Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Création

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 369-375).

CRÉATION. —
I. Ce que l’Eglise enseigne. — II. Qu’est-ce que la création ? — III. Le monde a-t-il été produit par création ? — IV. Quelle est la fin de la création ? — V. La création est-elle un acte libre ? — VI. Le monde est-il éternel ?

L’objet de cet article n’est pas d'étudier à quelle époque ou dans quel état le monde a commencé, mais s’il a commencé et en vertu de quel acte de Dieu.

I. Ce que l’Eglise enseigne. — Le Concile du Vatican, sess. ni, c. i, s’exprime en ces ternies :

C. I. Ce seul Dieu véritable, en raison de sa bonté et par sa vertu toute-puissante, non pour augmenter sa béatitude, ni pour acquérir quelque perfection, mais pour manifester celle qu’il possède par les biens qu’il accorde aux créatures, par un dessein absolument libre, ensemble ', au commencement du temps, a fait de rien l’une et l’autre créature, spirituelle et corporelle, c’est-à-dire les anges et le monde, puis la créature humaine constituée comme par une participation simultanée à la nature de l’esjjrit et du corps.

Can. I. Si quelqu’un nie le seul vrai Dieu, créateur et seigneur des choses visibles et invisibles, anathème.

3. Si quelqu’un dit que Dieu et toutes choses ne sont qu’une seule et même substance ou essence, anathème.

4. Si quelqu*un dit que les êtres Unis, tant corporels que spirituels, ou du moins les spirituels, sont une émanation de la substance divine ; ou que l’essence divine, en se manifestant ou en évoluant, devient

1. Au lieu de ensemble — on pourrait traduire semblablement ou dans un même dessein, cf. Vacant, Dlct. de t/iéol., art. Création, col. 21'J0.

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toutes choses ; ou enfin que Dieu est l’être universel ou indéfini, qui constitue, en se déterminant, l’universalité des êtres en genres, espèces et individus distincts, analliènie.

5. Si quelqu’un ne confesse pas que le monde et tout ce qu’il renferme, esprit et matière, dans la totalité de sa substance, a été produit par Dieu du néant, ou s’il dit que Dieu a créé, non par une volonté exempte de toute nécessité, mais aussi nécessairement qu’il s’aime nécessairement lui-même, ou s’il nie que le monde ait été fait pour la gloire de Dieu, anatbème. Cf. Denzinger-Bannwai’t, éd. lo, n. 1788, 1801 sq.

Les paragraphes qui suivent s’appliqueront à préciser et à justifier le contenu de ces affirmations.

II. Qu’est-ce que la création ? — On peut ramener à trois types les théories sur l’origine des êtres :

a. Le dualisme professe que le monde résulte de la combinaison de deux principes opposés, l’un bon, l’autre mauvais, identifié d’ordinaire avec la matière et cause de tout ce qui est désordre physique ou moral.

Dieu, dans ce système, n’a point produit la matière : elle est éternelle comme lui ; il l’a seulement ordonnée, soit du mieux qu il était possible, soit au moins mal qu’il lui plaisait. Il n’est donc pas proprement créateur, mais organisateur, architecte ou démiurge.

b. Le pantliéisme enseigne l’identité de Dieu et du monde. L’univers est ou bien la combinaison d’éléments matériels éternels (monisme stoïcien et matérialisme contemporain), ou bien l’émanation de la substance divine (panthéisme gnostique, néoplatonicien et arabe) ou le produit de cette même substance en évolution (idéalisme hégélien et idéalopragmatismc bergsonien).

Suivant cette théorie, le monde est tiré non du néant, mais de Dieu, en vertu non d’un acte libre, mais d’une nécessité de la nature divine.

c. Ze créatianisme affirme la distinction absolue du monde et de Dieu. Seul celui-ci est véritablement et pleinement ; il existe de toute nécessité par la seule perfection de sa nature. Celui-là doit à Dieu tout ce qui le constitue : c’est Dieu qui le fait être, en lui donnant quand, comme, dans la mesure qu’il juge opportune, tout ce qui le fait ce qu’il est.

Le monde, et tout ce qu’il renferme, peut êti*e et peut n’être pas ; son existence ne lui est pas essentielle ; elle est conditionnée, relative, ou, comme on dit, contingente. Celle du créateur au contraire est inconditionnée, absolue ; elle est, disent les philosophes, nécessaire.

On voit par là le sens de la formule usuelle : Dieu a fait le monde de rien. Elle signifie non qu’il l’a produit de rien, comme si le néant était une matière première positive, non materialiter ex, ni qu’il s’est servi de rien comme d un instrument réel de travail, non causaliter per, mais qu’il a fait succéder quelque chose à rien, ordinaliter post. S. Bonaventurk, In IV Sent., 1. II, dist. I, p. i, a. i, q. i, ad 6m, éd. Quaracchi, t. II, p. 18. Plus exactement, elle peut exprimer : a) soit ordre de succession : Dieu donne l’être à qui d’abord n’était rien ; b) soit, sans aucune idée de temps, négation de toute matière i)remière : Dieu donne l’être sans le tirer de quoi que ce soit, S. Thom., Suni. tlieol., i, q. xlv, a. i, 3™. La première acception est plus fréquente, la seconde plus rigoureuse.

Créer, c’est produire sans autre chose que la puissance de l’ouvrier.

III. Le monde a-t-ilété produit par création ?

— La foi l’affirme et la raison le prouve. Nous exposerons ici brièAement quelques-uns des arguments qui l’établissent.

Et tout d’abord, si mystérieuse que soit pour tous l’origine des choses, il importe que le fidèle se rende compte de ce fait : au regard du bon sens et de la logique la plus sévère, il est, avec la solution crcatianiste, en meilleure posture que qui que ce soit. Pour mettre ce fait en lumière, nous procéderons par degrés :

1° Les sciences physiques, en tant que telles, n’ont ni objections valables, ni démonstration aucune d’un système contraire.

Par sciences physiques en tant que telles, on entend ici les sciences d’observation en tant qu’elles restent dans le domaine des faits. Enregistrer, classer les phénomènes, décrire les lois de leurs agencements, voilà leur rôle. Aucune solution philosophique, soit par afTirmation, soit par négation, n’est de leur ressort. Ce principe rappelé, examinons les objections les plus courantes.

a. La Science, dit-on, ne sait rien de la création.

— C’est exact ; elle n’a pu assister à cette scène et, comme elle est unique, au moins en ce qui concerne les substances matérielles, elle ne la rencontrera jamais dans son champ d’observation. Mais du k Je ne vois pas », qui est de la science, à « cela n’a pu être », qui est de la philosophie, il y a une différence facile à saisir. Ne pas voir d’où part un projectile donne-t-il le droit de prononcer qu’il est lancé de toute éternité, et qu’il se meut tout seul ?

b. La science n’a pas besoin de cette hypothèse.

— C’est exact, si elle se borne à son rôle de description et de classification : il lui suffît alors de regarder et d’analyser. C’est faux, dès qu’elle prétend fournir une explication dernière des origines. Sur ce domaine nouveau, qui n’est plus celui de l’expérience, philosophe et savant, à charge de respecter les faits, mai-chent de pair à égal, et le philosophe aura beau jeu, pour établir que la thèse créatianiste seule s’impose.

c. La science constate des faits contraires à la création. — Rien de plus péremptoire, si l’assertion était prouvée ; mais il n’en est rien. Que dit-on surtout ?

a) Pour la science, rien ne se fait de rien. — C’est juste. Le principe prouve que si jamais le néant absolu avait existé — ni Dieu, ni monde — jamais rien n’eût existé. Il n’établit nullement qu’un être tout-puissant ne puisse pas produire quelque chose, là où rien ne subsistait. Cf. Scot, In IV. Sent., 1. II, dist. i, q. i, n, 7 ; S. Thom., De potentia, q. iii, a. i, ad’ ; "’. Du fait que le pouvoir de tous les agents qu’elle observe se borne à des modifications d’état, à quel titre la science conclurait-elle qu’aucun agent, d’aucun ordre, fùt-il infini, ne peut produire les substances elles-mêmes ? Affirmer ou nier ici quoi que ce soit dépasse l’expérience : c’est de la philosophie.

/3) Pour la science, rien ne se perd, rien ne se crée.

— A Arai dire, ce n’est ici qu’une autre forme de l’objection précédente.

L’assertion appelle certaines explications, car l’expérience montre que, si toute la chaleur dépensée se retrouve dans le travail mécanique effectué, cette transformation est irréversible, et donc la somme de chaleur utilisable en travail diminue sans cesse. Si la somme d’être reste constante, la somme de travail disponible diminue. Cf. Energie.

Qu’il suffise d’observer, pour le reste, que le principe allégué airu-me seulement l’absence de créations nouvelles et l’indestructibilité des éléments actuels. Très exact, quand il s’agit ainsi des transformations de la matière existante, qu’affirme-t-il, que nie-t-il de ses origines ?

v) Pour la science, le monde évolue et se pei’fectionne tout seul. — Non, pas précisément. Il faut dire que l’ensemble des actions et des réactions qui se 725

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produisent entre les différentes parties du monde aboutit au perfectionnement de certaines espèces. C’est une utilisation des éléments existants, au protît de certains types. Cela prouve-t-il que le monde soit sorti du néant tout seul (tout de rien) ou que d’un état moins parfait pour l’ensemble, soit sorti un état absolument plus parfait (le plus du moins) ?

Un créateur est aussi nécessaire pour expliquer l’origine d’un atome que pour expliquer celle d’un monde, et d’autant plus nécessaire même qu’entre tant de sens que pouvait prendre l’évolution, les lois qui régissent l’évolution présente révèlent une intelligence plus parfaite.

On le voit, et différents articles de ce dictionnaire en fourniront la preuve détaillée, l’objection scientifique ne garde sa portée que moyennant une confusion constante entre la science et la philosophie, entre le fait scientifique et la glose que la science incroyante lui adjoint illégitimement.

Il reste à voir en faveur de qui la philosophie se prononce.

2° La raison recommande la création comme la solution la plus acceptable.

Prenons ce gros problème que toutes les théories doivent résoudre : d’où vient le mal, désordre du monde physique, désordre plus criant du monde moral, défaillances individuelles, impunité actuelle des crimes, etc. ?

Des trois solutions imaginables chacune a ses difficultés ; les moindres sont celles que présente le dogme de la création.

k) Le dualisme se heurte à toutes les difficultés du panthéisme et du créatianisme, avec, en plus, les difficultés toutes spéciales de la multiplicité. Non seulement pour lui le principe bon est limité, impuissant pour le bien physique, comme pour le ])ien moral, mais la même perfection physique — être nécessaire — est donnée comme l’explication physique de son contraire. Appartenant au même ordre physique, qui est le nôtre, ces deux êtres doivent forcément avoir quelques caractères communs ; tous deux nécessaires, ils doivent trouver dans la constitution physique de leur nature la raison de cette perfection commune ; et pourtant on affirme que cette perfection souveraine est soit la conséquence de deux natures toutes contraires, soit le principe de propriétés tout opposées. C’est la plus incohérente des solutions.

fi) Le panthéisme se heurte à toutes les difficultés du créatianisme avec, en plus, une évidente contradiction. En effet, le créatianisme est à la gène pour expliquer comment l’être parfait j)eut produire ou tolérer l’imperfection et le désordre hors de soi ; mais le pantliéisme est dans un bien autre embarras d’expliquer comment Dieu peut produire ou tolérer le mal en soi. Contradiction logique : de quelque manière qu’on l’explique, émanation nécessaire de Dieu, difformité essentielle de son être, altération modale, le mal est en Dieu, à un titre plus ou moins immédiat ; le mal trouve finalement son explication dans la souveraine perfection : la raison du mal, c’est le bien ; de l’imparfait, c’est le parfait. Contradiction de la conscience : elle se refuse à aduietlre l’identité substantielle des personnes entre elles, l’identité substantielle du Parfait et des êtres misérables et coupables que nous sommes.

/) Le créatianisme respecte la logique, en laissant l’Absolu dans la perfection inviolée de son être, et la conscience, en lui reconnaissant son individualité. Il met le mal hors de Dieu, non comme son œuvre directe, mais comme une suite inévitable de la tare originelle de la créature : parce qu’elle est finie, elle est passible, mobile, peccable. Au surplus, il montre.

sans grand’peine, comment, de ces imperfections, l’Etre parfait sait tirer le bien.

Si cette troisième solution a des obscurités — et un pareil problème ne peut pas ne point en offrir — seule du moins elle ne révèle pas de contradiction ^.

Il faut dire plus :

3" La raison présente la création comme la solution nécessaire. Pour l’établir, précisons d’abord les points communs entre créatianistes et anticréatianistes. Les voici :

Comme fait, les uns et les autres admettent l’existence forcément mystérieuse d’un être nécessaire-, de qui il convient de dire au moins qu’il a toujours existé et qu’il s’explique tout seul par la perfection de sa propre nature. Les uns disent : « C’est le monde lui-même » ; les autres : « C’est le Créateur du monde » ; peu importe en ce moment. Pour tous, au moins, du rien absolu rien ne peut sortir ; donc de tout temps a existé un être qui est à lui-même sa raison d’être ; sans quoi rien n’eût jamais été.

Comme principe, les uns et les autres admettent celui de raison suftisante, puisque tous — tous ceux avec qui l’on peut parler raison — professent au moins la possibilité de la science, reconnaissent au moins un enchaînement rigoureux dans la succession des phénomènes. Quelle que soit la manière dont ils l’expliquent, consécution ou causalité, ils concèdent que ce qui suit, loin de surgir du hasard ou du néant, est conditionné et déterminé par ce qui précède.

Avec ces seuls présupposés, voici comment on se voit conduit logiquement à admettre une création, à l’origine des choses.

Un être qui n’est ni l’être nécessaire, ni partie de l’être nécessaire, n’est de lui-même rien ; si donc il existe, il a été à la lettre produit de rien, donc créé. Or tel est le cas de tous les êtres que nous voyons soumis au changement : ils ne sont ni nécessaires, ni partie de lêlre nécessaire.

Le principe général ici formulé est évident, puisqu’il n’y a pas de milieu, entre être nécessairement, ou être par soi, et n’être pas nécessairement, ou « V^/e lien de soi. Son application aux êtres muables requiert seule une démonstration. Nous l’aurons fournie, si nous établissons que l’être nécessaire est nécessairement immuable. Or en voici la preuve.

Un être dont toutes les déterminations sont absolument nécessaires est rigoureusement immuable. Tel est l’être nécessaire ; donc il est rigoureusement immuable.

Ce nouveau principe que nous invoquons n’a besoin que d’être compris au sens où il est fornmlé, pour apparaître évident. En effet, si nous entendons par absolument nécessaire ce qui n’est pas seulement inévitable pour une hypothèse donnée, mais ce qui, de nécessité physique, est tel qu’il est dans n’importe quelles conditions, il devient manifeste que ce qui est indépendant de toutes conditions reste tel qu’il

1. Cette constatation, que nous venons de faire au sujet du problème du mal, pourrait se répéter au sujet du problciDe du changement.

Dans le dualisme, une même perfection physique, la nécessité détre, où nous allons montrer bienliM la raison de Yintmiitabilitr la jilus stricte, est la source comnuine de de u.r principes opposes, do leur conflit, et de leur altération réciproque. Dans le panthéisme, In nécessité est le fjrincipe du mouvcnienl ; et d’autres tei-iiies, comme on va le voir, V identité est cause de diversité constante. Dans le créatianisme enfin, la nécessité est cause d immutabilité, et c’est parce que l’être lu-cessaire possède, dans l’absolue détermination de sa nature, tout ce que les élies finis acquièrent partiellement par voie de changement, yj^’/Z dirij^e leurs mouvements sans se mouvoir lui-même.

2. Non p’.s VEtre nécessaire des Scolastiques, mais un être qui est, nécessaire, au sens minimum que l’on indique. 727

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est, quand même toutes les conditions possibles varieraient : s’il est de nécessité absolue tout ce qu’il est, il est de nécessité absolue toujoui’s le même. On peut nier qu’un tel être existe : c’est la question de fait ; mais la question de droit est certaine : s’il existe, il est nécessairement immuable.

Précisément, dirons-nous, en fait, tel est le cas de cet être premier, nécessaire, que tous admettent. Cette assertion est grosse de difficultés : c’est à l’établiique doit porter l’effort de notre argumentation.

Lorsqu’ils affirment un être nécessaire, tous entendent un être qui n’a besoin que de soi pour être déterminé à être, qui trouve dans la constitution physique de sa nature, non pas seulement une pure possibilité d^e : s.ister, si un autre lui fournit le secours convenable, mais une nécessité inéluctable d’être. Fort bien. Mais il n’y a qu’une manière de concevoir cette nécessité d’être, c’est d’admettre que toutes les déterminations de cet être sont, non seulement possibles en soi, et à ce titre hypothétiquement nécessaires, mais physiquement inéluctables, en d’autres termes absolument nécessaires.

En effet, considérons les modes ou déterminations de cet être. Elles sont ou absolument nécessaires, ou nullement nécessaires, ou nécessaires hypothétiquement.

La première hypothèse nous conduit à affirmer que toutes ces déterminations demeureront immuables, puisqu’elles sont ce qu’elles sont de toute nécessité.

La seconde hypothèse n’a pas de sens. Si l’on admet un être absolu dont la constitution intrinsèque explique l’existence nécessaire, c’est en vertu du déterminisme, qui exige pour toute existence une raison nécessitante. Admettre, en même temps, dans cet être, quelque chose que rien ne nécessite, c’est supposer, en même temps, que le déterminisme peut ne pas s’appliquer. Puisqu’on affirme, à la fois, le pour et le contre, il n’y a pas lieu de prolonger la discussion.

La troisième hypothèse seule demande un examen précis.

Cette détermination qui manque à l’être nécessaire ne saurait être déclarée essentielle, sinon jamais cet être n’aurait été. Nécessaire absolument et essentiellement conditionné sont contradictoires.

Faisons la secondaire et accidentelle.

Or, il importe de le noter, si nous avons admis comme absolument nécessaires, et donc absolument déterminés, tous les constituants essentiels, il reste que leur jeu, leur action physique — si l’on peut accepter ce grossier langage — est nécessaire aussi. En effet, si leur état premier peut se modifier’, c’est qu’il ne s’impose pas absolument, et s’il ne s’impose pas ainsi, il n’y a plus pour lui de raison inconditionnée d’exister ; jamais donc il ne sera plus que d’autres 2.

1. Cette considération oblige à écarter de l’Absolu tout acte qui serait accompagné de changement physique ; elle n’exclut pas, à elle seule, par exemple, un acte nouveau de volonté qui, sans rien changer dans le Créateur, modifierait seulement l’être fini qui en serait l’objet. Mais, à vrai dire, Dieu veut éternellement et par un acte unique tout ce qui s’exécute, sur son ordre, dans la série des âges.’2. Que l’on ne dise pas : ce qui est requis, c’est un état premier n’importe lequel, mais il n est pas requis que cet état soit immuable. Bien an contraire.

N’importe let/uet, en effet, est une abstraction de l’esprit, qui compare des données équivalentes, mais si l’on suppose qu’objectivement, concrètement, aucun de ces équivalents ne s’impose plus que l’autre, comme il n’existe rien qui détermine le choix, éternellement aucun d’eux ne sera. Et comme rien n’existe que de détei’miné au moins sous un premier état, jamais ce prétendu nécessaire n’existera.

Il résulte de là que toute modification même accidentelle est impossible dans l’être nécessaire. La supposer causée de l’extérieur est ridicule, quand il s’agit de l’être qui est ou le Premier ou le Tout. Si on la dit produite par une action nouA^elle des facteurs ou constituants essentiels, on nie, en admettant ce changement, ce qu’on avait concédé : s’il y a place pour du nouveau, ces déterminations essentielles n’étaient donc pas physiquement et absolument déterminées ^, et, si elles ne le sont pas, elles n’ont pas plus que d’autres aucune raison de se trouver réalisées maintenant.

Il n’existe donc pas de milieu physique entre ces deux termes : être par soi et n’être Pien par soi-même ; et ces deux termes ont pour équivalents : être absolument nécessaire sous tous rapports et n’être pas absolument nécessaire, fût-ce sous un seul aspect. Cette constatation faite, on voit comment, du moindre changement qui se produit dans un être, on peut être amené à conclure qu’il n’était pas absolument nécessaire, et donc que, s’il existe, il est grâce à un autre.

Nous confirmerons ces conclusions en réfutant les conceptions qu’on leur oppose. Toutes vont à rejeter cette identité capitale entre nécessaire et immuable.

Voici comment. Ramenons à trois types les sj’stèmes imaginables.

k) Ou bien l’on fait du mouvement l’état normal ou l’essence de l’être ; supposé unique, il évolue de nécessité absolue : être, c’est évoluer ; — /5) ou bien on fait du mouvement le résultat forcé d’un équilibre instable et, comme équilibre dit multiplicité d’éléments qui se conditionnent, telle phase du mouvement est hypothétiquement nécessaire, pour tel état donné des éléments ; — /) ou bien on fait du mouvement, hj’pothétiquement nécessaire ici encore, le produit nécessaire du jeu de principes opposés.

Reprenons chaque hypothèse.

a) Si les philosophes les plus profonds se sont jusqu’ici refusés à faire du mouvement soit l’essence, soit l’état normal de l’être pur, c’est pour une tout autre cause que l’habitude de penser et de parler en morcelant l’universel flux des choses en coupes, plus ou moins réduites, qui risquent toujours de paraître exprimer le repos, Bergson, Evolution créatrice, in-8°, Paris, 1907, p. ^89 sq. En réalité, ils ont vu là un concept contradictoii’e et une impossibilité physique certaine.

En effet, chaque élément du mouvement n’ayant pas sa raison d’être en soi, puisqu’il n’a pas toujours été, doit la trouver dans l’élément précédent. Celui-ci tiendrait donc de sa nature propre la nécessité de devenir autre chose ; la même perfection physique en vertu de laquelle, à un instant donné, il est ce qu’il est l’obligerait à devenir autre qu’il n’est, l’instant qui suit, et cette nouvelle phase bien déterminée à devenir autre encore, le moment d’après. Rien n’a été ajouté du dehors, nulle cause étrangère n’intervient, l’être nécessaire est seul avec ses constituants toujours les mêmes, ou, si l’on veut, la même réalité phj’sique qu’est le mouvement reste la même, et c’est parce qu’elle est toujours la même qu’elle deviendrait toujours autre. C’est le contraire de ce qu’affirme la logique élémentaire : l’identité ne peut expliquer la dii’ersité ; le même explique le même, mais non pas l’autre.

Si les partisans de ces thèses font bon marché de

1. Il faut tenir compte de ce fait qu’une mutation accidentelle n’est pas une réalité indépendante surajoutée à un être : elle ne subsiste que dans et par la substance ; tout changement de ce genre suppose donc une mutabilité plus ou moins grande, mais réelle, dans la substance. 729

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ces oppositions logiques, accusant le « morcelage » de la pensée vulgaire et les jugeant sans force contre leur conception plus synthétique des choses, ce n’est pas, au moins dans ce cas. sans inconséquence grave. En niant ainsi le principe d’identité, ils rejettent cette forme de pensée la plus rudimentaire et la plus commune et donc, même à des yeux de pragmatistes, la plus certainement vraie.

Toutefois, si l’on ne veut pas discuter leur théorie de la connaissance, mieux vaut insister sur le fait suivant.

Ds admettent la réalité du changement. Or point de changement du même physique au même physique, point de devenir, sans modification d’état. S’ils font du changement et du devenir la forme première et normale de l’être, il leur faut donc affirmer que la raison physique de la diversité, c’est Tidentité. On peut dire ces choses, comme on en dit bien d’autres,

— mais il faut ajouter que l’on a contre soi toute l’évidence de Vexpérience physique et psychologique, où l’identité des constituants et des facteurs se manifeste principe physique de permanence et de constance, non de changement.

ji) La seconde hypothèse pourrait, semble-t-il, seeourir la précédente, en montrant l’instabilité de l’homogène, son évolution vers l’hétérogène, comme une conséquence de la persistance de la force : les mêmes forces produisent des effets divers sur des éléments répartis dans des conditions différentes. Spencer, Les premiers principes, in-S", Paris, 1888, p.360 sq., 382 sq. Voici bien l’autre qui sort du même, le changement de l’identité.

Il suffit de s’entendre. Nul ne niera que d’un état instable donné on ne doive aboutir à un état différent. Un tel mouvement sera manifestement nécessaire, d’une nécessité hypothétique, si les conditions du mouvement sont réalisées. Ce qu’on n’explicquepas, c’est pourquoi ces conditions sont réalisées nécessairement, car si elles ne sont pas nécessaires, elles ne seront jamais, ou plutôt on s’enlève tout droit à les prendre comme jamais réalisées, puisqu’on a eu soin d’affirmer, en concédant que l’équilibre initial est instable, qu’il dépend lui même d’une disposition qui n’est point absolument nécessaire, puisqu’elle va s’écrouler, dès l’instant qui suit. Si donc cette disposition primitiA^e n’est point nécessaire de nécessité physique et absolue, comment et pourquoi a-t-elle pu venir à l’existence un seul moment ?

Qu’on ne dise pas que la question est impertinente, qu’il suffit de savoir que ces conditions ont dû être données à quelque époque, puisque leurs lointaines conséquences nous en avertissent. — C est avouer seulement que, pour soutenir cette explication, on a besoin qu’elles Valent été. Nous refusons cette concession, et cela, non pas au nom de la foi, mais au nom de la raison, non pas seulement parce qu’elle serait toute gratuite, mais parce qu elle est illogique. En effet les conditions initiales une fois accordées, on va enchaîner toute la série des évolutions cosmiques par un déterminisme rigoureux… Soit ; mais si le déterminisme règle toutes les évolutions de l’être, pourquoi veut-on qu’il ne règle plus son origine ? Si le monisme n’apporte pas ou de cette existence éternelle, ou de cette apparition première, une raison nécessitante, il contredit l’expérience, qui nous montre que jamais un possible ne vient à l’existence, sans une nécessité actuelle ; il renonce à la raison, puisqu’il refuse de la satisfaire sur le prolilème des origines, de même nature pourtant que celui de la durée ; il la contredit, en admettant que le déterminisme vaut pour la continuation du mouvement et ne vaut plus pour ses débuts.

On ne peut faire arbitrairement leur part ni au

hasard ni à la nécessité. S’il suffit à la science et à l’esprit humain de constatations de fait, constatons seulement que les phénomènes se suivent, et n’ajoutons rien de plus. Si l’on parle de déterminisme scientifique, nous avons droit, au nom des mêmes principes, d’interdire qu’on nie, d’exiger qu’on affirme l’Inconditionné qui seul a pu déterminer à être, soit dans le temps, soit dès l’éternité, la série entière des éléments conditionnés.

7) Dira-t-on que c’est du conflit d’éléments nécessaires que nait la nécessité du mouvement ? Ici encore le mouvement ne serait nécessaire qu’en dépendance des principes qui le conditionnent. Ceux-ci étant passibles, muables, se révèlent comme hypothétiquement nécessaires. Dès lors, rien n’existera jamais.

En effet, puisque ces principes s’altèrent dans leurs actions et réactions réciproques, leur état initial ne s’impose pas absolument, mais il dépend à tout le moins d’une disposition interne bien définie. Puisque celle-ci se révèle inapte à persévérer par elle-même, comment aurait-elle commencé pai* elle-même ? Toute possible qu’elle soit, elle n’eût donc jamais été donnée, si quelque Absolu ne l’eût déterminée à Vexlstence.

Et de quelles difficultés Aient compliquer le problème cette prétendue multiplicité et cette diversité des principes premiers ! Si « être nécessaire » est une qualité physique, c’est bien dans la nature physique des êtres que cette nécessité doit aoir son explication, et, si elle convientà quelque nature donnée, elle ne peut convcnir à celles qui en diffèrent, soit par une opposition complète, soit par une divergence notable de perfection.

Admettre, malgré tout, une thèse de ce genre’, c’est moins expliquer quoi que ce soit, que se donner les postulats dont on a besoin. A ce compte, on n’a pas le droit d’interdire à autrui une théorie qui, pour justifier ses assertions, ne demande rien d’autre que l’application des principes reçus partout ailleurs. Sa conclusion, — la création, — peut être singulière, parce que le problème des origines ne se pose précisément qu’une fois : il n’y a là rien d’étonnant ; mais sa méthode, ce n’est ni plus ni moins que l’application des règles générales du déterminisme scientifique : nulle garantie meilleure de A^érité.

Voici en deux mots la marche de sa démonstration : dans le monde physique rien ne passe du possible à l’être que sous le déterminisme d’une nécessité phj’sique ; l’être nécessaire ne peut donc être déterminé à être que par la nécessité intrinsèque de sa nature ; le seul moyen qu’ilA’érifie une fois les conditions de cette nécessité, c’est qu’il les vérifie en dehors de toute hypothèse, absolument ; les vérifiant à ce titre, il reste, en dépit de toute hypothèse, toujours le même, donc Immuable ; donc tout être qui participe au changement est hors de lui ; c’est dire

1. Telle, moins le souci de cohérence dialectique, la thèse de W. James, A pluralistic unirerse, in-S », Londres, 1909, p. 310, 312, et celle de Hæckel, dont le monisme matérialiste, en réalité un i( pluraHsme », se révèle aussi peu scrupideux en fait do science (cf. GrObeh, f.e Posttiviswe depuis Cowt, ’. in-12, Paris, 1893, p. 301 sq., et surtout NN’as.mann, Alteu. neuf Forscliungen llæckeh, dans les Stimmen, 1909, p. lG9sq., 297 sq., 422 sq.) que peu exigeant en fait de logique et do morale : « Notre forme conviction inoniste, quo la loi fondamentale cosniologique vantunivcrsellemont dans la nature cnlière, est de la plus haute ini|>ortanco. Car non seulement elle démontre positivement l’unité foncière du Cosmos et l’enchaînement causal de tous les phénomènes…. mais elle réalise, négatii’ement, le suprême progrès intcllccluel, la chute définitive des trois dogmes centraux de la métaphysique : Dieu, la liberté ot li’mmortalité. » Les Enigmes de l’univers, in-S », Paris, 1903, p. 265. J31

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qu’il est produit par lui du néant à l’existence : il est créé.

IV. Quelle est la fin de la création ? — Puisque Dieu est infiniment sage, il avait évidemment une fin en créant le monde.

D’autre part, cette fin ne peut être que Dieu même. (Prov. XVI, 4 ; Apoc. XXII, 13.)

La volonté de Dieu, en effet, ne peut agir que pour une fin digne d’elle. Or il n’en est pas en dehors de l’Infini que Dieu est. Agir pour soi n’est donc pas. en ce cas, de l’égoïsme, c’est justice et devoir strict, a Etant le bien suprême, dit ScHEEBEN, ila droit à tout honneur et il ne le réclame que parce qu’il a pour lui-même l’estime qui est due au Souverain Bien. «  Dogmatique, trad. Bélet, t. iii, p. 64 ; Lessius, De perfect. moribiisque divinis, 1. xiv, c. iii, in fol., Anvers, 1626, p. 2^0 sq.

Par ailleurs, l’essence infinie se suffit ; elle n’a besoin de rien hors de soi et la création ne profite qu’aux seules créatures.

On voit par là en quel sens la théologie catholique enseigne que la fin du Créateur est premièrement sa gloire et secondement le bien des êtres créés.

Il a décrété l’acte créateur comme glorieux à sa personne, non que les louanges de mille mondes pussent enrichir d’un rien l’infinité de son honneur et de son bonheur, mais parce qu’il lui était beau et convenable de recevoir et donc de vouloir pour soi ces hommages.

Il la voulu pour le bien de ses créatures, parce qu’elles seules gagnent réellement à cet acte et le don de l’existence et celui de la récompense éternelle, qui doit la couronner.

La même action divine est ainsi à double effet : tout gain pour la créature, tout honneur pour le Créateur, et d’autant plus glorieuse à celui-ci qu’elle est, à bien juger des choses, plus désintéressée. Cf. MoNSABRÉ, Conférences de Notre-Dame, in-8’^, Paris, 1874. 2’conf., p. 290 sq.

Lorsqu’on ajoute que le monde matériel a été créé pour riiomme, on entend dire seulement que la Providence 1° a voulu pour l’homme l’utilité qu’il perçoit de toutes choses ; 2° qu’elle a voulu que l’homme se servît de toutes en maître, au lieu d’asservir son àme à des êtres qui l’écrasent souvent de leur masse, mais qu’il domine de toute la dignité de son intelligence.

Cette leçon, exprimée dès les premières pages de la Bible (Gen. i, 28 ; cf. Ps. viii, 7, 8), n’a aucun lien nécessaire avec les théories géocentriques avec lesquelles certains apologistes ont pu l’unir et certains controversistes la confondre.

Y. La création est-elle un acte libre ? — Le Concile du Vatican l’aflirme expressément. Il est aisé de justifier sa définition.

Dieu n’a été amené à créer par aucun besoin ; il n’y a été porté par aucun devoir.

Il est en effet le bien parfait, la plénitude de toute richesse. Comment pourrait-il avoir besoin de créatures en qui il ne pourra jamais que retrouver ce qu’il aura bien voulu mettre ?

Infinie perfection, il tire de lui-même la règle de ses actions, et cette règle ne peut pas prescrire la création comme obligatoire à celui à qui rien ne manque sous aucun rapport. Un devoir strict, en effet, suppose une exigence et un besoin. Rien de tel ici, ni à l’égard de Dieu : il est Tout ; ni à l’égard des créatures : il pourra se lier envers elles, en les créant ; il ne peut être tenu envers elles, avant qu’elles soient.

L’acte créateura donc été absolument libre ducôté de Dieu, soit quant à son exercice (créer ou s’abstenir).

soit quant à sa spécification (créer tels ou tels êtres, dans telles ou telles conditions).

Les difiicultés que présente cette doctrine sont ou spéciales aux actes divins ou communes à tout acte libre.

A la première classe appartiennent toutes celles qu’on pourrait tirer de la souveraine perfection de Dieu, qui semble l’obliger au mieux en toute chose. On observera, à ce sujet, que, si cette perfection interdit à Dieu tout acte proprement mauvais, elle ne lui impose déterminément aucun acte bon. A celui qui est l’Infini, sous tous rapports imaginables, aucun acte imaginable n’ajoute rien : il lui demeure donc indifférent.

On prendra même garde, à l’encontre des thèses de l’optimisme, que le « mieux absolu » est irréalisable, chaque fois qu’il s’agit d’êtres finis. Entre la qualité, la quantité, le nombre, l’espace, le temps, que l’on supposera le plus grand ou le meilleur possible, et l’Infini, il restera toujours une infinité d’autres grandeurs ou perfections possibles : toutes, en fin de compte, seront également infîmes à l’égard de l’Infini, et donc nulle ne s’impose spécialement à son choix.

Dans la seconde classe, on peut ranger les objections que fait naître le souci d’expliquer la rationabilité du choix divin. — On se souviendra que, s’il est essentiel à l’acte libre, humain ou divin, d’avoir des considérants, qui le rendent convenable et, à ce titre, préférable entre d’autres, au gré de l’agent, il ne lui est pas moins essentiel de n’avoir aucune cause nécessitante.

Tel est le champ de la liberté divine dans la création.

Créer ou ne pas créer sont partis qui s’imposent aussi peu l’un cjue l’autre.

Si Dieu crée, de toute nécessité les créatures, à cause de ce Aice radical qu’elles ont d’être tirées du néant, seront forcément limitées en perfection, et par conséquent, sous quelque rapport, passibles, faillibles, défectueuses.

Des spécifications diverses de mérite, de quantité, d’espace, de temps, aucune n’est nécessitée, en droit, plus que d’autres^ et ne s’explique, en fait, que par ses aptitudes à servir au plan général que la Providence a librement choisi.

VI. Le monde est-il éternel ? — Il est certain qu’il n’est pas éternel par la nécessité de sa nature, puisqu’il apparaît avec tous les caractères des êtres contingents ; Aoir plus haut, col. 726 sq.

Il est de foi que notre monde a été créé dans le temps, ou mieux a^ec l’origine des temps.

Etait-il possible que le monde reçût l’existence de toute éternité, qu’il fût créé sans avoir jamais commencé ?


Réduit à ces limites, le problème est sans portée dogmatique.

En effet, loin d’exclure l’action créatrice, comme le monisme moderne, on la suppose. On envisage une possibilité de droit, non la cquestion </e /"ai/, tranchée par la foi. On respecte les attributs de Dieu, car une éternité par participation ne semble pas plus injurieuse à ses prérogatives que la participation des autres perfections : elle resterait, comme celles-ci, analogue, non identique.

Il suffira donc de quelques indications qui puissent, le cas échéant, aider l’apologiste à maintenir la question sur son vrai terrain, et à éviter les argumentations inefficaces et les solutions hybrides.

Le vrai point à établir (comme l’ont précisé Albert

LE Grand, In IV Sent., 1. II, dist.i, a. 10 ; Sum.theol.,

p.II, lr. I, q. IV, m. 11, a. 5, et surtout S. Thomas, In IV

I 5en<., l.II, dist. I, q. i, a. 5, sol., et Cont. murmurantes : 733

CRITICISME KANTIEN

cf. Maxdonxet, dans la Re<, -. Thomiste, 1886, p. 669) est le suivant : être par la puissance d’un autre, esse ah a/(o, admet-il Tidëe d’être toujours, esse ah aeterno, ou inclut-il l’idée d’être après n’avoir pas été, de commencer, esse post non esse^ ? Si l’on choisit la première alternative, il faut dire que Dieu, éternellement tout-puissant, a pu créer de toute éternité ; si l’on adopte la seconde, qu’il ne peut exercer cette puissance que dans le temps. Reste à justifier l’un ou l’autre parti.

Vouloir trancher ce problème par l’impossibilité d’un nombre infini, c’est prendre un biais : c’est arguer de l’impossibilité d’une conséquence (infinité du nombre des révolutions mondiales, des générations humaines, etc.) à l’impossibilité d’un principe (existence éternelle du monde). La méthode n’est pas illégitime, à condition que la possibilité ou l’impossibilité de cette conséquence ne soit ni plus, ni aussi obscure, que la question de principe. A chacun d’en juger.

Manifestement un nombre infini est un concept contradictoire dans les termes, si l’on entend une quantité d’unités à la fois comptée et infinie. Il est par contre bien clair qu’une série arrêtée par un bout au moment présent, mais dont l’origine esta l’in/ : ’ni, ne prête en rien à cette contradiction. Si on veut l’appeler un nombre, il faut le dire inépuisable, inexprimable à tout autre qu’à l’Etre infini. Proportion gardée, il en va de même de toute autre notion infinie, sagesse, bonté, puissance, que Dieu seul, en quelque sorte, peut mesurer. On rencontrerait donc, aussi loin qu’on remonterait dans le temps, des siècles et des jours précédents, jamais de premier. Dieu seul Aerrait^ cette série de jours réels, comme il voit bien certainement distinctement la série des jours possibles avant le commencement du temps, ou l’infinité des êtres possibles, que pourtant il ne l’éalisera jamais.

Cette dernière obsei-vation, nous l’espérons, déconseillera certaine solution mixte à laquelle, après DuRAXD et SuAREz, Bisp. Met. xx, sect. v, n. 4 sq., quelques-uns préfèrent s’arrêter. Pour éviter un nombre infini, ils excluent toute modification de la créature, qui pourrait occasionner une numération : ils professent donc la possibilité d’une création éternelle, pour un être immobile et immuable ; ils la rejettent, pour un être mobile. Or, observe justement S. Thomas, Sum. Theol., i, q. x, a. 4, 3°", le temps ne mesure pas seulement le mouvement, mais aussi le repos de l’être qui est apte au mouvement et ne se meut pas. C’est dire que, supposé un être lini quelconi (ue, parce que de ce chef il est, au moins de droit, passible et muable, on peut évakier sa durée réelle en fonction d’une unité empruntée à quelque être soumis de fait au changement. Si cet immobile est éternel, il existerait donc depuis un nombre d’unités de temps vraiment infini.

On le voit, s’il y a toujours intérêt à remettre les questions au point, cela fait, il n’y a pour aucun parti beaucoup à gagner ou beaucoup à perdre à l’une ou l’autre solution. Ce n’est pas sur l’impossibilité du nombre infini, ni sur le fait du commencement temporel du monde, que la théologie catholique appuie la preuve de la création. S. Thomas observe que la voie la plus sûre est celle qui démon 1. On voit ici l’importance de définir la création sans présupposer la question. Des deux définitions données, col. 723, II, c, l’accoption d’usage suflît chaque fois qu’on parle du fait ; l’acception rigoureuse peut seule être invo (iuée, quand on traite le problème de droit.

2. Mais Dieu ne pourrait expiitner cette série par aucun nombre intcUijrible à aucun esprit fini il faudrait une autre éternité pour le lui dire.

tre ce fait même dans l’hypothèse de l’éternité du monde. Physic., 1. viii, lect. i, éd. de Parme, t. XYII, p. 473. Nous avons suivi ce conseil ; voir col. 526, III, 3". Eternel ou non éternel, le monde change ; voilà la tare qui empêchera de le prendre jamais pour l’Etre nécessaire. Puisqu’il n’est pas Celui qui est, il a été fait de rien.

Bibliographie. — 1° Commentaires du Vatican : Granderath, Constit. dogmaticæ S. C. Vatican’, in-8°, Fribourg en Br., 1892, p. ^4 sq. ; cf. Geschichte des Vatic. Konzils, in-8% Fr. en Br., igoS, t. II, 1. I, c. VI ; 1. II, c. VI ; trad. franc, en cours ; Vacant, Etudes théologiques sur les Constitutions du C. du Vatican, in-8°, Paris, iSgS, !. I, p. 215 sq. ; Pinard, dans le Bict. de théul. cathol. de Vacant, art. Création, col. 2182 sq.

2° Etudes philos, et théol. : Acatholiques : J.Simon, La religion naturelle, in-12, Paris, 18y3, ; ’éd., p. 85 sq. ; Saisset, £’ssa /s de philos, relig., in-12, Paris, 1862, 3 éd., t. II, p. 51 sq. ; P. Janet, Le matérialisme contemporain, in-12, Paris, 1888, 5’éd. ; Maillet, La Création et la Providence devant la science moderne, in-8°, Paris, 1897.

Catholiques : Félix, Confér. de y.-l)., in-80, Paris, 1863, p. 51 sq. ; 1865 en entier ; Caro, Le matérialisme et la science, in-12, Paris, 1868 ; Monsabré, Confér de N.-D., in-8°, Paris, 18^3, p. 276 sq. ; 1874 » p. 269 sq. ; 1875 en entier ; d’Hulst, Confér. de N.-D., in-12, Paris, 1891, p. 117 sq., p. 376 sq. ; Mélanges philosophiques, in- 12, Paris, 1892, p. a45 sq. ; p. 293 sq. ; Kleutgen, La philosophie scolastique, in-8, Paris, 1870, t. IV, p. 432 sq. ; Scheeben, La dogmatique, in-8°^, Paris, 1881, t. III, p. 4 sq. ; J. Heinvich, Dogniat. Théologie, t. V, 1888, p. 16-279 ; Hontheim, Institut. Theodiceae, in-80, Fribourg en Br., 1893, p. 748 sq. ; Urraburu, Cosmologia, in-S"^, Valladolid, 1892, p. 156-292 ; Theodicea, 189g, t. II, p. 688 sq. ; Farges, L’idée de Dieu d’après la raison et la science, in-8°, Paris, 1894, p. 44^ sq. ; Villard, Dieu devant la science et la raison, in-80, Paris, 189^ ; Janssens, De Deo créante et élevante, in-8^, Fribourg en Br., 1906, p. I21-215 ; Dict. de théol., art ; cit., col. 2100 sq.

3’^ Etudes historiques : Acathol. : Zôckler, Geschichte der Beziehungen ztvischen Théologie u. Natumissenschaft, 2 in-8’, Giilersloh, 1877-9, et dans Herzog-Hauck, Realencyklopædie, art. Schbpfung, t. XVII, p. 689 sq. ; A. Weckener, Die monistiche U’ellanschauung u. das Religionsproblem, in-8°, Leipzig, 1908, pp. 36.

Cathol. : Vanhoonacker, De rernm creatione e.t nihilo, in-8°, Louvain, 1886 ; exposé des erreurs, Janssens, op. cit., p. 66-121 ; doctrine de la Bible et des Pères… Dict. de théol., art. cit., col. 20422100.

4* Apologie scientifique. Cf. Energie, Evolution’, Monde (Système du).

II. Pinard.