Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Palais-Royal (le)


Palais-Royal (le).

Entrée principale rue Saint-Honoré, no 204. — 2e arrondissement.

Cet édifice, qui compte un peu plus de deux siècles, a vu s’accomplir dans son enceinte des faits nombreux et importants. Là, se sont heurtées toutes les prodigalités et toutes les misères. L’histoire de ce palais, qui tour à tour abrita le génie, la débauche, la piété, le talent, est pleine de contrastes piquants et bizarres.

Sur l’emplacement des hôtels d’Armagnac et de Rambouillet, le cardinal de Richelieu fit bâtir, en 1629, par son architecte Jacques Lemercier, un hôtel qui porta son nom. L’habitation du ministre se trouvait entièrement renfermée dans l’enceinte de Paris, construite sous Charles V ; mais Richelieu, dont la fortune et la puissance s’affermissaient de jour en jour, se sentit bientôt à l’étroit dans cette simple demeure de gentilhomme. Le mur d’enceinte fut abattu, le fossé comblé, et grâce à de nouvelles acquisitions, l’hôtel de Richelieu devint, en 1636, le Palais-Cardinal.

D’après un relevé dressé aux archives du Palais-Royal, les acquisitions faites par Richelieu pour bâtir son palais s’élevèrent à 666,618 livres. Il faut ajouter à cette somme 150,000 liv., prix de l’hôtel de Sillery, dont le cardinal fit également l’acquisition afin d’établir une habitation devant son palais ; cette place ne fut terminée que sous la régence d’Anne d’Autriche.

La principale entrée du Palais-Cardinal était sur la rue Saint-Honoré. Dans l’ailé droite avait été construit un théâtre qui pouvait contenir environ trois mille spectateurs. Indépendamment de cette salle, le cardinal avait fait décorer un salon où l’on jouait les pièces que les comédiens représentaient ordinairement sur le théâtre du Marais-du-Temple. Ce fut dans ce salon, devant un parterre choisi et peuplé de flatteurs, que le ministre, qui ambitionnait toutes les gloires, faisait représenter son Eutrope et sa Mirame.

L’aile gauche du Palais-Cardinal était occupée par une galerie dont la voûte avait été décorée par Philippe de Champagne. Des tableaux, des statues ornaient cette galerie peinte en mosaïque sur un fond d’or, et çà et là étaient dessinées des branches de lauriers et de chêne, qui, enlacées les unes dans les autres, renfermaient les chiffres du cardinal.

Dans l’aile gauche de la seconde cour était la Galerie des Hommes Illustres, que la chambre du ministre séparait de l’autre galerie. Richelieu, en choisissant les personnages qui devaient faire partie de ce musée, n’avait pas dédaigné de conserver une place à sa grande illustration.

Voici les noms des personnages dont les portraits servaient à l’ornement de ce séjour : Suger, abbé de Saint-Denis ; — Simon, comte de Montfort ; — Gaucher de Châtillon ; — Bertrand Du Guesclin ; — Olivier de Clisson ; — Boucicaut ; — Dunois ; — Jeanne-d’Arc ; — Georges d’Amboise ; — Louis de la Trémouille ; — Gaston de Foix ; — Bayard ; — Charles de Cossé, duc de Brissac ; — Anne de Montmorency ; — François de Lorraine, duc de Guise ; — le cardinal Charles de Lorraine ; — Blaise de Montluc ; — Armand de Gontaut-Biron ; — Lesdiguières ; — Henri IV ; — Marie de Médicis ; — Louis XIII ; — Anne d’Autriche ; — Gaston duc d’Orléans ; — le cardinal de Richelieu. — Ces tableaux peints par Champagne, Vouet, Juste d’Egmont et Paerson, étaient séparés par des bustes en marbre. Des distiques latins composés par Bourdon, le Santeuil de l’époque, accompagnaient les devises faites en l’honneur des Hommes Illustres, par Guisse, interprète royal ; en un mot, tout ce que l’opulence et les arts pouvaient alors fournir de ressources, fut prodigué par le cardinal pour la décoration de son Palais, et le public, étonné de tant de magnificence, répétait ces vers du grand Corneille :

« Non, l’univers entier ne peut rien voir d’égal
» Aux superbes dehors du Palais-Cardinal ;
» Toute une ville entière, avec pompe bâtie,
» Semble d’un vieux fossé par miracle sortie,
» Et nous fait présumer, à ses superbes toits,
» Que tous ses habitants sont des dieux ou des rois. »

Mais les richesses de Richelieu devaient exciter autant d’envieux intéressés à la perte du cardinal, que la haute fonction qu’il remplissait avait fait d’ennemis au premier ministre ; aussi le rusé prélat crut ne pouvoir mieux faire que de céder au roi Louis XIII la propriété de son palais, ainsi que plusieurs meubles et bijoux d’un grand prix. Le 6 juin 1636, il en fit une donation entre-vifs ce monarque, qui expédia à Claude Bouthillier, surintendant des finances, un pouvoir pour accepter ladite donation ; ce pouvoir est conçu en ces termes : « Sa majesté ayant très agréable la très humble supplication qui lui a été faite par M. le cardinal de Richelieu, d’accepter la donation de la propriété de l’hôtel de Richelieu, au profit de sa majesté et de ses successeurs rois de France sans pouvoir être aliéné de la couronne pour quelque cause et occasion que ce soit, ensemble la chapelle de diamants, son grand buffet d’argent ciselé et son grand diamant, à la réserve de l’usufruit de ces choses, la vie durant du sieur cardinal, et à la réserve de la capitainerie et conciergerie du dit hôtel pour ses successeurs ducs de Richelieu, même la propriété des rentes de bail d’héritages constituées sur les places et maisons qui seront construites au-dehors et autour du jardin du dit hôtel. Sa dite majesté a commandé au sieur Bouthillier, conseiller en son conseil d’état et surintendant de ses finances, d’accepter au nom de sa dite majesté, la donation aux dites clauses et conditions ; d’en passer tous les actes nécessaires : même de faire insinuer, si besoin est, la dite donation ; promet sa dite majesté d’avoir pour agréable tout ce que par le dit sieur Bouthillier sera fait en conséquence de la présente instruction. — Fait à Fontainebleau, le 1er jour de juin 1639. Signé Louis ; et plus bas Sublet. »

Le cardinal de Richelieu, après avoir rappelé et confirmé cette donation dans son testament fait à Narbonne, au mois de mai de l’année 1642, mourut tranquille dans son palais le 4 décembre suivant ; et Louis XIII, dont l’existence semblait obéir à la destinée de son ministre, s’éteignit lentement au milieu de sa cour le 14 mai 1643, en murmurant ces paroles qui peignent la lassitude et le dégoût : « Fi de l’existence, qu’on ne m’en parle plus !… »

Anne d’Autriche, devenue régente, abandonna le Louvre, pour venir, le 7 octobre 1643, avec ses deux fils, occuper le Palais-Cardinal, qu’on décora bientôt du nom de Palais-Royal.

Le jeune Louis XIV habita la chambre du cardinal. Son appartement, peu étendu, était situé entre la Galerie des Hommes Illustres, qui occupait l’aile de la seconde cour, et la galerie qui régnait le long de l’aile de l’avant-cour où Champagne avait reproduit les principales actions de la vie du grand ministre.

L’appartement d’Anne d’Autriche était plus vaste et plus élégant ; la régente fit construire une salle de bain, un oratoire et une galerie. La salle de bain était ornée de fleurs, de chiffres, etc., dessinés sur un fond d’or. Louis avait peint les fleurs et Belin les paysages. L’oratoire était orné de tableaux où Champagne Vouet, Bourdon, Stella, Labire, Corneille, Dorigny et Paerson avaient retracé la vie et les attributs de la Vierge.

La galerie était placée à l’endroit le plus retiré ; Vouet l’avait couronnée d’un plafond doré ; le parquet était une marqueterie travaillée par Macé. Ce fut dans cette galerie, où le grand conseil tenait ses séances, que la régente fit arrêter les princes de Condé, de Conti et le duc de Longueville.

Le jardin contenait alors un mail, un manège et deux bassins, dont le plus grand, appelé le rond d’eau, était ombragé d’un petit bois.

Mais il fallut bientôt ajouter au palais un appartement pour le duc d’Anjou, depuis duc d’Orléans, frère du roi. Pour le construire, on détruisit, à l’aile gauche du palais, dans la cour qui donne sur la place, la vaste galerie que Champagne avait consacrée à la gloire du cardinal.

Nous ne retracerons pas ici toutes les scènes de la Fronde. Les événements qui se rattachent à cette guerre civile ont pu naître dans ce palais, mais c’est toujours ailleurs qu’ils se sont terminés par la victoire où par la défaite.

Ce fut le 21 octobre 1652 que Louis XIV revint de Saint-Germain à Paris. Le même jour il abandonna la résidence de Saint-Germain pour aller habiter le Louvre. On assigna le Palais-Royal à Henriette Marie, reine d’Angleterre, qui l’occupa jusqu’en 1661.

À cette époque, Monsieur, frère de Louis XIV, vint habiter ce palais, mais ce ne jusqu’après le mariage de son fils, le duc de Chartres, avec Marie-Françoise de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV, qu’il en devint propriétaire.

Février 1692. — Lettres-patentes du roy, portant don par sa majesté, à Monsieur, son frère unique, et à ses enfants mâles, du Palais-Royal, par augmentation d’apanage.

« L’affection singulière que nous avons pour notre cher et très aimé frère unique Philippe, fils de France, duc d’Orléans, de Chartres, de Valois et de Nemours, nous portant à lui en donner des marques continuelles, nous avons résolu de lui accorder et délaisser, sous le titre et nature d’apanage, la maison et hôtel du Palais-Cardinal et ses dépendances, situés en notre bonne ville de Paris, rue Saint-Honoré, donnés au feu roy notre très honoré seigneur et père par feu notre cousin le cardinal duc de Richelieu, afin que notre dit frère et sa postérité masculine puissent y avoir un logement qui réponde à la grandeur de leur naissance, etc… Signé Louis ; et sur le repli : par le roy, Phélypeaux, visa. — Signé Boucherat, et scellé du grand sceau de cire verte, en lacs de soie rouge et verte. »

« Registrées, ouï le procureur-général du roy, pour jouir par Monsieur, ses enfants mâles et descendants de lui en loyal mariage, de leur effet et contenu, et être exécutées selon leur forme et teneur, suivant l’arrêt de ce jour. — À Paris, en parlement, le treize mars mil six cent quatre vingt-treize. Signé du Tillet. »

Quelque temps après le mariage de Monsieur avec Henriette-Anne d’Angleterre, le Palais-Royal fut agrandi. Les augmentations peuvent être facilement reconnues, en comparant le plan de 1648 avec celui de 1679. Louis XIV avait acheté divers terrains sur la rue de Richelieu, ainsi que l’hôtel de Brion, et ce fut sur leur emplacement que Jules Hardouin Mansart éleva la galerie décorée par Coypel, et représentant, en quatorze tableaux, les principaux épisodes de l’Énéïde.

Le frère de Louis XIV étant mort en 1701, le duc de Chartres, son fils, prit le titre de duc d’Orléans. Le Palais-Royal changea bientôt de physionomie. Philippe, nommé régent le 2 septembre 1715, s’entoura d’hommes et de femmes qui flattaient son penchant à la débauche. Les ducs, les comtes, qu’il appelait ses roués, et dont plusieurs méritaient de figurer sur la roue ; les duchesses, les actrices, les danseuses, les dames d’honneur, etc., tous à l’envi participaient à ses débordements, et se faisaient gloire de remplir auprès du nouveau sultan un emploi diffamé, même dans les lieux de prostitution.

Le duc d’Orléans, doué dans sa jeunesse d’une figure agréable, d’un caractère doux et affable, d’une grande bravoure, promettait un prince distingué ; mais il fut bientôt corrompu par l’abbé Dubois, son sous-précepteur, qui parvint aux dignités d’archevêque de Cambrai, de cardinal du Saint-Siège, de premier ministre de France et de membre de l’Académie Française. L’élévation de cet homme odieux n’inspira pourtant que des plaisanteries. Le couplet suivant courut dans tout Paris :

« Je ne trouve pas étonnant
» Que l’on fasse un ministre,
» Et même un prélat important,
» D’un maq…, d’un cuistre ;
» Rien ne me surprend en cela :
» Ne sait-on pas bien comme
» De son cheval Caligula
» Fit un consul à Rome ? »

Peu de temps après que le pape eut nommé Dubois archevêque de Cambrai, en remplacement de Fénélon, une prostituée, nommée la Fillon, qui avait ses entrées libres au Palais-Royal, vint demander une grâce au régent : « Que veux-tu ; » lui dit le prince ? — « L’abbaye de Montmartre, » répondit-elle. À ces mots, Philippe et Dubois haussent les épaules. « Pourquoi ris-tu de ma demande, dit-elle à l’abbé, tu es bien archevêque, toi maq… » — Philippe convint qu’elle avait raison.

Dubois sacrifiait ouvertement les intérêts de sa patrie. Pour cette trahison il recevait de l’Angleterre près d’un million chaque année. Le régent en avait connaissance et se contentait d’appeler son ministre coquin et scélérat.

Le cardinal présidait aux débauches de son maître. En 1722, on célébra au palais des orgies nommées Fêtes d’Adam. Le duc de Richelieu qui y assistait, en parle ainsi :

« Là, se trouvoient des femmes publiques, conduites de nuit les yeux bandés, pour qu’elles ignorassent le nom du lieu où elles étoient. Le régent, ses femmes et ses roués qui ne vouloient pas être connus, se couvroient de masques ; et je dois dire à ce sujet qu’on dit un jour en face de ce prince, qu’il n’y avoit que le régent et le cardinal Dubois capables d’imaginer de pareils divertissements. »

« D’autres fois, on choisissoit les plus beaux jeunes gens de l’un et de l’autre sexes qui dansoient à l’Opéra, pour répéter des ballets que le ton aisé de la société, pendant la régence, avoit rendus si lascifs, et que ces gens exécutoient dans cet état primitif, où étoient les hommes avant qu’ils connussent les voiles et les vêtements. Ces orgies, que le régent, Dubois et ses roués appeloient fêtes d’Adam, ne furent répétées qu’une douzaine de fois, car le prince parut s’en dégoûter. »

De nouveaux scandales succédèrent bientôt ; l’invention des nouvelles scènes appartenait à la dame Tencin, maîtresse du cardinal Dubois, et de beaucoup d’autres. Son éminence en arrêtait l’exécution. Un jour le cardinal proposa au régent une nouvelle orgie sous le nom de fête des Flagellants. Le prince répondit « Je le veux bien, à conditions que tu seras de la partie et que nous t’écorcherons. » Toute la cour des roués se flagella dans une nuit profonde !…

Dubois pria bientôt madame de Tencin de composer la chronique scandaleuse du genre humain. Cette noble dame se mit à la recherche des plaisirs des Grecs et des Romains, et raconta ce que les empereurs et les plus fameuses courtisanes avaient imaginé ou pratiqué de piquant et de voluptueux ; en un mot, l’infamie de cet intérieur était poussée si loin, que la comtesse de Sabran, maîtresse du régent, disait un soir en plein souper, devant le duc d’Orléans lui-même : « Que Dieu après avoir créé l’homme, prit un reste de boue dont il forma l’âme des laquais et des princes. »

Ne nous arrêtons pas plus longtemps à de telles turpitudes, et revenons aux constructions du Palais-Royal.

Le régent porta dans les embellissements intérieurs du Palais-Royal la passion qu’il avait pour les arts. Il confia à son architecte Oppenort, la construction d’un salon qui servait d’entrée à la vaste galerie élevée par Mansart. Ces bâtiments, qui s’étendaient jusqu’à la rue de Richelieu, ont été détruits lors de la construction du théâtre Français.

Louis, fils de Philippe duc d’Orléans, régent, fit planter sur un dessin nouveau le jardin du Palais-Royal, sauf la grande allée du cardinal qu’il conserva. On y voyait deux belles pelouses, bordées d’ormes en boules, qui entouraient un grand bassin placé dans une demi-lune ornée de treillages et de statues en stuc, la plupart de la main de Laremberg. Au-dessus de cette demi-lune régnait un quinconce de tilleuls, se rattachant à la grande allée qui formait un berceau délicieux et impénétrable au soleil.

La salle de l’Opéra qui occupait l’aile droite du palais, fut incendiée en 1763 ; Louis-Philippe duc d’Orléans, en exigea la reconstruction aux frais de la ville. La direction des travaux fut confiée par le prévôt des marchands à l’architecte Moreau. Le prince, de son côté, fit bâtir par Contant d’Ivry, les parties du corps principal de l’édifice qui avaient été endommagées, ainsi que les vestibules, le grand escalier et presque tous les appartements. La rivalité qui régnait entre les deux artistes fut très nuisible à l’harmonie de l’édifice. Devenu propriétaire du Palais-Royal, le duc de Chartres, fils du précédent, forma le projet d’agrandir sa demeure. Il s’adressa bientôt à sa majesté qui s’empressa de lui accorder l’autorisation d’élever de nouvelles constructions.

13 août 1784. Lettres-patentes qui permettent à M. le duc de Chartres d’accenser les terrains et bâtiments du Palais-Royal, parallèles aux rues des Bons-Enfants, Neuve-des-Petits-Champs et de Richelieu.

« Louis, par la grâce de Dieu, etc… À nos amez et féaux conseillers les gens tenant notre cour de parlement et chambre des comptes à Paris, salut. Notre très cher et bien amé cousin, Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, duc de Chartres, prince de notre sang, nous aurait représenté qu’aux droits de notre très cher et bien amé cousin Louis-Philippe duc d’Orléans son père, premier prince de notre sang, il possède à titre d’apanage le Palais-Royal et le jardin qui en fait partie ; qu’il a pensé que ce jardin serait plus agréable et plus commode s’il était environné, le long des trois côtés parallèles aux rues des Bons-Enfants, Neuve-des-Petits-Champs et de Richelieu, de galeries couvertes pratiquées dans des maisons uniformes ornées de pilastres et autres décorations d’architecture, analogues à la façade qu’il a commencé d’élever sur le même jardin, parallèlement à la rue Saint-Honoré, pour perfectionner, agrandir et améliorer le dit palais, suivant les plans géométriques et d’élévation de Louis, architecte, qu’il nous aurait représentés ; qu’il l’aurait déjà exécuté en grande partie au moyen des avances qu’il s’est procurées ; que le seul moyen d’achever ce projet serait de pouvoir se rembourser de ces avances en accensant le sol des dites maisons sur les trois côtés ci-dessus et celui des passages nécessaires à leur service, à raison de vingt sols par chaque toise, de redevance annuelle dans la directe du d. apanage, etc… À ces causes, etc… nous avons par ces présentes signées de notre main, permis et permettons à notre dit cousin le duc de Chartres d’encenser les d. terrains et bâtiments parallèles aux trois rues des Bons-Enfants, Neuve-des-Petits-Champs et de Richelieu, comme aussi le sol des passages nécessaires au service d’icelles, contenant le tout 3,500 toises, etc… Donné à Versailles le 13e  jour du mois d’août, l’an de grâce 1784, et de notre règne le 11e. Signé Louis. » (Archives du royaume).

Trois grandes galeries destinées à former un superbe bazar, s’élevaient autour du jardin du Palais-Royal. Une opposition très vive se manifesta lorsque la cognée abattit les beaux marronniers plantés par le cardinal de Richelieu. Parmi les opposants on comptait bien, il est vrai, un grand nombre de désœuvrés qui étaient scandalisés que le prince les empêchât d’aller faire plus longtemps la sieste sous ces ombrages ou de discuter gravement les grands intérêts de l’État. Cette opposition, on la rencontre partout ; il y a toujours des frelons pour nuire aux abeilles ; mais parmi les opposants il y avait des hommes calmes et froids qui disaient au pourvoir : — « Sur dix rues que vous ouvrez, il y en a neuf sur la rive droite. Tous les établissements publics qui ont une influence sur l’industrie sur le commerce, c’est la rive droite qui les possède. À la rive droite les spectacles, les bazars, la bourse, le palais des rois, tout ce qui attire les marchands, les courtisans et les riches ; à la rive gauche les hôpitaux, les couvents, l’Université, tout ce qui étouffe l’industrie et le commerce. La rive gauche avait un établissement, un seul établissement, la foire Saint-Germain-des-Prés ; ce bazar, dans ses jours de splendeur, attirait trente mille étrangers à Paris, et maintenait une espèce d’équilibre commercial entre les deux parties de la capitale, que sépare le fleuve ; faute de protection, par l’incurie de nos administrateurs, il est détruit maintenant. Cette industrie, cette activité que vous répandez à profusion sur une partie de la capitale, déjà si généreusement dotée, c’est l’activité de tous, c’est l’industrie de tous que vous prélevez injustement. »

Ces plaintes, dont on apprécie maintenant toute la justesse, ne furent point écoutées ; et les trois galeries s’élevèrent sous la direction de Louis, architecte avantageusement connu par la construction du magnifique théâtre de Bordeaux. Les nouveaux bâtiments n’étaient pas complètement achevés, lorsque la révolution, qui grondait sourdement, éclata tout-à-coup. Le jardin du Palais-Royal devint le rendez-vous des agitateurs les plus exaltés ; là, se réunissaient des hommes ardents qui ne pouvaient supporter les formes imposées dans les districts. Des orateurs montaient sur des chaises, prenaient la parole, étaient sifflés ou portés en triomphe. Camille Desmoulins se faisait remarquer par la verve et l’originalité de son esprit. La Fayette avait de la peine à contenir ces rassemblements par des patrouilles continuelles, et déjà la garde nationale était accusée d’aristocratie. — « Il n’y avait pas, disait Desmoulins, de patrouille au Céramique. »

Dans la journée du 12 juillet 1789, ce jeune tribun exerça une grande influence sur la multitude en proposant de prendre les armes et d’arborer une nouvelle cocarde comme signe de ralliement. Camille nous raconte lui-même cette scène remarquable : « Il était deux heures et demie ; je venais sonder le peuple. Ma colère était tournée en désespoir. Je ne voyais pas les groupes, quoique vivement émus et consternés, assez disposés au soulèvement. Trois jeunes gens me parurent agités d’un plus véhément courage ; ils se tenaient par la main : je vis qu’ils étaient venus au Palais-Royal dans le même dessein que moi ; quelques citoyens passifs les suivaient : — « Messieurs, leur dis-je, voici un commencement d’attroupement civique, il faut qu’un de nous se dévoue et monte sur une table pour haranguer le peuple. » — « Montez-y ! » — « J’y consens. Aussitôt je fus plutôt porté sur la table que je n’y montai. À peine y étais-je, que je me vis entouré d’une foule immense. Voici ma courte harangue que je n’oublierai jamais :

» Citoyens, il n’y a pas un moment à perdre. J’arrive de Versailles ; M. Necker est renvoyé ; ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélemy de patriotes : ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger ; il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître.

» J’avais les larmes aux yeux, et je parlais avec une action que je ne pourrais ni retrouver ni peindre. Ma motion fut reçue avec des applaudissements infinis. Je continuai : Quelle couleur voulez-vous ? — Quelqu’un s’écria : « Choisissez. » — « Voulez-vous le vert, couleur de l’espérance, ou le bleu Cincinnatus, couleur de la liberté d’Amérique et de la démocratie ! — Des voix s’élevèrent : « Le vert, couleur de l’espérance ! » — Alors je m’écriai : « Amis ! le signal est donné. Voici les espions et les satellites de la police qui me regardent en face. Je ne tomberai pas du moins vivant entre leurs mains. — Puis, tirant deux pistolets de ma poche, je dis : « Que tous les citoyens m’imitent ! » Je descendis étouffé d’embrassements ; les uns me serraient contre leur cœur, d’autres me baignaient de leurs larmes : un citoyen de Toulouse, craignant pour mes jours, ne voulut jamais m’abandonner. Cependant, on m’avait apporté un ruban vert ; j’en mis le premier à mon chapeau, et j’en distribuai à ceux qui m’environnaient. Mais un préjugé populaire s’étant élevé contre la couleur verte, on lui substitua les trois couleurs qui furent alors proclamées comme les couleurs nationales. »

Le surlendemain de cette scène, la Bastille s’écroulait sous les coups du peuple.

Mais il nous faut rentrer dans le Palais-Royal pour enregistrer d’autres faits.

Le 9 janvier 1792, Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, pressé par ses créanciers, signait un concordat par lequel il s’engageait à faire vendre à leur profit, ceux de ses biens dont l’aliénation serait jugée nécessaire pour effectuer le remboursement intégral de leurs créances.

Nous ne suivrons pas le prince au milieu du tourbillon dans lequel son ambition l’avait jeté. Il siégeait dans cette terrible Assemblée qui n’accordait ni trêve ni merci. La noblesse de son nom d’Orléans pouvant nuire au tribun qui allait juger son roi, Louis-Philippe-Joseph en demanda le changement.

« Séance du 15 septembre 1792. — Sur la demande de Louis-Philippe-Joseph, prince français ; le procureur de la commune entendu ; le conseil-général arrête : 1o Louis-Philippe-Joseph et sa postérité porteront désormais pour nom de famille Égalité ; 2o le jardin connu jusqu’à présent sous le nom de Palais-Royal s’appellera désormais Jardin de la Révolution ; 3o Louis-Philippe-Joseph Égalité est autorisé à faire faire, soit sur les registres publics, suit dans les actes notariés, mention du présent arrêté ; 4o le présent arrêté sera imprimé et affiché. » (Extrait des registres de la Commune.)

Le 16 janvier 1793, la Convention s’était réunie pour décider du sort de Louis XVI. Il était sept heures et demie du soir. Chaque député, dont le nom sortait de l’urne, montait à la tribune et proclamait à haute voix son vote, que les spectateurs accueillaient avec des applaudissements ou des imprécations. À l’appel du nom de Louis-Philippe-Joseph Égalité, un profond silence règne aussitôt dans la salle. L’ancien duc d’Orléans se lève, traverse la salle, monte à la tribune et laisse tomber lentement ces deux mots : la mort !

Le 6 novembre suivant, une charrette conduisait un condamné au supplice. Arrivée devant la façade du Palais-Royal, la charrette s’arrêta et le patient promena ses regards sur l’édifice ; quelques minutes après, la voiture continua sa route jusqu’à la place de la l’évolution. L’échafaud venait d’être dressé ; le duc d’Orléans y monta d’un pas ferme et reçut le coup mortel.

Le Palais-Royal fut alors réuni au domaine national, puis envahi par une race de Bohémiens qui coupèrent les murailles pour élargir les fenêtres ou pour percer des portes.

Napoléon donna le Palais-Royal au Tribunat pour en faire le lieu de ses séances. À cet effet, M. Beaumont construisit une salle qui plus tard servit de chapelle. Après la dissolution du Tribunat, le Palais-Royal fut réuni au domaine extraordinaire de la Couronne.

« En 1814, dit M. Vatout, qui a fait un travail remarquable sur les Résidences Royales, un auguste exilé revient dans sa patrie ; il se présente seul et sans se faire connaître au Palais-Royal. Le suisse, qui portait encore la livrée impériale, ne voulait pas le laisser entrer il insiste, il passe, il s’incline, il baise avec respect les marches du grand escalier… C’était l’héritier des ducs d’Orléans qui rentrait dans le palais de ses pères ! »

Pendant les Cent-Jours, cette habitation fut occupée par le prince Lucien Bonaparte, qui ne changea rien aux dispositions que son prédécesseur avait prises.

Depuis le commencement de la révolution, le Palais-Royal était devenu le grand bazar parisien. Cet édifice, regardé comme le temple du goût et de la mode, attirait à lui tous les provinciaux qui venaient visiter la capitale. C’était un harem toujours peuplé, toujours ouvert.

Les Galeries de Bois, bordées de nombreuses boutiques de marchandes de modes, devenaient le lieu de prédilection des promeneurs du soir, qui s’entassaient dans cet espace étroit et malsain.

« Les Athéniens, dit Mercier, élevaient des temples à leurs phrynées ; les nôtres trouvent le leur dans cette enceinte… Les agioteurs, faisant le pendant des jolies prostituées, vont trois fois par jour au Palais-Royal, et toutes ces bouches n’y parlent que d’argent et de prostitution politique. Tel joueur à la hausse et à la baisse peut dire, en parlant de la Bourse : Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis. La Banque se tient dans les cafés ; c’est-à-dire, qu’il faut voir et étudier les visages subitement décomposés par la perte ou par le gain ; celui-ci se désole, celui-là triomphe. Ce lieu est donc une jolie boite de Pandore ; elle est ciselée, travaillée, mais tout le monde sait ce que renfermait la boîte de cette statue animée par Vulcain. Tous les Sardanapales, tous les petits Lucullus logent au Palais-Royal, dans des appartements que le roi d’Assyrie et le consul romain eussent enviés…

» Quoique tout augmente, triple et quadruple de prix dans ce lieu, il semble y régner une attraction qui attire l’argent de toutes les poches ; surtout de celles des étrangers qui raffolent de cet assemblage de jouissances variées et qui sont sous la main ; c’est que l’endroit privilégié est un point de réunion pour trouver dans le moment tout ce que votre situation exige dans tous les genres. Il dessèche aussi les autres quartiers de la ville, qui déjà figurent comme des provinces tristes et inhabitées. La cherté des locations, que fait monter l’avide concurrence, ruine les marchands. Les banqueroutes y sont fréquentes ; on les compte par douzaines. C’est là que l’effronterie de ces boutiquiers est sans exemple dans le reste de la France ; ils vous vendent intrépidement du cuivre pour de l’or, du stras pour du diamant ; les étoffes ne sont que des imitations brillantes d’autres étoffes vraiment solides ; il semble que le loyer excessif de leurs arcades les autorise à friponner sans le plus léger remords. Les yeux sont fascinés par toutes ces décorations extérieures qui trompent le curieux séduit, et qui ne s’aperçoit de la tromperie qu’on lui a faite que lorsqu’il n’est plus temps d’y remédier… Il est triste en marchant de voir un tas de jeunes débauchés, au teint pâle, à la mine suffisante, au maintien impertinent, et qui s’annoncent par le bruit des breloques de leurs deux montres, circuler dans ce labyrinthe de rubans, de gazes, de pompons, de fleurs, de robes, de masques, de boites de rouge, de paquets d’épingles longues de plus d’un demi pied ; ils battent le camp des Tartares dans cette oisiveté profonde qui nourrit tous les vices, et l’arrogance qu’ils affectent ne peut dissimuler leur profonde nullité. On appelle Camp des Tartares, les deux galeries en bois qui, je l’espère, seront bientôt remplacées par une galerie magnifique qui complétera la beauté de l’édifice. »

Le vœu du spirituel écrivain a été exaucé ; le duc d’Orléans arrêta un projet définitif pour l’achèvement du Palais-Royal. Près de trois millions ont été employés par lui au rachat d’un grand nombre de propriétés. Un million fut également payé, par suite de transaction, pour rentrer dans la propriété du Théâtre-Français qui a été restauré, ainsi que les autres parties de l’édifice. Toutes les dépenses peuvent être évaluées à onze millions de francs. Les principaux changements au projet de l’architecte Louis, sont la substitution d’une terrasse aux grands appartements qu’il voulait établir au-dessus des galeries marchandes sur le devant du jardin, et la création de la cour de Nemours et de la belle galerie historique qui règne en cet endroit, au premier étage. En 1829, les travaux ont été achevés et les ignobles constructions en bois remplacées par cette galerie d’Orléans, monument de marbre et de cristal, dont il est impossible de ne pas louer la grandeur et la magnificence.

Au mois de juin 1830, Louis-Philippe, duc d’Orléans, donna dans son palais une fête à l’occasion de la présence du roi de Naples à Paris ; Charles X y assistait. Des scènes de désordre eurent lieu dans le jardin, et une certaine agitation, signe précurseur de graves événements, régnait dans les esprits. « C’est une fête magnifique et tout-à-fait napolitaine, dit M. de Salvandy, nous dansons sur un volcan. » — Un mois après, la révolution éclatait. Le 26 juillet, des groupes nombreux se formèrent au Palais-Royal ; enfin, le 1er août, la commission municipale, présidée par le général La Fayette, vint offrir au duc d’Orléans le titre de lieutenant-général, qu’il échangea bientôt contre la couronne de France. Peu de temps après son élévation, le nouveau roi quittait le Palais-Royal pour aller habiter les Tuileries. — L’ancienne demeure des ducs d’Orléans est aujourd’hui méconnaissable. Elle peut montrer encore avec fierté ses constructions monumentales et ses vastes galeries, mais la vie, la gaité ne sont plus là. C’était une libertine qui menait joyeuse vie, dont les regards attiraient les passants. On a voulu la convertir, la rendre honnête ; elle s’est laissée faire, mais hélas ! la pauvre repentie se sèche et meurt d’ennui. La richesse, le commerce, tous les plaisirs l’ont abandonnée pour aller sur les boulevarts briller et sourire plus à l’aise.