Description du royaume Thai ou Siam/Tome 1/Chapitre 2

La mission de Siam (1p. 21-59).


CHAPITRE DEUXIÈME.

DES ÉTATS TRIBUTAIRES DE SIAM.





Les états tributaires de Siam sont : Tringanu, Kalantan, Patani, Quedah, Ligor, le Camboge, Kôràt, Xiang-Mai, Laphun, Lakhon, Phrë, Nàn, Luáng-Phra-Bang, Mûang-Lom, les principautés Cambogiennes et Lao, auxquelles il faut ajouter les tribus des Xòng, les Karieng et les Lava. (Pour la position de ces États, voyez la carte de Siam.)

PORTRAIT DES MALAIS DE LA PRESQU’ÎLE.

Avant de parler des quatre États malais, il convient de donner une légère esquisse de cette nation. Les Malais qui habitent la presqu’île sont originaires de l’île de Sumatra ; mais il est difficile d’assigner l’époque de leur émigration. Ils ont pour caractères distinctifs le teint brun, le front abaissé mais arrondi, un nez plein et large, épais à son extrémité leurs narines sont écartées, leurs pommettes médiocrement élevées, leur bouche très-large et la mâchoire supérieure avancée. Cette race paraît être un mélange de la race nègre et de la race mongole. Le Malais a l’aspect farouche, le naturel traître, sombre et hypocrite ; il est hardi, entreprenant, féroce dans la guerre, audacieux, ardent au gain, rusé, trompeur, habile marchand, très-adonné à la piraterie qu’il exerce avec des pirogues très-légères. Les Malais font un grand usage de bétel et d’aréque, qu’ils mâchent continuellement. Ils vivent de riz, de sagou, de poissons, de chair de bœuf ou de buffle, de patates et de fruits. Ils plantent surtout le bananier, la canne à sucre, le poivre et quelques arbres fruitiers.

La langue malaise est une des plus faciles à apprendre, elle est une des plus douces de l’Orient, et composée surtout de voyelles.

La religion des Malais de la presqu’île est le mahométisme mêlé de grossières superstitions. Ils sont gouvernés par un rajah ou roi, dont le premier ministre s’appelle Tomonggong. Leur habillement consiste en un sarong ou large jupe de toile rayée avec un caleçon. Leurs cheveux sont noirs, mais ils sont toujours rasés et ont la tête entourée d’un sale turban, Le crid pu le poignard est leur arme favorite ; ils le portent toujours à la ceinture et s’en servent avec une grande dextérité.

TRINGANU.

L’État de Tringanu, situé par le 4e degré de latitude, est une contrée fertile, peu montagneuse et couverte de forêts. Sa population est d’environ 50,000 âmes, sans compter dix à douze mille Chinois. Les Malais recueillent l’or et l’étain dans les sables des rivières, et ces métaux sont pour eux un important article de commerce.

La ville de Tringanu, résidence du rajah, est située à l’embouchure d’une petite rivière, et est protégée par un petit fort bâti sur une colline. Elle renferme quinze cents maisons, en y comprenant le quartier chinois, qui est tout bâti en briques, tandis que les maisons des Malais sont pour la plupart faites de bambous et couvertes en feuilles. Le bazar abonde en fruits excellents et a bon marche ; des liards d’étain sont la monnaie courante.

KALANTAN.

L’État de Kalatan est situé au nord-ouest de Tringanu, dont il est séparé par le petit fleuve Batut, et il s’étend jusqu’à un autre fleuve appelé Banara, qui le sépare de Patani. Sa population, en y comprenant les Chinois, s’élève à 65,000 âmes. Le pays est divisé en cinquante communes il produit de l’or, de l’étain et du poivre, que les Malais vont vendre à Syngapore. Ils vont aussi chercher à Bangkok du fer et d’autres productions qui manquent dans leur pays. Les Chinois de Kalatan, comme ceux de Tringanu, sont tous marchands et passent le jour à boire le thé, fumer l’opium et échanger, à leur grand avantage, quelques marchandises chinoises contre les riches productions du sol.

PATANI.

Thani ou Patani, situé au nord-ouest de Kalantan, est un État riche, florissant, plus fertile et d’un rapport plus considérable que les autres États malais. Sa population s’élève à 100,000 habitants, dont les Siamois forment la majeure partie. Ce pays produit du riz, du sel, de l’or et de l’étain. Il est divisé en cinq provinces, dont trois sur le littoral et deux dans l’intérieur. Patani est célèbre dans les relations des anciens navigateurs ; car il leur servait jadis d’entrepôt principal dans leur commerce avec Siam, le Camboge et la Chine.

Autrefois, ce pays était tout malais ; mais comme il voulut se soustraire à l’empire de Siam, il fut traité en rebelle ; plus de la moitié des habitants furent emmenés captifs et remplacés par des Siamois.

QUEDAH.

Quedah, que les Siamois appellent Muang-Sai, est situé entre le 5e et le 7e degré de latitude ; il est séparé de Songkhla et Patani par une chaîne de hautes montagnes de formation granitique, dont quelques unes ont de quatre à six mille pieds de hauteur, et sont assez riches en étain. L’or s’y trouve aussi, mais en petite quantité. Du reste, ce pays est couvert de vastes forêts et n’a pas encore été exploré. Les rivages de la mer sont marécageux, mais très-propres aux plantations de cannes à sucre. Le muscadier, le giroflier et le cafier réussissent très-bien sur les collines voisines de la mer. On compte dans cet État trente-six rivières dont six sont navigables. Le pays est divisé en cent cinq communes, dont la population monte à 60,000 âmes. La majeure partie est Malais, le reste est Siamois.

La ville de Quedah, résidence du rajah, est assez mal fortifiée et ne compte que sept ou huit mille habitants. Depuis que le roi de Quedah a cédé Pulopinang aux Anglais, il s’est établi un commerce actif entre cet État et l’île de Pulopinang. À une petite distance de la côte, il y a plusieurs îles dont la plus grande, nommée Lang-Kavi, est très-fertile et peuplée de 5,000 Malais. On dit que les forêts de Quedah sont infestées de tigres, léopards et autres bêtes féroces.

LIGOR.

Ligor, que les Siamois appellent Mûang-Lakhon, et dont le vrai nom est Nakhon-si-Thamarât est un royaume fondé par un des rois de Juthia, il y a environ quatre cent cinquante ans. Il est situé entre le 7e et le 9e degré de latitude, ce qui fait cinquante lieues de long sur à peu près trente de large. Thalung et Songkhla sont deux provinces faisant partie du royaume et gouvernées par deux princes, parents du roi de Ligor. Plusieurs fois ce pays a voulu se soustraire à l’obéissance de Siam, qui toujours a su le reprendre et le gouverner. Le roi actuel et ses frères ont même contracté des alliances avec la famille du premier ministre de Siam, d’où résulte entre les deux pays une union presque indissoluble.

On peut évaluer la population de Ligor à 150,000 habitants, dont les trois quarts sont de race siamoise ; le reste est composé de Chinois, de Malais et de quelques tribus aborigènes qui habitent les forêts. Ces forêts sont presque impénétrables ; il faut s’y frayer un passage avec le fer et le feu. C’est là qu’on voit des arbres gigantesques tout droits et n’ayant de branches qu’à la hauteur de cent pieds. À chaque instant il faut passer un ruisseau, un lac, une rivière, car, en général, le pays est plat et souvent marécageux. Les rivières et les petits lacs sont infestés de crocodiles.

La ville de Ligor est située dans une plaine charmante et bien boisée ; elle est entourée d’une enceinte de murailles en briques avec un fossé profond ; elle n’a de remarquable que ses belles pagodes ; sa population, y compris les Chinois, est d’environ 12,000 âmes. La rivière, qui forme le port, a deux ou trois brasses de profondeur, et à l’embouchure il y a une rade vaste et sûre pour les jonques qui viennent y faire le commerce.

Les principales productions du pays sont le riz, l’étain, l’or, le poivre, les rotins, des bois de teinture, l’ivoire, etc. Les galères à rames de Ligor sont élégantes et bien équipées, les voiles étant faites de toile blanche et non pas de joncs tressés comme les voiles des barques malaises. Les orfèvres ligoriens ont une industrie qui leur est particulière elle consiste à incruster de feuilles d’or des vases d’argent, en formant sur un fond noir des dessins fort agréables à l’œil. La religion des Ligoriens étant la même que celle des Thai, ce n’est pas le lieu d’en parler.

CAMBOGE.

Le Camboge s’appelait autrefois Kamphuxa, d’où lui vient le nom de Caboja ; aujourd’hui il s’appelle Khmer. C’était autrefois un grand royaume qui s’étendait depuis le 8e degré 30 minutes jusqu’au 20e degré de latitude. Sa domination s’étendait sur plusieurs États Lao et même sur Siam. Ce n’est que depuis trois cents ans qu’il a perdu sa splendeur. Attaqué, harcelé d’un côté par Siam, de l’autre par la Cochinchine, il a perdu successivement presque tout son territoire, et aujourd’hui il ne lui reste plus qu’une étendue d’une quarantaine de lieues divisée en quatre provinces, qui sont Phôtisat ou Poursat, Kampong-Suai, Kampong-Som et Kampot ; ces deux dernières sont des provinces maritimes. Il y a dix ans, un prince cambogien, nommé Ongduang, était gardé en prison à Bangkok. On apprit que le roi du Camboge, son frère, réfugié chez les Annamites, venait de perdre la vie aussitôt le roi de Siam fit sortir Ongduang des prisons, lui conféra les insignes royaux, lui donna de grandes sommes d’or et d’argent, et le fit conduire avec une armée par le généralissime siamois qui l’installa roi de Camboge où il règne maintenant.

Ce royaume est borné au midi par la mer, au nord et à l’ouest par Siam, et le grand fleuve Më-Kong lui sert de limite du côté de l’est. La partie est n’est qu’une grande plaine, tandis que la partie ouest est toute montagneuse et couverte de forêts. Ses productions sont le riz, l’ivoire, la soie, le cardamome, le bois d’aigle et la gomme-gutte ou gomme du Camboge. La population totale monte à peine à 500,000 âmes, dont les sept dixièmes sont purs Cambogiens, le reste se compose de Siamois, Chinois et Annamites.

Après le grand fleuve Më-Kong, ce pays ne possède pas de rivière considérable, et l’embouchure de la rivière Kampot est le seul port que les Annamites ont laissé aux Cambogiens. Là se trouve une petite ville du même nom avec une population de 3,000 âmes. Il s’y fait un commerce assez considérable, puisqu’on y voit ordinairement une soixantaine de jonques.

Les Annamites ayant brûlé l’ancienne capitale qui était sur le bord du fleuve, le roi actuel a fixé sa résidence à trois lieues de la rive occidentale. Cette nouvelle capitale s’appelle Udong ; sa population est d’environ 12,000 habitants. Au milieu de la ville est une grande place carrée entourée d’une muraille avec une porte à chaque côté et flanquée de tourelles. Dans l’intérieur de ce carré est une autre enceinte de murs qui renferme le palais du monarque, palais très-modeste et qui n’a rien de remarquable. Les maisons de la ville sont construites en bambous excepté quelques-unes qui sont en planches. Les autres villes du royaume sont peu considérables. Je ne citerai que Pong-Son, Kampot et Pinhalu, situées à quelques lieues de la capitale.

À l’extrémité nord du Camboge on trouve un joli lac appelé Thalesap, qui a vingt lieues de circonférence. Il est extrêmement poissonneux ; tous les ans, quand les eaux sont basses, il s’y fait une pêche considérable d’un gros poisson très-délicat, appelé savai, qu’on sale avec les cendres du palmier, ce qui donne à sa chair une saveur douce et sucrée. C’est près des rivages de ce lac que sont situées les ruines merveilleuses de Nokorvat. Elles consistent en un vaste palais, en colonnes, pyramides et temples ou pagodes, le tout construit en marbre taillé et ciselé ; on y remarque des dômes et des voûtes d’un travail si surprenant, que les Cambogiens n’en parlent jamais sans dire que c’est l’ouvrage des anges et non pas des hommes. Il est probable que ces ruines remontent au temps du fameux roi de Camboge Phra-ayjum-Surivong, sous le règne duquel un talapoin de Ceylan apporta les livres sacrés des Bouddhistes et introduisit la religion de Buddha dans cette contrée.

Pour la physionomie, le teint, la conformation et même les mœurs et coutumes, les Cambogiens ressemblent un peu aux Siamois ; mais ils ont l’air plus sombre et plus sauvage ; les femmes travaillent bien la soie et font des langoutis rayés et à fleurs très-estimés pour la couleur et la solidité. Les Cambogiens ont le secret d’une composition métallique noire qu’ils appellent samrit, à laquelle ils attribuent des qualités imaginaires ; ils prétendent par exemple, que dans un vase de cette matière, la chaux rouge qu’on mâche avec le bétel ne se dessèche jamais, que la surface de l’eau dans un bassin de samrit est plus élevée au milieu qu’aux bords, etc.

La langue khmer est fort curieuse ; tous les mots qui ont rapport à la religion sont du bali altéré, le reste est un langage particulier, un peu rude à cause de la multiplicité des consonnes, et qui n’a aucun rapport avec celui des peuples voisins. La lettre r est très-fréquente dans leur langue, et ils la prononcent en grasseyant comme les Parisiens ; leur écriture est belle, mais trop compliquée et difficile à exécuter aussi trouve-t-on difficilement parmi eux de bons copistes.

Autrefois le Camboge avait une monnaie qui lui était propre ; aujourd’hui on fait usage de la monnaie de Siam et de celle de Cochinchine ; elle consiste en ticaux d’argent, en barres d’argent et en sapéques de zinc ; douze cents sapéques équivalent à une pièce de cinq francs.

Il y a environ deux siècles que la religion chrétienne fut introduite au Camboge par quelques centaines de soldats portugais qui, s’étant mis au service du roi, finirent par s’établir dans le pays. Elle n’y a jamais fait de grands progrès, peut-être à cause des guerres et des bouleversements qui ont agité sans cesse ce royaume infortuné. Aujourd’hui il n’y reste que cinq cents chrétiens ; mais le nouveau vicaire apostolique que le Souverain-Pontife vient d’y établir, secondé par ses zélés missionnaires, parviendra, nous l’espérons, à replanter la foi dans cette intéressante contrée.

KÔRAT.

Ce petit État était autrefois une ville qui servait de limites entre Siam et le Camboge ; c’est de là que lui vient son nom de Nakhon-Raxa-Séma (ville frontière). Maintenant elle a un petit roi qui gouverne un territoire d’une quarantaine de lieues de long. Korât est le point culminant entre Siam et le Camboge la ville, entourée de murailles, est située sur un plateau d’où la vue domine de tous côtés ; mais pour y arriver il faut traverser pendant six jours, et toujours en montant, une forêt célèbre appelée Dong-Phaja-Fai (la forêt du roi du feu) ; son nom seul inspire la terreur, et un grand nombre de voyageurs trouvent la mort sous son ombre funeste. On dit que dans plusieurs endroits de cette forêt le terrain contient de la mine d’arsenic que le voyageur respire à l’état de poussière, et que c’est pour cela qu’il y meurt tant de monde.

La population de Korât est d’environ 60,000 âmes ; mais la ville n’a que 7,000 habitants, moitié Siamois et moitié Cambogiens. Il y a des mines de cuivre très-abondantes ; on y a établi dernièrement quatre ou cinq fabriques de sucre. Le pays fournit en outre l’ivoire, des peaux, des cornes, le cardamome, le bois rose, la canelle, etc.

PORTRAIT ET MŒURS DES LAO.

Les Lao ont beaucoup de traits de ressemblance avec les Siamois et les Birmans ; mais ils ont le teint plus clair ; ils sont bien faits, vigoureux, et en général d’une santé robuste ; les yeux sont légèrement bridés ; le nez petit plutôt qu’épaté ; la bouche grande et défigurée par des dents noires, Les cheyeux longs, droits, rudes et presque toujours noirs. Le tatouage des jambes et des cuisses est général parmi la tribu qu’on appelle Lao-Phungdam (ventres noirs), tandis que la tribu de Lao-Phung-khao (ventres blancs) a le tatouage en horreur, Ce tatouage consiste à graver sur la chair quelques figures d’ours, d’éléphant, de tigre, de dragon, etc.

Les États Lao de la race blanche qui ne se tatouent pas sont : Mûang-Lom et Müang-Luâng-Phra-Bang. La race qui se tatoue en noir habite les États de Xiang-Mai, Laphun, Nakhon, Müang-Phrë et Müang-Nàn.

La monnaie des Lao est en lingots de forme ovale ou bien semblables à un petit gâteau rond ; c’est du métal impur, tel qu’ils le tirent des mines, car ce pays montagneux abonde en mines de toute espèce. Les arbres et les plantes de cette contrée sont à peu près les mêmes qu’à Siam. Dans la partie du nord-est, on trouve en abondance l’espèce de palmier appelé lan, sur les feuilles duquel on écrit les livres de religion, par le moyen d’un petit stylet de fer ; après avoir tracé les caractères sur les feuilles, on y passe de l’encre qu’on enlève ensuite, et il n’en reste que dans les linéaments décrits avec le stylet.

Les Lao ont la même origine que les Thai ; leur langage est très-doux et a beaucoup de rapport avec la langue thai, au point que ces deux nations peuvent s’entendre mutuellement. Leur écriture ressemble beaucoup à celle des Khamer ou Cambogiens. L’habillement, pour les hommes, consiste en un langouti et une veste courte, à quoi ils ajoutent quelquefois un manteau d’étoffe de coton rayé en noir et en rouge. Les grands ont des vestes d’indienne ou de soie bigarrée avec des filets d’or ou d’argent. Les hommes gardent les cheveux à la siamoise, c’est-à-dire qu’ils conservent par devant une touffe de cheveux et se rasent le reste de la tête à chaque nouvelle lune. Les femmes n’ont qu’une jupe courte rayée de diverses couleurs, qu’elles nouent par-devant, et une écharpe de soie qui flotte sur leur poitrine plutôt qu’elle ne la couvre ; cependant, quand elles sortent de leur village, elles endossent une veste très-étroite et nouent autour de leur cou un petit fichu de soie rouge. Elles sont, comparativement, plus blanches que les hommes et ont de jolis traits. Elles ont de beaux. cheveux noirs qu’elles entortillent négligemment au dessus de la tête. Hommes et femmes vont ordinairement nu-pieds, et s’ils mettent quelquefois des souliers, c’est tout simplement une semelle de cuir de buffle attachée au dessus du pied avec des cordons de la même matière. Les enfants des deux sexes et les femmes portent des colliers de verre et d’énormes bracelets d’or ou d’argent aux mains et aux pieds. Les enfants portent au cou une plaque de cuivre ou d’argent, sur laquelle sont graves des figures grotesques et des caractères superstitieux, pour les préserver, disent-ils, des maladies et de l’influence des mauvais génies.

Leurs habitations ne sont qu’une cabane formée de lattes de bambou artistement entrelacées, montée sur huit ou dix colonnes de bois, et couverte de feuilles ou d’herbes sèches. Le dessous de la cabane est pour les buffles, les vaches, les cochons, les poules et les canards, tandis que la famille couche pêle-mêle dans le dessus, où il n’y a souvent qu’une chambre avec une galerie couverte où l’on fait la cuisine. Cependant, dans les villes on trouve quelques maisons en briques et des pagodes fort belles, quelquefois même dorées à l’extérieur comme à l’intérieur.

Les Lao sont paisibles, soumis, patients, sobres, confiants, crédules, superstitieux, fidèles, simples et naïfs. Ils ont naturellement le vol en horreur on raconte qu’un de leurs rois faisait frire les voleurs dans une chaudière d’huile bouillante ; mais depuis les ravages des dernières guerres, on commence à trouver parmi eux un certain nombre de voleurs poussés à la rapine par la misère ou par l’esprit de vengeance.

Leurs aliments sont : du riz gluant, du poisson frais, des poules, de la chair de porc, de cerf ou de buffle sauvage et des légumes en abondance. Mais leur mets favori, c’est du poisson qu’ils ont laissé gâter au soleil et qu’ils mettent ensuite en saumure. Ils en font une pâte qu’ils mêlent avec leur riz, en y ajoutant du piment rouge. Les serpents, les lézards, les chauves-souris, les rats, les grenouilles tout entières sont aussi pour eux un gibier si délicat, qu’ils regardent comme superflu de les assaisonner, et ils se contentent de les griller sur des charbons.

Chez les gens du peuple, il est rare de trouver de la vaisselle de terre ou de porcelaine ; ils mangent dans des corbeilles tressées avec du rotin menu, et, si vous en exceptez une caisse en bois qui contient les beaux habits de soie, on ne voit d’autres meubles chez eux que des corbeilles de rotin ou de bambou. Point de chaises, point de banc, point de lit ; quelques nattes usées, voilà ce qui sert en même temps de siège, de table et de lit.

Les amusements qu’ils aiment le plus sont la chasse et la pêche. J’ai souvent admiré la dextérité des enfants, qui d’un long javelot perçaient les poissons dans les eaux claires des torrents, et revenaient le soir à leur cabane charges de leur proie. Les armes dont ils se servent pour la chasse sont : le fusil, l’arbalète et la sarbacanne, qui est un long bambou percé, dont ils font partir, en soufflant, des flèches qui manquent rarement leur coup.

Outre la culture du riz et du maïs, les Lao plantent des patates, des courges, le piment rouge, les melons et autres légumes. Pour cela, ils choisissent un endroit fertile dans la forêt voisine, en abattent tous les arbres, et y mettent le feu, ce qui donne à la terre une fécondité surprenante. Ils vendent aux Chinois de l’ivoire, des peaux de tigres et d’autres animaux sauvages, de la poudre d’or, des minerais d’argent et de cuivre, la gomme gutte, le cardamome, la laque, de la cire, des bois de teinture, du coton, de la soie et autres marchandises qu’ils échangent contre de la vaisselle, des verroteries et autres petits objets de Chine.

Les Lao ne sont pas faits pour la guerre ; soumis dès le principe aux rois voisins, jamais ils n’ontsu secouer ce joug pesant, et s’ils ont tenté quelques révoltes, ils n’ont pas tardé à rentrer dans le devoir, comme un esclave rebelle quand il voit son maître irrité s’armer d’une verge pour le punir.

La médecine est très en honneur parmi eux ; mais c’est une médecine empirique et superstitieuse. Le grand remède universel, c’est de l’eau lustrale qu’on fait boire au malade, après lui avoir attaché des fils de coton bénits aux bras et aux jambes, pour empêcher l’influence des génies malfaisants. Il faut avouer cependant qu’ils guérissent, comme par enchantement, une foule de maladies avec des plantes médicinales inconnues en Europe, et qui paraissent douées d’une grande vertu. Dans presque tous leurs remèdes il entre quelque chose de bizarre et de superstitieux, comme des os de vautour, de tigre, de serpent, de chouette ; du fiel de boa, de tigre, d’ours, de singe ; de la corne de rhinocéros, de la graisse de crocodile, des bézoards et autres substances de ce genre auxquelles ils attribuent des propriétés médicinales suréminentes.

Leur musique est très-douce, harmonieuse et sentimentale ; il ne faut que trois personnes pour former un concert mélodieux. L’un joue d’un orgue en bambou, l’autre chante des romances avec l’accent d’un homme inspiré, et le troisième frappe en cadence des cliquettes d’un bois sonore, qui font bon effet. L’orgue lao est un assemblage de seize bambous fins et longs, maintenus dans un morceau de bois d’ébène, munis d’une embouchure où l’on inspire et aspire le souffle, lequel met en vibration de petites languettes d’argent, appliquées à une ouverture pratiquée à chaque bambou, et il en sort des sons harmonieux pendant que les doigts se promènent avec dextérité sur autant de petits trous qu’il y a de tuyaux. Leurs autres instruments ressemblent à ceux des Siamois.

Les Lao sont de la secte de Buddha, comme les Thaï ; ils ont des talapoins, des pagodes, où ils honorent la statue de Buddha ; mais on peut dire qu’ils rendent plus de culte aux génies ou démons qu’à leur idole. Ils croient à plusieurs sortes de génies. 1o Les démons des bois (phi phraï), qui exercent leur empire dans les plus épaisses forêts. Si quelqu’un a la témérité d’y pénétrer, et surtout d’y passer la nuit, souvent il disparaît, et on n’en a plus de nouvelles. D’autres fois, il se trouve transporté dans un pays enchanté, où pendant des années entières il erre d’illusions en illusions, et, parvenant enfin à s’échapper de cet empire magique, il se retrouve à la porte de sa cabane, où il a de la peine à se faire reconnaître par sa femme et ses enfants, qui ne pensaient plus à lui. Plus souvent encore, les démons des bois infligent au téméraire une fièvre maligne, qui le conduit en peu de jours au tombeau. 2o Les démons qui causent de la frayeur (phi lok). Ces génies’se contentent d’effrayer les hommes par toutes sortes d’illusions de la vue ou de l’ouïe ; c’est surtout la nuit qu’ils sont à rôder autour des habitations, ou le long des chemins, attendant les passants, et se montrant à eux sous des formes monstrueuses. 3o Les génies malfaisants (phi pob). Ils sont très-redoutés, à cause de leur insatiable voracité. Quand on veut du mal à quelqu’un, on n’a qu’à porter des présents au sorcier qui a ces génies à sa disposition, et dès la nuit même, celui-ci en envoie un à la personne à qui on veut du mal. Le génie s’insinue furtivement dans le corps de sa victime, se nourrit des entrailles, du foie et du cœur de ce pauvre homme qui se dessèche de jour en jour, jusqu’à ce qu’enfin il expire. 4o Les génies tutélaires (thevada), qui résident dans chaque cabane et protégent la famille. Mais il faut avoir soin de bien traiter cet ange protecteur, car autrement il infligerait des maladies, ferait perdre la récolte de riz et réduirait ses clients à la misère. Or, voici comment on doit servir le génie tutélaire : il faut lui construire à côté de la maison un échafaudage surmonté de petites pyramides, de l’extrémité desquelles partent des fils de coton, qui vont se rendre dans la maison. C’est par ces fils que le génie descend, et, perché sur la pointe des pyramides, il fait sentinelle pour écarter les génies malfaisants, les tigres, les serpents, et en général tout ce qui pourrait nuire au bonheur de ses clients. Dans l’endroit le plus honorable de la cabane, il faut aussi lui élever un petit autel c’est là le siège du génie, c’est là qu’il se plaît à rendre ses oracles ; c’est là qu’on le consulte dans tous les cas difficiles, qu’on lui fait des vœux et des offrandes de bougies, de bâtons odoriférants, de riz et d’arak, car il paraît qu’il aime le vin. Tous les jours, matin et soir, il ne faut pas manquer de lui donner sa pleine écuelle de riz tout chaud, dont il savoure la vapeur. Quelquefois, dit-on, il est arrivé de trouver son écuelle vide. Il paraît que le génie tutélaire est passablement jaloux, caril ne permet pas qu’un étranger dorme plus de trois nuits dans la cabane deses clients ; c’est pourquoi les Lao (du moins ceux que j’ai vus) ne donnent l’hospitalité que trois jours, après lesquels ils vous avertissent de vous pourvoir ailleurs, pour ne pas encourir l’indignation du génie.

XIENG-MAI.

Xiang-Mai est bâtie au pied et à l’est d’une assez haute montagne dans une belle et vaste plaine ; elle a une double ceinture de murailles, entourées chacune de fossés larges et profonds. L’enceinte intérieure a mille toises de longueur sur neuf cents de largeur. Les maisons ne se touchent pas, et sont entourées d’arbres et de petits jardins, de sorte qu’il n’est pas aisé d’en estimer la population, qui peut monter à environ 50,000 âmes, en comptant les faubourgs qui sont hors des murailles. À la distance de trois ou quatre cents mètres des fortifications, coule le Më-Nam, dont les bords sont en partie garnis de maisons habitées par des banqueroutiers de Bangkok, qui se sont réfugiés là, en changeant de nom, pour éviter les poursuites de leurs créanciers.

Les cochons, les poules, l’arak et le riz sont à très-bon marché ; mais il y a peu de poisson et presque pas de légumes. L’argent est si rare, que peu de familles sont à même d’acheter de la viande. On vit communément de riz, sans autre assaisonnement que du piment rouge et des petits poissons broyés dans la saumure et à demi-pourris. Les vaches y sont en grand nombre, mais très-petites, et n’ont presque pas de lait. On se sert des bœufs pour le labourage et le transport du riz, du coton et autres marchandises. Les éléphants y sont aussi très-communs, et y sont employés pour les voyages, pour la guerre, pour traîner des arbres et porter de lourds fardeaux. La culture se borne au riz et aux légumes ; dès que les récoltes sont faites, les habitants se livrent aux jeux, vivent dans l’oisiveté jusqu’au mois de juin, où ils recommencent à labourer leurs champs. Presque tous les marchés se font par échanges ; le sel joue un très-grand rôle dans les transactions, car il vient de Bangkok, et se vend très-cher à Xieng-Mai. Les femmes sont plus actives et plus laborieuses que les hommes ; aussi ont-elles assez d’empire pour chasser leurs maris quand elles n’en sont pas contentes. Il y a à Xieng-Mai quantité de pagodes, où vivent dans l’oisiveté une foule de jeunes talapoins, qui savent à peine lire, et qui sont d’une immoralité révoltante.

Sur la haute montagne, au pied de laquelle est située Xieng-Mai, il y a un vestige des pieds de Buddha, qui est en grande vénération, et il s’y fait tous les ans un pèlerinage considérable.

À trente-cinq lieues au nord de Xieng-Mai, est une ville appelée Xieng-Rai, située sur une rivière qui descend à Molmein. Cette ville a été maintes fois prise et reprise, détruite et rebâtie, tantôt par les Birmans, tantôt par les Lao, qui sont allés de nouveau la coloniser en 1844.

Le commerce principal de Xieng-Mai consiste en riz, coton, ivoire, encens, laque, cire, bois de teinture, etc. Ce sont les Chinois de l’Yunan qui viennent échanger ces marchandises contre des soieries, de l’acier, des vases de cuivre, etc., qu’ils chargent sur le dos de petits mulets ; ce voyage, toujours au milieu des montagnes et des forêts, dure plus d’un mois.

Xiang-Mai est une ville très-ancienne, car il est rapporté dans les annales de Siam, que Phra-Ruàng, qui régnait à Siam vers l’an 500 de l’ère chrétienne, maria son frère à une princesse de Xieng-Mai, et l’établit souverain de cette contrée.

LAPHUN.

Ce petit État est gouverné par un prince qui est sous la dépendance du roi de Xiang-Mai, dont il est voisin. Le chef-lieu, appelé Laphun-Xai, est une jolie ville, de 12,000 habitants, située dans une belle plaine, et sur les bords du fleuve Më-Nam. Le sol y est riche, et les productions sont les mêmes qu’à Xiang-Mai.

LAKON.

Lakhon est une belle ville de 25,000 habitants, située dans une plaine riche et fertile arrosée par une belle rivière qui coule dans une vallée dominée à droite et à gauche par deux chaînes de montagnes couvertes de forêts, où abonde le tek, si précieux pour la construction des navires. Cette vallée est parsemée de villages et assez bien cultivée.

PHRË.

La capitale de ce petit royaume est aussi située dans une autre vallée bordée également par deux chaînes de montagnes, et arrosée par une rivière qui, au dessous de la capitale, coule à travers des rochers et forme plusieurs cascades. La plaine est bien cultivée et très-fertile. La population de la ville appelée Mûang-Phrë ne dépasse pas 15,000 habitants.

NÀN.

Le royaume de Nàn est bien plus considérable que les trois précédents ; on dit que sa capitale renferme au moins 60,000 âmes. Elle est située également dans une vallée fertile, et à peu près à la même latitude que Xiang-Mai. La rivière forme aussi beaucoup de cascades, et ce n’est que dans le temps des pluies que les habitants de Mûang-Nán peuvent la descendre avec leurs ràdeaux de bois de tek. Ce pays comme, par le nord, à une tribu de Lao appelés avec lesquels ils sont continuellement en guerre.

LUÁNG-PHRA-BANG.

Autrefois, sur le grand fleuve du Camboge, appelé Më-Kong: il y avait trois royaumes lao, celui de Vieng-Chan, au midi, Luáng-Phra-Bang au milieu, et Mûang-Phuen au nord. Mais, depuis que les Siamois ont ravagé Vieng-Chan, qui est devenu une province de leur royaume, et depuis qu’ils ont emmené captifs presque tous les habitants de Mûang-Phuen, le royaume de Luáng-Phra-Bang s’est étendu au nord, et a pris un grand accroissement. Aujourd’hui, c’est un pays florissant qui fait un commerce considérable avec Siam et avec les Chinois Lolos, qui viennent y trafiquer par le nord. La population de la capitale est d’environ 80,000 âmes. Ce pays est riche en mines et en productions diverses, dont nous avons fait l’énumération en parlant des Lao en général.

MÛANG-LOM.

En remontant pendant un mois une grosse rivière, qui vient se jeter dans le Më-Nam, à Juthia, on arrive à un petit État appelé Mûang-Lom, situé au fond d’une vallée entourée de montagnes de toutes parts. C’est un pays fort tranquille, et qui n’a jamais figuré dans les guerres qui ont agité les contrées voisines. La capitale n’a qu’une population de 9 à 10,000 âmes ; le petit roi qui y règne entretient l’amitié avec Siam, en envoyant tous les ans, comme tribut, des minerais de cuivre, des feuilles de palmier pour écrire les livres, de la cire, du benjoin, de l’ivoire, de la laque et autres productions du pays.

PRINCIPAUTÉS LAO ET CAMBOGIENNES TRIBUTAIRES DE SIAM.

Outre les États tributaires de Siam que nous avons décrits, à l’est de Kôrat entre la province de Battabong et le royaume de Lûang-Phra-Bang (voyez la carte), il y a encore cinq ou six petits États gouvernés par des princes qui paient tribut à Siam. Les deux plus considérabless’appellent Peu-Kiau (les montagnes vertes), et Suvannaphum (contrée de l’or). Ces pays sont en général montagneux et couverts de forêts. Je crois inutile d’en faire la description, puisque leur population étant mélangée de Lao et de Cambogiens, il faudrait répéter ce que nous avons dit de ces deux nations. Quant aux productions, elles sont les mêmes qu’à Siam et au Camboge. Du reste, ces petits États sont très-peu connus, vu leur isolement et le manque de routes à travers leurs immenses forêts.

TRIBU DES XONG.

Au nord de la province de Chanthabun s’élèvent de hautes montagnes qui, dit-on, sont disposées de manière à former un cercle c’est là qu’habite la tribu des Xông qui gardent les gorges et les déniés des montagnes et ne laissent pénétrer chez eux que les petits marchands dont ils n’ont rien à craindre. Ils obéissent à un chef qui jouit d’une autorité absolue et fait observer les lois et les coutumes. Ces lois, dit-on, sont très-sévères et les délits peu fréquents.

Il est probable que cette tribu était primitivement composée de Karieng auxquels, à la longue, se sont mêlés des déserteurs et des esclaves fugitifs des pays environnants. Aussi, il n’est pas facile de faire leur portrait, puisque c’est une race mêlée qui tient du Karieng, du Siamois, du Lao et du Cambogien.

L’habillement des hommes consiste en une simple toile serrée autour des reins, celui des femmes est une jupe d’étoffe grossière et rayée de diverses couleurs. Leurs mœurs ont beaucoup de ressemblance avec celles des Karieng dont nous parlerons plus bas. On dit qu’ils empoisonnent les puits et les fontaines qui les avoisinent, afin d’ôter aux étrangers l’envie de venir communiquer avec eux. Ils abattent des bois de construction, vont recueillir dans les forêts la gomme gutte, la cire, le cardamome, du goudron, des résines, du bois d’aigle et autres productions, et, à l’époque des grandes eaux, ils viennent vendre leurs marchandises à Chanthabun, où ils se procurent des clous, des haches, scies et gros couteaux, du sel, du kapi et autres objets de stricte nécessité.

Pour eux, la récolte de la cire est une opération périlleuse ; les abeilles, presque aussi grosses que les hannetons, établissent leurs rayons énormes sur les branches supérieures d’un arbre colossal de cent cinquante pieds de haut. Or, voici l’expédient mis en usage par les Xông pour y arriver. Ils préparent une grande quantité de lames d’un bois très-dur et les enfoncent une à une dans l’arbre sur lequel ils veulent monter, de manière à poser un pied sur une de ces lames et tenir l’autre d’une main. Avant de faire cette ascension périlleuse, ils ne manquent jamais de faire un sacrifice au génie du lieu, puis, quand ils se sont approchés le plus près possible des rayons de cire, à l’aide d’un long et léger bambou, ils les détachent peu à peu et les précipitent en bas. Il faut observer qu’ils ont eu la précaution de chasser l’essaim d’abeilles le jour précédent par une fumée continuelle et abondante.

Quant à la récolte du goudron, elle se fait de la manière suivante : à coups de hache ils font une entaille très-profonde, en forme de petit four, au pied d’un gros arbre résineux ; on y allume du feu qu’on éteint bientôt : l’huile ou goudron distille et s’amasse au fond du creux d’où les Xông la puisent tous les jours. Ce goudron est d’un grand usage ; mêlé avec de la résine, on s’en sert pour goudronner les barques ; quand il est bien limpide, il est propre à la peinture. Si l’on veut faire des torches, on creuse un trou en terre, on y jette des morceaux de bois pourri, après quoi, versant le goudron dessus, on le foule et on le pétrit avec ce bois pourri, de manière à en faire une pâte épaisse qu’on façonne dans la main ; puis on l’enveloppe dans de longues feuilles qui y adhèrent, ou on le roule dans des écorces minces qu’on lie avec du rotin.

Les montagnes habitées par les Xông recèlent, dit-on, des mines et des pierres précieuses qu’ils viennent offrir de temps en temps au gouverneur de Chanthabun, auquel ils apportent aussi chaque année le tribut fixé par le roi de Siam et qu’ils paient en cardamome et autres marchandises.

TRIBU DES KARIENG.

Les Karieng sont les habitants primitifs de Siam. Lorsque les Thai descendirent du nord et fondèrent la ville de Juthia, les Karieng leur cédèrent le pays et se retirèrent dans les montagnes qui sont à l’est et à l’ouest, où ils sont encore aujourd’hui. Ils ont une stature avantageuse et sont bien constitués, agiles, forts, robustes et très-endurcis à la fatigue. Accoutumés dès leur jeune âge à errer et travailler dans les forêts, ils supportent facilement la faim, la soif et toutes sortes de privations. Leur physionomie, surtout celle des femmes, porte l’empreinte de la douceur et de la bonté.

L’habillement des hommes est une espèce de toge à manches larges et courtes, qui descend jusqu’à mi-jambes ils se serrent les reins avec une ceinture et s’enveloppent la tête avec une pièce de toile. Ils gardent les cheveux longs et ont les oreilles percées pour y introduire quelques jolies plumes d’oiseaux et des petits cylindres creux en argent. Les femmes portent un sarong, ou jupe, sur lequel elles ont une veste parsemée de grains de verre ou de petits fruits qui forment des dessins bizarres, Elles ont aussi plusieurs colliers et s’enveloppent la tête d’un large tissu dont elles laissent flotter les deux bouts sur leurs épaules. Leurs longues oreilles, percées d’un large trou, sont ornées de fleurs, de pierres fines ou de bijoux d’or ou d’argent.

Les cabanes des Karieng sont faites de bambous et n’ont, pour y monter, qu’une espèce de juchoir ; des bambous, des calebasses, quelques corbeilles et des nattes grossières, voilà tout leur ameublement. Très-souvent ces huttes ne leur servent que pour un an ; car, de même que les Lao, ils ont coutume de couper et de brûler chaque année une certaine étendue de la forêt pour planter leur riz, changeant ainsi de place tous les ans, ce qui les oblige à construire souvent de nouvelles cabanes. Les Karieng n’ont pas de lois écrites ; les traditions qu’ils ont reçues de leurs ancêtres forment toute leur législation. Ils reconnaissent pour chef celui d’entre eux qui est le plus habile et qui jouit de plus de considération ; du reste, ce chef n’abuse pas de son autorité et se contente de jouer parmi eux le rôle d’un conseiller et d’un protecteur.

Il est probable que les Karieng tirent leur origine des Lao, avec lesquels ils ont plusieurs traits de ressemblance. Ils reconnaissent deux génies, l’un bon, l’autre mauvais ; ils ne rendent aucun culte au bon génie, tandis qu’ils font des sacrifices de poules, de fruits, de riz, de fleurs, etc., au mauvais génie, lorsqu’ils veulent l’apaiser ou se le rendre favorable.

Ils n’ont ni bonzes, ni pagodes, ni culte, ni prière ; chaque chef de famille fait lui-même le sacrifice au mauvais génie toutes les fois qu’ils sont attaqués de maladies ou qu’ils ont à craindre quelque malheur. Voilà en quoi consiste toute leur religion.

Les Karieng sont d’une grande sobriété ; ils ont horreur du vol et du mensonge ; la polygamie ne se rencontre pas chez eux ils sont hospitaliers les uns envers les autres, au point que ceux qui voyagent peuvent s’arrêter dans la première maison qu’ils rencontrent pour manger, dormir, comme s’ils étaient dans leur propre cabane. On dirait que la tribu entière ne forme qu’une seule famille, et ils partagent volontiers leurs provisions avec ceux qui n’en ont plus.

L’éducation est nulle parmi eux ; ils n’ont pas de livres ; toute leur occupation est la pêche, la chasse et la culture du riz et des légumes. On dit que celui qui a demandé une fille en mariage, avant de pouvoir célébrer les noces, est obligé d’escalader la cabane de sa fiancée, après avoir terrassé à la lutte un adversaire renommé par sa force qui défend le bas de l’échelle.

Les Karieng brûlent leurs morts, après quoi ils prennent un os du crâne qu’ils vont suspendre à un arbre avec les habits, les colliers et les armes du défunt alors ils exécutent des danses et des pantomimes accompagnées de chants lugubres ; ensuite quelques-uns des anciens emportent l’os avec tout l’attirail du défunt et vont ensevelir secrètement tout cela au pied d’une montagne éloignée, recommandant au mort de ne pas revenir tourmenter sa famille, puisqu’on enterre avec lui tout ce qui lui a appartenu.

LAVA.

La tribu des Lava habite les montagnes de l’ouest vers le nord ; elle a beaucoup de rapports avec les Karieng pour les mœurs et coutumes ; il paraît que les Lava cultivent beaucoup le coton, car les gens du peuple à Siam font un grand usage des couvertures de coton et des moustiquaires fabriquées par les femmes de cette tribu, qui ont aussi les oreilles pendantes et trouées à y loger un œuf de poule. Cette tribu tire aussi son origine des Lao ; elle ne quitte jamais ses forêts et fait cependant un commerce assez considérable, par voie d’échange, avec quelques marchands chinois et siamois, qui vont trouver les Lava jusque dans leurs forêts.

Pour compléter rénumération des peuples divers qui habitent le territoire de Siam, j’aurais encore à parler des Klings, des Arabes, des Pégouans, des Barmas, des Annamites et surtout des Chinois (qui composent environ le tiers de la population) ; mais, outre que j’aurai occasion d’en dire quelque chose dans le cours de mon ouvrage, je suppose que ces différentes nations sont assez connues d’ailleurs pour me dispenser d’en parler ici.


Une croix