Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Corpus Juris Canonici

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 365-369).

CORPUS JURIS CANONICI. — Division de cet artitle :
I..talion du « Corpus juris canonici » en général ; II. Décret de Gratien ; III. Décrétales de Grégoire IX : IV. Sexte de Jioniface VIII ; V. Clémentines ; VI. Extravagantes de Jean XXH et Extravagantes communes ; VII. Additions au « Corpus » ; VIII. Editions du « Corpus ».

I. Notion du « Corpus juris canonici ». — Par Corpus juris on entendait, en droit romain, une législation complète ou l’ensemble des collections qui renfermaient cette législation. La dénomination passa dans la langue canonique, où elle désigna, suivant les époques, des collections différentes : le Décret de Gratien, puis cinq collections (de la lin du xii* siècle et du commencement du xiii’) connues sous le nom des « Cinq compilations antiques » ; plus tard les Décrétales de Grégoire IX, ou le Sexte de Boniface VIII, ou les Clémentines, et, plus communément, la réunion de ces trois dernières collections. Enfin au xvi’siècle, elle reçut un sens en quelque sorte officiel dans la constitution de Grégoire XIII, Cuni pro munere (l’^'juillet 1580) où le mot Corpus juris comprend les six collections suivantes : le Décret de Gratien, les Décrétales de Grégoire IX, le Sexte de Boniface VIII, les Clémentines, les Extravagantes de Jean XXII et les Extravagantes communes. A partir du xvii « siècle, l’usage des éditeurs généralisa cette dernière signification ; c’est celle qui est communément reçue de nos jours et que nous retenons dans cet article.

Ainsi considéré, le Corpus juris représente l’ensemble de la législation canonique telle qu’elle a été recueillie par Gratien des grands répertoires juridiques des x « et xi" siècles et s’est développée du xii" au xv^. Tous les éléments n’en sont pas authentiques. De plus, un grand nombre des lois authentiques qui la composent sont aujourd’hui abrogées ou modifiées et le recueil lui-même sera prochainement remplacé par le code dont Pie X a ordonné l’élaboration (Motu proprio Arduum, 19 mars igo^)- Mais il sollicitera l’attention du canoniste et de l’historien, comme l’un des principaux monuments de la vie juridique du moj-en âge et des temps modernes et l’une des sources les plus notables de la nouvclle discipline. Sous ce double rapport, il intéresse aussi l’apologiste, qui y trouvera la pensée exacte de l’Eglise dans sa constitution et son gouvernement intérieur et dans ses relations avec la société ciA’ile : un grand nombre de controverses en reçoivent leur vrai jour.

A un point de vue plus modeste, une courte introduction au Corpus n’est pas sans utilité pour le travailleur qui peut avoir aie consulter ; si l’on n’a reçu quelques indications préliminaires, on aura de la peine à se retrouver dans cette masse un peu confuse ; en outre, l’inégale valeur de ses éléments exposera plus dune fois à des erreurs d’appréciation. Le but de cet article est précisément de faciliter le maniement du Corpus. Xous traiterons successivement de chacune de ses collections.

II. Décret de Gratien. — i* Historique. Cette collection. qui dans les éditions modernes occupe généralement tout le premier Aolume du Corpus, a été composée, entre iiSg et 1150, par Gratien (7 vers Il’59), moine italien du monastère camaldule des saints Félix et Nal)or à Bologne et professeur de théologie dans colle cité. Elle a pour titre, dans de très anciens manuscrits, Concordantia discordantium canonum (Concorde des canons discordants) ; et, comme ces mots l’indiquent, ce n’est pas une simple compilation ou classification méthodique des textes législatifs, mais un essai de conciliation d’antinomies juridiques. L’auteur reproduit d’abord, sur la question, les canons qui concordent entre eux, puis ceux qui paraissent y contredire ; il apporte ensuite les textes qui ouvrent la voie à une conciliation et il propose sa solution. On trouve donc, dans le Décret, une série de canons reliés par un bref commentaire 715

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de Gratien : les mots Dicta Graîiani, répétés en tête du commentaire, le distinguent des citations. Quelques canons portent le titre de Paleæ ; ce sont des textes insérés postérieurement à Gratien par des commentateurs : on pense plus généralement que ces additions ont été ainsi appelées du nom de leur premier auteur Paucapalea ou Pucapaglia, disciple de Gratien. Cependant cf. Gilmanx, Paucapalea und Paleæ hei Huguccio (Mayence 1908), et dans Archiv ftir Kat. Kirchenrecht, t. LXXXVIII.

2° Description du Décret. — Le Décret est di^-isé en trois parties. La première etla troisième (intitulée De consecratione) sont subdivisées en distinctions sectionnées elles-mêmes en canons ou chapitres ; la deuxième est distribuée en causes (en tête desquelles Gratien propose le sujet sous forme de cas ou espèces juridiques) et qui se subdivisent en questions, puis en canons. L’une de ces questions, la 3’de la XXXIII"^ cause, est tout un traité de la Pénitence, que Gratien a inséré dans sa collection et que sa longueiu- a fait partager en distinctions et canons, lue compilateur a placé en tête de chaque canon un sommaire qui le résume et une inscription qui indique, souvent d’une manière fautive, son origine. _

On trouvera, dans les manuels de droit canonique, la manière de citer le Décret et les autres collections du Corpus : voir notamment, sur les usages des anciens autem-s, Laurin (ci-dessous, à la Bibliographie).

Les commentateurs du décret y ajoutèrent, en marge ou en interligne, des gloses ou courtes annotations à certains mots du texte. Vers I213, Jean le Teutonique en fit un choix qu’il retoucha et compléta ; revisées en 12^5 ou 1246, par Barthélemi de Brescia, ces notes devinrent usuelles sous le nom de glose ordinaire. On joignit à la glose des cas ou exemples, des divisions, des références aux textes correspondants, etc. ; et ainsi fut formé l’apparat marginal cpi’on trouve dans les éditions glossées. Ce qui eut lieu pour le Décret de Gratien, se réalisa aussi pour l’appai-at des autres collections. Leurs auteurs y sont souvent indiqués par de simples abréviations : on trouvera la clef de ces initiales dans l’ouvrage de Laurin cité ci-dessous à la Bibliographie.

3’^ Valeur du Décret. — Le décret jouit, dès le début, d’une grande vogue ; du reste, aucun doute n’existait alors sur l’authenticité de ses éléments : il devint bientôt le texte de l’enseignement classique ; il fut reçu dans les tribunaux et cité dans les documents législatifs de l’Eglise : elle en donna même au xvie siècle une édition dans un certain sens otlicielle (v. ci-dessous les Editions du « Corpus juris »). Malgré cela, et contrairement à ce qu’en ont pensé quelques canonistes, le Décret ne fut qu’une œuvre privée, qui n’a jamais été authenticjuce officiellement : on 1 allègue au for ecclésiastique à peu près comme on allègue, par exemple, au for civil, la collection de Dalloz. Il s’ensuit que pour se rendre compte de la valeur historique et juridique de chacun de ses canons, il est nécessaire de s’informer de leur valeur originelle. Gratien n’a pas consulté le plus souvent les sources primitives ; mais il a travaillé sur les collections antérieures, où circulaient depuis le ix"" siècle bien des pièces apocryphes. Il lui arrive d’attribuer, dans ses inscriptions, à des papes ou à des conciles généraux des textes apocryphes ou empruntés aux synodes locaux, aux Pères de l’Eglise, aux lois civiles, et de donner la valeur de lois canoniques universelles et générales à des citations qui n’ont aucune autorité législative ou à des canons, légitimes sans doute, mais qui ne constituaient que des prescriptions particulières et restreintes. Il y aura donc lieu de faire la critique des autorités du Décret avant de les utiliser. Nombre d’éruditsont travaillé à cette rccen sion, et notamment Antoine Augustin (-J- 1586) dans ses De emendatione Gratiani dialogorum libri duo (Tarragone, 1687) et Sébastien Berardi (-f- 1766) dans ses Gratiani canones genuini ab apocryphis discreti (Turin, 1752-1757). Mais une des éditions les plus utiles à cet égard est celle d’Emile Friedberg (v. ci-dessous Editions du « Corpus juris) » : on y trouvera, indiquée, dans les prolégomènes et dans les notes, l’origine vraie des divers canons.

III. Décrétales de Grégoire IX. — 1° Origine de la collection. Après Gratien, d’autres collections furent publiées, et cinq d’entre elles, dites les cinq compilations antiques, eurent une notoriété particulière : la troisiè me même et la cinquième (probablement aussi la quatrième) constituèrent des collections officielles. Cf..^.Friedberg, Quinque compilationes antiquae (Leipzig, 1882). Mais, dans la première moitié du xiii siècle, tous ces recueils furent remplacés par la célèbre compilation de Grégoire IX. Le pape en confia la préparation à saint Raymond de Pennafort (-J- 1275). Il le chargea de faire non un simple classement des lois existantes, mais aussi une retouche de tout le droit, en vue d’en éclaircir les incertitudes, d en concilier les antinomies, d’en combler les lacunes et d’en mieux ordonner le texte. Son œuvre fut sanctionnée par l’autorité apostolique, et Grégoire IX la promulgua, pour toute l’Eglise, comme collection officielle du droit canonique universel, par sa constitution Rex paci ficus (3 septembre 1234) : aux termes de cette constitution, l’usage exclusif du nouveau code était prescrit pour l’enseignement et l’administration de la justice. On le trouve désigné, dans les anciens auteurs, sous le nom de Compilatio sexta, par opposition aux Cinq compilations antiques (ne pas confondre avec le Liber sextus de Boniface Vlll dont il sera question ci-dessous), ou encore Liber extravagantium, livre des décrétales non contenues dans Gratien, extra Decretumyagantium(ne pas confondre avec les deux collections des Extravagantes dont il sera traité tout à l’heure) ou enfin Décrétales tout court et Décrétales Gregorii.’i.’^ Description de la collection. — S.Raymond divisa lui-même la collection en cinq livres, subdivisés en titres et chapitres. Les titres sont numérotés et formulés par de courts libellés, qu’on imprima d’ordinaire en rouge, d où leur nom usuel de rubriques. Bien que saint Raymond eût modifié le texte primitif des canons, il laissa en tête des chapitres les inscriptions (souvent fautives) qui en indiquaient l’origine ; et il marqua fréquemment par les mots Et infra (ou Et y.) les endroits où il avait opéré des coupures plus considérables. Ces passages omis à dessein par le législateur, ou partes decisae, ont été rétablis par les éditeurs, depuis le xvi’siècle, ou en notes, ou, ce qui est moins conforme aux prescriptions canoniques (v. ci-dessous, édition romaine de Grégoire XIII), dans le texte lui-même. Les éditeurs ajoutèrent aussi, depuis la fin du xv’siècle, en tête des chapitres, de brefs sommaires, empruntés aux commentateurs les plus célèbres. Les décrétales eurent leurs glossateurs. Dans la première partie du xiii® siècle, Bernard de Botone ou Parmensis (]- 1203), avec les gloses de ses prédécesseurs et les siennes propres, composa la glose ordinaire qui devint d’un usage commun et que complétèrent les additions de Jean André (Addit. Joa. Andr.).

3° Valeur des Décrétales de Grégoire IX. — La collection est officielle. Il y a donc lieu de distinguer la valeur critique des documents considérés en eux-mêmes et la valeur juridique qu’ils reçoivent du fait de leur insertion dans une collection officielle. — 1° Valeur critique. La collection ne renferme qu’un nombre 717

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relativement restreint de pièces strictement apocryphes, quelques-unes cependant s’y sont glissées. De plus, s. Raymond n’a pas travaillé sur les originaux, mais il a utilisé les compilations précédentes, et principalement les cinq compilations antiques : il en a reçu, même pour les textes authentiques, des leçons imparfaites et surtout des attributions inexactes ; et il y a ajouté, à dessein, d’après les instructions du pape, ses propres modifications. Enlîn un très grand nombre de décrétales, dans leur teneur primitive, ne sont pas des lois d’un caractère universel, mais des rescrits concernant des cas particuliers ou des canons de conciles provinciaux : quelques-unes mêmes sont dépourvues de toute valeur strictement juridique et sont de simples sentences des Pères ou écrivains ecclésiastiques, des extraits de recueils pénitentiaux ou des lois séculières. On trouvera leurs attributions exactes dans les tables de Friedberg. 2° Valeur juridique. Mais, quelle que soit la valeur originelle des décrétales, du fait de leur insertion dans la collection et de la promulgation offîciellc de cette collection comme recueil légal du droit canonique, elles ont toutes été juridiquement authentiquées et sont toutes devenues, par la volonté souveraine de Grégoire IX, lois universelles de l’Eglise. La critique des sources a donc, pour le canoniste, moins d’intérêt ici que dans le Décret de Gratien. En outre toutes ces lois sont censées datées du même jour, du jour de leur promulgation par Grégoire IX : quelle que soit donc, en fait, l’origine plus ou moins ancienne des divers canons, juridiquement ils sont tous du 5 septembre 1234- H en résulte que pour les interpréter sainement en tant que droit des Décrétales, on doit les lire non dans leur identité primitive, mais dans leur texte grégorien et dans le contexte de toute la collection. Notons toutefois que cette valeur juridique n’appartient qu’aux rubriques des titres et au texte des chapitres, tels qu’ils sont l’œuvre de s. Raymond approuvée parGrégoire IX, nonaunsommaires ou aux gloses ajoutées plus tard par l’industrie privée, ni, à plus forte raison, aux partes decisæ rétablies par les éditeurs mais omises à dessein, nous l’avons dit, par le législateur. De plus, même dans le texte officiel, ce qui a proprement force de loi, c’est le dispositif, non la partie expositive qui sert cependant à son interprétation. C’est donc à tort qu’on prétendrait tirer de quelque incidente isolée l’énoncé exprès de la loi.

IV. Sexte de Boniface VIII. — 1° Historique. M&lgré l’importance de l’œuvre de Grégoire IX, la vie de l’Eglise nécessita bientôt de nouvelles lois et de nouveaux recueils. Innocent IV, après avoir fait insérer deux nouvelles constitutions dans la collection de Grégoire IX, promulgua une première compilation de ses propres décrétales entre 1246-1251, puis une seconde en 1253. Deux autres suivirent, celle de Grégoire X en 1274 et celle de Nicolas III en 1280. Cette multiplicité de collections faisaient désirer qu’une compilation unique les remplaçât toutes. C’est ce que réalisa Boniface VIII, avec la collaboration de Guillaume de Mandagotto, ou Mandagout, archevêque d’Embrun, de Rérenger Fredoli, évêque de Béziers, de Richard Pctroni, vice-chancelier de l’Eglise romaine. Le pape promulgua la collection par sa constitution Sacrosanlæ du 3 mars 1298 : il y abroge non seulement les collections j)ul)liées par ses prédécesseurs après la compilation de Grégoire IX, mais aussi toutes leurs décrétales isolées qui ne seraient pas contenues ou exceptées dans la nouvelle compilation.

2° Description du Sexte. — Boniface VIII intitula la collection Liber sextus, comme faisant suite aux

cinq livres des Décrétales de Grégoire IX. Mais le Sexle est divisé lui-même en cinq livres, subdivisés en titres et chapitres, comme les Décrétales, dans le même ordre et sous des rubriques identiques : il est à noter que l’omission de certains titres a modifié le numérotage des autres ; c’est ainsi que le titre de renunciatione, qui est le 9* du livre I dans les Décrétales, est le ; « dans le Sexte. La collection se termine par 88 Règles du droit ou courtes sentences juridiques réunies par Dino de Rossones, professeur à Bologne : elles furent publiées a^ec le Sext-J par Boniface VIII, et c’est sans fondement que, contrairement à l’opinion reçue, on leur a dénié une valeur légale. Chaque chapitre porte son inscription. Les éditeurs y ajoutèrent plus tard les sommaires empruntés aux commentateurs. La glose ordinaire du Sexte a été rédigée par Jean André qui s’est aidé des apparats de Jean Le Moine (-7 1313), et de Gui de Baysio, dit l’Archidiacre (7 1313).Plus tard il l’enrichit d’additions (additiones ad apparat. super Sextum).

3° Valeur du Sexte. — Le Sexte ne contient que des documents authentiques, empruntés aux deux Conciles généraux de Lyon, aux décrétales des prédécesseurs de Boniface VIII et, en plus grand nombre, à celles de ce pape. Mais, en vue d’une meilleure rédaction et d’une meilleure adaptation des lois, le texte primitif a reçu de notables modifications : ainsi corrigé, il représente seul le vrai texte légal, à partir de la publication du Sexte. Sous le rapport juridique, toutes les lois insérées dans la collection reçoivent, par le fait de cette insertion, force de lois universelles, et sont censées datées du jour même de la promulgation du recueil. On doit redire ici ce qui a été dit plus haut, à propos de Grégoire IX, sur la valeur des rubriques, des sommaires, des gloses, ainsi que sur la distinction à faire entre le dispositif et la partie expositive. Le Sexte abroge, nous l’avons dit, toutes les décrétales des prédécesseurs de Boniface VIII, postérieures à la compilation de Grégoire IX (sauf les actes qui n’avaient que le caractère d’induits ou rescrits particuliers) ; mais cela ne doit pas être étendu aux décrétales de Boniface lui-même : même antérieures au Sexte, elles gardaient leur valeur, et Ion ne peut de leur absence de la collection déduire un argument contre leur authenticité ou leur valeur canonique.

V. Les Clémentines. — i ° Origine. Les éléments de cette collection ont été fournis par les décrétales de Clément V (en particulier, les constitutions publiées au concile de Vienne), et par deux décrétales de ses prédécesseurs, l’une de Boniface Vlll, l’autre d’Urbain IV. La compilation eut un but analogue à celui des compilations de Grégoire IX et de Boniface VIII, et le texte primitif des documents, notamment celui des constitutions conciliaires de Vienne, y subit d’importants remaniements, additions et retranchements. Clément V publia la collection en consistoire, à Monteaux près Carpcntras, le 21 mars 1314- H l’avait (comme il ressort de divers manuscrits) déjà envoyée aux universités de Paris et Orléans. Sa mort (21 avril 1 31 4) interrompit la </rtnvm/ss/o/(. Pour prévenir toute incertitude sur la valeur officielle de la nouvelle compilation, le successeur de Clément V, Jean XXlI, la promulgua de nouveau par sa constitution Quoniam nulla (aô octobre 13 17) adressée à l’Université d : Bologne. Il est inexact que Jean XXII ait altéré, surtout d’une façon notable, l’œuvre de son prédécesseur. Nombre d’anciens manuscrits intitulent la collection Liber septimus (on ne doit pas confondre cette appellation avec celle de deux collections dont il sera parlé ci-dessous, le Liber septimus de 719

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Pierre Mathieu elle Liher septimus de Clément YIII) : mais le nom de Constitutions de Clément V ou de Clémentines a prévalu.

2° Description des Clémentines. — Les Clémentines ont une division analogue à celle des décrétales de Grégoire IX : cinq livres subdivisés en titres (sous des rubriques identiques), chapitres et inscriptions : mais, comme dans le Sexte, nombre des titres de Grégoire IX sont absents des Clémentines. Des sommaires ont été ajoutés par les éditeurs : ils sont pour la plupart empruntés à Jean André. C’est lui aussi qui composa la glose ordinaire, complétée plus tard, notamment à l’aide du Lectura in Clementinas de François de Zabarellis {— 141 ;) 3" Valeur des Clémentines. — La collection ne renferme que des piècesauthentiques ; mais, pour apprécier la valeur critique de leur texte, il y a lieu de retenir ces deux remarques : i" Nombre d’inscriptions portent : Clémens V in concilio Viennensi. Cette indication, reçue sm* la foi des manuscrits, ne peut serA’ir de guidesùr. 21^ Le texte original, nousl’avons dit, a été remanié ; en particulier, au témoignage de Jean André, Clément V aurait retiré de la circulation certains décrets du concile de Vienne, d’une rédaction défectueuse ou d’une opportunité contestable, et leur aurait fait subir des modifications assez considérables. Le concile semble en effet avoir réserAé à la décision définitive du pape un certain nombre des décrets ouprojets de décrets relatifsà la réformation, et plusieurs n’auraient été publiés qu’après la levée du synode.

Mais, quoi qu’il en soit du texte primitif des documents contenus dans les Clémentines, et par conséquent de leur valeur juridique avant leur promulgation en collection, le vrai texte canonique, à partir de cette promulgation, celui qui a acquis et seul retenu force de texte légal, est celui qui a été reçu dans la collection. Elle est en effet officielle : sur la date légale de chacune des Clémentines, la valeur juridique des rubriques et chapitres, la valeur seulement usuelle et classique des sommaires, il faut répéter ce qui a été dit au sujet du Sexte. Toutefois, tandis que le Sexte aljrogeait les collections et décrétales publiées après la compilation de Grégoire IX, les Clémentines n’ont pas ce caractère exclusif. Il en résulte que, de l’absence d’une décrétale dans la collection de Clément V, on ne peut tirer argument contre l’authenticité canonique du document. C’est donc à tort qu’on a voulu, pour ce motif, mettre en doute la valeur de la célèbre bulle l’nam Sanctam que Boniface VIII ne pouvait insérer dans le Sexte (la Inille est de 1302 et le Sexte de 1298) et que (pour des motifs d’opportunité qu’il est facile de conjecturer) Clément V crut devoir omettre. Ce pape en confirma du reste implicitement l’autorité en donnant dans sa décrétale Meruit une interprétation de la bulle.

VI. Extravagantes de Jean XXII et Extravagantes communes. — I" Origine de ces deux collections. Les Clémentines ne contenaient qu’un certain nombre des décrétales de Clément V et deux seulement de ses prédécesseurs ; la plupart des autres gardaient cependant leur valeur légale, comme il vient d’être expliqué. Le Sexte, il est vrai, abrogeait les constitutions des prédécesseurs de Boniface VIII, postérieures à la collection de Grégoire IX et non reçues ou exceptées dans la noiivelle compilation, mais il n’abrogeait pas les propres décrétales de Boniface. Il existait donc, en dehors de ces deux collections officielles, des décrétales conservant force de loi et appelées pour cela Extravagantes (Vagantes extra compilationes). Leur nombre s’accrut continuellement sous les successeurs de Clément V. On prit l’habi tude de les réunir dans leur ordre chronologique et de les ajouter en appendice dans les manuscrits et les éditions du Sexte et des Clémentines. Ce ne fut qu’au xvi’siècle, que Jean Chappuis, licencié en droit à l’Université de Paris, en forma deux collections ? nétIiodiques où il distribua les décrétales dans un ordre analogaie à celui des collections officielles : l’une de ces collections, renfermant vingt décrétales de Jean XXII, fut éditée en 1500, et l’autre composée de 70 décrétales de divers papes (de Boniface VIII inclusivement à Sixte IV), fut éditée une première fois en 1500 et, augmentée de quatre décrétales, une seconde fois en 1503. Comme les’)0 décrétales se trouvaient communémeritre]irodintesda.ns les appendices des éditions antérieures, Jean Chappuis intitula sa seconde collection « Extravagantes communes ». Ces deux compilations furent reçues dans l’édition romaine du Corpus publiée par Grégoire XIII (v. ci-dessous. Editions du Corpus juris).

2" Description des collections. — Les Extravagantes de Jean XXII sont divisées non en livres mais seulement en titres et chapitres. Les Extravagantes communes sont distribuées, comme les collections précédentes, en cinci livres, mais le quatrième livre n’est indiqué que pour mémoire : Quartus liber vacat. Les deux compilations ont, à l’ordinaii-e, leurs sommaires et inscriptions. Jean Chappuis accompagna les Extravagantes de Jean XXII des gloses de Zenzelin de Cassanis, augmentées plus tard de celles de Jacques Fontaine en 1620 et de Charles du Moulin en 1559 ; et les Extra^’agantes communes des gloses de Jean Le Moine, de Guillaume de Montlezun, de Jean François de Pavie, et de Pierre Bertrand, qui reçurent aussi en ibbg les additions de du Moulin. Ces additions de du Moulin, à cause de leur hostilité à l’égard du Siège apostolique, furent élaguées de l’édition de Grégoire XIII (v. ci-dessous).

S’^ Autorité des Extras^agantes. — Ces deux collections comme le Décret de Gratien, constituent une œuvre privée, sans caractère officiel : les décrétales qu’elles contiennent n’ont d’autre valeur que leur valeur originelle. A vrai dire, toutes sont authentiques (quoique trois des Extravagantes communes paraissent avoir une fausse attribution : c. 3, i, tit. 3 qui serait non de Benoît XI mais de Bonifiace VIII ; c. 1, iii, tit. 8, qui serait de Martin V, non de Martin IV, et c. I, X, tit. I, qui serait d’Urbain V et non d’Urbain IV). Mais plusieurs n’avaient et ne conservèrent que la valeur de lois locales ou temporaires : l’une même, comme le rappelle son sommaire, l’Extravagante commune de Benoît XI Inter cuncta (c. i, 1. v, tit. 7), n’est qu’une pièce abrogée par une décrétale ultérieure de Clément V (cf. c. 2, 1. iii, tit. 7, in Clementinis). Il ne faut donc user des comi)ilations de Jean Chappuis qu’avec discernement.

VIL Additions à certaines éditions du « Corpus juris ». — Aux six collections précédentes, qui forment proprement le Corpus ie qu’il est aujourd’hui universellement compris, certaines éditions ajoutent deux suppléments :

1° Les Institutiones juris canonici de Jean Pierre Lancelotti, professeur de droit canonique à l’université de Pérouse (71590). Cette œuvre, conçue à la manière des Institutes de Justinien, fut appréciée de son temps ; mais elle n’a jamais reçu d’approbation officielle.

2° Le Liber septimus Decretalium de Pierre Mathieu, jiu’isconsulle lyonnais (-|- 1621). Cette collection en cinq livres est faite sur le modèle de la compilation de Grégoire IX et contient des décrétales de Sixte IV à Sixte V, avec quelques-unes antérieures à Sixte IV. C’est une œuvre privée, sans autorité 721

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légale et sans grande valeur critique. On ne doit pas la confondre avec les />e’c/e7rt /es c ?e Clément VIII, gairement appelées Liber septimus Decretalium démentis VIII : cette dernière collection fut officiellement préparée par ordre de Grégoire XIII (-j- 1585) et Sixte V (y logo), imprimée sous Clément YIII entre 1692 et 1693 et soumise à une révision jusqu’en 1698 ; mais l'œuvre en resta là et elle ne fut jamais ni approuvée, ni autbentiquement publiée. Elle a été éditée à part, sous le titre de démentis Papæ VIII Décrétâtes (Fribourg en Brisgau, 1870), par Franc. Se>tis qui y inséra les constitutions plus récentes jusqu'à Pie IX. Elle n’a, en tant que collection, aucune autorité légale ; mais elle nemancpie ni de valeur, ni d’utilité.

VIII. Editions du « Corpus juris ». — Il existe un très grand nombre de manuscrits des diverses collections : leurs premières éditions imprimées parurent dans la seconde moitié du xv siècle. C’est en 1499-1000 que Jean Cbappuisles publia réunies, telles qu’elles composent encore le Corpus ; les éditions du Corpus ainsi constitué se multiplièrent, les unes avec, les autres sans les gloses. On trouvera une liste des principales dans Lalrix, Introductio in Corpus juris canonici (p. 3, c. m). Il est utile d’en signaler deux :

I" Edition romaine de Grégoire Allt (Rome, 1582).

— A l'époque de la Réforme, les protestants tirent circuler leurs erreurs en les introduisant dans 1 apparat marginal et le texte du Corpus [uris. Il y avait là un péril, qu’augmentait la diffusion et l’usage perpétuel du Corpus, notamment dans les universités. En vue de le prévenir, le Saint-Siège résolut de ûxer une leçon ne <, 'arietnr, qvn seule serait admise dans la pratique ecclésiastique. Pie IV aait nommé à cet effet une Commission de cardinaux et d'érudits, qu’on désigne sous le nom de correcteurs romains. Leur recension se poursuivit sous Pie V et Grégoire XIII : et ce dernier par son bref Cum pro munere (1'"' juillet 1580) approuva le texte ainsi préj)aré, comme seul texte légal du Corpus, auquel défense était faite de rien cbanger désormais. Cette approbation, quoi qu on en ait dit, ne transfornuit pas en collections officielles les compilations privées de Gratien et de Jean Chappuis ; elle déterminait seulement quelle leçon de ces compilations privées serait à l’avenir juridiquement autorisée pour l’usage des tribunaux et des écoles et cela (au moins directement) non dans un but scientifique, mais dans un but pratique de préservation religieuse.

Les correcteurs romains se proposèrent de reproduire, pour les trois collections de Grégoire IX, de Boniface VIII et de Clément V, le texte des collections primitives, et, pour le Décret et les Extravagantes, non le texte des collections primitives mais le texte original des documents qu’elles contiennent. Ce dessein, au point de vue critique, ne fut réalisé que d’une façon très imparfaite (encore que l'œuvre ait été trop sévèrement jugée) ; mais, par ce que nous avons dit de la valeur légale îles diverses conqjilations, on doit reconnaître que cette méthode de travail s’inspirait de principes juridicjues exacts. L'édition t}q)ique était glossée ; on l’a souvent reproduite, depuis, sans son apparat, avec les seules notes des correcteurs romains.

2° Editio I.ipsiensis secunda (Leipzig, iB’jg-iSSi).

— En 1836, Louis lluniTKn publia, à Leipzig, une édition critique, dont le texte était conforme à l'édition romaine, sauf qu’on y avait rétabli, à leur place (en caractères distincts), les partes decisae. Ce fut la première édition de Leipzig. Elle servit de base à une deuxiènu- édition duc à Emile Fhikdbkkg. L'éditeur y reproduit, sauf pour le Décret de Gratien, le texte

romain (dans lequel il insère aussi en italiques les partes decisae) : quant au Décret, à l’inverse des correcteurs romains, Friedberg s’est attaché à rétablir non le texte des documents originels, mais le texte même de Gratien ; en notes cependant il indique aussi, les variantes du texte romain, et corrige Gratien. De précieuses introductions accompagnent cette édition : elles marquent, en particulier, les sources de chaque compilation et rétablissent l’attribution exacte de chaque canon. Malgré quelques imperfections, que l’on doit en grande partie attribuer à rinsutRsance des manuscrits dont disposait l’auteur, l'édition de Friedberg est la plus utile pour le maniement critique du Corpus. Mais, en la consultant, le canoniste ne perdra pas de vue que, pour les canons contenus dans Gratien et pour les Extravagantes, il doit préférer au texte de la compilation le texte original, et au contraire que, pour les décrétales de Grégoire IX, du Sexte et des Clémentines, il doit préférer au texte primitif de ces décrétales celui de la compilation : il se rappellera, tout spécialement que les partes decisae, élaguées à dessein par le législateur et reconstituées par l'éditeur de Leipzig, sont dépourvues de valeur légale.

Bibliographie. — F. Laurin, Introductio in corpus juris canonici, Fribourg-en-Brisgau, 1889. — A. 'Tardif, Histoire des sources du droit canonique (11. viii, IX, et xii), Paris, 1887. — A, Friedberg, Corpus juris canonici, Editio Lipsiensis secunda (dans les prolégomènes), Leipzig, 1879-1881. — Phil. Schneider, Bie Lehre von den KircJienrechtsquellen, Teil II, Abschn. 11, Kap. 1-6. — F. X. Wernz, Jus Decretalium (tom. I, titr.xii, xiii et xv), Rome, igo5 (deuxième édition).

J. Besson.