérature, 1899, j). 289) ; Wirth, Danæ in christl. Legenden, 1892, 8" (plusieurs saints chrétiens viendraient des contes indiens ) réfuté dans Analecta Bollandiana, t. XII, p, 370 ; Bernard Schmidt, Das Volksleben der.Ve « griechen indus hellenische Alterttium, Leipz., 1871 (pour les survivances païennes, voir le chapitre : Heidnische Eléments in christl. Glauben u. Cultus) ; Cheetham, The mrsleries pagan and Christian (Hulsean Lectures, 1896-1897) ; llatch, 7’he influence of greek ideas and usages upon the Christian Church (Ilil)berl lectures, 1888) ; C. M. Ilamilton, Incubation or the cure of the diseuse in pagan temples and Christian churches, 1 vol. 1906, Londres ; Ed. la)iud. Protestations faites au IV’siècle contre les infiltrations païennes dans le culte chrétien. Thèse à laFac. de théol. de Strasbourg, Strasbourg, 1862, 8’, récemment traduit en allemand sous ce litre : Les racines de l’ancien paganisme dans I

le culte catholique, par E. Rabaud, GiUersloh, 1906, in- 12 de 60 p. D’après le D’Hatch (surtout ch. x) le rituel de l’Eglise du 11’au v’siècle fut emprunté aux mystères tl’Eleusis. Cf. une réfutation dans F. E. AVarren, jTAe Liturgy and Ritual of the antenicene Church, London, 1897, p. 248 sq. ; A. Marignan, La foi chrétienne au IV^ siècle, Paris, 1887 ; BassMuUinger, Paganism, dans Dictionary of Christian .iiitiquities.

Nous citerons aussi certaines excentricités, prises au sérieux par quelques savants, l’épitaphe d’Abercius considérée comme celle d’un prêtre de Cybèle {fi’. Dict.d’archéol. chrét. etde Liturgie, t.I, col. 75) ; l’Eucharistie que saint Paul aurait empruntée à Corinthe aux mystères d’Eleusis : Percy Gardner, The origin of the Lord Supper, Londres, 1893, p. 8-20 ; cf. Frankland, 7"/(e early Eucharist, Londres 1902, p. 120-1 24 ; aux mystères de Mithra ou à ceux de Dionysos Sabazios, Heitmueller, Taufe u. Abendmahl bei Paulus, Got., 1908, p. 32-35, etc. ; Rendel Ilarris, llie Dioscuri in the Christian Legends, Cambridge, 1903 ; Usener, Sol invictusÇSoel), Muséum fïir Philol., 1905, n. LX, p. 465-491 ; Usener, Milch u. ILonig, Rhein. Muséum, vol. LVII, p. 177, rapproche ce rite du paganisme. Cf. réfutation de ^Igr Duchesne, Origines du culte, éd. anglaise, p. 335. Le P. Thurston, en Angleterre, a exposé et réfuté dans le Month les thèses de Frazer, de Rendel Harris et autres : The Assumption as a festival of Demeter and Dionysus : The Month, fév. 1907, p. 204 ; The influence of Paganism on the Christian Calendar, ib., mars 1907, p. 225 ; The cuit of the heavenly Tiins, ib., août 1906, p. 202 (cf. Analecta Bollandiana, t. XXYI, p. 332) ; La Revue Augustinienne, Paganisme et Liturgie, 15 juin 1907, p. 720-727 ; d’Alès, Cultes, Mythes et religions. Etudes, 1906, 20 déc, p. 804-815 ; J. Bloetzer (S. J.). Das heidnische Mysterienæsen z. Zeit der Entstehung des Christenlhum. Stimmen aus Maria-L^ach, 1906, nov., p. 500-518 : Dom de Vert, dans son E.rplication des cérémonies de l’Eglise, Paris, 1720. relève plusieurs usages païens adoptés par les chrétiens dans leur Liturgie, cf. par ex. t. II, p. 893 sq.

En France la question a été récemment reprise et toutes les vieilles objections réunies dans le livre de P. Saintyves, Essai de mythologie chrétienne, les saints successeurs des dieux (Paris, 1907, I vol. 8"). Vojez sur ce livre notre critique : L’idolâtrie dans l’Eglise, dans la Revue pratique d’Apologétique, 1"’ocl. 1907, p. 36-46- Cf. aussi la 3*cd. refondue de VAvenirdu Christianisme, t. I, Epoque orientale, histoire comparée des religions païennes et de la religion / » /t’<'(Paris, 1908), par M. Dufourcq.

Pour les comparaisons entre le culte de Mithra et la liturgie catholique, cf. A. Dieterich, Eine Mithrasliturgie erlautert, Leipzig. 1908, et Resue d Hist. eccl.. de Louvain, avril 1904, p. 290, s((. ; d’Alès, Mithriacisme et Christianisme, Revue d’Apologétique, t. m. p. 462-469. Pour l’ensemble, voirnos articles : Les origines du culte catholique ; Le paganisme dans la liturgie ; R. d’Apologétique, 15 nov. 1906, p. 209-223, et 1"^ déc, p. 278-287 ; et nos Origines liturgiques (Paris, Letouzey et Ane, 1906,

p. 47 ^’1- « "t V- io : ^’i-) Sur la (lélinition et la conception du culte, outre les ouvrages des théologiens cités dans l’article, cf. Bossuet, L’ragments sur des matières de controverse, du culte qui est dii à Dieu : Paris, éd. Lachat, 1875, t. XIII, p. 120 sq. ; Bridgett (Th. Ed.). The ritual of the.. T. An Essay on the principle* of the origin of catholic ritual in référence to the.X.T., London, 1873, 8* ; Dict. de Théologie catholique 851

CURIE ROMAINE (CARDINAUX)

(Mangenot), v>> Culte en général (art. de A. Chollet), l. III, col. 2404-242^, cf. aussi l’article Adoration : Mgr Ducliesne, Hist. ancienne de l’Eglise, t. I (Pai’is, 1906), spécialement ch. iv, p. 36 sq. et cb. XXVI, p. 624 sq. ; Semeria, Dogme, hiérarchie et culte dans V Eglise primitive, trad. de l’italien, par Tabbé Riclieruioz, in-12, Paris. Lethielleux, 1906 (ne parle que de l’eucharistie) ; Probst, Liturgie der drei ersten christl. Jahrhunderte, Tubingue, 1870, un vol. 8°.

Poiu- l’influence du judaïsme sur le culte, outre la dissertation citée, p. 889. voir aussi : De Vert, Explication des cérémonies de V Eglise. Paris, 1720, t. II, p. 896 ; H. Leclercq, Manuel d’archéol. chrét., t. I. p. io3 ; AV. O. F. Œsterley et G. H. Box, The Religion and Worship of the Synagogue, Pitman, London, 1907, 8"^, spécialement ch. xiii, xvi à xx ; Vitringa, De Synagoga vetere, Francquerae, 1696, c. IV et V des prolégomènes, et 1. III, pars. 11, c. 16, 17-19 ; Chérubin de Saint-Joseph, Bibliothecacritica sacra, t. II ; Bingham, Christian antiquities, t. V, p. 302 (qui adopte la thèse de Vitringa) ; Suringar, De publicis veterum christianorum precihus ; Lugd. Bat., 1833, in-8° ; Vigouroux, Les Synagogues du temps de J.-C, Mélanges bibliques, 1882 ; The Jewish Encyclopedia, New -York et Londres, Wagnall, 1901-1906, 12 vol., aux mots Jf’orship, Christianity Gentile. etc. ; F. E. Warren, Tlie Liturgy and Ritual of the Antenicene Church, London, 1897, surtout ch. 1, Traces ofliturgical ll’orsliip in the Old and Xew Testament, et ch. iv, The connection between the Liturgy and ritual of the Jewish and Christian Churches ; Dom Leclercq, De rei liturgicæ in srnagogis Ecclesiaque analogia, dans nos Monunienta liturgica, Paris, 1900-1902, t. I, p. XI sq.

F. Cabrol, O. s. B.