Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Bibliothèque Royale


Bibliothèque Royale.

Située dans la rue de Richelieu, no  58. — 2e arrondissement, quartier Feydeau.

Cette admirable collection occupe à juste titre le premier rang parmi les grands dépôts littéraires de l’Europe.

Pour trouver l’origine de la Bibliothèque du Roi, il faut remonter au règne de Charles V. Saint Louis, avant cette époque, avait réuni quelques livres plus ou moins curieux, mais ce prince se plaisait à distribuer ces ouvrages aux seigneurs et aux savants de sa cour.

La bibliothèque du roi Jean ne se composait que de huit ou dix volumes. À la mort de Charles V, on comptait neuf cents manuscrits. Cette augmentation atteste tout l’intérêt que ce prince portait aux lettres. Ces richesses littéraires, confiées à Gilles Mallet, valet de chambre du roi, furent déposées au Louvre, dans une tour qui prit à cette occasion le nom de tour de la Librairie. Ces manuscrits occupaient trois salles. Des barreaux de fer protégeaient les fenêtres. Les lambris des murs étaient de bois d’Irlande ; la voûte lambrissée de bois de cyprès, était enrichie de sculptures en bas-reliefs. Ce sanctuaire réservé à la science était éclairé par trente petits chandeliers, au milice desquels brûlait une lampe d’argent. Cette bibliothèque, dont Gilles Mallet avait dressé l’inventaire, était estimée 2,323 livres 4 sols. Cette collection disparut pendant le séjour des Anglais à Paris. Le duc de Bedfort l’acheta 1,200 livres. Cette somme fut payée à l’entrepreneur du mausolée de Charles VI et d’Isabelle de Bavière.

Charles VII, qui avait un royaume à reconquérir, ne put songer à réparer cette perte. Mais bientôt la découverte de l’imprimerie vint favoriser les développements de la Bibliothèque Royale. Louis XI couvrit de sa protection tous ceux qui cherchaient à répandre dans son royaume les produits de cet art merveilleux ; savant lui-même et bon littérateur, il rassembla tous les volumes qui étaient enfouis dans les maisons royales. L’histoire nous fournit une preuve du désir qu’il avait d’augmenter les richesses littéraires de la France. Pierre Schæffer, allemand, l’un des inventeurs de l’art typographique, ou du moins l’un de ceux qui le perfectionnèrent, avait envoyé, de concert avec Conrad Hanequis, son associé, un nommé Herman de Stathoen vendre à Paris plusieurs ouvrages. Cet agent mourut peu de temps après son arrivée. Alors les officiers du roi, en vertu du droit d’aubaine, s’emparèrent des biens et de l’argent qu’avait laissés le défunt. Schæffer et son associé protestèrent contre cette spoliation. Louis accueillit favorablement leur réclamation, rendit l’argent et paya les livres qu’il garda pour sa bibliothèque. Dans les lettres-patentes du 21 avril 1475, rendues en faveur des deux associés, le roi s’exprime ainsi : « Ayant considération de la peine et labeur que les d. exposants ont pris pour le d. art et industrie de l’impression, et du profit et utilité qui en vient et peut en venir à toute la chose publique, tant pour l’augmentation de la science que autrement ; etc…, nous sommes libéralement condescendus à faire restituer au d. Conrad Hanequis la somme de deux mille quatre cent vingt-cinq écus et trois sous tournois, etc…»

Louis XII fit transporter au château de Blois les volumes que ses prédécesseurs avaient réunis au Louvre.

François Ier, prince élégant et de nobles manières, instruit et bien disant, créa en 1544 une bibliothèque à Fontainebleau, et l’augmenta plus tard de tous les livres que Louis XII avait déposés dans le château de Blois. La bibliothèque de Blois, dont l’inventaire fut fait alors, se composait d’environ 1,890 volumes, dont 109 imprimés et près de 40 manuscrits grecs, apportés de Naples par le célèbre Lascaris. François Ier enrichit encore la bibliothèque de Fontainebleau d’environ 60 manuscrits, que Jérôme Fondul avait achetés dans les pays étrangers. Jean de Pins, Georges d’Armagnac et Guillaume Pellicier, ambassadeurs de France à Rome et à Venise, achetèrent pour le compte du roi tous les livres grecs qu’ils purent trouver. Le catalogue dressé à cet effet constate l’acquisition de 260 volumes. Guillaume Postel, Pierre Gille et Juste Tenelle nous rapportèrent du Levant 400 manuscrits, et 40 environ de l’Orient. Les livres du connétable de Bourbon augmentèrent encore la collection de Fontainebleau.

Jusqu’à cette époque, un simple garde en titre avait été le seul administrateur de la bibliothèque de nos rois. François Ier donna au savant Guillaume Budé la place de bibliothécaire en chef, avec le titre de maître de la Bibliothèque du Roi. Parmi les successeurs de Guillaume Budé, on cite avec éloge Pierre Duchâtel, Mellin de Saint-Gelais et Pierre de Montdoré.

Les principales richesses de la Bibliothèque consistaient alors en manuscrits. Henri II, conseillé par le savant Raoul Spifame, ordonna, vers 1556, à tous les libraires, de fournir à chacune des bibliothèques royales, un exemplaire en vélin et relié de tous les ouvrages imprimés par privilège. Cette ordonnance ne fut pas exécutée rigoureusement.

Sous Henri III, la Bibliothèque fut envahie par les ligueurs. Dans une note que Jean Gosselin, alors gardien de la Bibliothèque, eut la précaution d’écrire sur un manuscrit ayant pour titre : Marguerite historiale, par Jean Massüe, on lit : que le président de Nully, fameux ligueur, se saisit, en 1593, de la librairie du roi, en fit rompre les murailles et la garda jusqu’à la fin de mars 1594 ; que pendant cet espace de temps, on enleva le premier cahier du manuscrit de Massüe ; que Guillaume Rose, évêque de Senlis, et Pigenat, autres furieux ligueurs, firent dans un autre temps plusieurs tentatives pour envahir la Bibliothèque Royale, et qu’ils en furent empêchés par le président Brisson, et par lui Gosselin.

Henri IV, maître de Paris, ordonna par lettres du 14 mai 1594, que la bibliothèque de Fontainebleau serait transférée dans la capitale et déposée dans les bâtiments du collége de Clermont, que les jésuites venaient de quitter. Elle acquit à cette époque de nouvelles richesses. Le maréchal Strozzi avait fait l’acquisition, du cardinal Ridolfi, neveu du pape Léon X, d’une collection de manuscrits hébreux, grecs, latins, arabes, français, italiens, au nombre de plus de 800. À la mort de Strozzi, la reine-mère s’appropria les livres du maréchal, sous le vain prétexte que ces ouvrages provenaient de la bibliothèque des Médicis. Le 4 novembre 1598, Henri IV écrivait à M. de Thou, son bibliothécaire : « Je vous ai ci-devant écrit pour retirer des mains du neveu du feu abbé de Bellebranche, la librairie de la feue reine, mère du roi, mon seigneur ; ce que je vous prie et commande encore un coup de faire, si jà ne l’avez fait, comme chose que je désire et affectionne et veux, afin que rien esgare et que vous la fassiez mettre avec la mienne. Adieu. »

Deux arrêts du parlement, le premier à la date du 25 janvier, le second au 30 avril 1599, ordonnèrent la remise de ces livres à la Bibliothèque du Roi. Les jésuites, rentrés en France, reprirent possession de leur collége, et la Bibliothèque fut transférée dans une des salles du couvent des Cordeliers. Henri IV cherchait à placer convenablement cette précieuse collection, et voulait supprimer les collèges de Tréguier et de Cambrai pour placer la Bibliothèque dans une partie de leurs bâtiments, lorsque la mort vint le frapper.

Sous le règne suivant, la Bibliothèque fut enrichie des livres de Philippe Hurault, évêque de Chartres. C’est à Louis XIII qu’on doit attribuer l’accroissement rapide de nos richesses littéraires. Ce prince rendit en 1617 une ordonnance qui porte : « Qu’à l’avenir ne sera octroyé à quelque personne que ce soit, aucun privilége pour faire imprimer ou exposer en vente aucun livre, sinon à la charge d’en mettre gratuitement deux exemplaires en la Bibliothèque du Roi. » À la fin de ce règne, la Bibliothèque se composait de 16,700 volumes.

Sous Louis XIV, la Bibliothèque fut rendue accessible au public. Depuis longtemps la maison des Cordeliers était trop petite pour contenir cette collection. Colbert la fit placer dans deux propriétés voisines de son hôtel. Ces deux maisons, situées rue Vivienne, avaient été achetées des héritiers Beautra. La translation eut lieu en 1666. La Bibliothèque occupa cet hôtel jusqu’en 1721. À cette époque, on voyait dans la rue de Richelieu un hôtel immense ; il renfermait tout l’espace compris entre cette voie publique, les rues Neuve-des-Petits-Champs, Vivienne et Colbert. C’était l’ancienne demeure du cardinal Mazarin. Plus de quatre cents statues ou bustes, chefs-d’œuvre de la Grèce et de Rome, décoraient cette habitation toute royale. On y voyait cinq cents tableaux, ouvrages de cent vingt peintres. Parmi ces tableaux on en comptait sept de Raphaël, huit du Titien, trois du Corrège et cinq de Paul Véronèse. Après la mort du cardinal-ministre, ce palais fut divisé en deux parties. La première, la plus considérable, conserva le nom de Mazarin. Le roi l’acheta en 1719 et la donna à la compagnie des Indes. En 1724, la Bourse y fut placée. La seconde partie échut par succession au marquis de Mancini, duc de Nevers, neveu du cardinal, et on la nomma hôtel de Nevers. Le roi en fit ensuite l’acquisition, y établit la Banque Royale, et en dernier lieu la Bibliothèque.

Pour rester dans les limites que nous nous sommes tracées, nous indiquerons seulement les principales acquisitions, les présents les plus considérables qui vinrent successivement grossir notre dépôt littéraire.

En 1662, le roi acheta du comte de Brienne 360 manuscrits sur l’histoire de France.

Le comte de Béthune, chevalier des ordres de sa majesté, légua en 1665 à la Bibliothèque 1,923 volumes manuscrits. Plus de onze cents renferment des lettres et pièces originales sur l’histoire de France.

Charles d’Hozier, célèbre généalogiste, vendit au roi son cabinet, qui renfermait les ouvrages les plus curieux.

À ces collections, il faut ajouter celles qui provenaient de l’abbé de Louvois, de Colbert, de Dupuy, de Baluze, de Lancelot, de l’église de Paris, de Saint-Martial de Limoges, de Fontanieu, de la Vallière, etc. Le cardinal Fleury et M. de Maurépas envoyèrent en Orient MM. Sévin et Fourmont, qui achetèrent un grand nombre de manuscrits grecs et orientaux.

En 1790, époque de la suppression des maisons religieuses, la Bibliothèque s’accrut d’un grand nombre de livres manuscrits et imprimés provenant de ces établissements.

Avant la révolution, on évaluait le nombre des livres imprimés, en excluant les pièces détachées, à deux cent mille environ. On y compte aujourd’hui plus de sept cent mille volumes imprimés, et pareil nombre de pièces fugitives. La Bibliothèque Royale s’accroît chaque année de neuf mille ouvrages français et de trois mille étrangers.

Dans cinquante ans ce magnifique bazar littéraire aura doublé ses richesses.

Avant 1789, la Bibliothèque se divisait en cinq dépôts : les livres imprimés, les manuscrits, les médailles et les antiques, les gravures, les titres et généalogies. Ce dernier dépôt a été supprimé.

La collection des manuscrits occupe cinq pièces, dont l’une est l’ancienne galerie du palais Mazarin. Le plafond, peint à fresque en 1651, est l’ouvrage de Romanelli. Il représente plusieurs sujets de la fable. Les manuscrits sont divisés par fonds, parmi lesquels on distingue ceux de Dupuy, de Béthune, de Brienne, de Gaignières, de Mesmes, de Colbert, de Doat, de Cangé, de Lancelot, de Baluze. Le nombre des manuscrits est évalué à quatre-vingt mille. Les plus curieux sont ceux des VIe et VIIe siècles. Ils sont écrits en or sur du vélin pourpre ; ou en argent sur parchemin noir. On distingue aussi la Bible dite de Charles-le-Chauve, et les Heures d’Anne de Bretagne.

Le cabinet des médailles et des antiques est également remarquable.

François Ier possédait vingt médailles en or et une centaine en argent. Il les fit enchâsser dans des ouvrages d’orfèvrerie. Henri II joignit aux médailles qui avaient appartenu à François Ier celles qui composaient la riche collection apportée d’Italie par Catherine de Médicis. Charles IX augmenta ces richesses et leur destina un local particulier dans le Louvre. Le premier, il créa une place spéciale pour leur conservation. Pendant les troubles de la Ligue, les médailles furent dispersées. Henri IV et Louis XIII essayèrent de réparer ces pertes. À Louis XIV appartient l’honneur d’avoir rassemblé les collections disséminées dans les résidences royales, et d’avoir créé au Louvre le cabinet des antiques.

Au mois de novembre 1666, l’abbé Bruneau, gardien des médailles, fut assassiné dans le Louvre. Les meurtriers s’emparèrent d’une partie de nos richesses numismatiques. Peu de temps après, la collection fut transportée à la Bibliothèque Royale.

En 1831, le cabinet des médailles éprouva de nouvelles pertes. Une tentative de vol fut accomplie avec une audace étonnante. Des objets rares et précieux furent enlevés. Il résulte d’un état dressé par les conservateurs, que le nombre des médailles dérobées et non recouvrées, s’élève à deux mille sept cent soixante-deux. Cependant cette collection est riche encore aujourd’hui. On compte dans ce cabinet plus de quatre-vingt mille médailles.

On remarque dans une des galeries des imprimés un monument appelé le Parnasse français, composé par Titon du Tillet. Ce Parnasse a été érigé à la gloire de Louis XIV et des littérateurs de son siècle. Depuis on y a ajouté les figures de Rousseau, de Crébillon et de Voltaire.

Dans la pièce affectée aux livres de géographie, on voit deux globes immenses. Ils furent commencés à Venise par Marc-Vincent Coronelli, d’après l’ordre du cardinal d’Estrées, qui en fit hommage à Louis XIV.

Sur des lames de cuivre doré, le cardinal d’Estrées fit graver deux inscriptions. Voici celle du globe céleste :

À L’AUGUSTE MAJESTÉ
DE LOUIS-LE-GRAND,
L’INVINCIBLE, L’HEUREUX,
LE SAGE, LE CONQUÉRANT,

César cardinal d’Estrées a consacré ce globe céleste où toutes les étoiles du firmament et les planètes sont placées au lieu même où elles étoient à la naissance de ce fameux monarque, afin de conserver à l’éternité une image fixe de cette heureuse disposition sous laquelle la France a reçu le plus grand présent que le ciel ait jamais fait à la terre. M. DC. LXXXIII.

L’inscription du globe terrestre est ainsi conçue :

À L’AUGUSTE MAJESTÉ
DE LOUIS-LE-GRAND,
L’INVINCIBLE, L’HEUREUX,
LE SAGE, LE CONQUÉRANT,

César cardinal d’Estrées a consacré ce globe terrestre pour rendre un continuel hommage à sa gloire et à ses héroïques vertus, en montrant les pays où mille grandes actions ont été exécutées et par lui-même et par ses ordres à l’étonnement de tant de nations qu’il aurait pu soumettre à son empire, si sa modération n’eût arrêté le cours de ses conquêtes et prescrit des bornes à sa valeur plus encore que sa fortune. M. DC. LXXXIII.

Plusieurs projets relatifs au déplacement de la Bibliothèque ont été successivement présentés. Napoléon, en arrêtant la réunion des palais du Louvre et des Tuileries, avait décidé que ces deux monuments seraient séparés par une ligne transversale de bâtiments qui contiendraient la Bibliothèque nationale. Il est à regretter que ce changement n’ait pas eu lieu ; le local actuel de la Bibliothèque n’est plus en rapport avec les richesses qu’il est appelé à renfermer. — Une ordonnance royale du 14 novembre 1832 confia l’administration de cet établissement aux conservateurs et à leurs adjoints, qui forment un conseil sous la présidence d’un directeur. L’organisation établie par cette ordonnance fut modifiée par une autre ordonnance royale du 22 février 1839, qui nommait un administrateur général de la Bibliothèque. L’ancien état de choses a été rétabli par M. Villemain. La Bibliothèque Royale est ouverte tous les jours de dix heures à trois, les dimanches et fêtes exceptés.