Description historique et géographique de l’Indostan/Mélanges/4


DESCRIPTION
D’ASAM,
Par MOHAMMED CAZIM[1].



Asam est situé au nord-est du Bengale, et divisé en deux parties par la rivière de Brahmaputra, qui vient de Khatà. La partie septentrionale d’Asam est désignée sous le nom d’Uttarcul, et la partie méridionale sous celui de Dacschincul. L’Uttarcul s’étend de Gowahutty, où sont les limites de l’empire du Mogol, jusqu’aux montagnes habitées par la nation des Meeri-Mechmi. Le Dacschincul comprend tout le pays qui est entre le village de Sidea et les montagnes de Srinagar.

Les plus grandes montagnes au nord de l’Uttarcul, sont celles de Duleh et de Landah. Au sud du Dacschincul on trouve celles de Namrup[2], qui sont situées à quatre journées de marche au-dessus de Ghergong, et qui, dans la dernière guerre, servirent de retraite au Raja d’Asam.

Il y a dans les environs une autre chaîne de montagnes où se trouve la nation des Nanacs, qui ne paient aucun tribut, au Raja, mais qui disent lui être soumis, et obéissent à quelques-uns de ses ordres. Les Zemlehs[3] qui habitent aussi ces montagnes, sont indépendans du Raja ; et toutes les fois qu’ils le peuvent, ils pillent les contrées situées dans leur voisinage.

Le pays d’Asam est oblong ; sa longueur est d’environ deux cents cosses, et sa largeur du nord au sud, de près, de huit journées de marche. De Gowahutty à Ghergong, il y a soixante-quinze cosses ; et de Ghergong à Khoten, quinze journées de marche. Khoten était autrefois la résidence de Peeran Wiseh[4] ; cette ville se nomme aujourd’hui Ava[5], et c’est-là qu’habite le Raja du Pégu, qui prétend descendre du fameux Peeran.

Lorsqu’on se rend de Ghergong à Khoten, les cinq premières journées qu’on fait en sortant du Camrùp sont très-pénibles, parce qu’on est obligé de traverser des forêts et des montagnes où le chemin est difficile. On entre ensuite dans le plat pays situé à l’est d’Ava. Au nord, est la plaine de Khatà, où, comme nous l’avons déjà observé, prend sa source la Brahmaputra, qui est ensuite grossie par les eaux de plusieurs autres rivières sortant des montagnes méridionales d’Asam, et dont la principale est la Dhonec. La Dhonec se jette dans la Brahmaputra près du village de Luckeigereh.

Ces deux rivières forment une île bien peuplée et dans un excellent état de culture. C’est un pays charmant, et d’environ cinquante cosses de longueur. La partie cultivée est bornée par des bois épais où l’on prend des éléphans, ainsi que dans quatre ou cinq autres forêts du même pays ; de sorte qu’au besoin, Asam peut fournir de cinq à six cents éléphans par an.

Au-delà du Dhonec, et du côté de Ghergong, le pays est plane et d’un aspect extrêmement agréable. Par-tout on y admire une population nombreuse et les soins de l’agriculteur ; par-tout on y trouve une variété de champs bien labourés, d’autres qui sont couverts d’une riche moisson, de jardins et de jolis boccages. Cette île est dans la partie d’Asam qu’on appelle le Dacschincul.

Depuis le village de Selagereh jusqu’à la ville de Ghergong, c’est-à-dire, dans une étendue de cinquante cosses, on voit une quantité considérable de jardins qui tous semblent n’en faire qu’un seul, et qui sont remplis d’arbres fruitiers, de plantes odorantes et de fleurs de toute espèce. Les maisons des paysans sont au milieu de tous ces jardins. Comme, pendant la saison pluvieuse, ce pays est inondé, on y a construit une haute et large chaussée qui forme le chemin depuis Selagereh à Ghergong, et qui en est la seule partie dérobée à l’agriculture. Des deux côtés du chemin, on a planté un rang de bambous dont les sommets se réunissent, et forment un berceau qui donne une ombre épaisse. Parmi les fruits que produisent les jardins des environs, on distinge le mangoustan, la figue banane, l’orange, le citron, le cédras, l’ananas et le punialeh, espèce d’amleh qui a un parfum exquis, et que tous ceux qui le connaissent préfèrent aux meilleures prunes. On voit aussi dans ces jardins beaucoup de cocotiers, d’arèquiers, de poivriers et de sadijs[6]. La canne à sucre y est extrêmement douce, et de trois couleurs différentes, c’est-à-dire, rouge, noire et blanche[7]. Le gingembre n’y est point fibreux comme le gingembre des autres contrées. Il y a beaucoup de betel ; enfin le sol y est si fertile, que, quelle graine qu’on y sème et quelle racine qu’on y plante, on est sûr de les voir réussir.

Les environs de Ghergong produisent de petits abricots, des ignames et des grenades ; comme on ne prend pas soin de les cultiver, leur qualité est toujours médiocre. Les grains les plus abondans de ce pays sont le riz et le masch. L’adès[8] y est très-rare, et l’on n’y sème jamais ni froment, ni orge.

La soie d’Asam est d’une qualité supérieure et ressemble beaucoup à celle de la Chine ; mais les habitans n’en ont guère plus qu’il ne leur en faut pour leur consommation. Ils sont très-habiles à broder des fleurs et à tisser du velours, ainsi que du tautbund, espèce d’étoffe de soie qui leur sert à faire des tentes et des kenauts[9].

Le sel est rare et fort cher dans le pays, d’Asam ; on y en trouve au pied de quelques montagnes, mais il a beaucoup d’amertume et d’âcreté. Celui dont on y fait le plus d’usage est extrait du bananier.

Les montagnes habitées par la nation des Nanacs, produisent une grande quantité d’excellent bois d’aloës qu’on porte à Asam, et qu’on échange contre du sel et du grain. Les Nanacs sont une race sauvage, malfaisante, et dépourvue de toutes les qualités qui honorent l’homme. Ils vont entièrement nuds ; ils mangent les chiens, les chats, les serpens, les rats, les souris, les fourmis, les sauterelles et généralement tout ce qu’ils trouvent. Le bois d’aloës qui croît dans les montagnes de Camrùp, de Sidea et de Luckeigereh, ne surnage point dans l’eau. On trouve dans plusieurs de ces montagnes, le daim dont on tire le musc.

Le pays d’Uttarcul, situé sur la rive septentrionale de la Brahmaputra, est parfaitement bien cultivé ; il produit beaucoup de poivre et de noix d’arèque ; il est même plus peuplé que le Dacschincul : mais comme ce dernier a une plus grande étendue de forêts, et d’endroits d’un accès difficile, les souverains d’Asam y ont établi leur capitale, et fixé leur résidence.

L’Uttarcul s’étend dans sa largeur, des bords de la Brahmaputra au pied des montagnes ; et cette largeur varie depuis quinze jusqu’à quarante-cinq cosses. Le climat de ces montagnes est froid, et on y voit beauooup de neige ; les hommes qui les habitent ont une taille médiocre, mais ils sont robustes et fiers. Leur teint est comme celui de tous les peuples qui vivent dans les climats froids, c’est-à-dire, blanc et animé ; et ils ont les arbres et les fruits propres aux régions froides.

Non loin de la forteresse de Jum Bereh, qu’on a bâtie à côté de Gowahutty, on voit une chaîne de montagnes connues sous le nom du pays de Dereng. Les habitans de ces montagnes se distinguent par les noms de leurs tribus et les lieux de leur résidence ; mais ils ont tous les mêmes traits, les mêmes mœurs, le même langage. On tire de ces montagnes du musc, des kataus[10], des bhoats, des perées[11], et deux espèces de chevaux, distinguées par les noms de gounts et de tanyans. Ce pays, ainsi que tout le royaume d’Asam, produit aussi de l’argent et de l’or qu’on ramasse dans le sable des rivières. C’est même l’objet d’un revenu considérable pour l’état ; car, suivant quelques observateurs, il y a 12, 000 personnes occupées à la recherche de ces métaux ; suivant d’autres, il y en a jusqu’à 20, 000 ; et il faut que chacune de ces personnes, paie tous les ans un tolà d’or au Raja.

Les habitans d’Asam sont sans principes de morale. Leurs seules inclinations dirigent leur conduite, et l’approbation de leur âme vicieuse justifie à leurs yeux toutes leurs actions. Ils ne sont attachés à aucune religion. Ils n’imitent ni le culte des autres payens, ni celui des Mahométans, ou de toute autre secte. Bien, différens de ceux qui sont attachés à la religion de Brahma, ils ne font point difficulté de manger des mets préparés par des Musulmans ; ils mangent même des animaux morts naturellement. Mais comme ils n’ont pas été accoutumés au goût du ghée[12], ils ont tant d’antipathie pour cette drogue, que s’ils s’apperçoivent qu’il y en a la moindre odeur dans les mets qu’on leur présente, ils ne peuvent les trouver bons.

Les femmes d’Asam ne cachent point leur visage ; les épouses même du Rajâ sont sans voile. On voit des femmes travailler en plein air sans prendre aucun soin pour conserver leur teint.

Les hommes ont souvent quatre à cinq femmes ; ils en vendent, en achètent et en changent à leur fantaisie. Ils se rasent la tête et la barbe avec beaucoup de soin, et ils blâment tous ceux qui ne font pas de même. Leur langage n’a pas le moindre rapport avec celui du Bengale[13]. Leur regard annonce la vigueur et le courage ; mais en même-temps il découvre la brutalité de leur caractère et la férocité de leurs mœurs. Ils surpassent beaucoup d’autres nations pour la force du corps et les exercices hardis. Ils sont entreprenans, belliqueux, cruels, vindicatifs, traîtres et rusés. Ils ne connaissent ni la pitié, ni la sensibilité, ni l’amitié, ni la franchise, ni la vérité, ni l’honneur, ni la bonne foi, ni la pureté des mœurs. La tendresse et l’humanité sont des plantes que la nature n’a pas semées dans leurs âmes. De même qu’ils sont privés des qualités de l’âme, ils manquent de goût pour se parer le corps. Ils mettent une espèce de chemise sur leurs épaules, et attachent grossièrement une pièce d’étoffe autour de leur tête et une autre autour de leurs reins ; mais ils ne portent ni turban, ni robes, ni caleçons, ni souliers. Ils n’ont point d’édifice de brique, ni de pierre, ni même de terre, excepté les portes de la ville de Ghergong, et quelques temples consacrés à l’idolâtrie. Les riches, comme les pauvres, construisent leurs maisons en bois, en bambou, ou en paille.

Le Raja d’Asam et ses courtisans voyagent dans de grandes litières ; mais les autres personnages, quelqu’opulens qu’ils soient, sont portés dans des voitures plus basses, appelées des doulies.

On n’élève, dans le royaume d’Asam, ni chevaux[14], ni chameaux, ni ânes ; ceux qu’on y voit sont tirés d’ailleurs. Par une sorte d’analogie de caractère, les grossiers habitans de ce pays aiment beaucoup les ânes, et les achètent fort cher : mais la vue d’un chameau les étonne toujours beaucoup ; et ils redoutent tellement les chevaux, qu’un cavalier suffit pour faire poser les armes ou mettre en fuite cent Asamiens, cependant il n’est pas un seul homme de ce pays qui ne soit assez hardi pour combattre et vaincre deux fantassins de toute autre nation.

Les anciens habitans d’Asam sont divisés en deux tribus, celle des Asamiens et celle des Cultaniens. La première est la plus courageuse et la plus adonnée à la guerre ; mais en revanche, l’autre lui est supérieure pour tout le reste. La garde du Raja est composée de six à sept cents Asamiens, fiers, audacieux, bien armés, et dans lesquels il a la plus grande confiance. Les armes dont on se sert dans ce pays sont le mousquet, l’épée, la lance, l’arc et la flèche ; ces deux dernières sont faites de bambou. On a aussi dans les forteresses et, dans les vaisseaux, beaucoup de canons, d’espingoles[15] et de ramchangées, et on les manie avec adresse.

À la mort d’un Raja, d’un magistrat, ou de quelqu’autre principal personnage, les Asamiens l’enterrent dans un grand caveau, avec ses femmes, ses domestiques, et une partie de ce qui lui appartient, comme des éléphans, de l’or, de l’argent, de grands éventails[16], des vêtemens, des tapis, des alimens, des lampes, une grande quantité d’huile, et un porteur de torche, car ils croient que toutes ces choses sont nécessaires dans une autre vie. Ils couvrent ensuite le caveau d’un toit très-épais. Il y a quelque temps que des soldats entrèrent dans quelques anciens caveaux, et en tirèrent de l’or et de l’argent pour la valeur de quatre-vingt-dix mille roupies. On prétend qu’il arriva alors un évènement sans exemple, et qui est bien difficile à croire, quoiqu’attesté par tous les nobles de l’armée à leur général ; c’est qu’on trouva dans un caveau creusé quatre-vingts ans auparavant, un arbre de betel en or, qui portait des feuilles aussi vertes et aussi fraîches qu’un pied de betel ordinaire.

La ville de Ghergong a quatre portes construites en pierre et en terre, de chacune desquelles le palais du Raja est éloigné de trois cosses. La ville est entourée d’une palissade de bambou. En dedans on a élevé de grandes chaussées sur lesquelles on passe dans la saison des pluies. Sur le devant de chaque maison, on voit un jardin, ou quelques terreins cultivés ; et ce qu’on appelle la ville, est une enceinte fortifiée, dans laquelle il y a et des villages, et des champs en culture. Le palais du Raja est bâti sur les bords de la rivière de Degou, qui traverse la ville, et est bordée de chaque côté d’un rang de maisons. Il y a un petit marché, dont toutes les boutiques sont occupées par des marchands de betel. Ce qui fait qu’on n’y vend pas d’autres marchandises, c’est que les habitans ne font leurs provisions qu’une fois par an.

Le palais du Raja est entouré d’une chaussée, garnie des deux côtés d’une forte haie de bambous ; il y a de plus en-dehors de la chaussée un fossé toujours plein d’eau. Cette enceinte a une cosse et quatorze jereebs de circonférence : elle contient plusieurs salles très-élevées et des corps de logis séparés. La plupart de ces bâtimens sont construits en bois et les autres en paille ; on les nomme des chuppers. Le diwàn khanah, ou salle publique, a cent cinquante coudées de long et quarante de large. On y compte soixante-six colonnes de bois, qui sont à quatre coudées de distance les unes des autres ; et le siège sur lequel se place le Raja, lorsqu’il y donne audience, est orné de treillis et de sculptures. On voit en dehors et en dedans de cette salle, des plaques d’airain si bien polies, que quand le soleil les frappe, elles brillent autant que des glaces. On sait d’une manière certaine, que la construction de cet édifice a occupé pendant deux ans entiers trois mille charpentiers et douze mille manœuvres.

Quand le Raja est dans son diwan, ou quand il voyage, on ne se sert point, pour annoncer sa présence, de trompettes et de tambours ordinaires, mais on bat le dhol[17] et le dand. Ce dernier instrument est rond et très-épais ; il est de cuivre, et il n’y a pas de doute que ce ne soit le même dont on se servait sous les anciens rois, lorsqu’on allait à la guerre.

Les Rajas d’Asam se sont toujours entourés d’un grand nombre de courtisans, de soldats et de domestiques, et ont déployé les marques importantes du faste et de l’orgueil. Loin de jamais courber leur tête sous un joug étranger, ils n’ont pas même payé de tribut aux plus puissans monarques ; et ils ont arrêté la course triomphale des plus célèbres conquérans de l’Indostan. Des héros auxquels on a donné le titre de vainqueurs du monde, n’ont pu surmonter les difficultés qu’offre une guerre contre Asam. Toutes les fois qu’une armée ennemie est entrée sur le territoire de ce royaume, les Asamiens se sont mis à couvert de ses attaques dans des postes bien fortifiés, et l’ont désolée par de fausses alarmes, des stratagèmes, des surprises, et en lui enlevant ses subsistances. Quand ces moyens leur ont manqué, au lieu d’en venir à une bataille rangée, ils ont conduit dans les montagnes les habitans des plaines, et ils ont brûlé les moissons et dévasté tout le pays. Alors ils ont attendu la saison des pluies, et en profitant habilement, ils ont, par de nombreuses excursions, signalé leur rage contre l’ennemi ; et celui-ci, réduit à la famine, a été pris ou massacré. Ainsi, de grandes armées ont péri dans cet abîme de destruction, sans qu’un seul homme en soit échappé.

Un des anciens rois du Bengale, nommé Husseini-Schah, attaqua le royaume d’Asam avec des forces considérables, tant en cavalerie qu’en infanterie, et en bateaux. La victoire couronna ses premiers efforts, et il se crut certain de la conquête de cet état. Le Raja ne se sentant pas en état de livrer bataille, abandonna les plaines, et se retira dans les montagnes. Hussein reprit alors le chemin du Bengale ; mais il laissa son fils dans le pays d’Asam avec une nombreuse armée. Dès que la saison pluvieuse commença, et que les chemins furent rendus impraticables par les inondations, le Raja descendit des montagnes, harcela de tous côtés l’armée du Bengale, par des escarmouches continuelles, lui ôta les moyens d’avoir des vivres ; de sorte qu’en peu de temps, toutes les troupes qui la composaient furent tuées ou obligées de se rendre.

Mohammed-Schah qui fut, après son père Togluc-Schah, roi d’une grande partie de l’Indostan, tenta également de conquérir le royaume d’Asam ; et il y envoya cent mille hommes de cavalerie : mais une si nombreuse armée périt dans ce redoutable pays, et on n’en eut pas même de nouvelles. Mohammed fit marcher une seconde armée pour venger les désastres de la première ; mais quand elle fut dans le Bengale, elle céda à une terreur panique, et n’osa pas franchir les frontières d’Asam, parce qu’il semble que lorsqu’on a mis le pied sur son territoire, il n’est plus possible de reculer.

Les habitans de ce royaume n’ont pas la permission d’en sortir ; ce qui fait que jusqu’à présent, on n’a jamais eu de détails exacts sur cette nation. Les peuples de l’Indostan regardent les Asamiens comme des magiciens, et ils prononcent le nom d’Asam dans tous leurs sortilèges et leurs contre-enchantemens. Ils prétendent que toute personne qui est entrée dans ce pays, se trouve sous l’influence de la magie, et ne peut plus trouver le chemin pour s’en retourner.

Jeidej-Sing[18], Raja d’Asam, porte le titre de Swergi, ou Céleste. Swerg, dans la langue de l’Indostan, signifie ciel. Ce prince est si follement orgueilleux, qu’il s’imagine que ses ancêtres étaient les souverains des astres ; qu’un d’eux ayant eu la fantaisie de visiter la terre, y descendit par une échelle d’or ; et qu’après s’être occupé quelque temps à donner des lois à son nouveau royaume, il s’y attacha tellement qu’il ne voulut plus le quitter.

Quand nous considérons le pays d’Asam, et que nous voyons qu’il est vaste, populeux, et d’un accès difficile ; qu’il offre de grands dangers ; que tous les chemins y sont remplis d’obstacles, qu’il est impossible de peindre la peine qu’on a à s’en rendre maître ; que ce pays est habité par une race d’hommes brutaux et féroces ; qu’ils ont une stature gigantesque ; qu’ils sont courageux, intrépides, traîtres, bien armés, et en très-grand nombre ; que toujours prêts à combattre, ils ont des postes où ils peuvent facilement résister aux attaques de l’ennemi ; que leurs forteresses sont si élevées, qu’on peut dire qu’elles touchent au ciel ; que les fortes garnisons qui les défendent sont si bien pourvues d’armes et de munitions, qu’il faudrait beaucoup de temps pour les réduire, et que pour s’y rendre, il faut traverser des rivières larges et rapides, et des bois épais et dangereux ; quand nous considérons, dis-je, toutes ces choses, nous admirons la puissance de Dieu qui a livré ce pays à l’armée impériale[19], et y a fait planter l’étendard de la foi. Plusieurs de ces détestables Asamiens, qui, éloignés de Dieu, et dépourvus de tout sentiment de religion, élevaient un front rempli d’orgueil, ont vu briser leurs têtes insolentes sous les pieds des chevaux de nos guerriers victorieux. Les héros musulmans ont senti l’avantage de combattre pour leur religion ; le ciel a béni les armes de leur juste et pieux empereur.

Le Raja dont l’âme aveuglée par l’orgueil, croyait follement que son trône ne pouvait être renversé, était bien loin de prévoir un revers aussi funeste. Lorsqu’il se vit près de subir la punition due à ses crimes, il imita ceux de ses prédécesseurs, dont nous avons parlé ; et accompagné de quelques-uns de ses nobles, de ses officiers, de sa famille, et emportant une petite partie de ses richesses, il s’enfuit au milieu des montagnes du Cámrùp. La mauvaise qualité de l’air et de l’eau, et la situation enfoncée de ce lieu, le rendent le plus désagréable du monde, ou plutôt en font l’un des gouffres de l’enfer. Bientôt le Raja donna ordre à ses officiers et à ses soldats de traverser la Dhonec, et de s’établir dans la grande île formée par cette rivière et par la Brahmaputra, et où il y a beaucoup de forêts. Quelques autres Asamiens se retirèrent dans d’autres montagnes, et veillèrent l’occasion de commettre des hostilités.

Le Cámrùp est limitrophe du Dacschincul, et à quatre journées de marche de Ghergong Situé entre trois hautes montagnes, il est, comme je viens de le dire, remarquable par son enfoncement, par la mauvaise qualité de l’eau et par l’insalubrité de l’air. Quand le Raja voulait punir quelqu’un de ses sujets, il l’exilait dans le Cámrùp. Les chemins qui y conduisent sont si difficiles que même les gens de pied ne peuvent y passer sans danger. Il y a, à la vérité, un sentier assez large pour un cheval ; mais il commence par traverser une épaisse forêt dans l’espace d’une demi-cosse : après cela on entre dans un défilé pierreux, rempli d’eau, et formé par deux montagnes dont le sommet se perd dans les nues.

Le général de l’armée impériale demeura quelques jours à Ghergong, pour établir le nouveau gouvernement, encourager les habitans, et rassembler tout ce qui appartenait au Raja. Il eut constamment soin de faire lire le Khotbeh, c’est-à-dire la prière contenant le nom et les titres du prince de ce siècle, du roi des rois, à d’Alemgeer, enfin, le conquérant du monde ; et les monnaies qu’on frappa furent ornées des armes impériales.

Pendant ce temps-là il tomba de fortes ondées, et le vent souffla avec impétuosité : tout semblait annoncer la saison des pluies, qui, dans cette contrée, commence toujours plutôt que dans l’Indostan. Le général ne négligea point d’établir des postes, et de placer des détachemens pour tenir les routes ouvertes, et assurer les subsistances de l’armée. Il s’occupa aussi à se mettre à l’abri de toute surprise, afin de pouvoir marcher contre le Raja et ses défenseurs, et délivrer entièrement le pays de leur funeste domination, dès que les nuages orageux auraient cessé de charger l’air, et que les rivières seraient rentrées dans leur lit.

L’auteur continue son récit en fesant mention de plusieurs combats entre les troupes du Raja, et l’armée impériale, combats dans lesquels cette dernière obtint toujours la victoire. Ensuite il dit : Enfin l’armée impériale conquit tous les villages du Dacschincul. Plusieurs habitans des villes et des campagnes, instruits de la réputation de bonté, de clémence et de justice de l’Empereur, se soumirent volontairement, et on leur conserva leurs propriétés. Les habitans de l’Uttarcul demandèrent aussi à vivre sous son gouvernement. L’Empereur apprit avec joie les succès de ses armes, et il récompensa son général par le don d’un habillement magnifique, et par plusieurs autres marques de sa haute faveur.

L’Ouvrage dont ceci n’est qu’un extrait présente le tableau concis de la conquête d' Asam, jusqu’au moment où l’armée impériale s’empara de la capitale et des plaines de ce royaume. Il atténue ensuite les avantages de cette conquête. Il montre qu’elle ne fut que momentanée, parce que le Raja, fidèle à l’exemple de ses prédécesseurs, profita de la saison pluvieuse pour harceler sans cesse l’armée de l’Empereur ; et s’il ne la détruisit pas tout-à-fait, il réussit au moins à la fatiguer et à la décourager. La suite de cette guerre donna au général de l’armée impériale l’occasion de déployer de nouvelles vertus ; et il finit avec la plus grande magnanimité une vie qu’il avait toujours vaillament hasardée dans les batailles. Le nom et les titres de ce général étaient Mir Jumleh, moazzim Khán, Kháni Khánan, Sipáhi Sálár.


OBSERVATION
Du Traducteur Anglais.

Les Asamiens sont probablement supérieurs à tous égards aux Mogols. Ce qu’on vient de lire montre avec qu’elle noire méchanceté et quelle extravagante intolérance on traitait, sous le règne d’Aureng-Zeb, tous ceux que ce cruel, avare et fanatique empereur regardait comme infidèles et barbares.


  1. Cette Description a été traduite du persan en anglais par M. Henri Vansittart ; et c’est d’après cette traduction qu’on en a fait la traduction française.
  2. On dit aussi Camrùp.
  3. Dans une seconde copie du manuscrit persan, cette nation est appelée Duflah.
  4. Peeran Wiseh était un des nobles de la cour d’Afrasiah, roi de Turàn, contemporain de Kaicaus, second prince de la dynastie des Kianians. Dans le Ferhung Jehangeery et le Borhaun Kateâ, qui sont deux dictionnaires persans, Peeran est représenté comme un des Pelhovans, c’est-à-dire des héros du Turàn, et comme un des lieutenans d’Afrasiah, dont le père se nommait Wiseh.
  5. C’est une erreur. Khoten est au nord d’Hymalaya ; Peeran Wiseh n’alla jamais à Ava.
  6. Le Sadij est une plante aromatique dont la feuille est longue et d’un goût très-piquant. On la nomme en sanscrit Tejapatraee ; et dans nos livres de botanique elle s’appelle Malabathrum, ou la feuille Idienne.
  7. Parvenue au point de maturité, la canne a sucre des autres pays est jaune.
  8. L’Adès est une espèce de pois.
  9. Le Kenaut est l’enceinte dans laquelle on place la tente.
  10. Voici ce qu’on trouve sur le Kataus, dans le Borhaun Katéa, dictionnaire persan : — « Ce mot, dans le langage de Ràm, est le nom d’une vache variée, dont la queue sert à orner les étendards, et le cou des chevaux. Quelques personnes prétendent que l’espèce de vache appelée Kataus vit dans les montagnes de Khatà. » — Cette vache, dont la queue sert à faire des chovries, se nomme en sanscrit Châmara.
  11. Le bhoat et la perée sont des étoffes.
  12. Espèce d’épicerie.
  13. C’est une erreur. On envoie souvent de jeunes gens d’Asam à Nadiyà pour y être élevés ; et leur dialecte est facilement entendu par les habitans du Bengale.
  14. L’auteur ayant dit plus haut que les chevaux gounts et tanyans venaient du Dereng, il faut en conclure que ce dernier pays est différent de celui d’Asam.
  15. Zerbzen.
  16. Bádcasch.
  17. Le dhol est une espèce de tambour qu’on bat sur les deux bouts.
  18. Il se nomme proprement Jayadhwaja Sinha, c’est-à-dire le lyon avec des bannières victorieuses.
  19. Du Mogol.