Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Cantiques des cantiques

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 238-239).

CANTIQUE DES CANTIQUES. — I. Sainteié du Cantique. — II. Le Caitlique eut allégorique. — III. Les différents systèmes allégoriques. — IV. Epoque et auteur, — V. Objections relatives au Cantique.

I. Sainteté du Cantique. — Dans les diverses questions relatives au Cantique des Cantiques qui intéressent l’apologiste, il est important de distinguer ce qui est de foi, ce qui est doctrine commune, et ce qui est laissé à la libre discussion des catholiques. Il est de foi que le Cantique est un livre inspiré, et comme Dieu ne peut pas plus être l’auteur de l’immoralité que de l’erreur, il est également de foi que le poème ne contient rien qui soit contraire à la sainteté de Dieu. L’opinion de Théodore de Mopsueste (-j- 428), qui voyait dans le Cantique un poème purement profane relatif au mariage de Salomon avec une Egyptienne, a été condamnée par les Pères du V’^ concile œcuménique comme abominable (infanda Christianorum auribus ; cf. Mansi, Co/Zec^. Co « c/7., t. IX, pp. 226227). De cette condamnation et de l’ensemble de la tradition chrétienne, nous pouvons conclure d’une façon certaine que le Cantique n’est pas un poème purement profane, mais qu’il y a au moins un certain sens religieux. Là s’arrête le minimum exigé par l’Eglise.

II. Le Cantique est allégorique. — Le Cantique est-il une pure allégorie, c’est-à-dire le sens littéral du poème est-il précisément le sens religieux ou supérieur, ou bien, au contraire, le poème a-t-il, outre ce sens religieux, un sens littéral profane ? Sur ce point, la tradition juive et chrétienne est unanime : les sources juives, représentées principalement par leTargum et le Midrash, et tous les anciens commentateurs chrétiens considèrent le Cantiqtie comme une pure allégorie, et n’admettent pas un sens littéral profane consistant en une histoire d’amour, soit réelle, soit fictive. Chez les Juifs, le premier qui rompit avec la tradition, non pas, il est vrai, par principe, mais en fait et par sa méthode, fut Abraham Ibn Ezra (xii<’siècle). Parmi les chrétiens, Honorius d’Autun (xii « siècle) fut le premier à rejeter l’allégorie pure : il admit que le sens littéral se rapportait au mariage de Salomon, mariage qui, d’après lui, serait la figure de l’union du Christ avec l’Eglise. Cette interprétation fut également, au XVII’siècle, celle de Bossuet, qui lui assura un certain succès. L’Eglise n’ayant jamais censuré ce système, qu’on pourrait appeler s vs^^me m/jr/e, parce qu’il admet à la fois un sens religieux (typique ou spirituel) comme les exégètes allégoristes, et un sens profane comme les exégètes naturalistes, on n’a pas le droit de le condamner. Mais nous le considérons, avec la grande majorité des auteurs catholiques, comme certainement erroné. Outre qu’il est contraire à la tradition, le système mixte, même sous sa forme la plus religieuse, celle que lui a donnée Bossuet, a le grave inconvénient de ne pas sauvegarder sutïisamment, en fait, la sainteté du Cantique, comme l’a très bien montré le P. Gietmann. Dans ce système, en effet, l’imagination doit se traîner sur une histoire d’amour profane, laquelle constitue, dans l’hypothèse, le sens littéral, au lieu de s’élancer directement et comme d’un coup d’aile à la réalité supérieure visée par le poète. On peut objecter également à ceux qui admettent un sens typique, comme Bossuet, qu’ils partent d’une supposition gratuite, à savoir que le mariage de Salomon est le type de l’amour de Dieu pour l’Eglise ou pour une àme. Rien, ni dans l’Ecriture, ni dans la tradition, n’autorise cette vue. Comme nous ignorons les sentiments réels de Salomon lors de son mariage, il semble singulièrement hardi d’affirmer que cette union est la figure de l’union de Dieu avec l’Eglise.

III. Les différents systèmes allégoriques. — L’Eglise, qui n’a pas imposé le principe allégorique dans l’interprétation du Cantique, bien qu’il soit certainement admis par la tradition, n’a pas, à plus forte raison, déterminé le sens précis du poème. Il est donc libre à l’exégète catholique de proposer tout système d’interprétation qui respectera la sainteté du Cantique : ce système vaudra ce que valent les raisons par lesquelles il essaiera de l’établir. Les systèmes allégoriques qu’on peut appeler, dans un certain sens, traditionnels, se réduisent à quelques types. Tous s’accordent à reconnaître dans l’Epoux une personne divine : Jéhovah ou Jésus-Christ. Quant à l’Epouse, on y a vu la nation d’Israël, l’Eglise, l’àme pieuse, la sainte Vierge Marie, ou même l’humanité en général. Quant au détail de l’interprétation, il varie pour ainsi dire à l’infini. Nous n’avons pas à exposer ici nos préférences pour tel ou tel système, ce qui dépasserait le but et l’étendue de cet article, bien qu’il faille reconnaître qu’il est notablement plus facile de répondre aux objections des adversaires de la sainteté du Cantique en adoptant un système précis qu’en restant dans le vague des généralités. Nous ferons seulement remarquer que la tradition juive, qui malgré beaucoup d’interprétations enfantines et arbitraires peut être considérée néanmoins comme correcte dans ses grandes lignes, est unanime à voir dans le Cantique l’amour de Jéhovah pour Israël, que cette vue traditionnelle n’a jamais été combattue par les Pères, mais qu’elle a été au contraire adoptée, en tout ou en partie, par un nombre beaucoup plus considérable d’exégètes chrétiens qu’on ne croit généralement. D’après cette interprétation, le Cantique est une allégorie qui retrace à grands traits les principales situations de l’histoire religieuse d’Israël, depuis la première alliance de Jéhovah avec son peuple, lors de la sortie d’Egypte, jusqu’à l’ère messianique.

Chez les Pères de l’Eglise, on constate, dès l’origine, une très grande liberté d’interprétation. Ils voient dans l’Epouse tantôt l’àme pieuse, tantôt l’Eglise (parfois aussi Israël), mais l’application à l’àme, peut-être parce qu’elle était plus facile, est prédominante, en particulier chez OuiGiiNE, saint Basile, saint Grégoire de Nysse. On n’a donc pas le droit d’aflirmer que l’une ou l’autre de ces interprétations s’impose comme traditionnelle (au sens théologique du mot), et les saints Pères, en fait, ne les donnent pas comme telles. L’interprétation qui voit dans l’Epouse la sainte Vierge est beaucoup plus tardive : on ne la trouve exposée d’une façon systématique qu’à partir du xii"" siècle. — Le P. Cornely estime plus correcte l’opinion qui admet comme sens littéral unique l’union de Jéhovah et d’Israël, et seulement comme sens typique l’union du Christ et de l’Eglise (Introductio in libros sacros. 1887, t. II, 2, p. 198.)

IV. Epoque et auteur. — La question relative à l’époque et à l’auteur du poème est, d’après les meilleurs théologiens, une question libre et qui n’intéresse pas la foi. Pour la démonstration de cette affirmation, nous renverrons le lecteur aux observations aussi fermes que prudentes du P. Condamin relativement à la question toute semblable de l’auteur de l’Ecclésiaste (Re’ite biblique, 1900, t. IX, pp. 30 sq.), Le titre du poème : « Cantique des cantiques, de Salomon » ne saurait dirimer la question, pas plus que le titre de l’Ecclésiaste ou les titres de nombreux psaumes. La langue du poème, qui se rapproche de celle des livres les plus récents de la Bible, et en particulier de l’Ecclésiaste, est un indice extrêmement probable que le Cantique n’est pas antérieur à l’exil. Les aramaïsmes nombreux et quelques mots persans font penser à l’époque de l’exil ou même à une 461

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période postérieure. Mais on n’a pas pu clablir d’une façon solide l’existence d une inlluence hellénique : il n’y a donc pas lieu de placer la composition du poèiiie à une époque aussi basse que le iii « ou le ii^ siècle avant Jésus-Christ, comme le voudraient plusieurs auteurs modernes. Le fait que le poète s’inspire des idées et des symboles des prophètes montre également qu’il est postérieur à l’ensemble de la littérature prophétique. Mais cette question, d’ordre purement scientiCque, exigerait des développements qu’il est impossible de donner ici. Il sullit de savoir que la question de l’authenticité du Cantique n’intéresse nullement son caractère inspiré.

V. Objections relatives au Cantique. — L’objection principale consiste à dire que le Cantique est un chant d’amour profane, qu’en conséqquence il n’est pas inspiré, et que son admission au Canon des Ecritures est due à une erreur. Cette objection tombe par l’affirmation, établie sur l’étude directe du poème et conlirméepar la tradition exégétique, que le Cantique est une allégorie. A aucune époque de leur histoire les Juifs n’ont pu se méprendre sur le sens général du livre, et à l’époque de la formation du Canon en particulier, une erreur aussi énorme est absolument invraisemblable. En affirmant le caractère profane du poème, les exégètes rationalistes méconnaissent tout ce que nous savons historiquement de l’esprit juif. Si le livre a été admis au Canon, c’est qu’on savait d’une façon certaine qu’il avait une valeur religieuse.

Quant aux objections de détail, concernant des versets particuliers auxquels certains exégètes trouvent un sens inconvenant ou obscène (par exemple VII, 3), on ne peut que renvoyer aux commentaires. Le sens obscène n’existe que dans l’interprétation qu’on donne au texte, non dans le texte lui-même : on n’a pas le droit de mettre sur le compte de l’auteur ce qui provient uniquement de l’imagination de tel ou tel excgc.te.

Certains esprits difficiles objectent que l’allégorie elle-même, en représentant l’union de Jéhovah et d’Israël (ou du Christ avec lame ou avec l’Eglise) sous la figure du mariage, a quelque chose de choquant. Nous répondrons que la comparaison avec le mariage en général n’a rien en soi de messéant : au contraire, le mariage, parce qu’il est l’union la plus intime et la plus forte qui existe parmi les hommes, était très propre à exprimer l’amour de Dieu pour Israël. Du reste, le poète n’a fait qu emprunter ce symbolisme aux prophètes, qui représentent Israël comme l’Epouse de Jéhovah et appellent ses infidélités des adultères (cf. Osée, ii, 4 ^’l- ; Jér. m. i s<{. ; Ezéch. XVI ; Is. liv, ô s(i. ; i, xii.4 sq.). L’auteur inspiré du Cantique n’a fait que développer poétiquemenl et systématiser des images et des symboles de la littérature prophétique.

Bibliographie. — Sur l’histoire de l’exégèse du Cantique : Salfeld : Das Ilohelicd Salunio’s bel don judischen Erklarern des MUtelalters (1879) ; Riedel, JJie Auslegung des Ilohenliedes in der judisc/ien Gcmeinde uncl der griecliisclien Kirche (18y8) ; Grandvaux, Etude sur le Canlifjiie des Cantiques (1883), dans la Sainte Bible de Lethiellcux ; Tiefenthal, /Jos Ilolielied (1889), pp. 7-59.

Commentaires : j" Catholiques : Nicolas de Lyre (xiv’siècle) et Gcnebrard (iS^o) ont bien mis en lumière l’exégèse juive traditionnelle. Ce dernier a donné dans son ouvrage sur le Canticiuc la traduction des coruiucntaiies de Hashi, d’ibn Ezra et d’un raltbin anonyme. Parmi les modernes on pourra consulter entre autres Tiefenthal (1889), Gielniann (1890) et Seholz (njo/i). Mgr Meignan,

dans son livre sur Salomon (1890), donne un bon résumé, très conciliant, des interprétations juive et chrétienne. — Pour plus de détails, on nous permettra de renvoyer à l’Introduction de notre volume : Le Cantique des cantiques, Commentaire philologique et exégétique. Paris, Beauchesne,

>909 2° Non-catholiques : Les anciens commentaires de Mercerus (1651) et Clericus (i’j31) sont encore à consulter.

Les commentaires les plus importants de l’époque moderne, surtout pour leur valeur philologique, sont ceux de Delitzsch (1851, 1875), Kæmpf (1879) et Harper (1902) qui admettent la théorie dite dramatique ; et ceux de Budde (1898) et Siegfried (1898) qui considèrent le Cantique comme un recueil de chants séparés.

P. Joiiox.