Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Honoré (rue Saint-)


Honoré (rue Saint-).

Commence aux rues des Déchargeurs, no  19, et de la Lingerie, no  1 ; finit à la rue Royale, nos 12 et 14. Le dernier impair est 389 ; le dernier pair, 422. Sa longueur est de 2,120 m. — Les numéros de 1 à 231, sont du 4e arrondissement, quartier Saint-Honoré ; de 233 à 389, 1er arrondissement, quartier des Tuileries. Les pairs de 2 à 34, 4e arrondissement, quartier des Marchés ; de 36 à 74, 3e arrondissement, quartier Saint-Eustache ; de 76 à 192, 4e arrondissement, quartier de la Banque ; de 194 à 354, 2e arrondissement, quartier du Palais-Royal ; de 356 à la fin, 1er arrondissement, quartier de la place Vendôme.

Les portes bâties à différentes époques dans cette voie publique indiquent ses agrandissements successifs. La porte Saint-Honoré de l’enceinte de Philippe-Auguste était située à l’endroit où nous voyons aujourd’hui le temple de l’Oratoire. Sous le règne de Charles V, elle était reculée jusqu’à la rue du Rempart et, vers 1631, on la voyait en face de la rue Royale. Cette troisième porte fut démolie en vertu des lettres-patentes du 22 avril 1732.

Cette rue, construite par petites portions à la fois, porta plusieurs noms : vers 1300 et 1313, de la rue Tirechape à celle de l’Arbre-Sec, c’était la rue du Chastiau-Festu. La partie comprise entre la rue de la Lingerie et celle de la Tonnellerie porta jusqu’au XVIIe siècle le nom de la Chausseterie. De la rue de l’Arbre-Sec à celle du Rempart, elle était désignée aux XIIIe et XIVe siècles sous la dénomination de rue de la Croix-du-Trahoir. En 1450, elle prit le nom de rue de la Chaussée-Saint-Honoré, puis celui de rue Saint-Honoré, en raison de l’église dont nous avons parlé à l’article du cloître Saint-Honoré ; enfin de la rue du Rempart jusqu’à l’endroit où finit la rue Royale, elle était désignée vers 1407, sous la dénomination de rue Neuve-Saint-Louis, hors la porte Saint-Honoré, et Grand’rue Saint-Louis, en raison de l’hôpital des Quinze-Vingts fondé par Louis IX.

La partie de la rue Saint-Honoré, comprise entre la rue des Bourdonnais et celle des Prouvaires, a été élargie en vertu d’un arrêt du conseil du 24 mars 1679. — Une décision ministérielle du 28 messidor an V, signée Benezech, fixa la moindre largeur de la rue Saint-Honoré à 12 m. ; cette moindre largeur est portée à 14 m. en vertu d’une ordonnance royale du 25 septembre 1834.

Les maisons ci-après sont alignées, nos 81, 83, 91, les deux encoignures de la rue du Coq, de 173 à 191, 287, 293, 295, 297, 301, 303, 307, de 313 à 327, de 333 à 359, 365, 367, 369, 371 et de 379 à la fin ; 12, 14, 20, 22, 24, 36, 40, 42, 110, 112, 128, 130, la propriété à l’encoignure gauche de la rue de Grenelle, 202, 210, 212, 214, 216, 218, 222, 244, de 348 bis à 356, et de 408 à la fin. — Égout et conduite d’eau dans plusieurs parties. — Éclairage au gaz (compe Anglaise).

La rue Saint-Honoré possède un vieux droit de bourgeoisie qui remonte aux premiers agrandissements de la ville. Lorsque la population parisienne étouffant dans la cité envahit la rive droite du fleuve, la rue Saint-Honoré, grâce à son voisinage des halles, devint bientôt la grande artère qui répandit la richesse et la fertilité dans la ville. Les marchands de la cité abandonnaient leurs maisons tristes et malsaines pour venir loger près du premier bazar parisien. Les drapiers, les fourreurs, les merciers, les bonnetiers et les orfèvres se bâtirent de vastes habitations derrière les hôtels et les palais des nobles dont ils entretenaient le luxe.

Aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, la rue Saint-Honoré semblait fière de ses hautes maisons à pignons historiés, aux façades couvertes de gracieuses figurines qui souriaient aux passants ; elle comptait avec satisfaction ses riches et gros marchands posés sous leurs porches comme les obélisques chez les Égyptiens.

Au coin de la rue des Déchargeurs, les bonnetiers étalaient leurs marchandises. Sur la frise de leurs lambris, on voyait des bonnets de différentes formes et sur les verrières étaient peints des ciseaux ouverts avec quatre chardons au-dessus.

Un peu plus loin étaient réunis les marchands drapiers orgueilleux de leurs richesses. Au-dessus de leurs magasins se balançait un navire d’argent, à la bannière de France, en champ d’azur, un œil en chef, avec cette légende : Ut cœteros dirigat. — En face de la Croix-du-Trahoir se prélassaient les riches merciers-grossiers. Ils comptaient parmi les membres de leur communauté plusieurs échevins. Le chef des merciers avait fait peindre sur son enseigne les armoiries de sa corporation. On voyait un champ d’argent chargé de trois vaisseaux dont deux en chef et un en pointe ; ces vaisseaux étaient construits et mâtés d’or sur une mer de sinople, le tout surmonté d’un soleil d’or avec cette devise : Te toto orbe sequemur.

Après la rue du Coq scintillaient plusieurs boutiques d’orfèvres, devant lesquelles s’arrêtaient extasiés de nouveaux débarqués. On voyait aussi de joyeux étudiants qui regardaient plus volontiers les jeunes femmes que les bijoux. Les armoiries de la corporation qui reconnaissait Saint-Éloi pour patron étaient composées de gueules à croix d’or dentelée, accompagnées aux premier et quatrième quartiers d’une coupe d’or, et aux deuxième et troisième d’une couronne de même métal semé de fleurs de lis sans nombre, avec cette légende : IN SACRA INQUE CORONAS, pour faire entendre que l’orfèvrerie était principalement consacrée à la pompe du culte divin et à l’ornement de la majesté royale. Cette armoirie donnée par Étienne Boileau était une glorieuse récompense de la probité des orfèvres à garder tes meubles et les joyaux de la couronne que Philippe de Valois leur confiait.

Un peu plus loin sur le même côté de la rue, on distinguait les pelletiers-fourreurs, aux têtes d’animaux qui tapissaient les devantures des boutiques. Les pelletiers jalousaient les merciers et les drapiers qui leur avaient enlevé leur antique prééminence. Ils se rappelaient l’honneur dont ils jouissaient lorsqu’ils avaient le privilège de faire la robe du roi. Leurs armoiries étaient un agneau pascal d’argent, avec champ d’azur, à la bannière de France ornée d’une croix d’or ; pour supports leurs hermines, et sur leur écu la couronne ducale.

La rue Saint-Honoré dans ses sinueuses profondeurs a vu souvent se dérouler des drames sanglants. Ce fut au coin de cette rue et de celle du Louvre (aujourd’hui de l’Oratoire), que Paul Stuart de Caussade, comte de Saint-Mégrin, sortant du Louvre vers onze heures du soir, fut attaqué le lundi 21 juillet 1578 par une bande d’assassins ; il tomba percé de trente-trois coups dont il mourut le lendemain. Henri III le fit enterrer à côté de Quélus et de Maugiron dans l’église Saint-Paul, qui reçut alors le nom de Sérail des Mignons. « De ce meurtre, dit l’Étoile, n’en fut faite aucune poursuite, sa majesté étant bien avertie que le duc de Guise l’avait fait faire, parce que le bruit courait que ce mignon était l’amant chéri de sa femme, et que celui qui avait fait le coup avait la barbe et la contenance du duc de Mayenne. Saint-Mégrin détestait la maison de Guise ; un jour dans la chambre du roi, devant plusieurs seigneurs, il tira son épée, et bravant de paroles, il en trancha son gant par le mitan, disant qu’ainsi il taillerait les petits princes lorrains. » Une pareille imprudence était seule capable de le perdre.

À l’époque de la régence du duc d’Orléans, la rue Saint-Honoré prenait une physionomie plus agitée. La banque de Law avait abandonné la rue Quincampoix pour venir occuper un hôtel de la place Vendôme. Alors tout le numéraire était sorti de France ; les finances de l’État avaient disparu. Presque toutes les familles, autrefois dans l’aisance se virent tout-à-coup plongées dans la misère. Une émeute éclata dans la rue Saint-Honoré le 15 juillet 1720. Law effrayé se réfugia au Palais-Royal où résidait le régent. Le peuple remplissait les cours et demandait à grands cris la mort de l’imposteur qui avait causé sa ruine. Plusieurs personnes périrent étouffées par la foule et trois cadavres furent retirés des cours du Palais-Royal. Des ouvriers voyant passer le carrosse du banquier, croyant que ce financier s’y trouvait, assaillirent la voiture et la mirent en pièces. Le premier président du parlement pour annoncer cette nouvelle à la cour employa cet impromptu :

Messieurs, messieurs, bonne nouvelle,
Le carrosse de Law est réduit en canelle.

Mais comme le caractère des Français est de rire de leur propre malheur, les Parisiens ruinés se consolèrent bientôt en composant des chansons. Nous citons un couplet sur la conversion du célèbre banquier. Pour réussir à la cour, Law n’avait rien trouvé de mieux que d’abjurer sa religion.

Ce parpaillot, pour attirer
Tout l’argent de la France,
Songea d’abord à s’assurer
De notre confiance.
Il fit son abjuration,
La faridondaine, la faridondon ;
Mais le fourbe s’est converti
À la façon de barbari, mon ami.

Entre les nos 382 et 384, on voyait encore au commencement de notre siècle une maison qui fut longtemps habitée par Robespierre. Cette propriété a été démolie en 1807, pour livrer passage à la rue Duphot.

La révolution en mêlant les castes, en abolissant les privilèges des corporations marchandes, a fait perdre à la rue Saint-Honoré son ancienne physionomie ; aujourd’hui rien ne la distingue des autres voies publiques de la capitale.